COMMENTAIRE DE L'ÉVANGILE DE SAINT JEAN
PAR SAINT THOMAS D'AQUIN, Docteur
de l'Eglise
notes prises en cours par son
secrétaire, Frčre Réginald de Piperno
(1269-1272)
Traduction sous la
direction du pčre Marie-Dominique Philippe o. p.
Préface par M.-D. PHILIPPE, o. p.
LES ÉDITIONS DU CERF - www.editionsducerf.fr - 2006
Édition numérique ŕ partir de la
traduction, http ://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, les uvres complčtes de saint
Thomas d'Aquin, 2006.
Nihil obstat
Fr. Martin Sabathé, Communauté
Saint-Jean
Fr. Paul-Marie de Mauroy, Communauté
Saint-Jean
Imprimi potest, 16 juillet 2005
Fr. Jean-Pierre-Marie Guérin-Boutaud
Communauté Saint-Jean, Prieur général
PRÉFACE
DU PERE M.D. PHILIPPE OP
Liste
des sigles et abréviations
Explication
de ce prologue par saint Thomas
CHAPITRE I Le Verbe s'est fait chair
Jean
1, 3-4 LE VERBE DIVIN ET LA CREATION
Jean
1, 5 LE VERBE DIVIN ET LES HOMMES
Jean
1, 6-8 LE TEMOIN DU VERBE INCARNE
Jean
1, 9-10 LA NECESSITE DE LA VENUE DU VERBE
Jean
1, 11-13 LE FRUIT DE LA VENUE DU VERBE DANS LE MONDE
Jean
1, 14 LA VENUE DU VERBE DANS LA CHAIR
Jean
1, 14b : LA GLOIRE DU VERBE INCARNE
Jean
1, 15 LE TEMOIGNAGE RENDU AU VERBE INCARNE
Jean
1, 16-17 LE VERBE INCARNE, SOURCE ET DONATEUR DE TOUTE GRACE
Jean
1, 18 LE VERBE INCARNE, DOCTEUR DE TOUTE SAGESSE
Jean
1, 24-28 LE MINISTERE DE JEAN. SON BAPTEME DANS LEAU
Jean
1, 29-34 JEAN, TEMOIN DU CHRIST AGNEAU DE DIEU, VRAI FILS DE DIEU
Jean
1, 35-42 VOCATION DE JEAN, ANDRE ET PIERRE
Jean
1, 43-51 VOCATION DE PHILIPPE ET NATHANAËL
CHAPITRE II Les premiers signes de Jésus
Jean
2, 1-11 LES NOCES DE CANA
Jean
2, 12-17 LES VENDEURS CHASSES DU TEMPLE
Jean
2, 18-35 LE SIGNE DU TEMPLE
CHAPITRE III La régénération spirituelle donnée aux juifs
Jean
3, 1-6 L'ENTRETIEN AVEC NICODEME
Jean
3, 7-15 LA CAUSE DE LA REGENERATION SPIRITUELLE
Jean
3, 16-21 LAMOUR DE DIEU POUR LE MONDE, RAISON ULTIME DE LA REGENERATION
Jean
3, 22-26 LE BAPTEME DE JEAN ET CELUI DU CHRIST
Jean
3, 27-32 LA PRIMAUTE ABSOLUE DU CHRIST SUR JEAN
Jean
3, 32b-36 LEFFET DE LENSEIGNEMENT DU CHRIST
CHAPITRE IV La vie spirituelle étendue aux nations
Jean
3, 1-9 LA SAMARITAINE ET LE PUIT
Jean
4, 27-33 LES PREMIERS FRUITS DE L'ENSEIGNEMENT DU CHRIST
Jean
4, 34-38 LA MOISSON SPIRITUELLE
Jean
4, 39-42 LA CONVERSION DES SAMARITAINS
Jean
4, 32-36 LA GALILEE, LIEU DU MIRACLE
Jean
5, 50-54 LA GUERISON DU FILS DU FONCTIONNAIRE ROYAL
CHAPITRE V Le don de la vie spirituelle
Jean
5, 1-9a : LE MIRACLE DE BETHSAIDE
Jean
5, 9b-18a : LA REACTION DES JUIFS DEVANT LA GUERISON DE LINFIRME
Jean
5, 18b-25 LA PUISSANCE DU CHRIST, FRUIT DE LAMOUR DU PERE
Jean
5, 20b-25 LE CHRIST DONATEUR DE VIE
Jean
5, 26-30 LE CHRIST, FILS DE LHOMME ET FILS DE DIEU
Jean
5, 31-40 LES TEMOIGNAGES CONFIRMANT LENSEIGNEMENT DU CHRIST
Jean
5, 41-47 LINCRÉDULITÉ DES JUIFS
CHAPITRE VI Le don de la nourriture spirituelle 1
Jean
6, 1-13 LA MULTIPLICATION DES PAINS
A.
LACCOMPLISSEMENT DU MIRACLE
Jean
6, 14-25 LEFFET DU MIRACLE
LA REVELATION DE LA NOURRITURE SPIRITUELLE
Jean
6, 26-40a : LENSEIGNEMENT DE LA VÉRITÉ
Jean
6, 41-60 LA REFUTATION DES OBJECTIONS FAITES Ŕ CET ENSEIGNEMENT
LAPAISEMENT
DU LITIGE SURGI Ŕ PROPOS DE LA CONSOMMATION DE CETTE NOURRITURE.
Jean
6, 61-72 LAPAISEMENT DU SCANDALE DES DISCIPLES
CHAPITRE VII Lorigine de lenseignement du Christ
Jean
7, 1-11 LE LIEU OŮ LE CHRIST A MANIFESTÉ LORIGINE DE SON ENSEIGNEMENT
COMMENT
LE CHRIST EST MONTÉ EN JUDÉE
Jean
7, 11-15 LES OCCASIONS DE MANIFESTER LORIGINE DE LENSEIGNEMENT
Jean
7, 16-24 LE CHRIST MANIFESTE LORIGINE DE SON ENSEIGNEMENT
A.
LORIGINE DIVINE DE LENSEIGNEMENT DU CHRIST
Jean
7, 25-32 LE DOUTE DES FOULES SUR LORIGINE DU CHRIST
LEFFET
DE LENSEIGNEMENT DU CHRIST
Jean
7, 33-36 LE TERME DU CHEMIN
Jean
7, 37-53 LE CHRIST INVITE Ŕ RECEVOIR SON ENSEIGNEMENT
CHAPITRE VIII La puissance illuminative de l'enseignement
du Christ montrée par la parole
Jean
8, 1-12 LA FEMME ADULTERE
Jean
8, 13-20 LA PUISSANCE ILLUMINATIVE DE LENSEIGNEMENT DU CHRIST
LE
PRIVILČGE DE LA LUMIČRE SPIRITUELLE
Jean,
8, 21-30 LEFFET DE LA LUMIČRE
LES
RAISONS CONDUISANT Ŕ LA FOI
LE
PRINCIPE, MOI QUI VOUS PARLE.
LE
MOYEN POUR PARVENIR Ŕ LA FOI
Jean
8, 31-50 LA VERITE VOUS RENDRA LIBRE
Jean
8, 51-59 LE FRUIT DE LA LUMIČRE
CHAPITRE IX La puissance illuminative de l'enseignement du
Christ confirmée par un acte
Jean
9, 1 ET EN PASSANT, JÉSUS VIT UN HOMME AVEUGLE DEPUIS SA NAISSANCE.
Jean
9, 6-7 LA GUÉRISON DE LAVEUGLE PAR LE CHRIST
Jean
9, 8-12 LA DISCUSSION DES JUIFS ET LA RÉPONSE DU CHRIST
Jean
9, 13-27 LES PHARISIENS PERSUADENT LAVEUGLE DE NIER LA VÉRITÉ
Jean
9, 28-29 LA MALÉDICTION DES PHARISIENS
Jean
9, 30 LA RÉPLIQUE DE LAVEUGLE
Jean
9, 31-33 DIEU NÉCOUTE PAS LES PÉCHEURS.
Jean
9, 34 LA CONDAMNATION DES PHARISIENS
B.
LAVEUGLE EST INSTRUIT ET MIS EN VALEUR PAR LE CHRIST (Jean 9, 36-38)
CHAPITRE X La puissance vivificatrice de l'enseignement du
Christ montrée par la parole
Jean
10, 1-13 LE CHRIST POSSČDE UNE PUISSANCE VIVIFICATRICE
B. LA
NÉCESSITÉ DE LEXPLICATION
C.
LEXPLICATION DE LA PARABOLE PAR LE CHRIST
Jean
10, 14-18 LA MANIERE DONT LE CHRIST VIVIFIE
A. LE
CHRIST PROUVE CE QUIL DIT
B. LE
CHRIST EXPUCITE LA PREUVE QUIL A DONNÉE
Jean
10, 19-42 SOUS QUEL ASPECT LE CHRIST POSSČDE CETTE PUISSANCE
B. LA
DISCUSSION DES CHEFS DES JUIFS AVEC LE CHRIST
CHAPITRE XI La puissance vivificatrice du Christ confirmée
par un miracle
Jean
11, 1-5 LA MALADIE ET LA MORT DE LAZARE
B. LES
SURS DE LAZARE ANNONCENT SA MALADIE AU CHRIST
Jean
11, 6-19 LA RÉSURRECTION DE LAZARE
A.
LINTENTION DU CHRIST DE RESSUSCITER LAZARE
Jean
11, 20 MARTHE ACCOURT AU-DEVANT DU CHRIST
Jean
11, 21 LAMOUR DE DÉVOTION DE MARTHE
Jean
11, 23-26 LE CHRIST INSTRUIT MARTHE
Jean
11, 27 LA CONFESSION DE MARTHE
Jean
11, 28 LAPPEL DE MARIE
Jean
11, 29-31 MARIE ACCOURT AU-DEVANT DU CHRIST
Jean
11, 32-42 LA DÉVOTION DE MARIE ENVERS JÉSUS
Jean
11, 43 LA VOIX DE CELUI QUI LE FAIT SE DRESSER
Jean
11, 44 LE COMMANDEMENT DU CHRIST
Jean
11, 45-46 LES EFFETS DE LA RÉSURRECTION
B. SON
EFFET SUR LES PRINCES DES PRĘTRES
Jean
11, 47-57 LES GRANDS PRĘTRES ET LES PHARISIENS RÉUNIRENT DONC UN CONSEIL.
CHAPITRE XII LES OCCASIONS DE LA PASSION ET DE LA MORT DU
CHRIST
A. LE
CHRIST GLORIFIE PAR LES HOMMES
a) Le
Christ glorifié par ses intimes et par ses proches.
b)
Jean 12, 9-11 Le Christ glorifié par la foule des Juifs.
c)
Jean 12, 20-21 Le Christ glorifié par les Gentils.
B.
Jean 12, 27-28 LE CHRIST GLORIFIE PAR DIEU
b)
Jean 12, 28-33 La promesse de la gloire.
A.
JEAN RAPPORTE L'INCRÉDULITÉ DES JUIFS
a)
Jean 12, 37 Ceux qui ne croyaient pas du tout.
b)
Jean 12, 42-43 Ceux qui croyaient en secret.
B. LE
CHRIST BLÂME L'INCRÉDULITÉ DES JUIFS
a)
Jean 12, 44-45 Le devoir de croire.
b)
Jean 12, 46 Le fruit de la foi.
c) Jean
12, 47 Le châtiment des incrédules.
CHAPITRE XIII LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES Ŕ VIVRE SA
PASSION
I
COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES Ŕ VIVRE SA PASSION EN LES FORMANT PAR
UN EXEMPLE
A.
L'EXEMPLE QUE LE CHRIST DONNA Ŕ SES DISCIPLES
a)
Jean 13, 1 L'amour fervent du Christ donnant l'exemple.
b)
Jean 13, 2-5 L'action par laquelle il donna l'exemple.
a)
Jean 13, 6-8 Cet exemple est mystique.
b)
Jean 13, 7 Cet exemple est nécessaire.
c)
Jean 13, 9-10 Cet exemple convient.
C. LE
CHRIST NOUS INVITE A IMITER SON EXEMPLE
a)
Jean 13, 12 Les circonstances de l'exhortation.
b)
Jean 13, 12 L'exhortation du Christ.
II
LA DÉFAILLANCE DES DISCIPLES QUI N'ÉTAIENT PAS CAPABLES DE SUIVRE LE CHRIST
A. LA
DÉFAILLANCE DU DISCIPLE QUI TRAHIT LE CHRIST
a)
Jean 13, 21 La trahison du disciple.
b)
Jean 13, 32-32 Le départ du Christ.
B. LA
DÉFAILLANCE DU DISCIPLE QUI RENIE LE CHRIST
a)
Jean 13, 36 Le désir et la hardiesse de Pierre.
b)
Jean 13, 38 Le Christ prédit son reniement.
CHAPITRE XIV LE CHRIST FORTIFIE SES DISCIPLES QUANT Ŕ SON
DÉPART
I
COMMENT LE CHRIST PRÉPARÉ SES DISCIPLES Ŕ VIVRE SA PASSION EN LES FORTIFIANT
PAR DES PAROLES
A. LE
CHRIST ANNONCE QU'IL VA VERS LE PČRE
a)
Jean 14, 1 Le Christ va vers le Pčre.
b)
Jean 14, 4 Le chemin par lequel il devait s'en aller.
c)
Jean 14, 8 Le Christ dissipe le doute qui s'élčve chez son disciple.
d)
Jean 14, 10-12 Le Christ manifeste sa réponse ŕ travers des uvres.
B.
Jean 14, 15-17 LE CHRIST PROMET LE DON DE L'ESPRIT SAINT
a) Le
Christ prépare ses disciples ŕ recevoir l'Esprit Saint.
b) Le
Christ promet l'Esprit Saint.
c)
Jean 14, 16-17 Le Christ explique la promesse de l'Esprit Saint.
C. LE
CHRIST PROMET SA PRESENCE
a)
Jean 14, 18-21 Il promet ŕ ses disciples son retour.
b)
Jean 14, 25-26 Il promet ŕ ses disciples ses dons.
II LE
CHRIST RÉCONFORTE SES DISCIPLES QUANT Ŕ SON DÉPART
A. IL
LES CONSOLE PAR L'UTILITE DU FRUIT QUI SUIVRAIT SON DEPART
B.
Jean 14, 30 IL LES CONSOLE PAR LA CAUSE DE SA MORT
CHAPITRE XV LE CHRIST AFFERMIT L'ÂME DE SES DISCIPLES FACE
AUX TRIBULATIONS Ŕ VENIR
LE
CHRIST AFFERMIT L'ÂME DE SES DISCIPLES FACE AUX TRIBULATIONS Ŕ VENIR
A.
L'UNION DES SARMENTS A LA VIGNE
a)
Jean 15, 3-4 Le Christ exhorte ses disciples ŕ demeurer en lui.
b))
Jean 15, 4-5 Le Christ donne les raisons de demeurer en lui.
c))
Jean 15, 9 La maničre de demeurer en lui.
a))
Jean 15, 18-19 Pourquoi le Christ console ses disciples.
b))
Jean 15, 20-21 Le développement de ces raisons.
c))
Jean 15, 22-23 Le Christ rejette ce qui pourrait excuser les persécuteurs.
I LE
CHRIST EXPLIQUE LES RAISONS DONNÉES AUX DISCIPLESPOUR LES CONSOLER
A.
Jean 16, 1-5 LA CONSOLATION PAR RAPPORT AUX TRIBULATIONS A VENIR
b)
L'annonce de la persécution.
c))
Jean 16, 3-5 La raison de la persécution.
B. LA
CONSOLATION PAR RAPPORT A SON DEPART
a)
Jean 16, 5-6 La promesse de l'Esprit Paraclet.
b)
Jean 16, 16 La promesse de le voir de nouveau.
c)
Jean 16, 23 L'accčs auprčs du Pčre.
II
L'EFFET DE L'EXPLICATION SUR LES DISCIPLES
A. Jean
16, 29-30 LA CONFESSION DES DISCIPLES
B.
Jean 16, 31 LA FAIBLESSE DES DISCIPLES
C.
Jean 16, 33 L'INTENTION DU CHRIST DANS SON ENSEIGNEMENT
CHAPITRE XVII PREPARATION A LA PASSION
I
COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES Ŕ VIVRE SA PASSION EN LES RÉCONFORTANT
PAR SA PRIČRE
A.
Jean 17, 1 LE CHRIST PRÉSENTE UNE DEMANDE AU PČRE
B. LE
CHRIST INDIQUE LE FRUIT DE SA DEMANDE
a) Le
Christ présente le fruit de sa demande.
b) Le
Christ explicite le fruit de sa demande.
C.
Jean 17, 4-6 LE MÉRITE DU CHRIST
II
LE CHRIST PRIE POUR L'ASSEMBLÉE DES DISCIPLES
A. Jean
17, 6 LES RAISONS DE LA PRIČRE DU CHRIST
a)
Jean 17, 6 Quant ŕ ses disciples.
b)
Jean 17, 9-11 Quant ŕ lui.
B. LE
CONTENU DE LA PRIČRE DU CHRIST
a) Il
demande que ses disciples soient gardés.
b)
Jean 17, 17-19 Le Christ demande la sanctification de ses disciples.
III
LE CHRIST INTERCČDE POUR TOUS LES CROYANTS
A. LE
CHRIST PRÉSENTE SA PRIČRE
a)
Jean 17, 20-21 La perfection de l'unité.
b)
Jean 17, 24 La vision de la gloire.
B. LA
RAISON POUR LAQUELLE LA PRIČRE DU CHRIST EST EXAUCÉE
b) Jean
17, 25-26 Le progrčs des disciples.
CHAPITRE XVIII [LES SOUFFRANCES DE LA PART DES JUIFS]
I CE
QUE LE CHRIST A SOUFFERT DE LA PART DES JUIFS
COMMENT
LE CHRIST EST LIVRE PAR UN DISCIPLE
B.
Jean 18, 3 LES PRÉPARATIFS DU TRAÎTRE
C.
Jean 18, 4-6 LA VOLONTÉ D'AMOUR DU CHRIST D'ENDURER LA TRAHISON
a) Le
Christ s'offre volontairement.
b)
Jean 18, 10-11 Le Christ arręte le disciple qui résiste.
II
COMMENT LE CHRIST EST PRÉSENTÉ PAR LES GARDES AUX CHEFS DU PEUPLE
A.
COMMENT LE CHRIST EST CONDUIT A ANNE
a)
Jean 18, 12-14 Comment le Christ est présenté ŕ Anne.
b)
Jean 18, 19 Comment le Christ est examiné par Anne.
B.
Jean 18, 25-27 COMMENT LE CHRIST EST CONDUIT A CAĎPHE
III
COMMENT LE CHRIST EST ACCUSE PAR LES CHEFS DU PEUPLE AUPRČS DU GOUVERNEUR
A.
Jean 18, 28 LE CHRIST EST REMIS A PILATE
a)
Jean 18, 29-30 Comment Pilate examine le Christ en face des accusateurs.
b)
Comment Pilate examine le Christ chez lui.
C.
Jean 18, 38-40 PILATE PROCLAME L'INNOCENCE DU CHRIST
CHAPITRE XIX [LES SOUFFRANCES PAR LES PAĎENS]
I CE
QUE LE CHRIST A SOUFFERT SPÉCIALEMENT DE LA PART DES GENTILS
a)
Jean 19, 4 La discussion entre Pilate et les Juifs.
b)
Jean 19, 13 La condamnation du Christ.
c)
Jean 19, 16 L'exécution de la sentence.
d)
Jean 19, 19-22 Ce qui suit la crucifixion.
a)
Jean 19, 28-30 L'opportunité de la mort du Christ.
b)
Jean 19, 30 La description de sa mort.
c)
Jean 19, 31 La blessure du corps du Christ.
C.
L'ENSEVELISSEMENT DU CHRIST
a)
Jean 19, 38 La possibilité et la permission d'ensevelir le Christ.
b)
Jean 19, 38-40 Le zčle de Joseph d'Arimathie.
c)
Jean 19, 41 Le lieu de la sépulture.
d)
Jean 19, 42 La sépulture elle-męme.
CHAPITRE XX LA GLOIRE DE LA RÉSURRECTION
I LE
CHRIST MANIFESTE SA RÉSURRECTION AUX SAINTES FEMMES
a)
Jean 20, 1 La vision qu'eut la femme.
b)
Jean 20, 2 L'annonce de ce qu'elle a vu.
c)
Jean 20, 3 La recherche de ce qui a été annoncé.
a)
Jean 20, 10-11 La dévotion de Marie.
b)
Jean 20, 12 La vision des anges.
c)
Jean 20, 13 Les paroles des anges.
a)
Jean 20, 14 La vision du Christ.
b)
Jean 20, 16 Marie reconnaît le Christ.
c)
Jean 20, 17 Marie est instruite par le Christ.
II
LE CHRIST MANIFESTE SA RÉSURRECTION AUX DISCIPLES
A.
L'APPARITION Ŕ TOUS LES APÔTRES, EXCEPTE THOMAS
a)
Jean 20, 19 L'apparition du Seigneur.
b)
Jean 20, 21 La remise du ministčre.
c)
Jean 20, 22-23 La communication du don spirituel1.
d)
Jean 20, 24 Le doute d'un disciple.
B.
L'APPARITION AUX APÔTRES, THOMAS ÉTANT PRÉSENT
a)
Jean 20, 26 L'apparition du Christ.
b)
Jean 20, 27 La confirmation de Thomas.
c)
Jean 20, 30 La récapitulation de tout ce qui a été dit dans l'Évangile.
CHAPITRE XXI LA GLOIRE DE LA RÉSURRECTION (SUITE)
A.
Jean 21, 1 L'ANNONCE DE L'APPARITION
Β.
Jean 21, 1-2 L'APPARITION DU CHRIST
a) Les
disciples auxquels elle a été faite.
c) La
maničre dont eut lieu lapparition.
CHAPITRE XXI [LE SECRET A PIERRE ET JEAN]
CE QUE
LE CHRIST CONFIA PLUS SPÉCIALEMENT AUX DEUX DISCIPLES QU'IL AIMAIT D'UN AMOUR
DE PRÉDILECTION
A. CE
QUE LE CHRIST RÉVÉLA A PIERRE
a)
Jean 21, 15 Le Christ lui confie sa charge de pasteur.
b)
Jean 21, 18-19 Le Christ annonce ŕ Pierre son martyre.
B. CE
QUE LE CHRIST RÉVÉLA A JEAN
a)
Jean 21, 19 La recommandation de Jean par le Christ.
b)
Jean 21, 24-25 Éloge de son Évangile.
Table des références ŕ l'Écriture sainte
Dans son encyclique Foi et raison, Jean-Paul II nous a rappelé avec force qu'il faut aimer saint Thomas, vivre ce qu'il enseigne, et pour cela le lire et le relire en cherchant ŕ comprendre le plus profondément possible ce qu'il nous dit. En l'aimant et en cherchant la vérité avec lui, nous serons plus proches du cur du Christ et nous entrerons davantage dans la sagesse.
Saint Thomas et les trois sagesses
Saint Thomas, ami du Christ, a précisé ce que sont les trois sagesses - philosophique, théologique et spirituelle l, et il en a vécu pleinement. Se mettant ŕ l'école d'Aristote, celui qu'il considérait comme le Philosophe, et essayant de le comprendre, d'aiguiser en quelque sorte son intelligence ŕ son contact, il s'est fait serviteur de la sagesse philosophique en le commentant2.
Et saint Thomas a été trčs spécialement serviteur pour l'Église en tant que théologien. On peut dire que toute sa vie il a fait uvre de théologien, en grand serviteur, mais en voulant que la théologie soit une sagesse et une science, ou plus exactement qu'elle soit scientifique tout en étant sapientiale. Il a voulu que la théologie soit de plus en plus précise, d'une précision spéculative et non logique : il savait trop bien ce qu'était la logique pour s'y arręter, mais il s'en est servi comme d'un instrument qui lui a permis de communiquer correctement ses recherches.
1. Somme théologique, I, q. 1, a. 6 ; II-II, q. 45, a. 1, ad 2 et a. 2. Voir aussi Fides et ratio, n° 44.
2. Voir entre autres In decem libros Ethicorum Aristotelis ad Nichomachum expositio, In octo libros Physicorum Aristotelis expositio, In duodecem libros Metaphysicorum expositio.
Quant ŕ la sagesse mystique, elle est pour saint Thomas la vie du chrétien. Nous sommes tous appelés ŕ vivre cette sagesse mystique, don du Saint-Esprit, sagesse infuse alors que les deux autres sont acquises. C'est trčs beau, du reste, de voir chez saint Thomas ce travail du philosophe et du théologien, travail qui aboutit ŕ l'acquisition de Lhabitus de sagesse philosophique et de Lhabitus de sagesse théologique. Ces deux habitus, saint Thomas les a acquis. Il était un grand travailleur, un travailleur exceptionnel, et en męme temps il était l'ami du Christ, celui qui vivait de la parole de Dieu en l'aimant. Il suffit de lire son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean pour toucher combien il aimait la parole de Dieu et combien cette parole divine était l'aliment de sa foi, de son espérance et de sa charité.
La sainteté de saint Thomas est évidemment celle du serviteur de Dieu par la philosophie et la théologie, mais elle est avant tout la sainteté de l'enfant du Pčre, de l'ami de Jésus, de l'enfant de Marie et de l'ami de saint Jean. Cela reste caché derričre l'armure trčs puissante du théologien et du philosophe, mais ce qui caractérise l'âme de saint Thomas, c'est bien cette emprise trčs forte du Saint-Esprit, du Paraclet, qui lui permettait de pénétrer la parole de Dieu pour en découvrir vraiment les secrets et devenir ainsi l'ami de Jésus. Et c'est aussi ce qui permet de comprendre la profondeur de sa théologie. C'est cette intimité avec Jésus, avec le Pčre, qui donne ŕ la recherche théologique de saint Thomas une pénétration et une splendeur uniques. C'est pour cela que męme aujourd'hui, aprčs bien des sičcles, on peut encore lire Thomas d'Aquin en enfants du Pčre et en comprenant qu'il a aimé l'Évangile de saint Jean d'une maničre toute spéciale 1
L'Évangile de saint Jean : la révélation du Verbe et de l'Agneau
Dans son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean, saint Thomas nous montre combien l'Évangile de Jean est capital et demeure ce qu'il y a d'ultime dans la Révélation. Et ce qu'il y a d'unique dans cet Évangile, c'est la révélation du Verbe2, celle de l'Agneau, et celle du Paraclet que l'Agneau nous envoie Ť d'auprčs du Pčre3 ť. C'est pour ętre parfaitement Agneau de Dieu que le Verbe s'est fait chair4. Tout le mystčre de l'Incarnation, tel que Dieu a voulu le réaliser, est pour que le Verbe soit parfaitement Agneau de Dieu. Le mystčre de la Rédemption finalise le mystčre de l'Incarnation : Ť Jésus lui-męme, l'agneau véritable, s'avança vers le lieu de sa Passion, car il devait ętre immolé de son plein gré pour le salut du monde - Il s'est offert parce que lui-męme l'a voulu5 ť (n° 1590).
1. Saint Thomas a compris combien saint Jean, en écrivant son Évangile, a communiqué les secrets du cur du Christ : Ť Pour rendre son témoignage digne de foi, Jean prit comme preuve de la vérité de ses paroles l'intimité dans laquelle il avait vécu avec le Christ, et écrivit : Il a habité parmi nous. Comme s'il disait : Je suis bien placé pour lui rendre témoignage, car j'ai vécu dans son intimité ť {Commentaire sur l'Évangile de saint Jean, vol. I, n° 178).
2. Ť Jean a voulu montrer la vérité et le caractčre unique de cette union [du Verbe et de la chair] dans le Christ. Assurément Dieu s'unit ŕ d'autres hommes saints, mais ŕ leur âme seulement ; c'est pourquoi il est écrit : D'âge en âge la Sagesse se répand dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophčtes (Sg 7, 27). Mais que le Verbe de Dieu se soit uni ŕ la chair, cela est propre au Christ, selon ce passage du Psaume : Pour moi, je suis seul, jusquŕ ce que je passe (Ps 140, 10), et selon cette parole de Job : L'or ne peut lui ętre comparé (Jb 28, 17). C'est le caractčre unique de cette union dans le Christ que veut montrer lÉvangéliste en faisant mention seulement de la chair lorsqu'il dit : Le Verbe s'est fait chair ť (n° 169).
3. Jn 15,26.
4. Le Verbe s'est fait Ť chair ť
: Ť L'Évangéliste parle de la chair seule pour montrer que l'homme a
été restauré de la maničre qui convenait le mieux. C'est en effet par la
chair que l'homme était rendu infirme ; aussi l'Évangéliste,
voulant prouver combien la venue du Verbe convenait ŕ notre restauration, a
fait mention spécialement de la chair, pour montrer que la chair infirme a été
restaurée par la chair du Verbe ; et c'est ce que l'Apôtre dit : Ce qui
était impossible ŕ la Loi, que la chair rendait impuissante, Dieu l'a fait : en
envoyant pour le péché son propre Fils dans une chair semblable ŕ cette du
péché et pour le péché, il a condamné le péché dans la chair (Rm 8, 3) ť (n° 169).
5. Is 53, 7 (verset propre ŕ la Vulgate).
Chrétiens de la fin du XXe sičcle et du début du troisičme millénaire de l'Église, nous vivons des luttes extręmes, des luttes intellectuelles profondes et multiples. L'union tout ŕ fait premičre, dans la sagesse de Dieu, de l'homme et de la femme, est elle-męme attaquée et, par le fait męme, la finalité propre de la personne humaine est ébranlée et souvent rejetée. L'homme devient le maître absolu, non seulement de lui-męme mais aussi des autres. Au milieu de ce bouleversement mondial et si total, oů tout demande d'ętre repris, rectifié, purifié, l'Évangile de saint Jean nous révčle l'amour du Pčre pour Jean et pour chacun d'entre nous, et nous montre que seul cet amour est éternel et victorieux de toutes les luttes. Ť Le Christ porte sa croix comme un roi son sceptre au sein de la gloire qui est son pouvoir universel sur toutes choses - Le Seigneur a régné par le bois6. - II a reçu le pouvoir sur son épaule, et il sera appelé merveilleux conseiller, Dieu fort, Pčre du sičcle ŕ venir, Prince de la paix7. Il la porte comme le vainqueur porte le trophée de sa victoire -Dépouillant les principautés et les puissances, il les a menées captives avec hardiesse, triomphant d'elles hautement en lui-męme1 ť (n° 2414). Et c'est la victoire du Christ crucifié qui manifeste le mieux l'amour du Pčre pour nous - Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique 2, et Ť il l'a donné pour la mort de la Croix3 ť.
6. Cf. Ps 95, 10.
7. Is 9, 6.
Saint Thomas, théologien de l'amour et du Paraclet
Saint Thomas, théologien de l'amour, veut que nous gardions ces paroles si étonnantes de Jésus : Ť Et maintenant je vais vers celui qui m'a envoyé ; et aucun d'entre vous ne m'interroge : Oů vas-tu ? Mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a rempli votre cur. Mais moi, je vous dis la vérité : II est bon pour vous que moi je m'en aille. Car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l'enverrai4. ť Ces paroles, Jésus veut que nous les entendions comme la Vierge Marie elle-męme les a entendues. Or ces paroles prophétiques ont dű résonner dans son cur d'une maničre unique : męme pour elle, il est bon que Jésus parte par la Croix, car s'il ne part pas, il n'enverra pas le Paraclet pour elle et, par le fait męme, elle ne pourra pas vivre du Christ de cette maničre nouvelle, plus excellente encore que la premičre. N'oublions pas ce que dit saint Thomas ŕ propos des disciples : Ť Tant que le Christ était avec eux, ils avaient avec eux une aide suffisante ; mais avec son départ, ils se trouvaient exposés ŕ de nombreuses tribulations, et c'est pour cela qu'il leur a été donné aussitôt un autre Consolateur pour les aider. Aussi le Seigneur dit-il expressément : Et il vous donnera un autre Paraclet5. -A qui enseignera-t-il la science ? A qui fer a-t-il comprendre ce qui aura été entendu ? A des enfants ŕ peine sevrés, qui viennent de quitter le sein0 ť (n° 2088).
1. Col 2, 15.
2. Jn 3, 16.
3. Ť Dieu a-t-il donc donné son Fils pour qu'il mourűt sur la Croix ? Assurément il l'a donné pour la mort de la Croix (Ph 2, 8), en tant qu'il lui a donné la volonté d'y souffrir, et cela de deux maničres. Car d'une part, en qualité de Fils de Dieu, il a eu de toute éternité la volonté de prendre chair et de souffrir pour nous ; et cette volonté, il la tenait du Pčre ; et, d'autre part, c'est Dieu qui inspira ŕ l'âme du Christ la volonté de souffrir ť (n° 478).
4. Jn 16, 5-7.
Jésus peut-il se donner d'une maničre plus excellente et plus intime que la premičre fois ? Ŕ l'Annonciation Jésus a été donné ŕ Marie d'une maničre unique par le Pčre et l'Esprit Saint, et voilŕ que, avant sa Passion, il lui annonce un don plus parfait. Est-ce possible ? Marie ne met pas en doute les paroles de Jésus : ce que Jésus annonce, il le réalise, mais il faut alors qu'il parte, qu'il s'offre au Pčre pour nous.
Et avant ce départ, avant cette offrande, Jésus promet ŕ ses disciples Ť l'instruction qu'ils recevront par la venue de l'Esprit Saint, qui leur enseignera la vérité tout entičre. En effet, puisqu'il est de la Vérité, il lui appartient d'enseigner la vérité et de rendre [les autres] semblables ŕ son principe [la Vérité]. Et le Christ dit : la vérité tout entičre, c'est-ŕ-dire la vérité de la foi, que l'Esprit nous enseignera par une certaine élévation de notre intelligence en cette vie, et enfin de maničre pléničre dans la vie éternelle oů nous connaîtrons comme nous sommes connus - L'onction vous enseignera tout7 ť (n° 2102).
Saint Thomas, théologien de l'Eucharistie
La premičre réalisation de cette promesse sera le don de l'Eucharistie, don unique de Jésus, Agneau de Dieu, pour Marie et pour nous, et ce don de l'Eucharistie se réalisera ŕ la fois par et pour le don du Paraclet. L'humanité de Jésus s'offrant au Pčre Ť par l'Esprit éternel1 ť en victime d'amour, en holocauste, permet ŕ tous les hommes de recevoir le corps du Christ en nourriture, comme pain, et son sang comme vin. Marie, par l'Eucharistie, reçoit le corps de son Fils comme pain et son sang comme vin. Il y a donc une unité d'amour plus grande (le réalisme de l'assimilation le manifeste) qui se réalise entre elle et Jésus, unité d'amour qui réclame la mort de Jésus. L'Agneau de Dieu est tout pour elle : il est son Pain divin, Dieu un avec elle. L'Eucharistie est la réponse du Pčre au Ť oui ť de Marie ŕ l'Annonciation. La théologie de l'amour va jusque-lŕ.
5. Jn 14, 16.
6. Is 28, 9.
7. 1 Jn 2, 27.
Un aspect de la théologie de saint Thomas, et de sa sainteté, c'est l'amour qu'il a eu pour l'Eucharistie. C'est cet amour pour l'Eucharistie qui lui a permis de rester ici-bas un homme assoiffé de Dieu, du mystčre de l'Agneau qui nous est donné pour nous nourrir divinement. L'Eucharistie est la nourriture par excellence de celui qui est appelé ŕ la vision béatifique, la seule nourriture Ť adéquate ť ŕ cette vision, puisque c'est le mystčre du Christ crucifié qui nous est donné, et qui nous est donné pour que nous puissions, dčs ici-bas, nous nourrir substantiellement de Dieu et ętre tout entiers dépendants de lui et tournés vers lui. L'Eucharistie nous fait entrer, par le mystčre du Verbe qui s'est incarné pour ętre notre Sauveur et notre Pain, dans le mystčre męme de la Trčs Sainte Trinité. Saint Thomas a étudié théologiquement ce mystčre de l'Eucharistie2 avec une extraordinaire précision et simplicité, et spécialement le mystčre de la transsubstantiation3 qui, par le corps victimal du Christ offert au Pčre, nous fait entrer dans l'intimité męme du Pčre. Par l'Eucharistie, l'offrande de la Croix nous est vraiment donnée et nous vivons cet acte d'offrande oů Jésus, dans l'obéissance4, a tout donné, tout livré au Pčre, pour nous introduire dans son unité avec le Pčre5.
1. He 9, 14. Voir aussi les épiclčses des Pričres eucharistiques II, III et IV La IVe a ceci de trčs beau qu'elle exprime ŕ la fois le par et le pour, ou plutôt, dans l'ordre inverse, le pour - Ť Afin que notre vie ne soit plus ŕ nous-męmes, mais ŕ lui qui est mort et ressuscité pour nous, il a envoyé d'auprčs de toi, comme premier don fait aux croyants, l'Esprit qui poursuit son uvre dans le monde et achčve toute sanctification ť - et le par : Ť Que ce męme Esprit Saint, nous t'en prions, Seigneur, sanctifie ces offrandes. Qu'elles deviennent ainsi le corps et le sang de ton Fils... ť
2. Voir Somme théologique, III, q. 73-83. Saint Thomas a aussi beaucoup scruté le mystčre de l'Eucharistie en théologie mystique, en particulier en commentant le chapitre 6 de l'Évangile de saint Jean - voir vol. I, nos 954 ŕ 976.
Saint Thomas, théologien du cur de Marie
Le don du Paraclet, révélé dans l'Évangile de Jean, réclame, pour pouvoir se réaliser, le don de Marie comme Mčre. Quand il s'agit de la formation du corps de Jésus, Marie est nécessaire. C'est le Pčre lui-męme qui nous le montre ŕ l'Annonciation, c'est lui qui demande ŕ Marie son corps. Mais le don du corps du Christ comme nourriture, comme pain, c'est le Christ lui-męme qui le réalise, et il ne veut le réaliser que par le Paraclet et par le sacrifice de la Croix. Le Christ, comme Verbe incarné, ne peut pas mourir, il est au-dessus de la mort6. S'il veut mourir, c'est par pur amour pour nous, et c'est pourquoi il veut que son corps devienne notre pain et son sang notre vin - Ť le vin qui réjouit le cur de l'homme7 ť -, et pour cela il faut l'action personnelle de l'Esprit Saint. Comme l'Esprit Saint a réalisé en Marie - et par son fiat - la formation du corps du Christ, l'Esprit Saint Paraclet réalise le Ť comment ť du pain divin et du sang du Christ par et dans l'Eucharistie. Cela, c'est l'uvre propre du Paraclet. Ť Quand il sera venu, il convaincra le monde au sujet du péché, et de la justice, et du jugement1. ť Et saint Thomas commente : Ť Si le Seigneur a dit : Il convaincra le monde, c'est parce que l'Esprit, en pénétrant invisiblement vos curs, répandra en eux la charité (...) ť (n°2093).
3. Somme théol., q. 75, a. 4.
4. Voir Ph 2, 7-8 S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'ŕ la mon, et ŕ la mort sur une croix... He 5, 8 Tout fils qu'il était, il apprit, de ce qu'il souffrit, l'obéissance...
5. Saint Augustin n'hésite pas ŕ dire :
Ť Ô éternelle Vérité et vraie charité et chčre éternité ! (...) J'ai
découvert que j'étais loin de toi dans la région de la dissemblance, comme si
j'entendais ta voix me dire des hauteurs : "Je suis l'aliment des grands ; grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas
en toi, comme l'aliment de ta chair ; mais c'est toi qui seras changé en
moi"Ť (Les Confessions, in : uvres de saint Augustin, t. 13
(BA), Desclée De Brouwer, Paris 1962, VII, x, 16, p. 617).
6. Voir Somme théol., III, q. 50, a. 1.
7. Ps 103, 15. Cf. Jg 9, 13 ; Pr 9, 1-6 ; Si 31,
27-28 ; Za 10, 7.
De męme que Marie, par son fiat, a permis au Pčre de réaliser le don de son Fils dans le mystčre de l'Incarnation, de męme elle seule est vraiment disposée ŕ recevoir le don du corps du Christ comme pain, et elle seule peut nous préparer ŕ le recevoir. Ayant vécu la mort de l'Agneau qui implique la séparation de son corps et de son sang, elle peut recevoir ce corps et ce sang et les offrir au Pčre. Et le Pčre lui donne son Fils comme pain et vin sous l'action propre du Paraclet. Aussi le don du Paraclet et le don du corps et du sang du Christ réclament-ils, pour que nous puissions les recevoir dignement et en vivre véritablement, que Marie soit notre Mčre. Elle est donnée ŕ Jean pour cela. Jean, disciple bien-aimé du Christ, reçoit de Jésus crucifié sa Mčre pour qu'elle devienne la sienne - Ť Voici ta Mčre2 ť - et ŕ travers lui la nôtre. C'est le don ultime que Jésus réalise ŕ la Croix avant de mourir, c'est comme son testament3.
C'est une volonté ultime d'amour qui ne s'explique que par elle-męme, comme un don gratuit d'amour. Jésus lui-męme meurt, mais sa Mčre ne meurt pas ŕ la Croix pour qu'il puisse la donner ŕ Jean. Elle est au Pčre, toute donnée ŕ lui, et elle ne peut rien lui donner de plus que son Fils. Mais l'amour de Dieu se manifeste dans l'amour du prochain, et on ne peut pas aimer plus le prochain qu'en lui donnant ce qu'on aime le plus ; or c'est bien ce que Jésus fait en nous donnant sa Mčre.
Saint Thomas a si profondément saisi ce mystčre de la maternité divine4 de Marie que ce mystčre a donné ŕ toute sa vie de théologien un caractčre de simplicité, un caractčre en quelque sorte materne1.
MARIE-DOMINIQUE PHILIPPE, o. p.
1. Jn 16, 8.
2. Jn 19, 27.
3. Ť II dit au disciple : "Voici ta Mčre", c'est-ŕ-dire pour que celui-ci la serve autant qu'un fils sa mčre, que celle-ci l'aime comme une mčre aime son fils ť (n° 2442). Ť Le disciple, Jean, la prit, c'est-ŕ-dire la mčre de Jésus, pour sienne, c'est-ŕ-dire pour mčre, assurément, et comme confiée ŕ ses soins ť (n° 2443).
4. N'oublions pas ce qu'il dit dans la Somme théologique : Ť L'humanité du Christ, du fait qu'elle est unie ŕ Dieu, la béatitude créée, du fait qu'elle est une jouissance de Dieu, et la Bienheureuse Vierge, selon qu'elle est Mčre de Dieu, ont en quelque sorte une dignité infinie, provenant du bien infini qui est Dieu męme ; et sous ce rapport rien ne peut ętre fait de meilleur qu'eux, comme rien ne peut ętre meilleur que Dieu ť (I, q. 25, a. 6, ad 4).
La traduction que nous présentons ici a été faite sur la base du texte édité par le P. Raphaël Cai, o.p. (5e édition revue, Marietti 1952), mais elle a bénéficié des corrections de l'édition critique, dite Ť léonine ť, qui n'est pas encore publiée 1. Nous tenons, ŕ ce propos, ŕ exprimer toute notre gratitude au P. Léon Reid, o.p., qui a pris la peine de nous communiquer toutes les corrections - et elles sont nombreuses -qui devaient ętre apportées au texte de l'édition Marietti2.
De l'édition Marietti nous avons gardé certaines gloses du reportateur, que nous avons mises en note ou laissées dans le texte en les signalant. D'autre part, nous avons gardé la numérotation des paragraphes de cette édition, mais non le découpage en leçons, parfois trčs artificiel, qui ne correspond pas ŕ la structure organique du commentaire explicitée par saint Thomas lui-męme. C'est cette structure et cet ordre du commentaire de saint Thomas que nous avons cherché ŕ mettre en valeur dans la présentation de cette traduction.
1. La bibliographie des ouvrages cités figure ŕ la fin de ce volume.
2. Cette édition, nous indique le P. Reid,
dépend (ŕ travers bien d'autres) de l'édition princeps (Venise 1508). Elle
présente de nombreuses divergences par rapport aux manuscrits qui nous restent
de la Lectura in Ioannem - ce qui se comprend sans peine puisque le Fr. Marcus
Antonius Luciano, dans son introduction ŕ l'édition de 1508 préparée par ses
soins, déclare avoir Ť débarrassé le livre de ses erreurs ť, l'avoir
Ť corrigé avec le plus grand soin ť, avoir Ť retranché ce qui
était superflu et ajouté ce qui manquait dans de nombreux codices ť !
Nous avons, dans nos traductions de l'Écriture, suivi le texte de saint Thomas, et nous avons gardé la numérotation de la Vulgate pour toutes les citations bibliques, en précisant lorsqu'il s'agit d'un verset propre ŕ la Vulgate. Pour que le lecteur puisse retrouver le texte dans la Bible de Jérusalem (BJ), lŕ oů il y a une grande différence de numérotation nous avons indiqué entre crochets la référence correspondante.
BA Bibliothčque augustinienne
BJ Bible de Jérusalem
CCL Corpus Christianorum, Séries latina
CSEL Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum latinorum
GCS Die Griechischen Christlichen Schriftsteller
der ersten drei Jahr-hunderte
LXX Texte de l'Écriture selon la version grecque des Septante
PG Patrologie grecque
PL Patrologie latine
SC Sources chrétiennes
Tract, in Io. Tractatus in Iohannis Evangelium (Homélies de saint Augustin sur l'Évangile de saint Jean)
Ad Rom. lect. Super Epistolam ad Romanos lectura (Commentaire de saint Thomas sur l'épître aux Romains ; notations analogues pour les commentaires sur les autres épîtres de saint Paul)
Sup. Matth. lect Super Evangelium S. Matthaei lectura (Commentaire de saint Thomas sur l'Évangile de saint Matthieu)
Exp. in Psalmos Expositio in Psalmos L (Commentaire de saint Thomas sur les cinquante premiers Psaumes)
Exp. super Isaiam Expositio super Isaiam (Commentaire de saint Thomas sur Isaďe)
Exp. super Hier. Expositio super Hieremiam (Commentaire de saint Thomas sur Jérémie)
Exp. super lob Expositio super lob ad litteram (Commentaire de saint Thomas sur le livre de Job) [1]
JE
VIS LE SEIGNEUR SIEGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE; ET TOUTE LA TERRE ETAIT
REMPLIE DE SA MAJESTE, ET CE QUI E TAIT AU-DESSOUS DE LUI REMPLISSAIT LE TEMPLE.
1
1. Les paroles du Prophčte Isaďe que nous venons de citer sont celles dun homme qui contemple; et, si on les reçoit de la bouche męme de Jean lEvangéliste, elles conviennent bien pour présenter son Evangile. En effet, comme le dit Augustin 2, les autres Evangélistes nous forment ŕ la vie active, mais Jean nous forme aussi ŕ la vie contemplative. Isaďe 6, 1.
Ces paroles dIsaďe décrivent de trois maničres la contemplation de Jean parce que Jean lui-męme a contemplé la divinité du Seigneur Jésus de trois maničres. Cette contemplation, elles la montrent en effet élevée, ample et parfaite. Elevée : JE VIS LE SEIGNEUR SIEGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE; ample : TOUTE LA TERRE ETAIT REMPLIE DE SA MAJESTE; parfaite : CE QUI ETAIT AU-DESSOUS DE LUI REMPLISSAIT LE TEMPLE.
JE
VIS LE SEIGNEUR SIEGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE
2. Au sujet de ce premier aspect de la contemplation de Jean, remarquons que lélévation et la sublimité de la contemplation consistent surtout dans la contemplation et la connaissance de Dieu : Levez au plus haut votre regard et considérez qui a fait ces choses 3. Isaďe 40, 26. Lorsque lhomme élčve au plus haut le regard de sa contemplation, il voit en effet et contemple le Créateur męme de toutes choses. Et, parce que Jean sélčve au-dessus de tout le créé, cest-ŕ-dire au-dessus des montagnes, des cieux, des anges, et parvient au Créateur męme de toutes choses, il est donc manifeste, comme le dit Augustin, que sa contemplation fut la plus élevée. Aussi dit-il : JE VIS LE SEIGNEUR; et parce que selon les paroles de Jean lui-męme Isaďe a dit cela quand il a vu sa gloire, celle du Christ, et quil a parlé de Lui 4. Jean 12, 41, ce SEIGNEUR SIEGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE est donc le Christ.
Or ces paroles dIsaďe dévoilent la quadruple grandeur que Jean contempla du Verbe incarné. Sa seigneurie : jai vu LE SEIGNEUR; son éternité : SIEGEANT; la dignité et la noblesse de sa nature : SUR UN TRONE SUBLIME; enfin sa vérité incompréhensible : ET ELEVE.
Ce sont bien lŕ les quatre maničres dont les philosophes anciens parvinrent ŕ la contemplation de Dieu.
3. Certains en effet parvinrent ŕ la connaissance de Dieu par sa seigneurie; cest la voie la plus efficace. Nous voyons en effet, dans la nature, les réalités agir en vue dune fin, et atteindre des fins utiles et déterminées. Etant dépourvues dintelligence, ces réalités ne peuvent se diriger elles-męmes ŕ moins dętre mues et dirigées par lintelligence dun autre. Ainsi, ce mouvement męme des réalités de la nature vers une fin déterminée indique lexistence dune réalité plus élevée qui les dirige vers leur fin et les gouverne. Et donc, puisque toute la nature suit son cours et se dirige avec ordre vers une fin, il nous faut nécessairement reconnaître une réalité plus élevée, qui dirige les autres et les gouverne comme un maître; et cette réalité, cest Dieu. Isaďe, dans le texte cité, montre bien cette seigneurie que possčde le Verbe de Dieu quand il dit LE SEIGNEUR; et le Psaume déclare ŕ son sujet : Toi, tu domines sur la puissance de la mer et tu apaises le mouvement de ses flots Ps 88, 10 comme pour dire : "Tu es le Seigneur de la nature et celui qui gouverne toutes choses". Jean, lui, montre quil possčde cette connaissance du Verbe quand il dit : Il est venu chez lui Jean 1, 11, cest-ŕ-dire dans le monde, car le monde entier Lui appartient en propre.
4. Dautres parvinrent ŕ la connaissance de Dieu ŕ partir de son éternité. Ils virent en effet que tout dans les réalités de la nature est soumis au changement, et que plus quelque chose est noble dans les degrés des réalités, moins cela est soumis au changement : ainsi les corps inférieurs sont soumis au changement ŕ la fois quant ŕ leur substance et quant au lieu; tandis que les corps célestes, qui sont plus nobles, sont immuables selon la substance et ne sont mus que selon le lieu. De lŕ on peut conclure avec évidence que le Principe premier de toutes les réalités, qui est aussi le Principe supręme et le plus noble, est immuable et éternel. Et cest cette éternité du Verbe que le Prophčte désigne quand il dit SIEGEANT, cest-ŕ-dire au-delŕ de toute mutabilité et ayant la préséance dans son éternité. Le Psalmiste laffirme : Ton trône, ô Dieu, est établi pour toujours Ps 44, 7; et saint Paul aussi : Hier et aujourdhui Jésus-Christ est le męme He 13, 8; Il le sera ŕ jamais. Cette éternité, Jean la montre quand il dit : Dans le Principe était le Verbe Jean 1, 1.
5. Dautres encore accédčrent ŕ la connaissance de Dieu ŕ partir de la dignité de Dieu Lui-męme; ce sont les Platoniciens. Ils considčrent en effet que tout ce qui est par participation se ramčne ŕ ce qui est tel par son essence comme au premier et au supręme; cest ainsi que tout ce qui est feu par participation se ramčne au feu qui est tel par son essence : Il est donc nécessaire, puisque toutes les réalités existantes participent ŕ lętre et sont des ętres par participation, quau sommet de toutes les réalités existe quelque chose qui soit lętre męme par son essence, de telle sorte que son essence soit son ętre; et cette réalité, cest Dieu, qui est la cause absolument suffisante, supręmement digne et parfaite de tout lętre, et de qui tout ce qui existe participe lętre. Isaďe montre cette dignité lorsquil dit : SUR UN TRONE SUBLIME, ce qui, selon Denys (Cf. DENYS, La hiérarchie céleste, 13, 4 (304 C), se rapporte ŕ la nature divine De męme le Psalmiste : Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations Ps 112, 4. Cest aussi cette dignité du Verbe que nous montre Jean lorsquil dit : Et le Verbe était Dieu Jean 1, 1.
6. Dautres enfin parvinrent ŕ la connaissance de Dieu ŕ partir de lincompréhensibilité de la Vérité. En effet, toute vérité que notre intelligence peut saisir est limitée; car, selon Augustin, "tout ce qui est connu est limité par la compréhension de celui qui connaît" (Cité de Dieu, 12, 19); et si [ce qui est connu] est limité, [ce qui est connu] est déterminé et particularisé. Cest pourquoi il est nécessaire que la Vérité premičre et supręme, qui surpasse toute intelligence, soit incompréhensible et infinie; et cette Vérité, cest Dieu. Aussi le Psalmiste dit-il : Ta grandeur, ô Dieu, est élevée au-dessus des cieux Ps 8, 2, cest-ŕ-dire au-dessus de toute intelligence créée, non seulement humaine, mais męme angélique car, comme le dit lApôtre, Dieu habite une lumičre inaccessible 1 Tm 6, 16. Isaďe nous montre lincompréhensibilité de cette Vérité quand il dit : ET ELEVEE, cest-ŕ-dire au-dessus de toute connaissance dune intelligence créée. Cest cette incompréhensibilité que nous fait entendre Jean par ces paroles : Personne na jamais vu Dieu Jean 1, 18.
Ainsi la contemplation de Jean, dans son élévation, découvrit la seigneurie, léternité, la dignité du Verbe et son incompréhensibilité, et son incompréhensibilité, et cest cela quil nous a livré dans son Evangile.
TOUTE
LA TERRE ETAIT REMPLIE DE SA MAJESTE
7. La contemplation de Jean fut encore ample. En effet, la contemplation est ample quand, dans une cause, quelquun peut voir tous les effets de cette cause, cest-ŕ-dire quand il connaît non seulement lessence de la cause, mais encore sa puissance qui la fait sétendre ŕ de nombreux effets. Cest de cette extension que parle lEcclésiastique : Il fait abonder la sagesse comme les eaux du Phison et comme le Tigre ŕ la saison des fruits 17, et le Psalmiste : Le fleuve de Dieu déborde deaux 18; car la profondeur de la sagesse de Dieu se voit dans sa connaissance de toutes choses Avec toi, Seigneur, dčs le commencement est la sagesse qui connaît tes uvres 19. Ainsi donc, parce que Jean l'Evangéliste a été élevé ŕ la contemplation de la nature et de lessence du Verbe divin, quand il dit : Dans le Principe était le Verbe et le Verbe était auprčs de Dieu 20, il nous manifeste aussitôt la puissance de ce Verbe, selon laquelle Il est présent en toutes choses, en disant : Tout a été fait par Lui Cest pourquoi sa contemplation fut ample. Aussi, dans le texte cité, le Prophčte, aprčs avoir dit : JE VIS LE SEIGNEUR SIEGEANT, ajoute-t-il au sujet de sa puissance : ET TOUTE LA TERRE ETAIT REMPLIE DE SA MAJESTE, cest-ŕ-dire : tout lensemble des réalités et de lunivers vient de la majesté et de la puissance du Verbe de Dieu, par qui tout a été fait et dont la lumičre illumine tout homme venant en ce monde 22. Le Psalmiste, lui, dit ŕ ce sujet : Au Seigneur est la terre et tout ce quelle renferme 23.
17. Sir 24, 35 (LXX 24, 25).
18. Ps 64, 10.
19. Sag 9, 9.
20. Jean 1, 1.
21. Jean 1, 3.
ET CE
QUI ETAIT AU-DESSOUS DE LUI REMPLISSAIT LE TEMPLE.
8. Enfin la contemplation de Jean fut parfaite. En effet la contemplation est parfaite quand celui qui contemple est conduit et élevé ŕ la hauteur de la réalité contemplée; sil demeurait ŕ un niveau inférieur, si haut que soit ce quil contemple, sa contemplation ne serait pas parfaite. Aussi faut-il, pour quelle soit parfaite, quil sélčve et atteigne la fin męme de la réalité contemplée en sattachant et adhérant, par la volonté aimante et par lintelligence, ŕ la vérité contemplée. Job nous dit Connaissez-vous les routes des nuées cest-ŕ-dire la contemplation de ceux qui pręchent , savez-vous quelles sont parfaites? 24 parce quils adhčrent fermement, par la volonté aimante et lintelligence, ŕ la Vérité supręme contemplée. Or Jean na pas seulement enseigné comment le Christ Jésus, le Verbe de Dieu, est élevé au-dessus de tout, et comment tout a été fait par Lui, mais aussi que nous sommes sanctifiés par Lui et que nous adhérons ŕ Lui, par la grâce quIl répand en nous, lorsquil dit : De sa plénitude nous avons tous reçu 25. Ainsi sa contemplation, on le voit, fut parfaite. Isaďe montre cette perfection lorsquil ajoute : ET CE QUI ETAIT AU-DESSOUS DE LUI REMPLISSAIT LE TEMPLE. Le chef du Christ, en effet, cest Dieu 26, et ce qui est sous le Christ, ce sont les sacrements de son humanité, par lesquels les fidčles sont remplis de la plénitude de la grâce. Ainsi donc, CE QUI ETAIT AU-DESSOUS DE LUI, cest-ŕ-dire les mystčres de son humanité, REMPLISSAIT LE TEMPLE, cest-ŕ-dire les fidčles qui sont le temple saint de Dieu, comme le dit saint Paul 27. En effet, par les sacrements de son humanité, tous les fidčles du Christ reçoivent la plénitude de sa grâce.
La contemplation de Jean fut donc élevée, ample et parfaite.
22. Jean 1, 9.
23. Ps 23, 1.
24. Jb 37, 16.
25. Jean 1, 16.
26. 1 Corinthiens 11, 3.
9. Cependant il faut
remarquer que ces trois modes de contemplation correspondent aux différentes
sciences. A la science morale, qui traite de la fin ultime, revient la
perfection de la contemplation; la science naturelle, qui considčre les ętres
procédant de Dieu, en a la plénitude; tandis que la métaphysique possčde, entre
toutes les sciences philosophiques, la hauteur de la contemplation. Mais
lEvangile de Jean renferme tout ŕ la fois ce que ces sciences possčdent
séparément : sa perfection est donc totale.
10. Ce qui précčde nous apprend donc quelle est la matičre de cet Evangile. En effet, alors que les autres Evangélistes traitent principalement des mystčres de lhumanité du Christ, Jean montre avant tout dans son Evangile, et dune maničre qui lui est propre, la divinité du Christ 28, sans taire pour autant les mystčres de son humanité. En voici la raison : aprčs que les autres Evangélistes eurent écrit leurs Evangiles, des hérésies sélevčrent au sujet de la divinité du Christ; elles enseignaient que le Christ était homme seulement, comme Ebion et Cérinthe le pensaient faussement 29. Cest pourquoi Jean lEvangéliste, qui avait puisé la vérité de la divinité du Verbe ŕ la source męme du cur divin, écrivit, ŕ la pričre des fidčles, cet Evangile oů il nous a livré son enseignement sur la divinité du Christ et a réfuté toutes les hérésies.
27. 1 Corinthiens 3, 16.
28. Voir plus haut, n° 1.
29. Ebion est le fondateur supposé de la secte des ébionites. Origčne
(Contra Celsum, VI, 61, 65; In Matth. Comment., XVI, 12; P. G. XIII, 1409) sait
que parmi les Judéo-chrétiens il en est qui croient en Jésus, comme tous les
fidčles de la grande Eglise, tandis que dautres (les ébionites) pensent que
Jésus est né comme les autres hommes et ne reconnaissent pas sa divinité. Semblablement,
S. Irénée (Adv. haereses, I, XXVI, 2) avait noté que les ébionites
reconnaissaient lexistence dun seul Dieu, créateur de lunivers, rejetaient
la conception virginale de Jésus, utilisaient uniquement l'Evangile de S. Matthieu
(...), sopposaient aux doctrines antinomistes de S. Paul et vivaient
conformément aux ordonnances de la Loi de Moďse. A ces renseignements, S. Hippolyte
ajoute que, pour les ébionites, les observances juives suffisaient ŕ procurer
la justification; Jésus avait accompli toute justice en recevant le baptęme de
Jean et en pratiquant la Loi, doů il suivait que tous les hommes peuvent comme
lui devenir des Christs par leur fidélité ŕ Moďse (Philosoph., VII, XXXIV; X,
XXII)" (G. BAROY, art. Ebionites, in Catho licisme, III [et Ané 19521, col.
1231).
Cérinthe est, lui aussi, un hérétique de la fin du 1° sičcle. S.
Irénée, le premier ŕ parler de Cérinthe (...) le fait enseigner en Asie (Adv. Haereses,
I XXVI) et ly montre en opposition avec S. Jean (ibid., III, III, 4) :
"Il existe encore des gens, écrit-il, qui ont entendu Polycarpe raconter
que Jean, le disciple du Seigneur, vint un jour aux thermes dEphčse. Lorsquil
aperçut Cérinthe, il en sortit précipitamment sans prendre de bain, en disant :
Fuyons, de peur que lédifice ne tombe sur nous. Cérinthe sy trouve, lennemi
de la vérité !" Lanecdote ainsi rapportée a de grandes chances dętre
authentique. Quant ŕ la doctrine de Cérinthe, S. Irénée la résume en disant que
lhérétique a enseigné la distinction du Créateur et du Dieu supręme, celui-ci
restant inconnu du démiurge; de plus, selon Cérinthe, Jésus était fils de Marie
et de Joseph, un homme semblable ŕ tous les autres, sur qui, au jour du
baptęme, était descendue une vertu sortie du Dieu supręme, et qui, abandonné de
cette vertu avant la Passion, avait souffert et était mort selon la loi commune
(ibid., I, XXVI, 1; III, XI, 1; cf. Hippolyte, Philosoph., VII, XXXIII, 1-2 X,
XXI). Irénée ajoute, et ceci est important (ibid., III, XIII, 1), que S. Jean a
écrit son Evangile contre Cérinthe, pour montrer que Jésus nétait pas
simplement un homme, mais le Fils de Dieu venu en ce monde, le Verbe fait
chair" (G. BARDY, art. Cérinthe, in Catholicisme, II, col. 834).
Ces paroles dIsaďe montrent encore clairement lordre suivi dans cet Evangile. En effet, Jean nous présente dabord LE SEIGNEUR SIEGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE, quant il dit : Dans le Principe était le Verbe 30. Ensuite il montre comment TOUTE LA TERRE ETAIT REMPLIE DE SA MAJESTE, par ces paroles : Tout a été fait par Lui 31. Enfin il manifeste comment CE QUI E TAIT AU-DESSOUS du Seigneur REMPLISSAIT LE TEMPLE, en disant : Et le Verbe sest fait chair (...) et nous avons vu sa gloire 32.
De męme ces paroles dIsaďe manifestent bien la fin de cet Evangile : il faut que les fidčles, devenus le temple de Dieu, soient remplis de la majesté divine. Cest pourquoi Jean lui-męme dit : Ces miracles ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et quen croyant vous ayez la vie en son Nom.
Nous voyons donc clairement par lŕ quelle est la matičre de cet Evangile la connaissance de la divinité du Verbe 33 quel est son ordre et quelle est sa fin.
II
11. Tout ce qui vient dętre dit permet de situer lauteur lui-męme de cet Evangile, et cela de quatre maničres : du point de vue de son nom, de sa vertu, de son symbole et de son privilčge.
Le nom de lauteur de cet Evangile est Jean, nom qui signifie "en qui est la grâce". En effet, seuls ceux qui ont en eux la grâce de Dieu peuvent contempler les secrets de la divinité, et cest pourquoi lApôtre dit : Nul ne connaît les secrets de Dieu, si ce nest par lEsprit de Dieu 34.
Jean vit donc LE SEIGNEUR SIEGEANT SUR UN TRONE SUBLIME ET ELEVE. A cela, il fut disposé du fait quil était vierge. Cest aux vierges en effet quil appartient de voir le Seigneur, comme le Seigneur Lui-męme la dit : Bienheureux ceux qui ont le cur pur, car ils verront Dieu 35.
Le symbole de Jean est laigle. Voici pourquoi : les trois autres Evangélistes se sont occupés de ce que le Christ a accompli dans la chair et ils sont désignés par des vivants qui marchent sur la terre, ŕ savoir par lhomme, le buf et le lion 36. Jean, lui, volant comme un aigle au-dessus des nuages de la faiblesse humaine, contemple la lumičre de limmuable Vérité avec les yeux du cur, du regard le plus pénétrant et le plus ferme qui soit possible ŕ lhomme, et, attentif ŕ la divinité męme de Notre Seigneur Jésus-Christ, par laquelle Il est égal ŕ son Pčre, il sest efforcé principalement, dans son Evangile, de la manifester autant que, homme parmi les hommes, il la cru nécessaire. De ce vol de Jean il est dit au Livre de Job : Laigle cest-ŕ-dire Jean ŕ ton commandement sélčvera-t-il en haut? et encore : Ses yeux perçants voient de loin 37 car du regard de lesprit il contemple le Verbe męme de Dieu dans le sein du Pčre.
Quant ŕ son privilčge, il fut dętre, parmi tous les disciples du Seigneur, celui qui fut le plus aimé par le Christ : Jean fut en effet le disciple que Jésus aimait 38, comme lui-męme la dit sans se nommer. Or aux amis on révčle ses secrets, comme le montrent ces paroles de Jésus : Je ne vous appelle plus mes serviteurs, mais mes amis, parce que tout ce que jai appris de mon Pčre, je vous lai fait connaître 39. Le Christ a donc révélé ses secrets de façon toute spéciale ŕ ce disciple trčs spécialement aimé. A ceux quenfle la démesure ŕ savoir les orgueilleux le Christ cache la lumičre cest-ŕ-dire la vérité de sa divinité et il annonce ŕ son ami Jean que la lumičre est son partage 40; cest lui en effet qui, voyant plus parfaitement la lumičre du Verbe incarné, nous la manifeste en disant : Le Verbe tait la lumičre, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde 41.
Telle est donc la matičre, tel est lordre, telle est la fin, tel est lauteur de cet Evangile de Jean, que nous avons en main.
30. Jean 1, 1.
31. Jean 1, 3.
32. Jean 1, 14.
33. Jean 20, 31.
34. 1 Corinthiens 2, 11.
35. Mt 5, 8.
36. Cf. Ez 1, 10 et Ap 4, 7-8.
37. Jb 39, 27 et 29.
38. Jean 21, 20.
39. Jean 15, 15.
40. Job 36, 32-33. Saint Thomas lit ici, dans la Vulgate,
immanibus au lieu de in manibus (dans ses mains). Lorsquil commente le Livre
de Job, saint Thomas lit in manibus. Saint Grégoire le Grand et, ŕ sa suite, la
Glose et Hugues de Saint-Cher, donnent les deux interprétations. Voir SAINT
GRÉG0IRE, Moralium lib. 27, ch. 14, PL 76, col. 414.
41. Jean 1, 9.
Voici Jean lEvangéliste, lun des disciples du Seigneur : Dieu la choisi vierge et la appelé du milieu des noces alors quil voulait se marier.
LEvangile donne un double témoignage de sa virginité : il a été aimé de Dieu plus que les autres et cest ŕ lui que le Seigneur, suspendu ŕ la croix, confia sa Mčre, afin que la Vierge fűt gardée par un homme vierge.
Ensuite, lEvangéliste montre clairement dans cet Evangile ce quil était lui-męme lorsque, commençant ŕ parler de luvre du Verbe incorruptible, il est seul ŕ témoigner que le Verbe sest fait chair et que les ténčbres nont pas étreint la lumičre 1. Il montre encore ce quil était lui-męme en plaçant au début de son Evangile le signe que fit le Seigneur au cours des noces, pour prouver au lecteur que lŕ oů le Seigneur a été invité, le vin des noces doit manquer, et que, une fois les réalités anciennes changées, toutes les réalités nouvelles instituées par le Christ apparaissent. Du reste, il écrivit cet Evangile en Asie, aprčs avoir, dans lîle de Patmos, écrit lApocalypse. Ainsi, cest par un homme vierge quaura été reconnue une fin incorruptible par cette parole du Christ dans lApocalypse : "Je suis lAlpha et lOméga" 2 Celui ŕ qui la Genčse, le premier livre de lEcriture, attribue un commencement incorruptible.
Tel est Jean. Lorsquil sut proche le jour de son départ, ayant réuni ses disciples ŕ Ephčse, il leur manifesta le Christ par de nombreux signes, puis il descendit dans le lieu creusé pour sa sépulture et, aprčs avoir prié, il fut déposé aux côtés de ses pčres, aussi étranger aux douleurs de la mort quil fut exempt de la corruption de la chair.
Il écrivit son Evangile aprčs tous les autres : cétait dű ŕ cet homme vierge. Nous nexpliquerons pas en détail dans quel ordre il écrivit ses livres ni comment ils furent ordonnés, pour, aprčs avoir donné le désir de savoir, laisser aux chercheurs le fruit du travail, et réserver ŕ Dieu lenseignement magistral.
1. Jean 1, 14 et 5.
2. Ap 1, 8.
12. En faisant précéder cet Evangile dun prologue, Jérôme a une double intention : décrire lauteur de lEvangile et montrer que cest ŕ lui quil revenait décrire ce livre.
Dans ce prologue, divisé en deux parties, il décrit dabord la vie de Jean, puis sa mort [n° 201. Dans la premičre partie, il présente en premier lieu lauteur de louvrage par les dons qui lui furent accordés en cette vie; puis, ŕ partir de lŕ, il montre son aptitude ŕ écrire lEvangile [n° 16].
Pour présenter lauteur, saint Jérôme commence par montrer ses privilčges; puis il en donne des preuves [n° 15].
VOICI
JEAN LEVANGELISTE LUN DES DISCIPLES DU SEIGNEUR : DIEU LA CHOISI VIERGE ET
LA APPELE DU MILIEU DES NOCES ALORS QUIL VOULAIT SE MARIER.
13. Lauteur de lEvangile
est décrit ici en premier lieu par son nom : VOICI JEAN, cest-ŕ-dire : "en
qui se trouve la grâce" Cest par la grâce de Dieu que je suis ce
que je suis 3, dit saint Paul. Puis il est désigné par son office : LEVANGELISTE
selon ces paroles du Seigneur : Le premier je dirai ŕ Sion : "Les
voici"; et ŕ Jérusalem je donnerai un Evangéliste 4. Puis par sa
dignité : LUN DES DISCIPLES DU SEIGNEUR Tous vos fils, dit Isaďe, seront
instruits par le Seigneur 5. En quatričme lieu par sa vertu de chasteté, lorsque Jérôme dit :
VIERGE. Ensuite par le choix divin : DIEU LA CHOISI Ce nest pas vous qui
mavez choisi, dit Jésus ŕ ses Apôtres, cest moi qui vous ai choisis 6. Enfin Jérôme
présente Jean par la maničre dont Jésus lap pela : IL LA APPELE DU MILIEU DES
NOCES, celles oů le Christ fut invité avec ses disciples et oů Il changea leau
en vin.
14. On objectera sans doute que, daprčs Matthieu 7, Jean fut appelé de sa barque avec son frčre Jacques et ne fut donc pas appelé comme le dit Jérôme. A cela il faut répondre quil y eut diverses vocations des Apôtres. En effet, appelés en premier lieu ŕ vivre dans lintimité du Christ, ils furent ensuite appelés ŕ devenir ses disciples quand, aprčs avoir tout abandonné, ils suivirent Jésus. Ce que dit ici Jérôme, il faut lentendre de la premičre vocation, par laquelle Jean fut appelé des noces lintimité du Christ; et ce que dit Matthieu sentend de la derničre vocation, celle oů Jean fut appelé de sa barque avec son frčre Jacques, cest-ŕ-dire quand, aprčs avoir abandonné filets et barque, il suivit le Christ.
3. 1 Corinthiens 15, 10.
4. Isaďe 41, 27.
5. Isaďe 54, 13.
6. Jean 15, 16.
7. Mt 4, 18. 20.
LEVANGILE
DONNE UN DOUBLE TEMOIGNAGE DE SA VIRGINITE : IL A ETE AIME DE DIEU PLUS QUE LES
AUTRES ET CEST A LUI QUE LE SEIGNEUR, SUSPENDU A LA CROIX, CONFIA SA MERE,
AFIN QUE LA VIERGE FUT GARDEE PAR UN HOMME VIERGE.
15. Jérôme prouve ici le privilčge de la virginité de Jean par deux signes. Dabord par le signe du plus grand amour. A ce propos il dit : A son égard (il sagit de Jean) LEVANGILE cest-ŕ-dire les paroles qui sont conte nues dans lEvangile DONNE UN DOUBLE TEMOIGNAGE DE SA VIRGINITE, parce quil y est dit que [Jean] a été aimé du Seigneur plus que les autres, lui, ce disciple qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites 8. Or la cause de cet amour tout spécial fut la pureté de Jean; la pureté en effet appelle lamour. comme le dit lEcriture : Celui qui aime la pureté du cur, ŕ cause de la grâce répandue sur ses lčvres aura le roi pour ami 9.
Jérôme donne ensuite un second signe le fait que Jésus confia sa mčre ŕ Jean lorsquil dit : ET CEST A LUI, cest-ŕ-dire ŕ Jean, QUE LE SEIGNEUR Dieu, le Christ, alors quIl était SUSPENDU A LA CROIX, CONFIA SA MERE (comme Jean lui-męme le rapporte dans son Evangile) 10, AFIN QUE LA VIERGE, Marie, FUT GARDEE, comme il convenait, PAR UN HOMME VIERGE, Jean.
III
ENSUITE
LEVANGELISTE MONTRE CLAIREMENT DANS CET EVANGILE CE QUIL E TAIT LUI-MEME
LORSQUE, COMMENÇANT A PARLER DE LUVRE DU VERBE INCORRUPTIBLE, IL EST SEUL A
TE MOIGNER QUE LE VERBE SEST FAIT CHAIR ET QUE LES TENEBRES NONT PAS ETREINT
LA LUMIERE 11. IL
MONTRE ENCORE CE QUIL ETAIT LUI MEME EN PLAÇANT AU DEBUT DE SON EVANGILE LE
SIGNE QUE FIT LE SEIGNEUR AU COURS DES NOCES, POUR PROUVER AU LECTEUR QUE LA OU
LE SEIGNEUR A ETE INVITE, LE VIN DES NOCES DOIT MANQUER, ET QUE, UNE FOIS LES
REALITES ANCIENNES CHANGEES, TOUTES LES REALITES NOUVELLES INSTITUEES PAR LE
CHRIST APPA RAISSENT. DU RESTE, IL ECRI VIT CET EVANGILE EN ASIE, APRES AVOIR,
DANS LILE DE PATMOS, ECRIT LAPOCALYPSE. AINSI, CEST PAR UN HOMME VIERGE
QUAURA ETE RECONNUE UNE FIN INCORRUPTIBLE PAR CETTE PAROLE DU CHRIST
[LAPOCALYPSE] : "JE SUIS LALPHA ET LOMEGA" A CELUI A QUI
LA GENESE, LE PREMIER LIVRE DE LECRITURE, ATTRIBUE UN COMMENCEMENT
INCORRUPTIBLE.
16. Jérôme montre ici quil revenait ŕ Jean décrire cet Evangile, pour trois raisons.
La premičre concerne le commencement de son Evangile. Celui-ci commence en effet en parlant du Verbe incorruptible, dont il ne convient pas de parler ŕ moins dętre incorrompu. Cest pour cette raison que Jérôme dit : LEVANGELISTE MONTRE CLAIREMENT CE QUIL ETAIT LUI-MEME, cest-ŕ-dire vierge incorruptible, LORSQUE COMMENÇANT A PARLER DE LUVRE DU VERBE INCORRUPTIBLE, IL EST SEUL A TEMOIGNER QUE LE VERBE SEST FAIT CHAIR ET QUE LES TENEBRES NONT PAS ETREINT LA LUMIERE.
8. Jean 21, 24.
9. Prov 22, 11.
10. Jean 19, 27.
11. Jean 1, 14 et 5.
17. La seconde concerne le
début des miracles. Jean commence en effet le récit des miracles successifs du
Seigneur par celui du changement de leau en vin pendant des noces 12 oů le vin
manqua, mais oů le Christ substitua un vin nouveau, celui de la virginité. A ce
propos Jérôme dit : EN PLAÇANT LE SIGNE, cest-ŕ-dire le miracle, QUE FIT LE
SEIGNEUR AU COURS DES NOCES, au début de son Evangile, cest-ŕ-dire avant les
autres miracles, IL MONTRE ENCORE CE QUIL ETAIT LUI-MEME, cest-ŕ-dire un
homme vierge, POUR PROUVER AU LECTEUR QUE LA OU LE SEIGNEUR A ETE IN VITE, LE
VIN DES NOCES, cest-ŕ-dire le plaisir du mariage, DOIT MANQUER, ET QUE, UNE
FOIS LES REALITES ANCIENNES CHANGEES, cest-ŕ-dire leau antique transformée en
vin nouveau, TOUTES LES REALITES NOUVELLES INSTITUEES PAR LE CHRIST
APPARAISSENT, cest-ŕ-dire que les hommes convertis au Christ doivent
dépouiller le vieil homme et revętir lhomme nouveau, comme le dit lApôtre 13 et comme le
montrent ces paroles de lApocalypse : Et Celui qui était assis sur le trône
dit : "Voici, je fais toutes choses nouvelles" 14.
18. Cependant, daprčs ce que dit Jérôme : LA OU LE SEIGNEUR A ETE INVITE, LE VIN DES NOCES DOIT MANQUER, il semble que quiconque a Dieu et lai me doive sabstenir du mariage et quil nest pas permis de se marier. Je réponds en disant que lhomme est invité par Dieu de deux façons : ou bien selon la grâce commune, et alors il nest pas nécessaire que manque le vin des noces; ou bien il est invité au faîte particulier de la contemplation dans ce cas le vin des noces doit manquer. LApôtre en donne la raison : Cest, dit-il, quune femme mariée cherche ŕ plaire ŕ son mari elle est donc nécessairement empęchée de contempler au contraire la femme non mariée cherche comment plaire ŕ Dieu 15.
On peut dire aussi que pour
ceux qui aiment Dieu et Lont en eux par la grâce, le vin des noces doit
manquer quant ŕ ses effets, je veux dire quils ne doivent pas senivrer du
plaisir de la chair. Celui-ci peut en effet atteindre de telles proportions, et
sexercer avec tant de violence, que męme entre époux il peut devenir un péché
mortel.
12. Jean 2, 1-11.
13. Col 3, 1.
14. Ap 21, 5.
15. 1 Corinthiens 7, 34.
19. La troisičme raison concerne le rang de rédaction de ce livre. En effet, cest aprčs tous les autres livres canoniques que cet Evangile a été écrit. Sans doute les livres canoniques commencent par la Genčse et sachčvent par lApocalypse, mais cet Evangile fut rédigé ŕ la pričre des évęques dAsie aprčs que Jean eut été appelé de lîle de Patmos. Cependant on ne plaça pas cet Evangile au terme des livres canoniques, bien quil ait été écrit en dernier lieu, ce qui fait dire ŕ Jérôme quil convenait bien ŕ Jean décrire cet Evangile (comme on la dit plus haut) afin que, dans lApocalypse, dernier livre selon lordre du canon de lEcriture (mais non selon lordre de rédaction), UN HOMME VIERGE ait reconnu UNE FIN INCORRUPTIBLE A CELUI A QUI LA GENE SE, PREMIER LIVRE DE LECRITURE, ATTRIBUE UN COMMENCEMENT INCORRUPTIBLE elle dit en effet : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre 16
16. Gn 1, 1.
IV
TEL
EST JEAN. LORSQUIL SUT PROCHE LE JOUR DE SON DEPART, AYANT REUNI SES DISCIPLES
A EPHESE, IL LEUR MANIFESTA LE CHRIST PAR DE NOMBREUX SIGNES, PUIS IL DESCENDIT
DANS LE LIEU CREUSE POUR SA SEPULTURE ET, APRES AVOIR PRIE, IL FUT DEPOSE AUX
COTES DE SES PERES, AUSSI ETRANGER AUX DOULEURS DE LA MORT QUIL FUT EXEMPT DE
LA CORRUPTION DE LA CHAIR.
20. Ici Jérôme désigne
lauteur du dernier Evangile en faisant léloge di privilčge de sa mort, avant
de conclure, de tout ce qui précčde, au bien fondé de la place de cet Evangile [n° 22].
21. Le privilčge de la mort de Jean est admirable et extraordinaire, puisquil ny ressentit aucune douleur. Cela, Dieu la fait pour que celui qui demeura totalement étranger ŕ la corruption de la chair fűt exempt de la douleur de la mort.
V
IL
ECRIVIT SON EVANGILE APRES TOUS LES AU TRES : CETAIT DU A CET HOMME VIERGE. NOUS
NEXPLIQUERONS PAS EN DETAIL DANS QUEL ORDRE IL ECRIVIT SES LIVRES NI COMMENT
ILS FURENT ORDONNES, POUR, APRES AVOIR DONNE LE DESIR DE SAVOIR, LAISSER AUX
CHERCHEURS LE FRUIT DU TRAVAIL, ET RESER VER A DIEU LENSEIGNEMENT MAGISTRAL.
22. Jérôme souligne ici quil convenait que Jean écrivît son Evangile en dernier lieu. [Il indique aussi que,] dans les livres de la Sainte Ecriture, on peut considérer deux ordres celui de lépoque de leur rédaction et celui de leur place dans la Bible.
[1] 1
Dans le Principe était le Verbe, et le Verbe était auprčs de Dieu, et le Verbe
était Dieu. 2 Il était dans le Principe auprčs de Dieu.
[2] 3
Tout a été fait par Lui, et sans Lui rien na été fait. 4 qui a été fait en Lui
était vie.
[3] 5
Et la vie était la lumičre des hommes, la lumičre brille dans les ténčbres, et
les ténčbres ne lont pas étreinte.
[4] 6
Il y eut un homme envoyé de Dieu; son nom était Jean. Il vint comme témoin,
pour rendre témoignage ŕ la lumičre, afin que tous crussent par lui. 8 Il
nétait pas la lumičre, mais il devait rendre témoignage ŕ la lumičre.
[5]
Il était la lumičre, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde. 10
Il était dans le mon de, et le monde a été fait par Lui. Et le monde ne La pas
connu.
[6]
11 Il est venu chez Lui, et les siens ne Lont pas reçu. 12 ŕ tous ceux qui
Lont reçu, Il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, ŕ ceux qui croient
en son nom, 13 ne sont pas nés du sang, ni dun vouloir de chair, ni dun
vouloir dhomme, mais de Dieu.
[7]
14 Et le Verbe sest fait chair, et Il a habité parmi nous.
[8]
Nous avons vu sa gloire, gloire quIl tient de son Pčre comme Fils unique,
plein de grâce et de vérité.
[9]
15 Lui rend témoignage, et il crie Voici Celui dont jai dit : Celui qui vient
aprčs moi est passé avant moi, parce quavant moi Il était.
[10]
16 Et de sa plénitude nous avons tous reçu, et grâce sur grâce. 17 Parce que la
Loi a été donnée par Moďse, mais la grâce et la vérité sont venues par
Jésus-Christ.
[11]
18 Personne na jamais vu Dieu; le Fils unique qui est dans le sein du Pčre,
Lui, La fait connaître.
[12]
Et voici quel fut le témoignage de Jean lorsque les Juifs envoyčrent de
Jérusalem des prętres et des lévites pour lui demander : "Qui es-tu?"
Il confessa, il ne nia pas, il confessa : "Je ne suis pas le Christ"
Ils lui demandčrent : "Quoi donc? Es-tu Elie?" Il dit" Je ne le
suis pas". " Es-tu le Prophčte?" Il répondit" Non". Ils
lui dirent alors" Qui es-tu, que nous donnions une réponse ŕ ceux qui nous
ont envoyés? Que dis-tu de toi-męme?"" Je suis, déclara-t-il, la voix
de celui qui crie dans le désert Rendez droit le chemin du Seigneur, comme a
dit le prophčte Isaďe
[13]
24 Les envoyés étaient des Pharisiens. Ils linterrogčrent et lui dirent :
"Pourquoi donc baptises-tu, si tu nes ni le Christ, ni Elie, ni le
Prophčte?" Jean leur répondit" Moi, je baptise dans leau; au milieu
de vous se tient quelquun que vous ne connaissez pas. 27 Il est Celui qui doit
venir aprčs moi, qui existait avant moi, et moi je ne suis pas digne de délier
la courroie de sa chaussure". 28 Cela se passait ŕ Béthanie, au delŕ du
Jourdain, oů Jean baptisait.
[14]
Le lendemain, Jean vit Jésus venir ŕ lui, et il dit" Voici lAgneau de
Dieu, voici Celui qui enlčve les péchés du monde. 30 Cest Celui dont jai dit
un homme vient aprčs moi, qui est passé devant moi, car avant moi il était. 31
Et moi je ne le connaissais pas, mais cest pour quIl fűt manifesté ŕ Israël
que je suis venu baptiser dans leau". Et Jean rendit témoignage :
"Jai vu lEsprit descendre du ciel comme une colombe et Il est demeuré
sur Lui. 32 Et moi je ne Le connaissais pas; mais Celui qui ma envoyé baptiser
dans leau ma dit : Celui sur qui tu verras lEsprit descendre et demeurer,
cest Lui qui baptise dans lEsprit Saint. Et moi jai vu, et jai attesté que
cest Lui le Fils de Dieu
[15]
Le lendemain, de nouveau Jean se tenait lŕ avec deux de ses disciples. Fixant
son regard sur Jésus qui passait, il dit : "Voici lAgneau de Dieu".
Les
deux disciples lentendirent parler ainsi, et ils suivirent Jésus. Jésus se
retourna, les vit qui Le suivaient et leur dit : "Que cherchez-vous?"
Ils Lui répondirent" Rabbi (ce qui signifie Maître), oů habites-tu?" "Venez
et voyez", leur dit-Il. Ils vinrent donc et virent oů Il demeurait, et ils
demeurčrent auprčs de Lui ce jour-lŕ. Cétait environ la dixičme heure. °
André, frčre de Simon-Pierre, était lun des deux qui avaient entendu les
paroles de Jean et avaient suivi Jésus. 4111 trouva dabord son frčre Simon et
lui dit : "Nous avons trouvé le Messie" (ce qui signifie le Christ). Et
il lamena ŕ Jésus. Fixant sur lui son regard, Jésus dit : "Tu es Simon,
fils de Jean; tu tappelleras Céphas" (ce qui signifie Pierre).
[16] Le
lendemain, Jésus, voulant partir pour la Galilée, trouve Philippe et lui dit :
"Suis-moi". Philippe était de Bethsaďde, la ville dAndré et de
Pierre. Philippe trouva Nathanaël et lui dit : "Celui dont il est parlé
dans la Loi de Moďse et dans les prophčtes, nous Lavons trouvé; cest Jésus,
le fils de Joseph, de Nazareth". Nathanaël lui dit : "De Nazareth
peut-il sortir quelque chose de bon?" "Viens et vois" lui dit
Philippe. Jésus vit Nathanaël qui venait ŕ Lui et Il dit ŕ son sujet :
"Voici un véritable Israélite, un homme sans artifice". " Doů
me connais-tu?" Lui dit Nathanaël. "Avant que Philippe tappelât,
répondit Jésus, quand tu étais sous le figuier, je tai vu". Nathanaël Lui
répondit : "Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le Roi dIsraël". Il
reprit : "Parce que je tai dit Je tai vu sous le figuier, tu crois; tu
verras mieux encore". Et Il ajouta : "En vérité, en vérité je vous
le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges monter et descendre au-dessus
du Fils de lhomme. "
23. Lintention principale de Jean l'Evangéliste, nous lavons dit dans le prologue, est de montrer la divinité du Verbe Incarné. Doů la division de son Evangile en deux parties; il expose dabord la divinité du Christ cest le chapitre 1 puis la manifeste par ce qua fait le Christ dans la chair cest le reste de lEvangile.
Dans ce premier chapitre, il commence par affirmer la divinité du Christ [n° 24] et continue en montrant la maničre dont cette divinité sest fait connaître ŕ nous
[n° 179]. Dans son affirmation de la divinité du Christ, lEvangéliste traite dabord du Christ en tant que Dieu, puis de lIncarnation du Verbe [n° 108].
Traitant du Christ en tant que Dieu, il en considčre, comme on doit le faire en toute réalité, lętre et lopé ration ou puissance. Il parle dabord de lętre du Verbe incarné quant ŕ la nature divine, et cest lobjet de la présente leçon; il parlera ensuite de sa puissance ou de son opération [n° 68]. Pour faire connaître lętre du Verbe quant ŕ la nature divine il le montre sous quatre aspects : quand était-il? DANS LE PRINCIPE. Oů était il? ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU. Quétait il? ET LE VERBE ETAIT DIEU. Comment était-il? IL E TAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DiEU. Les deux premiers aspects répondent ŕ la question : existe. t-il? les deux autres ŕ la question : quest-il?
DANS
LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE
24. Il nous faut commencer par voir ce que signifie DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE. Trois points sont ici ŕ examiner avec soin : le sens du terme VERBE, celui de DANS LE PRINCIPE, et enfin celui de toute la proposition.
LE
VERBE
25. Pour avoir lintelligence du mot "Verbe", il faut savoir que, selon le Philosophe, ce que disent les paroles est signe de ce qui est dans lesprit, cest-ŕ-dire de ce quil a éprouvé 1. LEcriture a coutume de donner aux réalités signifiées le nom des signes, et inversement; ainsi lApôtre dit la pierre, cétait le Christ 2 sensuit nécessairement que ce qui se trouve ŕ lintérieur de lesprit, et que nous faisons connaître par notre verbe [parole] extérieur, est aussi appelé "verbe". Que ce nom de "verbe" convienne en premier lieu ŕ la parole proférée ŕ lextérieur, ou plutôt ŕ ce que conçoit intérieurement notre esprit, cela na pas dimportance pour le moment. Il est clair cependant que le verbe que la parole signifie et qui se trouve ŕ lintérieur de lesprit est antérieur au verbe proféré, puisquil en est la cause.
Si donc nous voulons savoir ce quest dans notre esprit le verbe intérieur, voyons ce que signifie la parole proférée ŕ lextérieur.
Dans notre intelligence, il y a trois [éléments] : la puissance intellectuelle elle-męme, la forme intentionnelle de la réalité saisie par lintelligence 3, qui informe cette intelligence en ayant avec elle le męme rapport que la forme intentionnelle de la couleur avec lil, et enfin lopération qui est lacte dintelligence. Cependant la parole proférée ŕ lextérieur ne signifie aucun de ces trois [éléments].
Par exemple, celui qui prononce le nom "pierre" nexprime pas la substance de lintelligence ce nest pas ce quil vise; il nexprime pas la forme intentionnelle qui est ce par quoi lintelligence saisit [la réalité] ce nest pas non plus ce quil veut nommer; enfin, il nexprime pas davantage lacte dintelligence, car celui-ci nest pas un acte procédant de maničre extérieure de celui dont lintelligence est en acte, mais une action qui demeure en lui-męme. On appelle en termes propres "verbe intérieur" ce que forme, par son acte dintelligence, celui dont lintelligence est en acte.
Or, selon ses deux opérations, lintelligence forme deux choses. En effet, selon lopération que lon appelle la saisie des indivisibles 4, elle forme une définition; et selon lopération par laquelle elle compose et divise, elle forme une énonciation ou quelque chose de ce genre. Ce qui est ainsi formé et exprimé par lopération de lintelligence soit quelle définisse, soit quelle compose et divise est signifié par la parole extérieure. Cest pourquoi, pour Aristote, la définition est le contenu intelligible signifié par le nom. Cest donc ce qui est ainsi exprimé, ainsi formé dans lesprit, quon appelle verbe intérieur. Par rapport ŕ lintelligence, ce nest pas ce par quoi lintelligence saisit, mais ce dans quoi elle saisit, parce quelle voit, dans ce quelle a formé et exprimé, la nature de la réalité quelle saisit. Nous avons donc main tenant le sens de ce mot "verbe".
1. Cf. ARIST0TE, Peri hermeneias, 16 a 3-4" Les sons
émis par la voix sont les symboles des états de lâme, et les mots écrits les
symboles des mots émis par la voix. "
2. 1 Corinthiens 10, 4.
3. Comme toute forme, la forme intentionnelle détermine. "Intentionnelle"
veut dire quelle est relative ŕ une autre forme, et que par conséquent elle
nest jamais premičre. La détermination de la forme intentionnelle est donc
semblable ŕ la forme ŕ laquelle elle est relative, ici la détermination de la
réalité existante. Précisons. Cette forme intentionnelle peut se prendre de
deux maničres soit elle spécifie lintelligence, et elle est alors le fruit de
lintellect agent illuminant le phantasme, limage ou forme intentionnelle
sensible qui représente la réalité atteinte par nos sens; on la dit alors"
forme intentionnelle intelligible " ou "forme intentionnelle de la
réalité saisie par lintelligence"; soit elle détermine notre acte
dintelligence, rendant présent, au plus intime de notre intelligence, lobjet
connu; on la dit alors" forme intentionnelle intelligée", "verbe"
ou "concept".
4. A la suite dAristote, saint Thomas distingue deux opérations
de lintelligence : la saisie des indivisibles et lopération qui compose ou
divise. Par saisie des indivisibles, saint Thomas entend lappréhension de
lintelligence. Cette appréhension, qui est la premičre opération, a un mode
dassimilation : lintelligence, par elle, "devient" ce quelle
connaît (son objet) sans le modifier. Au contraire, par sa seconde opération,
lintelligence adhčre ŕ ce qui est et discerne ce qui nest pas. De plus, en
saffrontant ŕ ce qui est, elle juge si ce quelle a compris est conforme ou
non ŕ ce qui est, et par lŕ, saisit la vérité. Il faut donc distinguer, comme
le fait saint Thomas ici, le verbe de la premičre opération, le verbe simple
qui sachčve dans la définition, et celui de la seconde opération quil appelle
énonciation et qui est un verbe complexe.
Daprčs ce que nous venons de dire, nous pouvons comprendre deux choses : que le verbe est toujours quelque chose qui procčde de lintelligence quand celle-ci est en acte, et que le verbe est le contenu intelligible et la similitude de la réalité saisie par lintelligence. Si donc la réalité saisie par lintelligence et celui qui intellige sont une seule et męme réalité, alors le verbe est le contenu intelligible et la similitude de lintelligence dont il procčde. Mais si ce qui est saisi par lintelligence est autre que celui qui le saisit par son intelligence, alors le verbe nest pas le contenu intelligible et la similitude de celui qui intellige, mais de la réalité saisie. Ainsi, ce que lintelligence saisit de la pierre est seulement la similitude de la pierre; mais quand lintelligence se saisit elle-męme, alors le verbe est le conte nu intelligible et la similitude de lintelligence. Voilŕ pourquoi Augustin 5 voit dans lâme une similitude de la Trinité lorsque lesprit se saisit lui-męme, et non lors quil saisit dautres choses.
Il est donc manifeste que lon doit reconnaître un verbe ŕ toute réalité douée dintelligence. En effet, lacte dintelligence en lui-męme implique que lintelligence, en saisissant, forme quelque chose; or ce qui est ainsi formé est ce qui est appelé un "verbe"; par conséquent, il faut reconnaître un verbe ŕ tout ętre dont lintelligence est en acte.
Or la nature intellectuelle est humaine, angélique et divine. Il y a donc un verbe humain Linsensé a dit en son cur : Dieu nexiste pas 6 ; un verbe angélique, dont le prophčte Zacharie a écrit : Lange qui me parlait me dit... et que manifestent beaucoup dautres passages de la Sainte Ecriture; enfin le Verbe divin, dont parle la Genčse : Dieu dit : Que la lumičre soit 8. Du quel donc de ces verbes lEvangéliste parle-t-il ici en disant : DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE? Il est manifeste quil ne parle ni du verbe humain ni du verbe angélique, parce que ces deux verbes ont lun et lautre été faits, puisque le verbe ne précčde pas celui qui le dit et que lhomme et lange ont une cause et un principe. Mais le Verbe dont parle Jean na pas été fait, au contraire tout a été fait par Lui. Si donc ce que dit Jean ne se rapporte pas aux deux premiers, il faut nécessairement lentendre du troisičme, cest-ŕ-dire du Verbe de Dieu.
5. De Trinitate, 9, ch. 5, § 8; trad. et notes par M. Mellet et
Th. Camelot, Bibliothčque Augustinienne 16, Desclée De Brouwer, Bruges 1955, pp.
88-91.
6. Ps 13, 1.
26. Or il faut savoir quentre le Verbe de Dieu, dont parle ici Jean, et notre verbe, il y a trois différences.
La premičre, selon Augustin 10, est que notre verbe est en formation avant dętre formé. En effet, il faut un mouvement de la raison pour parvenir ŕ concevoir le contenu intelligible de la pierre, et de męme pour toute autre réalité que nous saisissons par lintelligence, ŕ lexception des premiers principes : ceux-ci sont connus naturellement et immédiatement, sans aucun processus de la raison. Donc, aussi longtemps que, raisonnant, lintelligence discursive est jetée de-ci, de-lŕ, la formation nest pas encore achevée; elle ne sera achevée que lors que lintelligence aura conçu parfaitement le contenu intelligible lui-męme de la réalité; cest alors seulement quelle possčde le verbe comme verbe. Voilŕ pourquoi il y a une cogitation dans notre esprit, cest-ŕ-dire ce mouvement de recherche, puis un verbe formé dans une parfaite contemplation de la vérité. Ainsi, notre verbe est en puissance avant dętre en acte; mais le Verbe de Dieu est toujours en acte, aussi le nom de "cogitation" ne lui convient-il pas proprement. Augustin dit ŕ ce sujet : "Nous parlons du Verbe de Dieu pour éviter le mot de "cogitation", afin quon ne croie ŕ rien de mouvant en Dieu" 11. Quant ŕ ce que dit Anselme 12 "Pour lesprit supręme, dire nest rien dautre que voir intuitivement en "cogitant", cela a été dit improprement.
7. Zach 1, 9.
8. Gn 1, 3.
9. Jean 1, 3.
10. De Trin., 15, ch. 14, § 24, BA 16, p. 491.
27. La seconde différence entre notre verbe et le Verbe divin est que notre verbe est imparfait, alors que le Verbe de Dieu est absolument parfait; en effet, nous ne pouvons exprimer tout ce qui est dans notre esprit par un verbe unique; aussi nous faut-il former de nombreux verbes imparfaits pour exprimer séparément tout ce qui se trouve dans notre connaissance. En Dieu il nen est pas ainsi : comme Il saisit par lintelligence et Lui-męme et tout ce quIl saisit par son essence, dans un seul acte de son intelligence, lunique Verbe de Dieu exprime tout ce qui est en Dieu, non seulement le Pčre, mais encore les créatures; autrement il serait imparfait. Cest ce qui fait dire ŕ Augustin 13 "Sil y avait moins dans le Verbe que ne contient la science de Celui qui le prononce, le Verbe serait imparfait. Mais il est manifeste quIl est trčs parfait, donc "Il est unique." Et nous lisons dans le livre de Job : Dieu ne parle quune fois, et Il ne répčte pas ce quIl a dit 14.
28. La troisičme différence, cest que notre verbe nest pas de męme nature que nous, tandis que le Verbe divin est de męme nature que Dieu : Il est quelque chose qui subsiste dans la nature divine.
En effet, le contenu
intelligible saisi par lintelligence, et que celle-ci forme ŕ partir dune
réalité, ne possčde quun ętre intelligible, dans notre esprit. Or lacte
dintelligence de lesprit nest pas identique ŕ la nature de lesprit, parce
que lesprit nest pas son opération. Cest pourquoi le verbe que forme notre
intelligence nappartient pas ŕ lessence de notre esprit, mais lui est
accidentel. Au contraire, en Dieu, lacte dintelligence et lętre sont
identiques et cest pourquoi le Verbe de lintelligence divine nest pas accidentel
mais appartient ŕ sa nature; cest pourquoi il faut quIl soit subsistant, car
tout ce qui est dans la nature de Dieu est Dieu. Cest pour cela que Jean
Damascčne 15 dit que "le Verbe substantiel est Dieu et un ętre ayant une
hypostase, tandis que les autres verbes, les nôtres, sont des qualités de
lâme."
11. Ibid., eh. 16, § 25, BA 16, p. 497.
12. Monologion, eh. 63, PL 158, col. 208.
13. De Trin., 15, ch. 14, § 23, BA 16, p. 489.
14. Jb 33, 14.
29. Daprčs ce qui précčde, il faut donc affirmer que le mot VERBE, ŕ proprement parler, est toujours pris dans un sens personnel quand il sagit de Dieu, puisquIl ne comporte rien dautre que ce qui est exprimé par celui dont lintelligence est en acte.
Il faut dire aussi que le Verbe, en Dieu, est la similitude de Celui dont Il procčde; quIl est coéternel ŕ Celui dont Il procčde, puisquIl na pas été en formation avant dętre formé mais est toujours en acte; quIl est égal au Pčre, puisquIl est parfait et exprime tout lętre du Pčre; quIl est coessentiel et consubstantiel au Pčre, puisquIl subsiste dans sa nature.
De plus, on appelle fils lętre qui, en quelque nature que ce soit, procčde dun autre dont il possčde la similitude et la nature. Or le Verbe divin procčde du Pčre dans la similitude de sa nature; Il est donc appelé "Fils", et sa production est une génération.
Voilŕ maintenant élucidé notre premier point : ce que signifie VERBE.
15. De Fide orth., eh. 13; PG 94, col. 857.
30. Cependant certaines questions se posent ŕ ce sujet. Ainsi Jean Chrysostome 16 se demande pourquoi Jean l'Evangéliste, sans soccuper du Pčre, a commencé aussitôt par le Fils : DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE.
A cette interrogation on peut
répondre de deux maničres. Dabord, cest que le Pčre était connu de tous dans
lAncien Testament bien que ce ne fűt pas comme Pčre mais comme Dieu tandis
que le Fils était inconnu; et donc, dans le Nouveau Testament, oů il sagit de
la connaissance du Verbe, Jean a commencé par le Fils. On peut dire aussi que
cest parce que le Fils nous conduit ŕ la connaissance du Pčre : Pčre, jai
manifesté ton nom aux hommes que tu mas donnés 17. Ainsi, voulant
mener les fidčles ŕ la connaissance du Pčre, Jean, ŕ juste titre, commence par
le Fils, ajoutant aussitôt au sujet du Pčre : ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU.
31. Jean Chrysostome cette autre question 18 puisque le Verbe procčde du Pčre comme un Fils, ainsi que nous lavons dit, pourquoi Jean parle-t-il du VERBE et non du "Fils"?
Ici encore, deux réponses sont possibles. Dabord, "fils" veut dire engendré et, en entendant parler de génération dun fils, nous pourrions penser ŕ la génération que nous connaissons, cest-ŕ-dire la génération matérielle et soumise au changement. Voilŕ pourquoi Jean ne dit pas "Fils" mais VERBE terme qui est essentiellement lié ŕ un processus intellectuel pour quon ne comprenne pas cette génération comme matérielle et soumise au changement. Donc, en montrant que le Fils a été produit par Dieu sans quil y ait eu aucun changement, lEvangéliste supprime par lemploi du mot "Verbe" toute interprétation pernicieuse.
On peut répondre encore que Jean voulait traiter du Verbe en tant quIl était venu pour manifester le Pčre; or le nom de "Verbe" exprime davantage la manifestation comme telle que celui de "Fils"; cest pourquoi il sest servi plutôt du nom de "Verbe".
16. In Ioannem hom., 2, 4; PG 59, col. 33.
17. Jean 17, 6.
18. Op. cit., col. 34.
32. La troisičme question est dAugustin 19. Dans le grec, lŕ oů le latin porte verbum, il y a logos. Ce mot grec correspond en latin ŕ ratio [contenu intelligible] et ŕ verbum [verbe]. Pourquoi donc les traducteurs ont-ils choisi verbum et non ratio, puisque ratio signifie quelque chose dintrinsčque aussi bien que verbum?
Voici la réponse. Il faut dire
que ratio, au sens propre, signifie le concept de lesprit en tant quil
est dans lesprit, męme si quelque chose est produit par lui ŕ lextérieur; au
contraire verbum comporte un rapport avec lextérieur. En disant logos,
lEvangéliste ne voulait pas seulement indiquer le rapport et lexistence du
Fils dans le Pčre, mais encore la puissance opératrice du Fils par laquelle
Lui-męme fit toutes choses. Cest pour cela que les anciens ont traduit par verbum,
mot qui comporte ce rapport ŕ lextérieur, de préférence ŕ ratio, qui
suggčre seulement le concept de lesprit.
33. La quatričme question est dOrigčne 20. La voici en dassez nombreux passages, lEcriture, parlant du Verbe de Dieu, ne dit pas simplement Verbe, mais ajoute de Dieu, en disant : Verbe de Dieu ou du Seigneur. Ainsi elle dit : Le Verbe de Dieu est source de sagesse dans les hauteurs 21 et encore : Et son Nom est : Verbe de Dieu 22. Pourquoi, alors, parlant ici du Verbe de Dieu, l'Evangéliste na-t-il pas dit : DANS LE PRINCIPE ETAIT le "Verbe de Dieu", mais seulement LE VERBE?
II faut répondre ainsi : bien quil y ait beaucoup de vérités participées, il ny a cependant quune Vérité absolue qui est vérité par son essence : cest l'Etre divin lui-męme. Cest par cette vérité que tout vrai est vrai. De męme, il y a une seule Sagesse absolue, élevée au-dessus de tous, la Sagesse divine, et tous les sages sont sages en participant ŕ cette Sagesse. Et encore, il y a un seul Verbe absolu, et quand on dit que tous ceux qui sexpriment possčdent un verbe, cest en participant au Verbe absolu quils ont ce verbe. Le Verbe absolu est le Verbe divin qui par Lui-męme est le Verbe élevé au-dessus de tous les verbes.
Pour signifier cette suréminence du Verbe divin, Jean nous en parle en Le nommant "le Verbe" sans aucune addition. Et parce que lusage chez les Grecs, quand ils veulent désigner une réalité séparée et élevée, dans lętre, au-dessus de toutes les autres, est de mettre larticle devant le nom qui signifie cette réalité (les Platoniciens, voulant désigner les substances séparées, par exemple le Bien-en-soi, lHomme-en-soi, les nommaient avec larticle), lEvangéliste, voulant faire comprendre la transcendance et lexcellence de ce Verbe par-dessus toutes choses, écrivit le mot Logos avec larticle.
19. De diversis quaest., 63, BA 10, Desclée De Brouwer 1952, p. 212.
20. Sur saint Jean, 2, § 37; cou. Sources chrétiennes 120 (Le
Cerf, Paris 1966), p. 233.
21. Sir 1, 5.
22. Ap 19, 13.
23. Op. cit., 1, § 90-118, pp. 106-123.
DANS
LE PRINCIPE
34. Il faut maintenant examiner le sens de lexpression : DANS LE PRINCIPE.
Origčne 23 fait remarquer que le terme "principe" a de nombreux sens. En effet le principe introduit un certain ordre dans les autres et donc, partout oů il y a ordre, il y a aussi principe. Cest le cas dans la quantité, oů lon parle alors de commencement du parcours et de la longueur, par exemple de la ligne. On trouve aussi un ordre dans le temps, et alors on parle de commencement du temps ou de la durée. On trouve un ordre dans lenseignement, et lŕ il faut męme distinguer deux ordres différents : selon la nature et par rapport ŕ nous 24. Dans ces deux cas il y a principe. Alors quavec le temps, dit lEpître aux Hébreux, vous devriez ętre devenus des maîtres, vous avez encore besoin quon vous enseigne les premiers éléments de la Parole de Dieu 25. Ainsi, dans lenseignement de la doctrine chrétienne, le commencement et le principe de notre sagesse selon lordre de nature est le Christ en tant que Sagesse et Verbe de Dieu, cest-ŕ-dire en tant quIl est Dieu. Cependant, par rapport ŕ nous, le principe est le Christ en tant que Verbe fait chair, cest-ŕ-dire dans son Incarnation. Enfin il y a un ordre dans la production dune réalité. Lŕ, le principe se prend ou bien du côté de ce qui est fait, et ainsi les fondations sont appelées le principe de la maison; ou bien du côté de celui qui fait, et alors il y a trois principes : celui de lintention, qui est la fin qui meut celui qui agit; lidée, qui est la forme dans lesprit de lartisan, et [la source] de lexécution, qui est la puissance ŕ luvre.
DANS
LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE
Entre ces différentes acceptions du terme "principe", il faut maintenant chercher celle quil a ici.
24. Saint Thomas applique ici ŕ la connaissance, et donc ŕ
lenseignement, la distinction de lordre de nature, ou de perfection, et de
lordre génétique, de limparfait au parfait (voir par exemple I-II, q. 62, a. 4),
distinction ŕ laquelle correspond, au niveau pratique, celle de lordre dintention
et de lordre dexécution (voir par exemple I-II, q. 1, a. 4).
Dabord, "principe" sentend de la Personne du Fils qui est le principe des créatures en tant que puissance créatrice, et par mode de sagesse, laquelle est lIdée [Dieu] des choses qui sont faites. Cest pour quoi lApôtre dit : Le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu et le Seigneur, parlant de Lui-męme, déclare : Je suis le Principe, moi qui vous parle 27.
Si lon entend "principe" en ce sens, lexpression : DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE revient ŕ dire : "Dans le Fils était le Verbe". Le sens est alors : le Verbe est principe; on sexprime alors de la męme maničre que quand, on dit que la vie est en Dieu, cette vie qui cependant nest autre que Dieu męme. Cette explication est celle dOrigčne 28.
Selon Jean Chrysostome 29, lEvangéliste dit ici DANS LE PRINCIPE pour montrer dčs le début de son livre la dignité du Verbe en affirmant quIl est le Principe; en effet, de lavis de tous, le Principe est au sommet de la dignité.
25. He 5, 12.
36. Ensuite, on peut considérer que le mot "principe" désigne la Personne du Pčre parce quIl est le Principe, non seulement des créatures, mais encore du Fils. Cest le sens de [la parole adressée au Messie] Avec toi est le Principe au jour de ta force 30. Selon cette acception, DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE équivaut ŕ : Dans le Pčre était le Fils. Cest linterprétation dAugustin 31 et aussi dOrigčne 32.
Or on dit que le Fils est dans
le Pčre parce quIl est de la męme essence que le Pčre. En effet, puisque le
Fils est sa propre essence, partout oů est lessence du Fils, lŕ se trouve le
Fils; et puisque lessence du Fils se trouve dans le Pčre par leur
consubstantialité, il convient que le Fils soit dans le Pčre, comme Il laffirme
lui-męme : Je suis dans le Pčre et le Pčre est en moi 33.
37. Enfin le terme "principe"
peut ętre pris au sens de début de la durée. Notre expression signifie alors : "Au
commencement était le Verbe", cest-ŕ-dire le Verbe existait avant
toutes choses, comme lexpose Augustin 34, et cela indique, comme
le disent Basile 35 et Hilaire 36, léternité du Verbe. En effet, dire "Au commencement était le
Verbe", cest montrer que, quel que soit le commencement de durée que lon
considčre (quil sagisse du temps des réalités corporelles, du sičcle des
réalités éternelles, de lâge du monde entier, ou de nimporte quel
commencement de durée imaginé), ŕ ce commencement le Verbe préexistait déjŕ.
Hilaire écrit 37
"Traversez les temps, remontez le
cours des sičcles, ôtez tous les âges. Mettez ce que vous voudrez comme
commencement de vos imaginations : le Verbe existait déjŕ, et cest de Lui
quétait tiré ce commencement." La Sainte
Ecriture lenseigne : Le Seigneur ma possédée au commencement de ses voies,
avant de faire quoi que ce soit, dčs lorigine 38. Or ce qui est
avant le commencement de la durée est éternel.
38. Ainsi, selon la premičre interprétation, est affirmée la causalité du Verbe; selon la seconde, sa consubstantialité avec le Pčre; selon la troisičme, sa coéternité.
26. 1 Corinthiens 1, 24.
27. In 8, 25.
28. Op. cit., 1, § 116, SC 120, p. 123.
29. In Ioannem hom., 2, 3; PG 59, col. 33.
30. Ps 109, 3.
31. De Trin., 6, ch. 2. § 3; BA 15, p. 473.
32. Comm. sur saint Jean, 1, § 102, p. 113.
33. Jean 14, 10.
34. De Trin., 6, ch. 2, § 3.
35. Homilia in illud" In principio... ", 16, 1; PG 31,
col. 474 C.
36. De Trinitate 2, eh. 13; PL 10, col. 60 B.
37. Ibid.
38. Prov. 8, 22.
39. Dans cette expression : LE VERBE ETAIT, il faut remarquer que le temps imparfait du verbe semble convenir au plus haut point pour signifier les réalités éternelles, si nous sommes attentifs au mode des réalités qui sont dans le temps. En effet, par le futur on ne dit pas encore que la réalité est en acte; par le présent au contraire, on dit quelle est en acte, mais on nindique pas quelle a été. Quant au passé, il indique que quelque chose a existé et est désormais terminé et a cessé dętre, tandis que limparfait indique que quelque chose a été et nest pas encore terminé ni na cessé dętre, mais demeure encore. Aussi, toutes les fois quil sagit dune réalité éternelle, Jean dit était; sil parle dune réalité temporelle, il dit, comme on le verra plus loin, a été, ou fut.
Cependant le temps présent en
tant que tel convient par excellence pour désigner léternité, parce quil
indique que la réalité est en acte, ce qui convient toujours aux réalités
éternelles. Voilŕ pourquoi le Seigneur a dit : Je suis celui qui suis 39, et Augustin
remarque que seul est véritablement celui dont lętre ne connaît ni passé ni
futur 40.
40. Il importe aussi de
considérer que, daprčs la Glose, ce verbe "était" nest pas
pris ici pour signifier le mouvement temporel ŕ la maničre des autres verbes,
mais pour affirmer lexistence de la réalité, et cest pourquoi on lappelle "verbe
substantif".
41. On peut se demander pourtant comment le Verbe, engendré par le Pčre, peut lui ętre coéternel. En effet, chez les hommes, le fils engendré par un pčre vient aprčs lui. A cela il faut répondre quil y a trois raisons pour lesquelles le principe qui est ŕ lorigine dune réalité se trouve antérieur ŕ celle-ci par la durée.
En premier lieu, lorsque le principe précčde dans le temps laction par laquelle il produit la réalité dont il est le principe; par exemple, un homme ne se met pas ŕ écrire dčs quil existe et cest pourquoi il est antérieur ŕ son écriture.
Ensuite, lorsque laction comporte une succession. Alors, męme si laction commence ŕ exister avec lagent, son terme est cependant postérieur ŕ lagent. Ainsi, dčs que du feu est produit ici-bas, il commence ŕ sélever. Cependant le feu existe avant dętre élevé parce que le mouvement par lequel il sélčve est mesuré par un certain temps.
Le troisičme cas est celui oů la volonté du principe détermine le début de la durée de ce qui est issu du principe. Il en va ainsi de la créature : le commencement de sa durée est déterminé par la volonté de Dieu; aussi Dieu est-Il antérieur ŕ la créature.
Or aucun de ces cas ne se trouve réalisé dans la génération du Verbe divin. Dabord lexistence en Dieu na pu précéder la génération de son Verbe; car, cette génération nétant rien dautre quune conception intellectuelle, il sensuivrait que Dieu aurait eu son intelligence en puissance avant de lavoir en acte, ce qui est impossible. De męme, il nest pas possible que la génération du Verbe implique une succession, car le Verbe divin aurait été dabord informe avant dętre formé, comme cela arrive en nous qui formons nos verbes par un mouvement de la raison; or cela est faux, comme on la dit. Enfin on ne peut dire que le Pčre aurait par un acte de volonté fixé un commencement de durée ŕ son Fils, car le Pčre nengendre pas son Fils par ia volonté comme le pensent les Ariens, mais par sa nature. En effet Dieu le Pčre conçoit le Verbe en se saisissant naturellement Lui-męme par son intelligence, et cest pourquoi Dieu le Pčre na pas existé avant le Fils.
Il en va semblablement du feu. Aussitôt quil existe le feu a une lumičre dont procčde non pas successivement mais immédiatement, non pas par une vo1ont mais naturellement un éclat ou une splendeur; et donc aussitôt quil y a feu, il y a splendeur et cest pour quoi, si le feu était éternel, sa splendeur lui serait coéternelle. Cest pour cette raison que le Fils est appelé, dans lEpître aux Hébreux, splendeur du Pčre : Lui qui est la splendeur de sa gloire 41. Mais dans cette similitude manque la connaturalité et cest pourquoi nous appelons le Verbe Fils, bien que pour nos fils ŕ nous manque la coéternité. Nous ne pouvons en effet parvenir ŕ la connaissance des réalités divines quau moyen de nombreuses similitudes avec les réalités sensibles, parce quune seule ne peut suffire. Le livre du Concile dEphčse le dit : "Que le Fils coexiste toujours avec le Pčre," le mot "splendeur" doit te lindiquer; le nom de "Verbe" est lŕ pour montrer labsence de changement dans sa naissance; quant au nom de "Fils", il est lŕ pour faire saisir la consubstantialité" 42.
39. Ex 3, 14.
40. De Trin., 5, ch. 2, § 3, BA 15, p. 429.
41. He 1, 3.
42. Nous donnons donc au Fils des noms divers pour exprimer de maničres diverses sa perfection, perfection quun seul nom ne peut traduire. Nous le nommons Fils pour montrer sa connaturalité avec le Pčre, Image pour montrer quIl Lui est absolument semblable, Splendeur pour montrer sa coéternité, Verbe pour montrer sa génération immatérielle.
II
ET LE
VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU [lb]
43. Dans cette seconde affirmation du texte de Jean, il nous faut dabord chercher le sens des deux mots que lEvangéliste navait pas employés dans la premičre affirmation : DIEU et AUPRES DE. Nous avons déjŕ précisé ce quest le VERBE de Dieu et ce quest le PRINCIPE; poursuivons avec soin en cherchant les significations de DIEU et de AUPRES DE afin de mieux expliquer cette affirmation de Jean.
DIEU
44. Il faut savoir que le nom DIEU signifie la divinité, mais dans un sujet et une réalité concrčte; quant au nom déité, il signifie la divinité abstraitement et dune maničre absolue, et cest pourquoi il ne peut ętre employé en raison męme de sa signification naturelle et de sa maničre de signifier pour désigner une Personne divine, mais seulement la nature divine. Au contraire le nom "Dieu" en raison męme de sa signification naturelle et de sa maničre de signifier peut ętre employé pour désigner nimporte quelle Personne divine, de męme que nous utilisons le mot "homme" pour désigner un sujet de lhumanité. Aussi, partout o le sens de la phrase, ou le prédicat, exigent que le nom "Dieu" sentende dune Personne, alors certainement il désigne une Personne, comme lorsque nous disons :
"Dieu engendre Dieu". Ainsi, quand lEvangéliste dit ici AUPRES DE DIEU, parce que auprčs de est une préposition signifiant la distinction du Verbe Lui-męme, qui cependant ne doit pas ętre distingué de la nature du Pčre AUPRES DE qui Il est, mais de la premičre Personne seulement par relation dorigine, il faut que DIEU ici désigne la Personne du Pčre. LEvangéliste donc, lorsquil dit DIEU, signifie la Personne du Pčre.
42. Saint Thomas cite ici, presque textuellement, ies Actes du
Concile dEphčse. Le passage cité est extrait dune homélie de Théodote, évęque
dAncyre. Ami personnel de Nestorius, il sut faire passer la vérité de la foi
avant son amitié pour le patriarche et se prononça contre lui lors de la
premičre session du Concile, le 22 juin 431. Lhomélie que cite saint Thomas,
Sur la naissance du Christ, avait vraisemblablement été dabord prononcée ŕ
Ancyre; mais les Actes du Concile attestent quelle fut lue ŕ Ephčse, en
présence de saint Cyrille. Voir Acta conciliorum oecumenicorum, éd. Schwartz
Walter de Gruyter Berlin, 1927), I, 1, 1, p. 77; Sacrorum conciliorum nova et
amplissima collectio, éd. Mansi, Florence 1761 (et H. Welter, Paris 1901), col.
210; PG 77, col. 1375-1378.
AUPRES
DE
45. A propos de la préposition auprčs de, il faut savoir quelle signifie, pour la réalité dont on parle en premier lieu, le fait dętre conjointe ŕ la réalité intro duite indirectement par la préposition. Il en est de męme pour la préposition dans, avec cette différence que la préposition dans implique le fait dętre conjoint de lintérieur, et auprčs de le fait l'ętre conjoint pour ainsi dire de lextérieur. Ces deux expressions se disent au sujet de Dieu : le Fils est dans le Pčre et Il est auprčs du Pčre. Le fait dętre conjoint de lintérieur, pour les Personnes divines, se rapporte ŕ la consubstantialité; le fait dętre conjoint de lextérieur quon nous permette de parler ainsi, malgré limpropriété de lexpression "de lextérieur" quand il sagit des réalités divines ne se rapporte quŕ la distinction des Personnes, puisque le Fils ne se distingue du Pčre que personnellement. Et cest pourquoi les deux prépositions signifient la consubstantialité dans la nature et la distinction des Personnes : la consubstantialité en tant quelles impliquent une certaine conjonction, la distinction des Personnes du fait quelles signifient une certaine séparation, comme on la dit plus haut 43.
Mais dans désigne principalement
la consubstantialité en tant quelle implique cette conjonction de lintérieur,
et la distinction des Personnes seulement comme conséquence, toute préposition
impliquant un rapport entre deux réalités distinctes. Quant ŕ la préposition
auprčs de, elle désigne certes la consubstantialité en tant quelle implique
une certaine conjonction, mais elle désigne plus principalement la distinction
des personnes en tant quelle implique une conjonction en quelque maničre
extérieure. Aussi lEvangéliste, en ce passage, sest-il servi de préférence de
la préposition auprčs de pour exprimer la distinction personnelle du Fils ŕ
légard du Pčre. Il a dit : ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, cest-ŕ-dire le
Fils auprčs du Pčre comme une personne auprčs dune autre.
46. Cependant il faut savoir que la préposition auprčs de implique quatre significations, grâce aux quelles nous repousserons quatre objections.
En effet, cette préposition signifie dabord, pour celui dont on dit quil est auprčs de quelque chose, le fait de subsister. En effet on ne peut dire proprement que la blancheur est auprčs du corps puisquelle ne subsiste pas; mais lhomme étant une réalité subsistante, on dit proprement que lhomme est auprčs dun autre homme. Cest pourquoi on ne peut dire au sens propre quune réalité est auprčs dune autre que lorsquil sagit dune réalité subsistante.
En second lieu, auprčs de signifie indirectement lautorité. En effet, il serait impropre de dire que le roi se trouve auprčs du soldat, mais on dira que le soldat se trouve auprčs du roi.
En troisičme lieu, cette préposition implique une distinction. Il est impropre en effet de dire que quel quun se trouve auprčs de lui-męme, mais un homme est auprčs dun autre.
Enfin, auprčs de signifie le fait dętre conjoint et dętre en communion. Quand nous disons de quelquun quil est auprčs dun autre, nous suggérons entre les deux le fait dętre en communauté.
Ces conditions impliquées par la signification de la préposition auprčs de montrent lŕ-propos avec lequel l'Evangéliste a joint laffirmation ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU ŕ la précédente : DANS LE PRIN CIPE ETAIT LE VERBE. En effet, mise ŕ part lune des trois interprétations de laffirmation DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE celle oů par "Principe" on entend le Fils , les deux autres, celle oů DANS LE PRINCIPE signifie "avant toutes choses" et celle ou "Principe" est mis pour le Pčre, donnent lieu chacune ŕ deux objections de la part des hérétiques, soit quatre en tout, auxquelles nous pouvons répondre au moyen de ces quatre conditions impliquées par la préposition
43. Cf. n 44.
AUPRES
DE.
47. Voici la premičre difficulté : Tu dis que le VERBE ETAIT DANS LE PRINCIPE, cest-ŕ-dire avant toutes choses; mais avant toutes choses il ny avait rien; oů donc était le Verbe sIl était avant toutes choses?
Cette objection provient de
limagination de ceux qui se figurent que tout ce qui existe existe quelque
part et dans un lieu. Mais Jean lexclut en disant AUPRES DE DIEU, expression
qui désigne le fait dętre conjoint, selon la derničre des conditions
rapportées plus haut. Cest ainsi que lentend Basile 44 Oů donc était
le Verbe? LEvangéliste répond AUPRES DE DIEU, cest-ŕ-dire non dans quelque
lieu, puisquil nest pas possible de Lenfermer dans des limites, mais AUPRES
DU Pčre qui Lui-męme nest ni contenu dans un lieu, ni circonscrit daucune
maničre.
48. La seconde question des hérétiques est la suivante : Tu dis que LE VERBE ETAIT DANS LE PRINCIPE, cest-ŕ-dire avant toutes choses. Mais ce qui est avant toutes choses ne procčde pas de quelque chose; ce Verbe ne procčde donc pas dun autre.
Cette objection est réfutée
par les paroles : ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, oů lon entend AUPRES DE
selon la deuxičme signification, celle qui comporte autorité. Voici alors le
sens, selon Hilaire 45
Par qui est le Verbe sIl est avant toutes
choses? LEvangéliste répond : LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, ce qui revient ŕ
dire : bien quIl nait pas de commencement de durée, le Verbe ne manque
cependant pas dun Auteur; en effet, IL ETAIT AUPRES DE DIEU comme auprčs de
son Auteur.
49. La troisičme question se rapporte ŕ lautre interprétation, celle oů" Principe" sentend du Pčre. La voici : Tu dis DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE, cest-ŕ-dire dans le Pčre était le Fils. Mais ce qui est dans un autre ne subsiste pas; ainsi la blancheur qui est dans un corps ne subsiste pas par elle-męme. Le Verbe nest donc pas subsistant ni hypostase.
Cette objection se résout par
les paroles : LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, en prenant AUPRES DE selon la
premičre signification, qui comporte la subsistance dans la réalité dont on
parle en premier lieu. Cest pourquoi, selon Chrysostome 46, le sens est le
suivant : Le Verbe était DANS LE PRINCIPE, non comme un accident, mais Il était
AUPRES DE DIEU, comme subsistant et hypostase.
50. Et voici la derničre question : Tu dis que LE VERBE ETAIT DANS LE PRINCIPE, cest-ŕ-dire dans le Pčre. Or ce qui est dans un autre nest pas distinct de lui; donc le Fils nest pas distinct du Pčre.
Mais cette objection se réfute par laffirmation : ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, en donnant ŕ AUPRES DE le sens de sa troisičme signification, selon laquelle cette préposition suppose la distinction des Personnes. Le sens devient alors, selon Alcuin et Bčde : LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, cest-ŕ-dire, Il était DANS le Pčre par consubstantialité de nature, de telle sorte quIl est cependant AUPRES DE DIEU, cest-ŕ-dire du Pčre, par la distinction des Personnes.
45. De Trin., 2, eh. 14; PL 10, col. 61.
46. In Ioannem hom., 3; PG 59, col. 43.
44. Homilia in illud "In principio...
" 16, 4; PG 31, col. 479 B.
51. Ainsi, cette
affirmation ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU montre, selon Basile, le fait,
pour le Verbe, dętre conjoint au Pčre dans la nature; selon Alcuin et Bčde, la
distinction des Personnes; selon Jean Chrysostome, la subsistance du Verbe dans
la nature divine; selon Hilaire, lautorité de Principe dans le Pčre ŕ légard
du Fils.
52. Origčne 47 fait remarquer enfin que la parole : LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU montre que le Fils a toujours été auprčs du Pčre. En. effet, dans lAncien Testament on lit, en de nombreux passages, que le Verbe, la Parole du Seigneur, a été adressé ŕ Jérémie ou ŕ un autre, mais on ny lit pas que le Verbe de Dieu était auprčs de Jérémie. En effet, ceux ŕ qui la parole de Dieu est adressée commencent ŕ la recevoir, et donc ils ne lavaient pas auparavant. Cest pourquoi lEvangéliste ne dit pas : LE VERBE a paru auprčs de Dieu, mais ETAIT AUPRES DE DIEU, parce que, depuis que le Pčre existait, le Verbe était auprčs de Lui.
III
ET LE
VERBE ETAIT DIEU.
53. Voici la troisičme
affirmation de Jean. Elle vient parfaitement dans la suite de son enseignement
: en effet, il a dit quand était le Verbe et en qui Il était; il lui restait ŕ
senquérir de ce quIl était, ce ŕ quoi il il répond en disant : ET LE VERBE
ETAIT DIEU.
54. Mais, dira-t-on, il faut chercher ŕ propos dune chose ce quelle est, avant de senquérir de son lieu et de son temps; il semble donc que Jean ait renversé cet ordre en faisant connaître en premier lieu OU est le Verbe et QUAND Il existe.
A cette difficulté Origčne 48 répond par une distinction :
dire que le Verbe de Dieu est auprčs dun homme, ou dire quIl est AUPRES DE
DIEU, na pas le męme sens. Il est auprčs dun homme pour le rendre parfait,
car le Verbe de Dieu rend lhomme sage et fait de lui un prophčte La Sagesse
(...) se répand dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des
prophčtes 49 ce qui veut dire que
le Verbe illumine les prophčtes par la lumičre de la Sagesse. Mais on ne dit
pas que le VERBE EST AUPRES DE DIEU comme sIl donnait au Pčre sa perfection et
sa splendeur; au contraire, le VERBE EST AUPRES DE DIEU de telle sorte quIl
reçoit et obtient du Pčre dętre Dieu; et ainsi, cest du fait quIl EST AUPRES
DE DIEU, que le VERBE EST DIEU et cest pourquoi il était nécessaire de montrer
dabord que le Verbe était DANS le Pčre et AUPRES du Pčre avant de dire quIl
ETAIT DIEU.
55. Dautre part, cette expression LE VERBE ETAIT DIEU répond bien ŕ deux questions qui surgissent des développements précédents. Lune vient du nom "Verbe". La voici : Tu dis que le VERBE ETAIT DANS LE PRINCIPE et AUPRES DE DIEU. Mais il est clair que le terme de "verbe", selon lusage courant, signifie soit un certain mot, soit lénonciation de ce qui est nécessaire, soit enfin la manifestation des mouvements de la raison; or ces verbes passent et ne subsistent pas, et lon pourrait donc croire quil en est de męme pour le Verbe dont parle lEvangéliste.
Mais cette question est résolue par Hilaire 50 de la maničre suivante : ce qui a été dit plus haut exclut lobjection parce que, lorsque lEvangéliste dit DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE, il est manifeste que "verbe", ici, nest pas pris au sens du langage parlé; en effet le langage nétant que dans un mouvement, on ne pourrait dire : DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE.
De plus, en disant ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, Jean donne ŕ entendre la męme idée. En effet la différence est assez claire entre ętre dans [un sujet] et ętre vers [un autre]. Notre verbe humain, parce quil ne subsiste pas, nest pas vers nous, mais il est en nous. Au contraire le Verbe de Dieu subsiste et cest pourquoi Il est vers le Pčre. Voilŕ pourquoi lEvangéliste dit de maničre précise LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU 51 et, pour ôter tout prétexte ŕ objection, il dit ensuite le nom et lętre du Verbe : ET LE VERBE ETAIT DIEU.
48. Op. ci § 10, pp. 213-215.
49. Sag 7, 27.
47. Sur saint Jean, 2, § 8, p. 213.
56. Une autre difficulté vient de lexpression AUPRES DE DIEU. Puisque AUPRES DE implique distinction [deux réalités], on pourrait croire que LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, cest-ŕ-dire du Pčre, comme distinct de Lui en nature. Aussi, pour exclure cette erreur, lEvangéliste ajoute aussitôt la consubstantialité du Verbe avec le Pčre : ET LE VERBE ETAIT DIEU, ce qui revient ŕ dire : Il nest pas distinct de la nature divine, mais le Verbe est Dieu Lui-męme.
50. De Trin., 2, ch. 15; PL 10, col. 61. Voir AUGUSTIN, De
Haeresi bus, § 11, PL 42, col. 28.
51. Cette interprétation est inspirée du texte grec de saint
Jean pros ton theon, littéralement : "vers Dieu".
57. On doit remarquer aussi
la maničre spéciale dont lEvangéliste sexprime. Il dit LE VERBE ETAIT DIEU,
utilisant le terme "Dieu" sans aucune adjonction. Il veut
montrer par lŕ que le Verbe nest pas Dieu ŕ la maničre dont il est dit dans
lEcriture que les créatures sont Dieu, mais quIl lest purement et simplement
et de maničre absolue. En effet, bien que la Sainte Ecriture dise parfois dune
créature quelle est Dieu, cette attribution y est toujours soulignée par
certaines additions. Ainsi Dieu dit ŕ Moďse Jai fait de toi le dieu de
Pharaon 52 pour indiquer ŕ Moďse quil nétait pas Dieu,
purement et simplement, comme lest le Verbe de Dieu, mais quil était donné
comme dieu au Pharaon pour le punir et libérer les fils dIsraël. De męme, Dieu
dit : Jai dit : Vous ętes des dieux 53 par le titre que je
vous ai donné, non en réalité; car autre chose est ętre donné comme dieu et
appelé dieu, autre chose ętre Dieu. Aussi le Verbe est-Il DIEU, sans
adjonction, parce quIl est Dieu par son essence, et non par participation
comme le sont les hommes ou les anges.
58. Il est bon de savoir quOrigčne sest honteusement trompé au sujet de cette affirmation, et que cest la maničre grecque de sexprimer qui occasionna son erreur. Lusage en grec, pour signifier une certaine distinction, est de mettre larticle devant le nom. Aussi, dans le texte grec de lEvangile de Jean, aux passages : DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE et LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, les mots qui signifient "Verbe" et "Dieu" sont précédés de larticle, pour signifier la pré émir et la différence du Verbe par rapport aux autres verbes, ainsi que lautorité de principe du Pčre dans la divinité. Cest pourquoi, dans le passage suivant LE VERBE ETAIT DIEU, le mot "Dieu" étant sans article dans le grec, Origčne 54 en a conclu et lŕ il blasphčme que le Verbe nétait pas Dieu par essence, bien quIl soit essentiellement Verbe, mais seulement par participation. Seul le Pčre serait Dieu par essence. Ainsi, Origčne affirmait le Fils inférieur au Pčre.
52. Ex 7, 1.
53. Ps 81, 6.
59. Mais cela nest pas vrai et Jean Chrysostome 55, pour le prouver, sappuie sur deux textes de lApôtre montrant que le Christ est "le grand Dieu". Dabord un passage de l'Epître ŕ Tite : Attendant la bienheureuse espérance et lapparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, le Christ Jésus 56. Puis un passage de lEpître aux Romains : Deux [les Patriarches] est issu selon la chair le Christ, qui est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement 57. En outre, en de nombreux passages, dans le grec, on nappose pas larticle au nom "Dieu" quand il désigne le Pčre. De plus Jean a écrit : Nous sommes dans son vrai Fils, le Christ Jésus : Il est le vrai Dieu et la Vie éternelle 58. Le Christ est donc le vrai Dieu, et non Dieu par participation, et ce quOrigčne a imaginé est manifestement faux.
La raison pour laquelle l'Evangéliste na pas mis larticle ŕ ce terme "Dieu", Jean Chrysostome 59 nous la donne. Jean avait déjŕ deux fois nommé Dieu avec larticle; il nétait pas nécessaire de le mettre une troisičme fois, il était sous-entendu.
On peut dire encore et cest mieux quici le terme "Dieu" est attribut et pris formellement. Cest dailleurs lusage de ne pas mettre larticle devant les noms employés comme attributs, puisque larticle indique une distinction. Si au contraire le mot "Dieu" était alors sujet, il serait mis pour nimporte quelle Personne divine : le Pčre, le Fils ou lEsprit Saint; et alors, en grec, il serait employé ici sans aucun doute avec larticle.
IV
IL
ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU.
60. Voici maintenant la quatričme affirmation. Jean la pose ŕ cause de la précédente. En effet, de cette proposition : LE VERBE ETAIT DIEU, ceux qui ne pensent pas avec vérité pouvaient tirer deux erreurs. Lune est celle des paďens, lautre celle des Ariens.
Les paďens en effet affirment une pluralité et une diversité de dieux. Contre cela le Seigneur dit : Ecoute, Israël!, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu 60. Ils affirment aussi entre les dieux des volontés contraires. Cest ainsi que leurs fables racontent le combat de Jupiter et de Saturne et que les Manichéens imaginent deux principes contraires. Donc, comme Jean avait dit LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU et LE VERBE ETAIT DIEU, les paďens pouvaient mettre en avant ces expressions pour soutenir leur erreur en y entendant quautre serait le Dieu auprčs duquel se trouverait le Verbe, et autre le Verbe lui-męme, qui serait dune volonté différente ou contraire, ce qui soppose ŕ lenseignement de lEvangile. Pour empęcher cette erreur, Jean dit : IL ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU. Selon Hilaire cela revient ŕ dire : jaffirme que le Verbe est Dieu, ce qui ne signifie pas quIl possčde une divinité séparée, mais quIl est AUPRES DE DIEU, donc dans lunique nature en laquelle est Dieu. De męme l'Evangéliste a dit : ET LE VERBE ETAIT DIEU, mais pour quon ne comprenne pas que le Verbe et le Pčre auraient des volontés contraires, il ajoute : LE VERBE ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU, cest-ŕ-dire auprčs du Pčre, non divisé de Lui, non contraire, mais ayant avec Lui unité de nature et accord de volonté. Et cette union se fait par la communion de la nature divine dans les trois Personnes et par le nud de lAmour du Pčre et du Fils.
54. Sur saint Jean, 2, § 17-18, pp. 217-219.
55. In Ioannem hom., 4, PG 59, col. 50.
56. Ti 2, 13. Lédition Marietti donne ici un texte plus développé Si
larticle mis devant le nom de Dieu comportait la supériorité du Pčre sur le
Fils, on ne le trouverait jamais devant ce męme mot quand il est appliqué ŕ un
autre, mais uniquement quand il sagit du Pčre et, dans ce cas, toujours. Or il
arrive le contraire dans deux textes de lApôtre oů le Christ est appelé Dieu
avec larticle. Dabord dans lEpître ŕ Tite Attendant la bienheureuse
espérance et lapparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, le
Christ Jésus (Ti, 2, 13). Ici,Dieu est mis pour le Christ et, dans le texte
grec, avec larticle donc le Christ est le grand Dieu. Lautre texte est de
lEpître aux Romains : Deux [Patriarches] est issu selon la chair le Christ,
qui est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement (Ro 9, 5). Lŕ de męme, dans
le texte grec, larticle précčde le mot Dieu".
57. Ro 9, 5.
58. 1 Jean 5, 20.
59. Loc. cit.
60. Deut 6, 4.
61. Quant aux Ariens 62, ils affirment que le Fils est moindre que le Pčre, ŕ cause de ces paroles de Jésus : Le Pčre est plus grand que moi 63. Ils disent en effet que le Pčre est plus grand que le Fils par léternité et par la divinité de sa nature 64.
61. De Trin., 2, ch. 16; PL 10, col. 62.
62. Arius, prętre dAlexandrie vers 315, "non seulement
subordonnait dans sa nature le Fils au Pčre, mais avec une rigueur toute
dialectique, lui refusait la nature divine et les attributs divins, notamment
léternité et la génération divine. Ses maximes principales étaient celles-ci :
"Il y eut un temps oů le Logos nétait pas" et "il a été tiré du
néant". Le Logos est pour lui une création du Pčre; il est tiré du néant
comme la premičre et la plus noble des créatures, afin de servir dinstrument
lors de la création des autres ętres; en effet, daprčs la conception
stoďco-philonienne, le Dieu absolument transcendant ne peut pas entrer
directement en relation avec le monde matériel. Le Logos est susceptible de
changement et de développement, étranger au Pčre par sa nature, uni ŕ lui
seulement par la volonté, élevé ŕ la condition de Fils de Dieu en prévision de
ses mérites par une grâce particuličre. Aussi peut-il ętre appelé Dieu avec
lEglise; toutefois il ne lest pas en vérité, mais seulement au sens impropre
ou moral. " Arius fut condamné dans un grand concile denviron cent
évęques égyptiens réuni ŕ Alexandrie en 318 (voir C. BIHLMEYER et H. TUCHLE,
Histoire de lEglise, 20 édition, Mulhouse 1969, t. 1, pp. 225-226).
62. Cette erreur se réfute
ainsi : Il y a, propres au "grand Dieu", deux attributs
quArius ne donne quau Pčre : ce sont léternité et la toute-puissance. Par
conséquent, quiconque possčde ces deux attributs est "le grand
Dieu" et aucun nest plus grand. Or lEvangéliste les donne au Verbe;
le Verbe est donc "le grand Dieu" et Il nest donc pas moindre
que le Pčre. En effet, Jean affirme léternité du Verbe par ces paroles : IL
ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU, Lui, le Verbe, de toute éternité et non
pas seulement au commencement des créatures comme Arius pouvait le comprendre du
fait quil est dit : AU COMMENCEMENT ETAIT LE VERBE. Dautre part lEvangéliste
[attribue] la toute-puissance au
Verbe par les paroles suivantes : Tout a été fait par Lui 65.
63. Origčne 66 explique cette affirmation dune maničre assez belle. Pour lui, elle ne dit rien dautre que les trois précédentes. En effet nous avons coutume, lors que nous avons suffisamment traité dune matičre et que nous passons ŕ une autre, de résumer au terme, en guise de conclusion, ce qui a été dit, avant de passer ŕ autre chose. Cest pourquoi, aprčs avoir exposé la vérité sur lętre du Fils, lEvangéliste, qui va mainte nant faire connaître sa puissance, rassemble dans cette unique affirmation, comme en un résumé servant de conclusion, ce quil avait dit dans les trois premičres. Ainsi quand il dit : IL, Jean reprend la troisičme; avec ETAIT DANS LE PRINCIPE, il reprend la premičre; enfin, avec AUPRES DE DIEU, il rappelle la seconde, afin que lon comprenne, non pas quil y avait un Verbe qui était dans le Principe et un autre qui était Dieu, mais que ce VERBE qui était Dieu, ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU.
63. Jean 14, 28.
64. Voir la réfutation de saint Jean Chrysostome : In. ďoannem
hom., 4, PG 59, col. 47.
65. Jean 1, 3.
66. Sur saint Jean, 2, § 34, p. 231.
CONCLUSION
64. Une réflexion judicieuse sur ces quatre affirmations montrera donc clairement quelles renversent toutes les erreurs des hérétiques et des philosophes.
Certains hérétiques, comme Ebion et Cérinthe 67, prétendirent que le Christ navait pas existé avant la Vierge Marie. Le disant pur homme, ils soutinrent quIl avait tiré delle le principe de sa durée, et que ce nest quensuite quIl avait mérité la divinité par ses bonnes actions Photin et Paul de Samosate 68 les suivirent sur ce point.
Ces erreurs sont réfutées par lEvangéliste quand il dit : DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE, cest-ŕ-dire avant toutes choses et dans le Pčre de toute éternité. Il na donc pas tiré son origine de la Vierge Marie.
Quant ŕ Sabellius 69, il admettait bien que Dieu qui a pris la chair na pas tiré son origine de la Vierge Marie, mais quIl a existé de toute éternité; cependant il disait que la Personne du Pčre, qui est de toute éternité, nest pas autre que celle du Fils qui a pris la chair de la Vierge Marie. Pour lui, le Pčre et le Fils étaient le męme; ainsi il défigurait la Trinité des Personnes divines. Contre cette erreur l'Evangéliste a dit : ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU, le Fils auprčs du Pčre, comme une Personne auprčs dune autre.
Eunome 70, par contre, nie toute ressemblance entre le Pčre et le Fils; mais la suite de lEvangile le réfute par ces mots : ET LE VERBE ETAIT DIEU. Si en effet le Verbe est auprčs de Dieu, cest-ŕ-dire du Pčre, et si le Verbe est Dieu, cest-ŕ-dire si le Fils est Dieu, le Fils est donc semblable au Pčre.
Arius 71 enfin disait le Fils moindre que le Pčre, comme on la vu; lEvangéliste exclut cela en ajoutant ces mots : IL ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU, que nous avons expliqués tout ŕ lheure.
67. Cf. ci-dessus n° 10, note 29.
68. Photin, évęque de Sirmium, professait que" le Christ
nest quun homme, né dune maničre miraculeuse, pourvu dune force divine et
adopté par Dieu comme Fils ŕ cause de ses miracles et de ses vertus. Aprčs
avoir été condamné ŕ plusieurs reprises, Photin fut déposé par le synode de
Sirmium en 351, puis exilé. Lhérésie se maintint aprčs sa mort (376); elle
trouva męme de nouveaux représentants chez les Bonosiens jusquau Vile sičcle,
bien que linstigateur de cette secte, Bonose, évęque de Sardique ŕ la fin du
IVe sičcle et au début du V0 sičcle, se fűt contenté dabord de nier la
virginité de Marie" (cf. Histoire de lEglise, op. cit., p. 239).
Paul de Samosate, évęque dAntioche dans la seconde moitié du
III° sičcle, "partant de la stricte unité en Dieu, dans sa nature et sa
personne, déclarait Jésus un pur homme, né de la Vierge Marie, dans lequel le
Logos impersonnel ou la Sagesse de Dieu, qui avait déjŕ exercé son activité ŕ
un moindre degré chez Moďse et les prophčtes, avait habité "comme dans un
temple". Lunion du Sauveur avec Dieu nest, pour Paul de Samosate, quune
union volontaire et non pas substantielle. Une premičre délibération des
évęques ŕ son sujet (264) demeura sans résultat; lors dun second grand synode
ŕ Antioche, en 268, le savant prętre Maichion le convainquit dhérésie; il fut
excommunié" (op. cit., pp. 150-151).
69. Sabellius, qui semble ętre originaire de Libye au début du
III° sičcle mais enseignait ŕ Rome, "admettait trois révélations de Dieu,
comme Pčre dans la création et la remise de la Loi, comme Fils dans la
rédemption, comme Saint-Esprit dans luvre de la sanctification. Comme il
appelait ces maničres de se révéler des prosopa (= masques des acteurs ou rôles
ou personnages), il est compréhensible quil ait trompé bien des gens sur la
nature propre de sa doctrine et quil lui ait gagné un certain nombre
dadhérents. On appelle ordinairement cette hérésie, qui a persisté longtemps,
le sabellianisme" (op. cit., pp. 153-154).
70. Eunome, évęque de Cyzique mort en 390, fut avec Ačce le chef
dune fraction extręme de lArianisme, qui identifiait" lessence divine
avec la notion dinengendré évidemment propre au Pčre. " Il en
"résultait que le Fils, loin de lui ętre consubstantiel ou męme semblable,
apparaissait totalement différent (en grec : anomoios) doů lappellation
danoméisme". (in J. DANIIELOU et H. MARROU, Nouvelle histoire de
lEglise, 1, pp. 301-302; Le Seuil, Paris 1963).
65. Le texte évangélique repousse encore toutes les opinions fausses des philosophes. En effet certains des philosophes les plus anciens, les "Physiciens", affirmaient que le monde na pas son origine dans une Intelligence, quil nest pas le résultat dune Idée, mais du hasard. En conséquence ils ne mettaient au principe, comme cause des réalités, ni Idée, ni h mais seulement une matičre indéterminée : des atomes pour Démocrite ou, pour dautres, des principes matériels de ce genre. Contre ces philosophes on lit dans lEvangile : DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE, de qui, et non du hasard, les choses ont reçu leur principe.
Quant ŕ Platon, il a fait des Idées de toutes les choses réalisées des Etres séparés, subsistant dans leurs propres n et par la participation desquels les réalités matérielles existaient. Pour lui, par exemple, cest par "lIdée" dhomme, "Idée" séparée quil appelait "lHomme-en-soi", que les hommes étaient. Aussi, pour éviter que lIdée par laquelle toutes choses ont été faites, tu ne la comprennes comme une Idée séparée de Dieu, comme le soutenait Platon, lEvangéliste a ajouté : ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU.
Dautres Platoniciens, comme le rapporte Jean Chrysostome, imaginaient un Dieu Pčre, suréminent et premier, et plaçaient au-dessous de Lui une Intelligence dans laquelle ils disaient quétaient les Similitudes et les Idées de toutes les choses. Pour empęcher donc une [1-2] telle interprétation, selon laquelle le Verbe serait auprčs du Pčre mais en dessous de Lui, et moindre que Lui, lEvangéliste a ajouté : ET LE VERBE ETAIT DIEU.
Quant ŕ Aristote, il a bien
placé en Dieu les Idées de toutes les choses et affirmé quen Dieu
lintelligence, celui dont lintelligence est en acte et ce qui est saisi par
lintelligence ne font quun. Cependant il a dit que le monde était coéternel ŕ
Dieu. Contre cette opinion nous avons la parole de lEvangéliste : IL,
cest-ŕ-dire le Verbe, ETAIT AUPRES DE DIEU, de telle sorte que ce IL nexclut
pas une autre Personne mais une autre nature coéternelle.
66. Remarquons encore dans
ces affirmations de Jean une différence entre cet Evangéliste et les autres :
il commence son Evangile dune maničre plus élevée. En effet, ils ont annoncé
le Christ Fils de Dieu, né dans le temps : Comme Jésus était né ŕ Bethléem... 72. Jean, lui,
affirme quIl a existé de toute éternité : DANS LE PRINCIPE ETAIT LE VERBE 73. Les autres rapportent son
apparition subite parmi les hommes : Maintenant, ô Maître souverain, tu peux
laisser sen aller ton serviteur en paix, selon ta parole, car mes yeux ont vu
ton salut que tu as préparé ŕ la face de tous les peuples, lumičre pour
éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël. Mais Jean dit quIl a
toujours été auprčs du Pčre : ET LE VERBE ETAIT AUPRES DE DIEU. Les autres
lappellent homme : Les foules glorifičrent Dieu qui avait donné un tel pouvoir
aux hommes 75. Mais Jean affirme que Jésus est Dieu : ET LE VERBE ETAIT DIEU. Les
autres ont dit quIl avait vécu au milieu des hommes : Tandis que les disciples
se trouvaient en Galilée, Jésus leur dit... 76. Mais Jean
affirme quIl a toujours été auprčs du Pčre : IL ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES
DE DIEU.
67. Remarquons enfin que
lEvangéliste répčte ŕ dessein quatre fois ce verbe ETAIT pour montrer que le
Verbe de Dieu transcende tous les temps, présent, passé et futur, autrement dit
quIl est au-delŕ du temps, passé, présent ou futur, comme le dit la Glose sur
ce passage.
72. Mt 2, 1.
73. Cf. ORIGČNE, 1, § 21, p. 69; et SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
Ioannem hom., 3; PG 59, col. 44.
74. Luc 2, 29-32.
75. Mt 9, 8.
71. Cf. ci-dessus, note 62.
68. Aprčs nous avoir parlé de lętre et de la nature du Verbe divin, autant quil est possible de les exprimer, l'Evangéliste poursuit en montrant sa puissance et son opération : sa puissance dabord ŕ légard de tout ce qui vient ŕ lętre [c'est lobjet de cette leçon], puis spécialement ŕ légard des hommes [ce sera lobjet de la suivante : n° 95].
Sur la puissance du Verbe ŕ légard de tout ce qui vient ŕ lętre, Jean se sert de trois propositions que nous ne ponctuons pas pour le moment puisquil faudra les séparer selon les diverses maničres de les comprendre.
I
TOUT
A ETE FAIT PAR LUI
69. LEvangéliste introduit cette premičre affirmation pour montrer trois choses au sujet du Verbe de Dieu.
En premier lieu, selon Chrysostome In Ioanneni hom., 5, ch. 3, PG 59, col. 56, légalité du Verbe avec le Pčre. Comme nous lavons dit plus haut Mt 17, 22, Jean avait exclu lerreur dArius en montrant la coéternité du Fils et du Pčre, par ces paroles : IL ETAIT DANS LE PRINCIPE AUPRES DE DIEU. Il exclut ici la męme erreur, mais cette fois en montrant la toute-puissance du Fils, en disant : TOUT A ETE FAIT PAR LUI En effet, ętre le principe de tout ce qui a été fait, cest le propre du Dieu grand et tout-puissant. Tout ce que le Seigneur a voulu, Il la fait au ciel et sur la terre 3. Donc le Verbe, par qui tout a été fait, est "le grand Dieu", égal au Pčre.
70. En second lieu, selon
Hilaire 4, laffirmation de lEvangéliste montre la coéternité du Verbe avec le
Pčre. En effet, parce que Jean a dit précédemment AU COMMENCEMENT ETAIT LE
VERBE, on pourrait dire quIl a été au commencement des créatures et que
cependant il y a eu un temps, avant les créatures, oů le Verbe nétait pas.
Cest pour exclure cette interprétation que lEvangéliste a dit : TOUT A ETE
FAIT PAR LUI Si tout [été fait par le Verbe], le temps aussi a été fait par lui. Doů largument : si tout temps a
été fait par Lui, aucun temps na été avant Lui, et Lui-męme na pas été dans
un temps ni na commencé dętre dans un sičcle; Il a donc été, de toute
éternité, coéternel au Pčre.
71. En troisičme lieu, selon Augustin 5, laffirmation de lEvangéliste montre la consubstantialité du Verbe avec le Pčre. En effet, si TOUT A ETE FAIT par le Verbe, on ne peut dire que le Verbe Lui-męme ait été fait : car sIl a été fait, il faut quIl ait été fait par un Verbe, puisque TOUT A ETE FAIT par le Verbe. Il faut donc quil y ait un autre Verbe, par lequel le Verbe dont nous parlons, ait été fait. Mais ce Verbe-lŕ, par qui celui ci a été fait, je dis quIl est le Fils unique de Dieu par qui TOUT A ETE FAIT; or si ce Verbe, par qui TOUT
A ETE FAIT, na pas été fait, Il nest pas une créature; et sIl nest pas une créature, il est nécessaire de dire quIl est de la męme substance que le Pčre, puisque toute substance, excepté lessence divine, a été faite. En effet, une substance qui nest pas une créature, est Dieu. Donc le Verbe par qui TOUT A ETE FAIT est consubstantiel au Pčre, puisquIl na pas été fait et nest pas une créature.
3. Ps 134, 6.
4. De Trin., 2, ch. 17, PL 10, col. 62.
5. De Trin., 1, ch. 6, § 9; BA 15, p. 109.
72. Par laffirmation de
l'Evangéliste : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, nous connaissons donc légalité du
Verbe avec le Pčre, selon Chrysostome; sa coéternité, selon Hilaire; et sa
consubstantialité, selon Augustin.
73. Il faut ici prendre garde ŕ trois erreurs. En premier lieu, lerreur de Valentin. Ces paroles de lEvangéliste : TOUT A ETE FAIT PAR LE VERBE, furent comprises par Valentin comme si le Verbe avait été pour le Créateur la cause pour laquelle Il aurait créé le monde, de telle sorte que tout serait dit fait par le Verbe, comme si le fait que le Créateur de ce monde visible ait créé ce monde, venait du Verbe. Il semble du reste que cela revienne ŕ lopinion de ceux qui affirmaient que Dieu a fait le monde pour une cause qui lui est extérieure; ce qui contredit lEcriture : LE SEIGNEUR A FAIT TOUTES CHOSES POUR LUI-MEME 6. Mais [ce que dit Valentin ici] est faux. En effet, comme le dit Origčne, si le Verbe avait été pour le Créateur une cause lui donnant matičre ŕ créer le monde, l'Evangéliste naurait pas dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, mais ŕ linverse : "Tout a été fait par le Créateur ŕ cause du Verbe."
6. Prov 16, 4.
7. Sur saint Jean, 2, § 75, p. 257.
74. Il faut, en second
lieu, éviter lerreur dOrigčne 7 qui, en lisant TOUT A
ETE FAIT PAR LUI, comprend que lEsprit aussi est du nombre de toutes ces
réalités faites par le Verbe, doů il suit, et cest ce que dit aussi Origčne,
que lEsprit Saint est Lui-męme une créature. Cela est hérétique. LEsprit
Saint, en effet, a la męme gloire, la męme substance et la męme dignité que le
Pčre et le Fils : De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au
nom du Pčre et du Fils et du Saint Esprit; et : Ils sont trois qui rendent
témoignage dans le ciel, le Pčre, le Verbe et lEprit Saint, et ces trois sont
un 8. Donc, lorsque lEvangéliste dit TOUT A ETE FAIT PAR LUI, par ce mot
TOUT, il ne faut pas comprendre : TOUT absolument A ETE FAIT PAR LUI, mais
seulement ce qui appartient au genre des créatures, des réalités faites. Cest
comme si Jean disait : TOUT ce qui a été fait A ETE FAIT PAR LUI Autrement,
si on comprend "tout" dune maničre absolue, le Pčre aussi aurait été
fait par Lui, ce qui est faux. Donc, ni le Pčre, ni ce, qui est consubstantiel
au Pčre, na été fait par le Verbe.
75. Il faut encore éviter une autre erreur du męme Origčne 9. Tout, a-t-il prétendu, a été fait PAR le Verbe, ŕ la façon dont une chose est faite par quelquun de supérieur au moyen dun autre qui lui est inférieur, comme si le Fils par qui TOUT A ETE FAIT était inférieur au Pčre, et son instrument. Mais cela est faux et nest męme pas cohérent, parce que dans lEcriture nous lisons, non seulement que certaines choses ont été faites par le Fils, mais encore par le Pčre. LApôtre dit en effet [en parlant du Pčre] : Dieu est fidčle, par qui vous avez été appelés ŕ la communion de son Fils 10. Si donc nous avons été appelés par le Pčre ŕ la communion de son Fils et si celui par qui quelque chose est fait a un agent qui lui est supérieur, le Pčre aussi aura donc quelquun qui lui sera supérieur. Or cela est faux. Donc il est faux que le Fils par qui TOUT A ETE FAIT soit moindre que le Pčre.
8. Mt 28, 19 et 1 Jean 5, 7.
9. Sur saint Jean, 2, § 72, pp. 251-253.
10. 1 Corinthiens 1, 9.
76. Pour rendre cette vérité plus manifeste, il faut savoir ceci : quand on dit que "quelque chose est fait par quelquun", la préposition par implique indirectement une causalité qui a rapport ŕ lopération, mais de diverses maničres. En effet, puisque lopération, selon notre maničre de la saisir, est intermédiaire entre celui qui opčre et ce qui est opéré par exemple, lorsque je dis : le bâtisseur bâtit par la hache, lopération est regardée comme intermédiaire entre celui qui opčre et ce qui est opéré , lopération peut ętre considérée de deux maničres : soit comme provenant de celui qui opčre, soit comme se terminant ŕ ce qui est opéré. La préposition par signifie donc la cause de lopération tantôt en tant quelle provient de celui qui opčre, tan tôt en tant quelle se termine ŕ ce qui est opéré.
La préposition par signifie la cause de lopération en tant quelle provient de celui qui opčre, quand ce qui est ainsi désigné par cette proposition est, pour celui qui opčre, cause efficiente ou cause formelle quil opčre. Cause formelle : par exemple, puisque le feu chauffe par la chaleur, la chaleur est cause formelle du feu, en ce sens quelle est ce par quoi le feu chauffe. Cause motrice, ou efficiente : par exemple, si je dis que le bailli opčre par le roi, le roi est pour le bailli cause efficiente de son action. Cest ainsi que Valentin a compris TOUT A ETE FAIT PAR LUI, comme si le Verbe était pour le Créateur cause de laction par laquelle Il crée toutes choses.
La préposition par désigne la causalité de lopération en tant quelle se termine ŕ son effet, quand ce qui est signifié par la causalité elle-męme nest pas cause pour lopérant de son opération, mais cause de lopération en tant quelle se termine ŕ leffet. Par exemple, lorsque je dis : "le menuisier fait le banc par la hache", celle-ci nest pas cause, pour le menuisier, quil opčre, mais elle est plutôt cause de ce que le banc est fait par louvrier.
Donc, lorsque Jean dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, si la préposition PAR indique la cause efficiente qui meut le Pčre ŕ opérer, il faut dire que le Pčre ne fait rien PAR le Fils, mais quIl fait tout par Lui-męme, comme nous lavons dit. Si au contraire la préposition PAR indique la cause formelle, alors, puisquIl opčre par sa sagesse, qui est son essence, le Pčre opčre par sa sagesse comme Il opčre par son essence; et puisque la sagesse et la puissance du Pčre sont attribuées au Fils lEcriture dit en effet que le Christ est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu 11 nous disons par mode dappropriation que le Pčre fait toutes choses PAR le Fils, cest-ŕ-dire par sa sagesse. Cest la raison pour laquelle, ŕ propos du texte : Cest de Dieu, par Lui et en Lui que sont toutes choses 12, Augustin dit que "De qui sont toutes choses", "par qui sont toutes choses" et "en qui sont toutes choses" sont appropriés aux trois Personnes, cest-ŕ-dire respectivement au Pčre, au Fils et ŕ lEsprit 13. Cependant, si la pré position PAR désigne la causalité du côté de ce qui est opéré, alors, lorsque nous disons que le Pčre fait tout le Fils, nous ne disons pas cela du Verbe par appropriation, mais au sens propre, car si le Verbe est cause des créatures, Il le tient dun autre, cest-ŕ-dire du Pčre de qui Il reçoit lętre. Il ne sensuit pas pour autant que le Fils soit linstrument du Pčre, bien que tout ce qui est mű par un autre pour faire quelque chose ait, dune façon générale, ce quil faut pour ętre comme un instrument. En effet, dire que quelquun agit par une puissance reçue dun autre peut se comprendre de deux façons. On peut entendre par lŕ que la puissance de celui qui reçoit est absolument la męme que la puissance de celui qui donne; et de cette maničre celui qui opčre par la puissance reçue dun autre nest pas inférieur, mais égal ŕ celui dont il la reçoit. Donc, parce que le Pčre donne au Fils la puissance męme quIl possčde et par laquelle le Fils agit, quand nous disons que le Pčre agit PAR le Fils, il ne faut pas pour cela en conclure que le Fils soit inférieur au Pčre, ni quIl soit son instrument comme lest celui qui reçoit dun autre, non la męme puissance, mais une puissance autre et causée. Ainsi, il est donc évident que lEsprit Saint na pas été fait, que le Fils nest pas pour le Créateur cause quIl opčre, et quIl nest du Pčre ni le ministre ni linstrument, comme le disait Origčne 14
11. 1 Corinthiens 1, 24.
12. Ro 11, 36.
13. Cf. De Trin., 6, ch. 10, n° 12, BA 15, p. 501; Contra Maximin.,
2, ch. 23, n" 4, PL 42, col. 800.
77. A bien considérer les paroles citées précédemment : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, il apparaît avec évidence que lEvangéliste sest exprimé dans les termes les plus propres. En effet, quiconque fait une chose doit la concevoir dabord dans sa sagesse. Car jamais quelquun ne ferait quelque chose si ne préexistait une conception actuelle de sa sagesse qui soit forme et idée de la réalité faite; par exemple, la forme du coffre préconçue dans lesprit de lartiste est lidée du coffre qui sera réalisé 15, Ainsi donc Dieu ne fait rien, si ce nest par ce que conçoit son intelligence et qui est la Sagesse conçue de toute éternité, cest-ŕ-dire le Verbe de Dieu et Fils de Dieu; cest pourquoi il lui est impossible de faire quelque chose si ce nest par son Fils. Cest ce qui fait dire ŕ Augustin 16 que le Verbe est "lIdée contenant parfaitement ce que sont les ętres vivants". Ainsi tout ce que le Pčre fait, A ETE FAIT PAR LUI
14. Sur saint Jean, 2, § 104, p. 275.
15. Voir Tract, in Johannis Evangelium, 1, 17; trad. M. -F. Berrouard,
Homélies sur lEvangile de saint Jean, Bibliothčque Augustinienne vol. 71,
Desclée De Brouwer 1969, pp. 163-165. Nous renverrons ŕ cette traduction sous
labréviation Tract. tn Jo.
16. De Trin., 6, 10, n° 11, BA 15, p. 497.
78. Il faut remarquer, selon Chrysostome 17, que tout ce que Moďse énumčre en de nombreuses paroles sur la production des réalités par Dieu, en disant : Dieu dit : Que la lumičre soit, et la lumičre fut (...) Quil y ait un firmament au milieu des eaux (...) Que les eaux samassent en une seule masse... 18, l'Evangéliste, allant bien au-delŕ, lembrasse dans cette parole : TOUT A ETE FAIT PAR LUI La raison en est que Moďse, voulant enseigner lémanation des créatures ŕ partir de Dieu, les énumčre une ŕ une. Mais Jean, se hâtant vers un sujet plus élevé, veut dans ce livre nous mener spécialement ŕ la connaissance du Créateur Lui-męme.
II
[3b]
SANS LUI RIEN NA ETE FAIT.
79. L énonce ici sa seconde
affirmation [concernant la puissance du Verbe]. Certains, comme le dit
Augustin 19, lont mal comprise. En effet, ŕ cause de la construction utilisée ici
par Jean, plaçant le mot RIEN [NIHIL] en fin de phrase [IPSO FACTUM EST NIHIL], ils ont cru que le
mot RIEN était pris affirmativement, comme si RIEN était quelque chose qui
aurait été fait sans le Verbe. Aussi ont-ils prétendu que lEvangéliste avait
mis ce membre de phrase pour exclure quelque chose qui naurait donc pas été
fait par le Verbe. De sorte que, daprčs eux, lEvangéliste, aprčs avoir dit :
TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute : SANS LUI RIEN NA ETE FAIT, comme pour dire :
"en affirmant que TOUTES CHOSES ONT ETE FAITES PAR LUI, je veux
cependant dire que sans Lui quelque chose a été fait, ŕ savoir le RIEN
lui-męme."
80. De lŕ proviennent trois hérésies. Dabord celle de Valentin 20 qui, selon Origčne 21 admet plusieurs principes et affirme que de ces principes procčdent trente sičcles. Valentin soutient en effet quil y a deux premiers principes : lAbîme, quil appelle Dieu le Pčre, et le Silence. De ces deux principes procédčrent dix sičcles. De lAbîme et du Silence viennent deux autres principes : lIntelligence et la Vérité, doů procédčrent huit sičcles. Et de lIntelligence et de la Vérité viennent encore deux autres principes : le Verbe et la Vie, doů procédčrent douze sičcles, ce qui fait donc en tout trente. Or, du Verbe et de la Vie procédčrent, daprčs lui, lhomme-Christ et l'Eglise. Ainsi donc, selon Valentin, il sest écoulé de nombreux sičcles avant que le Verbe soit "dit". Voilŕ pourquoi il explique : Comme l'Evangéliste avait affirmé TOUT A ETE FAIT PAR LUI, pour quon ne comprît pas que les sičcles précédents auraient été faits par le Verbe, il ajoute ET SANS LUI [LE] RIEN A ETE FAIT, cest-ŕ-dire tous les sičcles qui préexistent et ce qui les a remplis. LEvangéliste les nomme RIEN, parce quils dépassent notre raison et que notre intelligence ne peut saisir ce quils sont.
17. In Ioannem hom., 5, eh. 1, PG 59,
col. 53.
18. Gn 1, 3-9.
19. De Natura boni contra Manichaeos, ch. 25,
PL 42, col. 559.
20. Valentin est un théologien et un mystique, originaire
dEgypte, venu ŕ Rome vers les années 140. Sa doctrine propre, difficile ŕ
déterminer, se rattache au gnosticisme archaďque des Séthiens. Cest une
doctrine" trčs cohérente dans ses grandes lignes et cest le génie de
Valentin davoir été lauteur de cette conception. Par lui la gnose séthienne,
qui nétait quune des formes du gnosticisme judéo-chrétien, est devenue une
puissante synthčse. Les éléments essentiels sont ceux-ci : transcendance
absolue du Pčre et de sa pensée (ennoia), production du plérôme des éons, au
nombre de trente, dont le dernier est Sophia; recherche du Pčre par Sophia; ce
désir devient le principe du monde den bas oů des éléments spirituels sont
emprisonnés; envoi du Seigneur qui apporte la gnose grâce ŕ laquelle les
spirituels sont sauvés" (cf. J. DANIÉL0u et H. MARROU, Nouvelle Histoire
de lEglise, Seuil, Paris 1963, t. I, p. 130.).
21. Voir Sur saint Jean, 2, § 155, p. 309. Voir aussi SAINT
IRÉNÉE, Adversus Haereses I, 11, 1, éd. A. Rousseau et L. Doutreleau, coli. Sources
chrétiennes 264, Le Cerf 1979, pp. 167-171. Voir aussi I, 1, 1, pp. 29 ss.
81. Le fait de donner au
mot RIEN, dans le texte de Jean, un sens positif, a engendré une seconde erreur
celle des Manichéens 22, qui admettaient deux principes contraires, un pour les réalités
corruptibles et un autre pour les incorruptibles. Ils disaient donc que, aprčs
avoir dit TOUT A ETE FAIT PAR LUI, Jean, pour que lon ne risque pas de
comprendre que le Verbe serait cause des réalités corruptibles lesquelles [eux] proviennent dun
principe contraire a ajouté ET SANS [LE] LUI RIEN, cest-ŕ-dire les réalités
corruptibles, A ETE FAIT, comme pour dire : Tout ce qui retourne au néant a été
fait sans Lui.
82. Une troisičme erreur
est commise par ceux qui prétendent que RIEN désigne le diable, selon cette
parole : Ils habitent dans la tente de leur compagnon, qui nest pas 23. Ils affirment
donc que TOUT A ETE FAIT par le Verbe, excepté le diable. Cest pourquoi,
daprčs eux, Jean a ajouté : SANS LUI A ETE FAIT [LE] RIEN, cest-ŕ-dire
le diable.
83. En fait ces trois
erreurs proviennent dune męme source, ŕ savoir que toutes trois prennent le
mot RIEN affirmativement; mais cela męme les exclut toutes trois, puisquici le
mot RIEN na pas un sens affirmatif, mais seulement négatif. SANS LUI RIEN NA
ETE FAIT signifie alors : je dis que TOUT A ETE FAIT PAR LUI de telle sorte que
SANS LUI RIEN NA ETE FAIT.
84. On objectera peut-ętre que, puisque cela pouvait se comprendre du seul fait quil avait dit TOUT A. ETE FAIT PAR LUI, cette fin de phrase négative nétait pas nécessaire : il y a donc une raison spéciale qui légitime cette addition. Selon de nombreux Pčres, il y a de multiples maničres de comprendre cette addition. En effet, selon Chrysostome 24, lEvangéliste, qui avait dit TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute SANS LUI RIEN NA ETE FAIT pour que celui qui lit lAncien Testament et ny voit énumérées par Moďse [le récit de la création] que des réalités visibles, ne croie pas que celles-ci seulement ont été faites par le Verbe. Voilŕ pourquoi lEvangéliste, aprčs avoir affirmé TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ŕ savoir tout ce que Moďse énumčre, ajoute ET SANS LUI RIEN NA ETE FAIT, pour dire : RIEN de ce qui est, que ce soit visible ou spirituel, NA ETE FAIT SANS LE VERBE. LApôtre parle de la męme maničre : Toutes choses, dit-il, ont été créées dans le Christ, au ciel et sur la terre, les visibles et les invisibles 25; lApôtre fait ici mention spéciale des réalités invisibles, parce que Moďse ne les avait pas explicitement nommées, en raison de la faiblesse et de la grossičreté de lintelligence des Juifs ŕ qui il transmettait la doctrine.
Chrysostome 26 indique encore une autre raison. A la lecture, dans les autres Evangiles, des nombreux signes et miracles accomplis par le Christ par exemple : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris 27 , on aurait pu croire, en effet, que ces paroles de l'Evangéliste : TOUT A ETE FAIT PAR LUI devaient sentendre seulement des miracles rapportés dans les autres Evangiles, et que rien dautre navait été fait par le Verbe. Pour que personne ne fasse cette supposition, lEvangéliste affirme ensuite : ET SANS LUI, RIEN NA ETE FAIT, comme pour dire : Non seulement ce que contiennent les Evangiles en fait dactes du Christ, A ETE FAIT PAR LUI, mais RIEN de ce qui a été fait NA ETE FAIT SANS LUI Ainsi, selon Chrysostome 24, lEvangéliste introduit ce petit membre de phrase pour montrer que la causalité du Verbe est totale; et ces paroles, ainsi, complčtent les précédentes : TOUT A ETE FAIT PAR LUI
23. Jb 18, 15.
24. In Ioannem hom., 5, ch. 1, PG 59,
col. 53 et 56.
25. Col 1, 16. Les Manichéens constituent une secte dorigine
paďenne mais qui, ayant fait des emprunts au christianisme, se présenta comme
une religion hérétique. Son fondateur, Mani, né en Perse en 216 et mis ŕ mort
en 277, combina" des éléments de judaďsme et de christianisme hérétique
(dans le sens du gnosticisme) avec un fond didées mazdéennes (dualistes) et
extręme-orientales (en particulier bouddhistes). Le trait principal en est un
dualisme métaphysique radical, supposant un principe bon, spirituel et
lumineux, dans une lutte sans fin avec un principe mauvais, matériel et obscur.
" Léglise manichéenne est partagée en parfaits, les ascčtes, qui
constituent seuls ŕ proprement parler lEglise, et en imparfaits, qui sont les
auditeurs ou catéchumčnes (cf. L. Bou Dictionnaire théologique, Desclée,
Tournai 1963, art. Manichéisme, p. 412).
85. Selon Hilaire 28, lEvangéliste introduit ce membre de phrase SANS LUI, RIEN NA ETE FAIT, pour montrer que le Verbe tient sa puissance créatrice dun autre. En effet, Jean ayant dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, on pourrait comprendre que le Pčre est exclu de toute causalité. LEvangéliste ajoute donc ET SANS LUI, RIEN NA ETE FAIT, pour dire : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, de telle sorte, cependant, que le Pčre a tout fait avec Lui. Les paroles SANS LUI ne signifient en effet pas autre chose que : "Il nétait pas seul". Le sens est donc le suivant : Le Verbe nest pas le seul PAR QUI TOUT A ETE FAIT, mais Il est lautre SANS qui RIEN NA ETE FAIT, autrement dit : SANS LUI, coopérant avec un autre, ŕ savoir le Pčre, RIEN NA ETE FAIT : Jétais avec Lui, réglant toutes choses 29.
26. Op. cit., col. 57.
27. Mt 11, 5.
28. De Trin., 2, eh. 18, PL 10, col. 62.
86. Dans une homélie attribuée ŕ Origčne 30, on trouve une autre explication assez belle. Nous y lisons que lŕ oů en grec il y a khoris, nous avons SANS. Or le grec khoris équivaut ŕ "en dehors" ou "hors de". Le sens des paroles de Jean est donc : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, de telle sorte quen dehors de Lui RIEN NA ETE FAIT. LEvangéliste sexprime ainsi pour mon trer que la conservation des réalités dans lętre a lieu par Lui 31. Certaines réalités, en effet, nont besoin dun agent que pour leur devenir, puisquelles peuvent subsister, aprčs avoir été faites, sans linflux de cet agent : la maison, par exemple, na besoin de lartisan que pour son devenir, mais elle persiste dans son ętre sans lin fluence de lartisan. Donc, pour quon ne croie pas que laction du Verbe sur toutes choses se limite ŕ leur devenir, sans sétendre ŕ leur conservation dans lętre, Jean a ajouté : ET SANS LUI RIEN NA ETE FAIT, cest-ŕ-dire : Rien na été fait en dehors de Lui, car Il embrasse toutes choses, en les conservant dans lętre.
29. Prov 8, 30.
30. Il sagit en réalité de Jean Scot Erigčne : Homélie sur le
Prologue de Jean, 8, PL 122, coI 288 A, trad. Ed. Jeauneau, SC n° 151, P. 241.
31. " Le Pčre soutient toutes choses par la puissance de
son Verbe" (He 1, 3).
32. Tract, in Jo., 1, 13, pp. 153 ss.
33. Sur saint Jean, 2, § 92-96, pp. 269-271.
87. Dautre part, Augustin 32, Origčne 33 et plusieurs autres, quand ils
expliquent ce verset, entendent par RIEN le péché. En effet, lorsque Jean dit :
TOUT A ETE FAIT PAR LUI, on pourrait comprendre que le péché et le mal ont été
faits par le Verbe. Cest pour quoi il a ajouté. ET [qui nest] RIEN, cest-ŕ-dire le
péché, A ETE FAIT SANS LUI Parce que ce nest pas le défaut qui provient de
lart, mais la forme. Les défauts, en effet, ne sont pas causés par lart, ils
échappent ŕ lefficacité de lart, par exemple du fait dun man que de
disposition de la matičre, ou autre chose de ce genre. Et cest pourquoi, du
Verbe, qui est lIdée contenant parfaitement ce que sont les vivants, ne pro
vient rien de désordonné ni aucun mal ou péché, qui sont non-ętre selon cette
parole de lApôtre : "Nous savons que lidole nest rien dans le monde 34". En effet
lidole, en tant quelle est péché et mal, na pas été faite par le Verbe, bien
que la forme de lidole, en tant quelle est une certaine forme, soit par le
Verbe.
88. Ainsi lEvangéliste ajoute les paroles : SANS [LE VERBE] RIEN NA ETE FAIT, pour montrer : la causalité universelle du Verbe, selon Chrysostome; luni té dopération avec le Pčre, selon Hilaire; la puissance du Verbe dans la conservation des créatures, selon Origčne; et enfin, selon Augustin, la pureté de sa causalité, parce quIl est cause de ce qui est bon, de telle sorte quIl nest pas cause du péché.
III
CE
QUI A ETE FAIT EN LUI ETAIT VIE. [4a]
89. LEvangéliste avance ici une troisičme affirmation, oů il faut éviter la fausse interprétation des Manichéens 35; ces paroles, en effet, les avaient amenés ŕ affirmer que tout ce qui existe vit : par exemple une pierre, du bois, un homme et toute autre réalité existant dans le monde. Et ils ponctuaient ainsi : CE QUI A ETE FAIT EN LUI ETAIT VIE. Or il ny a de vie que dans ce qui vit; et donc tout CE QUI A ETE FAIT EN LUI, vit. Ils prétendent aussi que dire EN LUI est la męme chose que dire PAR LUI, puisque lEcriture emploie souvent EN LUI avec le sens de PAR LUI, comme dans ce texte : En lui, cest-ŕ-dire par Lui, toutes choses ont été créées 36. Mais lexpérience męme montre que cette interprétation est fausse.
90. On peut cependant, sans commettre derreur, expliquer laffirmation de Jean de bien des maničres. Lhomélie attribuée ŕ Origčne 37 lui donne le sens suivant : CE QUI A ETE FAIT EN LUI, cest-ŕ-dire par Lui, ETAIT VIE, non pas en soi-męme, mais dans sa cause. Car toutes les réalités causées ont ceci de commun que les effets produits par la nature ou par lintelligence sont dans leur cause, non pas selon leur ętre propre, mais selon le mode dętre de leur cause en tant que cause. Ainsi, les effets produits sur la terre sont dans le soleil comme dans leur cause, non selon leur ętre propre, mais selon le mode dętre du soleil comme cause. Donc, puisque la cause de tous les effets produits par Dieu est une Vie et une Idée contenant parfaitement ce que sont les vivants, tout CE QUI A ETE FAIT EN LUI, cest-ŕ-dire par Lui, ETAIT VIE dans sa cause, ŕ savoir en Dieu męme.
35. Cf. ci-dessus n" 81, note 22.
36. Col 1, 16.
37. JEAN SCOT ERIGČNE, Homélie sur le Prologue de Jean, 9. P. L. 122, col. 288 B, trad. (SC 151), p. 243.
91. Augustin 38, lui, lit ces paroles de Jean en les ponctuant ainsi CE QUI A ETE FAIT EN LUI ETAIT VIE. En effet, on peut considérer les réalités de deux maničres : selon quelles existent en elles-męmes et selon quelles existent dans le Verbe. Si on les considčre selon quelles existent en elles-męmes, alors, toutes les réalités ne sont pas vie, ni męme vivantes; certaines manquent de vie et dautres vivent. Par exemple, la terre, les métaux ont été faits, mais ils ne sont pas vie, ni ne vivent; les animaux, les hommes ont été faits, mais en eux-męmes ils ne sont pas vie, ils vivent seulement.
Cependant, si on considčre les réalités en tant quelles sont dans le Verbe, non seulement elles sont vivantes, mais encore elles sont VIE. Car les idées qui existent de maničre spirituelle dans la Sagesse de Dieu et par lesquelles les réalités ont été faites par le Verbe, sont vie; de męme que le coffre fait par lartisan, en lui-męme certes, ne vit pas et nest pas vie, tandis que lidée du coffre qui a précédé dans lesprit de lartisan vit, dune certaine maničre, en tant quelle a un ętre intelligible dans lesprit de lartisan; et cependant elle nest pas vie, parce que lacte dintelligence de lartisan nest pas son essence, ni son ętre. Au contraire, en Dieu, lacte dintelligence est sa vie et son essence; cest nest pas son essence, ni son ętre. Au contraire, en Dieu, non seulement vit, mais est la vie elle-męme, puisque tout ce qui est en Dieu est son essence. Par suite, la créature en Dieu est lessence créatrice. Si donc on considčre les réalités selon quelles sont dans le Verbe, elles sont VIE 39.
92. Origčne 40, dans son Commentaire sur Jean, lit autrement les paroles de lEvangéliste; il les ponctue ainsi : CE QUI A ETE FAIT EN LUI ETAIT VIE. Il faut remarquer ici que certaines choses sont dites du Fils de Dieu considéré en Lui-męme : quand, par exemple, on Le dit Dieu tout-puissant et autres choses semblables; mais que dautres sont dites de Lui par rapport ŕ nous : quand, par exemple, on Le dit Sauveur et Rédempteur; enfin dautres Lui conviennent de lune et lautre façon : quand, par exemple, on Le dit Sagesse et Justice. Or, dans tout ce qui se dit du Fils considéré en Lui-męme et dune façon absolue, on ne dit pas quIl a été fait; ainsi on naffirme pas : le Fils a été fait Dieu, ou tout-puissant. Mais dans tout ce qui se dit de Lui par rapport ŕ nous, ou de lune et lautre maničre, on peut ajouter le terme fait; ainsi Paul écrit : Lui, le Christ Jésus, a été fait pour nous, de par Dieu, sages se, justification, sanctification et rédemption 41. Ainsi, bien quIl ait toujours été en Lui-męme Sagesse et Justice, on peut cependant dire que, dune nouvelle maničre, Il a été fait pour nous Justice et Sagesse. Daprčs ce que nous venons de dire, Origčne 42 explique ainsi les paroles de lEvangéliste : Le Verbe, bien quil soit vie en Lui-męme, a été fait cependant vie pour nous, du fait quIl nous a vivifiés, conformément ŕ ces paroles : De męme que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ 43. Cest pourquoi lEvangéliste dit : Ce Verbe qui pour nous a été fait vie, ETAIT LA VIE en Lui-męme, précisément afin quun jour Il devînt vie pour nous. Aussi ajoute-t-il tout de suite : Et la vie était la lumičre des hommes.
38. Tract. in J 1, 17, BA 71, pp. 163. 165.
39. On trouve cette interprétation chez Hilaire (De Trin., 1, ch.
9, PL 10, col 31 et 63), Ambroise et Gaudeutius de Brescja (Tract. XIX; PL 20,
col. 987), Clément dAlexandrie (Pédag., 1, ch. 6, § 27, 1; 2, eh. 9, § 79, 3;
SC 70, p. 160; SC 108, p. 158), et Origčne (, 2, ch. 19, § 132, P. 295).
40Sur saint Jean, 2, ch. 16, § 114, pp. 283-285.
41. 1 Corinthiens 1, 30.
42. Op. cit., 3, § 128, SC 120, p. 293
93. Quant ŕ Hilaire 44, il ponctue ce passage ainsi ET SANS LUI RIEN NA ET. E FAIT, QUI NAIT ETE FAIT EN LUI, pour dire ensuite IL ETAIT LA VIE. Comme il le dit en effet, les paroles SANS LUI RIEN NA ETE FAIT pourraient susciter le doute suivant outre ce qui a été fait par le Verbe, peut-ętre certaines choses nont pas été faites PAR Lui, bien quelles naient pas été faites SANS Lui; mais pour ces choses, Il sest associé ŕ Celui qui les a faites. Jean aurait alors ajouté ET SANS LUI RIEN NA ETE FAIT, pour corriger les paroles précédentes : TOUTES CHOSES ONT ETE FAITES PAR LUI Pour écarter cette ambiguďté, lEvangéliste, aprčs avoir dit : TOUT A ETE FAIT PAR LUI, ajoute donc : ET SANS LUI RIEN NA ETE FAIT, qui cependant NAIT ETE FAIT EN LUI, cest-ŕ-dire par Lui; et la raison en est quIl ETAIT LA VIE.
Il est manifeste en effet, daprčs cette interprétation, que Jean dit : TOUT A ETE FAIT PAR [LE VERBE], en tant que le Verbe procédant du Pčre est Dieu. Supposons quun pčre ait un fils qui ne soit pas parfaitement capable dagir en homme, mais le devienne peu ŕ peu; il est clair que le pčre fera bien des choses, non par son fils lui-męme, mais pas non plus sans lui. Donc, parce que le Fils de Dieu a de toute éternité, du fait quIl est Fils, la vie parfaite, la męme que le Pčre Comme le Pčre a la vie en Lui-męme, ainsi Il a donné au Fils davoir la vie en Lui-męme 45 on ne peut dire que Dieu le Pčre, bien quIl nait rien fait sans le Fils, ait cependant fait quelque chose sans que ce soit PAR Lui, parce quIL ETAIT LA VIE. En effet, dans la réalité vivante, il peut arriver quune vie imparfaite précčde la vie parfaite; mais pour [celui qui est] la vie par soi et dune maničre absolue, il ny a en aucune maničre une vie imparfaite antérieure. Donc, parce que le Verbe est la vie par soi, la vie en Lui ne fut jamais imparfaite, mais toujours parfaite. Cest pourquoi RIEN NA ETE FAIT SANS LUI, qui nait ETE FAIT EN LUI, cest-ŕ-dire par Lui.
43. 1 Corinthiens 15, 22.
44. De Trin., 2, eh. 20; PL 10, col. 63 B.
45. Jean 5, 26.
94. Chrysostome 46, lui, lit ce texte dune autre maničre et le ponctue ainsi : ET SANS LUI RIEN NA ETE FAIT DE CE QUI A ETE FAIT. En effet, quelquun pour rait croire que lEsprit Saint a été fait par le Verbe. Cest pourquoi, voulant exclure cela, lEvangéliste, aprčs les paroles SANS LUI RIEN NA ETE FAIT, ajoute celles-ci : DE CE QUI A ETE FAIT, car lEsprit Saint nest pas quelque chose qui ait été fait. Vient ensuite EN LUI ETAIT LA VIE. Jean ajoute ces paroles pour deux raisons.
Dabord pour montrer quaprčs la production de toutes réalités, il ny a aucune déficience dinfluence ou de causalité; et cela non seulement ŕ légard des réalités déjŕ produites, mais encore ŕ légard de celles qui doivent ętre produites. Cela revient ŕ dire EN LUI ETAIT LA VIE, une vie par laquelle non seulement Il a pu produire toutes choses, mais encore une vie 47 qui a, pour produire de façon continue les réalités, un flux sans déficience et une causalité que naffaiblit aucun changement, comme une source vive dont le flux continu ne baisse pas; tandis que leau recueillie et non vive [d'une citerne] insuffisamment alimentée, baisse et vient ŕ manquer. Voilŕ pourquoi il est écrit En toi est la source de la vie 48.
De plus, Jean dit : [LE VERBE] ETAIT LA VIE, pour montrer que le gouvernement des réalités se fait par le Verbe. En effet, par ces paroles, il fait voir que le Verbe na pas produit les réalités par une nécessité de nature, mais par la volonté et lintelligence, et quIl gouverne les réalités quIl a produites. [On lit en effet dans lEpître aux Hébreux] : La parole de Dieu est vivante 49.
Et parce que chez les Grecs lautorité de Chrysostome dans ses commentaires est telle que, lŕ oů il a expliqué un passage de l'Ecriture sainte, ils nadmettent aucune autre explication que la sienne, dans aucun livre grec on ne trouve ce texte ponctué dune autre maničre que la sienne, cest-ŕ-dire : SANS LUI RIEN NA ETE FAIT DE CE QUI A ETE FAIT.
46. In Ioannem hom., 5, eh. 2; PG 59,
coL 55-56.
47. Nous suivons ici le texte de l'éditio Marietti, en lisant
quae habet et non quod habet.
48. Ps 35, 10.
49. He 4, 12.
95. Plus haut, lEvangéliste a manifesté la puissance du Verbe en tant quelle est universellement productrice de toutes les réalités; ici, il manifeste sa puissance dans son rapport spécial aux hommes, en disant que ce Verbe est LA LUMIERE DES HOMMES.
Il nous présente dabord cette lumičre [n° 96], ensuite son rayonnement [n° 102], enfin sa participation [n° 103].
Le tout peut sinterpréter de deux maničres, soit selon le don de la lumičre naturelle, soit selon la communication de la grâce [n° 104].
I
LE
DON DE LA LUMIERE NATURELLE ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES
96. Ici, il faut dabord considérer que, selon Augustin 1 et plusieurs autres, le nom de "lumičre" se dit plus proprement des réalités spirituelles que des réalités sensibles. Pourtant Ambroise veut que la splendeur se dise métaphoriquement en Dieu. Mais cela na pas grande importance car, quelle que soit la réalité ŕ laquelle il sapplique, le nom de "lumičre" se réfčre ŕ une manifestation, que celle-ci soit dans lordre intelligible ou dans lordre sensible. Si donc on compare la manifestation intelligible et la manifestation sensible, le nom de "lumičre" se rencontre, selon lordre de nature 2, en premier lieu ŕ propos des réalités intelligibles, tandis que selon lordre génétique, cest en premier lieu ŕ propos des réalités sensibles. Et cest pourquoi, si nous considérons la nature męme de la manifestation, nous parlerons de lumičre en premier lieu dans les réalités intelligibles, plutôt que dans les réalités sensibles; mais si nous considérons notre maničre de nommer, cest linverse.
1. Tract, in Ioann., 1, 18, BA 71, pp. 165
ss. 136
97. Pour bien comprendre ces paroles : ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, il faut savoir quil y a divers degrés de vie. En effet, certains ętres comme les plantes vivent, mais sans lumičre, en ce sens quils sont dépourvus de toute connaissance; aussi leur vie nest-elle pas lumičre. Dautres au contraire, comme les animaux dépourvus de raison, vivent et connaissent; cependant leur connaissance, nétant que sensible, ne porte que sur les réalités concrčtes et matérielles, et cest pourquoi ils ont la vie et la lumičre, mais non LA LUMIERE DES HOMMES; enfin certains ętres vivent et connaissent non seulement les réalités [concrčtes qui sont] vraies, mais ce quest la vérité elle-męme. Telles sont les créatures douées dintelligence, qui non seulement connaissent telle ou telle réalité [vraie] mais sont capables de connaître la vérité elle-męme, par laquelle elles peuvent connaître toutes les réalités.
Cest pourquoi lEvangéliste,
parlant du Verbe, dit non seulement quIl est LA VIE, mais aussi quIl est LA
LUMIERE, pour que tu comprennes quen lui la vie nest pas sans connaissance;
et il ajoute DES HOMMES, pour que tu nimagines pas quil sagit seulement de
la connaissance sensible telle quelle se trouve chez les animaux dépourvus de
raison.
98. Mais puisque cette lumičre, cest-ŕ-dire le Verbe, est commune aux anges et aux hommes, il faut se demander pourquoi lEvangéliste na pas dit : "Il était la lumičre des hommes et des anges, ou des créatures douées dintelligence", mais seulement : Il ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES.
A cela on peut répondre de
deux maničres. Chrysostome 3 dit que lEvangéliste
avait lintention de nous transmettre ce que lon peut connaître du Verbe dans
son rapport au salut des hommes; cest pourquoi, étant donné son intention, il
rapporte [ce quil transmet de la connaissance du Verbe] davantage aux hommes
quaux anges. Mais pour Origčne 4, la participation de cette lumičre revient aux hommes en tant quils
ont une nature douée dintelligence; et, parce que "homme" est
le nom dune nature douée dintelligence, il veut ici, par le nom "homme",
entendre toute nature douée dintelligence. En ce sens, ET LA VIE ETAIT LA
LUMIERE DES HOMMES sentend de toute créature douée dintelligence; et cest
pourquoi lEvangéliste, en disant IL ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, a voulu dire
: de toute nature douée dintelligence.
99. Ces paroles expriment aussi la perfection et la dignité de la vie du Verbe, puisquil sagit ici de la vie de lintelligence.
En effet, puisquon appelle vivants les ętres qui se meuvent dune maničre ou dune autre, on appelle vivants parfaits ceux qui se meuvent dune maničre parfaite.
Or se mouvoir dune maničre parfaite et au sens propre nappartient, parmi les créatures inférieures, quŕ lhomme seul. Les autres en effet, męme sils se meuvent deux-męmes en vertu dun principe intrinsčque, ne se meuvent cependant pas librement : [ils se meuvent] comme mus par un autre et déterminés ŕ ceci ou ŕ cela. Mais lhomme, étant maître de ses actes, se meut librement vers tout ce quil veut; aussi a-t-il une vie parfaite, et de męme toute nature douée de raison ou dintelligence.
Donc LA VIE du Verbe, qui est LA LUMIERE de la nature douée dintelligence, est parfaite.
3. In Ioannem hom., 5, ch. 3; PG 59, col.
58.
4. Sur saint Jean, 2, § 141-143, pp. 301-303.
100. Remarquons aussi ŕ quel point convient lordre de ce début du Prologue. En effet, dans lordre naturel des réalités, nous trouvons dabord lętre, comme ce quil y a de plus commun, ensuite la vie et enfin lintelligence. Cest donc ŕ juste titre que lEvangéliste, en nous décrivant le Verbe 5, affirme dabord son ętre en disant : Dans le principe était le Verbe en second lieu sa vie : En Lui était la vie 6; enfin son intelligence : ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES.
Cest pourquoi, daprčs
Origčne 7, lEvangéliste attribue ŕ juste titre la lumičre ŕ la vie, parce que
la lumičre ne peut ętre attribuée quau vivant.
101. Il faut cependant noter que lon peut considérer la lumičre, par rapport au vivant, de deux maničres soit comme son objet, soit comme participée par lui. Cela est manifeste dans la vision sensible. Lil, en effet, connaît la lumičre extérieure comme son objet, mais il faut, pour quil la voie, quil participe ŕ une certaine lumičre intérieure qui le rende apte et le dispose ŕ voir la lumičre extérieure.
Ainsi, ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES peut ętre compris de deux maničres.
LA LUMIERE DES HOMMES peut ętre ici considérée comme lobjet que seuls les hommes peuvent regarder, parce que seule la créature douée dintelligence peut la regarder, puisquelle seule est capable de la vision divine Il nous a faits plus intelligents que les animaux de la terre, plus sages que les oiseaux du ciel 8; en effet, bien que les autres animaux connaissent les réalités [concrčtes qui sont] vraies, lhomme seul connaît ce quest la vérité elle-męme.
LA LUMIERE DES HOMMES peut encore ętre considérée comme participée. En effet, jamais nous ne pourrions contempler le Verbe Lui-męme, la lumičre elle-męme, si lhomme navait en lui une participation [ŕ cette lumičre], qui est la partie supérieure de notre âme, cest-ŕ-dire cette lumičre [qui est notre faculté] intellectuelle. Cest delle que parle le Psaume : Elle a été gravée sur nous (cest-ŕ-dire dans la partie supérieure de lâme, ŕ savoir la raison), la lumičre de ton visage 9, cest-ŕ-dire de ton Fils, qui est ta face, par laquelle tu te révčles.
5. Jean 1, la.
6. Jean 1, 4a.
7. Sur saint Jean, 2, § 153, pp. 307-309.
ET LA
LUMIERE BRILLE DANS LES TENEBRES, ET LES TENEBRES NE LONT PAS ETREINTE.
102. LEvangéliste nous a parlé plus haut de la lumičre; il traite ici de son rayonnement, et ses paroles peuvent sinterpréter de deux maničres, selon les deux acceptions du mot "ténčbres".
En premier lieu, prenons "ténčbres" au sens oů ce mot désigne lindigence naturelle propre ŕ lesprit créé. En effet lesprit est ŕ la lumičre dont parle ici lEvangéliste ce que lair est ŕ la lumičre du soleil; car bien quil soit capable dętre illuminé par le soleil, lair en lui-męme est ténčbre. De męme lesprit créé, bien quil soit capable de cette lumičre, est cependant, en tant que créé et considéré en lui-męme, ténčbre. En ce sens les paroles de lEvangéliste sentendent ainsi : LA LUMIERE, cest-ŕ-dire cette VIE QUI EST LA LUMIERE DES HOMMES, BRILLE DANS LES TENEBRES, cest-ŕ-dire dans les âmes et les esprits créés, répandant sa lumičre sur tous, comme en témoigne linterrogation de Job : Pourquoi la lumičre a-t-elle été donnée aux malheureux et la vie ŕ ceux dont lâme est remplie damertume (...), ŕ lhomme dont la route est cachée? 10
8. Jb 35, 11.
9. Ps 4, 7.
10. Jb 3, 20-23.
MAIS
LES TENEBRES NE LONT PAS ETREINTE,
Cest-ŕ-dire nont pu la
contenir. En effet, on dit que quelque chose est étreint quand on en
circonscrit parfaitement les limites et quon les embrasse totalement du
regard. Or, comme le dit Augustin, atteindre Dieu par lesprit est une grande
béatitude, mais Létreindre est impossible. Ainsi les ténčbres, bien quelles
atteignent ŕ la lumičre, ne peuvent cependant létreindre Oui, Dieu est
grand, Il surpasse notre science 11; Tu es grand dans tes conseils et incompréhensible dans tes pensées 12.
103. En second lieu, on peut prendre "ténčbres" au sens oů, selon Augustin, ce terme désigne la folie qui affecte naturellement 13 les hommes Jai vu que la sagesse a autant davantages sur la folie que la lumičre sur les ténčbres 14, On est fou, insensé, du fait que lon est privé de la sagesse divine.
De męme, donc, que les esprits des sages sont lumineux en raison de leur participation ŕ cette lumičre et sagesse divine, de męme les esprits sont ténčbres du fait quils en sont privés. Si donc certains esprits sont ténébreux, cela nest pas dű ŕ une indigence de la part de cette lumičre car, pour ce qui la concerne, elle BRILLE DANS LES TENEBRES et illumine tous les esprits; mais si les insensés sont privés de cette lumičre, cest parce que LES TENEBRES NE LONT PAS ETREINTE, cest-ŕ-dire [les insensés] ne lont pas saisie, incapables quils étaient, ŕ cause de leur folie, de participer ŕ elle, ou plutôt parce que, une fois élevés jusque-lŕ, ils nen ont eu cure A ceux quenfle la démesure, cest-ŕ-dire aux orgueilleux, Il cache la lumičre, cest-ŕ-dire la lumičre de sagesse, et Il annonce ŕ son ami que la lumičre est son partage et quil peut sélever vers elle 15; Ils nont pas connu la voie de la sagesse et ne se sont pas souvenu de ses sentiers 16, Cependant, bien que certains esprits soient ténébreux, cest-ŕ-dire privés de la sagesse savoureuse et lumineuse, aucun pourtant nest ténébreux au point de ne participer en rien ŕ la lumičre divine. En effet, toute vérité connue par qui que ce soit est due totalement ŕ la participation de cette LUMIERE QUI BRILLE DANS LES TENEBRES; car "tout vrai, quel que soit celui qui le dise, vient du Saint-Esprit" 17, Et cependant LES TENEBRES cest-ŕ-dire les hommes ténébreux, NE LONT PAS ETREINTE comme vérité pléničre.
Cest ainsi quOrigčne 18 et Augustin 19 interprčte ce verset.
11. Jb 36, 26.
12. Jérémie 32, 19.
13. Tract, in J 1, 19; BA 71, pp. 167. 169. Il ne sagit pas ici de la nature prise comme telle, mais
de létat de corruption qui affecte naturellement lhomme en raison du péché
originel. On peut donc dire que lhomme est naturellement insipiens en raison
de cet état de corruption, conséquence du péché. Cela est tout ŕ fait évident
si lon se réfčre au texte de saint Augustin.
14. Qo 2, 13.
15. Jb 36, 32-33. Cf. ci-dessus, n° 11, note 41.
16. Bar 3, 23.
17. Pierre LOMBARD, Collect. in Epist. Pauli
(Glossa), In 1 Co; PL 191, col. 1651 A; Cf. PSETJDO-AMBROISE, Super 1 Co, 12,
3; PL 17, col. 245 B.
18. Sur saint Jean, 2, § 160, p. 315.
19. Tract, in J 1, 19, p. 168.
II
LE
DON DE LA GRÂCE
104. On peut encore entendre ces versets comme exprimant la communication de la grâce par laquelle le Christ illumine, et cela est en continuité avec ce que disait précédemment l'Evangéliste. En effet, celui-ci a parlé plus haut de la création par le Verbe; ici il traite de la re-création, par le Christ, de la créature douée dintelligence.
[4b]
ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES
ET LA VIE, celle du Verbe, ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, de tous les hommes et non seulement des Juifs, car le Fils de Dieu assumant la chair est venu dans le monde pour illuminer tous {les hommes] pour autant que cela dépendait de Lui par la grâce et la vérité Si je suis né et si je suis venu dans le monde, cest pour rendre témoignage ŕ la vérité 20; Tant que je suis dans le monde, je suis la lumičre du monde 21. Cest pourquoi Jean ne dit pas "la lumičre des Juifs" parce que, bien quau début Il ait été seulement connu en Judée 22, par la suite cependant Il se fit connaître au monde entier Je tai donné comme lumičre aux nations pour que tu sois mon salut jus quaux extrémités de la terre 23.
Cest encore ŕ juste titre quil unit la lumičre et la vie en disant ET LA VIE ETAIT LA LUMIERE DES HOMMES, pour montrer que lune et lautre, la lumičre et la vie, nous sont venues par le Christ : la vie, par la participation ŕ la grâce La grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ 24 ; la lumičre, par la con naissance de la vérité et de la sagesse.
20. Jean 18, 37.
21. Jean 9, 5.
22. Ps 75, 2.
23. Isaďe 49, 6.
ET LA
LUMIERE BRILLE DANS LES TENEBRES, ET LES TENEBRES NE LONT PAS ETREINTE.
105. Ces paroles peuvent, selon cette interprétation, sentendre de trois maničres, suivant les trois acceptions possibles du mot "ténčbres".
Les "ténčbres" peuvent signifier la peine. En effet on peut appeler "ténčbres" toute tristesse et toute affliction du cur, et "lumičre" toute joie Si je suis assis dans les ténčbres 25, cest-ŕ-dire dans laffliction, le Seigneur est ma lumičre, cest-ŕ-dire ma joie et ma consolation.
Cest pourquoi, suivant cette
acception, Origčne dit que LA LUMIERE qui BRILLE DANS LES TENEBRES, cest le
Christ qui vient dans le monde avec un corps capable de souffrir et exempt de
péché, dans une chair semblable ŕ celle du péché 26; Il a brillé
dans la chair, cette chair du Christ qui, en tant quelle est semblable ŕ celle
du péché, est dite ténčbres. Ainsi, la lumičre qui a brillé dans le monde,
cest le Verbe de Dieu caché par le voile 27 des ténčbres de la chair Je cacherai le soleil par des nuages 28.
106. En un second sens, les "ténčbres" peuvent signifier les démons, selon lEpître aux Ephésiens : Nous navons pas ŕ lutter contre la chair et la sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les dominations de ce monde de ténčbres 29. Suivant cette acception lEvangéliste dit : LA LUMIERE BRILLE DANS LES TENEBRES, autrement dit le Fils de Dieu est descendu dans le monde oů dominaient les ténčbres, cest-ŕ-dire les démons Cest maintenant que le prince de ce monde va ętre jeté dehors 30. ET LES TENEBRES les démons NE LONT PAS ETREINTE, cest-ŕ-dire quils nont pu obscurcir la lumičre, le Christ, en Le tentant, comme on peut le voir en saint Matthieu 31.
24. Jean 1, 17.
25. Mic 7, 8.
26. Ro 8, 3.
27. He 10, 20.
28. Ez 32, 7.
107. Enfin les "ténčbres" peuvent signifier les erreurs ou les ignorances dont le monde entier était rempli avant la venue du Christ, comme le dit lApôtre : Autrefois vous étiez ténčbres 32.
Il dit donc : LA LUMIERE, cest-ŕ-dire le Verbe de Dieu incarné, BRILLE DANS LES TENEBRES, cest-ŕ-dire dans le monde, qui désigne ici les hommes du monde obscurcis par les ténčbres de lerreur et de lignorance Il est venu nous visiter den haut, le soleil levant, pour illuminer ceux qui sont assis dans les ténčbres et lombre de la mort 33. Le peuple qui marchait dans les ténčbres a vu une grande lumičre 34.
ET LES TENEBRES NE LONT PAS ETREINTE, cest-ŕ-dire nen ont pas été victorieuses. En effet, aussi loin que soient allés les hommes, obscurcis par leurs péchés, aveuglés par la jalousie, enténébrés par lorgueil, dans leur combat contre le Christ (comme on peut le voir dans lEvangile), en Le chargeant dopprobre, en Le couvrant dinjures et daffronts et enfin en Le tuant, cependant ils NE LONT PAS ETREINT, cest-ŕ-dire ils ne Lont pas vaincu en obscurcissant sa lumičre, et son éclat nen a que brillé davantage dans le monde entier Comparée ŕ la lumičre [la Sagesse] lemporte sur elle, car la lumičre fait place ŕ la nuit, mais la malice, cest-ŕ-dire celle des Juifs et des hérétiques, ne prévaut pas contre la Sagesse 35, cest-ŕ-dire le Fils de Dieu incarné; car, comme il est dit au livre de la Sagesse, Un rude combat lui a été ménagé, pour quil vainquît et quil sűt que la Sagesse est plus puissante que tout 36.
29. Eph. 6, 12.
30. Jean 12, 31.
31. Mt 4, 1-11.
32. Eph 5, 8.
33. Le 1, 78-79.
34. Isaďe 9, 2.
35. Sag 7, 30.
36. Sag 10, 12.
108. Plus haut, lEvangéliste a traité de la divinité du Verbe [n° 1 ŕ 3]; il commence maintenant ŕ traiter de son Incarnation. A ce sujet, il parle dabord du témoin du Verbe incarné, cest-ŕ-dire du Précurseur [c'est lobjet de la présente leçon]; il parlera ensuite de lavčnement du Verbe, quand il dira : Il était la lumičre, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde [n° 124]. Jean décrit en premier lieu le Précurseur comme venant pour témoigner; en second lieu il le montre comme ne suffisant pas ŕ sauver [n° 122].
I
[6-7]
IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU; SON NOM ETAIT JEAN. IL VINT COMME TEMOIN,
POUR REN DRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI
LEvangéliste fait connaître
le Précurseur sous quatre aspects : il précise la condition de sa nature : IL Y
EUT UN HOMME; son autorité : ENVOYE DE DIEU [n° 111]; son aptitude ŕ
accomplir sa mission : SON NOM ETAIT JEAN [n° 114]; enfin la dignité de
cette mission : CELUI-CI VINT COMME TEMOIN, POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE,
AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI [n°
115].
109. Remarquons tout dabord que l'Evangéliste na plus la męme façon de sexprimer dčs quil commence ŕ parler dun événement qui se passe dans le temps. En effet, jusquici, parlant des réalités éternelles, il employait le verbe ętre ŕ limparfait; il montrait par lŕ que léternité est sans terme; mais maintenant, puisquil parle des réalités temporelles, il emploie le verbe ętre au passé simple, pour montrer quelles ont eu lieu de telle sorte quelles sont terminées.
IL Y
EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU
110. LEvangéliste commence
ici par écarter une fausse opinion des hérétiques sur la condition ou la nature
de Jean. A cause de la parole du Seigneur ŕ son sujet : Cest de lui qui est
écrit : Voici que jenvoie mon ange devant ta face 1, ils pensčrent
que Jean était de nature angélique. Ce quexclut l'Evangéliste en disant : IL Y
EUT UN HOMME par nature et non un ange On sait ce quest un homme : il ne
peut sattaquer en justice ŕ plus fort que lui 2. Du reste, il
convient que ce soit un homme quon envoie ŕ des hommes, car ceux-ci sont
davantage attirés par un de leurs semblables La Loi établit grands-prętres
des hommes sujets ŕ la faiblesse 3. En effet, Dieu pouvait gouverner les hommes par des anges, mais Il a
préféré le faire par des hommes, afin que leur exemple les instruisît
davantage. Voilŕ pourquoi Jean fut un homme et non un ange.
111. Ensuite lEvangéliste fait connaître Jean par son autorité : Il fut ENVOYE DE DIEU. Si Jean ne fut pas un ange quant ŕ la nature, il le fut cependant quant ŕ la fonction, car il fut envoyé par Dieu. En effet, la fonction propre des anges est dętre les envoyés de Dieu et ses messagers : Ne sont-ils pas tous des esprits chargés dun ministčre, envoyés en service 4? Cest pourquoi "ange" traduit "envoyé". Les hommes, envoyés par Dieu pour annoncer quelque chose, peuvent donc ętre appelés "anges" Aggée, ange parmi les anges du Seigneur 5, cest-ŕ-dire messager parmi les messagers du Seigneur, parla en ces termes au peuple selon le message du Seigneur. Mais pour que quelquun rende témoignage ŕ Dieu, il faut quil soit envoyé par Lui Comment pręcheront-ils, sils ne sont pas envoyés? 6 Et envoyés par Dieu, ils ne doivent pas chercher leurs intéręts, mais ceux de Dieu Car ce nest pas nous-męmes que nous pręchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur 7. Celui, en revanche, qui est envoyé non par Dieu mais par lui-męme, cherche ses intéręts ou ceux des hommes, mais non pas ceux du Christ. Aussi lEvangéliste dit-il ici : IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, pour que tous comprennes que Jean na rien annoncé que de divin, quil na rien annoncé dhumain.
1. Mt 11, 10 et cf. Mc 1, 2, citant Mal 3, 1.
2. Qo 6, 10 b.
3. He 7, 28.
4. He 1, 14.
112. Remarquons quil y a trois sortes denvoyés de Dieu. Certains le sont par une inspiration intérieure Et maintenant le Seigneur ma envoyé, ainsi que son Esprit 8, ce qui revient ŕ dire : je suis envoyé de Dieu par une inspiration intérieure de lEsprit. Dautres sont envoyés par une vision claire et manifeste, soit corporelle soit imaginaire Jentendis la voix du Seigneur disant : "Qui enverrai-je? Quel sera notre messager?" Je répondis : "Me voici, envoie-moi." 9 Enfin on peut ętre envoyé par linjonction dun supérieur qui tient en cela la place de Dieu Si jai pardonné, cest par amour pour vous, au nom du Christ 10. Cest pourquoi ceux qui sont envoyés par un supérieur sont envoyés par Dieu, comme Barnabé et Timothée furent envoyés par lApôtre Paul.
5. Ag 1, 13.
6. Ro 10, 15.
7. 2 Co 4, 5.
8. Isaďe 48, 16.
9. Isaďe 6, 8.
10. 2 Co 2, 10.
Lorsque lEvangéliste dit ici
: IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, il faut comprendre que ce fut par une
inspiration intérieure; ou peut-ętre Jean fut-il envoyé par Dieu sur une [vision] extérieure [comme pourraient le
suggérer ces paroles] : Celui qui ma envoyé baptiser dans leau ma dit : Celui sur qui tu
verras lEsprit descendre et demeurer, cest Lui qui baptise dans lEsprit
Saint 11.
113. Quand lEvangéliste dit : IL Y EUT UN HOMME ENVOYE DE DIEU, il ne faut pas non plus lentendre ŕ la maničre de certains hérétiques, pour qui les âmes des hommes ont été créées avec les anges dčs le commencement, mais ne sont envoyées dans le corps quau moment de la naissance; de sorte que, daprčs eux, [l'Evangéliste voudrait dire que] Jean fut envoyé ŕ la vie, cest-ŕ-dire que son âme fut envoyée dans son corps. En réalité, il faut comprendre que Jean fut envoyé pour baptiser et pręcher.
SON
NOM ETAIT JEAN.
114. LEvangéliste fait ici connaître Jean par ce qui le rendait apte ŕ remplir sa mission.
En effet, la mission du témoin requiert une aptitude. Car si le témoin est inapte, il a beau ętre envoyé par un autre, son témoignage est insuffisant. Or, cest par la grâce de Dieu que lon est rendu apte ŕ accomplir une fonction Cest par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis 12 Cest Dieu qui nous a rendus capables dętre les ministres de la nouvelle alliance 13. LEvangéliste indique donc fort ŕ propos laptitude du Précurseur en disant : SON NOM ETAIT JEAN, nom qui signifie "en qui est la grâce". Ce nom ne lui fut pas donné en vain, mais selon la préordination divine avant męme sa naissance : Et tu lui donneras le nom de Jean, avait dit lange ŕ Zacharie 14 Cest pourquoi il peut dire : Le Seigneur ma appelé dčs le sein de ma mčre 15, et : Celui qui sera, déjŕ est nommé 16. Cest ce que lEvangéliste montre aussi par sa maničre de sexprimer lorsquil dit ETAIT, ce qui se réfčre ŕ la préordination de Dieu.
11. Jean 1, 33.
12. 1 Corinthiens 15, 10.
13. 2 Co 3, 6.
[7]
IL VINT COMME TEMOIN, POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, AFIN QUE TOUS
CRUSSENT PAR LUI
115. LEvangéliste, enfin,
nous fait connaître Jean par la dignité de sa mission. Il dit : IL VINT COMME
TEMOIN voilŕ sa mission , POUR RENDRE TE MOIGNAGE A LA LUMIERE voilŕ en
quoi consiste cette mission.
116. La mission de Jean-Baptiste est donc de témoigner. Ici, il faut remarquer que tout ce que Dieu fait quil sagisse des hommes ou de ses autres uvres Dieu le fait pour Lui-męme Le Seigneur a fait toutes ces choses pour Lui-męme 17; non certes pour sajouter ŕ Lui-męme quelque chose, car Il na pas besoin de nos biens 18, mais pour manifester sa bonté en toutes ses uvres, en ce sens que par elles sont rendues visibles ŕ lintelligence (...) sa puissance éternelle et sa divinité 19. Toute créature devient donc témoin de Dieu, puisque toute créature est un certain témoignage de la bonté divine. Ainsi la grandeur de la création est un témoignage de la toute-puissance divine; sa beauté, un témoignage de la sagesse divine. Mais certains hommes sont lobjet dun dessein de Dieu dune maničre spéciale; de sorte que non seulement matériellement, en tant quils sont, mais encore par leurs uvres bonnes, ils rendent témoignage ŕ Dieu. Cest pourquoi tous les saints sont les témoins de Dieu dans la mesure oů, par leurs uvres bonnes, Dieu est glorifié devant les hommes Que brille votre lumičre devant les hommes, en sorte quils voient vos uvres bonnes et glorifient votre Pčre qui est dans les cieux 20. Cependant, ceux qui, non seulement participent aux dons de Dieu en eux-męmes en faisant le bien par la grâce de Dieu, mais encore transmettent ces dons aux autres par leur enseignement, leur influence et leurs exhortations, sont plus spécialement les témoins de Dieu Quiconque invoque mon nom, je lai créé pour ma gloire 21 Jean vint donc pour témoigner, cest-ŕ-dire pour transmettre aux autres les dons de Dieu et annoncer sa louange.
14. Luc 1, 13.
15. Isaďe 49, 1.
16. Qo6, 10a.
17. Prov 16, 4.
18. Ps 15, 2.
19. Ro 1, 20.
20. Mt 5, 16.
21. Isaďe 43, 7.
117. Or cette mission de Jean, cet office de témoin, est trčs grand, car on ne peut témoigner de quelque chose que dans la mesure oů on y participe Nous parlons de ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu 22. Cest pourquoi rendre témoignage ŕ la vérité divine indique que lon connaît cette vérité. De lŕ vient que le Christ aussi eut cette mission : Si je suis né, et si je suis venu dans le monde, cest pour rendre témoignage ŕ la vérité. Mais autre est le témoignage du Christ, autre celui de Jean-Baptiste, parce que autre est en chacun deux la connaissance de la vérité 23. Le Christ, en effet, témoignage comme la lumičre męme qui embrasse tout, bien plus, comme la lumičre męme subsistante; tandis que Jean témoigne comme celui qui ne fait que participer ŕ la lumičre. Cest pourquoi le Christ rend parfaitement témoignage et manifeste parfaitement la vérité, tandis que Jean et les autres saints ne le font que dans la mesure oů ils participent ŕ cette vérité divine.
Grande est donc la mission de Jean, et par la participation ŕ la lumičre divine, et par sa similitude avec le Christ qui a rempli cette męme mission. Voici que je lai donné pour témoin aux peuples, pour chef et pour maître aux paďens 24.
22. Jean 3, 11.
23. Jean 18, 37.
118. LEvangéliste précise ensuite en quoi consiste cette mission. Il dit : IL VINT POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE.
Ici, il faut savoir que lon
peut témoigner de quel que chose pour deux raisons : soit ŕ cause de la réalité
męme dont on témoigne, par exemple si elle est douteuse et incertaine, soit ŕ
cause des auditeurs, par exemple sils ont le cur dur et lent ŕ croire. En ce
qui concerne Jean, sil est venu rendre témoignage, ce nest pas ŕ cause de la
réalité elle-męme dont il témoignait, puis quelle était la lumičre. Aussi
lEvangéliste dit-il : IL VINT RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE, cest-ŕ-dire non
pas ŕ une réalité obscure, mais ŕ une réalité manifeste. Sil vint témoigner,
cest donc ŕ cause de ceux pour qui il témoignait, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR
LUI, cest-ŕ-dire par Jean. En effet, comme la lumičre est non seulement
visible en elle-męme et par elle-męme, mais rend encore visible tout le reste,
ainsi le Verbe de Dieu nest pas seulement lumičre en Lui-męme : Il est aussi
Celui qui manifeste [fait connaître] tout ce qui est manifesté. Car tout ętre se manifeste et se fait
connaître par sa forme. Or toutes les formes sont par le Verbe, qui est lIdée
contenant parfaitement ce que sont les vivants : Il est donc non seulement la
lumičre en soi, mais encore la lumičre qui manifeste toutes choses Tout ce
qui est manifesté est lumičre 25. Et lEvangéliste
appelle ŕ juste titre le Fils "LUMIERE de Dieu", car la
LUMIERE est venue pour éclairer les nations 26. Or, plus haut,
Jean a appelé le Fils "Verbe de Dieu", [VERBE] par lequel le
Pčre se dit Lui-męme et [dit] toute créature. Cest pourquoi, comme le Fils est ŕ proprement parler
la LUMIERE des hommes, et que lEvangéliste en parle ici comme de Celui qui est
venu pour opérer le salut de lhomme, cest ŕ juste titre que, pour parler du
Fils, il cesse ici de se servir du nom de Verbe, et emploie le mot LUMIERE.
119. Mais si cette lumičre suffit par elle-męme ŕ manifester toutes choses, et non pas seulement elle-męme, que lui manquait-il pour quil y ait témoignage? Les témoignages de Jean et des prophčtes au sujet du Christ ne seraient donc pas nécessaires?
Je réponds que cette objection est celle des Manichéens, qui veulent, réduire ŕ rien ces témoignages. Aussi les saints apportent-ils contre eux de nombreuses raisons pour expliquer que le Christ ait voulu le témoignage des prophčtes.
Origčne donne trois raisons 27.
Dabord, Dieu veut avoir des témoins, non quIl ait besoin Lui-męme de leur témoignage, mais pour ennoblir ceux dont Il fait ses témoins. Cest ce que nous voyons également dans lordre de lunivers : Dieu produit certains effets par des causes secondes, non quIl soit impuissant ŕ les produire immédiatement, mais parce quIl daigne, pour les ennoblir, communiquer ŕ ces causes secondes la dignité de la causalité. Ainsi donc, Dieu aurait pu par Lui-męme illuminer tous les hommes et les amener ŕ la connaissance de Lui-męme; cependant, pour préserver lordre qui doit ętre dans le monde et ennoblir certains hommes, Il a voulu que la connaissance divine parvînt aux hommes par dautres hommes Vous ętes vraiment mes témoins, dit le Seigneur 28.
La seconde raison pour laquelle le Christ voulut avoir des témoins, cest quIl illumina le monde par des miracles : or ceux-ci, parce quils furent opérés dans le temps, passčrent avec le temps, de sorte quils nont pas atteint tous les hommes. Mais les paroles des prophčtes, confiées ŕ lEcriture, pouvaient parvenir non seulement ŕ ceux qui étaient présents, mais encore aux hommes ŕ venir. Le Seigneur voulut donc que les hommes viennent ŕ la connaissance du Verbe par le témoignage des prophčtes : ainsi, non seulement ceux qui étaient présents, mais aussi ceux qui viendraient ensuite seraient illuminés ŕ son sujet; aussi lEvangéliste dit-il expressément : AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI, non seulement ceux qui étaient présents, mais encore les hommes ŕ venir.
La troisičme raison, cest que les conditions des hommes sont différentes, et quils sont conduits et dis posés de diverses maničres ŕ la connaissance de la vérité. En effet, certains sont amenés ŕ la connaissance de la vérité plutôt par les signes et les miracles; dautres au contraire plutôt par la sagesse. Voilŕ pourquoi les Juifs demandent des signes et les Grecs sont en quęte de la sagesse 29. Pour montrer ŕ chacun une voie de salut, le Seigneur voulut donc ouvrir lune et lautre voie, celle des signes et celle de la sagesse. Ainsi, ceux qui ne seraient pas conduits ŕ la voie du salut par les miracles opérés dans lAncien et le Nouveau Testament, pourraient du moins parvenir ŕ la connaissance de la vérité 30 par la voie de la sagesse, exposée par les prophčtes et les autres livres de lEcriture sainte.
Jean Chrysostome 31 donne une quatričme raison les hommes dintelligence faible ne peuvent saisir en elles-męmes la vérité et la connaissance de Dieu. Pour se mettre ŕ leur portée, Dieu a voulu illuminer certains hommes plus que les autres sur les mystčres divins; de la sorte, les faibles reçoivent deux, dune maničre humaine, la connaissance des mystčres divins quils navaient pas en eux-męmes la possibilité datteindre. Cest pourquoi lEvangéliste dit AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI, cest-ŕ-dire : IL VINT COMME TEMOIN, non pas ŕ cause de LA LUMIERE, mais ŕ cause des hommes, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI
Ainsi il est clair que les témoignages des prophčtes sont convenables; aussi devons-nous les recevoir, car ils nous sont nécessaires pour connaître la vérité.
25. Eph 5, 14.
26. Luc 2, 32.
27. Sur saint Jean, 2, § 199 ss., pp. 345 ss.
28. Isaďe 43, 10.
29. 1 Corinthiens 1, 22.
30. Cf. 1 Tm 2, 4.
120. LEvangéliste dit AFIN QUILS CRUSSENT, parce quil y a deux modes de participation ŕ la lumičre divine. Lun, parfait, qui a lieu dans la gloire Dans ta lumičre, nous verrons la lumičre 32; lautre, imparfait, que donne la foi, et cest pour cela quIL VINT COMME TEMOIN. A propos de ces deux modes, lApôtre dit : Nous voyons maintenant dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face ŕ face; et encore : Maintenant je connais dune maničre partielle, mais alors je connaîtrai comme je suis connu 33. De ces deux modes, celui de la participation par la foi précčde lautre, parce que cest par lui quon parvient ŕ la vision Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 34. Et lApôtre Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés de clarté en clarté en cette męme image 35, cest-ŕ-dire celle que nous avons perdue. La Glose explique "De la clarté de la foi ŕ la clarté de la vision 36".
31. In Ioannem hom., 6, PG 59, col. 61.
32. Ps 35, 10 b.
33. 1 Corinthiens 13, 12.
34. Isaďe 7, 9.
LEvangéliste dit donc : AFIN
QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI; car ce nest pas "afin que tous aussitôt
voient Dieu parfaitement", mais afin que, croyant dabord par la foi,
ils arrivent plus tard ŕ jouir de la vision dans la patrie.
121. Si lEvangéliste dit PAR LUI, cest pour montrer la différence entre Jean-Baptiste et le Christ. Le Christ en effet est venu afin que tous crussent par Lui et en Lui : Celui qui croit en moi, de son sein couleront des fleuves deau vive 37. Tandis que Jean est venu afin que tous crussent, non certes en lui, mais dans le Christ, PAR LUI
On objectera sans doute que tous ne crurent pas par lui. Si donc il est venu AFIN QUE TOUS CRUS SENT PAR LUI, il est venu en vain. A cela je réponds que, autant quil dépend de Dieu qui envoya et de Jean qui vint, tous eurent ŕ leur portée un moyen suffisant pour parvenir ŕ la foi; mais que, si tous ne crurent pas, ce fut par la faute de ceux qui décidčrent de tenir leurs yeux baissés vers la terre 38, et ne voulurent pas voir la lumičre.
II
IL
NETAIT PAS LA LUMIERE, MAIS IL DEVAIT [81 RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE.
122. Jean, sur qui on a tant dit et qui fut envoyé par Dieu, est certes grand; néanmoins sa venue ne suffit pas aux hommes pour le salut; car le salut de lhomme consiste ŕ participer ŕ la lumičre elle-męme. Si donc Jean avait été la lumičre, sa venue aurait suffi aux hommes pour le salut; mais lui-męme nétait pas la lumičre, et cest pourquoi lEvangéliste dit : IL NETAIT PAS LA LUMIERE. Par suite, la lumičre était nécessaire, elle qui devait suffire aux hommes pour le salut.
Ou encore : Jean, on la dit,
VINT POUR RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE. Or le témoin possčde dordinaire une
autorité plus grande que celui ŕ qui il rend témoignage. LEvangéliste dit donc
ici : IL NETAIT PAS LA LUMIERE, MAIS IL DEVAIT RENDRE TE MOIGNAGE A LA
LUMIERE, pour quon ne croie pas que Jean eűt une plus haute autorité que le
Christ. Il rend témoignage en effet non parce quil est plus grand, mais parce
quil est plus connu, bien quil soit plus petit.
123. Mais une question se pose ŕ propos de ce que dit lEvangéliste : IL NETAIT PAS LA LUMIERE. Car on lit en un sens contraire : Autrefois vous étiez ténčbres, mais ŕ présent vous ętes lumičre dans le Seigneur 39 et : Vous ętes la lumičre du monde 40. Ainsi, Jean et les Apôtres, et tous les hommes bons, sont lumičre. Je réponds : certains disent que Jean nétait pas "la lumičre", avec larticle, car cela est propre ŕ Dieu seul; mais que si lon prend "lumičre" sans article, Jean et tous les autres saints sont lumičre. Ce qui peut sexpliciter ainsi le Fils de Dieu est la lumičre par essence, mais Jean lest par participation. Et donc, parce que Jean participait ŕ la vraie lumičre, il était vraiment apte ŕ RENDRE TEMOIGNAGE A LA LUMIERE : en effet le feu est manifeste de maničre plus appropriée par quelque chose denflammé que par tout autre chose, et de męme la couleur par le coloré.
35. 2 Co 3, 18.
36. Voir la Glossa ordinaria attribuée ŕ Walafrid Strabon, PL
114, col. 556 "... de la gloire de la foi, oů nous sommes fils de Dieu, ŕ
la gloire de la vision (speciei), oů nous Lui serons semblables, parce que nous
Le verrons tel quIl est (1 Jean 3, 2)". Męme texte dans P. LOMBARD,
Collectanea in Epist. S. Pauli, PL 192, col. 28.
37. Jean 7, 38.
38. Ps 16, 11.
39. Eph 5, 8.
40. Mt 5, 14.
124. Plus haut [n° 108], lEvangéliste nous a présenté le Précurseur, le témoin du Verbe incarné; mainte nant il va parler du Verbe incarné Lui-męme : de la nécessité de sa venue [lobjet de la présente leçon], de la finalité de cette venue pour nous [n° 142], et enfin du mode de sa venue [n° 165].
La nécessité de la venue du Verbe semble tenir au manque de connaissance de Dieu qui régnait dans le monde. Ainsi, en disant : Si je suis né et si je suis venu dans le monde, cest pour rendre témoignage ŕ la vérité 1, le Seigneur indique la nécessité de sa venue. Pour expliquer ce manque de connaissance de Dieu, lEvangéliste montre dabord quil nest pas imputable ŕ Dieu ni au Verbe, puis il montre quil est imputable aux hommes [n° 137] ET LE MONDE NE LA PAS CONNU.
1. Jean 18, 37.
I
IL
ETAIT LA LUM1ERE, LA VRAIE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE. IL
ETAIT DANS LE MONDE, ET LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI
Si les hommes ne connaissaient pas Dieu et nétaient pas illuminés par le Verbe, cela nétait imputable ni ŕ Dieu, ni au Verbe. LEvangéliste en donne trois raisons. Dabord lefficacité de la lumičre divine : IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE [125]; ensuite la présence de cette divine lumičre : IL ETAIT DANS LE MONDE [132]; enfin son évidence : ET LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI [136].
[9]
IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE.
Le manque de connaissance de
Dieu dans le monde ne provenait donc pas du Verbe, puisquIl est efficace.
LEvangéliste montre dabord en quoi consiste cette efficacité : IL ETAIT LA
LUMIERE, LA VRAIE [n°
125]; puis il montre lefficacité męme du Verbe : Il
ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE [n° 127].
125. Lefficacité illuminative du Verbe divin provient de ce quIL EST LA LUMIERE, LA VRAIE. Comment le Verbe est LUMIERE et comment Il est LUMIERE DES HOMMES, il est superflu de le répéter ŕ pré sent : nous lavons suffisamment expliqué plus haut. Nous devons seulement dire ici en quel sens le Verbe est LA LUMIERE, LA VRAIE.
Pour en avoir lévidence, il faut remarquer que "vrai'", dans l'Ecriture, a trois opposés. Parfois, "vrai" soppose ŕ "faux" : Rejetant le mensonge, dites la vérité 2 parfois, "vrai" soppose ŕ ce qui nest que figure : La Loi a été donnée par Moďse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ 3, car la vérité des figures de la Loi a été accomplie par le Christ; enfin, "vrai" soppose parfois ŕ ce qui participe, comme il est dit dans la Premičre épître de Jean : Nous sommes dans son vrai Fils 4, cest-ŕ-dire Celui qui nest pas fils par participation.
Or il y eut, avant lavčnement du Verbe dans le monde, une lumičre que les philosophes se vantaient de posséder; mais celle-ci était fausse car, comme le dit lApôtre, Ils sont devenus vains dans leurs raisonnements, et leur cur inintelligent sest obscurci. Se prétendant sages, ils sont devenus insensés 5; et Tout homme devient insensé par sa science 6. Il y eut dautre part une lumičre que les Juifs se glorifiaient de posséder dans les enseignements de la Loi, mais cétait une lumičre qui nétait que figure : Ne possédant en effet que lombre des biens ŕ venir, non la réalité des choses, la Loi demeure ŕ jamais incapable (...) de rendre parfaits ceux qui savancent vers Dieu 7. Enfin, dans les anges et dans les saints brillait aussi une lumičre, puisque la grâce leur avait donné une connaissance plus spéciale de Dieu; mais cétait une lumičre participée Sur qui ne resplendit pas sa lumičre? 8, ce qui revient ŕ dire tous ceux qui sont lumineux brillent dans la mesure oů ils participent ŕ sa lumičre, cest-ŕ-dire celle de Dieu. Le Verbe de Dieu, Lui, nétait pas une lumičre fausse, ni en figure, ni participée, mais Il était la vraie lumičre, cest-ŕ-dire quIl était LA LUMIERE par son essence, et cest pourquoi lEvangéliste dit : IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE.
2. Eph 4, 25. Cf. Zach 8, 16.
3. Jean 1, 17.
126. Cette affirmation écarte deux erreurs. Dabord celle de Photin 9, qui simaginait que le Verbe avait pris son origine de la Vierge. Afin que personne ne puisse le supposer, lEvangéliste, parlant de lIncarnation du Verbe, dit : IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, et cela dčs léternité, non seulement avant la Vierge, mais avant toute créature.
Ces paroles écartent aussi lerreur dArius et dOrigčne 10 le Christ, disaient-ils, nest pas le vrai Dieu, mais Il lest seulement par participation.
Si cétait vrai, Il ne serait pas LA LUMIERE, LA VRAIE, comme laffirme lEvangéliste Dieu est lumičre non par participation, mais la vraie. Si donc le Verbe ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, il est manifeste quIl est le vrai Dieu. Ainsi est manifeste en quoi consiste lefficacité du Verbe divin, cause en nous de la connaissance de Dieu.
4. 1 In 5, 20.
5. Ro 1, 21.
6. Jérémie 10, 14.
7. He 10, 1.
8. Jb 25, 3.
9. Cf. ci-dessus n 64, note 68.
QUI
ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE.
127. Telle est lefficacité
du Verbe, quIl ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE. Car tout ce qui est [quelque chose] par participation
dérive de ce qui est tel par son essence; ainsi tout ce qui est enflammé lest
par participation au feu [qui est feu] par sa nature. Donc, puisque le Verbe est LA VRAIE LUMIERE par son
essence, il faut que tout ce qui est lumineux le soit par le Verbe, dans la
mesure oů il participe de Lui. Il est donc vraiment celui QUI ILLUMINE TOUT
HOMME VENANT EN CE MONDE.
128. Pour bien comprendre cette parole, il faut savoir que lEcriture envisage le monde de trois points de vue différents. Parfois elle le regarde en tant que créé : le monde a été fait par Lui 12 Dautres fois elle le voit dans la perfection quil atteint par le Christ : Dans le Christ, [Dieu] se réconciliait le monde 13. Parfois enfin elle le considčre dans sa perversité : Le monde entier gît au pouvoir du Mauvais 14. Quant ŕ lillumination, ou au fait dętre illuminé par le Verbe, elle peut sentendre de deux façons : soit de la lumičre de la connaissance naturelle : Elle a été gravée sur nous, la lumičre de ton visage, Seigneur 15, Soit de la lumičre de la grâce : Lčve-toi, sois illuminée, Jérusalem 16.
10. Cf. ci-dessus n° 58, note 54 et n° 61, note 62.
11. 1 Jean 1, 5.
12. Jean 1, 10.
13. 2 Co 5, 19.
14. 1 Jean 5, 19.
15. Ps 4, 7.
16. Isaďe 60, 1.
129. Ces deux distinctions établies, on éclaircira facilement un doute qui peut surgir de ces paroles.
En effet, lEvangéliste dit du Verbe : IL ILLUMINE TOUT HOMME; cela semble inexact puisque, en ce monde, beaucoup dhommes sont encore dans les ténčbres. Mais si, nous rappelant les distinctions mention nées, nous regardons le monde du point de vue de sa création, et lillumination comme la lumičre de la raison naturelle, la parole de lEvangéliste ne contient rien de faux. En effet, si tous les hommes venant en ce monde sensible sont illuminés par la lumičre de la raison naturelle, cest par participation ŕ cette VRAIE LUMIERE dont dérive toute lumičre de connaissance naturelle. En disant : VENANT EN CE MONDE, lEvangéliste utilise une façon de parler; il ne veut pas dire que les hommes auraient vécu un certain temps hors du monde, avant de venir dans le monde, ce qui serait contraire ŕ la pensée de lApôtre : Alors que les enfants de Rébecca nétaient pas encore nés, quils navaient fait ni bien ni mal (pour que demeure le dessein de Dieu, dessein de. libre choix, qui dépend non des uvres mais de Celui qui appelle), il lui fut dit : "Laîné sera assujetti au plus jeune," ainsi quil est écrit : "Jai aimé Jacob, mais Esaü, je lai haď" 17. Puisque ces enfants navaient rien fait avant de naître, il est donc clair que lâme humaine nexiste pas avant son union avec le corps.
Jean dit aussi VENANT EN CE
MONDE pour montrer que cest en tant quils viennent dans le monde, que les
hommes sont illuminés par Dieu, cest-ŕ-dire en tant quils ont une
intelligence provenant dune cause extrinsčque. Car lhomme est constitué dune
nature double corporelle, cest-ŕ-dire animale ou sensible, et intellectuelle.
Selon sa nature corporelle ou sensible, il est éclairé par la lumičre
corporelle et sensible, et selon son âme et sa nature intellectuelle, il est
éclairé par la lumičre intellectuelle et spirituelle. Ainsi lhomme, selon sa
nature corporelle, ne VIENT pas dans ce monde, il est de ce monde; [s'il vient en ce monde,
cest comme il a été dit, selon sa nature intellectuelle qui provient dune
cause extrinsčque, cest-ŕ-dire de Dieu, par la création [ainsi que le rappelle
lEcclésiaste] : Souviens-toi de ton créateur (...) avant que toute chair retourne ŕ
son origine, et que lesprit retourne ŕ Dieu qui la créé 18. Par
conséquent, dans lexpression VENANT EN CE MONDE, lEvangéliste montre que
lillumination concerne ce qui provient dune [extrinsčque,
cest-ŕ-dire lintelligence.
130. Mais si lillumination se comprend de la lumičre de la grâce, il y a trois maničres dexpliquer ces paroles : Le Verbe ILLUMINE TOUT HOMME.
La premičre, celle dOrigčne 19, nous amčne ŕ considérer le monde dans sa perfection, ŕ laquelle lhomme réconcilié avec Dieu est conduit par le Christ. Il est dit alors : le Verbe ILLUMINE TOUT HOMME VENANT, par la foi, EN CE MONDE spirituel, cest-ŕ-dire lEglise, illuminée par la lumičre de la grâce.
Chrysostome 20, lui, regarde le monde en tant que créé et montre comment le Verbe, voulant que tous les hommes soient sauvés et parviennent ŕ la connaissance de la vérité 21, ILLUMINE TOUT HOMME VENANT, cest-ŕ-dire naissant, EN CE MONDE sensible, autant que cela dépend de Lui, puisque de son côté Il ne fait défaut ŕ personne. Si donc quelquun nest pas illuminé, cela vient de lui, parce quil se détourne de la lumičre qui lillumine.
Enfin Augustin 22, dans
lexpression ILLUMINE TOUT HOMME, donne au mot TOUT une acception particuličre.
Le sens nest pas : Le Verbe ILLUMINE TOUT HOMME en général, mais tout homme
qui est illuminé; cest-ŕ-dire quaucun homme nest illuminé, sinon par le
Verbe. Et (toujours selon Augustin 23), le monde étant alors
considéré sous laspect de sa perversité et de sa déficience, lEvangéliste, en
ajoutant VENANT EN CE MONDE, donne la raison pour laquelle lhomme a besoin
dętre illuminé; comme sil disait : lhomme a besoin dętre illuminé, parce
quil vient dans ce monde enténébré par sa perversité et ses déficiences, et
rempli dignorance. A propos du monde spirituel du premier homme avant le
péché, il est écrit : Il est venu nous visiter den haut, le soleil levant,
pour illuminer ceux qui sont assis dans les ténčbres et lombre de la mort 24.
131. Les męmes paroles : Le Verbe ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE, renversent lerreur des Manichéens pour qui les hommes et le monde avaient été créés par un principe contraire, cest-ŕ-dire le diable. En effet, si lhomme était une créature du diable, ŕ sa venue dans ce monde il ne serait pas illuminé par Dieu ou par le Verbe, puisque le Christ est venu dans ce monde pour détruire les uvres du diable 25.
17. Ro 9, 11.
18. Qo 12, 1 et 7.
19. Il sagit en réalité de Jean Scot Erigčne : Homélie sur le
Prologue de Jean, 17, PL 122, col. 293 B, trad. p. 285.
20. In Ioannem hom., 8, ch. 1, PG 59,
col. 65.
21. 1 Tm2, 4.
22. In Enchiridion, ch. 103, § 27; PL
40, col. 280.
23. Tract, in Jo., 2, 7, BA 71, p. 187.
24. Luc 1, 78-79.
132. Ainsi donc, lefficacité du Verbe divin prouve que le manque de connaissance divine chez les hommes ne provient pas du Verbe Lui-męme, qui, puisquIL EST LA LUMIERE, LA VRAIE, QUI ILLUMINE TOUT HOMME VENANT EN CE MONDE, est capable de les illuminer tous.
[l0a]
IL ETAIT DANS LE MONDE
Pour quon ne croie pas que ce
manque vient de léloignement ou de labsence de la véritable lumičre,
lEvangéliste ajoute : IL ETAIT DANS LE MONDE Dieu nest pas loin de chacun
de nous, car cest en Lui que nous avons la vie, le mouvement et lętre 26. En dautres
termes le Verbe divin est efficace et présent dans ce monde pour illuminer.
133. Mais, remarquons-le, on peut ętre dans le monde de trois façons. Soit comme contenu en lui, ŕ la maničre dun objet localisé dans un lieu; [ainsi le Seigneur dira des Apôtres] : Eux sont dans le monde 27. Soit comme partie dans le tout, puisque toute partie du monde est dans le monde męme si elle ny est pas comme dans un lieu; ainsi les substances spirituelles, bien quelles ne soient pas localisées dans le monde, en font néanmoins partie : Dieu a fait le ciel et la terre et tout ce quils renferment.
Mais LA VRAIE LUMIERE nétait dans le monde ni de lune ni de lautre maničre, puisquelle nest ni susceptible dętre localisée, ni partie de lunivers. Au con traire, sil est permis de parler ainsi, cest tout lunivers, dune certaine façon, qui en est partie, lui qui ne participe que partiellement ŕ sa bonté. IL ETAIT donc DANS LE MONDE dune troisičme maničre, comme sa cause [efficiente] et conservatrice Est-ce que le ciel et la terre, moi, je ne les remplis pas? 29.
Cependant il en va autrement
du Verbe de Dieu, agent et cause de toutes choses, et des autres agents.
Ceux-ci en effet agissent de lextérieur, et puisque de fait ils nagissent
quen mouvant et modifiant de quelque façon ce qui est extrinsčque ŕ la
réalité, ils nopčrent que comme des [agents] extrinsčques. Mais
Dieu opčre en toutes les réalités comme agissant de lintérieur, par ce quIl
agit en créant. Or créer, cest donner lacte dętre ŕ la réalité créée; et
puisque lacte dętre est ce quil y a de plus intime en chaque réalité, Dieu,
qui en opérant donne lacte dętre, opčre dans les réalités comme agissant de
lintérieur. IL ETAIT donc DANS LE MONDE, comme donnant au monde lacte dętre.
134. On dit communément que Dieu est en toutes réalités par son essence, sa présence et sa puissance. Pour le comprendre, il faut savoir que quelquun est dit ętre par sa puissance en tous ceux qui sont soumis ŕ sa puissance : comme le roi est dit ętre par sa puissance dans tout le royaume qui lui est soumis, sans toute fois y ętre par sa présence ni par son essence. Par sa présence, quelquun est dit ętre en toutes les réalités qui sont sous son regard, comme le roi est dit ętre par sa présence dans sa demeure. Mais quelquun est dit ętre par son essence dans les réalités en lesquelles est sa substance : comme le roi est [dans sa propre individualité] en un seul lieu déterminé.
Nous disons que Dieu est partout dans le monde par sa puissance, car toutes choses sont soumises ŕ son pouvoir Si je monte au ciel, tu y es (...) si je prends mes ailes dčs laurore et que jaille habiter aux confins de la mer, lŕ encore ta main me conduira et ta droite me saisira 30. Dieu est aussi partout par sa présence, car tout ce qui est dans le monde est nu et découvert ŕ ses yeux 31. Enfin Dieu est partout par son essence, car son essence est ce quil y a de plus intime en toutes les réalités en effet, chaque agent, en tant quil agit, doit nécessairement ętre conjoint ŕ son effet de façon immédiate, puisque le moteur et ce qui est mű doivent ętre simultanés. Or Dieu crée et conserve toutes choses selon lacte dętre de chaque réalité. Et puisque lacte dętre est ce quil y a de plus intime en chaque réalité, il est manifeste que Dieu est dans toutes les réalités par son essence, par laquelle Il les crée.
25. 1 Jean 3, 8.
26. Ac 17, 27-28.
27. Jean 17, 11.
28. Ps 145, 6.
29. Jérémie 23, 24.
30. Ps 138, 8.
31. He 4, 13.
135. Remarquons-le, lEvangéliste emploie ŕ dessein le mot ETAIT lorsquil dit Le Verbe ETAIT DANS LE MONDE, pour montrer que dčs le commencement de la création Il avait toujours été dans le monde, causant et conservant toutes choses; car si Dieu retirait un seul instant des réalités créées sa puissance, elles seraient toutes réduites au néant et cesseraient dexister. Origčne 32 emploie ŕ ce sujet une heureuse comparaison : il y a, dit-il, le męme rapport entre la parole sensible et notre verbe, quentre toute la création et le Verbe divin.
Comme notre parole est leffet
du verbe conçu dans notre esprit, ainsi toute la création est leffet du Verbe
conçu dans lesprit divin : Dieu a dit et tout a été créé. Aussi, comme nous
voyons notre parole sensible sarręter aussitôt que notre verbe fait défaut, de
męme, si la vertu du Verbe divin était soustraite aux réalités, toutes
disparaîtraient ŕ linstant męme; car Dieu sou tient tout par la puissance de
son Verbe.
32. Ne sagirait-il pas plutôt, comme précédemment (au n° 130),
de Jean Scot Erigčne? En tout cas, celui-ci reprend, ŕ propos du verset de
saint Jean que commente ici saint Thomas, la comparaison attribuée par ce
dernier ŕ Origčne" De męme (...) que, si lon cesse de parler, la voix
cesse dętre et sévanouit, de męme si le Pčre des cieux cessait de prononcer
son Verbe, leffet du Verbe, ŕ savoir lunivers créé, ne subsisterait pas"
(Homélie sur le Prologue de Jean, 18, [122, col. 293 C), SC 151, p. 289). Voir
aussi (également de Jean Scot Erigčne) Commentaire sur lEvangile de saint
Jean, SC 180, p. 143.
136. Il est donc manifeste que le manque de con naissance de Dieu chez lhomme ne vient pas de labsence du Verbe, puisquIL ETAIT DANS LE MONDE.
ET LE
MONDE A ETE FAIT PAR LUI
Cette ignorance ne vient pas non plus de linvisibilité du Verbe ou du fait quIl se cache, puisquIl a produit une uvre en laquelle sa similitude resplendit de façon évidente : le monde La grandeur et la beauté des créatures font par analogie connaître leur créateur 35; et : Les [perfections] invisibles de Dieu (...) sont, depuis la création du monde, rendues visibles ŕ lintelligence par le moyen de ses uvres, ainsi que sa puissance éternelle et sa divinité 36. Voilŕ pourquoi lEvangéliste ajoute aussitôt : ET LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI, pour montrer que dans le monde, LA LUMIERE elle-męme a été manifestée. De męme que luvre manifeste lart de lartiste, la forme de luvre dart nétant autre que la similitude de lidée qui est dans lesprit de lartiste, ainsi le monde entier nest autre quune certaine représentation de la sagesse divine conçue dans lesprit du Pčre Dieu en effet a répandu sa sagesse sur toutes ses uvres 37.
Il est ainsi manifeste que le manque de connaissance divine ne vient pas du Verbe. En effet, étant LA VRAIE LUMIERE, Il est efficace; Il est présent parce quIL ETAIT DANS LE MONDE; et Il est évident puis que LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI
33. Ps 148, 5.
34. He 1, 3.
35. Sag 13, 5.
36. Ro 1, 20.
137. En disant cela,
lEvangéliste montre doů provient ce manque de connaissance de Dieu : ce
manque ne vient pas du Verbe mais du MONDE qui NE LA PAS CONNU. Il dit : LE
MONDE NE LA PAS CONNU, "Lui", de façon personnelle, parce que
plus haut il avait dit que le Verbe était non seulement LUMIERE DES HOMMES,
mais Dieu : cest pourquoi en disant "Lui", il entend Dieu.
Jean emploie ici le mot "monde" pour lhomme, car les anges
Lont connu par leur intelligence, les éléments Lont connu en Lui obéissant,
mais LE MONDE, cest-ŕ-dire lhomme, habitant du monde 38, NE LA PAS
CONNU.
138. Nous pouvons attribuer ce manque de connaissance de Dieu ŕ la nature de lhomme ou bien ŕ sa faute.
A sa nature car, en dépit de tous les secours susdits donnés ŕ lhomme pour lamener ŕ la connaissance de Dieu, la raison humaine cependant défaille dans cette connaissance : Chacun Le considčre de loin. Oui, Dieu est grand, Il surpasse notre science 39. Et si quelques-uns Lont connu, ce nest pas en tant quils furent dans le monde, mais au contraire en tant quils furent au delŕ du monde et tels que le monde nétait pas digne deux 40, Cest pourquoi, sils perçurent dans leur esprit quelque chose déternel, ce fut en tant quils nétaient pas de ce monde.
Mais si on attribue ŕ la faute de lhomme son man que de connaissance divine, les paroles : LE MONDE NE LA PAS CONNU expriment la raison pour laquelle Dieu nest pas connu. Dans ce cas le monde est pris pour lhomme qui aime le monde de maničre désordonnée. Autrement dit, LE MONDE NE LA PAS CONNU parce que les hommes aiment le monde; et lamour du monde, dit Augustin 41, détourne au plus haut degré de la connaissance de Dieu, car lamour du monde rend ennemi de Dieu 42, Or celui qui naime pas Dieu ne peut pas Le connaître : Lhomme charnel naccueille pas ce qui est de lEsprit de Dieu 43.
37. Sir 1, 10.
38. Voir SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
2, 11, BA 71, p. 195.
39. Jb 36, 25-26.
40. He 11, 38.
41. Loc. cit.
42. Ja 4, 4.
43. 1 Corinthiens 2, 14.
139. Ainsi se trouve résolue la vaine question des paďens : si cest depuis peu de temps que le Fils de Dieu sest fait connaître au monde pour le salut des hommes, il semble quavant ce temps Il ait méprisé la nature humaine. Il faut leur répondre : Dieu na pas méprisé la nature humaine; Il fut toujours dans le monde et, pour ce qui est de Lui, Il est connaissable par tous. Si quelques-uns ne Lont pas connu, ce fut de leur faute, parce quils aimaient le monde.
ET LE
MONDE NE LA PAS CONNU.
140. II faut remarquer encore que lEvangéliste parle ici de lIncarnation du Verbe afin de montrer que cest le męme Verbe qui est incarné, qui était au commencement auprčs de Dieu, qui est Dieu.
Il reprend ici ce quil avait
dit auparavant au sujet du Verbe Le Verbe était la lumičre des hommes; ici il
dit : IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE. Plus haut il avait dit : tout a été fait par
Lui; ici il dit ET LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI Plus haut il avait affirmé :
sans Lui rien na été fait, cest-ŕ-dire, selon une interprétation, toutes
choses sont conservées par Lui; ici il dit : IL ETAIT DANS LE MONDE, créant et
conservant toutes choses. Lŕ il avait affirmé Et les ténčbres ne lont pas
étreinte; ici : ET LE MON DE NE LA PAS CONNU. Tout ce qui est dit ŕ la suite
de ce verset : IL ETAIT LA LUMIERE, LA VRAIE, est donc comme une explicitation
des versets précédents.
141. Tout ce qui précčde nous permet de découvrir trois motifs pour lesquels Dieu a voulu sincarner.
Le premier est la perversité de la nature humaine, que sa propre malice avait plongée dans les ténčbres des vices et de lignorance. Cest pourquoi lEvangéliste avait dit de la lumičre : Les ténčbres ne lont pas étreinte. Dieu est donc venu dans la chair pour que les ténčbres puissent saisir la lumičre, cest-ŕ-dire parvenir ŕ sa connaissance : Le peuple qui marchait dans les ténčbres a vu une grande lumičre 44.
Le second motif de lIncarnation est linsuffisance du témoignage des prophčtes : Les prophčtes en effet étaient venus, mais ils ne pouvaient éclairer suffisamment les hommes, car [il pouvait dire de chacun deux comme] de Jean lui-męme : IL NETAIT PAS LA LUMIERE. Cest pourquoi il était nécessaire quaprčs la prédiction des prophčtes, aprčs la venue de Jean, LA LUMIERE elle-męme vînt et livrât au monde la connaissance delle-męme; cest ce que dit lApôtre : Aprčs avoir ŕ bien des reprises et de bien des maničres parlé jadis ŕ nos Pčres par les prophčtes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils 45 et Pierre : Ainsi nous tenons dautant plus ferme la parole prophétique ŕ laquelle vous faites bien de pręter attention (...) jusquŕ ce que le jour vienne ŕ poindre et que létoile du matin se lčve dans vos curs 46.
Le troisičme motif de lIncarnation est la déficience des créatures. En effet les créatures nétaient pas suffisantes pour conduire ŕ la connaissance du Créateur
LE MONDE A ETE FAIT PAR LUI, ET LE MONDE NE LA PAS CONNU. Il était donc nécessaire que le Créateur Lui-męme vînt dans le monde par la chair et quIl se fît connaître par Lui-męme : Puisquen effet le monde, par le moyen de la sagesse, na pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, cest par la folie du message quil a plu ŕ Dieu de sauver les croyants 47.
45. He 1, 1.
46. 2 Pe 1, 19.
47. 1 Corinthiens 1, 21.
44. Isaďe 9, 1.
142. Aprčs avoir montré la nécessité de lIncarnation du Verbe, lEvangéliste manifeste sa finalité 1 pour les hommes.
Il fait connaître en premier lieu la venue de la lumičre : IL EST VENU CHEZ LUI [n° 143]; puis la rencontre des hommes avec cette lumičre : ET LES SIENS NE LONT PAS REÇU; MAIS A TOUS CEUX QUI LONT REÇU [n° 145]; enfin le fruit de sa venue : IL A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM, QUI NE SONT PAS NES DU SANG, NI DUN VOULOIR DE CHAIR, NI DUN VOULOIR DHOMME, MAIS DE DIEU [n° 148]. IL EST VENU CHEZ LUI
143. Selon Jean, cette
lumičre qui était présente au monde et évidente ou manifeste par ses effets
nétait pourtant pas connue [du monde]. Aussi le Verbe est-Il VENU CHEZ LUI pour se faire connaître. La
parole de l'Evangéliste ne doit pas ętre comprise dun mouvement local : car
venir signifierait alors cesser dętre oů lon était auparavant pour commencer
dętre oů lon nétait pas. Pour éviter cette interprétation, lEvangéliste dit
IL EST VENU CHEZ LUI, cest-ŕ-dire dans ce qui était sien, quIl a fait
Lui-męme, lŕ oů Il était déjŕ Je suis sorti du Pčre et je suis venu dans le
monde 2. Lexpression CHEZ LUI signifie pour certains la Judée, qui était
sienne dune maničre spéciale Dieu est connu en Judée 3, et : La vigne
du Seigneur des armées, cest la maison dIsraël 4. Mais il vaut
mieux dire que CHEZ LUI signifie le monde créé par Lui Au Seigneur, la terre
et tout ce quelle renferme 5.
144. Cependant, sIl était déjŕ dans le monde, comment a-t-Il pu y venir?
II faut répondre que venir dans un lieu peut sentendre de deux maničres : ou bien de quelquun qui va en un lieu oů Il ne se trouvait en aucune façon auparavant, ou bien de quelquun qui va en un lieu oů dune certaine maničre Il était déjŕ, mais oů il commence dętre dune maničre nouvelle. Tel le roi qui, déjŕ présent par sa puissance dans quelque cité de son royaume, y vient ensuite en personne; on dit quil vient lŕ oů il était déjŕ. Lŕ oů il était seulement par sa puissance, il est venu par sa substance. Ainsi le Fils de Dieu est venu dans le monde, et pourtant Il était dans le monde. A la vérité, Il y était par son essence, sa puissance et sa présence, mais Il y est venu en assumant la chair; Il y était invisiblement, Il est venu pour y ętre visiblement.
1. Dans le latin : utilitatem. Rappelons que saint Thomas, ŕ la
suite dAristote, définit lutile comme "le bien ordonné ŕ une fin"
(Somme théol., I-II, q. 7, a. 2, ad 1; cf. I, q. 5, a. 6, C. ; Commentaire de
lEthique ŕ Nicoma que, leç. 6, n 81; II Sent., dist. 21, q. 1, a. 3, c.).
2. Jean 16, 28.
3. Ps 75, 2.
4. Isaďe 5, 7.
5. Ps 23, 1.
II
ET
LES SIENS NE LONT PAS REÇU. MAIS A TOUS CEUX QUI LONT REÇU
[llb]
ET LES SIENS NE LONT PAS REÇU.
145. LEvangéliste parle ici de la rencontre des hommes avec le Verbe : ceux-ci se comportčrent de différentes maničres ŕ légard de Celui qui venait, car certains Le reçurent, dautres non, et cétaient LES SIENS; cest pourquoi il dit : ET LES SIENS NE LONT PAS REÇU. LES SIENS, ce sont tous les hommes parce quils ont été formés par Lui Le Seigneur forma lhomme de la poussičre du sol 6. Sachez-le, le Seigneur est Dieu et cest Lui qui nous a faits 7, et quils ont été faits ŕ son image Faisons lhomme ŕ notre image et ŕ notre ressemblance 8.
Cependant il est préférable de dire : LES SIENS, cest-ŕ-dire les Juifs, NE LONT PAS REÇU, par la foi, en croyant en Lui et en Lhonorant Je suis venu au nom de mon Pčre et vous ne mavez pas reçu 9. Jhonore mon Pčre et vous, vous me déshonorez 10. Les Juifs sont SIENS en vérité, car Il les a choisis pour son propre peuple Le Seigneur ta choisi comme nation qui soit bien ŕ Lui 11. Ils sont SIENS parce quils sont ses parents selon la chair 12 et parce quils ont été élevés par ses bienfaits Mes fils, je vous ai nourris et exaltés 13 Mais bien quils fussent SIENS, cest-ŕ-dire Juifs, ils ne Lont pas reçu.
6. Gn 2, 7.
7. Ps 99, 3.
8. Gn 1, 26.
9. Jean 5, 43.
10. Jean 8, 49.
11. Deut 26, 18.
MAIS
A TOUS CEUX QUI LONT REÇU...
146. Il nen manqua
cependant pas pour Le recevoir; aussi lEvangéliste ajoute-t-il : MAIS A TOUS
CEUX QUI LONT REÇU. Lemploi de lexpression TOUS CEUX montre que
laccomplissement de la pro messe fut plus grand que la promesse elle-męme :
celle-ci ne sadressait quaux SIENS, cest-ŕ-dire aux Juifs Le Seigneur seul
est notre législateur, le Seigneur est notre roi; cest Lui qui nous sauvera 14;
laccomplissement, lui, concerna non seulement les SIENS, mais TOUS CEUX QUI
LONT REÇU, cest-ŕ-dire tous ceux qui croient en Lui [selon lenseignement de
saint Paul] : Je laffirme en effet, le Christ Jésus sest fait ministre de la
circoncision pour montrer la véracité de Dieu en accomplissant les promesses
faites ŕ nos pčres tandis que les paďens glorifient Dieu ŕ cause de sa
miséricorde 15, car Dieu les accueille miséricordieusement.
147. Si Jean a dit : TOUS CEUX, cest pour montrer que Dieu donne indifféremment sa grâce ŕ tous ceux qui reçoivent le Christ La grâce de lEsprit Saint sest répandue aussi sur les paďens 16. Le Seigneur la donne non seulement aux hommes mais aux femmes également Il ny a plus ni Juif ni Grec; il ny a ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme; vous nętes tous quun dans le Christ Jésus 17.
12. Ro 9, 3.
13. Isaďe 1, 2.
14. Isaďe 33, 22.
15. Ro 15, 8-9.
16. Ac 10, 45.
17. Ga 3, 28.
III
... IL
A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM, QUI
NE SONT PAS NES DU SANG, NI DUN VOULOIR DE CHAIR, NI DUN VOULOIR DHOMME,
MAIS DE DIEU.
148. LEvangéliste rapporte le fruit de la venue du Verbe et en expose dabord la magnificence [n° 149] puis il montre ŕ qui Il donne ce fruit : A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM [n° 157]; enfin comment Il leur a donné ce fruit : QUI NE SONT PAS NES DU SANG, NI DUN VOULOIR DE CHAIR, NI DUN VOULOIR DHOMME, MAIS DE DIEU [n° 160].
[12bJ...
IL A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU
149. Le fruit de la venue
du Fils de Dieu est grand car, par elle, les hommes deviennent fils de Dieu
Dieu envoya son Fils, né dune femme (...) pour faire de nous ses fils adoptifs
18. Ne convenait-il pas
que nous qui sommes fils de Dieu par le fait que nous sommes rendus semblables
au Fils, nous soyons transformés par ce męme Fils?
150. Pour comprendre ces paroles de Jean, il faut savoir que les hommes sont triplement fils de Dieu, par une triple assimilation ŕ Dieu.
Par le don de la grâce. Quiconque a la grâce sanctifiante est fait fils de Dieu Car vous navez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit dadoption filiale qui nous fait crier Abba, Pčre 19; Parce que vous ętes enfants de Dieu, Dieu a envoyé dans vos curs lEsprit de son Fils qui crie : Abba, Pčre 20.
Par la perfection de nos uvres. Celui qui accomplit les uvres de la justice est fils de Dieu : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin de vous montrer les fils de votre Pčre qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les méchants et les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes 21.
Par lacquisition de la gloire
ŕ la fois dans lâme par la lumičre de gloire Lorsquil apparaîtra, nous Lui
serons semblables, parce que nous Le verrons tel quIl est et dans le corps
Le Seigneur Jésus-Christ transformera notre corps de misčre pour le conformer ŕ
son corps de gloire avec cette force quIl a de pouvoir se soumettre męme
lunivers entier 23. Cest bien ce que dit Paul : Nous attendons ladoption des enfants de
Dieu, la rédemption de nos corps 24.
151. Si donc nous considérons que le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU se rapporte ŕ la perfection des uvres ou ŕ lacquisition de la gloire, le texte de Jean IL LEUR A DONNE POUVOIR noffre aucune difficulté; on lentend alors de la puissance de la grâce par laquelle lhomme qui la possčde peut accomplir les uvres de la perfection et acquérir la gloire, car la grâce de Dieu, cest la vie éternelle 25. Selon cette interprétation, on dit IL A DONNE, ŕ ceux qui Lont reçu, le POUVOIR, cest-ŕ-dire le don de la grâce, DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, en accomplissant le bien et en acquérant la gloire.
19. Ro 8, 15.
20. Ga 4, 6.
21. Mt 5, 44.
22. 1 Jean 3, 2.
23. Phi 3, 21.
24. Ro 8, 23.
25. Ro 6, 23.
18. Ga 4, 4-5.
152. Mais si nous entendons
le POUVOIR DE DEVE NIR ENFANTS DE DIEU du don męme de la grâce, ce que dit
l'Evangéliste devient équivoque, car il nest pas en notre pouvoir de DEVENIR
ENFANTS DE DIEU, puisquil nest pas en notre pouvoir de posséder la grâce. IL
LEUR A DONNE POUVOIR peut sentendre alors soit du pouvoir de la nature, et
cela ne semble pas ętre vrai parce que le don de la grâce est au-dessus de
notre nature; soit du pouvoir de la grâce, et alors avoir la grâce serait avoir
le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, et ainsi le Verbe ne leur aurait pas
donné le pouvoir de DEVENIR ENFANTS DE DIEU, mais dętre enfants de Dieu.
153. Voici la réponse ŕ cette difficulté : quand Il accorde sa grâce pour la justification, Dieu requiert de lhomme adulte son consentement par le mouvement de son libre arbitre. Cest pourquoi, parce quil est au pouvoir de lhomme de donner ou de refuser son consentement, Dieu lui A DONNE POUVOIR de devenir enfant de Dieu.
Dieu a donné aux hommes ce
pouvoir de recevoir sa grâce de deux maničres. En premier lieu Il les prépare ŕ
cette grâce et la leur propose. En effet, de celui qui compose un livre et en
présente la lecture ŕ un homme, on dit quil donne ŕ lhomme le pouvoir de lire
ce livre. De męme le Christ, par qui la grâce nous a été communiquée 26, et qui a opéré
le salut au milieu de la terre 27, nous A DONNE POUVOIR DE DEVENIR EN FANTS DE DIEU par la réception de
la grâce.
154. En second lieu, parce que cela ne suffit pas puisque pour ętre mű ŕ recevoir la grâce, le libre arbitre a encore besoin du secours de la grâce divine, non certes de la grâce habituelle, mais dune motion actuelle 28 Dieu donne ce pouvoir en mouvant le libre arbitre de lhomme ŕ consentir ŕ recevoir la grâce, suivant cette parole : Convertis-nous ŕ toi, Seigneur, en mouvant notre volonté ŕ taimer, et nous serons convertis 29. Et cette motion est appelée appel intérieur, celui dont parle lApôtre Ceux quIl a appelés, en incitant intérieurement leur volonté ŕ consentir ŕ la grâce, Il les a justifiés, en répandant en eux la grâce 30.
26. Jean 1, 17.
27. Ps 73, 12.
155. Cependant, par cette
grâce, lhomme a le pou voir de se conserver dans la filiation divine; on peut
donc dire alors : IL LEUR A DONNE, cest-ŕ-dire ŕ ceux qui Le reçoivent, le
POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, ŕ savoir la grâce qui leur donne le pouvoir
de se conserver dans la filiation divine Quiconque est né de Dieu ne pčche
pas, mais la génération de Dieu, par laquelle nous sommes régénérés en fils de
Dieu, LE PROTEGE 31.
156. Ainsi, par la grâce sanctifiante, par la perfection des uvres et par lacquisition de la gloire, le Verbe a donné A CEUX QUI LONT REÇU le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, en les préparant ŕ recevoir la grâce, en les poussant ŕ [y consentir] et en la leur conservant.
28. Saint Thomas rappelle ici la distinction entre la grâce
habituelle et la grâce actuelle, qui est une motion que Dieu exerce sur nous
pour que nous répondions ŕ son appel. La grâce habituelle est lattraction męme
du Pčre sur nous comme cause finale (cf. 6, leç. 5, n° 946 "lattraction
du Pčre est souverainement efficace"). Cest pourquoi la grâce habituelle,
si elle se distingue de la grâce actuelle, ne peut sen séparer, et elle ne
peut sexercer que sous la motion męme de cette grâce actuelle est celle qui,
par la charité, est orientée vers le salut, vers notre béatitude. La charité
apporte ŕ la foi un ordre vers la fin ultime, et cest cet ordre (ordre"
dynamique", dirait-on aujourdhui) qui est la" formation" męme
de la foi, permettant au croyant dexercer la foi en vue de sa béatitude. Au
contraire, la foi séparée de la charité (foi" informe"), si elle
demeure bien une adhésion surnaturelle ŕ la Vérité, ne peut plus orienter le
croyant vers cette Vérité comme vers son bien propre. Cette distinction de la
foi" formée" et de la foi" informe" a été reprise par le
Concile de Trente, mais sous des termes différents on parle seulement de
foi" vive" et de foi" morte", cest-ŕ-dire sans les uvres
(voir Denziger, n° 800. 838; 32e éd. 1963, n° 1531-1578). La nécessité de cette
distinction provient du fait que lhomme-pécheur qui perd la charité ne perd
pas nécessairement la foi. Pour perdre la foi, il faut pécher explici tement
contre elle.
29. Lam 5, 21.
30. Ro 8, 30.
31. 1 Jean 5, 18.
[1,
12b] A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM
157. En disant cela lEvangéliste montre ŕ qui est accordé le fruit de la venue du Verbe. Ces paroles peu vent ętre comprises comme une explication de ce qui a été dit plus haut, ou bien comme apportant une restriction.
Comme une explication : pour
expliciter le sens de TOUS CEUX QUI LONT REÇU, pour montrer ce que cest que
Le recevoir, Jean ajoute A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM; comme sil disait :
recevoir le Christ, cest croire en Lui, car le Christ habite dans vos curs
par la foi 32. Ceux-lŕ donc LONT REÇU, qui CROIENT EN SON NOM.
158. Comme apportant une
restriction : selon Origčne 33, les paroles A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM doivent sentendre comme
restreignant les précédentes TOUS CEUX QUI LE REÇOIVENT. Beaucoup en effet se
disant chrétiens reçoivent le Christ, mais sans devenir pour autant fils de
Dieu, parce quils ne croient pas vraiment en son nom, enseignant ŕ son sujet
de faux dogmes, cest-ŕ-dire soustrayant quelque chose soit ŕ sa divinité soit
ŕ son humanité Tout esprit qui divise le Christ nest pas de Dieu 34. Aussi
lEvangéliste précise-t-il : IL LEUR A DONNE, cest-ŕ-dire ŕ ceux qui Lont
reçu par la foi, le POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, ŕ ceux-lŕ cependant QUI
CROIENT EN SON NOM, cest-ŕ-dire qui gardent intčgre le nom du Christ, ne
retranchant rien ŕ sa divinité ni ŕ son humanité.
159. On peut aussi rapporter ces paroles ŕ la formation de la foi 35; elles signifient alors : A CEUX QUI CROIENT EN SON NOM, cest-ŕ-dire qui font des uvres de salut, grâce ŕ leur foi informée par la charité, le Verbe A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU. Ceux qui nont quune foi informe ne croient pas en son nom, parce quils ne travaillent pas en vue du salut. Cependant la premičre interprétation est plus appropriée.
32. Eph 3, 17.
33. Il sagit en réalité de Jean Scot Erigčne : Homélie sur le
Prologue de Jean, 20, PL 122, col. 294. 295, trad. pp. 299-303.
34. 1 Jean 4, 3.
35. Saint Thomas distingue foi" formée" et foi"
informe" (cf. II-II, q. 4, a. 4; De veritate, q. 14, a. 7, c). La
foi" formée"
QUI
NE SONT PAS NES DU SANG, NI DUN VOULOIR DE CHAIR, NI DUN VOULOIR DHOMME,
MAIS DE DIEU.
160. En disant cela lEvangéliste montre de quelle maničre ce fruit si magnifique est accordé aux hommes. Il vient de dire que le fruit de la venue de la lumičre est le POUVOIR donné aux hommes DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU. Or on dit de quelquun quil est fils du fait quil naît. Mais afin quon ne pense pas que les enfants de Dieu naissent par une génération naturelle, lEvangéliste dit : QUI NE SONT PAS NES DU SANG. Il faut remarquer ici que la génération charnelle implique une double cause, ŕ savoir la cause matérielle et celle qui pousse ŕ lacte. Or la cause matérielle de la génération est le sang et cest pourquoi il dit : QUI NE SONT PAS NES DU SANG. Bien que le mot "sang" en latin nait pas de pluriel, parce quen grec il en a un le traducteur latin a négligé la grammaire pour enseigner parfaitement la vérité. Aussi na-t-il pas dit : "Nés du sang", comme les latins, mais : "Nés des sangs". Par cette expression il faut entendre tout ce qui est engendré du sang et concourt comme matičre ŕ la génération charnelle. Or la semence, daprčs Aristote, est le superflu de la nourriture du sang 36. Aussi, semence de lhomme ou menstrues de la femme, lEvangéliste les désigne par le SANG. La cause sous la motion de laquelle saccomplit lacte charnel est la volonté de ceux qui sunissent, cest-ŕ-dire lhomme et la femme; car, bien que lacte de la fonction génératrice en tant que tel ne soit pas soumis ŕ la volonté, du moins les préambules lui sont-ils soumis. Aussi Jean dit-il QUI NE SONT PAS NES DUN VOULOIR DE CHAIR, cest-ŕ-dire de la femme, NI DUN VOULOIR DHOMME, comme cause efficiente, MAIS DE DIEU comme sil disait : ils sont devenus enfants de Dieu dune maničre non pas charnelle mais spirituelle.
Daprčs Augustin 37 la chair, ici, désigne la femme car, de męme que la chair obéit ŕ lesprit, de męme la femme doit obéir ŕ lhomme Celle-ci est os de mes os et chair de ma chair, dit Adam en parlant dEve 38. Et selon la remarque dAugustin 39, de męme que les riches ses dune maison sont réduites ŕ rien lŕ oů la femme commande et oů le mari obéit, de męme cest la ruine pour lhomme en qui la chair domine lesprit; aussi lApôtre dit-il : Nous ne sommes pas débiteurs envers la chair pour vivre selon la chair 40. Et au sujet de la génération charnelle, nous lisons : Jai été fait chair dans le sein de ma mčre 41.
36. Voir ARISTOTE, De la génération des animaux, 1, 18, 724 b
37. Tract in J 2, 14, BA 71, p. 201.
38. Gn 2, 23.
39. Op. cit., p. 203.
40. Ro 8, 12.
41. Sag 7, 1.
161. Ou bien nous pouvons
dire que ce qui pousse lhomme ŕ la génération charnelle est double : dune
part, du côté de lappétit spirituel, la volonté; dautre part, du côté
sensible, la concupiscence. Pour désigner la cause matérielle, Jean dit : NON
DU SANG; et pour désigner la cause efficiente, du côté de la concupiscence, il
dit : NI DUN VOULOIR DE CHAIR. Certes cest dune maničre impropre quil parle
de volonté ŕ propos de la concupiscence de la chair, mais cest bien en ce sens
quil est écrit : La chair convoite contre lesprit et les prit contre la
chair; en effet, ils sont opposés lun ŕ lautre, de sorte que vous ne faites
pas ce que vous voulez 42. La volonté sentend ici de la volonté de la chair, qui est la
concupiscence, et de la volonté de lesprit. Et pour lappétit spirituel,
lEvangéliste dit : NI DUN VOULOIR DHOMME. Ainsi, la génération des enfants
de Dieu nest point charnelle, mais spirituelle, parce quils sont nés de Dieu
Tout ce qui est né de Dieu est vainqueur du monde 43.
162. Il faut remarquer que la préposition latine a (par) indique toujours la cause qui meut, tandis que la préposition de indique toujours la cause matérielle et efficiente, et męme la cause consubstantielle. Nous disons en effet que lartisan fabrique un couteau de ferro, avec du fer, et que le pčre engendre son fils de seipso, de lui-męme, car quelque chose de lui concourt dune certaine maničre ŕ la génération du fils. Quant ŕ la préposition ex (de), on lutilise dans un sens plus général; elle désigne la cause matérielle et efficiente, mais non la cause consubstantielle.
42. Ga 5, 17.
43. 1 In 5, 4.
Or seul le Verbe est le Fils
de Dieu, de la substance du Pčre; bien plus Il est une seule substance avec le
Pčre, tandis que les autres, les hommes justes, sont fils de Dieu sans
toutefois ętre de sa substance. LEvangéliste, pour cette raison, se sert de la
préposition ex pour dire de ces derniers quils sont nés de Dieu, ex Deo; mais,
du Fils selon la nature, on dit dune maničre uni que quIl est né de Dieu le
Pčre, de Deo Patre.
163. Remarquons enfin que daprčs la derničre explication sur la génération charnelle, nous pouvons reconnaître une autre différence entre cette génération et la génération spirituelle.
En effet celle-lŕ, parce quelle vient du sang, est charnelle; et celle-ci, parce quelle ne vient pas du sang, est spirituelle Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de lesprit est esprit 44. Parce quelle vient dun vouloir de chair, cest-ŕ-dire de la concupiscence, la génération charnelle est impure et engendre des enfants pécheurs Jadis (...) nous étions par nature enfants de colčre 45. Au contraire, celle qui vient dun vouloir dhomme, cest-ŕ-dire de lesprit, est pure et fait des fils de lumičre 46.
De plus, selon la premičre
explication, la génération charnelle, parce quelle vient dune volonté
dhomme, engendre des enfants dhomme; tandis que la génération spirituelle,
parce quelle vient de Dieu, engendre des enfants de Dieu.
164. Si nous voulons rapporter au baptęme, par lequel nous sommes régénérés en enfants de Dieu, les paroles : IL LEUR A DONNE POUVOIR DE DEVENIR ENFANTS DE DIEU, nous pouvons voir en elles lordre requis pour le baptęme. Pour celui-ci, en effet, est exigée en premier lieu la foi au Christ; aussi les catéchumčnes doivent-ils ętre dabord instruits de la foi, afin de croire EN SON NOM et dętre ensuite régénérés par le baptęme, [par lequel ils naissent] non certes DU SANG, dune maničre charnelle, MAIS DE DIEU, dune maničre spirituelle.
44. Jean 3, 6.
45. Eph 2, 3.
46. Jean 12, 36.
165. LEvangéliste vient de montrer la nécessité et lavantage qui a résulté pour les hommes de la venue du Verbe dans la chair; il explique maintenant comment sest réalisée cette venue : ET LE VERBE SEST FAIT CHAIR, ET IL A HABITE PARMI NOUS.
Cest la suite des paroles
précédentes : Il est venu chez Lui 1, et cest comme si Jean
affirmait : le Verbe de Dieu est venu chez Lui. Mais pour quon ne croie pas
que cette venue implique un changement de lieu, lEvangéliste montre comment Il
est venu : en se faisant chair; en effet Il est venu de la maničre dont Il a
été envoyé par le Pčre, et Il a été envoyé par le Pčre en étant fait chair
Dieu a envoyé son Fils, né dune femme 2; ce qui fait dire ŕ Augustin : "Tel Il a été fait, tel Il a été
envoyé".
ET LE
VERBE SEST FAIT CHAIR
Pour Jean Chrysostome 3, ces paroles se relient ŕ celles-ci : A tous ceux qui Lont reçu, Il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu. En effet, lEvangéliste a dit : Il leur a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu 4; et parce quon pourrait se demander doů vient ce pouvoir, il répond en ajoutant avec raison que LE VERBE SEST FAIT CHAIR; autrement dit, le fait męme que le Verbe se soit fait chair nous a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu Dieu a envoyé son Fils né dune femme (...) pour faire de nous ses fils adoptifs.
1. Jean 1, 11.
2. Ga 4, 4.
3. In Ioannem hom., 11, ch. 1, PG 59,
col. 78-79.
4. Jean 1, 12.
Cependant, pour Augustin 5 qui les rattache aux paroles
précédentes nés de Dieu, ces mots sont comme un argument pour convaincre ceux
qui trouveraient dur de croire que les hommes sont nés de Dieu; pour que lon
croie que cest bien vrai, lEvangéliste ajoute une autre assertion encore
moins vraisemblable : LE VERBE SEST FAIT CHAIR. Autrement dit : ne tétonne
pas si des hommes sont nés de Dieu, puisque le VERBE SEST FAIT CHAIR,
cest-ŕ-dire : Dieu sest fait homme.
166. Remarquons que certains, comprenant mal cette affirmation LE VERBE SEST FAIT CHAIR, en prirent prétexte ŕ erreur.
En effet les uns affirmčrent que le Verbe sétait fait chair en ce sens quIl sétait changé en chair, Lui ou une partie de son ętre, tout comme de la farine devient du pain, ou de lair se change en feu. Ce fut lerreur dEutychčs 6 il se fit dans le Christ, disait-il, une combinaison des deux natures, et en Lui la nature de Dieu et celle de lhomme étaient la męme. La fausseté de cette opinion est manifeste, car lEvangéliste dit plus haut : le Verbe était Dieu 7. Or Dieu est immuable, comme Il le dit Lui-męme : Moi je suis Dieu et je ne change point 8. Il ne peut donc en aucune maničre ętre changé en une autre nature. Aussi faut-il dire contre Eutychčs 6 LE VERBE SEST FAIT CHAIR; cela signifie quIl a pris la chair, et non que le Verbe Lui-męme soit la chair elle-męme. Cest comme si nous disions : "Lhomme sest fait blanc"; cela ne signifie rait pas que lhomme soit la blancheur elle-męme, mais quil a pris la blancheur.
5. Tract. in Jo., 2, ch. 15, BA 71, pp. 203-205.
6. Eutychčs, moine qui vivait ŕ Constantinople au V sičcle, fut
condamné par le concile de Chalcédoine en 451 car il tenait pour hérétiques
tous ceux qui admettaient deux natures dans le Christ. Avec Eutychčs"
apparaît lhérésie dite monophysite; la tendance quelle incarne, symétrique et
ŕ lopposé du nestorianisme, se laisse définir comme une insistance excessive ŕ
souligner ce qui dans lIncarnation relčve de Dieu, et cela au détriment de
lélément proprement humain. (...) Laccusation principale sera davoir
professé que si Notre Seigneur Jésus-Christ est bien formé "ŕ partir de
deux natures", sil y a bien deux natures avant lunion, il nen subsiste
plus quune dans lunion" (cf. J. DiuuÉi. ou et H. MARROU, Nouvelle
histoire de lEglise, Le Seuil, Paris 1963, t. 1, pp. 393-394).
167. Dautres, tout en croyant que le Verbe ne sest pas changé en chair, mais quIl la prise, affirmčrent cependant quIl avait pris la chair sans âme; car, disaient-ils, sIl avait pris une chair animée, lEvangéliste aurait dit : "Le Verbe sest fait chair animée". Telle fut lerreur dArius 9 il disait que dans le Christ il ny avait pas dâme, mais que le Verbe de Dieu en tenait lieu.
La fausseté de cette thčse apparaît dans son opposition ŕ lEcriture Sainte qui, en plusieurs endroits, fait mention de lâme du Christ, par exemple en Matthieu oů le Seigneur dit : Mon âme est triste jusquŕ la mort 10; de plus elle attribue au Christ des passions de lâme qui ne peuvent en aucune façon se trouver dans le Verbe de Dieu, ni non plus dans la chair seule : Jésus commença ŕ ressentir tristesse et angoisse 11. De plus, Dieu ne peut ętre la forme dun corps : męme un ange ne peut ętre uni ŕ un corps ŕ la maničre dune forme puisque, par nature, il est séparé de tout corps, tandis que lâme est unie au corps en qualité de forme. Le Verbe de Dieu ne peut donc ętre la forme dun corps. Dailleurs il est certain que la chair ne reçoit son caractčre propre de chair que par lâme; cest évident car, une fois séparée du corps dun homme ou dun buf, la chair de lhomme ou du buf ne peut ętre appelée chair que dune maničre équivoque. Si donc le Verbe na pas pris une chair animée, il est clair quIl na pas pris chair. Or LE VERBE SEST FAIT CHAIR, donc Il a pris une chair animée.
7. Jean 1, 1.
8. Mal 3, 6.
9. Voir ci-dessus, n° 61, note 62.
10. Mt 26, 38.
11. Mt 26, 37. Cf. Mc 14, 33.
168. Dautres enfin, tenant compte de cet argument, affirmčrent que le Verbe a pris une chair avec une âme, certes, mais une âme seulement sensitive, et non spirituelle; car, pour eux, le Verbe tenait lieu de cette derničre dans le corps du Christ. Ce fut lerreur dApollinaire 12 qui, un certain temps, suivit Arius; mais ŕ cause de lautorité des textes sacrés cités plus haut, il fut contraint, ŕ la fin, dadmettre dans le Christ une âme capable dętre sujette ŕ ces passions; cependant cette âme, disait-il, fut privée de raison et dintelligence car le Verbe, dans lhomme-Christ, en tenait lieu.
Cette opinion est manifestement fausse, comme opposée ŕ lautorité de lEcriture, car celle-ci affirme du Christ certaines choses qui ne peuvent se trouver ni dans la divinité, ni dans lâme sensitive, ni dans la chair. [On y lit par exemple] Entendant les paroles pleines de foi dun centurion de Capharnaüm, Jésus fut dans ladmiration 13. Or ladmiration, étant le désir de connaître la cause cachée dun effet vu, est une passion de lâme rationnelle et spirituelle. Ainsi, comme la tristesse oblige contre Arius ŕ admettre dans le Christ la partie sensitive de lâme, de męme ladmiration oblige ŕ admettre dans le Christ la partie spirituelle de lâme.
12. Apollinaire le Jeune, né vers 300 et mort vers 390,
"enseignait une doctrine étrange selon laquelle le Verbe, en sincarnant,
naurait pas pris la nature humaine dans son intégrité, mais seulement le
corps, se réservant de jouer lui-męme le rôle de lâme ou de lesprit". Suspecté,
il chercha ŕ se tirer dembarras par une division trichotomiste du composé
humain (âme-esprit-corps) en disant que le Christ avait bien une âme mais pas
desprit humain. Il découle de lŕ que" lIncarnation nest pas la prise
par le Verbe dune humanité complčte". (...) La rédemption nest pas
totale : ce qui est sauvé, cest ce que le Verbe a assumé, cest-ŕ-dire la
chair et lâme mais non pas le noűs (...) Le Christ ne possčde quune nature
concrčte; le corps assumé par le Verbe nest pas par lui-męme une nature,
puisquil ne saurait exister indépendamment du Verbe qui le vivifie. De lŕ la
formule : une est la nature incarnée du Dieu Verbe" (cf. G. Bju art. Apollinaire
le Jeune et Apollinarisme, in Catholicisme, 1, col. 706-709).
Le raisonnement le prouve également. De męme en effet quil ny a pas de chair sans âme, de męme il ny a pas de vraie chair humaine sans lâme humaine, qui est une âme spirituelle. Par conséquent, si le Verbe a pris une chair animée dune âme seulement sensitive, et non rationnelle, Il na pas pris une chair humaine et on ne peut pas dire Dieu sest fait homme.
En outre, si le Verbe a assumé la nature humaine, cest pour la restaurer. Il a donc restauré ce quIl a assumé. Si donc Il navait pas assumé lâme rationnelle, Il ne laurait pas restaurée; et dans ce cas, aucun fruit ne nous proviendrait de lIncarnation du Verbe, ce qui est faux. Donc LE VERBE SEST FAIT CHAIR, cest-ŕ-dire Il a pris une chair animée dune âme rationnelle.
LE
VERBE SEST FAIT" CHAIR"
169. Mais peut-ętre dira-t-on si le Verbe a pris une chair ainsi animée, pourquoi lEvangéliste ne fait-il pas mention de lâme rationnelle, mais seulement de la chair, disant LE VERBE SEST FAIT CHAIR?
Voici la réponse. LEvangéliste a agi ainsi pour quatre raisons.
Dabord afin de prouver la vérité de lIncarnation contre les Manichéens. Ceux-ci disaient que le Verbe na pas pris une vraie chair, mais seulement une chair imaginaire, car il ne convenait pas que le Verbe du Dieu bon prît un corps, le corps étant pour eux une créature du diable. Aussi, pour empęcher cette erreur, lEvangéliste a fait spécialement mention de la chair; comme le Christ Lui-męme, aux disciples qui Le prenaient pour un fantôme, montra la vérité de sa résurrection en disant : Un esprit na ni chair ni os comme vous voyez que jen ai 14.
13. Mt 8, 10. Pour comprendre la maničre dont saint Thomas
définit ladmiration, rappelons que le verbe latin admirari signifie dabord
"sétonner".
14. Luc 24, 39.
Ensuite lEvangéliste a écrit : LE VERBE SEST FAIT CHAIR pour faire connaître la grandeur de la bonté divine envers nous. Il est certain en effet que lâme rationnelle est plus semblable ŕ Dieu que la chair et certes, ceűt déjŕ été un grand mystčre damour si le Verbe navait assumé quune âme humaine, qui Lui ressemble davantage; mais prendre une chair si éloignée de la simplicité de la nature divine fut le signe dun bien plus grand amour encore, et męme dun amour inestimable, comme le dit lApôtre Cest sans contredit un grand mystčre damour qui a été manifesté dans la chair 15. Donc, pour montrer cette vérité, lEvangéliste a fait mention seulement de la chair.
En troisičme lieu Jean a voulu montrer la vérité et le caractčre unique de cette union dans le Christ. Assurément Dieu sunit ŕ dautres hommes saints, mais ŕ leur âme seulement; cest pourquoi il est écrit : Dâge en âge la Sagesse se répand dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophčtes 16. Mais que le Verbe de Dieu se soit uni ŕ la chair, cela est propre au Christ, selon ce passage du Psaume : Pour moi, je suis seul, jusquŕ ce que je passe 17, et selon cette parole de Job : Lor ne peut lui ętre comparé 18. Cest le caractčre unique de cette union dans le Christ que veut montrer lEvangéliste en faisant mention seulement de la chair lorsquil dit : LE VERBE SEST FAIT CHAIR.
15. 1 Tm 3, 16.
16. Sag 7, 27.
17. Ps 140, 10.
18. Jb 28, 17.
Enfin, l'Evangéliste parle de la chair seule pour montrer que lhomme a été restauré de la maničre qui convenait le mieux. Cest en effet par la chair que lhomme était rendu infirme; aussi lEvangéliste, voulant prouver combien la venue du Verbe convenait ŕ notre restauration, a fait mention spécialement de la chair, pour montrer que la chair infirme a été restaurée par la chair du Verbe; et cest ce que lApôtre dit Ce qui était impossible ŕ la Loi, que la chair rendait impuissante, Dieu la fait : envoyant pour le péché son propre fils dans une chair semblable ŕ celle du péché et pour le péché, Il a condamné le péché dans la chair 19.
LE
VERBE "SEST FAIT" CHAIR.
170. On dira peut-ętre : si LE VERBE SEST FAIT CHAIR parce quIl a pris chair, pourquoi lEvangéliste na-t-il pas dit : "le Verbe a pris chair", au lieu de LE VERBE SEST FAIT CHAIR? Je réponds quil sest exprimé ainsi pour écarter lerreur de Nestorius 20. Celui ci affirmait quil y avait deux personnes dans le Christ, et deux fils, et quen Lui, autre était le Fils de Dieu, autre le fils de la Vierge; cest pourquoi il ne reconnais sait pas que la bienheureuse Vierge fűt Mčre du Fils de Dieu. Mais daprčs cette opinion, ce quaffirme lEvangéliste en disant que Dieu sest fait homme, serait faux, parce que, si deux réalités individuelles sont diverses par leur suppôt 21, il est impossible dattribuer lune ŕ lautre. Cest pourquoi si, dans le Christ, autre est la personne (ou le suppôt) du Verbe et autre la personne (ou le suppôt) de lhomme, la parole de l'Evangéliste LE VERBE SEST FAIT CHAIR ne sera pas exacte. En effet, cest pour ętre que quelque chose se fait; si donc le Verbe nétait pas homme, on ne pourrait pas dire quIl sest fait homme. Cest pourquoi lEvangéliste a dit expressément du Verbe quIl SEST FAIT et non quIl "a assumé" la chair, pour montrer quIl ne sest pas uni ŕ la chair de la męme maničre quIl a pris les Prophčtes, qui nétaient pas assumés dans lunité de la personne mais seulement en vue de lacte prophétique. Au contraire, lunion du Verbe ŕ la chair est telle que Dieu, elle Le fait homme et lhomme, elle le fait Dieu; cest-ŕ-dire quelle est telle que Dieu soit homme.
19. Ro 8, 3.
20. Nestorius, patriarche de Constantinople, condamné au concile
dEphčse en 431, professait que la divinité nétait présente dans lhumanité du
Christ" quŕ la façon dont elle létait dans les prophčtes, quoique plus
parfaitement. Le point saillant de la controverse était son refus daccepter
quon donnât ŕ Marie le nom de Mčre de Dieu (en grec thé otokos), ce qui
tendait au moins ŕ faire penser quil y avait dans le Christ non seulement deux
natures mais deux personnes distinctes, bien que Nestorius lui-męme ne paraisse
pas avoir voulu aller si loin" (cf. L. BOUYER, Dictionnaire théologique,
Desclée, Tournai, 1963, art. Nestorianisme, pp. 458-459).
21. Le terme "suppôt" est premičrement un terme
logique qui signifie ce qui est capable de recevoir un attribut; il est donc le
sujet par excellence. Mais trčs souvent chez saint Thomas (comme ici),
"suppôt" a le męme sens que" personne". Il est donc pris en
un sens métaphysique, comme ce qui subsiste dans une nature rationnelle.
171. Il y en eut dautres qui, ne comprenant pas le mode de lIncarnation, admirent que cette assomption se terminait vraiment ŕ la personne, reconnaissant dans le Christ une unique personne ŕ la fois divine et humai ne; et qui cependant disaient quil y avait en Lui deux hypostases, ou deux suppôts, lun de la nature humaine, créé et temporel, lautre de la nature divine, incréé et éternel. Telle est la premičre opinion qui est exposée dans les Sentences de Pierre Lombard 22.
Si lon est attentif, il faut reconnaître que daprčs cette opinion on ne peut pas maintenir que Dieu sest fait homme et que lhomme sest fait Dieu. Mais parce quon doit le maintenir, le cinquičme concile oecuménique 23 a condamné cette opinion comme hérétique en ces termes : "Si quelquun dit quil y a dans le Seigneur Jésus-Christ une seule personne et deux hypostases, quil soit anathčme". Aussi lEvangéliste, pour exclure toute assomption qui ne se terminerait pas ŕ lunité de la personne, emploie lexpression SEST FAIT.
22. III Sent., dist. 6.
23. il sagit du 2e concile de Constantinople, en 553.
172. Mais si lon cherche comment le Verbe est homme, on doit dire quIl est homme comme Socrate est homme, cest-ŕ-dire en ce sens quIl a la nature humaine. Le Verbe nest pas la nature humaine elle-męme; et le fait quIl ait été fait homme nintroduit pas de changement dans le Christ du côté du Verbe, mais du côté de la chair assumée ŕ un moment donné du temps dans lunité de la Personne. On dit en effet que le Verbe sest fait chair ŕ cause de lunion. Or lunion est une relation, et les relations attribuées nouvellement ŕ Dieu par rapport aux créatures nimpliquent aucun changement du côté de Dieu, mais seulement du côté de la nature ayant avec Dieu un rapport nouveau.
II
ET IL
A HABITE PARMI NOUS.
173. On peut comprendre de deux maničres en quoi ce que Jean dit ici
diffčre de ce qui précčde. LEvangéliste nous a dabord parlé de lIncarnation
du Verbe : LE VERBE SEST FAIT CHAIR; ici il fait connaître le mode de lIncarnation
: ET IL A HABITE PARMI NOUS. Selon Chrysostome 24 et Hilaire 25, du fait que
lEvangéliste dit LE VERBE SEST FAIT CHAIR, on pourrait comprendre que le
Verbe sest changé en chair et quil ny a pas dans le Christ deux natures
distinctes, mais une seule nature résultant du mélange des natures divine et
humaine; cest pourquoi lEvangéliste, écartant cette interprétation, a ajouté
ET IL A HABITE PARMI NOUS, cest-ŕ-dire dans notre nature, tout en demeurant
cependant distinct dans la sienne : en effet, ce qui se change en un autre ne
demeure pas distinct, et ce qui nest pas distinct dun autre nhabite pas en
lui. Or le Verbe A HABITE dans notre nature, donc Il est distinct delle par sa
propre nature. Et cest pourquoi la nature humaine, en tant quelle fut
distincte dans le Christ de la nature du Verbe, est dite demeure et temple du
Dieu vivant : Mais Lui parlait du temple de son corps. 26
24. In Ioannem hom., 11, ch. 2, PG 59,
col. 80.
25. De Trin., 10, eh. 22; PL 10, col. 359-360.
26. Jean 2, 21.
174. Bien que cela ait été dit par les saints nommés plus haut, il faut éviter de porter contre eux une accusation injuste. En effet, lorsque les anciens docteurs et les saints parlent contre une erreur redoutée, ils renchérissent de telle sorte, par des expressions imprécises, contre lerreur quils combattent, que dautres en raison męme de ces expressions tombent dans une autre erreur.
Par exemple, les expressions dAugustin contre les Manichéens qui détruisaient le libre arbitre, expressions renforçant et exaltant la dignité du libre arbitre, ont été pour Pélage loccasion de tomber dans lerreur quil commet en soutenant que lhomme na plus besoin de la grâce de Dieu pour éviter le péché et accomplir des uvres méritoires.
Cest ainsi que les saints,
voulant éviter la confusion des natures dans le Christ, ont affirmé
linhabitation pour la raison que lon a dite. Mais cela fut pour Nestorius 27 une occasion derreur. Il
affirma en effet que le Fils de Dieu est uni ŕ lhomme non de telle maničre que
de Dieu et de lhomme soit faite une seule personne, mais ŕ cause de
linhabitation du Fils de Dieu dans le Christ, qui, pour lui, se réalise par la
grâce. Et ainsi le Fils de Dieu ne se serait pas FAIT homme.
175. Pour éclairer cela, il faut savoir que dans le Christ on peut considérer deux choses : la nature et la personne.
Il y a dans le Christ distinction de natures, mais non de personnes, parce que la nature humaine en Lui fut assumée dans lunité de la personne. Donc, linhabitation dont parlent les saints docteurs doit ętre rapportée ŕ la nature, et lon doit dire : IL A HABITE PARMI NOUS en ce sens que la nature du Verbe a habité notre nature; mais non selon lhypostase ou la personne, celle-ci dans le Christ étant la męme pour les deux natures.
27. Voir ci-dessus, n 170, note 20.
176. Quant au blasphčme de Nestorius, il est clairement réfuté par lautorité de lEcriture Sainte. En effet, lApôtre appelle "anéantissement" lunion de Dieu et de lhomme, en disant du Fils de Dieu : Lui qui était de condition divine, ne se prévalut pas dętre légal de Dieu, mais Il sanéantit Lui-męme, prenant la condition desclave 28. LApôtre ne dit pas que Dieu sest "anéanti" en habitant la créature raisonnable par la grâce, car alors le Pčre et lEsprit Saint se seraient "anéantis", puisquon dit quIls habitent par la grâce dans la créature douée dintelligence; en effet le Christ dit, en parlant de Lui et du Pčre : Nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure 29 et lApôtre dit de lEsprit Saint : LEsprit de Dieu habite en nous 30.
En outre, si le Christ nétait pas Dieu personnellement, Il eűt été extręmement présomptueux en disant : Moi et le Pčre nous sommes un 31 et : Avant quAbraham fűt, je suis 32. En effet moi et je indiquent la personne qui parle; or celui qui parlait était homme; il ny a donc quune seule et męme personne du Fils de Dieu et de lhomme, mais celui-lŕ, un avec le Pčre, préexistait ŕ Abraham.
28. Phi 2, 6-7.
29. Jean 14, 23.
30. 1 Corinthiens 3, 16.
31. Jean 10, 30.
32. Jean 8, 58.
177. On peut aussi
considérer autrement les paroles ET IL A HABITE PARMI NOUS, par rapport ŕ ce
qui précčde. Plus haut lEvangéliste a parlé de lIncarnation du Verbe;
maintenant il exprime la façon de vivre du Verbe incarné : ET IL A HABITE PARMI
NOUS, cest-ŕ-dire Il a vécu familičrement au milieu de nous, les Apôtres, ce ŕ
quoi Pierre fait allusion en parlant de tout le temps que le Seigneur Jésus a
vécu au milieu deux 33. Il a été vu sur la terre et Il a conversé avec les hommes 34.
178. LEvangéliste a donc ajouté IL A HABITE PAR MI NOUS, dabord pour montrer la conformité du Christ aux hommes dans la vie quIl a menée avec eux. On pourrait en effet croire que le Verbe sétait fait chair de telle sorte que le Christ aurait été différent des autres hommes par sa maničre de vivre au milieu deux; cest pourquoi l'Evangéliste dit ET IL A HABITE PARMI NOUS, cest-ŕ-dire, LE VERBE SEST FAIT CHAIR de telle sorte quIl a vécu au milieu de nous comme un homme parmi les autres. Il sest anéanti Lui-męme, prenant la condition desclave et se faisant semblable aux hommes. Il a paru comme un simple homme 35.
De plus lEvangéliste a écrit LE VERBE A HABITE PARMI NOUS pour montrer la véracité de son témoignage. En effet, plus haut, il avait révélé certaines des grandeurs du Verbe, et il allait encore en dire de nombreuses autres plus admirables. Pour rendre son témoignage digne de foi, il prit comme preuve de la vérité de ses paroles lintimité dans laquelle il avait vécu avec le Christ, et écrivit : IL A HABITE PARMI NOUS. Comme sil disait : Je suis bien placé pour Lui rendre témoignage, car jai vécu dans son intimité Ce qui était dčs le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont palpé du Verbe de vie car la vie sest manifestée, et nous lavons vue (...) et nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprčs du Pčre et qui nous fut manifestée ce que nous avons vu et entendu, nous vous lannonçons ŕ vous aussi 36. Et Dieu a donné ŕ son Fils de se manifester, non ŕ tout le peuple, mais aux témoins choisis davance par Dieu, cest-ŕ-dire ŕ nous qui avons mangé et bu avec lui aprčs quil se fut levé dentre les morts 37.
33. Ac 1, 21.
34. Bar 3, 38
35. Phi 2, 7.
36. 1 Jean 1, 1.
37. Ac 10, 40.
179. LEvangéliste, qui vient de parler de lIncarnation du Verbe, met maintenant en évidence la manifestation du Verbe incarné. Pour cela il en indique les modes, puis les explique [cf. n° 200].
Le Verbe incarné se fit connaître aux Apôtres de deux maničres : ils Le connurent en premier lieu par la vue, comme recevant du Verbe Lui-męme la connaissance du Verbe, et en second lieu par louďe, en recevant cette fois du témoignage de Jean la connaissance du Verbe. LEvangéliste nous apprend donc dabord ce que les Apôtres ont vu du Verbe (cest lobjet de la présente leçon), puis ce quils ont entendu de la bouche de Jean-Baptiste [n° 191].
Au sujet du Verbe, Jean affirme trois choses : la manifestation de sa gloire : ET NOUS AVONS VU SA GLOIRE [n° 180]; le caractčre unique de cette gloire : GLOIRE QUIL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE [n° 184]; la qualification de cette gloire : PLEIN DE GRÂCE ET DE VERITE [n° 188].
NOUS
AVONS VU SA GLOIRE [1, 14c]
180. Ces paroles peuvent ętre la suite naturelle de ce qui précčde, de trois maničres différentes. Elles peuvent ętre prises dabord comme preuve de laffirmation : LE VERBE SEST FAIT CHAIR. Cest alors comme si Jean disait : Je sais avec certitude que le Verbe de Dieu sest incarné, car moi et les autres Apôtres, NOUS AVONS VU SA GLOIRE.
En effet : Nous parlons de ce
que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu 1, et : Ce qui
était dčs le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de
nos yeux, ce que nous avons contemplé (...), car la vie sest manifestée; nous
lavons vue (...) et nous vous annonçons la vie éternelle (...), qui nous fut
manifestée; ce que nous avons vu (...) nous vous lannonçons 2.
181. Pour Chrysostome 3, Ies paroles NOUS AVONS VU SA GLOIRE se rattachent aux précédentes, Le Verbe sest fait chair, pour exprimer que le bienfait est multiple. LEvangéliste veut dire : LIncarnation nous a conféré non seulement le bienfait de devenir fils de Dieu, mais encore celui de voir sa gloire. En effet, des yeux faibles et malades ne peuvent par eux-męmes regarder la lumičre du soleil, mais quand il brille dans un nuage ou un corps opaque, alors ils le peuvent. Or, avant lIncarnation du Verbe, les esprits humains étaient incapables de regarder en elle-męme la lumičre QUI ILLUMINE TOUT HOMME. Afin donc quils ne fussent pas privés de la joie de sa vision, la lumičre elle-męme, cest-ŕ-dire le Verbe de Dieu, a voulu revętir la chair afin de pouvoir ętre vue de nous Ils se tournčrent vers le désert, et ils virent la gloire du Seigneur dans une nuée 4, cest-ŕ-dire le Verbe de Dieu dans la chair.
1. Jean 3, 11.
2. 1 In 1, 1.
3. In Ioannem hom., 12, ch. 1, PG 59,
col. 81.
4. Ex 16, 10.
182. Augustin 5 rattache les
paroles NOUS AVONS VU SA GLOIRE aux précédentes en les rapportant au bienfait
de la grâce. En effet, non seulement ŕ cause de la faiblesse naturelle, mais
encore en raison de limperfection due au péché, lil de lhomme était
incapable de contempler la lumičre divine. Le feu, celui de la concupiscence,
est tombé sur eux et ils nont pas vu le soleil, cest-ŕ-dire le Soleil de
justice 6. Donc, pour que nous puissions voir la lumičre divine, le Verbe a
guéri les yeux des hommes en faisant de sa chair un collyre salutaire, de sorte
que les yeux corrompus par la concupiscence de la chair puissent guérir par sa
chair. Voilŕ pourquoi, aussitôt aprčs avoir dit Le Verbe sest fait chair, il
ajoute ET NOUS AVONS VU SA GLOIRE, comme pour dire : aussitôt appliqué le
collyre, nos yeux ont été guéris. [C'est pour signifier cela que le Seigneur] dit de la boue avec sa
salive et la mit sur les yeux de laveugle né 7. La boue vient
de la terre, mais la salive vient de la tęte. Ainsi dans la personne du Christ,
la nature humaine quIl a prise vient de la terre; mais le Verbe incarné vient
de la tęte, cest-ŕ-dire de Dieu le Pčre. Aussitôt que cette boue fut appliquée
sur nos yeux, NOUS AVONS VU SA GLOIRE.
183. Cest cette gloire, cest-ŕ-dire la splendeur du Verbe, que Moďse désira voir quand il dit : Montre-moi ta gloire 8 Mais il ne mérita pas de la voir; bien plus, le Seigneur ne lui a-t-Il pas dit : Tu me verras de dos 9, cest-ŕ-dire tu ne verras de moi que des ombres et des figures? Les Apôtres, au contraire, virent sa splendeur męme Nous tous qui, le visage découvert, réfléchis Sons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette męme image, allant de splendeur en splendeur 10.
Quant aux Prophčtes, ils ont certes vu cette splendeur; cependant ils ne lont pas vue ŕ visage découvert mais en figures et en énigmes; voilŕ pourquoi Jean dit : Isaďe a dit cela, parce quil a vu sa gloire 11. Les Apôtres, eux, la virent ŕ visage découvert, cest-ŕ-dire sans figures : Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez. Car je vous dis que beaucoup de prophčtes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez, vous, et ils ne lont pas vu; entendre ce que vous entendez, et ils ne lont pas entendu 12.
5. Tract. in Ioann., 2, 16, BA 71, pp. 205.
207.
6. Ps 57, 9; cf. Mal 3, 20.
7. In 9, 6.
8. Ex 33, 18.
9. Ex 33, 23.
10. 2 Co 3, 18.
11. Jean 12, 41.
12. Le 10, 23-24.
GLOIRE
QUIL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE
184. LEvangéliste montre ici le caractčre unique de cette gloire. On sait en effet de certains hommes quils rayonnčrent de gloire; ainsi lExode dit de Moďse : Son visage devint resplendissant 13, ou selon une autre version : Il jetait des rayons de lumičre. Dčs lors on pour rait raisonner ainsi : ce nest pas parce que les Apôtres ont vu le Christ rayonner de gloire quon doit conclure que le Verbe sest fait chair. Mais lEvangéliste prévient ce raisonnement en disant : GLOIRE QUIL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE. Comme sil disait : sa gloire nest pas comme la gloire dun ange, de Moďse, dElie, dElisée, elle est celle du Fils unique; car, dit lApôtre, Il a été digne dune gloire supérieure ŕ celle de Moďse 14, cest-ŕ-dire par-dessus tous les saints et les anges, parce que eux sont glorieux par participation, tandis que le Verbe est la gloire elle-męme. Qui est semblable ŕ Dieu parmi les fils de Dieu? 15
13. Ex 34, 29.
14. He 3, 3.
15. Ps 88, 7.
185. Selon Grégoire 16, lorsque
lEvangéliste emploie ici le mot comme, il ne lemploie pas seulement pour
indiquer que nous sommes appelés fils de Dieu en rai son dune ressemblance
avec la filiation divine, mais pour exprimer la vérité; tandis que pour Jean
Chrysostome 17, cest une maničre de parler : si quelquun avait vu un roi savancer
entouré dune gloire aux aspects multiples et quun autre linterrogeât pour
savoir comment savançait le roi, le premier, pour aller au plus court et
exprimer dun mot cette gloire aux aspects multiples, dirait quil savançait
comme un roi, cest-ŕ-dire comme il convenait ŕ un roi. Ainsi fait
lEvangéliste : comme si on lui avait demandé quelle était la gloire du Verbe
quil avait contemplée, Jean, incapable de lexprimer parfaitement, dit : cette
GLOIRE était celle QUIL TIENT DE SON PERE COMME FILS UNIQUE, cest-ŕ-dire une
gloire telle quelle convient au Fils unique de Dieu.
186. Le caractčre unique de la gloire du Verbe sest manifesté de quatre maničres. Dabord dans le témoignage que le Pčre a rendu au Fils. Jean fut lun des trois qui virent le Christ transfiguré sur la montagne et entendirent la voix du Pčre disant : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me complais 18; et de cette gloire il est dit : Il reçut de Dieu e Pčre honneur et gloire, quand la gloire venue de la splendeur magnifique lui dit : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé" 19
16. Moral., 18, ch. 6. PL 76, col. 4344.
17. In Ioannem hom., 12, ch. 1, PG 59,
col. 81-82.
18. Mt 17, 5.
19. 2 Pe 1, 17.
Ensuite dans le service dont sacquittent les anges ŕ son égard. En effet, avant lIncarnation du Verbe, les hommes étaient soumis aux anges; mais ensuite les anges, soumis au Christ, Le servirent Des anges sapprochčrent du Christ et Le servaient 20.
Puis dans lobéissance de la nature; parce que, créée par Lui, toute la nature obéissait au Christ et était ŕ ses ordres Tout a été fait par Lui 21; or cela na été donné ni aux anges, ni ŕ aucune autre créature, mais au seul Verbe incarné Quel est celui-ci, disait-on, pour que la mer et les vents Lui obéissent? 22
Enfin dans la maničre denseigner et dagir du Christ. Ce nest pas de leur propre autorité que Moďse et les autres prophčtes donnaient des préceptes et instruisaient les hommes, mais avec lautorité męme de Dieu; aussi disaient-ils : Le Seigneur dit ceci... et : Le Seigneur parla ŕ Moďse... Mais le Christ, Lui, parle en maître et comme ayant autorité, cest-ŕ-dire avec sa propre puissance; aussi sexprime-t-Il ainsi : Moi je vous dis... 23 Pour cette raison Matthieu remarque, ŕ la fin du sermon sur la montagne, quIl enseignait [les foules] en homme qui a autorité, et non comme les scribes 24 De męme les autres saints opéraient des miracles, mais non par leur propre puissance; le Christ au contraire les accomplissait par sa propre puissance; cest pour quoi on disait de Lui : Quel est ce nouvel enseignement? Il commande en maître aux esprits impurs et ils Lui obéissent 25. La gloire du Verbe est donc vraiment unique.
20. Mt 4, 11.
21. Jean 1, 3.
22. Mt 8, 27.
23. Mt 5, 22.
24. Mt 7, 29.
25. Mc 1, 27.
187. LEcriture, remarquons-le, appelle le Christ tantôt FILS UNIQUE, comme en ce verset 14, et plus loin : Le Fils unique, qui est dans le sein du Pčre, Lui, La fait connaître 26 tantôt au contraire "Premier-né" [comme dans lEpître aux Hébreux] : De nouveau, lors quIl introduit le Premier-né dans le monde, Dieu dit : "Que tous les anges de Dieu ladorent" 27 En voici la raison : de męme quil appartient en propre ŕ toute la Sainte Trinité dętre Dieu, de męme cest le propre du Verbe dętre Dieu engendré. Or, tantôt nous nommons Dieu selon ce quIl est en Lui-męme, et alors Lui seul, dune maničre unique, est Dieu par son essence; en ce sens, nous disons : il ny a quun seul Dieu, selon ce que dit l'Ecriture : Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu 28 tantôt nous attribuons aussi ŕ dautres, dune maničre dérivée, le nom de la divinité, par suite dune certaine ressemblance de la divinité communiquée aux hommes. Cette similitude participée nous fait dire, en ce sens, quil y a beaucoup de "dieux" : De fait il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs. 29
De la męme maničre, si nous considérons le caractčre propre du Fils, qui est dętre engendré, si nous nous plaçons du point de vue du mode selon lequel cette filiation Lui est assignée, cest-ŕ-dire selon la nature, nous Lappelons le FILS UNIQUE de Dieu; puisque Lui seul est naturellement engendré par le Pčre, il ny a quun seul Fils de Dieu. Mais si nous considérons ce Fils en tant quIl communique ŕ dautres, par une certaine ressemblance, la participation ŕ sa filiation, il y a alors beaucoup de fils de Dieu par participation. Et puisque cest grâce ŕ cette ressemblance quon les appelle "fils de Dieu", on Lappelle le "Premier-né" de tous Ceux quil a connus davance, Dieu les a prédestinés ŕ reproduire limage de son Fils, pour quil soit le Premier né dune multitude frčres 30. Le Christ est donc FILS UNIQUE de Dieu par nature; mais on Lappelle "Premier-né" en tant que, de sa filiation naturelle, la filiation est communiquée ŕ beaucoup par une certaine ressemblance et participation.
26. Jean 1, 18.
27. He 1, 6.
28. Deut 6, 4.
29. 1 Corinthiens 8, 5.
30. Ro 8, 29.
III
PLEIN DE GRÂCE ET DE
VERITE.
188. En disant cela, lEvangéliste précise ce quest la gloire du Verbe; comme sil disait : sa gloire est telle quIl est PLEIN DE GRÂCE ET DE VERITE.
Cette affirmation peut se comprendre de trois façons.
Dabord du point de vue de lunion, ensuite de la perfection de son âme [n° 189], enfin de sa dignité de chef [n° 190]. Du point de vue de lunion, car la grâce est donnée ŕ lhomme pour que, par elle, il soit uni ŕ Dieu. Est donc PLEIN DE GRÂCE celui qui est uni ŕ Dieu de la maničre la plus parfaite. Les autres sont unis ŕ Dieu en participant ŕ Lui par mode de similitude naturelle : cest le cas de tous les hommes Faisons lhomme ŕ notre image et ŕ notre ressemblance 31 parmi eux certains Lui sont en outre unis par la foi 32 Que le Christ habite dans vos curs par la foi et par la charité, parce que celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu 33. Mais tous ces modes dunion demeurent partiels, car la participation ŕ Dieu par mode de similitude naturelle unit ŕ Dieu de maničre imparfaite, et Dieu nest ni vu par la foi tel quIl est, ni aimé par la charité autant quIl est aimable, puisque linfini nest aimé de la créature douée dintelligence que dune maničre finie. Cest pourquoi lunion nest pas pléničre, tandis que dans le Christ elle est pléničre, puisque la nature humaine est assumée par Dieu de telle sorte que lhomme soit Dieu Lui-męme par lunité de la personne. Il fut donc PLEIN DE GRÂCE, non par quelque don gratuit spécial reçu de Dieu, mais parce quIl était Dieu Lui-męme. Cest pourquoi Dieu cest-ŕ-dire le Pčre Lui a donné cest-ŕ-dire au Christ le nom qui est au-dessus de tout nom 34. Il était prédestiné ŕ ętre Fils de Dieu avec puissance 35. Il fut encore PLEIN DE VERITE, parce que dans le Christ la nature humaine, par lunion, parvint ŕ la vérité divine elle-męme, cest-ŕ-dire que cet homme était la vérité divine elle-męme. Dans les autres hommes, il y a de nombreuses vérités participées, selon que la vérité premičre brille en leurs esprits par de nombreuses similitudes; mais le Christ est la vérité elle-męme; cest pourquoi il est dit : En Lui sont cachés tous les trésors de la sagesse 36.
31. Gn 1, 26.
32. Eph 3, 17.
33. 1 Jean 4, 16.
189. On peut encore interpréter les paroles : PLEIN DE GRACE ET DE VERITE de la perfection de lâme du Christ, parce quIl a reçu sans mesure tous les dons de lEsprit Saint : Dieu Lui a donné lEsprit sans mesure 37, alors quIl la donné avec mesure ŕ toutes les créatures douées dintelligence, aux anges comme aux hommes. En effet, selon Augustin, de męme quen chaque membre du corps il y a un sens commun ŕ tous, le sens du toucher, mais que dans la tęte il y a tous les sens, de męme dans le Christ, qui est la tęte, toutes les grâces sont en surabondance, tandis que dans les autres saints il y a un unique don gratuit commun ŕ tous, ŕ savoir la charité, et des dons spéciaux différents chez les uns et les autres, parce que les grâces sont diverses 38; mais le Christ a eu toute la grâce. [C'est bien de la plénitude de la grâce du Christ quIsaďe parle en ces termes] : Un rejeton sort de la souche de Jessé et une fleur pousse de sa racine; sur Lui reposera lEsprit du Seigneur : Esprit de sagesse et dintelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de science et de piété; et lEs prit de crainte du Seigneur le remplit 39.
34. Phi 2, 9.
35. Ro 1, 4.
36. Col 2, 3.
37. Ju 3, 34.
38. 1 Corinthiens 12, 4.
39. Isaďe 11, 1.
40. Jean 21, 17.
Le Christ fut aussi PLEIN DE
VERITE, parce que son âme précieuse connut toute vérité, posséda la science de
toutes choses. Cest pourquoi Pierre lui dit : Seigneur, Tu sais tout 40; [Dieu Lui-męme avait
déclaré par le psalmiste :] Ma vérité, cest-ŕ-dire la connaissance de toute vérité, et ma
miséricorde cest-ŕ-dire la plénitude de toutes les grâces, seront avec Lui 41.
190. On peut enfin expliquer les paroles PLEIN DE GRÂCE ET DE VERITE en les rapportant ŕ la dignité capitale du Christ, car Il est la tęte de lEglise 42 et de ce point de vue il Lui appartient de répandre la grâce dans les autres, grâce quIl a répandue sur nous par ses gestes et son enseignement, selon ce qui est dit dans les Actes : Jésus commença ŕ agir et ŕ enseigner 43. Il est donc dit PLEIN DE GRÂCE en tant quIl a réalisé la grâce en justifiant. En effet la loi ancienne était impuissante ŕ justifier, mais le Christ, Lui, a justifié : Ce que ne pouvait la Loi, que la chair rendait impuissante, Dieu la fait : en envoyant en vue du péché son propre Fils dans une chair semblable ŕ celle du péché, Il a condamné le péché dans la chair, afin que la justice exigée par la Loi saccomplît en nous 44.
De męme le Christ réalisa la vérité, en ce sens quIl accomplit les figures de lAncienne Loi et les promesses faites aux Pčres Jaffirme que le Christ Jésus sest fait ministre de la circoncision pour montrer la véracité de Dieu en accomplissant les promesses faites ŕ nos Pčres 45; et : Toutes les promesses de Dieu ont leur oui en Lui 46.
Jean Le dit encore PLEIN DE GRÂCE parce quIl la répandue en nous par les paroles pleines de grâce de son enseignement. La grâce est répandue sur tes lčvres 47. Ps 44, 3. Voilŕ pourquoi Luc dit que dčs laurore tous venaient ŕ Lui 48. Luc 21, 38, cest-ŕ-dire que dčs le matin ils cherchaient ŕ se rendre auprčs de Lui. Et PLEIN DE VERITE, car Il nenseignait pas en énigmes et en figures, mais en vérité et ouvertement, sans aucune ruse. Voilŕ que maintenant Tu parles ouvertement, sans user de paraboles 49. Jean 16, 29.
41. Ps 88, 25.
42. Eph 5, 23.
43. Ac 1, 1.
44. Ro 8, 3.
45. Ro 15, 8.
46. 2 Co 1, 20.
191. Aprčs avoir montré comment le Verbe sest Lui-męme fait connaître aux Apôtres par la vue, lEvangéliste va montrer ici comment Il sest fait connaître aux Apôtres et ŕ dautres par louďe 1. Ro 10, 17, ŕ travers le témoignage de Jean-Baptiste.
Il introduit dabord le témoin : JEAN LUI REND TEMOIGNAGE; puis il indique le mode de témoignage : ET IL CRIE [n° 193]; enfin il décrit ce témoignage. Voici Celui dont jai dit : Celui qui vient aprčs moi est passé devant moi parce quavant moi Il était [n° 194].
JEAN
LUI REND TEMOIGNAGE
192. Voici ce que dit l'Evangéliste : Nous avons vu sa gloire, gloire quil tient de son Pčre comme Fils unique 2. In 1, 14 mais au cas oů lon ne croirait pas les Apôtres, quun autre témoin sapproche donc, Jean-Baptiste, qui LUI REND TEMOIGNAGE, car cest un témoin fidčle et qui donc ne mentira pas Le témoin fidčle ne ment pas 3. Prov 14, 5. Vous avez envoyé ŕ Jean des messagers et il a rendu témoignage ŕ la vérité, [dit le Seigneur]. 4. in 5, 33.
JEAN en effet REND TEMOIGNAGE autrement dit, il remplit son office avec persévérance, car les lčvres véridiques seront affermies pour jamais. 5. Prov 12, 19.
II ET
IL CRIE
193. LEvangéliste indique ici comment Jean rend témoignage : par un cri. Cest pourquoi il dit : IL CRIE, cest-ŕ-dire quil sexprime avec liberté et sans crainte Elčve la voix avec force (...) Elčve-la sans crainte. Dis aux villes de Juda : Voici votre Dieu 6. Isaďe 40, 9.
IL CRIE, cest-ŕ-dire quil sexprime avec ardeur et grande ferveur Sa parole brűlait comme une torche7. Sir 48, 1, comme les Séraphins, cest-ŕ-dire ceux qui brűlent qui criaient lun ŕ lautre 8. Isaďe 6, 3, exprimant par lŕ lamour brűlant au plus intime deux-męmes.
IL CRIE, cest-ŕ-dire quil sexprime publiquement et ouvertement, et non pas en figures CRIE SANS CESSE, FAIS ENTENDRE TA VOIX 9. Isaďe 58, 1.
III
VOICI CELUI DONT JAI DIT : CELUI QUI VIENT. APRES MOI EST PASSE AVANT MOI,
PARCE QUA VANT MOI IL ETAĎT.
194. En rapportant ces paroles du Baptiste, Jean exprime ce quest ce témoignage. Il en expose dabord la continuité, puis présente celui qui en est lobjet [n° 196].
VOICI
CELUI DONT JAI DIT...
195. Le témoignage de Jean-Baptiste fut continu, car il rendit témoignage au Christ non pas une fois seulement, mais bien souvent et avant męme que le Christ ne vînt ŕ lui; aussi déclare-t-il : VOICI CELUI DONT JAI DIT..., cest-ŕ-dire : je Lui ai rendu témoignage avant de Le voir Toi, petit enfant, tu seras appelé prophčte du Trčs-Haut 10. Luc 1, 76. Et cela parce quil montre le présent et le futur. De plus son témoignage fut certain, car il La désigné non seulement en son absence mais en sa présence; cest pourquoi il dit : VOICI, comme le montrant du doigt; de męme il dira plus tard : voici lAgneau de Dieu 11. Jean 1, 36.
Cela indique que le Christ fut présent en ce lieu; souvent, de fait, avant dętre baptisé et de pręcher, Il avait coutume de venir auprčs de Jean.
CELUI
QUI VIENT APRES MOI
196. Jean décrit ensuite Celui ŕ qui il rend témoignage. Il faut remarquer ici que Jean observe les usages dun bon maître qui ne livre pas immédiatement ŕ ses disciples les choses les plus profondes et cachées de la science, mais qui peu ŕ peu, partant des choses qui leur sont manifestes, progresse vers ce quil y a de plus profond dans la doctrine.
Ainsi Jean ne dit pas
immédiatement que le Christ est le Fils de Dieu; il commence par Le présenter
comme le dépassant, pour, de lŕ, conduire ceux qui lécoutent ŕ des choses plus
profondes. Jean, en effet, avait une si grande réputation que les hommes
auraient pu croire quil était le Christ; cest pourquoi, dčs le point de
départ, il était nécessaire de présenter Jésus comme plus grand que lui. II se
compare ainsi au Christ dans lordre de la prédication [n° 197], de la dignité [n° 198] et de la durée [n° 199].
197. Dans lordre de la prédication Jean a certes devancé le Christ. Cest pourquoi il dit : CELUI QUI, cest-ŕ-dire le Christ, VIENT ou va venir APRES MOI, non pas dans le monde puisque le Christ était déjŕ né quand il a dit cela, mais pour pręcher et ętre connu des hommes Voici que jenvoie mon messager et il préparera la voie devant ma face12. Mal 3, 1.
Notons que le verbe "venir" est ici au présent [venit latin peut ętre présent ou passé], parce que le grec emploie le participe présent.
Jean est venu avant le Christ pour deux raisons. Dabord, selon Chrysostome 13. In Ioannem hom., 13, ch. 2, PG 59, col. 88, parce que Jean était parent du Christ selon la chair : Déjŕ Elisabeth, ta pa rente, a conçu un fils dans sa vieillesse 14. Luc 1, 36. Si le Précurseur avait rendu témoignage au Christ aprčs Lavoir connu, on aurait pu suspecter son témoignage; aussi, pour lui donner plus defficacité, il vint remplir le ministčre de la prédication alors quil navait pas encore eu dintimité avec le Christ. Voilŕ pourquoi il disait : Moi, je ne le connaissais pas, mais cest pour quIl fűt manifesté ŕ Israël que je suis venu baptiser dans leau. 15. Jean 1, 31.
En second lieu, Jean a précédé le Christ parce que, dans les réalités qui passent de la puissance ŕ lacte, il faut que limparfait précčde le parfait dans le temps; [C'est pourquoi Paul dit :] Ce nest pas le spirituel qui paraît dabord, mais ce qui est charnel 16. 1 Corinthiens 15, 46. Il fallait donc que lenseignement parfait du Christ vînt aprčs lenseignement imparfait de Jean; ce dernier, en effet, est intermédiaire entre lenseignement de lancienne Loi, qui était en figures et annonçait de loin le Christ, et lenseignement du Christ qui est manifeste et Lannonce clairement.
IL
EST PASSE AVANT MOI
198. Dans lordre de la dignité, cest le Christ qui précčde Jean : IL EST PASSE AVANT MOI [IL A PARU AVANT MOI], dit Jean. Les Ariens trouvčrent lŕ une occasion derreur. En effet, ils disaient que ces paroles : CELUI QUI VIENT APRES MOI doivent sen tendre du Christ selon la chair, mais que ce quajoute Jean : IL A PARU AVANT MOI, ne peut sentendre de Lui quen tant quIl est le Verbe. Ils prétendaient donc que le Verbe de Dieu, avant dętre uni ŕ la chair, était quelque chose de créé. Mais selon Chrysostome 17. In Ioannem hom., 13, c 3, PG 59, col. 89. cest lŕ une opinion insensée. En effet, si cela était vrai, le Baptiste naurait pas dit : IL A PARU AVANT MOI, PARCE QUAVANT MOI IL ETAIT; car nul nignore que sIl était avant lui, Il a paru avant lui. Il aurait dit au contraire : "Il était avant moi parce quavant moi Il a paru". Voilŕ pourquoi, il faut entendre IL A PARU AVANT MOI [d'une priorité] de dignité; autrement dit, "Il ma été préféré et Il a été placé avant moi", cest-ŕ-dire : Jésus est venu aprčs moi pour pręcher, cependant Il a été placé avant moi, car II est plus digne que moi et Il mest supérieur par lautorité et dans lestime des hommes Lor ne peut Lui ętre comparé 18. Jb 28, 17. Ce qui est futur [CELUI QUI QUI VA VENIR APRES MOI], il le dit accompli [IL EST PASSE AVANT MOI] parce que la certitude de la prophétie implique que lon parle des choses futures comme si elles étaient déjŕ accomplies. Ainsi, il est dit dans la Glose que ŕ IL EST PASSE
AVANT MOI correspond dans le grec IL EST PASSE DEVANT MOI 19. Glossa ordinaria, PL 114, col. 357, cest-ŕ-dire en ma présence; autrement dit Il mest apparu, Il sest fait connaître et sest manifesté ŕ moi.
PARCE
QUAVANT MOI IL ETAIT.
199. Dans lordre de la durée cest le Christ qui précčde Jean. Cest pourquoi Jean dit : AVANT MOI IL ETAIT, parce que Lui est de toute éternité et que moi je suis dans le temps. Aussi, bien que je sois venu pręcher avant Lui, cest cependant avec raison quIl ma été préféré, parce quAVANT MOI IL ETAIT, cest-ŕ-dire de toute éternité Hier et aujourdhui Jésus-Christ est le męme, Il le sera ŕ jamais 20. He 13, 8, et : Avant quAbraham fűt, je suis 21. In 8, 58. Ainsi le Christ, selon sa divinité, précčde Jean dans la durée.
Les paroles AVANT MOI IL ETAIT peuvent enfin sexpliquer en référence ŕ lordre du temps selon la chair. En effet, le Christ, dčs le premier instant de sa conception, fut Dieu parfait et homme parfait, doté dune âme raisonnable rendue parfaite par ses vertus, et dun corps différencié en tous ses linéaments, mais sans avoir pour autant sa quantité parfaite. [Jérémie avait prédit :] La femme entourera lhomme 22. Jérémie 31, 22, cest-ŕ-dire un homme parfait. Or cest un fait reconnu que le Christ a été conçu avant la naissance de Jean, et comme un homme parfait; ainsi, avant Jean, Il fut parfait dans son humanité. Aussi Jean pouvait-il dire : IL A PARU AVANT MOI PARCE QUAVANT MOI IL ETAIT.
200. Les paroles ET DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU peuvent sentendre dune double maničre, selon quon les rattache au verset 15 ou au verset 14.
Selon Origčne 1, elles sont prononcées par Jean-Baptiste qui les ajoute comme preuve de ce qui pré cčde, comme pour dire : Il était vraiment avant moi, parce que DE SA PLENITUDE, cest-ŕ-dire de sa plénitude de grâce, non seulement moi mais TOUS, cest-ŕ-dire les prophčtes, NOUS AVONS REÇU. Donc, avant nous Il était. Daprčs cette lecture, l'Evangéliste entreprend son récit ŕ partir du verset Jean rend témoignage.
Selon Augustin 2 et Chrysostome 3, ces paroles sont celles de lEvangéliste et se rattachent ŕ ce quil a dit précédemment du Verbe : plein de grâce et de vérité. Ainsi, aprčs avoir rapporté que le Verbe incarné sest fait connaître par la vue et par louďe, comme on la dit précédemment, lEvangéliste explique maintenant, en premier lieu, comment le Verbe sest fait connaître aux Apôtres par la vue, par ce quils ont reçu du Christ; et, en second lieu, comment Jean lui a rendu témoignage : Voici quel fut le témoignage de Jean [n° 223].
1. Sur Jean, 6, § 32 ss. ; trad. C. Blanc, SC 157 (Le Cerf,
Paris 1970), pp. 153 ss.
2. Tract. in Ioann., 3, 8, BA 71, p. 225.
3. In Ioannem hom., 14, ch. 1, PG 59,
col. 92.
A propos du premier point, lEvangéliste montre dabord que le Christ est la source et lorigine de toute grâce spirituelle; il montre ensuite [n° 203] que cest du Christ que nous proviennent les grâces.
I
ET DE
SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU
201. Il dit donc dabord : lexpérience atteste que nous Lavons vu plein de grâce et de vérité, puisque DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU.
Cest pourquoi nous pouvons dire quIl a été "plein" [de grâce]. Certes, nous lisons dans lEcriture que certains ont été pleins de grâce 4, par exemple la bienheureuse Vierge je te salue, pleine de grâce, et Etienne plein de grâce et de force 5. Mais la plénitude du Christ est autre que la leur. On dit en effet quest "plein" ce en quoi il ny a aucun vide. La capacité de lâme peut donc ętre pleine dans lordre de la suffisance, cest-ŕ-dire de telle sorte que rien ne lui manque de la grâce [pour accomplir les actes bons; cest cette plénitude qui fut en Etienne. La capacité de lâme peut aussi ętre pleine non seulement dans lordre de la suffisance, mais encore dans lordre de la surabondance; et cette plénitude de surabondance fut spécialement, et dune maničre unique, dans le Christ, parce quelle a surabondé sur les autres de telle sorte quIl fut lauteur et la source de la grâce. Mais dans la bienheureuse Vierge, la plénitude de grâce fut dun ordre intermédiaire parce que, bien quil y eűt en elle la plénitude dune certaine surabondance, elle ne fut cependant pas auteur de la grâce pour les autres; mais de son âme la grâce surabondait dans la chair. En effet, par la grâce de lEsprit Saint, non seulement lesprit de la Vierge fut uni ŕ Dieu par lamour, mais encore ses entrailles furent fécondées par lEsprit Saint; cest pourquoi Gabriel, aussitôt aprčs avoir dit : Je te salue, pleine de grâce, a ajouté, faisant allusion ŕ la plénitude [en] ses entrailles : le Seigneur est avec toi 6.
Donc, pour montrer cette
plénitude unique de surabondance qui est dans le Christ, lEvangéliste dit DE
SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU, cest-ŕ-dire les Apôtres et les fidčles qui
furent, sont et seront, ainsi que tous les anges.
4. Luc 1, 28.
5. Ac 6, 8.
202. Remarquons-le, ta préposition latine DE marque parfois lefficience, parfois la consubstantialité comme lorsquon dit : le Fils est "du Pčre" , parfois le caractčre partiel, comme lorsque je dis : "prends de ceci", cest-ŕ-dire une partie et non pas le tout. Et elle a bien ces trois sens quand l'Evangéliste dit DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU. En effet, elle indique dabord dans le Christ lefficience de la grâce ou lautorité; car la plénitude de la grâce qui est dans le Christ est cause de toute grâce qui est en toute créature douée dintelligence. [Aussi la Sagesse] dit-elle :] Venez ŕ moi, vous tous qui me désirez, et de mes fruits, cest-ŕ-dire de ce qui procčde de moi, rassasiez-vous 7.
La préposition DE marque ici, en second lieu, la consubstantialité parce que, bien que les dons habituels soient en nous autres que dans le Christ, cependant lEsprit Saint qui est dans le Christ, un et le męme, remplit tous les saints. En ce sens, la plénitude du Christ est lEsprit Saint qui procčde de Lui, en Lui étant consubstantiel en nature, en puissance et en majesté.
En effet, bien que les dons habituels soient autres dans lâme du Christ et en nous, cest cependant lunique et męme Esprit qui est en Lui et qui remplit tous ceux qui doivent ętre sanctifiés. Un seul et męme Esprit produit tous ces dons [dit saint Paul] 8; Je répandrai mon Esprit sur toute chair 9. Si quelquun na pas lEsprit du Christ, il ne Lui appartient pas 10, Car lunité de lEsprit Saint fait lunité dans lEglise. "LEsprit du Seigneur remplit toute la terre." 11.
Enfin, quand l'Evangéliste dit DE SA PLENITUDE NOUS AVONS TOUS REÇU, la préposition DE indique que nous ne recevons quune partie. Le Christ, Lui, a eu la plénitude des dons de lEsprit Saint, quIl na pas reçu avec mesure 12; mais nous, nous recevons en partie parce que nous participons aux dons du Saint-Esprit, puisque nous Le recevons avec mesure : A chacun de nous la grâce a été accordée selon la mesure du don du Christ 13.
6. Luc 1, 28.
7. Sir 24, 26 (LXX 24, 19).
II
ET
GRÂCE SUR GRÂCE. PARCE QUE LA LOI A ETE DONNEE PAR MOISE, MAIS LA GRÂCE ET LA
VERITE SONT VENUES PAR JESUS-CHRIST.
203. LEvangéliste montre ici que les grâces nous viennent du Christ. Il montre dabord que cest du Christ, qui en est lauteur, que nous avons reçu la grâce; puis que cest de Lui que nous recevons la sagesse quIl nous enseigne : Personne na jamais vu Dieu. Le Fils unique qui est dans le sein du Pčre, Lui la fait connaître. Jean développe le premier point en deux parties. Il montre dabord que NOUS AVONS REÇU DE SA PLENITUDE, et montre ensuite la nécessité, pour nous, de la recevoir [n° 205].
8. 1 Corinthiens 12, 11.
9. J 3, 1.
10. Ro 8, 9.
11. Sag 1, 7 (cité dans léd. Marietti).
12. Cf. Jean 3, 34.
13. Eph 4, 7.
ET
GRACE SUR GRACE.
204. LEvangéliste affirme donc en premier lieu que NOUS AVONS REÇU DE LA PLENITUDE du Christ, ET GRACE SUR GRACE.
Or, dans cette affirmation, nous devons comprendre que DE SA PLENITUDE nous recevons une certaine grâce, mais que sur cette grâce nous en avons reçu une autre; cest pourquoi il faut voir quelle est la premičre grâce, et quelle est la seconde.
Selon Chrysostome 14, la premičre grâce que reçut tout le genre humain cest en effet de tout le genre humain que parle ici l'Evangéliste fut la grâce de lAncien Testament, donnée dans la Loi. Cette grâce fut grande, certes; la Sagesse laffirme : Je vous accorderai un don excellent 15. Ce fut une grande chose, en effet, que les préceptes aient été donnés par Dieu aux hommes idolâtres, ainsi que la connaissance véritable du seul vrai Dieu Quel est donc le privilčge du Juif, ou quelle est lutilité de la circoncision? Grands ŕ tous égards. Dabord, cest ŕ eux quont été confiés les oracles de Dieu 16 Cependant sur cette grâce, cest-ŕ-dire ŕ sa place, nous en avons reçu une seconde : Il égalera une grâce ŕ sa grâce 17.
La premičre grâce ne suffisait-elle donc pas? Je réponds : il faut dire que non 18, et cest pourquoi il était nécessaire que vînt une autre grâce.
14. In Ioannem hom., 14, ch. 1, PG 59,
col. 92-93.
15. Prov 4, 2.
16. Ro 3, 1.
17. Zach 4, 7.
18. texte de lédition Marietti explique : "parce que la
Loi ne donne que la connaissance du péché, elle nenlčve pas le péché En
effet la Loi na conduit personne ŕ la perfection (11e 7, 19) et cest pourquoi
il était nécessaire que vînt une autre grâce. "
PARCE
QUE LA LOI A ETE DONNEE PAR MOĎSE, [17] MAIS LA GRACE ET LA VERITE SONT VENUES
PAR JESUS-CHRIST.
205. Et cest pourquoi lEvangéliste ajoute ces paroles, faisant passer devant Moďse le Christ que Jean-Baptiste navait fait passer que devant lui. Or Moďse passait pour ętre le plus grand des prophčtes : En Israël il ne sest pas levé de prophčte semblable ŕ Moďse 19.
En effet, comparé ŕ Moďse du
point de vue de ce que lun et lautre opčre, le Christ passe avant lui; car ce
que donne Moďse, cest la Loi, tandis que le Christ donne la grâce et la
vérité. Du point de vue de la maničre dont ils opčrent, le Christ lemporte
encore, car LA LOI A ETE DONNEE PAR MOĎSE comme par celui qui la promulgue et
non qui la fait, puisque le Seigneur seul est notre législateur 20; tandis que LA
GRÂCE ET LA VERITE SONT VENUES PAR JESUS-CHRIST, comme de leur maître et
auteur.
206. Selon Augustin 21, la premičre grâce est justifiante et prévenante 22, car elle ne nous est pas donnée ŕ cause de nos uvres 23 Si cest par grâce, ce nest plus en raison des uvres. Sur cette grâce, encore imparfaite, nous avons reçu une autre grâce, achevée : celle de la vie éternelle. Et bien que la vie éternelle soit acquise par les mérites, ceux-ci ont leur origine en nous dans la grâce prévenante; cest pourquoi la vie éternelle est appelée grâce [c'est le mot de saint Paul] : La grâce de Dieu, cest la vie éternelle 24. Pour conclure bričvement, lexpression GRÂC E SUR GRÂCE désigne toute grâce qui sajoute ŕ la grâce prévenante.
19. Deut 34, 10.
20. Isaďe 33, 22.
21. Tract. in Ioann., 3, 9, BA 71, pp. 227-229.
22. A la suite de saint Augustin, saint Thomas distingue grâce
prévenante (praeveniens) et grâce subséquente (subsequens), en raison des
divers effets produits en nous par la grâce" La grâce produit en nous cinq
effets : 10 elle guérit lâme; 2° elle lui fait vouloir le bien; 3° elle le lui
fait accomplir efficacement; 4° elle la fait persévérer dans le bien; 5° elle
la fait enfin parvenir ŕ la gloire. Dčs lors la grâce considérée comme
produisant en nous le premier effet mérite, en regard du second effet, dętre
appelée prévenante; et considérée comme produisant le second effet, on
lappellera, par rapport au premier, subséquente" (I-II, q. 111, a. 3, c;
trad. Ch. -V Héris, o. p., éd. du Cerf 1961, pp. 105-106). Ainsi, une grâce
est dite "prévenante" quand on considčre son effet par rapport ŕ
celui qui suit, et "subséquente" quand on le considčre par rapport ŕ
celui qui le précčde. Dune façon générale, on dira que la grâce prévenante est
celle par laquelle nous voulons le bien, et la grâce subséquente celle qui nous
le fait accomplir (cf. op. cit., note 53, pp. 289-290). Voir aussi II Sent., d.
26, a. 5; a. 6, ad 2; De ver., q. 27, a. 5, ad 6; In Psalm. 22; In II Cor. 6,
leç. 1.
Quant ŕ la nécessité de la seconde grâce, elle vient de linsuffisance de la Loi; cest pour cela que lEvangéliste dit : PAR MOISE A ETE DONNEE LA LOI qui prescrivait ce quil fallait faire, mais qui naidait pas ŕ laccomplir et cest pourquoi, occasionnellement, elle entraînait la mort ce qui explique que lApôtre parle dun "ministčre de mort" : si ce ministčre de mort, gravé en lettres sur des pierres, a été environné dune gloire telle que les enfants dIsraël ne pouvaient regarder la face de Moďse, ŕ cause de la gloire de son visage, laquelle devait sévanouir, comment le ministčre de lEsprit ne serait-il pas plus glorieux? car si le ministčre de la condamnation est glorieux, le ministčre de justice est beaucoup plus abondant en gloire 25 et encore : or, prenant occasion du commandement, le péché a opéré en moi toute concupiscence; car sans la Loi le péché était mort 26. De męme la Loi promettait le secours de la grâce mais ne le donnait pas, car la Loi na amené personne ŕ la perfection 27. De męme, par ses sacrifices et ses cérémonies elle figurait, mais ne manifestait pas; cest pourquoi il était nécessaire que vînt le Christ, qui fut la source de la grâce en tuant le péché par sa mort et qui, en mourant, mérita la grâce qui nous viendrait en aide dans laccomplissement des préceptes de Dieu Notre vieil homme a été crucifié avec Lui, afin que le corps du péché soit détruit et que désormais nous ne soyons plus esclaves du péché 28. Cest par Lui aussi quest venue la vérité, et cest Lui qui a réalisé les figures et les ombres de la Loi en accomplissant les pro messes faites aux pčres Toutes les promesses de Dieu ont leur oui en Lui 29. Dune autre maničre on peut dire que LA VERITE EST VENUE PAR JESUS, en entendant par lŕ la Sagesse, car Il a enseigné au monde la vérité cachée : Jai parlé ouvertement au monde; jai toujours enseigné dans la synagogue et dans le Temple, oů tous les juifs sassemblent, et en secret je nai rien dit 30. Si je suis né et si je suis venu dans le monde, cest pour rendre témoignage ŕ la vérité 31.
23. Ro 11, 6.
24. Ro 6, 23.
25. 2 Co 3, 7. 9V
26. Ro 7, 8.
207. Mais si le Christ Lui-męme est la Vérité Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie 32 comment LA VERITE est-elle VENUE PAR LUI [selon la lettre de la Vulgate, "a été faite" par Lui], puisque rien nest fait par soi-męme?
Il faut dire que le Christ est par son essence la Vérité incréée; celle-ci na pas été faite par Lui, mais par Lui ont été faites les vérités participées qui, venant de la Vérité incréée quIl est Lui-męme, brillent dans les âmes saintes.
27. He 7, 19.
28. Ro 6, 6-7.
29. 2 Co 1, 20.
30. In 18, 20.
31. In 18, 37.
32. In 14, 6.
208. LEvangéliste a montré plus haut comment les Apôtres reçurent la grâce du Christ en tant quIl en est lauteur; ici, il montre comment ils reçurent de Lui la sagesse dans son enseignement.
Les paroles PERSONNE NA JAMAIS VU DIEU manifestent la nécessité de cet enseignement [n° 209] les suivantes : LE FILS UNIQUE, QUI EST DANS LE SEIN DU PERE, la capacité denseigner de Celui qui enseigne {n 215]; et les derničres : LUI, LA FAIT CONNAITRE, montrent lenseignement męme [n° 221].
I
PERSONNE
NA JAMAIS VU DIEU
209. Cest un manque de sagesse chez les hommes qui rendit nécessaire cet enseignement, manque que lEvangéliste indique en exprimant lignorance de Dieu qui était en eux par ces mots : PERSONNE NA JAMAIS VU DIEU. Et il fait bien de dire cela, car la sagesse au sens propre consiste en la connaissance de Dieu. Doů laffirmation dAugustin : la sagesse est la connaissance des réalités divines comme la science est la connaissance des réalités humaines 1.
1. De Trin., 12, ch. 15, zf 25, BA 16, p. 259; voir n° 22-23,
pp. 251-253; 13, ch. 19, n° 24, p. 335; 14, eh. 1, n 3, p. 349.
210. Cependant beaucoup de textes de lEcriture Sainte semblent contredire laffirmation : PERSONNE NA JAMAIS VU DIEU. Isaďe dit en effet : Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé 2; le deuxičme livre de Samuel sexprime presque de la męme maničre : Le nom du Seigneur sičge sur les Chérubins 3; et le Seigneur déclare : Bienheureux ceux qui ont le cur pur, car ils verront Dieu 4.
A propos de cette affirmation de Jean, on dira peut-ętre quil est vrai que, dans le passé, PERSONNE NA JAMAIS VU DIEU, comme Jean le dit ici; mais que, cependant, on Le verra dans lavenir, comme le Seigneur le promet [ceux qui ont le cur pur]. Mais cela męme nest-il pas exclu par lApôtre? Car Dieu habite une lumičre inaccessible, que nul dentre les hommes na vue ni ne peut voir 5.
Cependant, puisque selon Paul nul dentre les hommes na vu Dieu, peut-ętre dira-t-on que si les hommes ne peuvent Le voir, du moins est-Il vu par les anges, dautant plus que le Seigneur affirme : Leurs anges voient sans cesse la face de mon Pčre 6. Mais cela non plus, on ne peut pas le dire, puisquŕ la résurrection, les hommes seront comme les anges de Dieu dans le ciel 7. Si donc les anges voient Dieu dans le ciel, les hommes, eux aussi, Le verront certainement ŕ la résurrection, comme Jean laffirme : LorsquIl apparaîtra, nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel quIl est 8.
2. Isaďe 6, 1.
3. 2 Sam 6, 2.
4. Mt 5, 8.
5. 1 Tm 6, 16.
6. Mt 18, 10.
7. Mt 22, 30.
8. 1. Jean 3, 2.
211. Comment donc comprendre la parole de Jean : PERSONNE NA JAMAIS VU DIEU? Pour en avoir lintelligence, il faut savoir quil y a plusieurs maničres de voir Dieu.
Dabord, par le moyen dune créature substituée [ŕ Dieu] et offerte ŕ la vue corporelle; ainsi croit-on quAbraham a vu Dieu quand il vit trois hommes et nen adora qu'un seul" 9; il nen adora ŕ la vérité qu'"un seul" 9, car en ces trois quil avait dabord pris pour des hommes et dont il crut ensuite que cétaient des anges, il reconnut le mystčre de la Sainte Trinité.
On peut aussi voir Dieu par une créature substituée [ŕ Dieu] et représentée ŕ limagination; cest de cette maničre quIsaďe vit le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé 10, et lon trouve dans les Ecritures plu sieurs visions semblables ŕ celle-lŕ.
On peut également voir Dieu grâce ŕ une forme intentionnelle intelligible, abstraite des réalités sensibles; cest le fait de ceux qui, considérant la grandeur des créatures, aperçoivent par lintelligence la grandeur du Créateur, car la grandeur et la beauté des créatures font par analogie connaître leur Créateur 11 et Les [perfections] invisibles de Dieu (...) sont, depuis la création du monde, rendues visibles ŕ lintelligence par le moyen de ses uvres 12
Dune autre maničre encore, selon un mode plus éminent, Dieu est vu non pas par le moyen que nous venons dindiquer, mais par une certaine lumičre ou des formes intentionnelles intelligibles imprimées par Dieu dans les esprits des saints; on dit alors quils voient Dieu par contemplation. Cest ainsi que Jacob vit Dieu face ŕ face 13, dans une vision quil eut, selon Grégoire, grâce ŕ une contemplation élevée.
Cependant on ne peut, par aucune de ces visions, parvenir ŕ la vision de lessence divine; en effet, aucune forme intentionnelle créée, quelle informe les sens extérieurs, limagination ou lintelligence, nest capable de représenter lessence divine telle quelle est. Lhomme connaît une chose par son essence quand la forme intentionnelle quil a dans son intelligence la représente telle quelle est. Par conséquent, aucune forme intentionnelle créée ne conduit ŕ la vision de lessence divine. Car il est clair quaucune forme intentionnelle créée ne représente lessence divine : en effet, rien de fini ne peut représenter linfini tel quil est; or toute forme intentionnelle créée est finie; donc, puisque ce quest Dieu Lui-męme est infini, on ne peut pas Le représenter par une forme intentionnelle créée. En outre, Dieu est son ętre męme; aussi, sa sagesse, sa bonté et ses autres [sidentifient-elles, en Lui, ŕ son ętre; or rien de créé ne pourrait représenter la bonté, la sagesse et les autres perfections divines. Il sensuit quaucune connaissance par laquelle on voit Dieu au moyen dune forme intentionnelle créée nest la connaissance de son essence; elle ne peut ętre quune connaissance en énigme et dans un miroir 14, et ŕ partir de ce que nous écartons de Lui; [Nous lisons en effet dans lEcriture :] Tous les hommes voient Dieu (de lune des maničres susdites), mais chacun ne Le regarde que de loin 15 parce quaucune de ces connaissances de Dieu ne dit ce quIl est, mais [ce quIl nest pas ou sIl existe. Voilŕ pourquoi, selon Denys 16, ce que lhomme peut atteindre de plus élevé dans la connaissance de Dieu par le moyen des formes intentionnelles créées, il y parvient par la négation.
9. Cf. Gn 18, 2-3.
10. Isaďe 6, 1.
11. Sag 13, 5.
12. Ro 1, 20.
13. Gn 28, 10-19.
14. 1 Corinthiens 13.
15. Jb 36, 25.
16. Cf. DENYS, Les Noms divins, ch. 13, § 3, PG 3, col. 981 A-B;
Théologie mystique, ch. 1, § 2, col. 1000 B; La hiérarchie céleste, 2, 3 (141
A), cou. Sources chrétiennes, p. 79.
212. Certains ont soutenu que lessence divine ne peut jamais ętre vue daucune intelligence créée, mais que ce qui est vu par les anges et les bienheureux, cest le rayonnement de gloire 17 de Dieu. Cela est erroné, pour trois raisons.
En premier lieu, parce que cela contredit lautorité de l'Ecriture "Nous Le verrons tel quIl est" 18 et encore : "La vie éternelle cest quils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 19"
Ensuite, parce que le rayonnement de la gloire de Dieu nest autre que sa substance; il ne brille pas par participation ŕ une lumičre, mais par lui-męme.
Enfin, cest seulement dans la vision de lessence divine que lon peut obtenir la parfaite béatitude; en effet, nul ne peut ętre bienheureux si son désir naturel nest totalement comblé. Or il est naturel ŕ lintelligence créée, lorsquelle voit un effet et quelle en ignore la cause, de sétonner et de désirer savoir ŕ son sujet non seulement si elle est, mais encore ce quelle est. Selon le Philosophe, cest cela qui pousse les hommes ŕ philosopher.
Si donc la créature voyait toutes les réalités créées et nen connaissait pas la cause, il est manifeste quelle sétonnerait et désirerait la connaître. Or la cause de toutes les réalités est Dieu Lui-męme. Donc, quoi que lintelligence connaisse au sujet des créatures, son désir naturel reste insatisfait tant quelle ne voit pas et ne connaît pas lessence divine. Cest pourquoi, priver les hommes de la vision de lessence divine, cest les priver de la béatitude elle-męme. La vision de lessence divine est donc nécessaire ŕ la béatitude de lintelligence créée Bienheureux ceux qui ont le cur pur, car ils verront Dieu 20.
17. En parlant de ce "rayonnement de gloire de Dieu"
(claritas Dei), saint Thomas fait allusion ŕ la mystique byzantine, pour qui la
vision béatifique se limite ŕ "la vision dune lumičre incréée, donc divine,
mais qui ne nous livre pourtant pas lessence de Dieu telle quelle est en
elle-męme, mais seulement les "énergies divines", réellement
distinctes de cette essence, par lesquelles il se communique ŕ ses créatures. Cest
la solution qui sera systématisée par le théologien Grégaire Palamas, évęque de
Thessalonique aprčs avoir été moine de lAthos, au XIV sičcle" (L. BOUYER,
art. "Vision", in Dictionnaire théologique, pp. 646-647).
18. 1 Jean 3, 2.
19. Jean 17, 3.
213. En ce qui concerne la vision de lessence divine, il nous faut considérer trois points.
Dabord, jamais lessence divine nest vue par un il corporel, ni perçue par limagination; en effet, puis que la vision corporelle et limagination sont des puissances liées ŕ des organes corporels, rien ne peut ętre connu ou perçu par elles qui ne soit corporel et matériel. Or Dieu est incorporel et immatériel Dieu est esprit. Il ne peut donc ętre vu que par un il immatériel et spirituel, cest-ŕ-dire lintelligence : Dieu est esprit, et ceux qui Ladorent, cest en esprit et en vérité quils doivent Ladorer 21.
Ensuite, lintelligence, aussi longtemps quelle est liée ŕ un corps corruptible, ne peut voir lessence divine; car lintelligence liée ŕ un corps corruptible est accaparée et appesantie par lactivité des sens, de sorte quelle ne peut parvenir au sommet de la contemplation. Aussi, plus lâme est purifiée des passions corporelles et libé rée des affections terrestres, plus elle sélčve dans la Contemplation de la vérité et goűte combien le Seigneur est doux 22. Or, le plus haut degré de la contemplation, cest de voir Dieu par son essence; donc, aussi long temps que lintelligence de lhomme est appesantie par la corruption du corps, cest-ŕ-dire aussi longtemps quil est en cette vie, il ne peut voir Dieu par son essence : Lhomme, cest-ŕ-dire aucun homme vivant dans cette chair mortelle, ne peut me voir et vivre 23.
Donc, pour que lintelligence créée voie lessence divine, il faut soit quelle abandonne complčtement le corps par la mort, comme le dit lApôtre Nous sommes pleins de confiance et préférons nous exiler du corps pour aller nous tenir devant le Seigneur 24 soit quun ravissement larrache entičrement aux sens corporels, de sorte quelle ne sache pas "si cest dans son corps ou hors de son corps", comme cela est arrivé ŕ Paul 25.
Enfin, aucune intelligence créée, quelle soit comme arrachée ŕ son corps, ou męme quelle en soit séparée par la mort, ne peut cependant, bien quelle voie lessence divine, la comprendre en aucune maničre. Aussi dit-on communément que, bien que les bienheureux voient lessence divine tout entičre puisquelle est parfaitement simple et ne comporte pas de parties, ils ne la voient pas totalement, parce que ce serait la "comprendre". Quand je dis "voir totalement", je désigne un certain mode de vision; or, en Dieu, tout mode est identique ŕ son essence. Voilŕ pourquoi celui qui ne voit pas totalement lessence divine ne la "comprend" pas; car, ŕ proprement parler, nous disons de quelquun quil comprend une réalité en la connaissant sil la connaît autant quelle est connaissable en elle-męme; autrement, bien quil la connaisse, il ne la "comprend" pas. Ainsi, celui qui connaît la proposition "Le triangle a trois angles égaux ŕ deux droits", seulement par un syllogisme dialectique, en connaît bien toute la conclusion; mais puisquelle peut ętre connue aussi par démonstration, il ne la connaît pas autant quelle peut ętre connue, et cest pourquoi il ne la "comprend" que sil la connaît par démonstration. Toute réalité, en effet, est connaissable autant quelle a dentité et de vérité; mais le sujet connaissant lui-męme ne connaît que dans la mesure de sa puissance intellectuelle. Or toute puissance intellectuelle créée est finie : elle connaît donc de maničre finie. Puis donc que Dieu est infini dans sa puissance et dans son ętre, et par conséquent infiniment connaissable, Il ne peut ętre connu autant quIl est connaissable par aucune intelligence créée, et cest pourquoi aucune intelligence créée qui Le voit ne Le comprend Oui, Dieu est grand, Il surpasse notre science 26. Dieu seul se comprend Lui-męme, parce que sa puissance dans le connaître est aussi vaste que son entité dans lętre Toi, Dieu grand et fort dont le nom est Seigneur des armées, tu es grand dans tes conseils et incompréhensible dans tes pensées 27.
20. Mt 5, 8.
21. Jean 4, 24.
22. Ps 33, 9.
23. Ex 33, 20.
24. 2 Co 5, 8.
25. 2 Co 12, 24.
214. Daprčs ce qui précčde, les paroles PERSONNE NA JAMAIS VU DIEU ont un triple sens. PERSONNE, autrement dit nul homme, NA VU DIEU, cest-ŕ-dire lessence divine, avec les yeux du corps ou avec son imagination; PERSONNE, vivant en cette vie mortelle, NA VU DIEU, cest-ŕ-dire lessence divine. PERSONNE, cest-ŕ-dire ni homme ni ange ni aucune créature, NA VU DIEU, cest-ŕ-dire en comprenant lessence divine. Si on dit de certains quils ont vu Dieu en cette vie par les yeux du corps ou par limagination, cela doit sentendre comme on la dit. Donc, parce que PERSONNE NA JAMAIS VU DIEU, il nous était nécessaire de recevoir la sagesse.
II
LE
FILS UNIQUE QUI EST DANS LE SEIN DU PERE
215. LEvangéliste nous présente ici le Docteur capable denseigner cette sagesse. La capacité de ce Docteur est montrée en ces paroles de trois maničres : par la ressemblance naturelle [avec le Pčre], par lexcellence unique, par la consubstantialité absolument parfaite.
26. Jb 36, 26.
27. Jérémie 32, 18-19.
216. Un fils est
naturellement semblable ŕ son pčre. De lŕ vient que lhomme est appelé fils de
Dieu pour autant quil participe, par mode de similitude, au Fils de Dieu par
nature; et il connaît Dieu dans la mesure oů il Lui ressemble, puisque toute
connaissance se fait par assimilation Maintenant nous sommes fils de Dieu
(...). LorsquIl apparaîtra, nous Lui serons semblables, parce que nous Le
verrons tel quIl est. Donc, dans ce mot de" Fils" employé par
lEvangéliste, sont impliquées la ressemblance et laptitude ŕ connaître Dieu.
217. Mais ce Docteur
connaît Dieu plus particuličrement que les autres fils de Dieu, et cest
pourquoi lEvangéliste nous le montre dans son excellence uni que en ajoutant :
UNIQUE comme pour dire : bien que les autres fils de Dieu connaissent Dieu,
Celui-ci, cependant, parce quIl est son Fils dune maničre uni que, étant LE
FILS UNIQUE, Le connaît dune maničre unique : Le Seigneur ma dit : Tu es mon
fils dune maničre unique, avant tous les autres, aujourdhui je tai engendré 29.
218. Malgré cette connaissance unique, la capacité denseigner aurait pu faire défaut au Christ, si cette connaissance navait pas été totale. Voilŕ pourquoi Jean ajoute comme troisičme caractčre sa consubstantialité avec le Pčre, en disant : DANS LE SEIN DU PERE. Il ne faut pas prendre ici le mot "sein" au sens habituel quil a chez les hommes vętus et dont la ceinture est nouée mais il faut lentendre comme "le secret du Pčre", car on garde secret ce quon porte dans son sein. Or il y a bien un secret du Pčre, puisque, lessence divine étant infinie, Il transcende toute puissance et connaissance. Donc, dans ce SEIN, cest-ŕ-dire dans lessence infiniment cachée de Dieu qui surpasse toute puissance et tout mode de la créature, est LE FILS UNIQUE; aussi est-Il consubstantiel au Pčre.
Ce que lEvangéliste désigne ici par le "sein", David la exprimé par uterus en disant : Ex utero, de mon sein, avant létoile du matin, cest-ŕ-dire de lintime et du secret de lessence divine dépassant la capacité de toute intelligence créée, je tai engendré 31; cest pourquoi LE FILS UNIQUE, Lui, Le comprend Qui donc entre les hommes sait les choses de lhomme sinon lesprit de lhomme qui est en lui? Ainsi, personne ne connaît les choses de Dieu sinon lEsprit de Dieu 32. Il est encore manifeste, si le Fils est consubstantiel au Pčre, quIl a autant de capacité de connaître que Dieu en a dętre. Et ainsi Il le connaît autant quIl peut ętre connu : Il Le "comprend" donc.
28. 1 Jean 3, 2.
29. Ps 2, 7.
219. Mais lâme du Christ, dans sa connaissance de Dieu, ne "comprend" pas [l'essence divine], puisque les paroles de Jean ne sappliquent quau FILS UNIQUE QUI EST DANS LE SEIN DU PERE. Voilŕ pourquoi le Seigneur déclare : Nul ne connaît le Fils si ce nest le Pčre, et nul ne connaît le Pčre si ce nest le Fils, et celui ŕ qui le Fils veut le révéler 33; lun et lautre doivent sentendre de la connaissance de compréhension totale dont semble parler ici lEvangéliste. Personne, en effet, ne comprend lessence divine sinon Dieu seul, le Pčre, le Fils et lEsprit Saint.
La capacité denseigner de ce
Docteur est donc manifeste.
220. Remarquons-le : en disant QUI EST DANS LE SEIN DU PERE, Jean écarte lerreur de certains qui prétendent que le Pčre est par nature invisible, mais que le Fils est visible, bien quon ne Le vît pas dans lAncien Testament. Si, en effet, Il est dans le secret du Pčre, il est manifeste quIl est par nature invisible, comme le Pčre. Aussi la Sainte Ecriture dit-elle du Seigneur : Vraiment, tu es un Dieu caché 34, et partout elle fait mention ŕ la fois de lincompréhensibilité du Pčre et de celle du Fils : Nul ne connaît le Fils si ce nest le Pčre, et nul ne connaît le Pčre si ce nest le Fils 35; et Quel est son nom et quel est le nom de son Fils, si tu le sais? 36
30. Saint Thomas fait allusion ici ŕ lun des sens du mot sinus
(sein) qui pouvait désigner en effet le large pli formé par la toge en travers
de la poitrine.
31. Ps 2, 7, Cf. 109, 3.
32. 1 Corinthiens 2, 12.
33. Mt 11, 27.
III
LUI,
LA FAIT CONNAITRE.
221. Ici, lEvangéliste montre la maničre denseigner du Christ. Jadis, en effet, le Fils unique révéla la connaissance de Dieu par lintermédiaire des prophčtes, qui Lannoncčrent dans la mesure oů ils participčrent au Verbe éternel; aussi chacun deux disait : La parole de Dieu me fut adressée en ces termes... Mais maintenant cest le Fils unique en personne qui a fait connaître Dieu aux fidčles Voici ce que dit le Seigneur Dieu : (...) Moi qui parlais autrefois, me voici présent 37. Aprčs avoir ŕ bien des reprises et de bien des maničres parlé jadis ŕ nos pčres par les prophčtes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils 38.
Aussi son enseignement
lemporte-t-il sur tous les autres, parce quil est donné par LE FILS UNIQUE
Le salut, annoncé dabord par le Seigneur, nous a été confirmé par ceux qui
lavaient entendu 39.
222. Mais qua-t-Il annoncé, sinon le Dieu unique? Moďse lui aussi lannonça : Ecoute, Israël le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu 40. Qua donc le Seigneur de plus que Moďse? Beaucoup, et de toutes maničres, car Il a enseigné le mystčre de la Trinité et bien dautres que ni Moďse, ni aucun des prophčtes nont annoncés.
34. Isaďe 45, 15.
35. Mt 11, 27.
36. Prov 30, 4.
37. Isaďe 52, 4-6.
38. 11e 1, 1.
39. He 2, 3.
40. Deut 6, 4.
223. Précédemment, lEvangéliste a montré comment le Christ se fit connaître aux Apôtres eux-męmes par le témoignage de Jean; maintenant, il explique dune maničre plus parfaite ce témoignage. Il présente dabord le témoignage porté par Jean devant les foules 1, puis devant ses propres disciples 2. Si on considčre attentivement ce que dit lEvangile, on trouve deux témoignages du Précurseur au sujet du Christ : lun quil porta en présence du Christ et lautre en son absence; en effet, sil navait pas porté son témoignage en présence du Christ, il naurait pas dit : voilŕ Celui... 3 et si auparavant il nen avait pas porté un autre en son absence, il naurait pas ajouté dont jai dit...
LEvangéliste expose donc en premier lieu le témoignage rendu par Jean au Christ en son absence 4, puis celui qui fut porté en sa présence 5. Ces deux témoignages diffčrent; en effet, le Précurseur a donné le premier aprčs une interrogation, et le second spontanément. Cest pourquoi, dans le premier, lEvangéliste rapporte non seulement le témoignage, mais aussi linterrogation. On interrogea Jean dabord sur sa personne 6 (cest lobjet de la leçon présente), ensuite sur sa fonction 7 [n° 240]. LEvangéliste nous montre donc comment Jean confessa dabord nętre pas ce quil nétait pas, puis ne nia pas ętre ce quil était [n° 234].
1. Jean 1, 19-34; leçons 12 ŕ 14.
2. Jean 1, 35-36; leçons 15 et 16.
3. Jean 1, 15, n" 194.
4. Jean 1, 19-28; leçons 12 et 13.
5. Jean 1, 29-35; leçon 14.
6. Jean 1, 19-23.
I
ET VOICI
QUEL FUT LE TEMOIGNAGE DE JEAN LORSQUE LES JUIFS ENVOYERENT DE JERUSALEM. DES
PRETRES ET DES LEVITES POUR LUI DEMANDER : "QUI ES-TU?". IL CONFESSA,
IL NE NIA PAS, IL CONFESSA : "JE NE SUIS PAS LE CHRIST". ILS LUI
DEMANDERENT : "QUOI DONC? ES-TU ELIE?" IL DIT : "JE NE LE SUIS
PAS". " ES-TU LE PROPHETE?" IL REPONDIT : "NON". ET
VOICI QUEL FUT LE TEMOIGNAGE DE JEAN LORSQUE LES JUIFS ENVOYERENT DE JERUSALEM
DES PRETRES ET DES LEVITES POUR LUI DEMANDER : "QUI ES-TU?"
224. Comme le montre le texte, le premier point comprend trois questions des envoyés et trois réponses de Jean.
A propos de la premičre interrogation, considérons le grand respect dont les Juifs, qui envoyčrent recueillir le témoignage du Précurseur, font preuve ŕ son égard.
Quatre particularités illustrent la grandeur de ce respect. Dabord la dignité de ceux qui envoient [ces lévites et ces prętres]; en effet, ce ne sont pas des Galiléens qui les envoyčrent, mais ceux qui étaient les notables du peuple dIsraël, des Juifs de la tribu de Juda, habitant prčs de Jérusalem, et qui étaient plus honorables De Juda, le Seigneur a choisi les princ8s de son peuple 8. Le salut vient des Juifs 9.
Ensuite, la prééminence du lieu [oů lon envoie]; cest Jérusalem, la cité royale et sacerdotale, vouée au culte divin Vous, vous dites que cest ŕ Jérusalem quest le lieu oů il faut adorer 10.
Puis lautorité des envoyés, qui étaient des personnages insignes et parmi les plus consacrés du peuple, des prętres et des lévites Vous serez appelés prętres du Seigneur 11.
Enfin, le fait que les Juifs ont envoyé demander ŕ Jean de témoigner sur lui-męme, comme sils avaient une telle confiance en ses paroles quils étaient pręts ŕ croire jusquŕ son témoignage sur lui-męme. Aussi lEvangéliste dit-il : ILS ENVOYERENT... POUR LUI DEMANDER : "QUI ES-TU?" Cela, ils ne lont pas fait pour le Christ; bien plus ils Lui disaient : "Cest toi qui te rends témoignage, ton témoignage nest pas véridique" 12.
7. Jean 1, 24.
[1,
20] IL CONFESSA, IL NE NIA PAS, IL CONFESSA : "JE NE SUIS PAS LE
CHRIST".
225. LEvangéliste donne
ici la réponse de Jean; et il dit ŕ deux reprises CONFESSA, pour montrer lhu
milité de Jean. En effet, bien que celui-ci jouît auprčs des Juifs dune
autorité telle que ceux-ci voyaient en lui le Christ, il ne voulut cependant
pas usurper un honneur qui ne lui était pas dű; bien plus, IL CONFESSA : "JE
NE SUIS PAS LE CHRIST".
226. Mais que signifie cette parole : IL CONFESSA, IL NE NIA PAS? Il semble en effet quil ait nié, puis quil dit nętre pas le Christ. Il faut répondre quil na pas nié la vérité en disant quil nétait pas le Christ : autrement, il aurait renié la vérité. Job a dit : Si, ŕ la vue du soleil dans son éclat et de la lune radieuse dans sa course, mon cur alors a ressenti une secrčte joie, et si jai porté ma main ŕ ma bouche 13, cest lŕ le comble de liniquité et un reniement du Dieu trčs-haut 14 na donc pas renié la Vérité puisque, si grand quon le jugeât, il ne sest pas élevé avec orgueil, sattribuant lhonneur qui ne lui appartenait pas. IL CONFESSA : "JE NE SUIS PAS LE CHRIST", parce quen vérité il ne létait pas, comme nous lavons dit plus haut en expliquant ces paroles : Il nétait pas la lumičre 15.
8. 1 Chr 28, 4.
9. Jean 4, 22.
10. Jean 4, 20.
11. Isaďe 61, 6.
12. Jean 8, 13.
227. Cependant, ceux qui avaient été envoyés ne lui demandaient pas sil était le Christ, mais qui il était; pourquoi alors Jean répondit-il : JE NE SUIS PAS LE CHRIST? Il faut dire que le Précurseur répond plutôt ŕ la pensée de ceux qui linterrogent quŕ leur question elle-męme; sa réponse peut se comprendre de deux maničres.
Selon Origčne 16, les prętres et
les lévites étaient venus ŕ lui dans une bonne intention. Ils conjecturaient en
effet, par les Ecritures et surtout par la prophétie de Daniel, quétait venu
le temps de lavčnement du Christ. Aussi, voyant la sainteté de Jean, ils
supposaient quil était le Christ. Cest pourquoi ils lui envoyčrent des
délégués pour savoir si ŕ leur question : "QUI ES-TU?", il
déclarerait ętre le Christ. Aussi répondit-il ŕ leur pensée : "JE NE
SUIS PAS LE CHRIST".
Mais daprčs Chrysostome 17, prętres et
lévites interrogeaient Jean dune maničre perfide; Jean, en effet, était parent
des prętres, puisque fils dun prince des prętres. De plus, il était consacré;
et pourtant il rendait témoignage au Christ dont la naissance parais sait sans
noblesse. Doů ce que disaient les Juifs : Nest-ce pas lŕ le fils du
charpentier? 18; et Il leur restait inconnu. Désirant donc avoir pour maître Jean
plutôt que le Christ, ils lui envoyčrent des émissaires chargés de le séduire
par des flatteries, pour lamener ŕ sattribuer cet honneur et ŕ se dire le
Christ. Mais, voyant leur malice, le Précurseur dit : "JE NE SUIS PAS
LE CHRIST".
13. En signe dadoration de ces créatures.
14. Job 31, 26.
15. Jean 1, 8.
16. Sur saint Jean, 6, § 50, SC 157, p. 167.
17. In Ioannem hom., 16, ch. 1, PG 59,
col. 103.
ILS
LUI DEMANDERENT : "QUOI DONC? ES-TU ELIE?" IL DIT : "JE NE LE
SUIS PAS".
228. LEvangéliste rapporte
ici la deuxičme interrogation. A ce sujet, il faut se rappeler que si le peuple
juif attendait la venue du Seigneur, il attendait aussi Elie qui devait Le
précéder [selon cette prophétie] : Voici que je vais vous envoyer Elie le prophčte, avant que narrive
le jour du Seigneur grand et redoutable 19 Aussi les envoyés,
voyant que Jean confessait nętre pas le Christ, insistent pour que du moins il
dise sil est Elie : "QUOI DONC? ES-TU ELIE?"
229. Or il y a des
hérétiques qui pensent que lâme est transmissible dun corps ŕ un autre et que
ce dogme était alors professé chez les Juifs. Ceux-ci croyaient donc [disaient-ils] en raison
de la ressemblance des uvres de Jean et dElie, que lâme de ce dernier était
dans le corps de Jean. Aussi, pour ces hérétiques, lorsque les envoyés
demandaient au Précurseur sil était Elie, cela revenait ŕ lui demander si
lâme dElie était dans son corps. Ils citent en faveur de leur opinion ces
paroles du Seigneur au sujet de Jean : Si vous voulez comprendre, lElie qui
doit venir, cest lui 20. Mais aussitôt la réponse de Jean : "JE NE SUIS PAS ELIE"
dit le contraire. A cela ils répondent que Jean parla par ignorance, ne sachant
pas que son âme était lâme dElie. Mais On gčne réfute cette idée : il paraît
tout ŕ fait déraison nable que Jean, le prophčte illuminé par lEsprit, qui a
dit de si grandes choses du Fils unique de Dieu, ait pu ignorer ŕ son propre
sujet que son âme ait été celle dElie.
230. Ce nétait donc pas dans cette intention quils lui demandaient : "ES-TU ELIE?" Mais comme les Ecritures racontent 22 quElie nétait pas mort et quun char de feu lavait enlevé vivant jusquau ciel, ils le croyaient réapparu subitement parmi eux.
Contre cette interprétation, il y a le fait que le Pré curseur était né de parents connus et que sa naissance nétait ignorée de personne. Luc écrit [sujet des événements qui marqučrent sa venue au monde] : Tous furent étonnés (...) et ils gravaient ces merveilles dans leur cur, en disant : "Que sera donc cet enfant?" 23
On peut dire quil nest pas incroyable que les Juifs aient pensé de Jean ce quon vient de rapporter, car on constate un fait analogue dans saint Matthieu 24. Hérode croyait que le Christ était Jean quil avait décapité; et pourtant le Christ avait pręché et avait été connu long temps avant que le Précurseur neűt été décapité. Ce serait avec une démence et un aveuglement semblable que les Juifs auraient demandé ŕ Jean sil était Elie.
18. Mt 13, 55.
19. Mal 3, 1 et 23.
20. Mt 11, 14.
21. Sur saint Jean, 6, § 74-75, p. 185.
22. 2 Rs 2, 11.
23. Luc 1, 63 et 66.
24. Mt 14, 1-2; cf. aussi Mc 6, 14-16 et Luc 9, 7. 9.
231. Mais pourquoi Jean
dit-il JE NE SUIS PAS ELIE, alors que le Christ dira : lElie qui doit venir,
cest lui? Lange Gabriel résout cette difficulté quand il dit que Jean
marchera devant le Seigneur avec lesprit et la puissance dElie 25. Il ne fut donc
pas Elie en personne, mais il le fut par lesprit et la puissance, parce que
dans ses uvres se manifestait la ressemblance dElie.
232. On peut en effet remarquer trois points de ressemblance entre Jean et Elie.
En premier lieu dans la fonction : car Elie précédera le second avčnement du Seigneur, comme Jean devança le premier. Aussi lange a-t-il dit : Il marchera devant le Seigneur. Ensuite, dans leur mode de vie : Elie séjournait dans le désert, mangeant peu et couvert de vętements rudes 26; Jean vivait au désert, se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage, et sa ceinture était de poil de chameau.
Enfin dans leur zčle : Elie fut dun zčle extręme; aussi disait-il : Je suis rempli dun zčle jaloux pour le Seigneur 27. De męme Jean mourut ŕ cause de son zčle pour la vérité, comme on le voit dans saint Matthieu.
"ES-TU
LE PROPHETE?" IL REPONDIT : "NON".
233. Telle est la troisičme question que rapporte lEvangéliste. Mais dabord, comment se fait-il que Jean, ŕ la question : "ES-TU LE PROPHETE?" ait répondu quil ne létait pas, [et que Zacharie] dit de lui : "Toi, petit enfant, tu seras appelé prophčte du Trčs-Haut" 29?
On peut répondre de trois maničres. Dabord, Jean nest pas simplement un prophčte, il est plus que prophčte. En effet, les autres prophčtes nannonçaient lavenir que longtemps ŕ lavance. [d'oů la recommandation dHabacuc :] Si tarde la réalisation de la vision, attendez-la. Mais Jean a annoncé le Christ présent, en Le montrant en quelque sorte du doigt "Voici lAgneau de Dieu. Voici celui qui enlčve les péchés du monde" 31. Cest pourquoi le Seigneur dit de lui quil est plus quun prophčte 32.
Ensuite, daprčs Origčne 33, les Juifs, ŕ partir dune mauvaise interprétation [des Ecritures], simaginaient que paraîtraient, au moment de la venue du Christ, trois personnages éminents : le Christ Lui-męme, Elie et un autre trčs grand prophčte [dont Moďse avait dit :] le Seigneur ton Dieu nous suscitera du milieu de nous, dentre nos frčres, un prophčte tel que moi 34.
Ce trčs grand prophčte, en réalité, nest autre que le Christ; mais, selon les Juifs, cest un autre personnage. Voilŕ pourquoi ils ne demandent pas simplement au Précurseur sil est prophčte, mais sil est ce trčs grand Prophčte. Cela se voit ŕ lordre des questions, car ils demandent dabord sil est le Christ, ensuite sil est Elle, enfin sil est ce Prophčte. Ce qui explique, en grec, la présence dun article, pour signifier LE prophčte par excellence.
Enfin, les Pharisiens en voulaient ŕ Jean parce quil sétait attribué le ministčre du baptęme en dehors de la Loi et de leurs traditions. [Il y a en effet dans lAncien Testament trois personnages auxquels il pouvait convenir de baptiser : le Christ, ŕ qui Ezéchiel fait dire : Je ferai sur vous une aspersion deaux pures 36;
25. Luc 1, 17.
26. l Rs l9, 4 et 2 Rs l, 8.
27. 1 Rs 19, 10.
28. Cf. ci-dessus, note 24.
29. Luc 1, 76.
30. Hab 2. 3.
31. Jean j, 29.
32. Mt 11, 9.
33. Sur saint Jean, 6, § 90, p. 197.
34. Deut 18, 15.
35. Ez 36, 25.
Elie qui, daprčs le Deuxičme livre des Rois 36, partagea les eaux du Jourdain et, les ayant passées, fut enlevé; Elisée qui, selon le męme livre 37, ordonna ŕ Naaman le Syrien de se laver sept fois dans le Jourdain pour ętre purifié de sa lčpre.
Les Juifs donc, voyant Jean baptiser, croyaient quil était lune de ces trois personnes, le Christ, Elie ou Elisée. Aussi, lorsquici ils disent ŕ Jean : "ES-TU LE PROPHETE?" ils lui demandent sil nest pas Elisée. Elisée est appelé le Prophčte, dune maničre spéciale, ŕ cause des nombreux miracles quil a faits; il dit du reste, en parlant de lui-męme : Que le roi dIsraël sache quil y a un prophčte en Israël 38. Pour cette raison, Jean répond : JE NE LE SUIS PAS, cest-ŕ-dire : Je ne suis pas Elisée.
II
ILS
LUI DIRENT ALORS : "QUI ES-TU, QUE NOUS DONNIONS UNE REPONSE A CEUX QUI
NOUS ONT ENVOYES? QUE DIS-TU DE TOI-MEME?" "
JE SUIS, DECLARA-T-IL, LA VOIX DE CELUI QUI CRIE DANS LE DESERT : RENDEZ DROIT
LE CHEMIN DU SEIGNEUR, COMME A DIT LE PROPHETE ISAIE".
234. LEvangéliste montre ici comment Jean confessa ce quil était. Il expose en premier lieu la question des envoyés; puis la réponse de Jean [n° 236].
[22]
ILS LUI DIRENT ALORS : "QUI ES-TU, QUE NOUS DONNIONS UNE REPONSE A CEUX
QUI NOUS ONT ENVOYES? QUE DIS-TU DE TOI-MEME?"
235. Nous avons, disent ici les Juifs, été envoyés pour savoir qui tu es; aussi dis-nous : QUE DIS-TU DE TOI-MEME? Mais remarquons combien Jean est consacré : déjŕ il a réalisé ces paroles de lApôtre : Je vis, mais non pas moi, cest le Christ qui vit en moi 39. Cest pourquoi il ne répond pas : "Je suis le fils de Zacharie, ou tel et tel" : il dit uniquement sa dépendance ŕ légard du Christ.
JE
SUIS, DECLARA-T-IL, LA VOIX DE CELUI QUI [23] CRIE DANS LE DESERT : RENDEZ
DROIT LE CHE MIN DU SEIGNEUR, COMME A DIT LE PROPHETE ISAĎE.
236. Jean dit quil est une
VOIX parce que si, par lorigine, la voix est postérieure au verbe, elle est en
revanche premičre pour la connaissance. En effet, le verbe conçu dans le cur
se fait connaître ŕ nous par lémission de la parole qui en est le signe. Or
Dieu le Pčre a envoyé le Précurseur Jean, créé dans le temps, pour annoncer son
Verbe, conçu de toute éternité; cest donc ŕ juste titre que Jean dit : JE SUIS
LA VOIX.
237. Ce quil ajoute : DE CELUI QUI CRIE, peut se comprendre de deux façons : ou cest Jean qui crie, ou cest le Christ qui crie en Jean, [comme disait saint Paul] : Voulez-vous une preuve que celui qui parle en moi, cest le Christ? 40.
Celui qui crie peut le faire pour quatre raisons. En effet, le cri implique dabord une manifestation et cest pourquoi Jean crie, pour montrer que le Christ parlait manifestement en lui, comme lorsquIl criera Lui-męme : Le dernier jour de la fęte, le plus solennel, Jésus debout sécriait : "Si quelquun a soif, quil vienne ŕ moi et quil boive"; alors que, dans les prophéties, Il na pas crié, parce que les prophéties furent données de maničre énigmatique et sous des figures; aussi le Psalmiste dit-il : La tente de Dieu autour de lui, cest leau ténébreuse des nuées de lair 42.
Ensuite, le cri sadresse ŕ des personnes éloignées; or les Juifs sétaient éloignés de Dieu; aussi fallait-il crier Tu as éloigné de moi mes amis et mes proches 43.
En troisičme lieu, le cri sadresse ŕ des sourds Qui est sourd, sinon mon serviteur?44
Enfin, le cri exprime quon
parle avec indignation, parce que celui qui crie sadresse ŕ ceux qui ont
mérité la colčre de Dieu [Le Seigneur] leur parlera dans sa colčre. 45
238. Mais remarquons quil crie DANS LE DESERT, car Le Seigneur fit entendre sa parole ŕ Jean, fils de Zacharie, dans le désert 46. On peut trouver lŕ un sens littéral et un sens mystique.
Au sens littéral, Jean reste DANS LE DESERT pour ętre exempt de tout péché, afin dętre ainsi plus digne de porter témoignage pour le Christ et de rendre, par sa vie, son témoignage plus digne de foi auprčs des hommes.
Au sens mystique, le DESERT sexplique de deux façons. Le DESERT, en effet, signifie dabord les paďens, conformément ŕ cette parole dIsaďe : Les fils de la délaissée [du latin desertae] sont plus nombreux que les fils de celle qui avait un époux 48. Ainsi, pour montrer que la connaissance de Dieu ne doit pas ętre pręchée seulement ŕ Jérusalem, mais chez toutes les nations, il cria DANS LE DESERT Le royaume de Dieu [dira le Christ aux Juifs] vous sera enlevé et il sera donné ŕ une nation qui en produira les fruits.
Par DESERT, dautre part, on entend la Judée, qui était alors déserte Voici que votre maison vous est laissée déserte 49. Jean cria donc DANS LE DESERT, cest-ŕ-dire en Judée, pour faire comprendre que le peuple ŕ qui il pręchait était alors déserté par Dieu Dans cette terre déserte et oů il ny a ni chemin ni eau, je me suis présenté devant toi, dans ton sanctuaire, pour contempler ta puissance et ta gloire 50.
36. 2 Rs 2, 8.
37. 2 Rs 5, 8-10.
38. Ibid.
39. Ga 2, 20.
40. 2 Co13. Sur la signification du cri, voir n° 193.
41. Jean 7, 37.
42. Ps 17, 12.
43. Ps 87, 19.
44. Isaďe 42, 19.
45. Ps 2, 5.
46. Luc 3, 2.
47. Isaďe 54, 1.
239. Mais que crie Jean? RENDEZ DROIT LE CHEMIN DU SEIGNEUR. Cest en effet pour cela quil fut envoyé Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophčte du Trčs-Haut, car tu marcheras devant le Seigneur pour préparer ses voies 51. Or le chemin préparé pour recevoir le Seigneur, le chemin DROIT, cest le chemin de justice [selon Isaďe :] Le chemin du juste est droit, droite est la voie que tu aplanis pour le juste 52.
La voie du juste est droite
lorsque lhomme tout entier est soumis ŕ Dieu : lintelligence par la foi, la
volonté par lamour, lagir par lobéissance ŕ Dieu. Et, ŕ ces paroles : JE
SUIS LA VOIX DE CELUI QUI CRIE DANS LE DESERT : RENDEZ DROIT LE CHEMIN DU
SEIGNEUR, Jean ajoute : COMME LE DIT LE PROPHETE ISAIE, cest-ŕ-dire comme la
prédit Isaďe. Cest comme si Jean disait : "Je suis celui en qui ces
paroles saccomplissent."
48. Mt 21, 43.
49. Mt 23, 38
50. Ps 62, 3.
51. Luc 1, 76.
52. Isaďe 26, 7.
240. Plus haut Jean-Baptiste, interrogé, a rendu témoignage au Christ en parlant de sa propre personne; ici, il le fait en parlant de son ministčre.
A ce sujet, lEvangéliste
traite quatre points : quels sont ceux qui linterrogent [n° 241]; leur
interrogation [n°
243]; la réponse de Jean, dans laquelle il rend
témoignage au Christ [n°
244]; enfin le lieu oů les choses se sont passées [n° 251].
I
[24]
LES ENVOYES ETAIENT DES PHARISIENS.
241. Ceux qui interrogent sont des Pharisiens. LEvangéliste le souligne. Or, selon Origčne 1, les paroles rapportées ici relčvent dun autre témoignage 2 ces envoyés du parti des Pharisiens ne sont pas les męmes que les prętres et les lévites envoyés par lensemble des Juifs, mais dautres, envoyés spécialement par les Pharisiens. Selon cette interprétation, lEvangéliste dit LES ENVOYES, non ceux des Juifs comme furent les prętres et les lévites, mais dautres, ETAIENT DES PHARISIENS. Dans la pensée dOrigčne, les prętres et les lévites, personnages instruits et respectueux, interrogent Jean humblement et avec déférence sur sa dignité; ils lui demandent sil est le Christ, ou Elie, ou le Prophčte. Mais ceux-lŕ, Pharisiens et donc, comme lindique leur nom, gens séparés et acerbes, avancent des propos injurieux pour Jean-Baptiste; aussi lui disent-ils : POURQUOI DONC BAPTISES-TU, SI TU NES NI LE CHRIST, NI ELIE, NI LE PROPHETE?
Cependant, selon dautres, ŕ
savoir Grégoire 3, Chrysostome 4 et Augustin 5, ces Pharisiens sont les męmes que les envoyés des Juifs, qui étaient
prętres et lévites. Il y avait en effet parmi les Juifs une secte dont les
membres étaient séparés des autres pour des raisons dobservances extérieures :
doů leur nom de "Pharisiens", cest-ŕ-dire "séparés".
Dans cette secte, certains étaient prętres et lévites, dautres appartenaient
au peuple. Pour que leurs messagers aient plus dautorité, les Juifs envoyčrent
des prętres et des lévites qui étaient des Pharisiens, ŕ qui ne manquaient par
conséquent ni la dignité de lordre sacerdotal, ni lautorité religieuse.
242. Cest pourquoi lEvangéliste ajoute ces paroles LES ENVOYES ETAIENT DES PHARISIENS. Il le dit dabord pour indiquer le motif de leur question sur le baptęme de Jean, question pour laquelle ils navaient pas été envoyés. En dautres termes : ils avaient été envoyés pour demander ŕ Jean qui il était; mais sils lui posent cette autre question : POURQUOI DONC BAPTISES-TU? cest quils faisaient partie des Pharisiens, que leur situation religieuse rendait hardis.
Jean dit encore que cétaient des Pharisiens pour selon Grégoire 6 montrer dans quelle intention ils demandčrent ŕ Jean : QUI ES-TU? Les Pharisiens, en effet, parmi tous les autres Juifs, se comportaient ŕ légard du Christ dune maničre perfide et calomnieuse. Ainsi dirent-ils du Seigneur : Cet homme chasse les démons par Beelzéboul, le prince des démons. Les męmes encore se concertčrent avec les Hérodiens pour Le prendre en défaut dans ses paroles 8. Cest pourquoi, en affirmant LES ENVOYES ETAIENT DES PHARISIENS, lEvangéliste indique quils Linterrogeaient dune maničre calomnieuse, et poussés par lenvie.
1. Sur saint Jean, 6, § 120, SC 157, pp. 221-223.
2. Jean 1, 19-23.
3. Libri XL Ijomjliarum in Evangelia, 7,
ch. 3, PL 76, col. 1100 D.
4. In Ioannem hom., 16, ch. 2, PG 59,
col. 104.
5. Tract, in Ioann., 4, 8, BA 71, p. 271.
6. Cf. op. cit.
II
[25]
ILS LINTERROGERENT ET LUI DIRENT : "POUR QUOI DONC BAPTISES-TU, SI TU
NES NI LE CHRIST, NI ELIE, NI LE PROPHETE?
243. Leur interrogation
concerne le ministčre du baptęme. Remarquons-le, ils ne cherchent pas ŕ
s'instruire mais ŕ dresser un obstacle : en effet, voyant la multitude du
peuple courir vers Jean-Baptiste ŕ cause du rite nouveau du baptęme, étranger ŕ
celui des Pharisiens et de la Loi, ils jalousaient Jean et sefforçaient de
tout leur pouvoir dempęcher son baptęme. Voilŕ pourquoi, incapables de se
contenir, ils manifestent leur jalousie et disent : POURQUOI BAPTISES-TU, SI TU
NES NI LE CHRIST, NI ELIE, NI LE PROPHETE? Ce qui veut dire : "Tu ne
dois pas baptiser, puisque tu as dit nętre aucun des trois personnages en qui
le baptęme a été préfiguré; si tu nes pas le Christ qui sera la fontaine pour
laver les péchés, si tu nes pas Elie, ni le Prophčte, cest-ŕ-dire Elisée, qui
lun et lautre ont traversé le Jourdain ŕ pied sec 9, comment
oses-tu baptiser?"
Les envieux leur ressemblent, qui empęchent le progrčs des âmes et disent aux voyants : "Ne voyez pas", et aux prophčtes : "Ne nous prophétisez pas la vérité" 10.
7. Mt 12, 24.
8. Mt 22, 15-16.
9. 2 Rs 2, 8.
III
JEAN
LEUR REPONDIT : "MOI, JE BAPTISE DANS LEAU; AU MILIEU DE VOUS SE TIENT
QUELQUUN QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS. IL EST CELUI QUI DOIT VENIR APRES MOI,
QUI EXISTAIT AVANT MOI, ET MOI JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA
CHAUSSURE". MOI, JE BAPTISE DANS LEAU.
244. La réponse de Jean est vraie. Il répond dabord en parlant de son ministčre, puis en parlant du Christ [n° 245]. Il leur dit : MOI, JE BAPTISE DANS LEAU, autrement dit : nallez donc pas vous étonner si je baptise, alors que je ne suis ni le Christ, ni Elie, ni le Prophčte : mon baptęme ne mčne pas ŕ la perfection, il est imparfait. En effet, pour quun baptęme soit parfait, il lui faut laver le corps et lâme; or leau, par nature, lave le corps, mais lâme ne peut ętre lavée que par lesprit. Cest pourquoi Jean-Baptiste dit : MOI, JE BAPTISE DANS LEAU, cest-ŕ-dire je lave le corps par une réalité corporelle; un autre viendra qui baptisera dune maničre parfaite, dans leau et lEsprit Saint; Il sera Dieu et homme, Il lavera le corps avec leau, lesprit avec lEsprit, de telle sorte que la sanctification de les prit rejaillira sur le corps Jean a baptisé dans leau, mais vous, sous peu de jours, vous serez baptisés dans lEsprit Saint 11.
10. Isaďe 30, 10.
11. Ac 1, 5.
245. [Aprčs avoir parlé de son ministčre,] Jean rend témoignage au Christ; dabord par rapport aux Juifs : AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQUUN QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS; ensuite par rapport ŕ lui-męme : IL EST CELUI QUI DOIT VENIR APRES MOI... [n° 247].
AU
MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQUUN QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS.
246. Jean situe ici le Christ par rapport aux Juifs. Ses précédentes paroles revenaient ŕ dire : "Moi, jai fait une uvre imparfaite; mais il y en a un autre qui parachčvera mon uvre". Or cet autre, ajoute-t-il, SE TIENT AU MILIEU DE VOUS. On peut expliquer cette derničre parole de multiples maničres.
Daprčs Grégoire, Chrysostome et Augustin, elle a trait ŕ la vie commune du Christ avec les hommes par ce que, selon la nature humaine, Il apparut semblable aux autres hommes Lui qui était de condition divine, ne se prévalut pas dętre légal de Dieu, mais Il sanéantit Lui-męme, prenant condition desclave et se faisant semblable aux hommes. Il a paru comme un simple homme 12, Cest en ce sens que Jean dit : AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQUUN, cest-ŕ-dire : Il a partagé votre vie bien des fois, comme étant lun des vôtres Je suis au milieu de vous comme celui qui sert 13, [Pourtant] VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, cest-ŕ-dire : que Dieu se soit fait homme, vous ne pouvez pas le comprendre. De męme, vous ignorez combien Il est grand selon la nature divine, qui se cachait en Lui Oui, Dieu est si grand quIl dépasse notre science 14, Aussi, comme le dit Augustin 15, "une lampe, cest-ŕ-dire Jean, fut allumée pour que les hommes trouvent le Christ" Jai préparé une lampe ŕ mon Christ 16.
12. Phi 2, 6.
13. Luc 22, 27.
14. Jb 36, 26.
15. Tract, in Jo., 5, 14, BA 71, p. 325.
Origčne propose deux autres explications 17 Daprčs la premičre, les paroles de lEvangéliste se rapportent ŕ la divinité du Christ et doivent sentendre ainsi : AU MILIEU DE VOUS, cest-ŕ-dire au milieu de toutes les réalités, SE TIENT QUELQUUN, cest-ŕ-dire le Christ, car en tant que Verbe de Dieu Il a rempli toute la création depuis son commencement Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas, moi? dit le Seigneur 18. Cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que, comme lEvangéliste le dit plus haut, Il était dans le monde (...) et le monde ne la pas connu 19.
Daprčs la seconde explication dOrigčne, ces paroles se rapportent au fait que le Verbe est cause de la sagesse humaine, et il est dit : QUELQUUN SE TIENT AU MILIEU DE VOUS, cest-ŕ-dire quIl brille dans toutes les intelligences, parce que tout ce qui est lumičre et sagesse dans les hommes leur vient de leur participation au Verbe. Et Jean dit AU MILIEU, parce quau milieu du corps de lhomme se trouve le cur; or on attribue au cur sagesse et intelligence, de sorte que, bien que lintelligence nait pas dorgane corporel, le cur, parce quil est lorgane principal, est pris habituellement pour lintelligence. LEvangéliste dit donc, selon cette comparaison, que le Verbe SE TIENT AU MILIEU, en tant quIl illumine tout homme venant en ce monde; cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que, comme lEvangéliste la dit plus haut, la lumičre brille dans les ténčbres et les ténčbres ne lont pas étreinte 20.
Enfin, selon une quatričme explication, ces paroles se rapportent ŕ lannonce prophétique du Christ. La réponse sadresse spécialement aux Pharisiens : ils ne cessaient de consulter les écrits de lAncien Testament qui annonçaient le Christ, et pourtant ils ne Le con naissaient pas. Daprčs cette interprétation, le Précurseur dit AU MILIEU DE VOUS SE TIENT QUELQUUN, cest-ŕ-dire dans la Sainte Ecriture que vous ruminez sans cesse Vous scrutez les Ecritures 21 et cependant VOUS NE LE CONNAISSEZ PAS, parce que votre cur est endurci ŕ cause de votre infidélité, et vos yeux sont aveuglés de sorte que vous ne reconnaissez pas présent Celui dont vous croyez quIl va venir.
16. Ps 131, 17.
17. Sur saint Jean, 6, § 188, SC 157, pp. 269-271.
18. Jérémie 23, 24.
19. Jean 1, 10.
20. Jean 1, 9 et 5.
[27]
IL EST CELUI QUI DOIT VENIR APRES MOI, QUI EXISTAIT AVANT MOI, ET MOI JE NE
SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE.
247. Jean considčre ici le
Christ par rapport ŕ lui-męme. Il affirme dabord léminence du Christ par rap
port ŕ lui, et montre ensuite limmensité de cette éminence [n° 249].
248. Jean-Baptiste montre léminence du Christ par rapport ŕ lui-męme ŕ la fois dans lordre de la prédication et dans lordre de la dignité. En premier lieu dans lordre de la prédication; cest pour cela quil déclare.
Il est Celui qui vient aprčs moi, pour pręcher, baptiser et mourir Tu marcheras devant la face du Seigneur pour préparer ses voies 22. Mais Jean précčde le Christ comme limparfait précčde le parfait, et comme la dis position précčde la forme, selon ce que dit lApôtre.
Ce nest pas le spirituel qui paraît dabord, mais ce qui est charnel 23. En effet, toute la vie de Jean a été une préparation au Christ. Cest pourquoi il a dit plus haut
Je suis la voix de celui qui crie dans le désert. Mais le Christ a précédé Jean et nous tous, comme le parfait pré cčde limparfait et le modčle son image. [Il dit Lui-męme] : Si quelquun veut venir ŕ ma suite, quil renon ce ŕ lui-męme, quil prenne sa croix et quil me suive et [Pierre écrit :] Le Christ a souffert pour nous, vous laissant un exemple, afin que vous suiviez ses traces 25.
Jean montre encore léminence de Jésus dans lordre de la dignité, en disant : IL EXISTAIT AVANT MOI, cest-ŕ-dire : Il a été placé devant moi et Il me devance en dignité parce que, comme il est dit plus loin : Il faut que Lui croisse et que moi je diminue 26.
21. Jean 5, 39.
22. Luc 1, 76.
23. 1 Corinthiens 15, 46.
249. Puis Jean indique limmensité de léminence [du Christ] en disant : ET MOI JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE. Cest-ŕ-dire ne pensez pas quIl me dépasse en dignité comme un homme doit ętre préféré ŕ un autre, mais dune maničre si éminente que je ne suis rien en comparaison de Lui. Cest évident, puisque JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, ce qui est le plus humble des services que lon puisse rendre aux hommes.
Il ressort de lŕ que Jean était trčs avancé dans la connaissance de Dieu, en ce sens que la considération de linfinie grandeur de Dieu le faisait se mépriser totalement et se compter pour rien. De męme Abraham, lors quil eut reconnu Dieu, disait Je parlerai ŕ mon Seigneur, moi qui suis poussičre et cendre 27. Et Job, aprčs avoir vu le Seigneur, sécria : Maintenant mon il te voit, cest pourquoi je maccuse moi-męme, et je fais pénitence dans la poussičre et la cendre 28.
Quant ŕ Isaďe, aprčs avoir vu la gloire de Dieu, il dit : Toutes les nations sont devant Lui comme si elles nexistaient pas 29. Cette lecture est littérale.
24. Mt 16, 24.
25. 1 Pe 2, 21.
26. Jean 3, 30.
27. Gn 18, 27.
28. Jb 42, 5.
250. Cependant il y a aussi un sens mystique. Selon Grégoire 30, par la chaussure qui est faite avec des peaux danimaux morts, il faut entendre la nature humaine mortelle que le Christ a prise Jétendrai ma chaussure en Idumée 31. La courroie de la chaussure est lunion męme de la divinité et de lhumanité, que ni Jean ni aucun autre ne peut dénouer, ni na pu pleinement scruter, puisque cette union était telle quelle faisait de lhomme un Dieu et de Dieu un homme. Cest pourquoi Jean dit : JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, cest-ŕ-dire dexpliquer le mystčre de lIncarnation, etc., entendons au sens plénier et parfait; car, dune certaine maničre, Jean et les autres prédicateurs, bien quimparfaitement, dénouent la courroie de sa chaussure.
Voici une autre lecture mystique 32 selon lancienne Loi, lorsque quelquun mourait sans enfant, le frčre du défunt était tenu de prendre lépouse du défunt et de donner, de cette épouse, une descendance ŕ son frčre. Si celui-ci ne voulait pas la prendre pour épouse, alors un proche parent du défunt, qui acceptait dépouser la veuve, devait enlever [au frčre] sa chaussure, signifiant par lŕ le désistement de ce dernier; il prenait alors la veuve pour épouse, et la maison du premier devait sappeler maison du déchaussé 33. Se référant ŕ cela, Jean dit : JE NE SUIS PAS DIGNE DE DELIER LA COURROIE DE SA CHAUSSURE, cest-ŕ-dire : Je ne suis pas digne davoir pour épouse celle qui est due [au Christ], lEglise. Cest comme sil disait : je ne suis pas digne dętre appelé lépoux de lEglise, elle qui est consacrée au Christ dans le baptęme de lEsprit; moi je baptise seulement dans leau Celui qui a lépouse est lépoux; mais lami de lépoux, qui se tient lŕ et qui lentend, est ravi de joie ŕ la voix de lépoux : cette joie qui est mienne est donc ŕ son comble 34.
29. Isaďe 40, 17.
30. In Libri XL hom., 7, eh. 3, PL 76,
col. 1101 B.
31. Ps 59, 10.
32. Cf. SAINT GRÉGOIRE, op. cit., col. 1101 C.
33. Cf. Deut 25, 5-10.
IV
CELA
SE PASSAIT A BETHANIE, AU DELA DU JOURDAIN, OU JEAN BAPTISAIT.
251. LEvangéliste signale ensuite le lieu oů ces choses se sont passées.
A ce propos une question se pose : alors que Béthanie est sur le mont des Oliviers, situé prčs de Jérusalem, comme le dit Jean lEvangéliste 35, ainsi que Marc 36 et Luc 37 comment Jean peut-il dire ici que CELA SE PASSA AU DELA DU JOURDAIN, qui était trčs éloigné de Jérusalem? Voici la réponse que donnent Origčne 38 et Chrysostome 39 il ne faut pas lire Béthanie, mais Béthabora, ville située au delŕ du Jourdain; le fait que le texte dise "Béthanie" serait dű ŕ une erreur des copistes. Cependant, les manuscrits grecs et latins portent communément "Béthanie"; il faut donc répondre autrement et dire quil y a deux Béthanie, lune qui est prčs de Jérusalem, sur le flanc du mont des Oliviers, lautre au delŕ du Jourdain, oů Jean baptisait.
34. Jean 3, 29.
35. Jean 11, 18.
36. Mc 11, 1.
37. Le 19, 29.
38. Sur saint Jean, 6, § 204. 205, pp. 285-287.
39. In. Toannem hom., 17, eh. 1, PG 59,
col. 107.
252. Le fait que lEvangéliste fasse mention du lieu a une signification littérale et une signification mystique. Voici la signification littérale, selon Chrysostome 40 lors que Jean écrivait son Evangile, peut-ętre des contemporains de ces événements vivaient-ils encore, qui avaient vu ce lieu; et, pour donner une plus grande certitude, il les fait témoins de ce quils avaient vu.
Selon la signification mystique, ces lieux conviennent au baptęme. En effet, si on lit BETHANIE, qui se traduit "maison dobéissance", cela signifie que lobéissance de la foi est nécessaire pour parvenir au baptęme [ainsi lEpître aux Romains dit :] Nous, nous avons reçu mission dApôtre pour amener tous les paďens ŕ lobéissance de la loi 41. Mais si on lit "Béthabora", qui se traduit "maison de la préparation", cela signifie que, par le baptęme, nous sommes préparés ŕ la vie éternelle.
Et que Béthanie soit AU DELA DU JOURDAIN nest pas sans signification cachée. JOURDAIN, en effet, veut dire "leur descente" et, selon Origčne 42, signifie le Christ qui descendit des cieux, comme Il le dit Lui-męme : Je suis descendu du ciel pour faire (...) la volonté de mon Pčre 43. Cest pourquoi la Sagesse dit delle-męme : Je suis comme un canal issu dun fleuve 44. Il convient en effet que par le Christ soient purifiés tous ceux qui entrent dans ce monde, selon cette affirmation de lApocalypse : Il nous a lavés de nos péchés dans son sang 45.
Le Jourdain peut aussi signifier le baptęme. Il for me en effet la frontičre entre ceux qui, dun côté, ont reçu de Moďse leur héritage, et ceux qui, de lautre, lont reçu de Josué 46; ainsi le baptęme forme une sorte de frontičre entre les Juifs et les paďens qui sy rendent pour se laver en venant au Christ, afin de déposer la honte du péché. De męme, en effet, que les fils dIsraël au moment de leur entrée dans la terre promise ont eu ŕ franchir le Jourdain, de męme cest par le baptęme quil faut [pour] entrer dans la patrie céleste.
LEvangéliste dit : AU DELA DU JOURDAIN, pour faire comprendre que Jean pręchait son baptęme de pénitence męme aux transgresseurs de la Loi et aux pécheurs; cest pourquoi le Seigneur dit pareillement : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs 47.
40. Ibid.
41. Ro 1, 5.
42. Sur saint Jean, 6, § 217-218, pp. 295-297.
43. Jean 6, 38.
44. Sir 24, 41 (LXX 24, 30).
45. Ap 1, 5.
46. Cf. JOS 3, 7-13 cest Josué qui a conduit le peuple dIsraël
en terre promise. Voir Sur saint Jean, 6, § 227-232, pp. 303-305.
47. Mt 9, 13.
253. Dans les versets précédents [n° 223], Jean, interrogé [par les Pharisiens], a rendu témoignage au Christ. Maintenant, cest en sa présence et spontanément quil va rendre un nouveau témoignage au Christ. Il donne dabord son témoignage, puis le confirme [n° 267].
I
LE
LENDEMAIN, JEAN VIT JESUS VENIR A LUI, ET IL DIT : "VOICI LAGNEAU DE
DIEU, VOICI CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU MONDE. CEST CELUI DONT JAI DIT :
UN HOMME VIENT APRES MOI, QUI EST PASSE DEVANT MOI, CAR AVANT MOI IL ETAIT. ET
MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS, MAIS CEST POUR QUIL FUT MANIFESTE A ISRAEL QUE
JE SUIS VENU BAPTISER DANS LEAU".
LEvangéliste commence par décrire les circonstances de ce témoignage; ensuite il expose le témoignage lui-męme [n° 256]; enfin il écarte les soupçons que lon pourrait avoir sur le témoin [n° 263].
[29a1
LE LENDEMAIN, JEAN VIT JESUS VENIR A LUI
254. La description des circonstances du témoignage porte dabord sur le temps. LEvangéliste dit : LE LENDEMAIN, pour mettre en valeur la constance de Jean, qui ne rendit pas témoignage au Christ un jour, ni une fois seulement, mais bien des jours et de nombreuses fois Chaque jour je bénirai ton Nom 1. Cela met aussi en relief sa croissance; en effet, les jours ne doivent pas se succéder pour nous dune maničre uniforme, mais chacun doit ętre autre que le précédent, cest-ŕ-dire meilleur, selon le Psaume Ceux dont la force est en toi marchent avec une vigueur croissante 2.
Une autre circonstance concerne le mode de témoignage JEAN VIT JESUS. Par lŕ lEvangéliste montre sa certitude, car le témoignage portant sur ce quon a vu est plus certain.
Enfin, une autre circonstance
concerne celui ŕ qui le témoignage est rendu : JEAN VIT JESUS VENIR A LUI,
cest-ŕ-dire de Galilée, selon ce que dit Matthieu 3. Par lŕ il ne
faut pas entendre la venue du Christ pour son baptęme, dont parlait Matthieu,
mais une autre venue auprčs de Jean aprčs le baptęme, ŕ un moment oů [Jésus] demeura prčs du
Jourdain; autrement [Jean- Baptiste] naurait pas précisé Celui qui ma envoyé baptiser dans leau ma dit
: Celui sur qui tu verras lEs prit descendre et demeurer, cest Lui qui
baptise dans lEsprit Saint. Et moi jai vu et jai attesté que cest Lui le
Fils de Dieu 4. II avait donc déjŕ vu Jésus et lEs prit descendant sur Lui comme une
colombe, ainsi quil le dira.
255. Une des causes pour lesquelles le Christ vint ŕ Jean aprčs son baptęme, cest quIl voulait confirmer le témoignage du Précurseur. Jean, en effet, avait dit du Christ : Il est Celui qui doit venir aprčs moi 5. Donc, pour quon puisse reconnaître sans se tromper Celui qui devait venir au moment oů Il serait lŕ, Jésus vint ŕ Jean pour ętre montré du doigt : VOICI LAGNEAU DE DIEU.
Une autre raison fut dempęcher une erreur. En effet, on aurait pu croire que le Christ, quand Il vint trouver Jean la premičre fois pour son baptęme, lavait fait pour ętre lavé de ses péchés. Afin dexclure cette interprétation, le Christ vint de nouveau trouver Jean aprčs son baptęme, et cest pourquoi Jean dit expressément : VOICI CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU MONDE, comme sil disait : Il ne vient pas pour ętre purifié de ses péchés, puisquIl na fait aucun péché, mais Il vient enlever le péché. Il vient aussi pour donner un exemple dhumilité, car il est écrit : Humilie-toi en toutes choses dautant plus que tu es grand 6.
Remarquons que, de męme quaprčs la conception du Christ, lorsque la Vierge sa mčre monta en hâte dans le haut pays 7 pour visiter Elisabeth, mčre de Jean, celui-ci, encore dans le sein de sa mčre et incapable de parler, tressaillit pour exprimer au Christ son respect et ses transports de joie, de męme maintenant, au Christ qui vient ŕ lui par humilité, Jean rend témoignage et exprime son respect en sexclamant : VOICI LAGNEAU DE DIEU.
1. Ps 144, 1.
2. Ps 83, 8.
3. Mt 3, 13.
4. Jean 1, 33.
5. In 1, 27.
ET IL
DIT : "VOICI LAGNEAU DE DIEU, VOICI CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU
MONDE".
256. LEvangéliste expose ici le témoignage de Jean, oů sont montrées la puissance du Christ et sa dignité [n° 260].
Le Précurseur montre la puissance du Christ ŕ lai de dune figure quil explique ensuite : VOICI CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU MONDE [n° 259].
6. Sir 3, 18.
7. Luc 1, 39.
257. Il faut savoir que, dans lAncienne Loi, comme le rappelle Origčne 8, la coutume était doffrir au temple cinq espčces danimaux : trois qui vivent sur la terre, le buf, la chčvre et le mouton (cest-ŕ-dire, sous ce nom, le bélier, la brebis et lagneau), deux qui vivent dans les airs, la tourterelle et la colombe. Tous étaient la préfiguration de la vraie victime, le Christ, qui sest offert Lui-męme en oblation ŕ Dieu 9.
Pourquoi donc le Baptiste, rendant témoignage au Christ, La-t-il désigné spécialement par le nom dAGNEAU? La raison se trouve dans le Livre des Nombres. On y voit 10 quŕ certains jours on offrait dans le temple certains sacrifices; cependant il y en avait un qui était quotidien : cétait loffrande perpétuelle 11 matin et soir, dun agneau. Ce sacrifice ne changeait jamais, on laccomplissait comme le rite principal, les autres venant sy joindre. Cest ainsi que lagneau, qui était le sacrifice principal, représente le Christ, qui est le sacrifice principal. Car, bien que tous les saints qui ont souffert pour la foi au Christ contribuent au salut des fidčles, cependant ils ne le font que dans la mesure oů ils sont immolés sur loblation de lAgneau, comme une oblation étroitement liée au sacrifice principal.
Lagneau était offert matin et soir, parce que le Christ nous a ouvert laccčs ŕ la contemplation et ŕ la jouissance de ce que nous pouvons saisir des réalités divines, ce qui appartient ŕ la "connaissance matutinale" 12, et quIl nous a instruits de la maničre duser des biens terrestres sans nous souiller par le péché, ce qui appartient ŕ la "connaissance vespertinale". Aussi Jean dit-il VOICI LAGNEAU DE DIEU, cest-ŕ-dire Celui dont lagneau était le signe.
Il dit AGNEAU DE DIEU, car dans le Christ il y a deux natures, lhumaine et la divine; et sIl a la puissance de satisfaire [les péchés] et de purifier des péchés, cest en vertu de la divinité Cétait Dieu, en effet, qui dans le Christ se réconciliait le monde 13
VOICI LAGNEAU DE DIEU signifie encore : voici lAgneau offert par Dieu, cest-ŕ-dire par le Christ Lui-męme qui est Dieu : ainsi appelle-t-on" offrande de lhomme" celle quoffre lhomme.
AGNEAU DE DIEU peut vouloir dire aussi "Agneau du Pčre"; car le Pčre Lui-męme a donné ŕ lhomme de pouvoir offrir pour les péchés un sacrifice suffisant, sacrifice que lhomme lui-męme était incapable doffrir. Voilŕ pourquoi, lorsquIsaac demanda ŕ son pčre Abraham : "Oů est la victime pour lholocauste?", celui-ci répondit : "Dieu pourvoira Lui-męme ŕ la victime pour lholocauste" 14 Dieu, en effet, na pas épargné son propre Fils, mais La livré pour nous tous 15.
8. Sur saint Jean, 6, § 264-267, pp. 331-333.
9. Eph 5, 2.
10. Nomb 28, 3-8 et Ex 29, 38-44.
11. Lev 6, 5-6.
12. A la suite de saint Augustin, saint Thomas appelle"
connaissance matutinale" (cognitio mat utina) la connaissance des
créatures dans le Verbe (in Verbo), par opposition ŕ la "connaissance
vespertinale" (cognitio vespertina) qui les atteint en elles-męmes. Cf. Somme
théol., I, q. 58, a. 6 et 7; De ver., q. 8. a. 5, 16 et 17; Comp. Theol., ch. 216;
Quodl. IX, 7.
258. Le Christ est aussi appelé AGNEAU ŕ cause de sa pureté [agneau pascal, figure du Christ] sera sans tache. Ce sera un mâle, il naura quun an 16 Ce nest point par des choses corruptibles, or ou argent, que vous avez été rachetés [dit saint Pierre] 17; ŕ cause de sa douceur Comme un agneau devant le tondeur, il resta muet 18; ŕ cause de ce quIl nous apporte, car Il est vętement Les agneaux sont pour vous vętir 19;
Revętez-vous du Seigneur Jésus-Christ 20; et nourriture Le pain que moi je donnerai, cest ma chair pour la vie du monde 21. Cest pourquoi Isaďe disait : Seigneur, envoie lagneau dominateur de la terre 22.
13. 2 Co 5, 19.
14. Gn 22, 7.
15. Ro 8, 32.
16. Ex 12, 5.
17. 1 Pe 1, 18.
18. Isaďe 53, 7.
19. Prov 27, 26.
259. Jean explique ensuite la figure dont il sest servi : CELUI QUI ENLEVE LES PECHES DU MONDE. Ni la Loi, ni lagneau, ni les autres sacrifices ne pouvaient enlever les péchés, parce quil est impossible que le sang des boucs et des taureaux enlčve les péchés 23
LAgneau, Lui, ENLEVE, cest-ŕ-dire efface, LES PECHES DU MONDE efface toute iniquité 24 ou bien Il ENLEVE, cest-ŕ-dire prend sur Lui, LES PECHES DU MONDE entier, car Il a porté nos péchés sur son corps 25. Lui-męme, Il a porté nos douleurs et Il sest chargé de nos langueurs 26.
Selon la Glose, Jean dit : "Il a enlevé le péché", et non LES PECHES, afin de montrer, en se servant dun terme universel, que le genre tout entier du péché est enlevé Il est lui-męme victime de propitiation pour nos péchés 27. Ou bien encore, Jean dit : "Il a enlevé LE PECHE", pour souligner que le Christ est mort pour un seul péché, le péché originel Par un homme le péché est entré dans le monde 28.
20. Ro 13, 14.
21. Jean 6, 51.
22. Isaďe 16, 1.
23. He 10, 4.
24. Os 14, 3.
25. 1 Pe 2, 24.
26. Isaďe 53, 4.
27. 1 Jean 2, 2.
28. Ro 5, 12.
CEST
CELUI DONT JAI DIT : UN HOMME VIENT [30] APRES MOI, QUI EST PASSE DEVANT MOI,
CAR AVANT MOI IL ETAIT.
260. Ce nest plus maintenant en montrant sa puissance que le Baptiste rend témoignage au Christ, mais en montrant sa dignité, ce quil fait en se comparant ŕ Lui dune triple maničre.
Dabord dans lordre de la
prédication; cest pour quoi il dit, en Le montrant du doigt : CELUI-CI,
cest-ŕ-dire lAgneau, EST CELUI DONT JAI DIT en son absence : UN HOMME VIENT
APRES MOI, pour pręcher et baptiser, qui vient APRES MOI par la naissance. Il
appelle le Christ UN HOMME en raison de son âge parfait car, quand Il commença
ŕ enseigner aprčs son baptęme, Il était déjŕ dans lâge parfait, puisquIl
avait environ trente ans 29; et également en raison
de la perfection de toutes les vertus qui étaient en Lui. [LEcriture dit en effet] : Sept femmes,
cest-ŕ-dire les sept vertus, saisiront un homme, cest-ŕ-dire le Christ par
fait 30; et : Voici un homme dont le nom est orient 31, car Il est, pour
Lui-męme et pour les autres, origine de toutes les vertus. De męme [il appelle le Christ
HOMME] en raison du fait quIl sengage comme époux, car le Christ Lui-męme
est lépoux de lEglise En ce jour-lŕ, dit le Seigneur, tu mappelleras : "Mon
époux" 32 lApôtre disait en effet : Je vous ai fiancés ŕ un époux unique 33.
261. Jean se compare ensuite au Christ dans lordre de la dignité en disant : IL EST PASSE DEVANT MOI, comme sil disait : bien quIl soit venu aprčs moi pour pręcher, cependant AVANT MOI IL ETAIT, cest-ŕ-dire Il a été placé devant moi en dignité Le voici, Il vient, bondissant sur les montagnes, sautant sur les collines 34.
Jean-Baptiste fut une colline que le Christ dépassa; [n° 30] Jean dit en effet, plus loin : Il faut que Lui croisse et que moi je diminue 35.
29. Luc 3, 23.
30. Isaďe 4, 1.
31. Zach 6, 12.
32. Os 2, 18.
33. 2 Co 11, 2.
34. Cant 2, 8.
262. Enfin, Jean se compare au Christ dans lordre de la durée en disant AVANT MOI IL ETAIT, comme sil disait : il nest pas étonnant quIl me dépasse en dignité car, bien quIl soit venu aprčs moi dans le temps, Il est avant moi par léternité, car AVANT MOI IL ETAIT.
Par ces paroles, Jean écarte deux erreurs. Dabord celle dArius 36. De fait le Baptiste ne dit pas : "Avant moi Il a été fait", comme sIl était une créature, mais AVANT MOI IL ETAIT, dčs léternité, avant toute créature Avant toutes les collines, cest-ŕ-dire avant tous les saints et avant toute créature, le Seigneur ma engendré 37. Il écarte aussi lerreur de Paul de Samosate 38, car il dit AVANT MOI IL ETAIT afin de montrer que le Christ ne tire pas son origine de Marie; en effet, sIl avait pris de la Vierge le principe de son ętre, Il naurait certes pas existé avant le Précurseur qui, selon la génération humaine, précédait le Christ de six mois.
ET
MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS, MAIS CEST POUR QUIL FUT MANIFESTE A ISRAEL QUE
JE SUIS VENU BAPTISER DANS LEAU.
263. Jean prévient ici une fausse interprétation de son témoignage. On pourrait dire en effet quil rendait témoignage au Christ ŕ cause de laffection, de linti mité unique quil avait avec le Christ; cest pourquoi, écartant cette supposition, Jean dit : ET MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS. Depuis son enfance, en effet, il avait vécu dans le désert. Les nombreux miracles qui avaient eu lieu ŕ la naissance du Christ, par exemple ceux concernant les mages, létoile et dautres sembla bles, nétaient pas connus de Jean, parce quil était alors trop petit, et quensuite, sétant retiré au désert, il navait pas vécu dans lintimité du Christ.
Dautre part, dans lintervalle de temps allant de sa nativité ŕ son baptęme, Jésus nopéra aucun miracle; mais sa vie était comparable ŕ celle des autres hommes et sa puissance demeurait inconnue de tous.
35. Jean 3, 30.
36. Voir ci-dessus n° 61, note 62.
37. Prov 8, 25.
38. Voir ci-dessus n° 64, note 68. {1, 30]
264. Que le Christ, dans
cet intervalle, nait pas fait de miracles jusquŕ lâge de trente ans, est
certain; car [L'évangéliste, parlant du miracle de Cana, dira] : Ce fut le premier
des signes de Jésus 39. Doů apparaît la fausseté du livre Lenfance du Sauveur. Jésus ne fit
pas de miracle durant cette période; si, enfant, Il ne sétait pas comporté
comme les autres, on aurait pu penser que le mystčre de lIncarnation nétait
quapparence. Cest pourquoi Il remit la manifestation de sa science et de sa
puissance au temps oů dordinaire les autres hommes jouissent de science et de
puissance. Luc dit en effet : Lenfant croissait en sagesse, en taille et en
grâce 40, non quIl reçut alors un accroissement de puissance et de sagesse
quIl naurait pas possédées auparavant, puisquIl fut parfait en puissance et
en sagesse dčs le premier instant de sa conception, mais sa puissance et sa
sagesse se dévoilaient davantage aux hommes Vraiment, tu es un Dieu caché 41.
265. Jean ne connaissait donc pas le Christ parce quil ne Lavait pas encore vu accomplir de signes, et Jésus ne sétait pas fait connaître ŕ dautres par des signes. Aussi le Précurseur ajoute : MAIS CEST POUR QUIL FUT MANIFESTE A ISRAEL QUE JE SUIS VENU BAPTISER DANS LEAU, comme sil disait : tout mon ministčre est pour Le manifester [nétait pas la lumičre, mais il devait rendre témoignage ŕ la lumičre 42.
39. Jean 2, 11.
40. Luc 2, 52.
41. Isaďe 45, 15.
266. Jean dit : Je suis venu BAPTISER DANS LEAU, pour montrer la différence de son baptęme et de celui du Christ; parce que le Christ na pas baptisé seulement dans leau, mais dans lEsprit, en donnant la grâce. Le baptęme de Jean fut donc seulement un signe, il navait pas la capacité de réaliser ce quil signifiait.
Le baptęme de Jean servit ŕ manifester le Christ de trois maničres.
Dabord par la prédication de Jean. En effet, bien que le Précurseur eűt pu, męme sans son baptęme, simplement en pręchant, préparer la voie au Seigneur et conduire les foules au Christ, cependant, en raison de la nouveauté de son ministčre on accourait vers lui en plus grand nombre que sil avait pręché sans baptiser.
Ensuite, le baptęme de Jean servit ŕ manifester lhumilité du Christ qui voulut ętre baptisé par lui; Matthieu dit en effet : Le Christ vint ŕ Jean pour ętre baptisé par lui 43. En cela précisément Il offrit un exemple dhumilité pour que nul, si grand soit-il, ne dédaigne de recevoir les sacrements de nimporte quel ministre ordonné en vue de cela.
Enfin, au baptęme conféré au Christ par Jean sont présents la puissance du Pčre dans la voix, et lEsprit Saint dans la colombe, par oů furent pleinement manifestées la puissance et la dignité du Christ Et la voix du Pčre retentit : Voici mon Fils bien-aimé 44.
42. Jean 1, 8.
43. Mt 3, 13.
44. Luc 3, 22.
II
[32]
ET JEAN RENDIT TEMOIGNAGE : "JAI VU LESPRIT DESCENDRE DU CIEL COMME UNE
COLOMBE ET IL EST DEMEURE SUR LUI ET MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS; MAIS CELUI
QUI MA ENVOYE BAPTISER DANS LEAU MA DIT : CELUI SUR QUI TU VERRAS LESPRIT
DESCENDRE ET DEMEURER, CEST LUI QUI BAPTISE DANS LESPRIT SAINT. ET MOI JAI
VU, ET JAI ATTESTE QUE CEST LUI LE FILS DE DIEU".
267. Les grandes choses dont Jean a témoigné au sujet du Christ, ŕ savoir que seul Jésus enlčve les péchés de tout lunivers, il les confirme par lautorité de Dieu en exposant sa vision, en en expliquant le sens [n° 274] et en montrant ce quil a saisi de cette vision [n° 278].
[32]
ET JEAN RENDIT TEMOIGNAGE : "JAI VU LESPRIT DESCENDRE DU CIEL COMME
UNE COLOMBE ET IL EST DEMEURE SUR LUI".
268. Le Baptiste expose ici
sa vision. Jean lEvangéliste ne précise pas quand cela se passa, mais Matthieu
et Luc disent que ce fut lorsque le Christ fut baptisé par Jean. Certes, pour
Celui qui était baptisé, comme pour le baptęme, il convenait que lEsprit Saint
fűt pré sent. Cela convenait pour Celui qui était baptisé car, de męme que le
Fils, existant par le Pčre, Le manifeste Pčre, jai manifesté ton nom 45, de męme lEsprit Saint,
existant par le Fils, manifeste ce dernier Lui me glorifiera car Il prendra
de moi 46. Cela convenait aussi pour le baptęme, parce que le baptęme reçu par
le Christ est lébauche et la consécration de notre baptęme. Notre baptęme, en
effet, est consacré par linvocation de la Sainte Trinité De toutes les
nations faites des disciples, les baptisant au nom du Pčre, et du Fils, et du
Saint-Esprit 47. Donc ceux que nous invoquons ŕ notre baptęme furent présents au
baptęme du Christ : le Pčre dans la voix, lEsprit Saint dans la colombe et le
Fils dans la nature humaine.
269. Jean dit : JAI VU LESPRIT DESCENDRE, parce que le mouvement de descente a deux termes : un commencement, en haut, et un aboutissement, en bas, et que de ces deux points de vue lexpression convient au baptęme.
Il y a en effet deux esprits, lun qui est du monde et lautre qui est de Dieu. Lesprit du monde, cest lamour du monde; il ne vient pas den haut, mais monte den bas vers lhomme et le fait descendre; mais lEsprit de Dieu, cest lamour de Dieu : il descend den haut vers lhomme et le fait monter Or nous avons reçu non lesprit du monde, mais lEsprit de Dieu 48. Parce que cet Esprit vient den haut, Jean dit : JAI VU LESPRIT DESCENDRE.
De la męme façon, comme il est impossible ŕ une créature de recevoir la bonté de Dieu dans toute la plénitude qui convient ŕ Dieu, ainsi la dérivation de sa bonté en nous est comme une descente Tout don excellent, toute grâce parfaite vient den haut et descend du Pčre des lumičres 49.
46. Jean 16, 14.
47. Mt 28, 19.
48. 1 Corinthiens 2, 12.
49. Ja 1, 17.
45. Jean 17, 6.
270. Mais parce que
lEsprit Saint ne peut ętre vu dans sa nature męme comme il est dit plus loin
: Le vent souffle oů il veut, tu entends sa voix, mais tu ne sais doů Il vient
ni oů Il va 50 et que, de plus, le propre de lEsprit nest pas de descendre mais
de monter LEsprit me souleva 51, voilŕ pourquoi lEvangéliste expose le mode de sa vision et de la
descente de lEsprit Saint en disant que lEsprit Saint ne fut pas ici selon sa
nature, mais sous la forme dune colombe, forme sous laquelle Il apparut; et
cest pour quoi il dit COMME UNE COLOMBE. Il convenait certes que le Fils de
Dieu, rendu visible par la chair, fűt manifesté par lEsprit Saint sous la
forme visible dune colombe. Cependant lEsprit Saint nassuma pas cette
colombe dans lunité de sa personne, comme le Fils de Dieu assuma la nature
humaine. Cest que le Fils napparut pas seulement pour manifester, mais pour
sauver. Aussi fallait-il, dit saint Léon 52, quIl fűt Dieu et
homme : Dieu pour apporter la guérison, homme pour donner lexemple. Mais
lEsprit Saint apparut seulement pour manifester : or, pour manifester, il suffisait
quIl assume une forme corporelle destinée seulement ŕ ętre un symbole.
271. La colombe était-elle un véritable animal? Existait-elle avant lapparition? A vrai dire, il est plus conforme ŕ la raison daffirmer que ce fut une vraie colombe. Car lEsprit Saint vint pour manifester le Christ qui, étant la vérité, ne devait ętre manifesté que par la vérité.
A la seconde question
existait-elle avant lapparition? il faut répondre : non, elle fut formée
alors par la puissance divine sans laccouplement dun mâle et dune femelle,
comme le corps du Christ fut conçu par la puissance de lEsprit, et non ŕ
partir de la semence de lhomme. Cependant, ce fut une vraie colombe car, dit
Augustin 53, "Au Dieu tout-puissant qui a fait de rien toutes les créatures,
il nétait pas difficile de former un vrai corps de colombe sans le concours
dautres colombes, comme il ne Lui fut pas difficile de façonner un vrai corps
dans le sein de la bien heureuse Vierge sans une semence naturelle".
Et saint Cyprien écrit 54
"LEsprit Saint vint sous la forme
dune colombe parce que cet oiseau est simple et pur, sans colčres amčres, sans
morsures cruelles, quil ne fait de mal ni du bec ni de longle; il aime la
demeure des hommes et se plaît ŕ demeurer dans une seule mai son. Quand ils
engendrent des petits, ils les élčvent de compagnie; rassemblés, ils volent en
bande; ils passent leur vie en commerce familier; les baisers de leurs becs
montrent leur paix harmonieuse et ils observent en tout point la loi de la
concorde".
50. Jean 3, 8.
51. Ez 8, 3.
52. Sermones, 21, ch. 2, PL 54, col. 192 B.
272. Pourquoi lEsprit Saint apparut-Il sous la forme dune colombe, plutôt que sous une autre forme? A cela on peut assigner de multiples raisons.
Premičrement, ŕ cause de la simplicité de la colombe, car la colombe est simple Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes 55. Or lEsprit Saint, parce quIl fait regarder lUn, cest-ŕ-dire Dieu, rend simple; cest pourquoi Il apparut sous la forme dune colombe. Selon Augustin 56, Il apparut encore sous forme de feu au-dessus des disciples réunis parce que certains sont simples mais tičdes, et dautres fervents mais fourbes. Aussi, pour que ceux que sanctifie lEsprit Saint fuient toute duplicité, Celui-ci se montre sous la forme dune colombe; et, afin que la simplicité nengendre pas la froideur, Il se montre sous la forme du feu.
Deuxičmement 57, ŕ cause de lunité de la charité, car la colombe brűle dun grand amour Unique est ma colombe 58. Afin donc de montrer lunité de lEglise, lEsprit Saint apparaît sous la forme dune colombe. Aussi, ne te trouble pas de ce quŕ la descente du Saint Esprit sur chacun des disciples soient apparues des langues de feu qui se partagčrent 59 entre eux, parce que lEsprit se montre partagé selon les divers ministčres, et cependant Il unit par la charité; et cest pourquoi Il apparaît dune part sous forme de langues divisées Il y a certes répartition des dons , et dautre part sous la forme dune colombe mais cest le męme Esprit 60.
Troisičmement, ŕ cause du gémissement. En effet la colombe a pour chant un gémissement. Ainsi lEsprit Saint, comme le dit saint Paul, intercčde pour nous en des gémissements ineffables 61; et, comme le dit le prophčte : Ses servantes gémissent, telle la voix de la colombe 62.
Quatričmement, ŕ cause de la fécondité. La colombe en effet est un animal trčs fécond; cest pourquoi lEsprit Saint apparut sous la forme dune colombe, pour désigner la fécondité de la grâce spirituelle dans lEglise. Voilŕ pourquoi, dans lAncien Testament, le Seigneur commanda quon Lui offrît les petits des colombes 63.
Cinquičmement, ŕ cause du caractčre avisé de la colombe : car elle sičge aux bords des eaux, elle y regarde, aperçoit le vol du faucon et se met ŕ labri Ses yeux sont des colombes au bord des ruisseaux 64 puisque, dans le baptęme, lEsprit Saint est notre garde et notre défense, il convient quIl apparaisse sous la forme dune colombe.
[Que lEsprit Saint soit descendu du ciel comme une colombe] cela répond enfin ŕ une figure de lAncien Testament 65. En effet, de męme que la colombe, en rapportant un rameau dolivier, donna un signe de la clémence de Dieu ŕ ceux qui avaient été préservés des eaux du déluge, de męme lEsprit Saint, venant sous la forme dune colombe lors du baptęme du Christ, donne un signe de la clémence divine qui remet les péchés et confčre la grâce aux baptisés.
53. De agone christiano, ch. 22, 24, PL 40,
col. 303.
54. De unitate Ecclesiae, 9, PL 4, col. 506
B.
55. Mt 10, 16.
56. Tract. in J 6, 3, BA 71, p. 349.
57. Ibid., 11, p. 367.
58. Cant 6, 9.
59. Ac 2, 3.
60. 1 Corinthiens 12, 4.
61. Ro 8, 26.
62. Nah 2, 8.
63. Lev 5, 7.
273. Jean ajoute que lEsprit Saint EST DEMEURE SUR LUI, parce que le fait de demeurer implique le repos. Que lEsprit Saint ne demeure pas en quelquun, cela peut avoir lieu pour deux raisons. Lune provient du péché. Tous les hommes, excepté le Christ, sont déchirés par les blessures du péché mortel qui fait fuir lEsprit Saint, ou sont ternis par la tache du péché véniel qui empęche certaines opérations du Saint-Esprit. Or, dans le Christ, il ny eut de péché ni mortel, ni véniel, ni originel; cest pourquoi en Lui le repos de lEsprit Saint ne fut pas troublé, mais IL EST DEMEURE SUR LUI, cest-ŕ-dire : Il sest reposé sur Lui.
Que lEsprit ne demeure pas en quelquun, cela peut sentendre aussi des grâces charismatiques. Les saints, en effet, nen ont pas toujours le pouvoir ŕ leur dis position. Ainsi ils nont pas toujours celui de faire des miracles, et lesprit de prophétie nassiste pas toujours les prophčtes. Le Christ au contraire eut toujours le pouvoir dopérer tous les miracles et dexercer tous les charismes; et cest pour lexprimer quil est dit : IL EST DEMEURE SUR LUI Voilŕ pourquoi ce fut lŕ le signe propre permettant de reconnaître le Christ, comme le dit la Glose ŕ propos du texte dIsaďe : LEsprit du Seigneur reposera sur Lui 66; ce quil faut entendre du Christ selon quIl est homme, par oů Il est moindre que le Pčre et lEsprit Saint.
64. Cant 5, 12.
65. Gn 8, 11.
[33]
ET MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS; MAIS CELUI QUI MA ENVOYE BAPTISER DANS LEAU
MA DIT : CELUI SUR QUI TU VERRAS LESPRIT DESCENDRE ET DEMEURER, CEST LUI QUI
BAPTISE DANS LESPRIT SAINT.
274. Ici, Jean interprčte
sa vision. Selon certains hérétiques comme les Ebionites 67, le Christ ne
fut pas Christ dčs sa naissance, ni Fils de Dieu, mais commença de lętre
quand, ŕ son baptęme, Il fut oint de lhuile de lEsprit Saint. Cette opinion
est erronée, puisquŕ lheure męme de la nativité lange dit aux bergers :
Aujourdhui vous est né un sauveur, qui est le Christ Seigneur dans la cité de
David 68. Afin donc quon ne simagine pas que lEsprit Saint était descendu
sur le Christ lors de son baptęme parce quIl aurait eu un besoin actuel de
lEsprit pour sa sanctification, le Baptiste montre la cause de cette descente
en disant quelle nétait pas nécessaire au Christ, mais quelle était pour
nous, afin que sa grâce nous soit manifestée. Cest pourquoi il dit : ET MOI JE
NE LE CONNAISSAIS PAS, MAIS CEST POUR QUIL FUT MANIFESTE A ISRAEL QUE JE SUIS
VENU BAPTISER DANS LEAU.
275. Mais ici surgit une, question. Jean dit en effet : CELUI QUI MA ENVOYE BAPTISER DANS LEAU. Si nous disons que cest le Pčre qui Lenvoya, cela est vrai; de męme, si nous affirmons que cest le Fils, cest encore plus manifeste, puisquon dit que le Pčre et le Fils lenvoyčrent; en effet Jean nest pas de ceux dont il est dit : Je nai pas envoyé ces prophčtes et ils courent, je ne leur ai pas parlé et ils prophétisent 69. Dčs lors, comment Jean peut-il affirmer : MOI JE NE LE CONNAISSAIS PAS, si le Fils la envoyé? Si on dit que, bien quil Le connűt selon la divinité, cependant il ne Le connaissait pas selon lhumanité, et ne Le connut ainsi quaprčs avoir vu descendre sur Lui lEsprit Saint, je réplique que lEsprit Saint descendit sur le Christ ŕ son baptęme et que Jean a connu le Christ avant de Le baptiser; autrement il naurait pas dit : Cest moi qui dois ętre baptisé par toi, et tu viens ŕ moi 70.
Il faut donc dire quon peut répondre ŕ la question de trois maničres.
Premičrement, selon Chrysostome 71 [ces paroles de Jean] doivent sentendre dune connaissance de lhumanité du Christ. Ainsi, lorsque Jean dit : MOI, JE NE LE CONNAISSAIS PAS, il faut entendre : dune maničre intime. Si lon objecte quil a dit au Christ : Cest moi qui dois ętre baptisé par toi, il faut répondre que ces deux affirmations se réfčrent ŕ deux moments différents : MOI, JE NE LE CONNAISSAIS PAS se rapporte ŕ un moment bien antérieur au baptęme, alors quil navait aucune intimité avec le Christ, et cest moi qui dois ętre baptisé par toi se rapporte au moment oů le Christ fut baptisé, quand le Christ lui était déjŕ intime pour lavoir fréquemment visité.
Selon Jérôme, il faut dire que le Christ était le Fils de Dieu et le Sauveur du monde, mais que Jean ignorait que Jésus serait sauveur du monde par le baptęme; voilŕ pourquoi il a ajouté ce quil ignorait, cest-ŕ-dire que CEST LUI QUI BAPTISE DANS LESPRIT SAINT.
Mais il vaut mieux dire avec Augustin 72 que Jean sut une chose et en ignora une autre, et quil ajoute ce quil a ignoré, ŕ savoir que Jésus a gardé pour Lui seul le pouvoir de baptiser quIl pouvait communiquer ŕ ses fidčles; cest le sens des paroles de Jean : CELUI QUI MA ENVOYE BAPTISER DANS LEAU MA DIT : CELUI SUR QUI TU VERRAS LESPRIT DESCENDRE ET DEMEURER, CEST LUI particuličrement, et Lui seul, QUI BAPTISE DANS LESPRIT SAINT, parce quIl a gardé pour Lui seul ce pouvoir.
66. Isaďe 11, 2.
67. Voir ci-dessus n° 10, note 29.
68. Luc 2, 11.
69. Jérémie 23, 21.
70. Mt 3, 14.
71. In Ioannem hom., 17, 2, PG 59, col. 110.
276. Notons cependant que le baptęme implique un triple pouvoir. Lun est le pouvoir defficience par lequel le Christ purifie intérieurement lâme de la tache du péché; ce pouvoir, le Christ ne le communique ŕ personne.
Lautre pouvoir est celui du ministčre, pouvoir quIl a communiqué aux fidčles : Baptisez toutes les nations au nom du Pčre et du Fils et du Saint Esprit 73. Cest pourquoi les prętres, comme ministres, ont le pouvoir de baptiser; quant au Christ en tant quhomme, Il est bien appelé "ministre" par lApôtre 74 mais en réalité Il est le chef de tous les ministres de l'Eglise.
Et, comme chef, le Christ possčde dans les sacrements un pouvoir singulier et éminent, dont léminence se manifeste de quatre maničres. Premičrement dans linstitution des sacrements. En effet, de par leur institution, les sacrements donnent la grâce invisible; or il appartient ŕ Dieu seul de donner la grâce; cest donc au seul vrai Dieu quil appartient dinstituer des sacrements. Deuxičmement dans lefficacité des mérites du Christ, car cest des mérites de la passion du Christ que les sacrements tiennent leur puissance Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, cest en sa mort que nous avons été baptisés 75. Troisičmement dans le fait que le Christ peut accorder leffet du baptęme sans le sacrement, ce qui appartient ŕ Lui seul. Quatričmement, dans le fait que pendant un certain temps on conféra le baptęme ŕ la seule invocation du nom du Christ;, mais maintenant il nen est plus ainsi.
Le Seigneur na communiqué ŕ personne ces quatre modalités déminence; pourtant Il aurait pu le faire pour certaines dentre elles : que ce fűt par exemple au nom de Pierre ou de quelque autre que fűt conféré le baptęme ou un des autres sacrements. Mais Il ne le fit pas pour éviter tout schisme dans lEglise, et pour éviter que des baptisés mettent leur espoir en ceux au nom desquels ils auraient été baptisés. Voilŕ pourquoi Jean apprit, par la descente du Saint-Esprit sur le Christ, que Lui seul par sa propre puissance baptise intérieurement 76.
72. Tract. in Ioann., 5, 8, BA 71, p. 307.
73. Mt 28, 19.
74. Ro 15, 8.
ET
MOI JAI VU, ET JAI ATTESTE QUE CEST LUI LE FILS DE DIEU.
278. Enfin le Baptiste montre ce quil a compris dans cette vision, cest-ŕ-dire que le Christ est le Fils de Dieu : ET MOI JAI VU, cest-ŕ-dire lEsprit descendant sur Lui, ET JAI ATTESTE QUE LUI, le Christ, EST LE FILS DE DIEU, le Fils véritable et engendré par nature. En effet les fils adoptifs, eux, sont [ŕ la ressemblance du Fils de Dieu engendré par nature Car ceux quIl a connus davance, Dieu les a prédestinés ŕ reproduire limage de son Fils 77. Celui-lŕ, donc, doit faire des fils de Dieu, qui baptise dans lEsprit Saint par qui sont adoptés les fils Car vous navez pas reçu un esprit de servitude (...) mais vous avez reçu un esprit dadoption filiale 78 Et donc, parce que le Christ est Celui qui baptise dans lEsprit Saint, le Baptiste en conclut ŕ juste titre quIl est véritablement et absolument le Fils de Dieu Afin que nous soyons en son vrai Fils Jésus-Christ 79.
75. Ro 6, 3.
76. Lédition critique omet le n° 277" A la question :
comment Jean peut-il affirmer : Moi, je ne Le connaissais pas, alors quil dit
lui-męme Cest moi qui doit ętre baptisé par toi?, on pourrait peut-ętre
répondre dune quatričme maničre, en disant que Jean connut le Christ par une
révélation intérieure, mais que, lorsquil vit lEsprit Saint descendre sur
Lui, il Le connut par la manifestation du signe extérieur. Cest pourquoi il
fait allusion aux deux maničres dont il Le connut : la premičre quand il
affirme Celui qui ma envoyé baptiser dans leau ma dit, cest-ŕ-dire ma
révélé intérieurement; la seconde quand il a ajouté Celui sur qui tu verras
lEsprit descendre et demeurer, cest Lui qui baptise dans lEsprit Saint. "
77. Ro 8, 29.
78. Ro 8, 15.
79. 1 Jean 5, 20.
279. Mais si dautres ont vu lEsprit Saint descendre sur Lui, pourquoi nont-ils pas cru? Je réponds quils ny étaient pas disposés, ou peut-ętre que Jean-Baptiste fut le seul ŕ qui cette vision fut accordée.
280. Plus haut [n° 223-279] lEvangéliste a rap porté le témoignage du Baptiste devant les foules; main tenant il parle de son témoignage devant ses disciples. II commence par exposer le témoignage puis il en montre le fruit [n° 284].
I
LE
LENDEMAIN, DE NOUVEAU JEAN SE TENAIT LA AVEC DEUX DE SES DISCIPLES. FIXANT SON
REGARD SUR JESUS QUI PASSAIT, IL DIT : "VOICI LAGNEAU DE DIEU".
LEvangéliste décrit dabord le témoin, puis mon tre le mode du témoignage [n° 282] et enfin expose le témoignage lui-męme [n° 283].
LE
LENDEMAIN, DE NOUVEAU JEAN SE TENAIT LA AVEC DEUX DE SES DISCIPLES.
281. LEvangéliste décrit ici le témoin. En disant : IL SE TENAIT LA, il souligne trois caractčres de Jean. En premier lieu sa maničre denseigner, qui fut différente de celle du Christ et de ses disciples. Le Christ en effet enseignait en parcourant le pays; aussi Matthieu dit-il : Il parcourait toute la Galilée, enseignant dans leurs synagogues 1. De męme les Apôtres enseignaient en parcourant le monde entier, conformément ŕ lordre du Seigneur : Allez dans le monde entier, pręchez lEvangile ŕ toute créature 2. Jean, lui, enseignait en demeurant lŕ ce que lEvangéliste souligne en disant que JEAN SE TENAIT LA, dans un seul lieu, au-delŕ du Jourdain , et il pręchait le Christ ŕ tous ceux qui venaient ŕ lui. Si le Christ et ses disciples enseignaient en se déplaçant sans cesse, cest que la prédication du Christ était accréditée par des miracles; ils parcouraient donc divers lieux pour manifester les miracles et la puissance du Christ. La prédication de Jean, elle, ne fut confirmée par aucun miracle Jean ne fit aucun miracle 3, comme il sera dit plus loin , mais elle fut confirmée par le mérite et la sainteté de sa vie. Aussi se tenait-il dans un seul lieu pour que toutes sortes de gens vinssent le trouver et quils fussent conduits au Christ par sa sainteté. Ajoutons que si Jean, sans faire de miracles, avait couru de tous côtés pour annoncer le Christ, il eűt rendu son témoignage plus difficile ŕ croire, car il eűt semblé agir de maničre inopportune et comme de sa propre initiative.
En second lieu, lexpression JEAN SE TENAIT sou ligne sa fermeté dans la vérité; car Jean ne fut pas un roseau agité par le vent 4, mais il fut ferme dans la foi, selon ces paroles : Que celui qui se flatte dętre debout prenne garde de tomber 5 et celles-ci : Je me tiendrai ŕ mon poste de garde 6.
En troisičme lieu, remarquons que, dune maničre figurée, SE TENIR LA implique aussi le sens de sarręter et, par le fait męme, de disparaître. Ainsi, on lit au Livre des Rois : Lhuile sarręta 7, cest-ŕ-dire cessa de couler. Donc, Jean SE TENAIT LA quand vint le Christ parce que, quand vint la vérité, la figure disparut. Jean SE TIENT LA, cest-ŕ-dire disparaît, la Loi passe. FIXANT SON REGARD SUR JESUS QUI PASSAIT...
1. Mt 4, 23.
2. Mc 16, 15.
3. Jean 10, 41.
4. Mt 11, 7.
5. 1 Corinthiens 10, 12.
6. Hab 2, 1.
7. 2 Rs 4, 6. Littéralement : "lhuile se tint lŕ"
(stetit oleum).
282. En rapportant le mode du témoignage il se réalise par la vue , lEvangéliste en montre la certitude. A ce sujet, il faut savoir que tous les prophčtes ont rendu témoignage au Christ, comme le dit saint Pierre : Tous les prophčtes rendent de Lui ce témoignage que tout homme qui croit en Lui reçoit par son nom la rémission de ses péchés 8. Et de męme les Apôtres parcourant le monde : Vous serez mes témoins ŕ Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusquaux extrémités de la terre 9. Cependant leur témoignage ne sappuie pas sur la vue du Christ et il ne se réalise pas en sa présence, mais en son absence. En effet les prophčtes ont témoigné de Lui comme de Celui qui devait venir, et les Apôtres comme de Celui qui était déjŕ venu. Jean, lui, rend témoignage au Christ qui lui est présent et que lui-męme voit. Cest pourquoi lEvangéliste dit : FIXANT SON REGARD SUR JESUS, avec les yeux du corps et ceux de lesprit, selon la parole du Psaume : Regarde la face de ton Christ; et celle dIsaďe : Ils verront le Seigneur les yeux dans les yeux 10.
LEvangéliste ajoute que Jésus PASSAIT, pour signifier le mystčre de lIncarnation, par lequel le Verbe de Dieu assuma une nature sujette au changement, comme Il le dit Lui-męme : Je suis sorti du Pčre et je suis venu dans le monde 11.
8. Ac 10, 43.
9. Ac 1, 8.
10. Ps 83, 10 et Isaďe 52, 8.
11. Jean 16, 28.
VOICI
LAGNEAU DE DIEU.
283. Cest maintenant le contenu du témoignage du Baptiste qui nous est exposé. Par ces paroles, non seulement il montre le Christ, mais il admire sa puissance. Isaďe avait dit : Il sera appelé lAdmirable 12. Et vraiment Il est dune puissance admirable, cet Agneau qui, égorgé 13, tua le lion, ce lion dont il est dit : Votre adversaire le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer 14 Aussi ce męme Agneau a-t-il mérité dętre appelé Lion vainqueur et glorieux Il a vaincu, le Lion de la tribu de Juda 15.
Jean donne bričvement son témoignage : VOICI LAGNEAU DE DIEU, soit parce que les disciples ŕ qui il présentait ce témoignage étaient déjŕ suffisamment informés sur le Christ par tout ce quils avaient entendu de Jean, soit encore parce que cela fait bien comprendre toute lintention de Jean, qui était uniquement damener ses disciples au Christ. Et Jean ne leur dit pas : "Allez ŕ Lui", pour que ses disciples ne paraissent pas faire une grâce au Christ en Le suivant, mais il met en lumičre la grâce du Christ comme un bienfait pour eux sils Le suivent. Cest pourquoi il dit VOICI LAGNEAU DE DIEU, cest-ŕ-dire voici Celui en qui est la grâce, et la puissance purificatrice des péchés. On offrait en effet un agneau en sacrifice pour les péchés, comme le dit lEcriture 16.
12. Isaďe 9, 5.
13. Ap 5, 6-12.
14. 1 Pe 5, 8.
15. Ap 5, 5.
16. Lev 4, 32.
II
LES
DEUX DISCIPLES LENTENDIRENT PARLER 37-39] AINSI, ET ILS SUIVIRENT JESUS. JESUS
SE RETOURNA, LES VIT QUI LE SUIVAIENT ET LEUR DIT : "QUE
CHERCHEZ-VOUS?" ILS LUI REPON DIRENT : "RABBI (CE QUI SIGNIFIE
MAITRE), OU HABITES-TU?"" VENEZ ET VOYEZ", LEUR DIT-IL. ILS
VINRENT DONC ET VIRENT OU IL DEMEURAIT, ET ILS DEMEURERENT AUPRES DE LUI CE
JOUR LA. CETAIT ENVIRON LA DIXIEME HEURE.
284. LEvangéliste rapporte ici le fruit de ce témoignage. Il expose en premier lieu le fruit du témoignage de Jean et de ses disciples, ensuite celui de la prédication du Christ [n° 309].
Le premier point comporte deux
parties. Dans la premičre, lEvangéliste expose le fruit du témoignage de Jean,
dans la seconde celui de la prédication dun de ses disciples [n° 298]. Au sujet du
fruit provenant du témoignage de Jean, lEvangéliste indique dabord sa formation
premičre, puis son achčvement par le Christ [n° 286].
285. LEvangéliste dit dabord : LES DEUX DISCIPLES qui étaient avec Jean LENTENDIRENT qui disait : VOICI LAGNEAU DE DIEU, et ILS SUIVIRENT JESUS littéralement : ils sen allčrent avec Lui.
A ce sujet on peut faire, selon Chrysostome 17, quatre remarques.
Voici la premičre : Jean parle, le Christ se tait, et cest ŕ la parole de Jean que ses disciples se rassemblent autour du Christ. Cela correspond ŕ un mystčre. Le Christ est en effet lépoux de lEglise; Jean, lami de lépoux et son paranymphe. Le rôle du paranymphe est de remettre lépouse ŕ lépoux et, avec les paroles voulues, de livrer la dot. Il revient ŕ lépoux de se taire, comme par réserve, mais, une fois quil a reçu lépouse, de disposer delle comme il le veut. Ainsi Jean remet au Christ les disciples qui Lui sont fiancés par la foi. Jean parle, le Christ se tait; mais aprčs les avoir reçus, Il les instruit avec soin.
La seconde remarque est celle-ci : lorsque Jean sou lignait la dignité du Christ en disant : Il existait avant moi, et moi, je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure 18, personne ne sest converti. Mais quand il a parlé des abaissements du Christ et du mystčre de lIncarnation, alors ses disciples ont suivi Jésus. Car les abaissements du Christ, ce quIl a souffert pour nous, nous émeuvent davantage. En ce sens on lit dans le Cantique des Cantiques : Ton nom est une huile répandue 19. Il sagit de la miséricorde avec laquelle Il a procuré le salut des hommes; aussi lEcriture ajoute-t-elle aussitôt : Les jeunes filles taiment.
La troisičme remarque de Chrysostome est la sui vante. La parole de la prédication est comme une semence qui tombe en diverses terres. Dans lune elle fructifie, dans lautre, non. Ainsi, lorsque Jean pręche, il ne convertit pas au Christ tous ses disciples mais deux seulement, ceux qui étaient bien disposés. La jalousie, au contraire, anime les autres contre le Christ; aussi soulčvent-ils ŕ son endroit une accusation : Pourquoi, tandis que les Pharisiens et nous, nous jeűnons souvent, tes disciples ne jeűnent-ils pas? 20
Derničre remarque : ayant entendu son témoignage, les disciples de Jean ne se permirent pas de parler sur-le-champ ŕ Jésus, mais pleins ŕ la fois dardeur et de retenue, ils cherchčrent ŕ sentretenir avec Lui en parti culier dans un endroit retiré Il y a en effet pour toute chose un temps et un jugement.
17. Ioannem hom., 18, PG 59, col. 115-118.
18. Jean 1, 27.
19. Cant 1, 3.
20. Mt 9, 14.
21. Qo 8, 6.
JESUS
SE RETOURNA, LES VIT QUI LE SUIVAIENT ET LEUR DIT : "QUE
CHERCHEZ-VOUS?"
286. LEvangéliste expose maintenant lachčvement du fruit par le Christ; le Christ, en effet, consomme luvre commencée par Jean, car la Loi na amené personne ŕ la perfection 22.
Pour ce faire, le Christ
accomplit deux choses : Il sonde dabord les disciples en les interrogeant et
en écoutant leur réponse, puis Il les instruit.
287. LEvangéliste dit donc : JESUS SE RETOURNA, LES VIT QUI LE SUIVAIENT ET LEUR DIT : "QUE CHERCHEZ-VOUS?" Au sens littéral, il faut entendre que le Christ marchait devant eux et que ces deux disciples qui Le suivaient ne pouvaient pas voir son visage. Aussi le Christ, pour leur donner confiance, se tourne-t-Il vers eux. Entendons par lŕ que, ŕ tous ceux qui commencent ŕ Le suivre avec un cur pur, le Christ donne la confiance ou lespérance en sa miséricorde La Sagesse prévient ceux qui la désirent 23. Jésus se tourne vers nous pour que nous Le voyions, mais ce sera dans la vision bienheureuse, quand Il nous montrera sa face (selon le Psaume) : Montre-nous ta face et nous serons sauvés 24. En effet, aussi longtemps que nous sommes en ce monde, nous Le voyons de dos, car nous ne parvenons ŕ sa connaissance que par ses effets. Cest pourquoi Dieu dit ŕ Moďse : Tu me verras de dos 25. Jésus se tourne encore vers nous pour nous dispenser le secours de sa miséricorde ce que demandait le psalmiste : Reviens, Seigneur, jusques ŕ quand détourneras-tu ton visage? 26 Car tant que le Christ na pas dispensé la richesse de sa compassion, Il semble se détourner de nous. Jésus sest donc retourné vers les disciples de Jean qui Le suivaient, pour leur montrer son visage et répandre en eux sa grâce.
22. He 7, 19.
23. Sag 6, 13.
24. Ps 79, 4.
25. Ex 33, 23.
26. Ps 89, 13.
288. Cependant Il les sonde
en particulier sur leur intention. Car ceux qui suivent le Christ nont pas
tous la męme intention. Certains Le suivent pour des biens temporels, dautres
pour des biens spirituels. Aussi le Seigneur les interroge-t-Il pour connaître
leur intention : QUE CHERCHEZ-VOUS? dit-Il, non certes pour lapprendre, mais
pour quils manifestent la droiture de leur intention et que, par lŕ, Il se les
rende plus proches et montre quils sont dignes de Lentendre.
289. Il est remarquable que cette parole : QUE CHERCHEZ-VOUS? soit dans cet Evangile la premičre que prononce le Christ. Cela convient bien, car ce que Dieu réclame en premier lieu de lhomme, cest la droiture dintention. Selon Origčne, Jean-Baptiste avait prononcé six paroles, et le Christ prononce maintenant la septičme. En effet, Jean parla une premičre fois pour rendre témoignage au Christ; il criait : Voici celui dont jai dit : Celui qui vient aprčs moi est passé devant moi, parce quavant moi Il était 27. Une seconde fois, quand il dit : Je ne suis pas digne de délier la courroie de sa chaussure 28. La troisičme : Moi, je baptise dans leau; au milieu de vous se tient quelquun que vous ne connaissez pas 29. La quatričme : Voici lAgneau de Dieu, voici celui qui enlčve les péchés du monde. La cinquičme : Jai vu lEsprit descendre du ciel comme une colombe, et Il est demeuré sur Lui (...). Cest Lui le Fils de Dieu 31. La sixičme, lorsquil dit de nouveau : Voici lAgneau de Dieu 32. Et le Christ prononce la septičme parole pour nous faire entendre mystiquement que le repos, marqué parle septičme jour, nous viendra par Lui, et quen Lui est la plénitude de la grâce septiforme de lEsprit Saint.
27. Jean 1, 15.
28. Jean 1, 27.
29. Jean 1, 26.
30. Jean 1, 29.
MAITRE,
OU HABITES-TU?
290. Voilŕ la réponse des disciples. Le Christ a posé une seule question; la réponse des disciples est double. En effet, ils disent dabord pourquoi ils suivent le Christ : cest afin de recevoir son enseignement. Cela, ils lexpriment en Lappelant RABBI, cest-ŕ-dire MAITRE ce qui revient ŕ dire : nous te cherchons pour que tu nous enseignes. Car ils avaient déjŕ compris ce que Jésus devait dire plus tard : Vous navez quun Maître, le Christ 33.
Ils précisent ensuite ce quils cherchent en Le suivant : OU HABITES-Tu? Certes, au sens littéral, on peut dire quils cherchaient vraiment la demeure du Christ. En effet, ils avaient entendu dire par Jean tant de choses grandes et admirables quils ne voulaient pas interroger Jésus en passant, ni une seule fois, mais souvent et ŕ loisir. Ils voulaient donc connaître sa demeure afin de pouvoir sy rendre fréquemment, selon le conseil du Sage : Si tu vois un homme sage, va le trouver dčs le point du jour et que ton pied use le seuil de sa porte 34, [suivant cette parole de la Sagesse] : Heureux qui mécoute et veille ŕ ma porte chaque jour.
Au sens allégorique, la demeure de Dieu est dans les cieux, selon le Psaume : Jai levé les yeux vers toi, qui habites dans les cieux 36. Les deux disciples cherchent donc oů habite le Christ, parce que nous devons suivre le Christ pour ętre conduits par Lui aux cieux, cest-ŕ-dire ŕ la gloire céleste.
Enfin, au sens moral, ils demandent ŕ Jésus : OU HABITES-TU? comme sils voulaient savoir ce que doivent ętre les hommes pour ętre dignes que le Christ habite en eux, selon ce que dit lApôtre : Vous ętes construits pour ętre une demeure oů Dieu habite 37 [selon la demande de lépouse du Cantique] : Apprends-moi, toi que mon cur aime, oů tu mčnes paître ton troupeau, oů tu reposes ŕ midi. 38. Jean 1, 32.
32. Jean 1, 36.
33. Mt 23, 10.
34. Sir 6, 36.
35. Prov 8, 34.
VENEZ
ET VOYEZ, LEUR DIT-IL.
291. Ces paroles exposent
linstruction que le Christ donne ŕ ses disciples. En premier lieu est décrite
linstruction elle-męme; ensuite est mise en lumičre lobéissance des disciples
[n° 294];
enfin est précise le moment de cette instruction [n° 295].
292. Jésus leur dit en premier lieu : VENEZ ET VOYEZ, cest-ŕ-dire : oů jhabite. Mais ici se pose une question. Puisque le Seigneur dit : Le Fils de lhomme na pas oů reposer sa tęte 39, comment peut-Il dire ici : VENEZ ET VOYEZ oů jhabite? Je réponds en disant avec Chrysostome 40 que la parole du Seigneur en saint Matthieu signifie que le Christ neut pas de demeure propre; elle ne veut pas dire quIl ne pouvait pas demeurer dans la maison dun autre. Cest cette maison quIl invitait les disciples ŕ venir voir en disant VENEZ ET VOYEZ.
Au sens mystique, le Christ dit : VENEZ ET VOYEZ parce que lhabitation de Dieu, celle de la gloire comme celle de la grâce, ne peut ętre connue que par expérience : en effet, elle ne peut ętre expliquée. Ainsi lit-on dans lApocalypse : Au vainqueur, dit lEsprit, je donnerai une pierre blanche, et sur cette pierre un nom nouveau se trouve écrit, que nul ne connaît sinon celui qui le reçoit 41. Voilŕ pourquoi le Christ dit : VENEZ ET VOYEZ; VENEZ, par la foi et par les uvres, ET VOYEZ, par lexpérience et la connaissance.
36. Ps 122, 1.
37. Eph 2, 22.
38. Cant 1, 7.
39. Mt 8, 20.
40. In Ioannem hom., 18, ch. 3, PG 59,
col. 118.
293. Remarquons quil y a quatre moyens de par venir ŕ cette connaissance. Le premier est la pratique des uvres bonnes et cest pour cela quIl dit : VENEZ Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face de Dieu? 42 Le second, cest le repos de lesprit, ou labsence de préoccupation Chassez toute préoccupation et voyez que je suis Dieu 43. Le troisičme, cest le goűt de la douceur divine Goűtez et voyez combien le Seigneur est doux 44. Le dernier, cest lappartenance sans réserve ŕ Dieu dans la pričre Elevons nos curs avec nos mains, en priant, vers le Seigneur qui est dans les cieux 45. Cest pourquoi le Seigneur dira : Touchez et voyez quun esprit na ni chair ni os comme vous voyez que jen ai 46.
41. Ap 2, 17.
42. Ps 41, 3.
43. Ps 45, 11.
44. Ps 33, 9.
45. Lam 3, 41.
46. Luc 24, 39.
ILS
VINRENT DONC ET VIRENT OU IL DEMEURAIT, ET ILS DEMEURERENT AUPRES DE LUI CE
JOUR-LA.
294. Ici nous est montrée lobéissance des disciples; car cest en venant quils virent, et ce quils virent, ils ne labandonnčrent pas. ILS DEMEURERENT AUPRES DE LUI CE JOUR-LA. En effet [comme Jésus le dira] : Quiconque écoute le Pčre et se laisse instruire vient ŕ moi 47. Ceux qui abandonnčrent le Christ ne Lont pas vu encore comme il faut Le voir. Mais ceux qui Le virent en croyant parfaitement DEMEURERENT AUPRES DE LUI CE JOUR-LA. Lécoutant et Le voyant, quel jour bienheureux et quelle nuit bienheureuse ils passčrent! Heureux tes gens, heureux tes serviteurs, qui se tiennent sans cesse en ta présence 48. Et donc nous aussi, comme le dit Augustin 49, bâtissons dans notre cur et faisons-lui une demeure oů Il vienne nous enseigner.
Jean dit : CE JOUR-LA, parce quil ne peut y avoir de nuit lŕ oů est la lumičre du Christ, lŕ oů est le Soleil de justice 50.
CETAIT
ENVIRON LA DIXIEME HEURE.
295. LEvangéliste précise ici lheure de la rencontre. Au sens littéral, cettemention a pour but de faire léloge du Christ et des disciples. En effet, la dixičme heure 51 est proche de la tombée du jour; cest ŕ la louange du Christ, qui avait tant de zčle pour enseigner que, malgré lheure tardive, Il na pas différé de les enseigner, mais les a enseignés ŕ LA DIXIEME HEURE Dčs le matin, sčme ta semence, et le soir, ne laisse pas reposer ta main 52.
47. Jean 6, 45.
48. 1 Rs 10, 8.
49. Tract. in Jo., 7, 9. BA 71, pp. 425-427.
50. Mal 3, 20.
51. A partir du lever du soleil, soit quatre heures de laprčs
midi.
52. Qo 11, 6.
296. Par lŕ, lEvangéliste loue encore la sobriété des disciples. En effet, ŕ la dixičme heure, les hommes ont ordinairement achevé leur repas et sont alors moins capables de recevoir la sagesse; eux étaient sobres, et donc bien disposés pour écouter la sagesse. A cela rien détonnant : ils avaient été disciples de Jean qui avait pour boisson leau et pour nourriture des sauterelles et du miel sauvage.
297. Daprčs Augustin 53, cette dixičme heure signifie la Loi, qui fut donnée en dix commandements. Cétait donc la dixičme heure quand les disciples vinrent au Christ, demeurčrent avec Lui et reçurent son enseignement, afin que fűt accomplie par le Christ la Loi qui ne pouvait ętre accomplie par les Juifs. Cest pourquoi encore, ŕ cette heure męme, Il fut appelé RABBI, cest-ŕ-dire MAÎTRE.
III
ANDRE,
FRERE DE SIMON-PIERRE, ETAIT LUN DES DEUX QUI AVAIENT ENTENDU LES PAROLES DE
JEAN ET AVAIENT SUIVI JESUS. IL TROUVA DABORD SON FRERE SIMON ET LUI DIT"
NOUS AVONS TROUVE LE MESSIE" (CE QUI SIGNIFIE LE CHRIST). ET IL LAMENA A
JESUS. FIXANT SUR LUI SON REGARD, JESUS DIT : "TU ES SIMON, FILS DE JEAN;
TU LAPPELLERAS CEPHAS" (CE QUI SIÇNIFIE PIERRE).
298. LEvangéliste expose ici le fruit produit par le disciple de Jean qui venait de se convertir au Christ. A ce sujet, il fait dabord connaître ce disciple, puis la formation premičre du fruit par André [n° 300], enfin son achčvement par le Christ [n° 303].
53. J0. 7, 10, BA 71, p. 127.
[40]
ANDRE, FRERE DE SIMON-PIERRE, ETAIT LUN DES DEUX QUI AVAIENT ENTENDU LES
PAROLES DE JEAN ET AVAIENT SUIVI JESUS.
299. LEvangéliste fait connaître le disciple dabord par son nom : Cétait ANDRE, nom qui signifie "viril" Agissez virilement et que votre cur saffermisse 54. Il donne son nom pour mettre en lumičre son privilčge, soit parce quil fut le premier ŕ se convertir parfaitement ŕ la foi au Christ, soit encore parce quil pręcha le Christ. Ainsi, de męme quEtienne fut le premier martyr aprčs le Christ, André fut le premier chrétien.
Jean le fait connaître ensuite par sa parenté : il était FRERE DE SIMON-PIERRE, et son cadet; ce qui est encore ŕ sa louange puisque, second par lâge, par la foi il devint le premier.
II le fait connaître en troisičme lieu par sa qualité de disciple : ANDRE (...) ETAIT LUN DES DEUX QUI AVAIENT ENTENDU LES PAROLES DE JEAN. Sil mentionne le nom dAndré ŕ cause de son privilčge, parce que ce fut un homme remarquable, il tait le nom de lautre disciple parce que cet autre était Jean lEvangéliste lui-męme, qui a lhabitude, quand il sagit de lui dans son Evangile, de ne pas se nommer, par humilité. Chrysostome 55 suggčre une autre raison : cest parce que cet autre disciple neut rien de remarquable et ne fit rien de grand; il nétait donc pas utile de donner son nom, pas plus que Luc ne jugea nécessaire de mentionner les noms des soixante-douze disciples que le Seigneur envoya deux par deux devant Lui 56, car ce nétaient pas des personnages officiels et remarquables comme le furent les Apôtres. Alcuin, lui, pense que cet autre disciple était Philippe et, daprčs lui, cest évident, car l'Evangéliste, aussitôt aprčs avoir parlé dAndré, mentionne Philippe en ces termes : Le lendemain, Jésus, voulant partir pour la Galilée, trouve Philippe et lui dit : Suis-moi 57.
En dernier lieu, Jean souligne chez André la ferveur de son appartenance au Christ par ces paroles : IL ETAIT LUN DES DEUX QUI AVAIENT SUIVI JESUS Jai mis mes pas dans la trace des siens 58.
54. Ps 30, 25.
55. In Ioannem hom. 18, eh. 3, PG 59,
col. 117.
56. Luc 10, 1.
IL
TROUVA DABORD SON FRERE SIMON ET LUI DIT : "NOUS AVONS TROUVE LE
MESSIE" (CE QUI SIGNIFIE LE CHRIST). ET IL LAMENA A JESUS.
300. Jean rapporte donc ici la démarche fructueuse dAndré; et pour montrer la perfection de la conversion de ce dernier, il commence par dire en qui il a produit du fruit : en son frčre.
En effet, comme litinéraire de Clément 59 le fait dire ŕ Pierre, un signe évident de la parfaite conversion dun homme, cest que, une fois converti, plus quelquun lui est proche, plus il se donne de peine pour le convertir au Christ. Et cest pourquoi André, parfaitement converti, na pas gardé pour lui le trésor quil avait découvert; il se hâte et court aussitôt ŕ son frčre pour lui communiquer les biens quil a reçus : André TROUVA DABORD SON FRERE SIMON, quil cherchait pour en faire son frčre par la foi comme il létait par le sang Le frčre qui est aidé par son frčre est comme une ville forte 60. Que celui qui écoute dise : Viens 61.
57. Jean 1, 43.
58. Jb 23, 11.
59. Cet ouvrage est un apocryphe pseudo. clémentm.
60. Prov 18, 19.
61. Ap 22, 17.
62. In Ioannem hom., 19, eh. 1, PG 59,
col. 121.
301. LEvangéliste rapporte ensuite les paroles dAndré ŕ son frčre : NOUS AVONS TROUVE LE MESSIE (CE QUI SIGNIFIE LE CHRIST). Daprčs Chrysostome, André répond tacitement ŕ une question. Lui aurait-on demandé de quoi ils avaient été instruits par le Christ, la réponse est immédiate : Jésus lavait pleinement amené, par les témoignages des Ecritures, ŕ reconnaître quIl était le Christ. Cest pourquoi il dit : NOUS LAVONS TROUVE. Cette parole marque dailleurs quil avait longtemps cherché avec désir Heureux lhomme qui a trouvé la sagesse 63.
Le mot hébreu Messiah
se traduit en grec par Christos, en latin par Unctus,
"Oint". Parce que Jésus a été oint dune façon unique dune huile
invisible, cest-ŕ-dire de lEsprit Saint, André, en employant ce nom, Le
manifeste clairement comme tel Ton Dieu ta oint dune huile dallégresse, de
préférence ŕ tes compagnons 64, cest-ŕ-dire de préférence ŕ tous les saints. Tous les saints en
effet ont reçu lonction de cette huile; mais le Christ la reçue dune maničre
qui Lui est propre, comme Il est saint dune maničre unique. Voilŕ pourquoi,
selon Chrysostome 65, André ne dit pas simplement Messie, mais LE Messie.
302. Enfin Jean rapporte le fruit de la démarche dAndré : IL AMENA [PIERRE] A JESUS. Ces derničres paroles mettent en lumičre lobéissance de Pierre : en effet il accourt aussitôt, sans tarder. Remarquez ici lappartenance sans réserve dAndré au Christ : il amčne son frčre au Christ et non ŕ soi (il connaissait en effet sa faiblesse). Il le conduit au Christ pour que Celui-ci linstruise. Par lŕ il enseigne en męme temps que tel doit ętre leffort et le zčle des prédicateurs, quils ne revendiquent par pour eux-męmes les fruits de leur prédication, ni ne cherchent ŕ en retirer profit et honneurs personnels, mais quils tendent ŕ tout ramener ŕ Jésus, cest-ŕ-dire ŕ tout rapporter ŕ sa gloire et ŕ son honneur ce nest pas nous-męmes que nous pręchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur 66.
63. Prov 3, 13.
64. Ps 44, 8.
65. Ibid.
FIXANT
SUR LUI SON REGARD, JESUS LUI DIT : "TU ES SIMON, FILS DE JEAN; TU
TAPPELLERAS CEPHAS" (CE QUI SIGNIFIE PIERRE).
303. Par ces paroles,
l'Evangéliste montre comment le Christ achčve le fruit [de la prédication] dAndré. Ici le
Christ, voulant élever Pierre jusquŕ la foi en sa divinité, commence ŕ faire
les uvres qui sont celles de Dieu en révélant les choses cachées présentes, [passées et ŕ venir]. Jésus révčle dabord
ce qui est caché du présent : FIXANT SUR LUI SON REGARD, cest-ŕ-dire aussitôt
quIl la vu avec la puissance de sa divinité, Il le considčre et lui dit son
nom : TU ES SIMON. Rien lŕ détonnant, car le Seigneur a dit : Lhomme ne voit
que lapparence, mais Dieu pénčtre le cur 67. En effet le
nom de Simon saccorde avec le mystčre [de sa vocation], car il signifie "obéissant";
il nous fait donc entendre que lobéissance est nécessaire ŕ qui sest converti
au Christ par la foi Dieu donne lEsprit Saint ŕ ceux qui lui obéissent 68.
304. Jésus révčle ensuite ce qui est caché du passé, en disant FILS DE JEAN, car le pčre de Simon sappelait ainsi; ou bien, selon Matthieu 69, SIMON BARJONA, ce qui signifie "Fils de Jonas". Ces deux noms saccordent lun et lautre avec le mystčre : Jean, en effet, veut dire "grâce", et cela fait comprendre que cest par la grâce que les hommes viennent ŕ la foi au Christ Cest par grâce que vous ętes sauvés 70; et Jonas signifie "colombe", ce qui indique que cest par lEsprit Saint, qui nous a été donné, que nous sommes affermis dans lamour de Dieu La charité de Dieu a été répandue dans nos curs par lEsprit Saint qui nous a été donné 71.
66. 2 Co 4, 5.
67. 1 Sain 16, 7.
68. Actes 5, 32.
69. Mt 16, 17.
70. Eph 2, 5.
305. Enfin Jésus révčle ce
qui est caché de lavenir lorsquIl dit : TU TAPPELLERAS CEPHAS. Ce mot, qui [en araméen] SIGNIFIE "PIERRE",
signifie [tęte] en grec "chef" et, de fait, il convient bien au mystčre que
celui qui doit ętre le chef des autres et le vicaire du Christ soit fixé dans
la fermeté Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise 72.
306. A propos de ce passage se pose une question littérale. On peut se demander dabord pourquoi le Christ a donné ŕ Simon ce nom de "Pierre" au début de sa conversion, et na pas voulu quil fűt appelé de ce nom dčs sa naissance. On peut répondre de deux façons.
Selon Chrysostome 73 cest que les noms donnés par Dieu indiquent quelque grâce spirituelle éminente. Mais parfois Dieu confčre une grâce spéciale ŕ quelquun dčs sa naissance et son nom lui est alors donné de la part de Dieu, comme on le voit bien pour Jean-Baptiste, qui reçut de Dieu son nom avant de naître parce quil fut sanctifié dans le sein de sa mčre. Dautres fois, Dieu confčre ŕ quelquun une grâce éminente ŕ un moment donné de sa vie; et ŕ celui-ci Il nimpose pas de nom dčs la naissance, mais ŕ ce moment-lŕ de sa vie, comme ce fut le cas pour Abraham et Sara, dont les noms furent changés quand ils reçurent la promesse de la multiplication de leur postérité. De la męme façon Pierre reçoit de Dieu ce nom lorsquil est appelé ŕ la foi au Christ et ŕ la grâce de lapostolat.
71. Ro 5, 5.
72. Mt 16, 18.
73. In Ioannem hom., 19, ch. 2, PG 59,
col. 122.
Pour Augustin 74, si on avait
donné ŕ Simon le nom de "Céphas" dčs sa naissance, le mystčre
neűt pas apparu. Aussi le Seigneur voulut-Il quil eűt alors le nom de Simon,
afin que le changement de nom fît apparaître le mystčre de lEglise, qui est
fondée sur la confession de sa foi. Le nom de "Pierre", en
effet, vient du mot "pierre" et la pierre, cétait le Christ 75. Le nom de
"Pierre" est donc une figure de l'Eglise qui est bâtie sur une pierre
ferme, cest-ŕ-dire sur le Christ.
307. Une seconde question se pose : ce nouveau nom fut-il donné ŕ Simon au moment dont nous parle Jean, ou bien lorsque [Jésus lui dit ŕ Césarée] : Tu es Pierre 76? A cela Augustin 77 répond que ce nom fut donné ŕ Simon au moment dont parle Jean; en lui disant [ŕ Césarée] Tu es Pierre, le Seigneur ne lui donne pas son nom, mais Il lui rappelle quIl le lui a donné, en utilisant ce nom comme déjŕ donné.
Cependant, pour dautres, ce
nom fut donné ŕ Simon lorsque le Seigneur lui dit : Tu es Pierre et sur cette
pierre je bâtirai mon Eglise. Ici [au moment de la vocation de Pierre], Jésus ne lui donne pas ce
nom, mais fait seulement connaître ŕ lavance quil lui sera donné par la
suite.
308. Une troisičme question concerne la vocation de Pierre et dAndré. Ici lEvangéliste dit quils furent appelés par le Christ sur les bords du Jourdain, et quils étaient disciples de Jean. Or Matthieu 78 dit que le Christ les appela sur les bords de la mer de Galilée.
A cela il faut répondre quil y eut une triple vocation des Apôtres. La premičre fut un appel ŕ la connaissance ou ŕ lintimité du Christ et ŕ la foi : cest de cet appel quil sagit ici. La seconde leur assigna ŕ lavance leur ministčre cest lappel dont parle Luc : Désormais ce sont des hommes que tu prendras 79. La troisičme vocation, celle que rapporte Matthieu, fut un appel ŕ lapostolat : Et aussitôt, laissant lŕ leurs filets, ils Le suivirent 80. Cette vocation fut parfaite car, aprčs cela, les Apôtres ne retournčrent pas ŕ ce qui leur était propre.
74. Tract. in Jo., 7, 14, BA 71, p. 437.
75. 1 Corinthiens 10, 4.
76. Mt 16, 18.
77. De cons. evang., 2, ch. 17, § 34, PL
34, col. 1094.
78. Mt 4, 18.
309. Aprčs avoir exposé le fruit de la prédication de Jean-Baptiste et de son disciple [n° 284], lEvangéliste manifeste le fruit de la prédication du Christ : il rapporte dabord la conversion dun disciple grâce ŕ la prédication du Christ; ensuite la conversion des autres grâce ŕ la prédication du disciple converti au Christ [n° 315].
I
LE
LENDEMAIN, JESUS, VOULANT PARTIR POUR LA GALILEE, TROUVE PHILIPPE ET LUI DIT :
"SUIS-MOI". PHILIPPE ETAIT DE BETHSAIDE, LA VILLE DANDRE ET DE
PIERRE.
A ce propos, l'Evangéliste considčre trois choses.
En premier lieu, il expose loccasion de lappel du disciple; ensuite lappel lui-męme [n° 311]; enfin sa condition [n° 3141.
LE
LENDEMAIN, JESUS, VOULANT PARTIR POUR LA GALILEE...
310. Loccasion de lappel fut le départ de Jésus de la Judée. Cest pourquoi l'Evangéliste dit : VOULANT PARTIR de la Judée POUR LA GALILEE.
On peut donner trois raisons ŕ ce départ de Jésus pour la Galilée, dont deux sont littérales.
La premičre est que, aprčs avoir été baptisé par Jean, Jésus, voulant rendre honneur au Baptiste, partit pour la Galilée, se retirant de Judée pour ne pas le gęner par sa présence ni amoindrir lautorité de maître de Jean, tant que celui-ci devait lexercer. Le Seigneur nous enseigne par lŕ ŕ nous prévenir dhonneur les uns les autres, comme saint Paul le recommande 1.
La seconde raison du départ de Jésus est labsence, en Galilée, de personnalités remarquables Cherche bien, disent les Pharisiens ŕ Nicodčme, et tu verras que de Galilée il ne se lčve pas de prophčte 2. Jésus voulut donc partir pour ce pays et y choisir les princes de toute la terre 3 qui sont plus grands que les prophčtes et, par ce choix, manifester sa puissance Du désert, il a fait jaillir une source 4.
La troisičme raison du départ de Jésus est mystique. Galilée, en effet, signifie "passage". Jésus voulut donc partir de Judée en Galilée pour faire comprendre que le lendemain, cest-ŕ-dire au jour de la grâce, au jour de lEvangile, Il partirait de Judée POUR LA GALILEE, cest-ŕ-dire pour sauver les nations Ira t-Il vers ceux qui sont dispersés parmi les nations? 5
IL
TROUVE PHILIPPE ET LUI DIT "SUIS-MOI".
311. Lappel de Jésus au
disciple est donc un appel ŕ Le suivre; remarquons que tantôt lhomme trouve
Dieu, mais comme inconnu Qui maura trouvé trouvera la vie et obtiendra son
salut du Seigneur 6; tantôt cest Dieu qui
trouve lhomme, mais pour le mettre en évidence et le rendre grand Jai
trouvé David mon serviteur 7. Cest ainsi que le Christ TROUVE PHILIPPE pour lappeler ŕ la foi et
ŕ la grâce; et cest pourquoi Il dit aussi tôt : "SUIS-MOI".
1. Ro 12, 10.
2. Jean 7, 52.
3. Ps 44, 17.
4. Ps 106, 35.
5. Jean 7, 35. Pour létymologie de" Galilée", voir n°
338, note 12.
6. Prov 8, 35.
312. On peut se demander
pourquoi Jésus na pas appelé ses disciples dčs le début. A cette question
Chrysostome 8 répond : Jésus ne
voulut appeler personne avant quon ne se joigne ŕ Lui spontanément grâce ŕ la
prédication de Jean; les hommes en effet sont plus attirés par lexemple que
par les paroles.
313. On peut se demander aussi pourquoi Philippe suivit le Christ sur une seule parole alors quAndré Le suivit en entendant Jean parler du Christ, et Pierre en entendant André. A cette question on peut donner trois réponses 9.
Voici la premičre : Philippe suivit Jésus aussitôt parce quil avait déjŕ été instruit par Jean; en effet, selon une explication donnée plus haut, cet autre qui, avec André, avait suivi le Christ, était Philippe.
La seconde raison est que la voix du Christ avait la puissance non seulement dattirer extérieurement, mais encore de mouvoir intérieurement le cur Mes paroles ne sont-elles pas comme un jeu? 10 La voix du Christ, en effet, ne sadressait pas seulement aux sens, mais enflammait de son amour le cur des fidčles.
La troisičme raison est que peut-ętre Philippe avait déjŕ été instruit au sujet du Christ par André et Pierre, car tous trois étaient de la męme ville; lEvangéliste semble lindiquer par les paroles quil ajoute : PHILIPPE ETAIT DE BETHSAIDE.
7. Ps 88, 21.
8. In Ioannem hom., 20, ch. 1, PG 59,
col. 123.
9. Saint Thomas ajoute, comme sil sagissait dune citation de
l'Ecriture cortina cortinam trahit. Cette formule, qui ne se trouve pas
littéralement dans lEcriture, est citée plusieurs autres fois par saint Thomas
(voir notamment Somme théol., II-II, q. 189, a. 9, sed contra; Commentaire de
la Deuxičme Epître aux Corinthiens, 10, leç. 3, n° 369; voir aussi le
Commentaire sur lEvangile de saint Matthieu, 9, n 758). On la trouve également
chez saint Bonaventure (Comm. in Ioannem, 1, 44, n° 91, Opera omnia, éd. Quaracchi,
6, p. 266). Tous ces lieux renvoient ŕ Ex 26, ou plus précisément 26, 3 "Cinq
tentures seront jointes ensemble, lune ŕ lautre (quinque cortinae sibi
jungentur mutuo), et les cinq autres seront assemblées de la męme maničre. "
Il semble que saint Thomas sinspire ici de linterprétation spirituelle que
donne Bčde de ce passage dans son De tabernaculo et vestibus sacris, 2, ch. 2-4,
PL 91, col. 425-436 (en particulier 427-429). Voir aussi la Glossa ordinaria
attribuée ŕ Walafrid Strabon, Ex 26, PL 113, col. 271-272.
[44]
PHILIPPE ETAIT DE BETHSAIDE, LA VILLE DANDRE ET DE PIERRE.
314. Par ces mots Jean exprime la condition du disciple appelé. Cela saccorde avec le mystčre de sa vocation, car Bethsaďde signifie "demeure des chasseurs", ce qui montre de quel esprit étaient animés Philippe, Pierre et André; il convenait en effet que, de la demeure des chasseurs, le Christ appelât des chasseurs pour prendre les âmes et les conduire ŕ la vie Jenverrai mes chasseurs... 11.
II
PHILIPPE
TROUVA NATHANAEL ET LUI DIT : "CELUI DONT IL EST PARLE DANS LA LOI DE
MOISE ET DANS LES PROPHETES, NOUS LAVONS TROU VE; CEST JESUS, LE FILS DE
JOSEPH, DE NAZARETH". NATHANAEL LUI DIT : "DE NAZARETH? PEUT-IL
SORTIR QUELQUE CHOSE DE BON?" " VIENS ET VOIS" LUI DIT PHILIPPE.
JESUS VIT NATHANAEL QUI VENAIT A LUI ET IL DIT A SON SUJET : "VOICI UN
VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE. " " D'OŮ ME
CONNAIS-TU?" LUI DIT NATHANAËL. " AVANT QUE PHILIPPE TAPPELAT,
REPONDIT JESUS, QUAND TU ETAIS SOUS LE FIGUIER, JE TAI VU. " NATHANAEL
LUI REPONDIT : "RABBI, TU ES LE FILS DE DIEU, TU ES LE ROI DISRAEL. "
JESUS REPRIT : "PARCE QUE JE TAI DIT : JE TAI VU SOUS LE FIGUIER, TU
CROIS; TU VERRAS MIEUX ENCORE. " ET IL AJOUTA : "EN VERITE, EN VERITE
JE VOUS LE DIS, VOUS VERREZ LE CIEL OUVERT ET LES ANGES MONTER ET DES CENDRE
AU-DESSUS DU FILS DE LHOMME. "
315. LEvangéliste expose maintenant le fruit pro duit par le disciple converti au Christ; il en montre dabord les débuts, puis lachčvement par le Christ [n° 320].
Le premier sujet est traité en trois points : la nouvelle quannonce Philippe ŕ Nathanaël, la réponse de celui-ci [n° 318], enfin linvitation que lui adresse Phi lippe [n° 319].
PHILIPPE
TROUVA NATHANAEL ET LUI DIT : "CELUI DONT IL EST PARLE DANS LA LO1 DE
MOISE ET DANS LES PROPHETES, NOUS LAVONS TROUVE; CEST JESUS, LE FILS DE
JOSEPH, DE NAZARETH. "
316. Au sujet de la nouvelle annoncée ŕ Nathanaël, remarquons que, de męme quAndré parfaitement converti sefforça damener son frčre au Christ, de męme Philippe Lui conduisit son frčre Nathanaël. Cest pour quoi Jean dit : PHILIPPE TROUVA NATHANAEL, quil cherchait peut-ętre. Nathanaël signifie "don de Dieu"; or la conversion de quelquun au Christ est un don de Dieu.
Philippe annonce ŕ Nathanaël :
CELUI DONT IL EST PARLE DANS LA LOI ET LES PROPHETES, NOUS LAVONS TROUVE;
CEST JESUS. Ces paroles montrent que Nathanaël connaissait parfaitement la Loi
et que Philippe, qui le savait et qui lui-męme était déjŕ instruit au sujet du
Christ, voulut conduire Nathanaël au Christ ŕ partir de ce que Nathanaël
connaissait, cest-ŕ-dire la Loi et les prophčtes; aussi lui dit-il : CELUI
DONT MOISE... En effet Moďse a écrit au sujet du Christ [comme Lui-męme le dira] : Si vous croyiez en
Moďse, vous croiriez aussi en moi, car il a écrit de moi 12 De męme les
prophčtes ont écrit au sujet du Christ Tous les prophčtes (...) Lui rendent
témoignage 13.
317. Remarquons encore que Philippe dit du Christ trois choses qui sont bien conformes ŕ la Loi et aux prophčtes.
Tout dabord son nom : NOUS AVONS TROUVE JESUS. Ce nom [qui signifie Sauveur 14] est en accord avec les dires des prophčtes; Isaďe disait en effet : Je leur enverrai un sauveur 15, et Habacuc : Jexulterai de joie en Dieu mon sauveur [mon Jésus] 16
Philippe nomme ensuite la famille doů le Christ a tiré son origine humaine, en disant : LE FILS DE JOSEPH. En effet il est dit : On le croyait fils de Joseph Il nest pas étonnant que Philippe nomme le Christ FILS DE JOSEPH; car sa mčre elle-męme, consciente de lIncarnation divine de son fils, lappelait aussi fils de Joseph : Ton pčre et moi, tout angoissés, nous te cherchions 18. Certes, si celui qui est élevé par un autre peut sappeler son fils, ŕ plus forte raison Joseph pouvait-il ętre dit le pčre de Jésus bien quil ne fűt pas son pčre selon la chair, car il avait élevé Jésus et, de plus, il était lépoux de la Vierge Mčre. Dailleurs, si Philippe parle ainsi, ce nest pas quil veuille dire que le Christ était né de lunion de Joseph et de la Vierge, mais parce quil savait que le Christ devait naître de la race de David, de la maison et de la famille de qui était Joseph, dont Marie était lépouse : Je susciterai ŕ David un héritier juste 19.
Enfin Philippe fait mention de la patrie [de Jésus] DE NAZARETH, non parce quIl y était né, car ce fut ŕ Bethléem, mais parce quIl y avait été élevé. Le lieu de naissance de Jésus était en effet ignoré de beaucoup; au contraire le lieu oů Il avait été élevé était connu de beaucoup. A cause de cela Philippe passe Bethléem sous silence, et nomme Nazareth. Cette précision est en harmonie avec les oracles des prophčtes : Un rejeton sort de la souche de Jessé, et une fleur (ou, selon une autre leçon : un Nazaréen) pousse de ses racines 20.
12. Jean 5, 46.
13. Ac 10, 43.
14. Mt 1, 21.
15. Isaďe 19, 20.
16. Hab 3, 18; cf. Luc 1, 47.
17. Luc 3, 23.
18. Luc 2, 48.
19. Jérémie 23, 5.
NATHANAEL
LUI DIT : "DE NAZARETH PEUT-IL SORTIR QUELQUE CHOSE DE BON?"
318. On peut lire cette réponse soit comme une affirmation, soit comme une interrogation; dans les deux cas cette réponse saccorde bien avec les paroles de Philippe. En effet, si nous la lisons comme une affirmation, selon linterprétation dAugustin 21, le sens est alors : de Nazareth, il peut sortir quelque chose de bon; cest-ŕ-dire, de la cité qui porte un tel nom, il peut se faire que surgisse pour nous la plus grande grâce, ou un docteur éminent pour nous enseigner la fleur des vertus et la pureté de la sainteté. Nazareth en effet signifie "fleur". Par lŕ il nous est donné ŕ entendre que Nathanaël trčs savant dans la Loi, avait scruté les Ecritures et savait davance quil fallait attendre le Sauveur de Nazareth, ce que les autres Scribes et les Pharisiens ne reconnaissent pas facilement; aussi, lorsque Philippe eut dit : NOUS AVONS TROUVE JESUS DE NAZARETH, [transporté despérance, répondit assurément, de Nazareth il peut sortir quelque chose de bon.
Mais si on lit la réponse de Nathanaël selon Chrysostome 22, comme une interrogation, le sens est alors : DE NAZARETH PEUT-IL SORTIR QUELQUE CHOSE DE BON? Comme sil disait : "tout le reste de tes paroles me paraît digne de foi : son nom et sa famille en effet saccordent avec les oracles des prophčtes; mais quIl soit de Nazareth, comme tu laffirmes, ne semble pas possible". Nathanaël en effet avait appris par les Ecritures que le Christ devait venir de Bethléem Et toi Bethléem, terre de Juda, tu nes pas la moindre parmi les principales villes de Juda; car cest de toi que sortira le chef qui fera paître mon peuple Israël 23. Aussi Nathanaël, trouvant que laffirmation de Philippe ne correspond pas ŕ lenseignement des prophčtes, linterroge avec prudence et douceur sur la vérité de son dire : DE NAZARETH PEUT-IL SORTIR QUELQUE CHOSE DE BON?
20. Isaďe 11, 1.
21. Tract, in Ioann., 7, 16, p. 443; voir aussi Enarr. in Ps. 65,
4, PL 36, coI 788-789.
"VIENS
ET VOIS", LUI DIT PHILIPPE.
319. Jean rapporte ici linvitation de Philippe ŕ Nathanaël Cette invitation convient aux deux interprétations possibles de la réponse de Nathanaël. Si celle-ci est affirmative, en voici alors le sens : Tu affirmes que de Nazareth il peut sortir quelque chose de bon; mais moi je dis que le bien que je tannonce est tel, et si grand, que je suis incapable de lexprimer; aussi, VIENS ET VOIS. Si la réponse de Nathanaël est interrogative, le sens en est alors : Tu demandes : DE NAZARETH PEUT-IL SORTIR QUELQUE CHOSE DE BON? VIENS ET VOIS, et tu sauras que ce que je dis est vrai.
Philippe entraîne Nathanaël vers le Christ sans ętre découragé par ses questions, car il sait que Nathanaël ne le contredira plus lorsquil aura goűté aux paroles et ŕ lenseignement du Christ : en cela Philippe suit lexemple du Christ qui, ŕ ceux qui Linterrogeaient tout ŕ lheure sur sa demeure, avait répondu : Venez et voyez 24. Allez ŕ lui, dit le Psaume, et vous serez illuminés 25.
JESUS
VIT NATHANAEL QUI VENAIT A LUI ET IL DIT A SON SUJET : "VOICI UN VERITABLE
ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE". "D'OŮ ME CONNAIS-TU" LUI
DIT NATHANAEL. "AVANT QUE PHILIPPE TAPPELAT, REPONDIT JESUS, QUAND TU
ETAIS SOUS LE FIGUIER, JE TAI VU". NATHA NAEL LUI REPONDIT : "RABBI,
TU ES LE FILS DE DIEU, TU ES LE ROI DISRAEL. " JESUS REPRIT : "PARCE
QUE JE TAI DIT : JE TAI VU SOUS LE FIGUIER, TU CROIS : TU VERRAS MIEUX ENCORE.
" ET IL AJOUTA : "EN VERITE, EN VERITE JE VOUS LE DIS, VOUS VERREZ LE
CIEL OUVERT ET LES ANGES MONTER ET DESCENDRE AU-DESSUS DU FILS DE LHOMME. "
320. LEvangéliste montre ici lachčvement du fruit porté par la prédication de Philippe.
A ce propos il faut savoir que lon peut se convertir au Christ de deux maničres : certains sont convertis grâce ŕ des miracles, dautres par le moyen de la prophétie ou de la prescience dévénements futurs encore cachés.
Mais pour se convertir, les prophéties ou la prescience des choses futures sont une voie plus efficace que les miracles. En effet les démons eux-męmes et des hommes aidés par eux peuvent faire miroiter des prodiges, mais prédire les événements futurs est le fait de la seule puissance divine Annoncez ce qui arrivera et nous dirons que vous ętes des dieux 26. Les prophéties ne sont pas pour les infidčles, mais pour les fidčles 27, Voilŕ pourquoi le Seigneur attire Nathanaël ŕ la foi non par des miracles, mais en lui annonçant ŕ lavance des choses cachées; aussi dit-Il de lui : VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE.
22. In Ioannem hom., 20, ch. 1, PG 59,
col. 125.
23. Mic 5, 1; cf. Mt 2, 6; Jean 7, 42.
24. Jean 1, 39.
25. Ps 33, 6.
321. Le Seigneur révčle ici intérieurement ŕ Nathanaël trois vérités qui lui sont cachées : celles du présent qui sont dans son cur, puis des faits passés, enfin des réalités célestes ŕ venir; or connaître ces trois choses cachées est quelque chose de divin.
Assurément le Christ révčle ŕ
Nathanaël le présent caché lorsquIl déclare : VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN
HOMME SANS ARTIFICE. A ce sujet, lEvangéliste expose en premier lieu lannonce
du Christ; ensuite la question de Nathanaël [n° 324] : D'OŮ ME
CONNAIS-TU?
322. LEvangéliste dit en effet : JESUS VIT NATHANAEL QUI VENAIT A LUI, comme pour dire : avant que Nathanaël ne fűt arrivé jusquŕ Lui, Jésus avait dit ŕ son sujet : VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE. Jésus a dit cela de Nathanaël avant que celui-ci ne soit auprčs de Lui, car sIl avait dit ces paroles aprčs son arrivée, Nathanaël aurait pu croire que Jésus avait appris cela de Philippe.
Au sujet des paroles de Jésus : VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, notons qu"Israël" peut sinterpréter de deux maničres. Il peut signifier "trčs droit". [nous lisons en effet dans Isaďe] : Ne crains pas, mon serviteur, toi le trčs droit que jai choisi 28; or la Glose dit ici que "trčs droit" est le sens du [mot hébreu] Israël. Dautre part, "Israël" peut signifier" lhomme qui voit Dieu". Or, selon ces deux acceptions d"Israël", Nathanaël est UN VERITABLE ISRAELITE; en effet on qualifie dhomme droit celui qui est sans artifice, et cest pour cela que le Seigneur dit : VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE, comme pour dire : tu représentes véritablement ta race, parce que tu es droit et sans artifice. Dautre part, cest par la pureté et la simplicité que lhomme voit Dieu; aussi Jésus dit-Il : VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, cest-ŕ-dire : tu es un homme qui voit Dieu véritablement, parce que tu es simple et sans artifice. Jésus dit encore UN HOMME SANS ARTIFICE pour quon ne croie pas que Nathanaël ait dit avec une mauvaise intention sur un ton interrogatif : DE NAZARETH PEUT-IL SORTIR QUELQUE CHOSE DE BON?
26. Isaďe 41, 23.
27. 1 Corinthiens 14, 22.
323. Augustin 29 explique autrement les paroles de Jésus. Manifestement, tous naissent dans le péché; et on dit pleins dartifice ceux qui cachent le péché dans leur cur et qui extérieurement feignent dętre justes; mais celui qui est pécheur et le confesse est exempt dartifice. Si donc Jésus a dit : VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE, ce nest pas que Nathanaël neűt pas de péché, ni que le médecin ne lui fűt nécessaire, car personne en effet nest né tel quil nait besoin daucun médecin; mais ce que le Christ loua en lui, ce fut laveu du péché.
28. Isaďe 44, 2.
29. Tract, in Jo. 7, 18, pp. 447-449.
324. LEvangéliste rapporte
ensuite linterrogation de Nathanaël : D'OŮ ME CONNAIS-TU? Nathanaël reconnaît
avec étonnement la puissance de Dieu dans la manifestation des choses cachées,
car cest bien le fait de Dieu seul Pervers est le cur de lhomme et
insondable. Qui peut le pénétrer? Moi, le Seigneur, je scrute le cur et je
sonde les reins 30; Lhomme ne voit que lapparence, mais Dieu pénčtre le cur 31. Cest pourquoi Nathanaël
demande : D'OŮ ME CONNAIS-TU? Ces paroles font valoir son humilité car, malgré
la louange du Seigneur, il ne sest pas enorgueilli; il a plutôt tenu pour
suspecte la louange quon lui adresse; [C'est dans ce sens que le
Seigneur parle par la bouche du prophčte] : Mon peuple, ceux qui te
disent heureux te séduisent 32.
325. Jean expose maintenant
le dévoilement des faits passés en labsence de Jésus : AVANT QUE PHILIPPE
TAPPELÂT, QUAND TU ETAIS SOUS LE FIGUIER, JE TAI VU; puis la confession de
Nathanaël : NATHANAEL LUI REPONDIT : "RABBI, TU ES LE FILS DE DIEU, TU
ES LE ROI DISRAEL".
326. Concernant le premier point, il faut savoir que Nathanaël pouvait avoir deux soupçons au sujet du Christ : lun, que le Christ aurait dit ces paroles : VOICI UN VERITABLE ISRAELITE, UN HOMME SANS ARTIFICE, dans lintention de le flatter; lautre, que Jésus aurait connu antérieurement par un autre quil était un homme sans artifice. Pour écarter tout soupçon et élever son esprit ŕ des réalités plus hautes, Jésus lui manifeste des faits cachés que nul naurait pu savoir si ce nest divinement, cest-ŕ-dire ce qui venait juste de lui arriver.
Et voici ce quIl dit : AVANT QUE PHILIPPE TAPPELAT, QUAND TU ETAIS SOUS LE FIGUIER, JE TAI VU. En effet, au sens littéral, Nathanaël était sous un figuier quand il fut appelé par Philippe et le Christ lavait su par sa puissance divine car Les yeux du Seigneur sont infiniment plus lumineux que le soleil 33.
Au sens mystique, le figuier représente le péché : soit parce que nous voyons en Matthieu que le figuier maudit ne portait que des feuilles et pas de fruits 34, ce qui eut lieu pour figurer le péché; soit encore parce que, lorsquAdam et Eve eurent péché, ils se firent des ceintures de feuilles de figuier 35.
Aussi Jésus dit-Il ŕ Nathanaël : QUAND TU ETAIS SOUS LE FIGUIER, cest-ŕ-dire ŕ lombre du péché, avant davoir été appelé ŕ la grâce, JE TAI VU, cest-ŕ-dire des yeux de la miséricorde; car la prédestination de Dieu ŕ légard des hommes demeure męme quand ils sont dans le péché Dieu le Pčre (...) nous a élus [dans le Christ] avant la fondation du monde, (...) nous ayant prédestinés ŕ ętre pour Lui des fils adoptifs par Jésus-Christ 36.
Cest de ce regard que Jésus parle ici : JE TAI VU, cest-ŕ-dire en te prédestinant de toute éternité. Ou bien, selon Grégoire 37. QUAND TU E TAIS SOUS LE FIGUIER, cest-ŕ-dire ŕ lombre de la Loi, je tai vu, car la Loi na que lombre des biens ŕ venir 38.
30. Jérémie 17, 9-10.
31. 1 Sam 16, 7.
32. Isaďe 3, 12.
327. Aussitôt converti par les paroles du Christ et reconnaissant en Lui la puissance divine, Nathanaël proclame sa foi et sa louange : RABBI, TU ES LE FILS DE DIEU. Ce faisant, il reconnaît dans le Christ trois choses. Dabord la plénitude de sa science, lorsquil lappelle RABBI (ce qui veut dire Maître), comme pour dire : tu possčdes la perfection de toute science. Déjŕ Nathanaël pressentait ce que dirait le Seigneur : Vous navez quun Maître, le Christ 39.
Ensuite lexcellence de la grâce qui est propre au Christ : TU ES LE FILS DE DIEU. Car ce nest que par grâce quun homme est fils adoptif de Dieu; et męme, ętre Fils de Dieu par lunion [hypostatique], ce qui est propre ŕ lhomme-Christ, se réalise encore par la grâce : en effet, ce nest pas par des mérites antérieurs mais par la grâce de lunion que cet homme est Fils de Dieu.
Enfin limmensité de la puissance du Christ : TU ES LE ROI DISRAEL, cest-ŕ-dire Celui quattendait Israël comme roi et défenseur Sa puissance, dit Daniel, est une puissance éternelle 40.
33. Sir 23, 28 (LXX 23, 19).
34. Mt 21, 18-19.
35. Cf. Gn 3, 7. Voir SAINT AUGUSTIN,
Tract. in J 7, 21, p. 453.
36. Eph 1, 4.
37. Moralium lib., 18, eh. PL 76, col. 70 C-D.
38. He 10, 1.
328. A ce propos, Chrysostome 41 se pose une question : Pierre, qui avait vu beaucoup de miracles, entendu de nombreux enseignements, fit sur le Christ la męme confession de foi que fit ici Nathanaël : TU ES LE FILS DE DIEU, et pour cela il mérita dętre proclamé bien heureux par le Seigneur : Bienheureux es-tu, Simon fils de Jonas... 42. Pourquoi alors Nathanaël, qui avait parlé de męme sans avoir vu de signes ni reçu denseignement, ne fut-il pas proclamé bienheureux?
Cest que, répond Chrysostome, Nathanaël et Pierre avaient bien prononcé les męmes paroles, mais sans que leur intention fűt la męme. Pierre confessa que le Christ était le vrai Fils de Dieu par nature, cest-ŕ-dire quIl était homme de telle maničre que cependant Il était vrai Dieu; tandis que Nathanaël confessa que Jésus est fils de Dieu par adoption, daprčs ce Psaume : Jai dit : Vous ętes des dieux, et tous des fils du Trčs-Haut 43. Les paroles que prononce ensuite Nathanaël le montrent clairement. Si en effet il avait compris que Jésus était Fils de Dieu par nature, il naurait pas conclu seulement TU ES LE ROI DISRAEL, mais : "Tu es le Roi de tout lunivers". Cela apparaît nettement aussi dans le fait que le Christ najouta rien ŕ la foi de Pierre, ŕ cause de sa perfection, mais au contraire dit quIl bâtirait son Eglise sur sa confession de foi. Tandis quŕ celle de Nathanaël, il manquait le plus important; aussi Jésus lélčve-t-Il ŕ des vérités plus grandes, cest-ŕ-dire ŕ la connaissance de sa divinité.
39. Mt 23, 10.
40. Dan 7, 14.
41. In Ioannem hom., 21, ch. 1, PG 59,
col. 127-128.
42. Mt 16, 17.
329. Voilŕ pourquoi Jésus déclare : TU VERRAS MIEUX ENCORE. Jésus révčle ici intérieurement ŕ Nathanaël des réalités futures, comme sIl disait : parce que je tai révélé des événements passés, tu me crois fils de Dieu par adoption et roi dIsraël seulement; mais je te mčnerai ŕ une connaissance plus grande, et alors tu croiras que je suis par nature le Fils de Dieu et le Roi de tous les sičcles.
Aussi Jésus ajoute-t-Il : EN VERITE, EN VERITE JE VOUS LE DIS, VOUS VERREZ LE CIEL OUVERT ET LES ANGES DE DIEU MONTER ET DESCENDRE AU-DESSUS DU FILS DE LHOMME. Par ces paroles, le Seigneur, selon Chrysostome 44, veut prouver quIl est vrai Fils de Dieu et Dieu Lui-męme; cest en effet le propre des anges de servir le Seigneur et de Lui ętre soumis Bénissez le Seigneur, vous tous ses anges, ses ministres, qui accomplissez sa volonté 45. Cest comme si le Seigneur disait : Lors donc que vous verrez les anges me servir, vous serez certains que je suis le vrai Fils de Dieu. [L'épître aux Hébreux dira :] Lorsquil introduit le Premier-né dans le monde, Dieu dit : "Que tous les anges de Dieu Ladorent" 46.
43. Ps 81, 6.
44. In Ioannem hom., 21, ch. 1, PG 59,
col. 129.
45. Ps 102, 20.
330. Mais quand les Apôtres
virent-ils cela? Ils le virent dans sa passion, quand un ange du Seigneur fut
présent auprčs de Lui, qui Le réconfortait 47. De nouveau ŕ
la Résurrection, lorsque les Apôtres trouvčrent deux anges qui se tenaient sur
le sépulcre 48. Enfin, ŕ lAscension, quand les anges dirent aux Apôtres : Hommes de
Galilée, que restez-vous lŕ ŕ regarder le ciel? Ce Jésus, qui du milieu de vous
a été enlevé au ciel, en reviendra de la męme maničre que vous Lavez vu monter
49.
331. Et parce quau sujet des événements passés Jésus avait déjŕ dit la vérité, ce quIl annonce ŕ Nathanaël de lavenir en disant VOUS VERREZ LE CIEL OUVERT, lui paraît plus croyable. En effet, si quelquun a manifesté des faits cachés du passé, cest une preuve évidente de la vérité de ce quil dit au sujet des événements futurs.
Le Seigneur dit : VOUS VERREZ
(...) LES ANGES MONTER ET DESCENDRE AU-DESSUS DU FILS DE LHOMME. En effet,
bien que, selon la chair mortelle, Il soit un peu au-dessous des anges 50 et cest
pourquoi en tant quIl est le FILS DE LHOMME, les anges MONTENT ET DESCENDENT
AU-DESSUS DE LUI , cependant, en tant quIl est le Fils de Dieu, Il est
Lui-męme au-dessus des anges, comme on la déjŕ dit.
332. Selon Augustin 51, le Christ manifeste sa divinité par les paroles précédentes de façon trčs heureuse.
On lit en effet dans la Genčse que Jacob vit une échelle (...) et des anges monter et descendre 52. Comprenant ce quil avait vu, Jacob se leva, oignit dhuile la pierre sur laquelle reposait sa tęte et dit : En vérité le Seigneur est en ce lieu 53. Cette pierre que les bâtisseurs ont rejetée, cest le Christ 54; elle est ointe de lhuile invisible du Saint-Esprit; mais elle est dressée comme une stčle 55, car elle devait ętre le fondement de l'Eglise, ainsi que le dit lApôtre : Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé, ŕ savoir Jésus-Christ 56. Les anges cependant montent et descendent au-dessus de Lui en tant quils Lui sont présents pour faire sa volonté et Le servir. Jésus affirme donc : EN VERITE, EN VERITE JE VOUS LE DIS, VOUS VERREZ LE CIEL OUVERT..., comme pour dire : Nathanaël, parce que tu es un véritable Israélite, sois donc attentif ŕ ce quIsraël 57 a vu, afin de croire que je suis Celui que pré figure la pierre ointe par Jacob; en effet, toi aussi tu verras au-dessus delle monter et descendre les anges.
46. He 1, 6.
47. Luc 22, 43.
48. Cf. Luc 24, 4; Jean 20, 12; Mt 28, 2.
49. Ac 1, 11.
50. He 2, 7 citant Ps 8, 6.
51. Sermo. supposit., 11, ch. 2, PL 39,
col. 1761.
333. Selon Augustin 58, les anges sont les prédicateurs pręchant le Christ Allez, messagers rapides, vers le peuple renversé et déchiré 59.
Or les prédicateurs montent par la contemplation, comme Paul était monté jusquau troisičme ciel 60, et descendent pour instruire les peuples sur LE FILS DE LHOMME, cest-ŕ-dire pour lhonneur du Christ, car, comme le dit lApôtre : Ce nest pas nous-męmes que nous pręchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur 61.
Or, pour permettre [aux anges] de monter et de
descendre, le ciel a été ouvert, car il faut que la grâce céleste soit donnée
aux prédicateurs pour quils montent et quils descendent Les cieux se
fondirent devant Dieu (...) Tu fis tomber une pluie bienfaisante, ô Dieu ! 62 Je vis (...) le
ciel ouvert, dit Jean 63.
334. La raison pourquoi Nathanaël ne fut pas choisi comme Apôtre aprčs une telle confession de foi, cest que le Christ ne voulut pas que la conversion du monde ŕ la foi fűt attribuée ŕ la sagesse humaine, mais ŕ la seule puissance de Dieu. Cest pour cela quIl ne voulut pas choisir comme Apôtre Nathanaël, qui était trčs versé dans la Loi, mais quIl choisit des gens simples et incultes Il ny a pas beaucoup de sages (...) mais ce que le monde tient pour insensé, Dieu la choisi 64.
52. Gn 28, 12.
53. Gn 28, 18 et 16.
54. Mt 21, 42 et 1 Pe 2, 7 citant Ps 117, 22.
55. Gn 28, 18 et 22.
56. 1 Corinthiens 3, 11.
57. Cf. Gn 32, 29 et 35, 10.
58. Tract, in Ioann., 7, 23, p. 459; cf.
Sermo supposit., 11, ch. 5, PL 39, col. 1762.
59. Isaďe 18, 2.
60. Cf. 2 Co 12, 2.
61. 2 Co 4, 5.
62. Ps 67, 9. 10.
63. Ap 19, 11; cf. 4, 1.
64. 1 Corinthiens 1, 25. 26.
Le
troisičme jour, il y eut des noces ŕ Cana de Galilée, et la Mčre de Jésus y
était. 2 aussi fut invité ŕ ces noces, ainsi que ses disciples. 3 vin venant ŕ
manquer, la Mčre de Jésus Lui dit : "Ils nont plus de vin". 4 lui
répondit : "Femme, quy a-t-il entre toi et moi? Mon heure nest pas
encore venue". 5 Mčre dit aux serviteurs : "Faites tout ce quIl vous
dira". 6 Or il y avait lŕ six urnes de pierre destinées aux purifications
des Juifs, et contenant chacune deux ou trois mesures. Jésus dit aux
serviteurs : "Remplissez deau ces urnes". Ils les remplirent
jusquau bord. 8" Puisez maintenant, leur dit-Il, et portez-en ŕ
lintendant du festin". Ils en portčrent. 9 lintendant eut goűté leau
changée en vin (il ne savait pas doů cela venait, mais les serviteurs le
savaient bien, eux qui avaient puisé leau), il appelle lépoux'°et lui dit :
"Tout le monde sert dabord le bon vin, et quand les gens sont enivrés, le
moins bon. Toi, tu as gardé le bon vin jus quŕ présent". 11 Tel fut le
premier des signes de Jésus; Il le fit ŕ Cana de Galilée. Ainsi Il manifesta sa
gloire, et ses disciples crurent en Lui. 12 Aprčs cela, Il descendit ŕ
Capharnaüm avec sa Mčre, ses frčres et ses disciples, et ils ny restčrent que
peu de jours. Pâque des Juifs était proche, et Jésus monta ŕ Jérusalem. 14 Il
trouva dans le Temple des gens qui vendaient des bufs, des brebis et des
colombes, et les changeurs assis. 15 Et se faisant un fouet avec des cordes, Il
les chassa du Temple, ainsi que les brebis et les bufs; Il jeta par terre la
monnaie des changeurs et renversa leurs tables. 16 Et Il dit ŕ ceux qui
vendaient des colombes : "Enlevez cela dici, et ne faites pas de la
maison de mon Pčre une maison de trafic". Ses disciples se souvinrent
quil est écrit : Le zčle de ta maison me dévorera. 18 Les Juifs répliqučrent
donc et dirent ŕ Jésus : "Quel signe nous montres-tu pour agir
ainsi?" 19 répondit et leur dit : "Détruisez ce Temple et en trois
jours je le relčverai'". 20 Les Juifs Lui dirent alors : "On a mis
quarante-six ans pour bâtir ce Temple et toi, en trois jours tu le
relčverais!" 21 Mais Lui parlait du Temple de son corps. Lors donc quIl
fut ressuscité dentre les morts, ses disciples se souvinrent quIl avait dit
cela, et ils crurent ŕ lEcriture et ŕ la parole que Jésus avait dite. Comme Il
était ŕ Jérusalem pour la Pâque pendant la fęte, beaucoup crurent en son nom,
en voyant les signes quIl accomplissait. Mais Jésus, Lui, ne se fiait pas ŕ
eux, parce quIl les connaissait tous et quIl navait pas besoin quon Lui
rendît témoignage au sujet de lhomme : car Il savait, Lui, ce quil y a dans
lhomme.
335. Plus haut lEvangéliste a montré de différentes maničres la dignité du Verbe incarné et lévidence de sa manifestation. Ici, il commence ŕ préciser les effets et les uvres qui manifestčrent au monde la divinité du Verbe incarné. Il rapporte dabord ce que le Christ a fait en ce monde, en y vivant, pour manifester sa divinité [ch. 2 au ch. 11]; puis il expose comment Il la manifestée en mourant [ch. 12 au ch. 19].
En ce qui concerne les effets et les uvres accomplis par le Christ pendant sa vie, Jean montre la divinité du Christ premičrement dans le pouvoir souverain quIl a exercé sur la nature [2], et ensuite par les effets de sa grâce [ch. 3 au eh. 11].
En changeant la nature, le Christ nous révéla son pouvoir souverain sur elle, et de ce changement Il fit un signe pour confirmer ses disciples dans la foi [lobjet de la présente leçon] et pour amener les foules ŕ croire [n° 2, 12-25].
Le changement de la nature destiné ŕ affermir la foi de ses disciples fut accompli au cours des noces oů Jésus changea leau en vin; Jean y parle dabord des noces [n° 336], puis de ceux qui y étaient présents [n° 339]; enfin il décrit le miracle męme que Jésus y accomplit [n° 344].
[la-b]
LE TROISIEME JOUR, IL Y EUT DES NOCES A CANA DE GALILEE.
336. LEvangéliste commence ici une description des noces. Dabord quant au temps : LE TROISIEME JOUR, IL Y EUT DES NOCES, cest-ŕ-dire le troisičme jour aprčs les événements quil vient de raconter au sujet de la vocation des disciples de Jean. En effet le Christ, aprčs avoir été manifesté par le témoignage de Jean-Baptiste, voulut aussi se manifester Lui-męme. Puis quant au lieu : A CANA DE GALILEE, la Galilée étant une province, et Cana un bourg de cette province.
[la] LE
TROISIEME JOUR, IL Y EUT DES NOCES
337. Concernant le sens littéral, il faut savoir quil y a deux opinions sur la durée de la prédication du Christ. Certains disent que depuis le baptęme du Christ jusquŕ sa passion, deux ans et demi sécoulčrent; et, daprčs eux, ce quon lit ici au sujet des noces se passa lannée męme de son baptęme. Mais ils ont contre eux la sentence et lusage de lEglise, puisquen la fęte de l'Epiphanie on commémore trois événements admirables : celui de ladoration des Mages qui eut lieu lannée męme de la naissance du Seigneur, le baptęme qui eut lieu ce męme jour, mais trente ans plus tard, et les noces célébrées en ce męme jour, un an aprčs.
Il sensuit quune année au moins sécoula entre le baptęme et les noces. Les Evangiles ne nous rapportent des actions du Seigneur durant cette année que son jeűne dans le désert et la tentation par le diable 1, ainsi que ce que Jean rapporte ici du témoignage du Baptiste et de la conversion des disciples 2 A partir de ces noces, Jésus commença ŕ pręcher en public et ŕ accomplir des miracles jusquŕ la passion; et ainsi sa prédication publique dura deux ans et demi.
1. Mt 4, 1-11.
2. Jean 1, 35-51.
338. Au sens mystique, les noces signifient lunion du Christ et de lEglise Cest lŕ un grand mystčre, je lentends du Christ et de lEglise 3. A la vérité, ces épousailles eurent leur commencement dans le sein de la Vierge 4, lorsque Dieu le Pčre unit la nature humaine ŕ son Fils dans lunité de la personne, en sorte que le lit nuptial de cette union Dans le soleil, il dressa sa tente 5 fut ce sein virginal. De ces noces il est dit : Le Royaume des cieux ressemble ŕ un roi qui fit les noces de son fils 6, ce qui se réalisa ŕ lheure oů Dieu le Pčre a uni ŕ son Verbe la nature humaine dans le sein virginal. Ce mariage fut rendu public lorsque lEglise sest unie au Verbe par la foi Je tépouserai dans la foi [dit le Seigneur] 7.
De ces noces, lEcriture dit : Elles sont venues les noces de lAgneau, et son épouse sy est préparée 8. Et ces épousailles seront consommées lorsque lépouse, cest-ŕ-dire lEglise, sera introduite dans le lit nuptial de lEpoux, dans la gloire céleste : Heureux ceux qui ont été appelés au repas des noces de lAgneau 9.
Le fait que ces noces eurent lieu le troisičme jour nest pas sans signification. Le premier jour est en effet le temps de la loi naturelle, le second celui de la Loi écrite; quant au troisičme, cest le temps de la grâce oů le Seigneur né dans la chair célébra ses noces Aprčs deux jours, Il nous rendra la vie; le troisičme jour Il nous relčvera et nous vivrons en sa présence 10.
3. Eph 5, 32.
4. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in Jo., 8,
4, BA 71, pp. 475-477.
5. Ps 18, 5.
6. Mt 22, 2.
7. Os 2, 22.
8. Ap 19, 7.
9. Ap 19, 9.
[lb]
A CANA DE GALILEE
Le lieu convient au mystčre de ces noces : en effet Cana a [en hébreu] le sens de "ferveur, zčle" 11 et Galilée le sens de "passage" 12. Ces noces se célčbrent donc dans la ferveur dun passage; cest pour nous avertir que les plus dignes de lunion au Christ sont ceux qui, brűlant du zčle dune appartenance filiale et sans réserve, passent de létat de péché ŕ la grâce Venez ŕ moi, vous tous qui me désirez, et de mes fruits rassasiez-vous 13 et de la mort ŕ la vie, cest-ŕ-dire de létat de mortalité et de misčre ŕ celui dimmortalité et de gloire Voici que je fais toutes choses nouvelles 14.
II
ET LA
MERE DE JESUS Y ETAIT. JESUS AUSSI FUT INVITE A CES NOCES, AINSI QUE SES
DISCIPLES.
339. LEvangéliste décrit ensuite les personnes invitées ŕ ces noces, cest-ŕ-dire la Mčre de Jésus [n° 340], Jésus Lui-męme [n° 341] et ses disciples [n° 342].
10. Os 6, 2.
11. En latin zelus. On sait en effet que qannâ signifie en
hébreu" zélé". Cf. Ex 20, 5; JOSČPHE, Bell. jud. IV, 3, 9; Ga 1, 14. Voir
F. VIGounoux, Dict. de la Bible, Paris 1899.
12. En latin transmigratio. La racine hébraďque gâlil, qui
signifie" ce qui est rond, ce qui tourne" et, par extension,
"circonscription, région", provient elle-męme dune racine plus
primitive, gâlâh, qui signifie" émigrer, ętre emmene en captivité, ętre
exilé" (cf. Isaďe 8, 23; Jos 20, 7; 1 Rs 9, 11). Doů linterprétation de
transmigratio que donne ici saint Thomas.
13. Sir 24, 26 (LXX 24, 19).
14. Ap 21, 5.
340. Jean commence en effet
par dire : ET LA MERE DE JESUS Y ETAIT. Il la mentionne la premičre, pour
montrer que Jésus était encore inconnu et quIl navait pas été invité aux
noces comme une personne insigne mais uniquement en raison de certaines
relations amicales, comme une personne de connaissance, mais une parmi
dautres. Comme on avait invité la Mčre, on invita aussi le Fils.
341. Le Christ voulut prendre part aux noces, dabord pour nous donner un exemple dhumilité : car II navait pas égard ŕ sa propre dignité. Au contraire, comme le dit Chrysostome 15, Celui qui na pas dédaigné de prendre la condition de serviteur, ne dédaigna pas de venir aux noces de ses serviteurs.
Cest pourquoi Augustin 16 dit : "Que lhomme rougisse dętre orgueilleux, puisque Dieu sest fait humble". Parmi tous les autres actes dhumilité que le Fils de la Vierge a accomplis, Il vint aux noces, Lui qui, auprčs de son Pčre, institua les noces dans le paradis. Au sujet de cet exemple il est dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cur 17. Ensuite, le Christ voulut empęcher lerreur de ceux qui condamnent les noces puisque, comme le dit Bčde, 18 "si dans une union sans tache et des noces célébrées avec la chasteté requise il y avait péché, le Seigneur naurait voulu sy rendre en aucune maničre". Aussi, par le fait męme quIl sy est rendu, Il donne ŕ entendre quon doit réprouver lerreur perfide de ceux qui dénigrent le mariage La femme qui se marie ne pčche pas 19.
15. In Ioannem hom., 21, ch. 1, PG 59,
col. 129.
16. Sermo, supposit, 92, ch. 1, PL 39,
coI 1922.
17. Mt 11, 29.
18. Hornjjja XIII in Dom. secund. post
Epiphan., PL 94, col. 19. 1 Corinthiens 7, 28 et 36.
342. Au sujet des
disciples, Jean dit : AINSI QUE SES DISCIPLES. Ceux-ci furent également
invités.
343. Au sens mystique, [il faut comprendre qu]aux noces spirituelles la Mčre de Jésus, la Vierge bienheureuse, est présente en qualité de conseillčre des noces, car cest par son intercession que nous sommes unis au Christ par la grâce En moi est toute espérance de vie et de force 20. Le Christ, Lui, y est présent en tant que véritable Epoux de lâme, comme le dit Jean-Baptiste : Celui qui a lépouse est lépoux 21. Quant aux disciples, ils sont lŕ en qualité de compagnons des noces, pour unir l'Eglise au Christ, comme le dit lun dentre eux : Je vous ai fiancés ŕ un époux unique, comme une vierge pure ŕ présenter au Christ 22.
20. Sir 24, 25.
21. Jean 3, 29.
22. 2 Co 11, 2.
III
LE
VIN VENANT A MANQUER, LA MERE DE JESUS LUI DIT : "ILS NONT PLUS DE VIN. "
JESUS LUI REPONDIT : "FEMME, QUY A-T-IL ENTRE TOI ET MOI? MON HEURE NEST
PAS ENCORE VENUE. " SA MERE DIT AUX SERVITEURS : "FAITES TOUT CE
QUIL VOUS DIRA. " OR IL Y AVAIT LA SIX URNES DE PIERRE DES TINEES AUX
PURIFICATIONS DES JUIFS, ET CONTE NANT CHACUNE DEUX OU TROIS MESURES. JESUS DIT
AUX SERVITEURS : "REMPLISSEZ DEAU CES URNES. " ILS LES REMPLIRENT
JUSQUAU BORD. " PUISEZ MAINTENANT, LEUR DIT-IL, ET PORTEZ-EN A
LINTENDANT DU FESTIN. " ILS EN PORTERENT. QUAND LINTENDANT EUT GOUTE
LEAU CHANGEE EN VIN (IL NE SAVAIT PAS D'OŮ CELA VENAIT, MAIS LES SERVITEURS LE
SAVAIENT BIEN, EUX QUI AVAIENT PUISE LEAU), IL APPELLE LEPOUX ET LUI DIT :
"TOUT LE MONDE SERT DABORD LE BON VIN, ET QUAND LES GENS SONT ENIVRES, LE
MOINS BON. TOI, TU AS GARDE LE BON VIN JUS QUA PRESENT. " TEL FUT LE
PREMIER DES SIGNES DE JESUS; IL LE FIT A CANA DE GALILEE. AINSI IL MANI FESTA
SA GLOIRE, ET SES DISCIPLES CRURENT EN LUI
344. Et parce que dans ces noces considérées dans leur fait historique, une part du miracle revient ŕ la Mčre du Christ, une autre part au Christ et une autre part encore aux disciples, l'Evangéliste montre ici ce qui revient ŕ la Mčre du Christ, au Christ et aux disciples. A la Mčre revient le soin de solliciter le miracle [n° 345], au Christ de laccomplir [n° 355], aux disciples de lattester [n° 364].
LE
VIN VENANT A MANQUER, LA MERE DE JESUS LUI DIT : "ILS NONT PLUS DE
VIN".
La Mčre du Christ a, dans le miracle, le rôle de médiatrice; cest pourquoi elle accomplit deux choses : elle adresse en premier lieu une demande pressante ŕ son Fils, puis elle donne des instructions aux serviteurs [n° 354].
LEvangéliste rapporte la
demande de la mčre, puis la réponse du Fils [n° 348].
345. Dans la demande
pressante de la Mčre, remarquons dabord sa bonté et sa miséricorde. Il appartient
en effet ŕ la miséricorde de regarder comme sienne lindigence dautrui : on
appelle miséricordieux celui dont le cur safflige du malheur dautrui Qui
est faible, que je ne sois faible? Qui vient ŕ tomber, quun feu ne me brűle? [Paul]. Aussi, parce quelle
était remplie de miséricorde, la bienheureuse Vierge voulut-elle subvenir ŕ
lindigence des autres, ce que lEvangéliste exprime ainsi : LE VIN VENANT A
MANQUER, LA MERE DE JESUS LUI DIT : "ILS NONT PLUS DE VIN."
Considérons ensuite son amour respectueux ŕ légard du Christ. Dans lamour respectueux que nous avons envers Dieu, il nous faut simplement Lui présenter notre indigence, suivant ce verset : Seigneur, tout mon désir est devant toi 24. De quelle maničre Dieu nous viendra en aide, il ne nous appartient pas de chercher ŕ le savoir, car, comme le dit lApôtre, nous ne savons pas ce quil convient de demander dans nos pričres 25. Cest pourquoi la Mčre de Jésus présenta uniquement au Christ lindigence des autres en disant : ILS NONT PLUS DE VIN.
Notons enfin la sollicitude et
le zčle aimant de la Vierge : car elle nattendit pas pour intervenir que la
nécessité fűt extręme, mais elle le fit LE VIN VENANT A MANQUER, cest-ŕ-dire
comme il commençait ŕ manquer [imitant Dieu dont il est dit :] Le Seigneur vient au secours
du pauvre dans ses nécessités et au temps de laffliction 26.
346. Chrysostome 27 se pose cette question : pour quoi la Vierge na-t-elle pas incité le Christ ŕ accomplir des miracles avant [ce moment]? En effet elle avait été instruite par lAnge de sa puissance, et les nombreuses choses quelle avait vu saccomplir ŕ son sujet lui en donnčrent la confirmation, car elle gardait toutes ces choses et les méditait dans son cur 28. La raison en est que Jésus sétait comporté jusque-lŕ comme un homme au milieu des autres : aussi, parce quelle navait pas jugé le moment opportun, la Vierge avait-elle différé. Mais ŕ présent, aprčs le témoignage de Jean, aprčs la conversion des disciples, elle invite avec confiance le Christ ŕ opérer des miracles, représentant en cela la synagogue, qui est la mčre du Christ 29 les Juifs ont lhabitude, en effet, de demander des miracles, comme le dit Paul : Les Juifs demandent des signes 30.
23. 2 Co 11, 29.
24. Ps 37, 10.
25. Ro 8, 26.
26. Ps 9, 10.
27. In Ioannem hom., 21, ch. 2, PG 59,
col. 130.
347. La Mčre de Jésus Lui dit donc : ILS NONT PLUS DE VIN. Ici, nous devons savoir quavant lIncarnation du Christ, trois sortes de vin manquaient : le vin de la justice, celui de la sagesse et celui de la charité ou de la grâce. Le vin en effet est âpre, et cest ŕ ce titre que la justice est appelée vin. Le bon Samaritain versa du vin et de lhuile sur les plaies du blessé 31 cest-ŕ-dire la sévérité de la justice męlée ŕ la douceur de la miséricorde Seigneur, tu nous as fait boire un vin de larmes 32. Le vin, dautre part, réjouit le cur de lhomme 33. Cest en cela que la sagesse est vin, car sa méditation apporte la joie la plus vive Sa société ne cause aucune amertume, ni son commerce aucun ennui, mais le contentement et la joie 34. De męme le vin enivre Amis, buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés; pour cette raison, on dit de la charité quelle est un vin Jai bu mon vin avec mon lait 35. Et la charité est encore dite "Vin" en raison de l'ardeur de la ferveur que celui-ci apporte Le vin ait s'épanouir les vierges 36.
Certes le vin de la justice manquait dans lAncienne Loi, sous laquelle la justice était imparfaite : mais le Christ la rendue parfaite, Lui qui a dit : Si votre justice ne surpasse pas celle des Scribes et des Pharisiens, vous nentrerez pas dans le Royaume des cieux 37. Le vin de la sagesse manquait aussi car elle était cachée et figurative : puisque, comme le dit lApôtre [au sujet des Juifs] : Tout leur arrivait en figure 38. Mais le Christ la rendue manifeste, car Il les enseignait en homme qui a autorité 39. Enfin le vin de la charité faisait aussi défaut, car [les Juifs] avaient reçu un esprit de servitude qui les laissait dans la crainte; mais le Christ changea leau de la crainte en vin de la charité, puisquIl nous donna un esprit dadoption filiale qui nous fait crier : Abba, Pčre 40 et que la charité de Dieu a été répandue dans nos curs par lEsprit Saint qui nous a été donné 41.
28. Luc 2, 19.
29. Voir Préface, note 106.
30. 1 Corinthiens 1, 22.
31. Luc 10, 34.
32. Ps 59, 5.
33. Ps 103, 15.
34. Sag 8, 16.
35. Cant 5, 1.
FEMME,
QUY A-T-IL ENTRE TOI ET MOI? MON HEURE NEST PAS ENCORE VENUE.
348. LEvangéliste rapporte
ici la réponse du Christ ŕ Marie. On a pris occasion de cette réponse pour
tomber dans trois hérésies.
349. Les Manichéens 42 disent que le Christ na pas eu un corps véritable mais imaginaire. Valentin 43, lui, affirme que le Christ avait assumé un corps céleste, en prétendant que, corporellement, Il ne devait rien ŕ la Vierge. Il tire argument, pour son erreur, de la réponse de Jésus ŕ Marie : FEMME, QUY A-T-IL ENTRE TOI ET MOI? comme si le Christ disait : Je nai rien reçu de toi.
Mais les Manichéens et Valentin ont contre eux lautorité de lEcriture sainte. LApôtre dit en effet : Dieu envoya son Fils, né dune femme 44; or il ne pouvait dire né dune femme que si le Christ avait reçu delle quelque chose.
Augustin 45, de son côté, réfute leurs arguments en disant : Comment savez-vous que le Seigneur a dit : FEMME, QUY A-T-IL ENTRE TOI ET MOI? Vous répondez que cest lEvangéliste qui nous le rapporte. Or ce męme Evangéliste dit aussi de la Vierge quelle était la MERE DE JESUS. Si donc vous vous fiez ŕ Jean lorsquil rapporte que Jésus a dit ŕ sa Mčre : FEMME, QUY A-T-IL ENTRE TOI ET MOI?, croyez-le encore lorsquil vous dit : ET LA MERE DE JESUS Y ETAIT.
36. Zach 9, 17.
37. Mt 5, 20.
38. 1 Corinthiens 10, 11.
39. Mt 7, 29.
40. Ro 8, 15.
41. Ro 5, 5.
42. Voir ci-dessus n° 81, note 22.
43. Voir ci-dessus n° 80, note 20.
350. Ebion 46, lui, prétend que le Christ a été conçu dune semence virile; quant ŕ Elvidius, il affirme que la Vierge ne demeura pas vierge aprčs lenfantement; tous deux fondent leur erreur sur le mot "femme" employé par Jésus, qui leur paraît impliquer la corruption.
Or cela est inexact, puisque le mot "femme" est parfois employé dans la Sainte Ecriture pour désigner uniquement le sexe féminin [par exemple dans ce texte] Lorsque vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né dune femme 47. On le voit encore manifestement daprčs ces paroles adressées ŕ Dieu par Adam au sujet dEve : La femme que tu mas donnée pour compagne ma donné du fruit de larbre et jen ai mangé 48 car il est évident que, se trouvant encore au paradis, oů Adam ne lavait pas connue, Eve était restée vierge jus qualors. Cest pourquoi ici lappellation de "femme" nimplique pas la corruption, mais désigne le sexe féminin.
44. Ga 4, 4.
45. Tract. in Jo., 8, 7, BA 71, p. 487.
46. Voir ci-dessus n° 10, note 29.
47. Ga 4, 4.
351. Les Priscillianistes 49 eux aussi ont pris occasion de ces paroles du Christ : MON HEURE NEST PAS ENCORE VENUE, pour tomber dans lerreur. Ils affirment que tout arrive selon le destin : les actions des hommes, męme celles du Christ, sont soumises ŕ des heures déterminées; cest pour cette raison que Jésus aurait dit : MON HEURE NEST PAS ENCORE VENUE. Mais cela nest vrai pour personne; en effet, puisque lhomme est capable dun choix libre et que ce choix libre dépend de sa raison et de sa volonté, facultés immatérielles, il est évident que lhomme, dans son choix, nest soumis ŕ aucun élément corporel, mais quil en est plutôt le maître; car les réalités immatérielles sont plus nobles que les matérielles; et voilŕ pourquoi Ptolémée déclare que le sage est maître des astres.
De plus, cette fausse théorie convient dautant moins au Christ quIl est le Créateur des astres; aussi, lors quIl dit MON HEURE NEST PAS ENCORE VENUE, ces paroles doivent-elles sentendre de lheure de sa passion, heure déterminée non par la nécessité du destin, mais par la divine Providence.
A ces hérétiques, on peut
encore opposer ces paroles de lEcclésiastique : Pourquoi un jour
lemporte-t-il sur un autre? Cest [répond-il] la science du Seigneur
qui a établi entre eux des distinctions 50; autrement dit : nest
pas le hasard qui les distingue lun de lautre, mais la divine Providence.
352. Ces opinions étant donc réfutées, cherchons la raison de cette réponse du Seigneur : FEMME, QUY A-T-IL ENTRE TOI ET MOI?
Il y a en Jésus deux natures,
dit Augustin 51, la divine et lhumaine, et bien que le męme Christ soit dans les deux
natures, pourtant ce qui Lui convient selon la nature humaine est distinct de ce
qui Lui convient selon la nature divine. Ainsi, faire des miracles Lui
appartient selon la nature divine quIl a reçue du Pčre; mais souffrir Lui
revient selon la nature humaine quIl a reçue de sa Mčre. Cest pourquoi, ŕ sa
Mčre qui Lui réclame un miracle, Il répond : FEMME, QUY A-T-IL ENTRE TOI ET
MOI?, comme sil disait : ce qui en moi fait des miracles, je ne lai pas reçu
de toi; mais ce que je souffre, cest-ŕ-dire ce qui me rend capable de
souffrir, la nature humaine, je lai reçue de toi; cest pourquoi je te
reconnaîtrai lorsque cette faiblesse sera suspendue ŕ la croix. Aussi le
Seigneur ajoute-t-Il : MON HEURE NEST PAS ENCORE VENUE, cest-ŕ-dire : quand
arrivera lheure de ma passion, alors je te reconnaîtrai pour ma Mčre. Et cest
pour cela que, suspendu ŕ la croix, Jésus confia sa Mčre ŕ son disciple.
353. Chrysostome 52 explique autrement ce passage : il pense que la bienheureuse Vierge, brűlant de zčle pour lhonneur de son Fils, voulut quaussitôt, sans attendre le moment opportun, le Christ fît des miracles; et que le Christ, évidemment plus sage que sa Mčre, la reprit. En effet, Il ne voulut pas opérer le miracle avant quon ne connűt le manque de vin, car ce miracle eűt alors été moins éclatant et moins digne de créance. Il dit donc : FEMME, QUY A-T-IL ENTRE TOI ET MOI? autrement dit : pourquoi mimportuner? MON HEURE NEST PAS ENCORE VENUE, cest-ŕ-dire : je ne suis pas encore connu de ceux qui sont ici et ils ne se sont pas aperçus du manque de vin; laisse-les dabord sen rendre compte afin que, ayant connu la nécessité, ils apprécient davantage le bienfait quils recevront : Il y a en effet pour toute chose un temps et un jugement 53.
48. Gn 3, 12.
49. Priscillien, "homme instruit et des plus recommandables
par laustérité de ses murs, commença ŕ propager ses idées vers 370-375".
Condamné en 380 par un concile réuni ŕ Saragosse (puis par un autre réuni ŕ
Bordeaux), il fut condamné ŕ mort et exécuté avec six de ses partisans (en 385
ŕ Tręves), au milieu de nombreuses intrigues. " En 563 on se représentait
le priscillianisme comme une forme ŕ peine renouvelée du manichéisme; ce quon
lui reprochait surtout cétait lenseignement du dualisme, la condamnation
absolue de la matičre et du monde matériel, avec les conséquences naturelles de
cette condamnation : interdiction du mariage, ascétisme exagéré, etc. "
(voir G. BARDY, art. " Prisciflien", Dict. de théol. cath., t. 13,
col. 391-399).
50. Sir 33, 7-8.
51. Sermo de Symbolo ad Catechum., 5, eh. 14, PL 40, col. 644.
52. In Ioannem hom 22 eh 1 PG 59 col 134
[5]
SA MERE DIT AUX SERVITEURS : "FAITES TOUT CE QUIL VOUS DIRA".
354. Mais ainsi rebutée, la
Mčre de Jésus ne doute pourtant pas de la miséricorde de son Fils; cest pour
quoi elle avertit les serviteurs en disant : FAITES TOUT CE QUIL VOUS DIRA.
Ces paroles, ŕ la vérité, renferment la perfection de toute justice, puisque la
justice parfaite, cest dobéir en toutes choses au Christ Moďse vint
apporter au peuple toutes les paroles du Seigneur et toutes les lois; et le
peuple tout entier dune seule voix répondit : Toutes les paroles qua dites le
Seigneur, nous les accomplirons 54. La parole [de Marie] : TOUT CE QUIL VOUS DIRA, FAITES-LE, ne peut sadresser quŕ Dieu
seul, car lhomme peut par fois se tromper; et cest pourquoi, dans ce qui
soppose ŕ Dieu, nous ne sommes pas tenus dobéir aux hommes Il faut obéir ŕ
Dieu plutôt quaux hommes 55. Mais ŕ Dieu qui ne se trompe pas, ni ne peut ętre trompé, nous devons
obéir en tout.
355. LEvangéliste rapporte ensuite laccomplissement du miracle par le Christ; il décrit dabord les vases dans lesquels fut effectué le miracle; il indique ensuite la matičre du miracle [n° 358]; enfin, il nous fait connaître comment ce miracle fut manifesté et confirmé [n° 359].
53. Qo 8, 6.
54. Ex 24, 3.
55. Ac 5, 29.
OR IL
Y AVAIT LA SIX URNES DE PIERRE DESTI NEES AUX PURIFICATIONS DES JUIFS, ET CONTE
NANT CHACUNE DEUX OU TROIS MESURES.
356. Les vases dans lesquels fut accompli le miracle sont au nombre de six. Les Juifs, en effet, comme le dit Marc 56, observaient de nombreuses ablutions corporelles et purifiaient de męme les coupes et les vases : aussi, habitant la Palestine oů leau est rare, ils avaient des vases pour conserver leau parfaitement pure afin de pouvoir souvent faire leurs ablutions et purifier leurs vases. Cest pourquoi l'Evangéliste dit : IL Y AVAIT LA SIX URNES DE PIERRE, récipients servant ŕ conserver leau (en latin hydriae, du grec hydros, qui signifie "eau"), DESTINEES AUX PURIFICATIONS DES JUIFS, cest-ŕ-dire ŕ lusage de la purification, ET CONTENANT CHACUNE DEUX OU TROIS MESURES (en latin metretas, qui vient du mot grec metros, lequel signifie "mesure."
Comme le dit Chrysostome 57, lEvangéliste rapporte ce quétaient ces urnes pour écarter tout doute sur la réalité du miracle; dune part leur propreté empęche de soupçonner que leau avait pris le goűt du vin ŕ cause de la lie du vin quelles auraient contenu auparavant : en effet ces vases DESTINES AUX PURIFICATIONS devaient ętre parfaitement propres; dautre part leur nombre montre ŕ lévidence quune si grande quantité deau ne pouvait ętre changée en vin que par leffet de la puissance divine.
56. Mc 7, 3-4.
57. In Ioannem hom., 22, ch. 2, PG 59,
col. 135.
357. Au sens mystique, les SIX URNES signifient les six époques de lAncien Testament durant lesquelles avaient été préparés et proposés en exemple de vie, comme le dit la Glose, les curs des hommes réceptifs aux Ecritures. Le terme męme de MESURES, daprčs Augustin 58, se rapporte ŕ la Trinité des personnes. Et Jean dit DEUX OU TROIS, parce que la Sainte Ecriture nomme clairement tantôt trois Personnes, comme le fait Matthieu rapportant ces paroles du Christ : De toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Pčre, du Fils et du Saint Esprit, tantôt deux seulement, le Pčre et le Fils, avec lesquels est sous-entendue la Personne du Saint Esprit 59, qui est le lien des deux autres; cest ainsi quil sera dit plus loin : Si quelquun garde ma parole, mon Pčre laimera et nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure 60. On peut dire aussi : DEUX mesures, en raison des deux conditions des hommes, Juifs et Gentils, ŕ partir desquelles fut construite lEglise; ou TROIS, ŕ cause des fils de Noé par qui fut propagé le genre humain aprčs le déluge.
58. Tract. in Ioann., 9, 7, BA 71, p. 521.
59. Mt 28, 19.
60. Jean 14, 23.
[7]
JESUS DIT AUX SERVITEURS : "REMPLISSEZ DEAU CES URNES".
358. Il sagit ici de la matičre du miracle. On peut ŕ ce propos se demander pourquoi le Christ na pas opéré ce miracle ŕ partir de rien, mais ŕ partir dune matičre déjŕ existante. Nous répondrons en donnant trois raisons.
La premičre est de Chrysostome 61 et se rapporte au sens littéral : il est certes plus grand et plus admirable de faire quelque chose de rien, que de le faire ŕ partir dune matičre préexistante; mais ce nest pas aussi manifeste et croyable pour la plupart des hommes. Cest donc pour rendre son action plus digne de foi que Jésus fit le vin ŕ partir de leau, sadaptant ainsi ŕ la capacité des hommes.
La deuxičme raison, cest lintention de réfuter des doctrines perverses. Il sest trouvé en effet des hommes, comme Marcion 62 et les Manichéens 63, pour dire que le Créateur du monde était un autre que Dieu et que cet autre, cest-ŕ-dire le diable, avait fait toutes les choses visibles. Cest ce qui explique également pourquoi le Seigneur a fait de nombreux miracles ŕ partir des substances créées et visibles, afin de montrer quelles étaient bonnes et créées par Dieu.
Il y a une autre raison, qui est mystique : Jésus na pas voulu faire le vin ŕ partir de rien, mais ŕ partir de leau, pour montrer quIl ne voulait pas établir une doctrine entičrement nouvelle ni réprouver lancienne, mais laccomplir 64 Je ne suis pas venu abolir [la Loi et les Prophčtes], mais accomplir. Ce que lAncienne Loi figurait et promettait, le Christ le manifesta et le révéla Il leur ouvrit lesprit ŕ lintelligence des Ecritures 65.
De plus, Jésus voulut que les
urnes fussent remplies par les serviteurs, afin de les avoir comme témoins de
ce qui saccomplissait; doů ce qui est dit plus loin : LES SERVITEURS LE
SAVAIENT BIEN, EUX QUI AVAIENT PUISE LEAU. "PUISEZ MAINTENANT, ET
PORTEZ-EN A LINTENDANT DU FESTIN".
61. In. Ioannem
hom., 22, ch. 2, PG 59, col. 135.
62. Marcion est un hérétique du JJ0 sičcle, venu ŕ Rome vers
dont la doctrine est une réaction contre les formes extręmes du gnosticisme,
mais qui en garde lessentiel. En effet, il veut retrancher du christianisme
tout lien avec les origines juives, ce qui lui fait supprimer lAncien
Testament et ne garder du Nouveau que lEvangile de Luc et dix Epîtres de Paul.
On retrouve chez lui le dualisme gnostique opposant le Dieu cruel de lAncien
Testament, créateur dun univers imparfait et limité, et le Dieu du Nouveau
Testament, tout-puissant et miséricordieux, dont nous ne saurions rien si Jésus
nétait venu le révéler. On y retrouve aussi un modalisme (cest le Pčre qui
est présent en Jésus sous une enveloppe humaine) et un docétisme (lIncarnation
nest quune apparence) strict. Il y eut une Eglise marcioniste séparée, mais
elle eut plus de catéchumčnes que de fidčles initiés, ŕ cause des renoncements
pénibles qui étaient demandés.
63. Voir ci-dessus n° 81, note 22.
359. Jean montre ici comment le miracle fut rendu public. Car au moment męme oů les urnes furent pleines [ILS LES REMPLIRENT JUSQUAU BORD], leau fut changée en vin, et cest pourquoi le Seigneur, aussitôt, rend public le miracle.
Jean rapporte en premier lieu
lordre du Christ choisissant celui qui doit constater le miracle; puis la
sentence de lintendant, lorsquil eut goűté leau changée en vin [n° 362].
360. Jésus dit donc aux serviteurs : PUISEZ MAIN TENANT, cest-ŕ-dire du vin dans les urnes, ET PORTEZ-EN A LINTENDANT DU FESTIN (en latin archi triclinus). A ce sujet, il faut savoir quon appelle triclinium un lieu oů se trouvent trois rangs de tables, le mot triclinium désignant lui-męme une rangée de trois lits (du grec clinč, qui signifie "lit"). Les anciens, en effet, avaient coutume de prendre leurs repas étendus sur des lits, comme le raconte Maxime Valčre. Cest pourquoi lEcriture parle de ceux qui sétendent ou sont couchés pour manger. On appelle donc architriclinus le premier des convives qui préside le repas. Ou encore, daprčs Chrysostome 66, ce titre désignait lordonnateur et lin tendant du festin. Parce que ce dernier, trčs occupé, navait encore goűté ŕ rien, le Seigneur voulut quil jugeât lui-męme ce qui avait été fait et non les convives, en sorte que nul ne puisse contester le miracle en disant quils étaient ivres et que leur goűt altéré par la nourriture ne leur permettait plus de discerner leau du vin. Augustin, lui, pense que larchitriclinus était le principal parmi ceux qui sétendent pour le repas, comme on la dit plus haut, et que Jésus voulut recueillir de celui qui présidait le jugement sur ce qui avait été fait, pour que le jugement fűt mieux accueilli.
64. Mt 5, 17.
65. Luc 24, 45.
66. In Ioannein hom., 22, ch. 2, PG 59,
col. 135.
67. Isaďe 12, 3.
361. Au sens mystique, les serviteurs qui puisent leau sont les prédicateurs Vous puiserez les eaux avec joie aux sources du Sauveur 67. Or lintendant du festin représente celui qui est expert dans la Loi, comme Nicodčme, Gamaliel ou Paul; lorsque la parole évangélique, qui était cachée sous la lettre de la Loi, est confiée ŕ de tels hommes, cest comme le vin fait avec leau et versé ŕ lintendant du festin : layant goűté, celui-ci approuve la foi au Christ.
QUAND
LINTENDANT EUT GOUTE LEAU CHANGEE EN VIN (IL NE SAVAIT PAS D'OŮ CELA VENAIT,
MAIS LES SERVITEURS LE SAVAIENT BIEN, QUI AVAIENT PUISE LEAU), IL APPELLE
LEPOUX ET LUI DIT : "TOUT LE MONDE SERT DABORD LE BON VIN, ET QUAND LES
GENS SONT ENIVRES, LE MOINS BON. TOI, TU AS GARDE LE BON VIN JUSQUA
PRESENT".
362. LEvangéliste rapporte ici le jugement de lexpert. Celui-ci senquiert dabord de la vérité du fait, puis il rend sa sentence.
Il faut ici, selon Chrysostome
68, remarquer que, dans les miracles du Christ, tout fut absolument
parfait : Il rendit une parfaite santé ŕ la belle-mčre de Pierre qui aussitôt
levée les servait, comme le disent Marc 69 et Matthieu 70. De męme, Il
rendit si parfaitement le para lytique ŕ la santé que, se relevant sur le
champ, il prit son grabat et rentra chez lui 71. Cela apparaît
aussi dans ce miracle, puisque Jésus ne fit pas de leau un vin quel conque,
mais le meilleur qui pűt ętre. Cest pourquoi lintendant du festin dit : TOUT
LE MONDE SERT DABORD LE BON VIN, ET QUAND LES GENS SONT ENIVRES, LE MOINS BON.
363. Tout cela convient au mystčre. Car, au sens mystique, on dit de quelquun quil sert dabord le bon vin lorsque, ayant lintention de tromper les autres, il ne leur expose pas demblée lerreur oů il a lintention de les faire tomber, mais ce qui peut les séduire; car une fois enivrés et séduits, ils consentent ŕ son intention, et cest alors quil manifeste sa perfidie. Cest de ce vin que la Sainte Ecriture dit : Il entre agréablement, mais ŕ la fin il mordra comme un serpent et il répandra son venin comme un basilic 72.
On dit encore de quelquun quil sert dabord le bon vin lorsque, dans les débuts de sa conversion, ayant inauguré une vie de sainteté et toute spirituelle, il retombe finalement dans une vie charnelle Etes-vous tellement insensés quaprčs avoir commencé par lEsprit, vous acheviez maintenant par la chair 73?
Le Christ, Lui, ne sert pas dabord le bon vin; au commencement Il propose des réalités amčres et dures car resserrée est la voie qui mčne ŕ la vie 74. Mais plus lhomme progresse dans la foi et la doctrine du Christ, plus il acquiert de douceur et y goűte une grande suavité Je vous conduirai dans les sentiers de la droiture et lorsque vous y serez entrés, vos pas ne seront pas ŕ létroit 75. De męme, tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ 76 souffrent en ce monde amertumes et tribulations. Le Christ la annoncé : En vérité, en vérité je vous le dis : vous pleurerez et vous lamenterez. Mais dans le monde futur, les jouissances et les joies seront leur partage; cest pourquoi le Seigneur ajoute : Mais votre tristesse se changera en joie. Jestime [dit Paul] que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit se révéler en nous 78.
68. In Ioannem hom., 22, ch. 3, PG 59,
col. 136.
69. Mc 1, 29-31.
70. Mt 8, 14-15.
71. Jean 5, 9.
72. Prov 23, 32.
73. Ga 3, 3.
TEL
FUT LE PREMIER DES SIGNES DE JESU5; IL LE FIT A CANA DE GALILEE. AINSI IL
MANIFESTA SA GLOIRE, ET SES DISCIPLES CRURENT EN LUI
364. Le témoignage des disciples sur ce miracle permet de reconnaître la fausseté de lhistoire de Lenfance du Sauveur, oů lon cite beaucoup de miracles accomplis par le Christ encore enfant. Si cétait vrai, lEvangéliste naurait sűrement pas dit : TEL FUT LE PREMIER DES SIGNES DE JESUS. Nous avons donné plus haut la. raison pour laquelle Il nopéra aucun miracle durant son enfance : de peur que les hommes ne les considčrent comme imaginaires; cest pourquoi Jésus fit ŕ Cana de Galilée ce miracle de leau changée en vin, qui est LE PREMIER DES SIGNES quIl fit par la suite. Ainsi IL MANIFESTA SA GLOIRE, cest-ŕ-dire sa puissance qui Le glorifie Le Seigneur des puissances, cest Lui, le roi de gloire 79.
74. Mt 7, 14.
75. Prov 4, 11-12.
76. 2Tm3, 12.
77. Jean 16, 20.
78. Ro 8, 18.
79. Ps 23, 10.
365. ET SES DISCIPLES CRURENT EN LUI Mais comment crurent-ils? Car ils étaient déjŕ disciples et avaient cru auparavant. Il faut répondre quon nomme parfois une chose non selon ce quelle est maintenant, mais selon ce quelle sera. Ainsi on dit : lApôtre Paul est né ŕ Tarse en Cilicie, non quil y soit né Apôtre, mais parce que cest lŕ que naquit le futur Apôtre. De męme on dit ici : ET SES DISCIPLES CRURENT EN LUI, cest-ŕ-dire ceux qui seraient plus tard ses disciples. Ou encore, il faut dire quils avaient dabord cru en Lui comme ŕ un homme de bien, pręchant une doctrine juste et droite, mais quils croient désormais en Lui comme Dieu.
366. Plus haut [n° 335] lEvangéliste a exposé le signe que fit le Christ pour affermir ses disciples; ce signe relevait de son pouvoir de transformer la nature. Ici, il sagit de sa Résurrection, qui relčve de ce męme pouvoir et que le Christ annonça dans le dessein de convertir les foules.
LEvangéliste commence [c'est lobjet de cette leçon] par exposer loccasion de lannonce du miracle [de la Résurrection]; il rapporte ensuite la prophétie elle-męme [n° 393].
Au sujet de loccasion, lEvangéliste nous décrit le lieu [n° 367], puis indique le fait qui fut loccasion de lannonce du miracle [n° 380].
APRES
CELA, IL DESCENDIT A CAPHARNAUM AVEC SA MERE, SES FRERES ET SES DISCIPLES, ET
ILS NY RESTERENT QUE PEU DE JOURS. LA PÂQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE, ET JESUS
MONTA A JERUSALEM.
Le lieu oů cela se passa est Jérusalem; cest pour quoi lEvangéliste montre graduellement dans quel ordre le Seigneur se rendit ŕ Jérusalem : il montre comment Il descendit dabord ŕ Capharnaüm, puis comment Il monta ŕ Jérusalem [n° 374].
En ce qui concerne la descente de Jésus ŕ Capharnaüm, Jean commence par indiquer le lieu [n° 367]; puis il décrit lentourage de Jésus [n° 369]; enfin il indique la durée de son séjour [n° 372].
APRES
CELA, IL DESCENDIT A CAPHARNAUM
367. Le lieu oů Jésus descendit est Capharnaüm; cest pourquoi Jean dit : APRES CELA, cest-ŕ-dire aprčs le miracle du vin, IL DESCENDIT A CAPHARNAÜM. Il semble, du point de vue historique, que cette affirmation soit contredite par Matthieu 1; pour lui, le Seigneur serait descendu ŕ Capharnaüm aprčs lemprisonnement de Jean-Baptiste : or ce que lEvangéliste rapporte ici est tout ŕ fait antérieur ŕ lemprisonnement de Jean : car Jean navait pas encore été mis en prison 2.
Pour comprendre cette question, il faut savoir que, daprčs lHistoire ecclésiastique 3, les autres Evangélistes, cest-ŕ-dire Matthieu, Marc et Luc, commencčrent leur récit évangélique ŕ lépoque de lemprisonnement de Jean-Baptiste. Ainsi Matthieu, aussitôt aprčs avoir raconté le baptęme du Christ, son jeűne et sa tentation, commence son récit ŕ partir de lemprisonnement de Jean-Baptiste : Comme Jésus avait appris larrestation de Jean-Baptiste, Il se retira en Galilée 4. Marc fait de męme et écrit : Aprčs larrestation de Jean-Baptiste, Jésus vint en Galilée 5. Lorsque Jean lEvangéliste, qui survécut aux trois autres Evangélistes, eut connaissance de leurs écrits, il en approuva la fidélité et la vérité. Cependant, voyant quil y manquait certains faits les actions du Seigneur au temps de sa premičre prédication et avant lemprisonnement de Jean , ŕ la pričre des fidčles il fit remonter plus haut son Evangile en rapportant les actions du Seigneur avant larrestation de Jean, cest-ŕ-dire en partant de lannée oů Jésus fut baptisé, comme on le voit dans lordre du récit de son Evangile. Ainsi les Evangélistes ne sopposent pas, parce que le Seigneur descendit deux fois ŕ Capharnaüm : une premičre fois avant lemprisonnement de Jean-Baptiste il sagit de celle dont Jean parle ici; et une autre fois, aprčs celle dont parlent Matthieu 6 et Luc 7.
1. Mt 4, 12.
2. Jean 3, 24.
3. EUSČBE, Histoire ecclésiastique, 3, ch. 24, trad. G. Bardy,
SC 31, Le Cerf, Paris 1952, p. 132.
4. Mt 4, 12.
5. Mc 1, 14.
368. Capharnaüm veut dire "ville trčs belle" et signifie ce monde dont la beauté provient de lordre et de la disposition [pensée par] la divine Sagesse La beauté des champs est en ma possession [dit le Seigneur] 8 Le Seigneur descendit donc ŕ Capharnaüm, cest-ŕ-dire dans ce monde, avec sa mčre, ses frčres et ses disciples. Car au ciel, le Seigneur a un Pčre, mais pas de mčre; sur terre, Il a une Mčre, mais pas de pčre; aussi Jean nomme-t-il expressément sa Mčre seule 9. Au ciel, Il na pas non plus de frčres, car Il est le Fils unique qui est dans le sein du Pčre 10; mais, sur terre, Il est le premier-né dune multitude de frčres 11. Sur terre, le Christ a des disciples ŕ qui Il enseigne les mystčres de la divinité auparavant inconnus des hommes, car lApôtre dit : Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils 12.
Capharnaüm peut encore se traduire par "champ de consolation", et signifie alors tout homme qui porte du bon fruit Voici, lodeur de mon fils est comme lodeur dun champ fertile, que le Seigneur a béni [Isaac de son fils Jacob] 13 Un tel homme est appelé "champ de consolation" car il console le Seigneur qui se réjouit de ses progrčs Comme lépousée fait lallégresse de lépoux, tu feras lallégresse de ton Dieu 14, et parce que les anges se réjouissent de sa bonté Il y a de la joie parmi les anges de Dieu pour un seul pécheur qui fait pénitence 15.
6. Mt 4, 13.
7. Luc 4, 31.
8. Ps 49, 11.
9. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in Ioann.,
8, ch. 8, BA 71, pp. 488-489.
10. Jean 1, 18.
11. Ro 8, 29.
12. He 1, 1.
AVEC
SA MERE, SES FRERES ET SES DISCIPLES
369. LEvangéliste dit : IL
DESCENDIT AVEC SA MERE. Jésus était donc accompagné en premier lieu de sa Mčre,
car elle était venue aux noces et cest elle qui avait sollicité le miracle; le
Seigneur la reconduisait ŕ Nazareth 16, ville de Galilée dont
la métropole était Capharnaüm.
370. En second lieu, Jésus était accompagné de SES FRERES. A ce sujet il faut se garder de deux erreurs. En premier lieu celle dElvidius, pour qui la Vierge eut dautres fils aprčs le Christ; ce sont ceux-lŕ quil appelle "frčres" du Seigneur, ce qui est hérétique. Notre foi tient que la Mčre du Christ, vierge avant lenfantement, le demeura pendant et aprčs lenfantement.
Ensuite, lerreur de ceux qui prétendent que Joseph avait engendré dune autre épouse des fils quon appelait "frčres" du Seigneur; mais lEglise ne ladmet pas. Aussi Jérôme 17 les condamne-t-il. En effet le Seigneur, suspendu ŕ la croix, confia la Vierge, sa Mčre, ŕ la garde du disciple vierge; donc, puisque Joseph a été le gardien spécial de la Vierge et męme du Sauveur pendant son enfance, on peut croire quil fut vierge lui-męme.
En conséquence, selon une saine intelligence du texte, nous disons que les "frčres" du Seigneur étaient des parents consanguins de la Vierge, sa Mčre, ŕ un degré quelconque, ou encore de Joseph que lon croyait pčre de Jésus; cela est conforme ŕ lusage de la Sainte Ecriture, qui appelle en général "frčres" les parents consanguins. On lit par exemple dans la Genčse : Abraham dit ŕ Lot : "Quil ny ait pas de discorde entre toi et moi, car nous sommes frčres" 18, alors que Lot était le neveu dAbraham. Remarquons dautre part que lEvangéliste nomme séparément les FRERES et les DISCIPLES de Jésus, parce que tous les parents consanguins du Christ nétaient pas ses disciples Męme ses frčres ne croyaient pas en Lui 19.
13. Gn 27, 27; cf. ORIGČNE, Sur saint Jean, 10, § 37, SC 157, pp.
405-407.
14. Isaďe 62, 5.
15. Luc 15, 10.
16. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
Ioannem hom., 23, ch. 1, PG 59, col. 139.
17. Cf. plus haut, Prologue de saint Jérôme, n 15.
371. Enfin Jésus avait pour compagnons SES DISCIPLES. Cela pose une question : qui étaient ces disciples? Il semble, selon Matthieu, que les premiers ŕ se convertir au Christ furent Pierre et André, Jean et Jacques; mais le Christ les appela aprčs lemprisonnement de Jean-Baptiste, Matthieu le dit clairement 20 ne semble donc pas que ceux-ci soient descendus avec le Christ ŕ Capharnaüm, comme Jean le dit ici, puisque cette descente ŕ Capharnaüm eut lieu avant lemprisonnement de Jean-Baptiste.
A cela on peut donner deux réponses. Selon Augustin 21, Matthieu ne respecte pas lordre historique des faits, mais, récapitulant ce quil avait laissé de côté, il rapporte aprčs lemprisonnement de Jean-Baptiste des événements qui [réalité] sont antérieurs. Aussi, sans marquer daucune maničre un rapport chronologique, Matthieu dit : Jésus marchant prčs de la mer vit deux frčres, Simon (...) et André 22, sans ajouter "aprčs cela" ou "en ces jours-ci".
Lautre réponse, également dAugustin 23, est que par "disciples" l'Evangile nentend pas seulement les douze que le Christ choisit et nomma Apôtres 24, mais aussi tous ceux qui croyaient en Lui et qui étaient instruits par son enseignement sur le Royaume des Cieux. Il se peut donc que, bien que les douze neussent pas encore suivi Jésus, dautres cependant qui sétaient joints ŕ Lui soient appelés ici SES DISCIPLES. Cependant la premičre réponse est meilleure.
18. Gn 13, 8.
19. Jean 7, 5.
20. Mt 4, 18-22.
21. De cons. Evang., 2, ch. 17, § 39, PL 34, col. 1096.
ILS
NY RESTERENT QUE QUELQUES JOURS.
372. Jean résume ici bričvement le court séjour ŕ Capharnaüm. La raison en est que les habitants de cette ville, parce quils étaient trčs corrompus, ne montrčrent aucun empressement ŕ recevoir la doctrine du Christ; cest pourquoi Matthieu dit que le Seigneur les réprimanda, parce que ni les prodiges accomplis chez eux, ni son enseignement ne les avaient amenés ŕ faire pénitence : Toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée jus quau ciel? (...) jusquaux enfers tu descendras. Parce que, si les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu ŕ Sodome, elle serait encore lŕ aujourdhui 25. Cependant, bien quils fussent mauvais, le Seigneur descendit lŕ pour y reconduire sa Mčre, et Il sy arręta quel que temps afin de la consoler et de lhonorer 26.
22. Mt 4, 18.
23. Loc. cit.
24. Mt 10, 1-4; cf. Luc 6, 13.
25. Mt 11, 23.
26. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
Ioannem hom., 23, ch. 1, PG 59, col. 139.
373. Au sens mystique,
lEvangile de Jean nous fait connaître par lŕ que certains ne peuvent retenir
beau coup de paroles du Christ mais se contentent de peu pour leur
illumination, ŕ cause du peu de capacité de leur intelligence. Cest pourquoi,
selon Origčne 27, auprčs de ceux-lŕ le Christ ne sattarde pas ŕ de longs enseignements
Jai encore beaucoup de choses ŕ vous dire, mais vous ne pouvez les porter ŕ
présent 28.
374. LEvangéliste indique ensuite le lieu oů monta Jésus. A ce sujet il rapporte dabord loccasion de sa montée ŕ Jérusalem; puis il parle de la montée elle-męme [n° 378].
LA
PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE
375. Loccasion de sa montée fut la Pâque des Juifs, qui était imminente. Dans lExode, il est prescrit que, trois fois par an, tous les mâles viendront devant le Seigneur 29; et la Pâque était lune de ces trois époques. Comme le Seigneur était venu pour donner ŕ tous lexemple de lhumilité et de la perfection, Il voulut, aussi longtemps quelle serait en vigueur, observer la Loi; car Il vint non labolir, mais laccomplir, comme Il le dit Lui-męme 30; pour ce motif, comme LA PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE, JESUS MONTA A JERUSALEM. A lexemple du Christ, nous devons donc observer avec soin les préceptes divins. Si en effet, célébrant les solennités, le Fils de Dieu a accompli les prescriptions de la Loi quIl avait donnée, avec quelle grande application pour les bonnes uvres ne devons-nous pas pré parer et célébrer les fętes?
27. Sur saint Jean, 10, ch. 9, § 41, SC 157, p. 411.
28. Jean 16, 12.
29. Ex 23, 17.
30. Mt 5, 17.
376. Remarquons que Jean, dans son Evangile, fait mention de la Pâque en trois endroits : ici, puis plus loin ŕ propos du miracle des pains : La Pâque était proche, jour de la fęte des Juifs 31; et, plus loin encore : Avant la fęte de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue... 32. Nous savons donc, daprčs cet Evangile, quaprčs le miracle du vin le Christ pręcha durant deux ans, plus le temps compris entre son baptęme et la Pâque; car le fait dont nous parlons eut lieu vers la Pâque, comme le dit ici Jean. Aprčs une année révolue, ŕ un moment proche de la Pâque suivante, Jésus fit le miracle des pains, et cest ŕ cette époque que Jean-Baptiste fut décapité. Cest bien aux environs de la Pâque quil fut décapité, puisque, comme le dit Matthieu 33, aussitôt aprčs la décollation de Jean-Baptiste, le Christ se retira au désert et y fit le miracle des pains qui eut lieu aux alentours de la Pâque comme Jean le dit plus loin 34. Toutefois on célčbre la fęte de cette décollation le jour de la découverte de la tęte de Jean-Baptiste. Enfin Jésus souffrit sa passion lors dune autre Pâque.
Selon lopinion de ceux pour qui le miracle effectué aux noces et les faits rapportés ici eurent lieu lannée męme du baptęme du Christ, deux années et demie se seraient donc écoulées du baptęme ŕ la passion; ainsi, daprčs eux, Jean dit que la PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE pour montrer que Jésus avait été baptisé peu de jours auparavant.
Cependant lEglise soutient le contraire. Nous croyons en effet que le Christ accomplit le miracle du vin un an jour pour jour aprčs son baptęme; que, un an plus tard, aux approches de la Pâque, Jean-Baptiste fut décapité; et que, depuis cette Pâque aux environs de laquelle Jean fut décapité, jusquŕ la Pâque oů souffrit le Christ, il sécoula une année. Il faut donc quil y ait eu, entre le baptęme du Christ et le miracle du vin, une autre Pâque dont aucun évangéliste ne fait mention.
Ainsi, selon ce que lEglise affirme, le Christ pręcha trois ans et demi.
31. Jean 6, 4.
32. Jean 13, 1.
33. Mt 14, 13.
34. Jean 6, 4.
377. Si Jean dit LA PAQUE DES JUIFS, ce nest pas parce que des hommes dune autre nation auraient eux aussi célébré la Pâque, mais pour deux raisons qui sont les suivantes 35. Nous disons en effet quune fęte célébrée dune maničre sainte et avec pureté dintention est une fęte célébrée pour le Seigneur; si au contraire on ne la célčbre ni purement, ni saintement, on célčbre non pour le Seigneur, mais pour soi-męme [cest pour quoi le Seigneur dit :] Mon âme a horreur de vos nouvelles lunes et de vos fętes 36; autrement dit : parce que vous les célébrez non pour moi, mais pour vous, elles me déplaisent. Quand vous jeűniez, (...) était-ce pour moi que vous jeűniez? 37 Non [veut-il dire], mais pour vous. Et puisque les Juifs dont il est question ici étaient corrompus et célébraient mal leur Pâque, lEvangéliste ne dit pas : "La Pâque du Seigneur", mais : LA PAQUE DES JUIFS ETAIT PROCHE.
Ou encore, Jean sexprime ainsi pour différencier la Pâque DES JUIFS de la nôtre; la Pâque DES JUIFS était préfigurative, car elle était célébrée par limmolation dun agneau, figure du Christ; tandis que notre Pâque est la véritable : en elle, nous commémorons la véritable passion de lAgneau immaculé Le Christ, notre Pâque, a été immolé 38.
35. Cf. ORIGČME. Sur saint Jean, 10, ch. 13, § 67 ss. SC 157, p. 427.
36. Isaďe 1, 14.
37. Zach 7, 5.
38. 1 Corinthiens 5, 7.
ET JESUS MONTA A JERUSALEM.
378. Notons ici que, selon
lordre historique des faits, Jésus est monté ŕ deux reprises ŕ Jérusalem vers
la fęte de la Pâque et a chassé du Temple acheteurs et vendeurs : une premičre
fois avant lemprisonnement de Jean-Baptiste (cest ce que rappelle ici
lEvangéliste); une autre fois, alors que le temps de la passion était
imminent, comme le raconte Matthieu 39. En effet, ŕ plusieurs
reprises le Seigneur a fait les męmes uvres : on le constate ŕ propos des deux
aveugles ŕ qui Il a donné la vue, guérisons dont lune est rapportée par
Matthieu 40, lautre par Marc 41. De la męme façon, Il chasse deux fois du Temple vendeurs et
acheteurs.
379. JESUS MONTA A JERUSALEM peut ętre pris au sens mystique. Jérusalem, qui veut dire "vision de paix", signifie la béatitude éternelle vers laquelle Il monta et conduisit les siens. Et le fait que Jésus descende ŕ Capharnaüm pour ensuite monter ŕ Jérusalem nest pas sans signification mystique; car sIl nétait pas dabord descendu, Il naurait pu monter Celui qui est descendu, cest le męme qui est aussi monté 42. Cependant lEvangéliste ne fait pas mention des disciples dans la montée vers Jérusalem parce que lascension des disciples est la conséquence de lascension du Christ Personne nest monté au ciel si ce nest Celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme qui est au ciel 43.
II
IL
TROUVA DANS LE TEMPLE DES GENS QUI VEN DAIENT DES BUFS, DES BREBIS ET DES
COLOM BES, ET LES CHANGEURS ASSIS. ET SE FAISANT UN FOUET AVEC DES CORDES, IL
LES CHASSA DU TEMPLE, AINSI QUE LES BREBIS ET LES BUFS; IL JETA PAR TERRE LA
MONNAIE DES CHANGEURS ET RENVERSA LEURS TABLES. ET IL DIT A CEUX QUI VENDAIENT
DES COLOMBES : "ENLEVEZ CELA DICI, ET NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON
PERE UNE MAISON DE TRAFIC. " SES DISCIPLES SE SOUVINRENT QUIL EST ECRIT :
LE ZELE DE TA MAISON ME DEVORERA.
380. LEvangéliste rapporte ici le fait qui amena le Christ ŕ donner aux Juifs le signe de la Résurrection; il montre dabord la perversion des Juifs, puis il indique le remčde que le Christ lui applique [n° 384], oů il voit la réalisation dune parole prophétique [n° 392].
IL
TROUVA DANS LE TEMPLE DES GENS QUI VENDAIENT DES BUFS, DES BREBIS ET DES COLOM
BES, ET LES CHANGEURS ASSIS.
381. A propos de cette perversion des Juifs, il faut savoir que le diable tend des embűches dans les choses de Dieu et sefforce de les corrompre. Parmi les divers moyens dont il use pour corrompre les choses saintes, le principal est le vice de lavarice Les pasteurs dIsraël ne comprennent rien, ils se détournent pour suivre leur propre chemin, chacun suit son avarice, du plus grand au plus petit 44. Cest ce qua fait le diable depuis les temps les plus reculés. Car les prętres de lAncien Testament, qui avaient été établis pour vaquer aux choses divines, sadonnaient ŕ lavarice. Or Dieu avait ordonné dans la Loi quen certaines solennités on immolât au Seigneur tels et tels animaux; pour accomplir ce précepte, ceux qui habitaient prčs du Temple y venaient en amenant les animaux avec eux, mais ceux qui venaient de loin ne pouvaient agir de męme. Aussi, comme ce genre doffrande profitait aux prętres, pour que ceux qui venaient de loin soient pourvus danimaux ŕ offrir, les prętres eux-męmes sarrangčrent pour quon vendît ces animaux dans le Temple; ŕ cet effet ils les faisaient exposer dans le Temple, cest-ŕ-dire sur les parvis du Temple. Cest ce que dit Jean : Le Seigneur TROUVA DANS LE TEMPLE DES GENS QUI VENDAIENT DES BUFS, DES BREBIS ET DES COLOMBES. Il mentionne ici deux espčces danimaux vivant sur terre qui, selon la Loi, pouvaient ętre offerts au Seigneur en sacrifice : le buf et la brebis. Une troisičme espčce quon offrait aussi et qui vit sur terre, la chčvre, est comprise avec la brebis. De la męme façon, la tourterelle est comprise avec la colombe; en effet, parmi les oiseaux on en offrait deux au Seigneur : la colombe et la tourterelle.
39. Mt 21, 12-16.
40. Mt 9, 28.
41. Mc 10, 46.
42. Eph 4, 10.
43. Jean 3, 13.
44. Isaďe 56, 11.
382. Comme il arrivait
parfois que certains se rendent au Temple sans animaux ni argent, et ne
puissent donc rien acheter, les prętres trouvčrent une astuce davare : ils
installčrent des changeurs et des banquiers qui prętaient de largent ŕ ceux
qui nen avaient pas. Ceux-ci ne pratiquaient pas lusure, parce que cela était
interdit par la Loi, mais ils recevaient ŕ la place de petits cadeaux et des
objets sans valeur qui, eux aussi, passaient au profit des prętres. Cest ŕ
cela que Jean fait allusion en disant que le Seigneur trouva DES CHANGEURS
ASSIS dans le Temple, disposés ŕ pręter de largent.
383. Au sens mystique, les paroles de l'Evangéliste peuvent sentendre de trois maničres. Dabord, vendeurs et acheteurs signifient ceux qui vendent ou achčtent les biens ecclésiastiques. Les BREBIS, les BUFS et les COLOMBES symbolisent les biens ecclésiastiques spirituels et ce qui leur est lié. Car ces biens ont été consacrés et ratifiés par la doctrine des Apôtres et des docteurs, symbolisés par les BUFS Oů les récoltes sont abondantes, la force du buf paraît clairement 45, et par le sang des martyrs, symbolisés par les BREBIS : cest en leur nom que parlent le Psalmiste 46 et lApôtre : On nous regarde comme des brebis dabattoir 47. Il y a enfin les dons du Saint-Esprit, symbolisés par les COLOMBES car, comme le dit Jean : Jai vu lEsprit des cendre du ciel comme une colombe 48. Cest donc la doctrine męme des Apôtres, le sang des martyrs et les dons du Saint-Esprit, que vendent ceux qui osent vendre les biens ecclésiastiques spirituels et ce qui leur est lié.
II arrive également que certains prélats ou intendants des Eglises vendent BUFS, BREBIS et COLOMBES, non pas ouvertement, par simonie, mais inconsciemment, par négligence : par exemple quand ils convoitent et soccupent des richesses temporelles au point den négliger le salut spirituel de ceux qui leur sont soumis; car, ce faisant, ils vendent BREBIS, BUFS et COLOMBES, cest-ŕ-dire les trois sortes dhommes qui leur sont soumis. Dabord les prédicateurs et les responsables duvres, symbolisés par les BUFS Heureux vous qui semez partout oů il y a de leau, et laissez en liberté le pied du buf et de lâne. Car les prélats doivent assigner leur place aux BUFS, cest-ŕ-dire aux docteurs et aux sages, parmi les ânes 49, cest-ŕ-dire les incultes et les simples. Ils tirent aussi profit des exécutants et de ceux qui sacquittent dun service, symbolisés par les BREBIS Mes brebis entendent ma voix 50... Et ceux-ci qui sont des brebis, quont-ils fait? 51 Enfin ils tirent profit des contemplatifs, symbolisés par les COLOMBES Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe? Alors je volerais et me reposerais, je menfuirais au loin et jirais demeurer au désert 52.
Par le TEMPLE de Dieu, on peut aussi entendre lâme spirituelle Le temple de Dieu est saint, et ce temple cest vous. Lhomme vend donc BREBIS, BUFS et COLOMBES dans le TEMPLE quand il garde dans son âme les instincts bestiaux, pour lesquels il se vend au diable. Les bufs, qui servent ŕ lagriculture, symbolisent les désirs terrestres; la brebis, animal stupide, signifie la sottise humaine; la colombe est le symbole de linstabilité de lhomme : autant de choses que Dieu chasse du cur des hommes.
45. Prov 14, 4.
46. Ps 43, 12.
47. Ro 8, 36.
48. Jean 1, 32.
49. Isaďe 32, 20.
384. Cest pourquoi Jean expose aussitôt le remčde quemploya le Seigneur, remčde de luvre et de la parole, pour apprendre ŕ ceux qui ont la charge de lEglise le devoir quils ont de corriger leurs sujets par des actes et des paroles. Jean expose dabord le remčde que le Seigneur appliqua par des actes, ensuite celui quIl appliqua par sa parole [n° 387].
[15]
SE FAISANT UN FOUET AVEC DES CORDES, IL LES CHASSA TOUS DU TEMPLE, AINSI QUE
LES BREBIS ET LES BUFS; IL JETA PAR TERRE LA MON NAIE DES CHANGEURS ET
RENVERSA LEURS TABLES.
385. Le premier remčde de Jésus consiste en trois actions : chasser les hommes, puis les brebis et les bufs, enfin jeter par terre la monnaie. Il chasse les hommes avec un fouet, comme le dit Jean : SE FAISANT UN FOUET AVEC DES CORDES, IL LES CHASSA TOUS DU TEMPLE, ce quIl ne put faire quen usant de sa puissance divine; car, ainsi que le rapporte Origčne 54, la puissance divine de Jésus pouvait, quand Il le voulait, étouffer la colčre enflammée chez les hommes, comme Il pouvait calmer lagitation des esprits Le Seigneur, en effet, réduit ŕ néant les pensées des hommes 55. Le Christ fait un FOUET DE CORDES parce que, selon Augustin 56, il tire de nos fautes la matičre de notre punition; on appelle en effet CORDES lenchaînement ininterrompu de péchés sajoutant les uns aux autres Le méchant est lié par les cordes du péché 57. Malheur ŕ vous qui vous servez des mensonges comme de cordes pour traîner une longue suite diniquités 58. Et de męme quIl chassa les marchands du Temple, de męme le Seigneur jeta ŕ terre la monnaie des changeurs et renversa leurs tables.
50. Jean 10, 27.
51. 2 Sam 24, 17.
52. Ps 54, 7.
53. 1 Corinthiens 3, 17.
386. Remarquons-le, si le Christ chassa du Temple ce qui paraissait dune certaine maničre licite parce que cela était ordonné au culte de Dieu, ŕ combien plus forte raison naurait-Il pas agi ainsi sIl y avait trouvé des choses illicites. Il LES CHASSA donc parce que les prętres ne cherchaient pas en cela lhonneur de Dieu, mais leurs intéręts propres; cest pourquoi il est dit : Vous avez mis des incirconcis de cur et de chair pour garder mes observances dans mon sanctuaire 59. Et le Seigneur montre du zčle pour lobservance de la Loi afin de confondre par lŕ męme les pontifes et les prętres qui allaient Le calomnier ŕ propos de cette Loi.
En chassant tout cela du Temple, Jésus donna aussi ŕ entendre que les temps étaient proches oů les sacrifices de la Loi devraient cesser et oů le vrai culte de Dieu passerait aux gentils [Il le dira un jour explicitement aux Juifs] : Le Royaume de Dieu vous sera enlevé et il sera donné ŕ une nation qui en produira les fruits 60. Et de męme Il montrait que se damnent ceux qui ven dent les choses spirituelles Périsse ton argent avec toi, puisque tu as pensé acquérir le don de Dieu ŕ prix dargent 61.
54. Sur saint Jean, 10, ch. 25, § 147, p. 477.
55. Ps 32, 10.
56. Tract, in Ioann., 10, 5, BA 71, p. 559.
57. Prov 5, 22.
58. Isaďe 5, 18.
59. Ez 44, 8. 9.
[16]
ENLEVEZ CELA DICI ET NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE
TRAFIC.
387. Jean expose ici le remčde que Jésus appliqua par sa parole. Remarquons que, daprčs ce texte, les Simoniaques 62 doivent ętre aussitôt chassés de l'Eglise. Cependant, tant quils vivent, ils peuvent se convertir en usant de leur libre arbitre et revenir ŕ létat de grâce avec laide de Dieu; ils ne doivent donc pas désespérer. Mais sils ne se convertissent pas, alors ils ne sont męme plus chassés, ils sont liés par ceux ŕ qui il est dit : Liez-lui pieds et mains et jetez-le dans les ténčbres du dehors 63. Cest pourquoi le Seigneur, observant cela, les avertit dabord par ces paroles : ENLEVEZ CELA DICI; et ensuite Il leur donne la raison de son avertissement : NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC.
60. Mt 21, 43.
61. Ac 8, 20.
62. Voir n° 388. Cf. Ac 8, 18 ss. (lhistoire de Simon le
magicien doů vient le nom de "simonie" désignant le trafic des
choses saintes).
63. Mt 22, 13.
388. Le Seigneur avertit
donc les vendeurs de colombes en les réprimandant parce quils symbolisent ceux
qui vendent les dons du Saint-Esprit, cest-ŕ-dire les Simoniaques.
389. Et il donne la raison de son avertissement en disant : NE FAITES PAS DE LA MAISON DE MON PERE UNE MAISON DE TRAFIC... Otez de devant mes yeux la malignité de vos pensées 64. Remarquons que, daprčs Matthieu 65, le Seigneur déclare : Ne faites pas de ma maison un repaire de brigands; mais quici Il dit : UNE MAISON DE TRAFIC. Le Seigneur agit ainsi parce que, comme un bon médecin, Il commence par des remčdes assez doux pour en présenter ensuite de plus âpres. Le fait rapporté ici par Jean est le premier qui eut lieu. Aussi le Christ, au début, ne les appelle pas" brigands", mais" trafiquants". Cependant, parce quŕ cause de leur dureté ils navaient toujours pas cessé ce commerce, le Seigneur, les chassant de nouveau, les réprimande durement, traitant de brigandage ce quIl avait dabord appelé négoce.
Le Seigneur dit LA MAISON DE
MON PERE, afin de prévenir lerreur des Manichéens 66 qui disaient
que le Pčre du Christ navait pas été le Dieu de lAncien Testament, mais le
Dieu du Nouveau. Si cela était vrai, puisque le Temple était la maison du Dieu
de lAncien Testament, le Christ naurait certainement pas appelé le Temple la
maison de son Pčre.
390. Mais pourquoi les Juifs ne sont-ils pas troublés de ce quIl appelle ici Dieu son PERE, alors que lEvangéliste, plus loin 67, dit quils Le persécutaient pour ce motif? A cette question il faut répondre que Dieu est le Pčre de certains par adoption, cest-ŕ-dire des justes, et que cela nétait pas nouveau pour les Juifs Tu mappelleras mon Pčre, et tu ne te sépareras pas de moi 68. Mais, par nature, Dieu nest Pčre que du Christ Le Seigneur ma dit : Tu es mon Fils, cest-ŕ-dire mon propre et véritable FILS 69; et cela était inouď pour les Juifs. Cest parce que Jésus se disait le vrai Fils de Dieu que les Juifs Le persécutaient : Voilŕ pourquoi les Juifs cherchaient encore plus ŕ Le faire mourir, parce que non seulement Il violait le sabbat, mais Il appelait encore Dieu son propre Pčre, se faisant légal de Dieu 70. Mais quand cette fois-ci Jésus appela Dieu son Pčre, les Juifs crurent que cétait par adoption.
64. Isaďe 1, 16.
65. Mt 21, 13; cf. Mc 11, 17, et Luc 19, 46.
66. Voir ci-dessus n° 81, note 22.
67. Jean 5, 18.
391. Que la maison de Dieu ne doive pas devenir une MAISON DE TRAFIC, le prophčte Zacharie lavait dit : En ces jours-lŕ il ny aura plus de marchands dans la maison du Seigneur des armées 71; et on lit dans les Psaumes, selon la version [des Septante] : Parce que je nai pas connu le négoce, je pénétrerai dans la puissance du Seigneur 72.
[171
SES DISCIPLES SE SOUVINRENT QUIL EST ECRIT : LE ZELE DE TA MAISON ME DEVORERA.
392. Jean cite ici la parole prophétique dun Psaume 73. Il faut savoir ŕ ce propos que ZELE [en latin zelus, qui signifie encore "jalousie"] exprime ŕ proprement parler une certaine intensité damour, en vertu de laquelle celui qui aime intensément ne supporte rien qui soppose ŕ son amour. Cest pourquoi on dit "jaloux" les maris qui, dans leur amour intense pour leur épouse, ne peuvent souffrir auprčs delle la compagnie des autres, la trouvant contraire ŕ leur amour. Donc, ŕ proprement parler, on est "zélé" pour Dieu quand on ne peut supporter sans impatience rien qui soit contraire ŕ lhonneur de Dieu, quon aime ŕ lextręme Je suis rempli dun zčle jaloux pour le Seigneur, le Dieu des armées 74.
Or nous devons aimer la maison
du Seigneur Seigneur, jaime la beauté de ta maison 75. Nous devons
tellement laimer que son zčle doit nous dévorer, en sorte que, si nous voyons
faire quelque chose qui lui soit opposé, si chers que nous soient les
coupables, nous nous efforcions dy mettre fin sans craindre les maux qui
peuvent en résulter pour nous. Aussi la Glose dit-elle : "Le bon zčle
est la ferveur de lâme, en vertu de laquelle lesprit, rejetant la crainte,
senflamme pour la défense de la vérité. En est dévoré celui qui, ŕ la vue de
nimporte quel désordre, sefforce de le corriger et, sil ne le peut, le
supporte et gémit."
68. Jérémie 3, 19.
69. Ps 2, 7.
70. Jean 5, 18.
71. Zach 14, 21.
72. Ps 70, 16.
73. Ps 68, 10.
74. 1 Rs 19, 10.
75. Ps 25, 8.
393. Aprčs avoir exposé loccasion de lannonce du signe [n° 366], l'Evangéliste va maintenant faire connaître lannonce elle-męme. Il commence par lexposer, puis fait connaître les fruits quelle porta [n° 416].
LES
JUIFS REPLIQUERENT DONC ET DIRENT A JESUS : "QUEL SIGNE NOUS MONTRES-TU
POUR AGIR AINSI?" JESUS REPONDIT ET LEUR DIT : "DETRUISEZ CE TEMPLE
ET EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI " LES JUIFS LUI DIRENT ALORS :
"ON A MIS QUARANTE-SIX ANS POUR BATIR CE TEMPLE ET TOI, EN TROIS JOURS TU
LE RELEVE RAIS!" MAIS LUI PARLAIT DU TEMPLE DE SON CORPS. LORS DONC QUIL
FUT RESSUSCITE DEN TRE LES MORTS, SES DISCIPLES SE SOUVINRENT QUIL AVAIT DIT
CELA, ET ILS CRURENT A LECRITURE ET A LA PAROLE QUE JESUS AVAIT DITE.
LEvangéliste expose en premier lieu la demande du signe, puis il le fait connaître [n° 397), et montre enfin comment les Juifs comprirent le signe que le Christ leur donnait [n° 405).
LES
JUIFS REPLIQUERENT DONC ET DIRENT A (2, 18) JESUS : "QUEL SIGNE NOUS
MONTRES-TU POUR AGIR AINSI?"
394. Jean nous montre ici
que les Juifs réclament un signe.
395. Il faut noter ici que, dans lexpulsion des marchands du Temple par Jésus, deux choses pouvaient ętre prises en considération dans le Christ : la droiture dintention et le zčle, qui relčvent de la vertu, et la puissance ou lautorité.
Si lon regarde la vertu,
cest-ŕ-dire la droiture dintention et le zčle avec lesquels le Christ avait
accompli ce que nous venons de dire, on navait pas ŕ Lui demander un signe;
car il est permis ŕ chacun dagir selon la [droiture de son
intention]. Mais, si lon regarde lautorité avec laquelle Il les chassait du
Temple, on pouvait Lui demander un signe, car il nétait pas permis ŕ nimporte
qui de faire cela, mais [seulement] ŕ celui qui a autorité. Passant donc sous silence le zčle de
Jésus et sa vertu, les Juifs Lui réclament un signe de son autorité : "QUEL
SIGNE NOUS MONTRES-TU POUR AGIR AINSI?", cest-ŕ-dire : pourquoi nous
chasses-tu avec tant de puissance et dautorité? Cela ne semble pas ętre ta
charge. De męme, daprčs Matthieu : "Par quel pou voir fais-tu cela, et
qui ta donné ce pouvoir 1?"
396. Ils demandent donc un signe. Demander un signe était chose familičre aux Juifs, puisque les signes les avaient amenés ŕ la Loi. LEcriture dit en effet : Il ne sest pas levé en Israël de prophčte semblable ŕ Moďse, lui que le Seigneur connaissait face ŕ face, et qui fit tant de signes et de miracles 2. [Et selon Paul] : Les Juifs réclament des signes 3. Cest pour cette raison que David se plaint, au nom des Juifs : Nous navons plus vu de signes 4. Cependant ils demandent ici un signe, non pour croire, mais en espérant que le Christ nen pourra produire aucun, et quainsi ils pourront Le repousser et Le mettre dans lembarras. Aussi, ŕ cause de lintention perverse de leur requęte, Jésus ne leur donne pas un signe manifeste, mais un signe caché sous une figure, celui de sa Résurrection.
1. Mt 21, 23.
2. Deut 34, 10.
[19]
DETRUISEZ CE TEMPLE ET EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI
397. LEvangéliste rapporte ici comment le Christ leur donne le signe réclamé. Il leur donne le signe futur de sa Résurrection parce que cest en cela que se manifeste au plus haut degré la puissance de sa divinité. En effet, il nappartient pas ŕ lhomme comme tel de se ressusciter des morts; seul le Christ, qui fut libre parmi les morts 5, put laccomplir par la puissance de sa divinité. Ailleurs le Christ donne encore un signe semblable : Cette race méchante et adultčre réclame un signe, et il ne lui sera pas donné dautre signe que celui de Jonas le prophčte 6, Bien quil ait donné dans les deux cas un signe voilé et en figure, ce dernier fut néanmoins plus clair, le premier plus obscur.
3. 1 Corinthiens 1, 22.
4. Ps 73, 9,
5. Ps 87, 6.
6. Mt 12, 39.
398. II faut remarquer
quavant lIncarnation Dieu donna ŕ lavance un signe de lIncarnation future :
Le Seigneur vous donnera Lui-męme un signe : voici que la Vierge concevra et
enfantera un fils, et elle lui donnera le nom dEmmanuel 7; de męme
donna-t-II aussi ŕ lavance un signe de sa Résurrection future, parce quen ces
deux mystčres du Christ se manifeste au plus haut degré la puissance de la
divinité. Rien, en effet, na pu se faire de plus admirable, que ceci : que
Dieu se soit fait homme et que lhumanité, dans le Christ, ait été rendue
participante, aprčs sa Résurrection, de limmortalité divine Le Christ
ressuscité dentre les morts ne meurt plus (...) sa vie est une vie pour Dieu 8, cest-ŕ-dire
semblable ŕ Dieu.
399. Mais il faut ętre
attentif aux paroles par les quelles ce signe est donné. Le Christ dit que SON
CORPS est un temple; la raison en est quon appelle "temple"
un lieu oů Dieu habite Le Seigneur est dans son temple saint 9. Cest pour cela
que lâme sainte en qui Dieu habite est appelée "temple de Dieu" :
Le temple de Dieu est saint, et ce temple cest vous 10. Donc, puisque dans le corps du
Christ demeure la divinité, le corps du Christ est le temple de Dieu non
seulement en tant qu'[il a une] âme, mais encore en tant quil est corps En lui réside
corporellement toute la plénitude de la divinité 11. En nous aussi,
certes, Dieu habite par sa grâce, cest-ŕ-dire [par le moyen de] lacte de
lintelligence et de la volonté, qui nest pas acte du corps, mais de lâme
seulement; mais dans le Christ, Dieu habite selon lunion hypostatique, union
qui ninclut pas lâme seulement, mais aussi le corps; cest pourquoi le corps
męme du Christ est le temple de Dieu.
400. Nestorius 12, trouvant lŕ loccasion de son erreur, prétend que le Verbe de Dieu nest uni ŕ la nature humaine que par inhabitation; ainsi, daprčs lui, dans le Christ, autre est la personne de Dieu et autre la personne de lhomme comme on la dit plus haut. Cest pourquoi il faut préciser que linhabitation de Dieu dans le Christ se rapporte ŕ la nature, car, en Lui, autre est la nature divine, autre la nature humaine dans le Christ; et non ŕ la personne, qui est la męme dans le Christ en tant que Dieu et en tant quhomme, cest-ŕ-dire la personne du Verbe, comme on la dit plus haut.
7. Isaďe 7, 14.
8. Ro 6, 9.
9. Ps 10, 5.
10. 1 Corinthiens 3, 17.
11. Col 2, 9.
12. Voir n° 170, note 20.
401. En donnant le signe,
le Christ prédit sa mort future et sa Résurrection.
402. Il prédit sa mort par ces mots : DETRUISEZ CE TEMPLE. En effet le Christ mourut et fut mis ŕ mort par dautres : Le Fils de lhomme doit ętre livré aux mains des hommes; ils Le tueront 13, mais de son plein gré : Il sest offert ŕ la mort volontairement 14.
Voilŕ pourquoi Il dit : DETRUISEZ CE TEMPLE, cest-ŕ-dire mon corps. Il ne dit pas : "il sera détruit", pour quon ne comprenne pas quil sagit dune mort naturelle, et Il ne dit pas "je détruirai" pour quon nentende pas quIl se mettrait ŕ mort Lui-męme; mais Il dit DETRUISEZ, non certes comme un ordre, mais comme une prédiction et une permission. En tant que prédiction, DETRUISEZ CE TEMPLE signifie alors : vous détruirez; et comme permission, DETRUISEZ CE TEMPLE veut dire : faites de mon corps ce que vous voulez, je vous le livre de męme quIl dit ŕ Judas : Ce que tu fais, fais-le vite 15, non comme un commandement, mais en labandonnant ŕ son libre arbitre.
Jésus emploie le terme détruisez parce que la mort du Christ est la destruction de son corps, dune tout autre maničre, cependant, que pour les autres hommes; leurs corps en effet sont détruits par la mort au point quils sont réduits en cendre et putréfiés; mais une pareille destruction neut pas lieu pour le Christ : Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption 16 Il fut pour tant détruit par la mort, puisque son âme fut séparée de son corps comme la forme de la matičre, que son sang fut séparé de son corps, et que son corps fut transpercé par les clous et la lance.
13. Mt 17, 22.
14. Isaďe 53, 7.
15. Jean 13, 27.
403. Le Christ annonce sa
Résurrection en disant : EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI, ŕ savoir mon corps,
autrement dit je ressusciterai dentre les morts. Il ne dit pas : "il
sera relevé", ni : "mon Pčre le relčvera", mais :
moi-męme JE LE RELEVERAI, montrant ainsi quIl ressuscitera dentre les morts
par sa propre puissance. Nous ne nions pas pour autant que le Pčre ait
ressuscité le Christ : Il a ressuscité Jésus dentre les morts 17, dit Paul; et
le Psalmiste : Mais toi, Seigneur, aie pitié de moi et ressuscite-moi 18. Ainsi, Dieu le
Pčre La relevé dentre les morts et le Christ est ressuscité par sa propre
puissance Et moi, je me suis couché et me suis endormi, et je me suis éveillé
car le Seigneur ma saisi 19. Il ny a lŕ aucune
opposition, car le Pčre et le Fils ont en commun une męme puissance; par suite,
tout ce que fait le Pčre, le Fils aussi le fait pareillement 20. Si donc le
Pčre La relevé, le Fils aussi sest relevé Il a été crucifié en raison de sa
faiblesse, mais Il vit en raison de la puissance de Dieu 21.
404. Le Christ dit EN TROIS JOURS, et non : aprčs trois jours, parce quIl nest pas resté trois jours entiers dans le tombeau; mais comme lexplique Augustin il y a lŕ une synecdoque, cette figure de langage oů lon prend la partie pour le tout. Origčne 22 donne ŕ ces paroles une raison mystique, disant : le corps du Christ est le véritable temple de Dieu et il représente le corps mystique, cest-ŕ-dire lEglise Vous ętes le corps du Christ et ses propres membres 23. Comme dans le corps du Christ habite la divinité par la grâce de lunion, ainsi la divinité habite dans l'Eglise par la grâce de ladoption. Et bien que ce corps mystique semble ętre détruit par les adversités des tribulations qui laffligent, il est relevé cependant en trois jours, ŕ savoir le jour de la loi naturelle, le jour de la Loi écrite et le jour de la loi de la grâce; en effet, bien quen ces trois jours il meure dans un certain nombre de ses membres, cependant il vit dans dautres. Voilŕ pourquoi Jésus dit : EN TROIS JOURS, puisque cette Résurrection spirituelle saccomplit en trois jours. Mais aprčs ces trois jours nous serons ressuscités et parfaitement restaurés, non seulement ŕ la premičre résurrection, mais aussi ŕ la seconde Bien heureux qui a part ŕ la seconde résurrection 24.
16. Ps 15, 10.
17. Ro 8, 11.
18. Ps 40, 11.
19. Ps 3, 6.
20. Jean 5, 19.
21. 2 Co 13, 4.
ON A
MIS QUARANTE-SIX ANS POUR BATIR CE TEMPLE, ET TOI EN TROIS JOURS TU LE RELEVE
RAIS!
405. LEvangéliste va
donner lintelligence du signe proposé par le Christ. Il commence par exposer
la fausse interprétation des Juifs, puis rapporte la véritable intelligence du
signe, celle quen eurent les Apôtres [n° 412].
406. Linterprétation des Juifs était fausse parce quils croyaient que le Christ parlait du Temple matériel oů Il se trouvait alors; et cest daprčs cette intelligence du signe quils Lui répondent : ON A MIS QUARANTE-SIX ANS POUR BATIR CE TEMPLE, cet édifice matériel dans lequel nous sommes, ET TOI, EN TROIS JOURS TU LE RELEVERAIS!
22. Sur saint Jean, 10, ch. 35, § 228, p. 521.
23. 1 Corinthiens 12, 27.
24. Ap 20, 6. (Le texte sacré parle en fait de la premičre
résurrection.)
407. Mais ŕ ce propos se
présente une objection dordre littéral : car le Temple de Jérusalem fut bâti
par Salomon et, selon le premier livre des Rois 25, Salomon
lacheva en sept ans. Comment se fait-il alors que Jean pręte aux Juifs cette
affirmation : ON A MIS QUARANTE-SIX ANS POUR BÂTIR CE TEMPLE? Voici la réponse
: selon certains, cela ne doit pas sentendre de la premičre construction du
Temple, qui demanda sept ans ŕ Salomon; en effet ce Temple de Salomon fut
détruit par Nabuchodonosor. Mais il sagit de sa reconstruction par Zorobabel
au retour de la captivité, comme on le lit au livre dEsdras 26, reconstruction
qui fut tellement entravée et retardée par les nombreuses attaques venant
dennemis de tous côtés quon ne put achever le Temple quaprčs quarante-six
ans.
408. Ou bien il faut dire, en suivant Origčne 27, quil sagit bien du Temple de Salomon, mais que la durée de quarante-six ans que nécessita la construction commence au jour oů David parla de construire un Temple et consulta le prophčte Nathan sur ce sujet 28, et quelle va jusquŕ lachčvement définitif de lédifice par Salo mon; dčs ce premier jour, en effet, David commença ŕ préparer les matériaux et tout ce quil fallait pour la construction du Temple; et si on calcule avec soin le temps écoulé, on arrive au total de quarante-six ans.
25. 1 Rs 6, 1.
26. Esd 1, 5-6; 3 et 6.
27. Sur saint Jean, 10, ch. 38, § 255, p. 535.
28. 2 Sam 7, 2.
409. Bien que les Juifs se
réfčrent ŕ ce Temple matériel on peut, selon Augustin 29, rapporter les
paroles du Christ au TEMPLE DE SON CORPS puisque, dit-il, la conception et la
formation du corps humain se fait en quarante-cinq jours de la façon suivante :
durant les six premiers jours aprčs la conception, le corps humain ressemble ŕ
une masse de lait; les neufs jours suivants, il prend la consistance du sang;
les douze jours qui sui vent, les chairs saffermissent; et cest dans les
dix-huit jours qui restent quil achčve de se former jusque dans les plus
petits linéaments de tous ses membres. Et ces nombres, six, neuf, douze et
dix-huit, additionnés, donnent le nombre quarante-cinq auquel il suffit
dajouter un, en raison du sacrement de lunité, pour atteindre quarante-six.
410. Mais alors une
question se pose. Car ce processus de formation ne paraît pas sappliquer au
corps du Christ, puisque ce fut dčs le premier instant de sa conception quil
fut formé et animé. A cela il faut ré pondre quil y eut bien quelque chose
dunique dans la formation du corps du Christ, car dčs le premier instant il
fut parfait quant ŕ tous les linéaments de ses membres; cependant il ne fut pas
achevé quant aux dimensions normales du corps humain, et cest pourquoi il
demeura dans le sein de la Vierge le temps nécessaire pour atteindre sa
dimension normale. Prenons mainte nant, dans le calcul précédent, le nombre
six, le premier indiqué, et le nombre quarante-six qui était le dernier, et
multiplions-les lun par lautre : le produit est deux cent soixante-seize; or,
en réduisant ce nombre en mois de trente jours, on trouve neuf mois et six
jours; cest donc ŕ bon droit quon dit que la construction du Temple figurant
le corps du Christ a duré quarante-six ans, pour laisser entendre que cette
construction matérielle demanda autant dannées que le développement parfait du
corps du Christ demanda de jours : en effet, entre le huitičme jour des
calendes davril oů le Christ fut conçu et oů (ŕ ce que lon croit) Il souffrit
sa passion, jusquau huitičme jour des calendes de janvier [Il naquit], il y a autant de
jours, ŕ savoir deux cent soixante-seize, chiffre obtenu par le produit de six
par quarante-six 29 bis.
411. Augustin 30 voit un autre sens mystique dans ce męme nombre (comme on le lit dans la Glose). Il dit en effet quavec les lettres du nom dAdam, remplacées par le nombre quelles désignent selon lusage des Grecs, on arrive au nombre quarante-six. En effet A compte pour un, comme étant la premičre lettre de lalphabet, et D pour quatre, selon son rang; en ajoutant donc un pour le second A et quarante pour M, on arrive ŕ quarante-six; ainsi est signifié que le corps du Christ est tiré du corps dAdam.
Selon les Pčres grecs, le nom dAdam se compose des premičres lettres qui désignent les quatre parties du monde, ŕ savoir : Anatholč, qui est lOrient; Dusis, qui est lOccident; Arctos, qui est le Nord; Mesembria, qui est le midi. Cela exprime que le Christ prit sa chair dAdam pour rassembler ses élus des quatre parties du monde, comme Il dit en Matthieu : Il rassemblera ses élus des quatre vents 31.
29. De diversis quaest., q. 56, BA 10, p. 159.
29 bis. Voir SA AUGUSTIN, De Trinitate, 4, ch. 5, n° 9, BA 15, p.
363.
30. Tract. in Johan. 10, 12, BA 71, pp. 579-581.
31. Mt 24, 31.
MAIS
LUI PARLAIT DU TEMPLE DE SON CORPS.
412. En disant cela,
lEvangéliste donne le vrai sens du signe, compris par les Apôtres; puis il
rapporte lévénement qui les amena ŕ comprendre.
413. Jean dit donc que les
Juifs disaient cela par ignorance, mais que le Christ ne lentendait pas ainsi,
quau contraire Il faisait allusion au Temple de son corps : LUI PARLAIT DU
TEMPLE DE SON CORPS. Nous avons dit plus haut pourquoi le corps du Christ est
appelé "temple".
Prenant prétexte de cette
parole, Apollinaire 32 soutint cette erreur que la chair du Christ était une matičre
inanimée, parce que le temple est une réalité inanimée. Mais en cela il se
trompe; car lorsquon dit que le corps du Christ est un temple, on use dune
expression métaphorique, expression qui ne suppose pas une similitude totale [entre les deux termes], mais seulement sous
un certain rapport : ici sous le rapport de lhabitation, ce qui se réfčre ŕ la
nature, comme on la dit plus haut. Dailleurs lautorité de lEcriture établit
clairement cette vérité, puisque le Christ dit Lui-męme : Jai le pouvoir de
poser mon âme 33.
414. Quant ŕ ce qui permit aux Apôtres davoir une intelligence vraie des paroles de Jésus, lEvangéliste le montre ensuite : LORS DONC QUIL FUT RESSUSCITE DENTRE LES MORTS, SES DISCIPLES SE SOUVINRENT QUIL AVAIT DIT CELA. Avant la Résurrection, en effet, il était difficile de comprendre ce [Langage] dabord parce quil affirmait que dans le corps du Christ était la vraie divinité (faute de quoi on neűt pu lappeler "temple"), et comprendre cela, ŕ lépoque oů Jésus par lait ainsi, dépassait la capacité humaine. Ensuite parce que Jésus fait ici mention de sa Passion et de sa Résurrection en disant JE RELEVERAI CE TEMPLE, ce quaucun disciple navait encore entendu; aussi, lorsque le Christ annonça clairement aux Apôtres sa Résurrection et sa Passion, Pierre en lentendant fut scandalisé et sécria : A Dieu ne plaise, Seigneur; non, cela ne tarrivera pas. Mais aprčs sa Résurrection, alors quils avaient déjŕ reconnu pleinement que le Christ était Dieu par tout ce quIl leur avait montré dans sa Passion et sa Résurrection, et aprčs avoir eu connaissance du mystčre de sa Résurrection, alors les disciples se souvinrent quIl avait dit cela de son corps et ils crurent ŕ lEcriture, cest-ŕ-dire ŕ ce quavaient annoncé les prophčtes : Aprčs deux jours, Il nous rendra la vie; le troisičme jour Il nous relčvera et nous vivrons en sa présence 35. Jonas demeura trois jours et trois nuits dans le ventre dun grand poisson 36. Voilŕ pourquoi, ce jour męme de la Résurrection, le Christ leur ouvrit lesprit ŕ lintelligence des Ecritures 37 ET LES DISCIPLES CRURENT A LA PAROLE QUE JESUS AVAIT DITE, ŕ savoir : DETRUISEZ CE TEMPLE ET EN TROIS JOURS JE LE RELEVERAI
32. Voir ci-dessus n° 168, note 12.
33. Jean 10, 18.
415. Par anagogie, daprčs Origčne 38, il nous est donné ici ŕ entendre quŕ lultime résurrection, nous serons vraiment disciples du Christ, lorsquau jour de la grande résurrection tout le corps de Jésus, cest-ŕ-dire son Eglise, recevra confirmation de ce que nous con naissons obscurément maintenant par la foi; et alors nous recevrons laccomplissement de notre foi en contemplant par la vision ce que nous voyons aujourdhui dans un miroir 39.
34. Mt 16, 22.
35. Os 6, 2.
36. Jon 2, 1.
37. Luc 24, 45.
38. Sur saint Jean, 10, h. 43, § 319, p. 567.
39. 1 Corinthiens 13, 12.
II
COMME
IL ETAIT A JERUSALEM POUR LA PÂQUE [PENDANT LA FETE, BEAUCOUP CRURENT EN SON
NOM, EN VOYANT LES SIGNES QUIL ACCOMPLIS SAIT. MAIS JESUS, LUI, NE SE FIAIT
PAS A EUX, PARCE QUIL LES CONNAISSAIT TOUS ET QUIL NAVAIT PAS BESOIN QUON
LUI RENDIT TEMOI GNAGE AU SUJET DE LHOMME : CAR IL SAVAIT, LUI, CE QUIL Y A
DANS LHOMME.
416. LEvangéliste mentionne maintenant le fruit qui a résulté des signes de Jésus, ŕ savoir la conversion ŕ la foi de plusieurs. Il parle de ceux qui ont cru en rai son des miracles de Jésus, montre comment Jésus se comporta avec eux [n° 420] et précise la raison de son attitude [n° 421].
[23]
BEAUCOUP CRURENT EN SON NOM, EN VOYANT LES SIGNES QUIL ACCOMPLISSAIT.
417. Le fruit qui résulta
des signes de Jésus fut grand, car beaucoup se convertirent ŕ Lui, comme le dit
ici lEvangéliste, parce quils étaient frappés en les voyant.
418. Remarquons pourtant
quil y eut, parmi ces croyants, deux motifs différents de croire. Les uns en
effet crurent en raison des signes et des miracles quils avaient vus, dautres
en raison de la révélation des secrets et de la prophétie. Mais ceux qui
croient en rai son de lenseignement, parce quils sont plus spirituels, sont
plus dignes de louange que ceux qui croient ŕ cause des signes, car ces
derniers sont plus grossiers et davantage dominés par le sensible. En effet,
ceux qui se sont convertis ici apparaissent dominés par le sensible, du fait
que ce nest pas ŕ cause de lenseignement de Jésus, comme les disciples, mais
EN VOYANT LES SIGNES QUIL ACCOMPLISSAIT, quils CRURENT EN SON NOM Les
prophéties sont pour les fidčles, (...) les signes pour les infidčles, dit
lApôtre 40.
419. Mais on peut se demander quels signes ils virent accomplir par Jésus, puisquil nest fait ŕ cet endroit mention daucun signe accompli ŕ Jérusalem. A cela on peut répondre, avec Origčne 41, de deux maničres.
Dune part Jésus a pu accomplir ŕ ce moment beau coup de signes qui ne sont pas rapportés ici, car les Evangélistes ont sciemment omis bien des miracles du Christ. Leur nombre, en effet, était si considérable quon ne pouvait aisément les rapporter tous : Il y a encore beaucoup dautres signes que Jésus a faits; si on les écrivait un ŕ un, le monde lui-męme, je crois, ne saurait contenir les livres quon en écrirait 42. Cest ce que montre clairement lEvangéliste quand il dit : EN VOYANT LES SIGNES QUIL ACCOMPLISSAIT; il ne les a pas mentionnés car lintention des Evangélistes nétait pas de rapporter par écrit tous les signes de Jésus, mais seulement autant quil était nécessaire pour instruire l'Eglise des fidčles.
Dautre part on peut, parmi les miracles, regarder comme un trčs grand signe le fait davoir tout seul, avec un fouet de cordes, chassé du Temple une multitude dhommes.
MAIS
JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX
420. Quelle fut lattitude de Jésus envers ceux qui crurent, l'Evangéliste nous le montre en disant : MAIS JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX, cest-ŕ-dire ŕ ceux qui avaient cru en Lui. Cependant, comment se peut-il que des hommes aient cru en Dieu et que Jésus ne se soit pas fié ŕ eux? Auraient-ils pu Le tuer sans quil le voulűt? On dira peut-ętre quIl ne se fiait pas ŕ eux parce quIl savait que leur foi était simulée. Mais si cétait vrai, lEvangéliste naurait certainement pas dit que BEAUCOUP CRURENT EN SON NOM; et cependant JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX. Pour Chrysostome 43, la raison de cette attitude du Christ est que ces gens crurent en Lui, mais dune maničre imparfaite, parce quils ne pouvaient encore atteindre les mystčres du Christ dans toute leur perfection; cest pourquoi JESUS, LUI, NE SE FIAIT PAS A EUX, cest-ŕ-dire quIl ne leur révélait pas encore ses mystčres cachés; du reste, męme ŕ ses Apôtres Il garda cachées bien des choses : Jai encore beaucoup de choses ŕ vous dire, mais vous ne pouvez les porter ŕ présent 44 et de męme Paul dit : Je nai pu vous parler comme ŕ des hommes spirituels, mais comme ŕ des hommes charnels 45. Ainsi lEvangéliste, pour marquer nettement que leur foi était encore imparfaite, ne dit pas quils croyaient "en Lui", puisquils ne croyaient pas encore en sa divinité, mais EN SON NOM; ils croyaient seulement ce quon disait de Lui, les noms quon Lui donnait, par exemple celui dhomme juste et dautres semblables.
On peut aussi penser avec Augustin 46 que ces croyants représentent dans lEglise les catéchumčnes ŕ qui, bien quils croient au nom du Christ, Jésus ne se fie pas, puisque lEglise ne leur donne pas le corps du Christ : ce corps dont aucun ministre ne peut produire [présence] sous le mode sacramentel sil na été consacré, et que, de męme, nul ne peut recevoir sil na été baptisé.
40. 1 Corinthiens 14, 22.
41. Sur saint Jean, 10, ch. 46, § 319, p. 579.
42. Jean 21, 25.
43. In Ioannem hom., 24, ch. 1, PG 59,
col. 143.
44. Jean 16, 12.
45. 1 Corinthiens 3, 1.
46. Tract, in Ioann., 11, ch. 3, BA 71, pp. 590-591.
PARCE
QUIL LES CONNAISSAIT NAVAIT TOUS ET QU'IL N'AVAIT PAS BESOIN QUON LUI RENDIT
TEMOIGNAGE AU SUJET DE LHOMME : CAR IL SAVAIT, LUI, CE QUIL Y A DANS LHOMME.
421. Jean nous donne ici la
raison pour laquelle IL NE SE FIAIT PAS A EUX; [raison], cest la connaissance
parfaite du Christ : IL LES CONNAISSAIT TOUS. Certes lhomme ignorant doit, ŕ
propos de nimporte qui, présumer le bien; mais, aprčs que la vérité sest fait
jour sur tel ou tel, il faut se comporter ŕ son égard selon sa condition. Comme
rien de ce quil y a dans lhomme nétait caché au Christ, sachant leur foi
imparfaite, IL NE SE FIAIT PAS A EUX.
422. On nous montre ici que la connaissance du Christ était universelle, puisquelle sétendit non seulement ŕ ses proches, mais encore aux étrangers; voilŕ pourquoi Jean dit : IL LES CONNAISSAIT TOUS, et cétait un effet de sa puissance divine Les yeux du Seigneur sont infiniment plus lumineux que le soleil 47. Lhomme en effet, męme sil connaît les autres, ne peut avoir deux une connaissance certaine, parce quil ne voit que ce qui apparaît au dehors; aussi a-t-il besoin du témoignage dautrui. Le Christ, Lui, connaît les hommes avec une certitude parfaite puisquIl pénčtre les curs; cest pourquoi IL NAVAIT PAS BESOIN QUON LUI RENDIT TEMOIGNAGE AU SUJET DE LHOMME; bien mieux, cest Lui qui rend témoignage Voici que mon témoin est dans le ciel 48 [disait Job].
On nous montre aussi que la connaissance du Christ est parfaite, parce quelle ne sétend pas seulement aux réalités extérieures, dont la connaissance est imparfaite et que męme les hommes connaissent, mais aussi aux réalités intérieures; ce que lEvangéliste exprime en disant : Il savait, Lui, ce quil y a dans lhomme, cest-ŕ-dire les secrets du cur 49 car Les enfers et labîme sont ŕ nu devant le Seigneur 50.
47. Sir 23, 28 (LXX 23, 19).
48. Jb 16, 19.
49. 1 Corinthiens 14, 25.
50. Prov 15, 11.
1 Or
il y avait parmi les Pharisiens un homme du nom de Nicodčme, un notable des
Juifs. 211 vint ŕ Jésus de nuit et Lui dit : "Rabbi, nous le savons, cest
de la part de Dieu que tu es venu en maître personne en effet ne peut faire les
signes que tu fais si Dieu nest avec lui. " 3 répondit et lui dit :
"Amen, amen je te le dis, personne, ŕ moins de naître de nouveau, ne peut
voir le Rčgne de Dieu. " 4 Lui dit : "Comment un homme peut-il naître
quand il est vieux? Peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mčre, et
renaître?" Jésus répondit : "Amen, amen je te le dis, personne, ŕ
moins de renaître de leau et de lEsprit Saint, ne peut entrer dans le Royaume
de Dieu. 6 Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de lEsprit
est esprit. "
423. Aprčs avois montré [n° 335-422] la puissance qua le Christ de changer la nature, lEvangéliste montre maintenant, et cest son intention principale, la puissance qua le Christ de recréer par la grâce. Or la recréation par la grâce se fait par la régénération spirituelle et par le don de bienfaits ŕ ceux qui sont régénérés. Il va donc traiter en premier lieu de la régénération spi rituelle, puis du don des bienfaits spirituels ŕ ceux qui sont divinement régénérés [n° 699].
Concernant le premier de ces deux points, deux choses sont ŕ considérer : dune part la régénération spirituelle accordée aux Juifs [ch. III], dautre part le fait que les fruits de cette régénération sétendent jus quaux nations étrangčres [IV, n° 549].
En ce qui concerne la régénération spirituelle des Juifs, lEvangéliste montre comment le Christ la révčle dabord par des paroles en exposant la nécessité de cette régénération spirituelle [n° 424], son mode et sa qualité [n° 436], sa cause et sa raison [n° 457] puis laccomplit par des actes [n° 497].
Pour montrer la nécessité de cette régénération spi rituelle, lEvangéliste commence par indiquer ce qui a été pour le Christ loccasion de laffirmer [n° 424], puis il rapporte laffirmation męme du Christ [n° 430].
I
OR IL
Y AVAIT PARMI LES PHARISIENS UN HOMME DU NOM DE NICODEME, UN NOTABLE DES JUIFS.
IL VINT A JESUS DE NUIT ET LUI DIT : "RABBI, NOUS LE SAVONS, CEST DE LA
PART DE DIEU QUE TU ES VENU EN MAITRE : PERSONNE EN EFFET NE PEUT FAIRE LES
SIGNES QUE TU FAIS SI DIEU NEST AVEC LUI "
Loccasion de laffirmation du Christ est donnée par Nicodčme, que lEvangéliste décrit dabord dans son personnage [n° 424], puis daprčs le temps [n° le moment de sa visite] [n° 427], enfin daprčs ce quil reconnaît du Christ [n° 428].
OR IL
Y AVAIT PARMI LES PHARISIENS UN HOMME DU NOM DE NICODEME, UN NOTABLE DES JUIFS.
424. Le personnage de Nicodčme est décrit sous trois aspects. Dabord celui de sa religion : cest un Pharisien. Il y avait en effet deux partis chez les Juifs : les Phari siens et les Sadducéens. Les premiers étaient plus pro ches de nous dans leurs convictions, car ils croyaient ŕ la résurrection et affirmaient lexistence de créatures spirituelles. Les Sadducéens différaient davantage, par ce quils ne croyaient ni ŕ la résurrection future, ni ŕ lexistence de lesprit. On appelait les premiers "Pharisiens" pour signifier quils étaient séparés des autres.
Et cest parce que la croyance
des Pharisiens était plus probable et plus proche de la vérité, que Nicodčme se
convertit plus facilement au Christ Jai vécu en Pha risien, suivant cette
secte qui est la plus austčre de notre religion 2.
425. Jean le décrit ensuite
par son nom. NICODEME dont le nom signifie en grec "victorieux"
ou "victoire du peuple" représente ceux dentre les Juifs
qui, convertis au Christ, sont par leur foi victorieux du monde : Telle est la
victoire qui a vaincu le monde : notre foi.
426. Enfin il le décrit par sa dignité : cétait UN NOTABLE DES JUIFS. En effet, pour que lon nattribuât pas la puissance de la foi ŕ la sagesse et au pouvoir de lhomme, le Seigneur, au commencement, na pas choisi des sages, des puissants ou des gens bien nés Frčres, dit lApôtre, considérez votre vocation : il ny a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de gens bien nés; mais ce quil y a de fou dans le monde, voilŕ ce que Dieu a choisi pour confondre les sages.... Cependant Il voulut que dčs le commencement quelques sages et quelques puissants se convertissent ŕ Lui; parce que, sil ny avait eu que des gens sans noblesse et sans sagesse ŕ recevoir son enseignement, on aurait pu Le mépriser et attribuer limportance du nombre des croyants ŕ la rusticité et ŕ la sottise des convertis plutôt quŕ la puis sance de la foi. Néanmoins le Seigneur voulut que ces nobles et ces puissants fussent peu nombreux ŕ se convertir, pour éviter (comme on la dit) quon nattri buât leur conversion ŕ la puissance ou ŕ la sagesse humaine. Cest pourquoi il est dit que quelques-uns des chefs crurent en Lui 5, parmi lesquels il y eut ce Nicodčme Les grands des peuples se sont assemblés 6
1. Dans ses Etymologies, saint Isidore note (ŕ propos de Pharčs)
que"les Pharisiens, qui se séparaient du peuple comme étant les justes,
étaient appelés "séparés"" (Etymologiarum sive originum libri,
VII, vi, 40; cf. VIII, Iv, 3-4). Voir aussi JEAN SCOT ERIGČNE, Commentaire sur
lEvangile de Jean, III, r, p. 199" Les pharisiens étaient des séparés;
leur secte était séparée du reste des Juifs, cest-ŕ-dire des scribes et des
sadducéens. Seuls les pharisiens, en effet, croyaient ŕ la résurrection des
morts, ŕ lopposé de tous les autres. "Le mot grec pharisaios provient de
la forme emphatique de laraméen perichayya, terme qui, attesté depuis 135
avant J. -C., est diversement interprété. Participe passif de"
séparer", il peut signifier" séparé de tout ce qui peut produire une
souillure" ou" séparé en tant que formant un cercle fermé, coupé du
vulgaire". Voir aussi Fr. WUTZ, Onomas tica sacra, pp. 602, 683, 410,
713, 743, 949.
2. Ac 26, 5.
3. 1 Jean 5, 4. Cf. JEAN ScoT ERIGČNE, Commentaire sur
lEvangile de Jean, loc. cit.
[2a]
IL VINT A JESUS DE NUIT ET LUI DIT...
427. LEvangéliste décrit ensuite Nicodčme en faisant appel au temps. A ce sujet il faut savoir que lEcriture a coutume, ŕ propos de certaines personnes, de préciser les circonstances de temps pour manifester leur mentalité ou [le caractčre de] leur action. LEvangéliste relčve ici lobscurité de lheure : IL VINT DE NUIT. La nuit en effet est obscure et cela saccordait bien avec la nature des sentiments de Nicodčme, qui ne venait pas ŕ Jésus sans inquiétude et ouvertement, mais avec crainte, car il était de ces chefs dont il est dit quils crurent en Jésus, mais [ne se déclaraient pas ŕ cause des Pharisiens, de peur dętre chassés de la synagogue. Leur amour en effet était imparfait; aussi lEvangéliste ajoute-t-il. Car ils aimaient la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu. La nuit saccordait bien aussi avec lignorance de Nicodčme et la connaissance imparfaite quil avait du Christ La nuit est avancée, le jour est proche. Rejetons les uvres de ténčbres et revętons les armes de lumičre Ils nont ni savoir ni intelligence; ils marchent dans les ténčbres.
4. 1 Corinthiens 1, 26-27.
5. Jean 12, 42.
6. Ps 46, 10.
7. Jean 12, 42 et 43.
"RABBI,
NOUS LE SAVONS, CEST DE LA PART DE DIEU QUE TU ES VENU EN MAITRE : PERSONNE EN
EFFET NE PEUT FAIRE LES SIGNES QUE TU FAIS SI DIEU NEST AVEC LUI "
428. LEvangéliste décrit enfin Nicodčme par ce quil reconnaît du Christ : il reconnaît ici le ministčre du Christ dans son enseignement et sa puissance dans ses uvres. Sur ces deux points Nicodčme dit vrai, mais il nen dit pas assez. En effet il proclame une vérité en appelant le Seigneur RABBI, cest-ŕ-dire "Maître", car le Seigneur dira aux Apôtres : Vous mappe lez, vous, Maître et Seigneur, et vous dites bien, car je le suis 10. Nicodčme avait lu ce qui est écrit dans Jočl Fils de Sion, exultez et réjouissez-vous dans le Seigneur de votre Dieu, parce quIl vous a donné un maître de justice Cependant Nicodčme ne dit pas assez, car sil affirme que Jésus est venu de la part de Dieu comme maître, il ne dit pas quIl est Dieu. Venir comme maître de la part de Dieu est commun ŕ tous ceux qui exercent une charge dans lEglise en bons [serviteurs] : Je vous donnerai des pasteurs selon mon cur, ils vous feront paître avec intelligence et sagesse 12; cela nest donc pas propre au Christ, bien que la maničre denseigner soit autre pour les hommes, autre pour le Christ. Les autres maîtres, en effet, enseignent seulement de lextérieur, mais le Christ enseigne aussi de lintérieur, parce quIl est la lumičre, la vraie, qui illumine tout homme 13 Cest pourquoi Lui seul donne la sagesse et peut dire ce quaucun homme, seulement homme, ne peut dire : Je vous donnerai moi-męme une bouche et une sagesse ŕ laquelle nul de vos adversaires ne pourra résister ni contredire 14
8. Ro 13, 12.
9. Ps 81, 5.
10. Jean 13, 13.
11. Jo 2, 23.
12. Jérémie 3, 15.
429. Nicodčme reconnaît la puissance de Jésus aux signes quil a vus : "Je crois que TU ES VENU EN MAITRE DE LA PART DE DIEU, parce que PERSONNE NE PEUT FAIRE LES SIGNES QUE TU FAIS SI DIEU NEST AVEC LUI." Nicodčme dit vrai, car les signes accomplis par le Christ ne peuvent ętre accomplis que par une puissance divine et parce que Dieu était avec Lui. Celui qui ma envoyé, dira plus loin [Christ], est avec moi 16. Cependant Nicodčme ne dit pas assez, car il croyait que le Christ naccomplissait pas ces signes par son propre pouvoir, mais quIl avait besoin dune puissance venant dailleurs, comme si Dieu navait pas été avec Lui par lunité de lessence, mais seulement par le don de la grâce. Ce qui est assurément faux, car Jésus accomplissait ces signes, non par un pouvoir venant dailleurs, mais par sa propre puissance; en effet la puissance de Dieu et celle du Christ sont la męme. La veuve de Sarepta [la résurrection de son fils] sexprime dune maničre semblable [celle de Nicodčme] quand elle dit ŕ Elie : A cela je reconnais mainte nant que tu es un homme de Dieu 17
13. Jean 1, 9.
14. Luc 21, 15. Cf Ps 36, 30" La bouche du juste médite la
sagesse".
15. 1 Sam 3, 19; 16, 18; 18, 12.
16. Jean 8, 29.
17. 1 Rs 17, 24.
JESUS
REPONDIT ET LUI DIT : "AMEN, AMEN JE TE LE DIS, PERSONNE, A MOINS DE
NAITRE DE NOUVEAU, NE PEUT VOIR LE REGNE 18 DE DIEU. " NICODEME LUI DIT :
"COMMENT UN HOMME PEUT-IL NAITRE QUAND IL EST VIEUX? PEUT-IL ENTRER UNE
SECONDE FOIS DANS LE SEIN DE SA MERE, ET RENAITRE?" JESUS REPONDIT :
"AMEN, AMEN JE TE LE DIS, PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE LEAU ET DE
LESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU. CE QUI EST NE DE LA
CHAIR EST CHAIR, ET CE QUI EST NE DE LESPRIT EST ESPRIT. " " AMEN,
AMEN JE TE LE DIS... "
430. Laffirmation de la nécessité de la régénération spirituelle est suscitée par lignorance de Nicodčme; cest pourquoi le Christ commence par dire AMEN, AMEN. Remarquons dabord ici que le mot Amen est hébreu. Le Christ la prononcé souvent et, par respect pour Lui, aucun traducteur ni grec ni latin na voulu le traduire. Tantôt Amen signifie "cest vrai" ou "en vérité", tantôt "quil en soit ainsi" [fiat]. Ainsi, dans les psaumes 71, 88 et 105, lŕ oů nous avons Fiat, fiat, lhébreu porte Amen, amen. Jean est le seul Evangéliste ŕ doubler ce mot. En voici la raison : les autres Evangélistes nous rapportent principalement ce qui a trait ŕ lhumanité du Christ, ce qui, étant plus facile ŕ croire, ne demandait quune affirmation moins appuyée; tandis que Jean traite principalement de ce qui relčve de la divinité du Christ et qui, étant caché et éloigné de la connaissance des hommes, avait besoin dętre affirmé avec plus de force.
18. Le mot latin regnum, qui traduit ici le grec basileia,
signifie ŕ la fois" rčgne" (lexercice du pouvoir royal) et"
royau me" (létat gouverné par un roi, cest-ŕ-dire ŕ la fois le
territoire et la communauté des personnes soumis ŕ son autorité). Tenant compte
de la maničre dont saint Thomas a lu les versets 3 et 5, nous traduisons le
premier regnum (v. 3) par" rčgne" et le second (v. 5) par"
royaume".
"PERSONNE,
A MOINS DE NAITRE DE NOUVEAU, NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU. "
431. Il faut remarquer ensuite que cette réponse du Christ, si lon ny réfléchit pas attentivement, semble ne pas correspondre du tout aux propos de Nicodčme. Comment en effet la parole de Nicodčme : RABBI, NOUS SAVONS QUE CEST DE LA PART DE DIEU QUE TU ES VENU... saccorde-t-elle avec la réponse du Seigneur :
PERSONNE, A MOINS DE NAITRE DE NOUVEAU, NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU? Rappelons-nous que Nicodčme avait du Christ une opinion imparfaite, puisquen ce maître qui accomplissait ces signes, il ne reconnaissait quun homme. Le Seigneur veut donc lui montrer comment il pourrait parvenir ŕ une plus haute connaissance de Lui. Sans doute le Seigneur aurait-Il pu ŕ ce sujet entamer une discussion; mais ceűt été donner dans la dispute, contredisant ainsi ce qui est écrit de Lui : Il ne disputera pas 19. Aussi est-ce avec douceur quIl voulut conduire Nicodčme ŕ la vraie connaissance. Sa réponse revient ŕ dire : Il nest pas étonnant que tu me croies seulement homme, car personne, ŕ moins davoir reçu la régénération spirituelle, ne peut connaître les secrets de la divinité : PERSONNE, A MOINS DE NAITRE DE NOUVEAU, NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU.
19. Isaďe 42, 2. Saint Thomas lit non contendet au lieu de non
clamabit (Vulgate). La Vetus latina de Sabatier porte également non clamabit,
mais on trouve non contendet chez certains auteurs, notamment Tertullien (voir
SABATIER, Latinae versiones antiquae. II, p. 585).
432. Il faut ici avoir
présent ŕ lesprit que, la vision étant une opération vitale, il y a diverses
visions correspondant aux divers [degrés] de vie. II y a en effet une vie charnelle qui est commune ŕ tous les
animaux, et cette vie possčde une vision ou une connaissance charnelle. Il y a
aussi une vie spirituelle par laquelle lhomme est conforme ŕ Dieu et aux ętres
spirituels saints; cette vie possčde une vision spirituelle. La vision
charnelle ne permet pas de voir les réalités spirituelles lhomme naturel ne
perçoit pas ce qui est de lEsprit de Dieu 20 , mais la vision
spirituelle les perçoit; cest pourquoi Paul dit aussi que nul ne connaît ce
qui est de Dieu, sinon lEsprit de Dieu 22. Or cest lEsprit qui
régénčre, et cest pourquoi lApôtre dit : Vous navez pas reçu un esprit de
servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit
dadoption 23. Et cet esprit, nous le recevons assurément par la régénération
spirituelle : Il nous a sauvés par le bain de régénération et de rénovation de
lEsprit Saint 23. Si donc il ny a de vision spirituelle que par lEsprit Saint et si
lEsprit Saint est répandu en nous par le bain de la régénération spirituelle,
alors nous ne pouvons VOIR LE REGNE DE DIEU que par le bain de la régénération.
Voilŕ pourquoi le Seigneur dira ensuite : A MOINS DE RENAITRE DE LEAU ET DE
LESPRIT SAINT, NUL NE PEUT EN TRER DANS LE ROYAUME DE DIEU comme sIl disait
: Il nest pas étonnant que tu ne voies pas LE REGNE DE DIEU, car nul ne peut
le voir sil ne reçoit lEsprit Saint, par qui il naît de nouveau comme fils de
Dieu.
433. Or, au rčgne nappartient pas seulement le trône royal, mais aussi tout ce qui regarde le gouvernement du roi : la dignité royale, le [privilčge] daccorder les grâces, et les voies de la justice qui font la solidité dun rčgne. Aussi le Christ dit-Il que [qui ne renaît pas] NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU, autrement dit la gloire et la dignité de Dieu, cest-ŕ-dire les mystčres du salut éternel oů le regard ne pénčtre que par la justice de la foi 24 Le Royaume [rčgne] de Dieu nest pas nourriture et boisson, il est justice, paix et joie dans lEsprit Saint 25.
20. 1 Corinthiens 2, 14. " Naturel" traduit animalis,
qui signifie ici " laissé aux seules ressources de sa nature".
21. 1 Corinthiens 2, 11.
22. Ro 8, 15.
23. Ti 3, 5.
Il y eut bien dans lancienne Loi une régénération spirituelle, mais elle était imparfaite et nétait quune figure Nos pčres ont tous été (...) baptisés en Moďse dans la nuée et dans la mer, cest-ŕ-dire : ils reçurent le baptęme en figure. Voilŕ pourquoi ils voyaient certes les mystčres du Royaume de Dieu, mais seulement en figures Cest dans la foi quils moururent tous sans avoir reçu lobjet des promesses, mais ils lont vu et salué de loin 27.
Dans la nouvelle Loi au contraire, la régénération spirituelle a été manifestée; elle est toutefois demeurée imparfaite, car nous ne sommes renouvelés par la grâce quintérieurement, nous ne le sommes pas extérieurement par lincorruptibilité Męme si notre homme extérieur se corrompt, notre homme intérieur se renou velle de jour en jour. Cest pourquoi nous voyons le Rčgne de Dieu et les mystčres du salut éternel, mais imparfaitement Nous voyons ŕ présent dans un mi roir, en énigme 29.
Cest dans la patrie que la régénération est parfaite, parce que nous y serons renouvelés intérieurement et extérieurement. Aussi verrons-nous le Royaume de Dieu parfaitement Nous verrons alors face ŕ face. Lors que le Seigneur se manifestera, nous Lui serons sembla bles, parce que nous Le verrons tel quIl est 31.
24. Ro 4, 11 et 13.
25. Ro 14, 17.
26. 1 Corinthiens 10, 2.
27. He 11, 13.
28. 2 Co 4, 16.
29. 1 Corinthiens 13, 12.
434. Il est donc manifeste
que, de męme quil faut ętre né pour posséder la vision corporelle, de męme on
ne peut posséder la vision spirituelle ŕ moins dętre né DE NOUVEAU, et quaux
trois modes de régénération [dont on vient de parler] correspondent trois modes de vision.
435. Remarquons que le texte grec ne dit pas "de nouveau", mais anothen, cest-ŕ-dire "den haut", que Jérôme a traduit par "de nouveau" (ce qui exprime la męme chose que "den haut"), pour signifier que cette génération sajoute ŕ la précédente. Ainsi Jérôme, en disant PERSONNE, A MOINS DE NAITRE DE NOUVEAU, a compris : PERSONNE, ŕ moins de naître une seconde fois, dune naissance surnaturelle, NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU.
Pour Chrysostome 32 NAITRE DEN HAUT est le propre du Fils de Dieu, car Lui seul est né den haut. Celui qui vient den haut est au-dessus de tous. Nous disons que le Christ est né den haut quant au temps (sil est permis de parler ainsi), parce quIl est engendré de toute éternité. Avant létoile du matin, je tai engendré et quIl est né DEN HAUT quant au principe de sa génération, parce quIl est sorti du Pčre qui est au-dessus des cieux; [c'est pourquoi Lui-męme dit] : Je suis descendu du ciel pour faire, non ma volonté, moi, mais la volonté de Celui qui ma envoyé. Or notre régénération spirituelle est ŕ limage de la génération du Fils de Dieu, car ceux que Dieu a connus davance, Il les a aussi prédestinés ŕ ętre conformes ŕ limage de son Fils. Par conséquent, puisque la génération du Christ est den haut, la nôtre lest aussi : selon le temps, par notre prédestination éternelle, car Dieu nous a élus en Lui dčs avant la fondation du monde 37; et en ce qui concerne le don [de Dieu], car [dira le Christ] nul ne peut venir ŕ moi si le Pčre qui ma envoyé ne lattire. Cest par grâce que vous ętes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu 39.
30. Ibid.
31. 1 Jean 3, 2.
32. Voir In loannem homiliae, 26, ch. 1, PG 59, col. 154, oů
saint Jean Chrysostome distingue la génération "selon la substance",
qui est celle du Fils unique, de la génération "selon la grâce", qui
est la nôtre. "Moi aussi, dit-il, je suis né de Dieu, mais je ne suis pas
né de sa substance" (ibid.).
33. Jean 3, 31.
34. Ps 109, 3.
NICODEME
LUI DIT : "COMMENT UN HOMME PEUT IL NAITRE QUAND IL EST VIEUX? PEUT-IL EN
TRER UNE SECONDE FOIS DANS LE SEIN DE SA MERE, ET RENAITRE?"
436. LEvangéliste expose
ici le mode de cette régénération spirituelle; ŕ ce sujet il rapporte dabord
une objection de Nicodčme [n°
437], puis la réponse du Christ [n° 440].
437. Au sujet de lobjection de Nicodčme, il faut sa voir que lhomme naturel ne perçoit pas ce qui vient de lEsprit de Dieu 40; aussi Nicodčme, encore charnel et naturel, ne put-il comprendre que dune maničre charnelle les paroles de Jésus. Cest pourquoi, ce que le Seigneur avait dit de la régénération spirituelle, lui lentendait dun nouvel engendrement charnel. Doů son interrogation : COMMENT UN HOMME PEUT-IL NAITRE QUAND IL EST VIEUX? Selon Chrysostome 41, Nicodčme a voulu faire une objection aux paroles du Sauveur. Mais son objection est dérisoire, car le Christ parle de la régénération spirituelle tandis que lobjection porte sur une renaissance charnelle. De męme sont dérisoires toutes les raisons alléguées pour attaquer les choses de la foi, parce quelles ne rejoignent pas lintention de lEcriture Sainte.
35. Jean 6, 38.
36. Ro 8, 29.
37. Eph 1, 4.
38. Jean 6, 44.
39. Eph 2, 8.
40. 1 Corinthiens 2, 14. Cf. ci-dessus, note 20.
438. Lobjection de Nicodčme aux paroles du Seigneur lhomme doit naître de nouveau était dou ble, en ce sens que ce quavait dit le Seigneur lui parais sait doublement impossible. Dabord ŕ cause de lirré versibilité de la vie humaine, car un homme ne peut, de la vieillesse, revenir ŕ lenfance; aussi Job dit-il : Je marche sur un chemin, celui de la vie présente, par lequel je ne reviendrai pas 42. Ainsi linterrogation de Nicodčme COMMENT UN HOMME PEUT-IL NAITRE QUAND IL EST VIEUX? revient ŕ dire : Deviendra-t-il ŕ nouveau enfant, pour renaître? [ne dit-il pas encore :] Lhomme ne reviendra plus dans sa maison, et son lieu ne le reconnaîtra plus? Ensuite ŕ cause du processus de la génération charnelle; les dimensions de lhomme, au commencement de sa génération, sont si réduites que le sein maternel peut le contenir; mais aprčs sa naissance elles ne cessent de saccroître peu ŕ peu, si bien que le sein maternel ne pourrait plus le contenir. Aussi Nicodčme dit-il : PEUT-IL RENTRER DANS LE SEIN DE SA MERE ET RENAITRE? ce qui revient ŕ dire : Non, car ce sein ne peut plus le contenir.
41. In loannem hom., 25, ch. 1, col. 149.
42. Jb 16, 23.
43. Jb 7, 10.
439. Mais ces objections sont sans portée dans le cas de la génération spirituelle; en effet, si vieilli quil soit spirituellement par le péché Parce que je me suis tu [PARCE que jai tu mon péché], mes os ont vieilli 44 , lhomme peut, avec le secours de la grâce divine, redevenir jeune Le Seigneur, qui pardonne toute tes offenses (...), renouvellera ta jeunesse comme celle de laigle 45 et, si grand quil soit, il peut, par le sacrement de baptęme, entrer dans le sein spirituel, celui de lEglise. Quil y ait un sein spirituel, cest manifeste : autrement il ne serait pas dit dans lEcriture : De mon sein, avant létoile du matin, je tai engendré 46.
Néanmoins il y a bien dans ce
quexprime Nicodčme une certaine similitude avec la génération spirituelle. En
effet, de męme que lhomme, une fois né selon la chair, ne peut plus naître, de
męme, une fois né spirituellement par le baptęme, le chrétien ne peut naître de
nouveau, en ce sens quil ne doit pas ętre bapti sé de nouveau : "Il y
a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptęme".
[5]
JESUS REPONDIT : "AMEN, AMEN JE TE LE DIS, PERSONNE, A MOiNS DE RENAITRE
DE LEAU ET DE LESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU. "
440. LEvangéliste rapporte ici la réponse du Christ, dans laquelle on peut distinguer trois moments. Le Christ, en effet, commence par réduire ŕ rien les objec tions de Nicodčme en montrant la qualité de la régénéra tion [n° 441]; puis Il sexplique par un raisonnement [n° 4471; enfin Il donne une image [n° 449].
44. Ps 31, 3.
45. Ps 102, 3 et 5.
46. Ps 109, 3.
47. Eph 4, 5.
441. Le Christ réduit donc ŕ rien les objections de Nicodčme, en montrant que la régénération dont Il parle est spirituelle et non charnelle : AMEN, AMEN JE TE LE DIS, PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE LEAU ET DE LESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU, comme sIl disait : Toi, tu penses ŕ une régénération charnelle, mais moi, je par le dune régénération spirituelle.
Remarquez que, plus haut, le
Seigneur avait dit NE PEUT VOIR LE REGNE DE DIEU; alors quici Il dit : NE PEUT
ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU. Cela revient au męme, car nul ne voit ce qui
appartient au Rčgne de Dieu, sil ne pénčtre dans le Royaume de Dieu; et il
voit dans la mesure oů il pénčtre 48 Au vainqueur je donnerai un caillou blanc, et sur ce caillou se
trouve écrit un nom nouveau que nul ne connaît, sinon celui qui le reçoit 49.
442. Que la régénération spirituelle se fasse par lEsprit, cela sexplique. Car lengendré doit ętre engendré semblable ŕ celui qui lengendre; or la régénération qui fait de nous des fils de Dieu nous rend semblables au Fils véritable : il faut donc que la régénération se fasse par ce par quoi nous sommes rendus semblables au Fils véritable; et nous Lui sommes rendus semblables du fait que nous avons son Esprit Si quelquun na pas lEsprit du Christ, il ne Lui appartient pas 50. A ceci nous savons que nous demeurons en Lui et Lui en nous, ŕ ce quIl nous a donné de son Esprit 51. Il faut donc que la régénération spirituelle se fasse par lEsprit Saint Vous navez pas reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit dadoption 52 Cest lEsprit qui vivifie... 53.
48. Cf. JEAN SCOT ERIGČNE, op. cit., III, u, p. 209 "Voir
le Royaume de Dieu et entrer (introtre) dans le Royaume de Dieu ne sont pas
deux choses, mais une seule et męme chose. Quiconque voit le Royaume de Dieu y
entre (intrat); qui conque y entre le voit. Voir, cest entrer (intrare);
entrer, cest voir, autrement dit, cest connaître la vérité. " Comme on
peut le voir, E. Jeauneau, dans sa traduction, ne fait pas de différence entre
introire et intrare. Nous avons cru bon, dans la nôtre, de traduire le introire
de lévangile par "entrer", et le intrare du commentaire de saint
Thomas par" pénétrer".
49. Ap 2, 17.
50. Ro 8, 9.
443. A cette régénération leau également est nécessaire, pour trois raisons. Dabord ŕ cause de la condition de la nature humaine. Lhomme est en effet composé dune âme et dun corps; si dans cette régénération lEsprit seul était présent, seul apparaîtrait régénéré ce qui est spirituel dans lhomme. Il faut donc, pour que la chair aussi soit régénérée, que, comme lEsprit est lŕ pour régénérer lâme, il y ait de męme quelque chose de corporel pour régénérer le corps, et cest leau.
Leau est nécessaire aussi ŕ cause de la connaissance humaine. Selon Denys en effet, "la Sagesse divine ordon ne toutes choses en sorte de pourvoir ŕ chacun conformément ŕ sa nature" 54. Or lhomme est naturellement capable de connaître; il faut donc que les dons spirituels soient accordés aux hommes de telle maničre quils les connaissent Nous avons reçu (...) LEsprit qui est de Dieu, afin de connaître les dons qui nous ont été faits par Dieu. Mais le mode naturel de cette connaissance est de saisir les choses spirituelles par les sensibles, puisque toute notre connaissance commence par les sens. Il fallait donc, pour que nous comprenions ce qui est spi rituel dans cette régénération, quil y eűt en elle quelque chose de sensible et de matériel, leau, grâce ŕ quoi nous comprenions que le baptęme lave et purifie intérieurement lesprit de lhomme, comme leau lave et purifie extérieurement le corps.
51. 1 Jean 4, 13.
52. Ro 8, 15.
53. Jean 6, 63.
54. Cette phrase, attribuée ici ŕ Denys, se retrouve une autre
fois (une seule) dans luvre de saint Thomas : dans la Somme théologique, oů
elle est légčrement différente (III, q. 61, a. 1, c : "il appartient ŕ la
Providence divine de pourvoir ŕ toute réalité selon sa nature"). La IlIa
pars de la Somme étant trčs probablement postérieure ŕ ce passage du
commentaire sur saint Jean, on peut se demander si saint Thomas ny a pas
volontairement omis la référence ŕ Denys. Faute davoir trouvé chez celui-ci
cette phrase exacte, nous renvoyons aux Noms divins, ch. 4, § 33, oů Denys dit
que la Providence sexerce ŕ légard de chaque ętre de la façon qui convient
proprement ŕ cet ętre (uvres complčtes du Pseudo-Denys l'Aréopagite, p. 126;
voir aussi Lettre IX, § 3, p. 356; PG 3, col. 734 et 1110).
Enfin, leau est nécessaire parce que cela convient ŕ la cause de notre régénération, qui est le Verbe incar né. Cest Lui qui a donné ŕ tous ceux qui Lont reçu le pouvoir de devenir enfants de Dieu 56. Il convient donc que, dans les sacrements qui tiennent leur efficacité de la puissance du Verbe incarné, il y ait quelque chose qui corresponde au Verbe et quelque chose de corporel qui corresponde ŕ la chair ou au corps. Ainsi en est-il spécialement de leau dans le sacrement du baptęme par elle nous sommes configurés ŕ la mort du Christ en étant plongés trois fois en elle lors du baptęme, com me le Christ fut trois jours dans le sein de la terre. Nous avons en effet été ensevelis avec Lui par le baptęme dans la mort 58.
Ce mystčre avait été symbolisé au début de la création, lorsque lEsprit du Seigneur planait sur les eaux. Mais le contact de la chair trčs pure du Christ conféra aux eaux une vertu plus grande; car au commencement, les eaux produisaient le reptile ŕ lâme vivante 60; mais, du fait que le Christ a été baptisé dans le Jourdain, leau rend les âmes spirituelles.
55. 1 Corinthiens 2, 12.
56. Jean 1, 12.
57. Cf. Phi 3, 10.
58. Ro 6, 4.
59. Gn 1, 2.
60. Gn 1, 1 et 20. Commentant luvre du cinquičme jour (c que
les eaux produisent des reptiles doués dâme vivante") et la comparant ŕ
luvre du sixičme jour (que la terre produise une âme vivante... "),
saint Basile montrait que les poissons nont qu" une vie
imparfaite", et cest pourquoi ils" ont été créés avec des corps
animés", tandis que pour les animaux terrestres, dont" la vie est
plus parfaite", "lordre divin spécifia que fűt produite une âme qui
gouvernerait leur corps" (Homélies sur lHexaéméron, VIII, 1, SC 26, pp. 431
et 433). Saint Thomas, dans la Somme théologique, distingue divers degrés de
vie en se référant ŕ ce texte de saint Basile, tout en le corrigeant voir I, q.
72, art. unique, ad 1.
444. Les paroles du Christ
PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE LEAU ET DE LESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER
DANS LE ROYAUME DE DIEU mon trent clairement que lEsprit Saint est Dieu. En
effet le Verbe a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ŕ ceux qui ne sont
nés ni du sang, ni dun vouloir de chair, ni dun vouloir dhomme, mais de Dieu
61. A partir de ces textes on peut former ce raisonnement : Celui de qui
les hommes renaissent spirituellement est Dieu; or, comme on le dit ici, les
hommes renaissent par lEsprit Saint; donc lEsprit Saint est Dieu.
445. Mais ici deux questions se posent. La premičre est celle-ci : si nul nentre dans le Royaume de Dieu ŕ moins de renaître de leau, nos pčres de lAncien Testament, qui ne sont pas renés de leau puisquils nont pas été baptisés, ne sont donc pas entrés dans le Royaume de Dieu.
La seconde question est la suivante. Il y a trois baptęmes : celui du sang, celui du feu et celui de leau. Or beaucoup ont été baptisés des deux premiers et nous disons quils sont entrés aussitôt dans le Royaume de Dieu (bien quils ne soient pourtant pas renés de leau). Il semble donc que ces paroles : PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE LEAU ET DE LESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU, ne soient pas vraies.
En ce qui concerne la premičre question, il faut [n° 5] savoir que la régénération par leau et lEsprit Saint se fait de deux maničres : en vérité et en figure. Les anciens pčres, bien quils naient pas été régénérés de la véritable régénération, renaquirent cependant dune régénération figurative, car ils eurent toujours un signe sensible dans lequel était préfigurée la vraie régénération; et renés grâce ŕ ce signe, ils entrčrent dans le Royaume de Dieu, une fois payé le prix [de la Rédemption].
A la seconde question il faut répondre que ceux qui renaissent par le baptęme du sang et du feu, bien quils naient pas la régénération de leau en acte, lont néan moins par le désir; autrement, en effet, le baptęme du sang serait sans valeur et le baptęme de lEsprit ne pourrait exister.
Ainsi donc, pour que lhomme
entre dans le Royau me de Dieu, il faut quil y ait baptęme deau, soit réel
lement, comme cest le cas de tous les baptisés; soit par le désir, comme cest
le cas des martyrs et des catéchu mčnes "que la mort a emportés avant
laccomplissement de leur désir"; soit en figure, comme pour les
anciens pčres.
446. De ces paroles : PERSONNE, A MOINS DE RENAITRE DE LEAU ET DE LESPRIT SAINT, NE PEUT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU, les Pélagiens ont conclu faussement que les enfants sont baptisés, non certes pour ętre purifiés des péchés que, daprčs eux, ils nont pas encore, mais afin de pouvoir entrer dans le Royaume de Dieu. Mais cela est faux; car, comme le dit Augustin, il ne convient pas que limage de Dieu, cest-ŕ-dire lhomme, soit privé du Royaume de Dieu si ce nest ŕ cause dun empęchement; or il ne peut y avoir [d'autre obstacle au Royaume de Dieu] que le péché. Il faut donc que, chez les enfants privés du Royaume, il y ait un péché, et cest le péché originel 62.
62. Voir SAINT AUGUSTIN, De baptismo parvulorum, ch. 30, PL 44,
col. 142.
61. Jean 1, 12-13.
"CE
QUI EST NE DE LA CHAIR EST CHAIR, ET CE QUI EST NE DE LESPRIT EST ESPRIT. "
447. Le Seigneur prouve ici
par un raisonnement la nécessité de naître de leau et de lEsprit Saint. Son
raisonnement est le suivant. Nul ne peut parvenir au Royaume de Dieu sil nest
rendu spirituel; mais on ne peut devenir spirituel que grâce ŕ lEsprit Saint;
donc, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu sil ne renaît de lEsprit
Saint. Le Seigneur dit donc : CE QUI EST NE DE LA CHAIR EST CHAIR, cest-ŕ-dire
que la naissance selon la chair fait naître ŕ une vie charnelle Ce nest pas
ce qui est spirituel qui a été fait dabord, mais ce qui est charnel; ensuite
ce qui est spirituel. Le premier homme, tiré de la terre, est terrestre, le
second, venu du ciel est céleste 63 ; et CE QUI EST NE DE LESPRIT, cest-ŕ-dire de la puissance de
lEsprit Saint, est esprit, cest-ŕ-dire spirituel.
448. Remarquons que la préposition "de" [la chair, DE lEsprit] désigne soit la cause matérielle, comme lorsque je dis : "le couteau de fer", soit la cause efficiente : "la maison est [de larchitecte". On peut donc comprendre de deux maničres CE QUI EST NE DE LA CHAIR EST CHAIR : selon la causalité efficiente et selon la causalité matérielle. Selon la causa lité efficiente, car cest la puissance présente dans la chair qui est capable dętre cause efficiente de la génération; selon la causalité matérielle, puisque cest quelque chose de charnel qui est chez les animaux la matičre de la réalité engendrée. Quant ŕ lesprit, on ne dit pas que de lui naisse quelque chose selon la causalité matérielle, puisque lesprit est immuable, alors que la matičre est le sujet du changement; mais on le dit selon la causalité efficiente.
Daprčs ce qui précčde on peut donc parler dune triple génération. La premičre est de la chair selon les causes matérielle et efficiente, et est commune ŕ tous ceux dont la condition est dętre charnel. La seconde est de lEsprit selon la cause efficiente : nous y sommes régénérés comme fils de Dieu par la grâce de lEsprit Saint, et rendus spirituels. La troisičme, intermédiaire entre les deux, est de la chair uniquement selon la causalité matérielle, et est de lEsprit Saint selon la causa lité efficiente : elle est unique et propre au Christ. Il tient en effet sa chair, selon la causalité matérielle, de la chair de la mčre dont il naît; et, selon la causalité efficiente, de lEsprit Saint 64 Ce qui a été engendré en elle vient de lEsprit Saint. Aussi est-Il né saint : LEs prit Saint surviendra en toi, et la puissance du Trčs-Haut te prendra sous son ombre; cest pourquoi le saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu 65.
63. 1 Corinthiens 15, 46-47.
64. Mt 1, 20.
65. Luc 1, 35.
7
"Ne tétonne pas que je taie dit : Il vous faut naître de nouveau. 6 Le
vent souffle oů il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais doů il vient
ni oů il va : ainsi en est-il de quiconque est né de lEsprit. " Nicodčme
répondit et Lui dit : "Comment cela peut-il se faire?" Il répondit et
lui dit : "Tu es docteur en Israël et tu ignores ces choses? 11 Amen, amen
je te le dis, nous parlons de ce que nous savons et nous témoignons de ce que
nous avons vu; et notre témoignage, vous ne le recevez pas. 12 quand je vous
parle des choses de la terre, vous ne croyez pas, quand je vous parlerai des
choses du ciel, comment croirez-vous? 13 Et personne nest monté au ciel, si ce
nest Celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme qui est au ciel. 14 Et
comme Moďse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit élevé le
Fils de lhomme, 15 que tout homme qui croit en Lui ne périsse pas, mais quil
ait la vie éternelle. "
[7-8]
"NE TETONNE PAS QUE JE TAIE DIT : IL VOUS FAUT NAITRE DE NOUVEAU. LE
SOUFFLE SOUF FLE OU IL VEUT, ET TU ENTENDS SA VOIX, MAIS TU NE SAIS D'OŮ IL
VIENT NI OU IL VA : AINSI EN EST-IL DE QUICONQUE EST NE DE LESPRIT. "
449. Le Seigneur a prouvé plus haut [n° 440] par un raisonnement [la nécessité de] la génération spirituel le; Il donne maintenant une image.
"NE
TETONNE PAS QUE JE TAIE DIT : IL VOUS FAUT NAITRE DE NOUVEAU. "
Ces paroles laissent entendre que Nicodčme, ŕ ces mots : CE QUI EST NE DE LESPRIT EST ESPRIT, fut pris dun doute qui le troubla; voilŕ pourquoi le Seigneur lui dit : NE TETONNE PAS QUE JE TAIE DIT : IL VOUS FAUT NAITRE DE NOUVEAU.
1. Spiritus spirat, traduisant le grec pneűma pneî. Les mots spiritus et pneűma (comme le mot hébreu ruah) peuvent signifier ŕ la fois le souffle, le vent et lesprit. La traduction de spiritus par "souffle" dans ce verset de saint Jean nest pas satisfaisante, la signification du mot français étant plus restreinte que celle du mot latin; elle permet cependant de ne pas opter demblée pour une interprétation, ce qui serait gęnant puisque lexégčse de saint Thomas (reprenant celle des Pčres) va distinguer deux sens du mot spiritus.
Précisons ici quil y a deux sortes détonnement. Lun relčve dune attitude intérieure de religion : cest létonnement de celui qui, considérant les merveilles de Dieu 2, reconnaît quelles sont pour lui incompréhensibles, ce qui lamčne ŕ sétonner, ŕ admirer Le Seigneur, dit le psalmiste, est admirable dans les hauteurs 3; et encore : Tes témoignages sont admirables 4. A cet étonnement il faut amener les hommes, plutôt que de les en détourner.
Lautre sorte détonnement relčve de lincrédulité; cest [L'attitude de] celui qui, ne croyant pas ce qui lui est dit, sétonne. Cest en ce sens quil est dit que [habitants de Nazareth, entendant Jésus enseigner dans leur synagogue,] étaient saisis détonnement devant son enseignement et se scandalisaient ŕ son sujet 5. Cest cet étonnement que le Seigneur veut éviter ŕ Nicodčme en prenant une image.
"LE
SOUFFLE SOUFFLE OU IL VEUT, ET TU EN-[8a] TENDS SA VOIX, MAIS TU NE SAIS D'OŮ
IL VIENT NI OU IL VA. "
On peut, sans changer la
teneur de ces paroles, les expliquer au sens littéral de deux maničres.
450. Selon Chrysostome 6, le mot SOUFFLE désigne le vent, comme dans le psaume Souffles de tempęte, qui accomplissez sa parole.... Selon cette interprétation, le Seigneur affirme quatre choses au sujet du vent. Dabord sa puissance : LE SOUFFLE SOUFFLE OU IL VEUT, cest-ŕ-dire : le vent souffle dans la direction quil veut. Et si lon objecte que le vent na pas de volonté, il faut répondre que lon parle ici de "vouloir" pour désigner un appétit naturel, qui nest rien dautre quune inclination naturelle. La "volonté" du vent est donc ici son inclination naturelle, dont il est dit : [Dieu] qui donna du poids aux vents 8. Le Seigneur men tionne ensuite un signe indiquant la présence du vent ET TU ENTENDS SA voix, autrement dit le bruit que fait le vent en heurtant un corps, et dont le psaume parle ainsi : Voix de ton tonnerre dans le tourbillon. Il parle ensuite de lorigine du vent, qui est cachée : MAIS TU NE SAIS D'OŮ IL VIENT, cest-ŕ-dire doů il se lčve [tire le vent de ses trésors 10. Il parle enfin du terme [son mouvement], qui est également caché : tu ne sais OU IL VA, cest-ŕ-dire jusquoů il continue de souffler. Puis le Seigneur applique cette comparaison ŕ ce quIl veut enseigner, en disant : AINSI EN EST-IL DE QUICONQUE EST NE DE LESPRIT. Autrement dit : Si le vent, qui est corporel, a une origine cachée, et si sa course ne peut ętre connue, comment tétonnes-tu de ne pouvoir connaître le processus 11 de la régénération spirituelle?
2. Sir 18, 5; 2 Mac 3, 34; Ac 2, 11.
3. Ps 92, 4.
4. Ps 118, 129.
5. Mt 13, 54 et 57.
6. In loannem hom., 26, ch. 2, PG 59,
col. 154-155.
7. Ps 148, 8.
8. Jb 28, 25.
9. Ps 76, 19.
10. Ps 134, 7.
11. Dans cette phrase, cest le męme mot latin, processus, qui
est rendu en français par "course" (la course du vent) et
"processus".
451. Cependant Augustin fait ŕ cette interprétation lobjection suivante. En disant que LE SOUFFLE SOUFFLE OU IL VEUT, le Seigneur ne pensait pas au vent, car de nimporte quel vent nous savons D'OŮ IL VIENT et OU IL VA. Le vent du midi, en effet, vient du sud et va vers le nord; et, inversement, lAquilon va du nord au midi. Comment donc le Seigneur dirait-Il du vent corporel : TU NE SAIS D'OŮ IL VIENT NI OU IL VA? 12
12. Voir SAINT AUGUSTIN, Homélies sur lEvangile de saint Jean
(cité désormais sous labréviation Tract. in b.), XII, 7, BA 71, pp. 645-647.
Mais ŕ cela on peut répondre que le principe du vent peut ętre
connu de deux maničres. En général, et de cette maničre on sait DOŮ IL VIENT,
cest-ŕ-dire de quelle partie du monde : ainsi on sait que le vent du midi
vient du sud; et OU IL VA vers le nord. En parti culier, et de cette maničre on
ne sait pas DOŮ IL VIENT, cest-ŕ-dire de quelle région précise il se lčve; ni
OU IL VA, cest-ŕ-dire en quelle région précise du monde il sarręte. Presque
tous les Pčres grecs sont daccord avec Chrysostome sur cette interprétation.
452. Selon lautre explication [Littérale], le mot SOUFFLE désigne lEsprit Saint, au sujet duquel le Christ affirme quatre choses. En premier lieu sa puissance, lorsquIl dit : LE SOUFFLE [L'ESPRIT] SOUFFLE OU IL VEUT. Car cest en vertu du libre arbitre de sa puissance quIl souffle OU IL VEUT et quand Il veut, en illuminant les curs des hommes Tout cela [dit Paul en parlant des dons spirituels], cest un seul et męme Esprit qui lopčre, distribuant ŕ chacun comme Il le veut 13. Par lŕ est réfutée lerreur de Macédonius 14, qui soutenait que lEsprit Saint est le serviteur du Pčre et du Fils; en effet, [s'il létait], Il ne soufflerait pas oů Il veut, mais lŕ oů on Lui donnerait ordre de le faire.
13. 1 Corinthiens 12, 11.
14. Evęque de Constantinople de 342 ŕ 359, Macédonius semble
navoir commencé ŕ faire figure dhérésiarque quaprčs sa mort, oů saint Jérôme
et le pape saint Damase, les premiers, lui attribučrent la paternité de
lerreur soutenue par ceux qui furent appelés "macédoniens". Lenseignement
des macédoniens se rapporte surtout ŕ la personne du Saint-Esprit, ŕ qui ils
refusent de donner le titre de Dieu parce que nulle part lEcriture ne dit
quIl est Dieu. LEsprit Saint, pour eux, nest donc pas Dieu, mais Il nest
pas non plus une créature comme les autres; Il occupe une position
intermédiaire (et imprécise) entre Dieu et les créatures (voir VACANT et
MANGENOT, Dictionnaire de théologie catholique, IX, col. 1464-1478).
453. Le Christ donne
ensuite un signe indiquant [la présence] du Saint-Esprit, en disant : ET TU ENTENDS SA VOIX Aujourdhui [disait le psaume], si vous en tendez sa
voix, nendurcissez pas vos curs 15. Mais Chrysostome 16 fait ici une
objection. Ces paroles, estime-t-il, ne peuvent sentendre de lEsprit Saint;
car le Seigneur parlait avec Nicodčme qui ne croyait pas encore et qui, de ce
fait, nétait pas capable dentendre la voix de lEsprit Saint 18 Mais ŕ cela il
faut répondre, selon Augustin 19, en distinguant deux voix de lEsprit Saint : lune qui parle
intérieurement, dans le cur de lhomme, et que seuls les croyants et les
saints entendent; cest delle quil est question dans ce psaume : Jécouterai [ou jentendrai] ce que dit en moi le
Seigneur Dieu 20. Lautre par laquelle lEsprit Saint parle dans lEcriture ou par la
bouche des prédicateurs, selon ce qui est dit dans lEvangile : Ce nest pas
vous qui parlez, mais lEsprit de votre Pčre qui parle en 21 et cette
voix-lŕ, les incroyants et les pécheurs eux-męmes lentendent.
454. Le Christ, en
troisičme lieu, évoque lorigine de lEsprit Saint, qui est cachée : TU NE SAIS
DOŮ IL VIENT, bien que tu entendes sa voix. Pourquoi cela? Parce quIl vient
du Pčre et du Fils Quand viendra le Paraclet que moi, je vous enverrai
dauprčs du Pčre, lEsprit de vérité qui procčde du Pčre.... Or le Pčre et le
Fils habitent une lumičre inaccessible quaucun homme na vue ni ne peut voir 26.
455. Le Christ parle enfin du terme [de laction] de lEsprit, qui est certes caché TU NE SAIS OU IL VA , parce quil conduit ŕ une fin cachée : la béatitude éternelle. Cest pourquoi il est dit que l'Esprit Saint est le gage de notre héritage 24 et que lil na pas vu, loreille na pas entendu, le cur de lhomme na pas conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui Laiment. Ou encore, les paroles TU NE SAIS D'OŮ IL VIENT NI OU IL VA peuvent vouloir dire : Tu ne sais comment Il pénčtre dans lhomme, ni ŕ quelle perfection il le con duit. SIl vient ŕ moi, je ne Le verrai pas 26.
"AINSI
EN EST-IL DE QUICONQUE EST NE DE [8b] LESPRIT. "
456. Autrement dit : celui qui est né de lEsprit est comme lEsprit Saint. Et cela na rien détonnant, puis que, comme le Christ lavait dit précédemment, ce qui est né de lEsprit est esprit v. En effet, lhomme spirituel a en lui les propriétés de lEsprit Saint, comme le charbon ardent a en lui celles du feu; et celui qui est né de lEsprit Saint a en lui les quatre propriétés de lEsprit dont on a parlé plus haut. Il possčde en effet, en premier lieu, la liberté 28. Oů est lEsprit du Seigneur, lŕ est la liberté, car lEsprit du Seigneur conduit ŕ ce qui est droit : Ton bon esprit me conduira dans une voie droite 29, et Il libčre de lesclavage du péché et de la loi La loi de lEsprit de vie qui est dans le Christ Jésus ma libéré de la loi du péché et de la mort 30. En second lieu, il y a un signe qui dénote lhomme spirituel cest sa voix, lintonation de ses paroles : en lentendant on reconnaît quil est spirituel La bouche parle de labondance du cur 31. Enfin, lhomme spirituel a une origine et une fin cachées, car nul ne peut le juger : Lhomme spirituel juge de tout et nest lui-męme jugé par personne 32.
On peut dire encore que TU NE SAIS DOÚ IL VIENT NI OU IL VA signifie : Tu ignores le principe de sa naissance spirituelle, qui est la grâce baptismale, et tu ne sais pas de quoi il est rendu digne, cest-ŕ-dire la vie éternelle, qui test encore cachée.
15. Ps 94, 8.
16. In loannem hom., loc. cit., col. 155.
17. Il sagit ici de la foi pléničre, la foi dans le Christ.
18. Cf. ORIGČNE, X, XLIII, § 300, SC 157, pp. 567-569"
Comment peut-on dire de quelquun quil croit vraiment en lEcriture sans voir
en elle le sens du Saint-Esprit que Dieu veut que lon croie plutôt que
lintention de la lettre?"
19. Voir Quaestiones ex Novo Testamento, q.
59, PL 35, col. 2251.
20. Ps 84, 9.
21. Mt 10, 20.
22. Jean 15, 26.
23. 1 Tin 6, 16. Saint Thomas lit ici (comme déjŕ au n° 210 et
plus loin au n° 491)" lucem inaccessibilem, quam (au lieu de quem) nullus
hominum vidit", le relatif se rapportant alors ŕ la lumičre et non ŕ Dieu.
Cette lecture nest attestée nulle part par Sabatier (Latinae versiones
antiqaae, III, p. 879). Lorsquil commente ce verset de saint Paul, saint
Thomas souligne que la lumičre que Dieu habite "est inaccessible,
cest-ŕ-dire non visible des yeux de la chair", mais il lit quem et non
quam, et commente le verset en conséquence (voir Super primam epistolam ad
Timotheum lectura, 6, leç. 3, n° 268).
24. Eph 1, 14.
25. 1 Corinthiens 2, 9.
26. lb 9, 11.
27. In 3, 6.
II
NICODEME
REPONDIT ET LUI DIT : "COMMENT CELA PEUT-IL SE FAIRE?" JESUS REPONDIT
ET LUI DIT : "TU ES DOCTEUR EN ISRAEL, ET TU IGNORES CES CHOSES? AMEN,
AMEN JE TE LE DIS, NOUS PARLONS DE CE QUE NOUS SAVONS ET NOUS TEMOIGNONS DE CE
QUE NOUS AVONS VU; ET NOTRE TEMOIGNAGE, VOUS NE LE RECEVEZ PAS. SI, QUAND JE
VOUS PARLE DES CHOSES DE LA TERRE, VOUS NE CROYEZ PAS, QUAND JE VOUS PARLERAI
DES CHOSES DU CIEL, COMMENT CR0IREZ-VOUS? ET PERSONNE NEST MONTE AU CIEL, SI
CE NEST CELUI QUI EST DESCENDU DU CIEL, LE FILS DE LHOMME QUI EST AU CIEL. ET
COMME MOĎSE ELEVA LE SERPENT DANS LE DESERT, AIN SI FAUT-IL QUE SOIT ELEVE LE
FILS DE LHOMME, POUR QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS, MAIS
QUIL AIT LA VIE ETERNELLE. "
457. LEvangile va nous révéler maintenant la cause de la régénération spirituelle et sa raison [ultime], cela ŕ travers une interrogation de Nicodčme [n° 458] et la réponse du Seigneur [n° 459].
NICODEME
REPONDIT ET LUI DIT : "COMMENT [9] CELA PEUT-IL SE FAIRE?"
458. Cette interrogation montre bien que Nicodčme, étant encore ignorant, étant encore un Juif enfermé dans le sensible, ne pouvait comprendre les mystčres du Christ ni par des images, ni par des raisonnements.
Notons quil y a deux maničres dinterroger. Certains, en effet, interrogent par manque de confiance. Ce fut le cas de Zacharie : A quoi connaîtrai-je cela? Car je suis vieux... 34; et cest pourquoi il fut puni Dieu réduit ŕ rien ceux qui scrutent ses secrets 35. Dautres au contraire interrogent parce quils désirent intensément apprendre, comme le fit la Bienheureuse Vierge lorsquelle dit ŕ lange : Comment cela se fera-t-il, puis que je ne connais pas dhomme? 36 et ceux-ci sont instruits. Cest donc parce quil avait interrogé avec le désir intense dapprendre que Nicodčme mérita dętre instruit. La suite le montre bien.
28. 2 Co 3, 17.
29. Ps 142, 10
30. Ro 8, 2.
31. Mt 12, 34.
32. 1 Corinthiens 2, 15.
33. Voir n" 423.
34. Le 1, 18.
35. Isaďe 40, 23.
36. Luc 1, 34.
[10]
JESUS REPONDIT ET LUI DIT : "TU ES DOCTEUR EN ISRAEL, ET TU IGNORES CES
CHOSES?"
459. Avant de répondre ŕ
linterrogation de Nicodčme [n°
465], le Seigneur lui reproche sa lenteur desprit [n° 460].
460. Il la lui reproche
pour trois raisons. Dabord ŕ cause de la condition męme de la personne ŕ qui
Il sadresse, en lui disant : TU ES DOCTEUR EN ISRAËL. Ce faisant, le Seigneur
ne reprend pas Nicodčme pour linsulter; mais Il voulait, parce que Nicodčme se
fiait encore ŕ sa fonction de docteur et comptait trop sur sa propre science,
faire de lui, en lhumiliant, la demeure de lEsprit Saint Vers qui
regarderai-je, sinon vers le pauvre, celui dont lesprit est brisé et qui
tremble ŕ ma parole? 37. Et Il souligne : TU ES
DOCTEUR; car sil est admissible quun homme simple ne puisse saisir les choses
profondes, cela serait tout ŕ fait répréhensible de la part dun homme chargé
denseigner, dun docteur. Jésus dit donc ŕ Nicodčme : TU ES DOCTEUR, mais de
la lettre qui tue 38, EN ISRAEL, et CES CHOSES, cest-ŕ-dire les choses spirituelles, TU
LES IGNORES? Alors quavec le temps vous devriez ętre devenus des maîtres [des docteurs], vous avez encore
besoin quon vous enseigne les premiers éléments des paroles de Dieu 39.
461. On pourrait objecter que le Seigneur aurait ŕ juste titre reproché ŕ Nicodčme sa lenteur desprit sIl lui avait parlé de lancienne loi et que Nicodčme neűt pas compris; mais que, ici, Il lui a parlé de la loi nouvelle. A cela il faut répondre que ce que le Seigneur dit de la génération spirituelle est contenu dans lancienne loi, mais en figure. Paul dit en effet que tous ont été baptisés en Moise dans la nuée et dans la mer 40; et les prophčtes aussi lavaient dit : Je verserai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et de toutes vos idoles je vous purifierai 41.
37. Isaďe 66, 2.
38. 2 Co 3, 6.
39. He 5, 12.
AMEN,
AMEN JE TE LE DIS, NOUS PARLONS DE CE QUE NOUS SAVONS ET NOUS TEMOIGNONS DE CE
QUE NOUS AVONS VU; ET NOTRE TEMOIGNAGE, VOUS NE LE RECEVEZ PAS.
462. La seconde raison de reprocher ŕ Nicodčme sa lenteur est la condition de Celui qui lui parle. En effet, que lon nacquiesce pas aux paroles dun ignorant, cest admissible; mais sopposer ŕ ce que dit un homme sage et dune grande autorité, cela est intolérable. Voilŕ pourquoi le Christ dit : AMEN, AMEN JE TE LE DIS, NOUS PARLONS DE CE QUE NOUS SAVONS ET NOUS TEMOIGNONS DE CE QUE NOUS AVONS VU; car ce qui est exigé pour quun témoin soit digne de foi, cest quil rende témoignage de ce quil a entendu ou de ce quil a vu : Ce que nous avons vu et ce que nous avons entendu, nous vous lannonçons 42. Aussi le Seigneur dit Il lun et lautre : NOUS PARLONS DE CE QUE NOUS SAVONS ET NOUS TEMOIGNONS DE CE QUE NOUS AVONS VU. Or le Seigneur, en tant quhomme, sait tout Seigneur, tu sais tout... 43 Seigneur, toi qui possčdes la science sainte, tu le sais manifestement... 44. Mais, en outre, Il voit toutes choses par la connaissance quIl a en tant que Dieu : Ce que jai vu auprčs de mon Pčre, je le dis 45. Du reste, Il dit au pluriel NOUS PARLONS DE CE QUE NOUS SAVONS ET NOUS TEMOIGNONS DE CE QUE NOUS AVONS VU, pour faire entendre par lŕ le mystčre de la Trinité Le Pčre qui demeure en moi fait Lui-męme les uvres 46. Ou bien encore, en disant CE QUE NOUS SAVONS, Il parle de Lui-męme et dautres, de ceux qui ont été rendus spirituels, puisque Personne ne connaît le Pčre, si ce nest le Fils et celui ŕ qui le Fils aura voulu Le révéler 47. Et cependant, ajoute-t-Il, notre témoignage, ainsi éprouvé et solidement établi, VOUS NE LE RECEVEZ PAS. Et de nouveau, plus loin, il sera dit : Il témoigne de ce quil a vu et entendu; et son témoignage, personne ne le reçoit 48.
40. 1 Corinthiens 10, 2.
41. Ez 36, 25.
42. 1 in 1, 3.
43. Jean 21, 17.
44. 2 Mac 6, 30.
[12]"
SI, QUAND JE VOUS PARLE DES CHOSES DE LA TERRE, VOUS NE CROYEZ PAS, QUAND JE
VOUS PARLERAI DES CHOSES DU CIEL, COMMENT CROI REZ-VOUS?"
463. Le Seigneur a ici une troisičme raison de reprocher ŕ Nicodčme sa lenteur : cest la nature des choses dont Il a parlé. En effet, que lon ne saisisse pas des choses difficiles, cela na rien détonnant; mais que lon ne comprenne pas des choses faciles, cest inadmissible. Cest pourquoi le Christ dit : SI, QUAND JE VOUS PARLE DES CHOSES DE LA TERRE, VOUS NE CROYEZ PAS, QUAND JE VOUS PARLERAI DES CHOSES DU CIEL, COMMENT CROIREZ-VOUS? Autrement dit : Si tu ne comprends pas ces choses qui sont faciles, comment pourras-tu saisir la procession du Saint-Esprit? Nous avons peine ŕ deviner ce qui est sur la terre (...); ce qui est dans les cieux, qui donc le découvrira 49?
45. Jean 8, 38.
46. Jean 14, 10.
47. Mt 11, 26.
48. Jean 3, 32.
49. Sag 9, 16.
464. Mais on ne voit pas, dans ce qui précčde, que le Seigneur ait parlé ŕ Nicodčme des CHOSES DE LA TERRE. A cette objection il faut répondre, selon Chrysostome 50, que les CHOSES DE LA TERRE dont parle ici le Seigneur doivent sentendre de limage du vent. Le vent, en effet, étant sujet ŕ la génération et ŕ la corruption, compte parmi les réalités terrestres. Ou bien lon peut dire, toujours selon Chrysostome 51, que la régénération spirituelle réalisée par le baptęme, si elle est céleste, certes, dans son principe qui sanctifie et régénčre, est terrestre quant ŕ son sujet : en effet, ce qui est régénéré, lhomme, est terrestre.
On peut encore répondre, avec Augustin 52, que par CHOSES DE LA TERRE il faut entendre ce que le Seigneur avait dit plus haut : Détruisez ce temple et en trois jours je le relčverai 53. Cest lŕ chose terrestre, puisque le Seigneur parlait du temple de son corps, quIl avait reçu de la terre. Ainsi, en disant SI, QUAND JE VOUS PARLE DES CHOSES DE LA TERRE, VOUS NE CROYEZ PAS, QUAND JE VOUS PARLERAI DES CHOSES DU CIEL, COMMENT CROIREZ-VOUS?, le Christ veut dire Si vous ne croyez pas ŕ la génération spirituelle temporelle, comment croirez-vous ŕ la génération éternelle du Fils? Ou bien Si vous ne croyez pas ce que je dis de la puissance de mon corps, comment croirez-vous ce que je vous dirai de la puissance de ma divinité et de la puissance de lEsprit Saint?
50. In loannem hom. 27, ch. 1, PG 59,
col. 157.
51. Ibid.
52. Tract, in Ioann., XII, 7, BA 71, p. 647.
53. Jean 2, 19.
"ET
PERSONNE NEST MONTE AU CIEL, SI CE NEST CELUI QUI EST DESCENDU DU CIEL, LE
FILS DE LHOMME QUI EST AU CIEL. "
465. Le Seigneur répond maintenant ŕ la question de Nicodčme. Il commence par donner les causes de la régénération spirituelle [n° 466], puis Il en dévoile [la raison ultime] [n° 476].
La régénération spirituelle a
deux causes : le mystčre de lIncarnation du Christ et celui de sa Passion; le
Seigneur traite donc dabord de lIncarnation [n° 466], puis de la
Passion [n°
472].
466. Mais comment cette
réponse du Christ satisfait-elle ŕ la question de Nicodčme? Voilŕ ce quil faut
examiner en premier lieu. En effet le Seigneur avait dit auparavant, parlant du
souffle : TU NE SAIS D'OŮ IL VIENT NI OU IL VA, oů Il donnait ŕ entendre que la
ré génération spirituelle a un principe et une fin cachés. Or les choses qui
nous sont cachées sont celles qui sont dans les cieux, selon les mots du livre
de la Sagesse cités plus haut : Ce qui est dans les cieux, qui donc le
découvrira? 54. La question de Nicodčme COMMENT CELA PEUT-IL SE FAIRE? doit donc ętre
comprise de la maničre suivante : Comment quelque chose pourrait-il venir du
secret des cieux, ou aller au secret des cieux? Aussi le Christ, avant de
répondre ŕ la question, a-t-Il commencé par en expliciter le sens en disant :
QUAND JE VOUS PARLERAI DES CHOSES DU CIEL, COMment CROIREZ-VOUS? Aprčs quoi Il
commence aussitôt ŕ montrer ŕ qui il appartient de monter au ciel; car celui
qui descend du ciel, cest celui-lŕ qui monte au ciel : Celui qui est descendu
est Celui-lŕ męme qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir
toutes choses 55. Dans les réalités de la nature aussi, on constate que tout corps tend
vers un lieu, selon son origine ou sa nature. Ainsi, il peut se faire que
quelquun, par lesprit, aille en un lieu que les ętres charnels ignorent, et
cela en montant au ciel, si cela se réalise par la puissance de Celui QUI EST
DESCENDU DU CIEL; car Il est descendu pour, en montant, nous ouvrir la voie
Celui qui fait la brčche monte devant eux 56.
467. Ces paroles du Seigneur : CELUI QUI EST DESCENDU DU CIEL, LE FILS DE LHOMME, ont été pour certains occasion derreur. Lexpression FILS DE LHOMME désignant en effet la nature humaine, qui est composée dune âme et dun corps, Valentin 57 voulut, de ces paroles affirmant que le Fils EST DESCENDU DU CIEL, conclure quIl avait apporté du ciel męme son corps et était passé par la Vierge sans rien recevoir delle, comme de leau passant par un canal; mais cela va contre la parole de lApôtre concernant le Fils, issu de la descendance de David selon la chair 58.
Origčne, lui, soutient que le
Christ est DESCENDU DU CIEL selon son âme, dont il dit quelle a été créée au
commencement avec les anges et unie au Verbe, et quelle est ensuite descendue
du ciel en prenant chair de la Vierge 59; mais cela aussi est
contraire ŕ la foi catholique, qui enseigne que les âmes nont pas existé avant
les corps.
468. Il ne faut donc pas comprendre que le Fils de lhomme serait descendu du ciel selon sa nature humai ne, mais quIl en est descendu selon la nature divine. En effet, puisquil y a dans le Christ un seul suppôt, ou hypostase, ou personne, de deux natures, la nature divine et la nature humaine, on peut attribuer ŕ ce suppôt, quelle que soit la nature ŕ partir de laquelle on le nom me, et ce qui est divin, et ce qui est humain. Ainsi nous pouvons affirmer que le Fils de lhomme a créé les étoiles et que le Fils de Dieu a été crucifié. Mais le Fils de Dieu na pas été crucifié selon la nature divine, il la été selon la nature humaine; et cest selon la nature divine que le Fils de lhomme a créé les étoiles. Il en va ainsi de toutes les choses que lon dit du Christ : il ne faut pas les distinguer ŕ partir de [la réalité concrčte] dont elles sont dites, parce que [dans le Christ] les choses divines et les choses humaines sont dites indifféremment de Dieu et de lhomme; mais il faut les distinguer en fonction de ce en raison de quoi elles sont dites, car les choses divines sont dites du Christ en rai son de la nature divine et les choses humaines en raison de la nature humaine. Descendre du ciel se dit donc du Fils de lhomme, non selon sa nature humaine, mais selon sa nature divine, en raison de laquelle il Lui appartient, avant lincarnation, davoir été du ciel, comme le dit le psaume : Le ciel des cieux est au Seigneur; mais la terre, il la donnée aux fils des hommes 60.
54. Sag 9, 16.
55. Eph 4, 10.
56. Mic 2, 13.
57. Valentin (originaire dEgypte, au IP sičcle), est lun des
personnages les plus importants du gnosticisme. Voir vol. 1 (2° éd.), p. 123,
note 20; voir aussi VACANT et MANGENOT, Dictionnaire de théologie catholique,
XV, col. 2497 sq.
58. Ro 1, 3.
59. Voir Comm. in Evang. Ioannis, XX, 17, PG 14, col. 615.
469. Si lon dit que le
Fils de lhomme est descendu, il ne sagit pas dun mouvement local, sinon Il
ne serait pas demeuré dans le ciel; car rien de ce qui se meut localement ne
reste ŕ lendroit doů il descend. Cest donc pour exclure le mouvement local
que le Christ ajoute : QUI EST DANS LE CIEL, comme pour signifier : IL EST
DESCENDU DU CIEL de telle maničre que cependant Il EST DANS LE CIEL. Il est en
effet descendu du ciel, non certes en cessant dętre en haut, mais en assumant
une nature qui est den bas; et parce quIl nest pas contenu ni enfermé en
elle, durant le temps męme oů son corps vivait sur la terre Il était Lui-męme,
selon sa divinité, dans les cieux et partout. Afin donc de montrer que si lon
dit quIl EST DESCENDU, cest parce quIl a pris cette nature, Il précise :
CELUI QUI EST DESCENDU, LE FILS DE LHOMME, cest-ŕ-dire en tant quil sest
fait Fils de lhomme.
470. On peut dire encore,
avec Hilaire 61, quIl est descendu du ciel en ce qui concerne son corps; non que la
matičre du corps du Christ soit descendue du ciel, mais parce que la puissance
qui la formé était du ciel.
471. Mais pourquoi dit-Il : PERSONNE NEST MON TE AU CIEL, SI CE NEST CELUI QUI EST DESCENDU DU CIEL, LE FILS DE LHOMME QUI EST AU CIEL? Paul, Pierre et les autres saints ne sont-ils pas montés eux aussi, selon ce que Paul lui-męme dit : Nous avons une maison qui est luvre de Dieu, une demeure qui nest pas faite de main dhomme, une demeure éternelle dans les cieux 62? A cela je réponds que personne nest monté au ciel que le Christ et ses membres, cest-ŕ-dire les croyants qui sont justes. Si donc le Fils de Dieu est descendu des cieux, cest pour, en faisant de nous ses membres, nous préparer ŕ monter aux cieux, maintenant en espérance, mais ŕ la fin en réalité : Dieu (...) nous a ressuscités avec Lui et nous a fait asseoir ensemble dans les cieux en Jésus-Christ 63.
"ET
COMME MOĎSE ELEVA LE SERPENT DANS LE DESERT, AINSI FAUT-IL QUE LE FILS DE
LHOMME SOIT ELEVE, POUR QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS, MAIS
QUIL AIT LA VIE ETERNELLE. "
472. Le Seigneur évoque ici le mystčre de sa Passion, dont la puissance donne au baptęme son efficacité. Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, cest dans sa mort que nous avons été baptisés 64. Il commence par donner une figure de sa Passion [n° 473], puis Il en montre le mode [n° 474] et enfin le fruit [n° 475].
60. Ps 113, 16.
61. De Trinitate, X, 16, CCL vol. LXII A, p.
471, (PL 10, col. 355 A).
62. 2 Co 5, 1.
63. Eph 2, 6.
"ET
COMME MOĎSE ELEVA LE SERPENT DANS LE DESERT... "
473. Pour amener Nicodčme ŕ comprendre, le Christ prend une figure de lancienne loi. En effet, au peuple juif qui se déclarait dégoűté de cette nourriture sans consistance 65, le Seigneur envoya, en punition, des serpents. Le peuple accourut alors vers Moďse, et celui-ci supplia le Seigneur, qui lui ordonna de faire un serpent de bronze, lequel fut ŕ la fois un remčde contre les serpents [et une figure de la Passion du Seigneur. Aussi est-il dit que Moďse lexposa comme un signe 66. Le propre du serpent est davoir du venin; le serpent de bronze nen avait pas, mais il figurait les serpents venimeux. De męme le Christ neut pas en Lui le péché, qui est un venin car le péché, une fois accompli, engendre la mort 67 mais Il eut la ressemblance du venin, cest-ŕ-dire du péché : car Dieu a envoyé son propre Fils dans une chair semblable ŕ celle du péché 68. Voilŕ pourquoi le Christ posséda le pouvoir du serpent de bronze contre lassaut et lardeur des concupiscences.
64. Ro 6, 3.
65. Nomb 21, 5.
66. Nomb 21, 9.
67. Ja 1, 15.
68. Ro 8, 3.
"AINSI
FAUT-IL QUE LE FILS DE LHOMME SOIT ELEVE"
474. En parlant de cette élévation, qui doit sentendre de son élévation sur la croix, le Christ annonce le mode de sa Passion. Cest pourquoi, lorsque plus tard, Il dira : Il faut que le Fils de lhomme soit élevé 69, l'Evangéliste ajoutera Il disait cela pour signifier de quelle mort Il allait mourir 70, et par lŕ glorifier Dieu 71. Il voulut en effet mourir élevé, pour plusieurs raisons. Dabord pour purifier les cieux; déjŕ, en effet, par la sainteté de sa vie, Il avait purifié ce qui est sur la terre; il Lui restait, par sa mort, ŕ purifier ce qui est dans les airs Pacifiant par le sang de sa Croix soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les cieux 72. En second lieu, Il voulut ętre élevé pour triompher des démons qui préparent la guerre dans les airs lApôtre parle du prince des puissances des airs 73. Il le voulut aussi pour attirer ŕ Lui nos curs : Quand jaurai été élevé de terre, jattirerai tout ŕ moi 74. Il le voulut encore parce quIl fut exalté 75 dans la mort de la croix, car cest lŕ quIl triompha de ses ennemis; voilŕ pourquoi Il ne parle pas de mort, mais délévation, dexaltation : Il boira au torrent sur le chemin, dit le psaume, et cest pourquoi il relčvera [exaltera] la tęte 76. Enfin, Il voulut mourir élevé parce que la croix fut la cause de son exaltation. Il sest fait obéissant jus quŕ la mort, et la mort de la croix; cest pourquoi Dieu La exalté et Lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom 77.
69. 1n 12, 34.
70. Jean 12, 33.
71. Jean 21, 19. En réalité, au lieu des deux citations que nous
donnons ici (Jean 12, 33 et 21, 19), le texte de saint Thomas porte : "Il
disait cela pour signifier de quelle mort Il allait glorifier Dieu". Il y
a lŕ une synthčse, sans doute inconsciente, de deux textes cités de mémoire. La
seconde partie de cette phrase, empruntée ŕ Jean 21, 19, concerne Pierre; mais
il est évident quelle est éminemment vraie du Christ, la Croix étant par
excellence la glorification du Pčre par le Fils (et du Fils par le Pčre cf. Jean
17, 1; 13, 31-32; 12, 28). Cette erreur matérielle (fait assez rare chez saint
Thomas) est pour nous comme un indice : elle nous révčle que saint Thomas est
plus attentif au sens quŕ la lettre.
72. Col 1, 19-20.
73. Eph 2, 2.
74. Jean 12, 32.
75. " Elevé" et" exalté" traduisent le męme
mot latin exaltatus.
76. Ps 109, 7.
[15]"
POUR QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS, MAIS QUIL AIT LA VIE
ETERNELLE. "
475. Le fruit de la Passion du Christ est la vie éternelle; voilŕ pourquoi Il dit : POUR QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI, en agissant bien, NE PERISSE PAS, MAIS QUIL AIT LA VIE ETERNELLE. Ce fruit correspond au fruit du serpent qui préfigurait [le Christ crucifié]. En effet, quiconque regardait le serpent de bronze était délivré du venin et avait la vie sauve; or il regarde le Fils de lhomme élevé, celui qui croit au Christ crucifié, et il est par lŕ libéré du venin du péché Celui qui croit en moi ne mourra pas ŕ jamais 78 et sauvé pour la vie éternelle Ces choses ont été écrites pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et que, en croyant, vous ayez la vie en son nom 79.
77. Phi 2, 8.
78. Jean 11, 26.
79. Jean 20, 31.
16
"Car Dieu a tellement aimé le monde quIl a donné son Fils unique, afin
que tout homme qui croit en Lui ne périsse pas, mais quil ait la vie éternel
le. 17 Car Dieu na pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais
pour que le monde soit sauvé par Lui. 18 qui croit en Lui nest pas jugé; mais
celui qui ne croit pas a déjŕ été jugé, parce quil ne croit pas au nom du Fils
unique de Dieu. 19 tel est le jugement : la lumičre est venue dans le monde, et
les hommes ont mieux aimé les ténčbres que la lumičre, parce que leurs uvres
étaient mauvaises. 20 En effet, quiconque fait le mal hait la lumičre et il ne
vient pas ŕ la lumičre, de peur que ses uvres ne soient réprouvées; 21 mais
celui qui accomplit la vérité vient ŕ la lumičre, pour que ses uvres soient
manifestées, parce quelles ont été faites en Dieu. "
476. Plus haut [n° 465], le Seigneur a attribué la cause de la régénération spirituelle ŕ la descente du Fils de Dieu et ŕ lexaltation du Fils de lhomme, et Il en a fait connaître le fruit la vie éternelle. Mais ce fruit, cette éternité de vie, semblait incroyable ŕ des hommes nécessairement voués ŕ la mort. Cest pourquoi le Seigneur en dévoile [la raison ultime], dabord en expliquant la grandeur de ce fruit par la grandeur de lamour divin [n° 477], puis en excluant une objection [n° 481].
"CAR
DIEU A TELLEMENT AIME LE MONDE QUIL A DONNE SON FILS UNIQUE, AFIN QUE TOUT
HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS, MAIS QUIL AIT LA VIE ETERNELLE. "
477. Comprenons ici que la cause de tous nos biens est lamour divin. En effet, aimer quelquun, cest proprement vouloir pour lui le bien; or la volonté de Dieu est cause des réalités; donc, le bien nous vient de ce que Dieu nous aime. Lamour de Dieu est certes la cause du bien de la nature Tu aimes tout ce qui existe, et tu ne hais rien de ce que tu as fait 1 , et il est aussi la cause du bien de la grâce Dun amour éternel je tai aimé, cest pourquoi je tai attiré 2, attiré par la grâce; mais que Dieu nous donne aussi le bien de la gloire, cela provient dun [trčs] grand amour 3. Cest pourquoi le Christ montre ici que cet amour est le plus grand qui soit. Il le montre de quatre points de vue [différents, regardant successivement] :
1° la personne de celui qui aime; cest Dieu qui aime, et immensément DIEU A TELLEMENT AIME... Il a aimé les peuples; tous les saints sont dans sa main 4.
2° La condition de celui qui est aimé : cest lhomme qui est aimé, lhomme de ce monde, lhomme de chair, et męme lhomme vivant dans le péché Dieu prouve ainsi son amour envers nous : (...) alors que nous étions ennemis, nous avons été réconciliés avec [lui] par la mort de son Fils 5. Quest-ce que lhomme, pour que tu te souviennes de lui, et le fils de lhomme, pour que tu le visites? 6 Voilŕ ce que veut exprimer le Christ lorsquIl dit que Dieu a aimé LE MONDE.
3° La grandeur du don. Lamour, en effet, se manifeste par le don; car, comme le dit Grégoire, "lamour se prouve par des actes 7". Or Dieu nous a fait le plus grand des dons, puisque, comme le dit ici le Christ, IL A DONNE SON FILS UNIQUE Il na pas épargné son propre Fils, mais Il La livré pour nous tous 8. Et le Christ dit SON Fils, cest-ŕ-dire [celui qui est] Fils par nature, qui Lui est consubstantiel, et non un fils adoptif, comme ceux dont il est parlé dans le psaume : Jai dit Vous ętes des dieux, et tous les fils du Trčs-Haut ç. Ces paroles du Christ font apparaître clairement lerreur dAriusbis. Car si le Fils de Dieu était une créature, comme Arius 9bis le prétendait, Il ne pourrait pas manifester limmensité de lamour divin en vivant en Lui la bonté infinie, quaucune créature ne peut recevoir. Le Christ dit aussi : son Fils UNIQUE, pour montrer que Dieu ne partage pas son amour entre plusieurs fils, mais que tout son amour est dans son Fils, ce Fils quIl a donné pour prouver limmensité de son amour Le Pčre aime le Fils et il Lui montre tout ce quil fait 10.
4° Enfin, la grandeur du fruit, puisque par Lui nous avons la vie éternelle :... afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais quil ait la vie éternelle, vie quIl nous a acquise par la mort de la Croix 11.
1. Sag 11, 25.
2. Jérémie 31, 3.
3. Cf. Eph 2, 4.
4. Deut 33, 3.
5. Ro 5, 8 et 10.
6. Ps 8, 5.
7. XL homiliae in Evangelia, II, hom. 30,
PL 76, coI 1220.
8. Ro 8, 32.
478. Dieu a-t-Il donc donné
son Fils pour quIl mourűt sur la Croix? Assurément Il La donné pour la mort
de la Croix 12, en tant quIl Lui a donné la volonté dy souffrir, et cela de deux
maničres. Car dune part, de qualité de Fils de Dieu, Il a eu de toute éternité
la volonté de prendre chair et de souffrir pour nous; et cette volonté, Il la
tenait du Pčre; et, dautre part, cest Dieu qui inspira ŕ lâme du Christ la
volonté de souffrir.
479. Remarquons que plus haut [n° 467], le Seigneur, parlant de la descente qui convient au Christ selon sa divinité, La nommé Fils de lhomme, cela parce quil ny a quun seul suppôt dans deux natures, comme on la dit [n° 468], ce qui nous permet dattribuer ce qui est divin au suppôt de la nature humaine et ce qui est humain au suppôt de la nature divine, mais non pas, toute fois, selon la męme nature : ce qui est divin est attribué selon la nature divine, et ce qui est humain selon la nature humaine. Et si, alors quIl sest nommé plus haut Fils de lhomme, le Seigneur, ici, parlant de Lui en tant quIl est voué ŕ la mort, se nomme FILS DE DIEU, cest pour une raison spéciale parce que Lui-męme a voulu communiquer ce don en signe de lamour divin, amour par lequel nous vient le fruit de la vie éternelle. Un tel nom était bien dű ŕ Celui ŕ qui il appartenait de manifester la puissance qui réalise la vie éternelle, puissance qui ne se trouve pas dans le Christ en tant que Fils de lhomme, mais en tant que Fils de Dieu Cest Lui qui est le vrai Dieu et la vie éternelle 13. En Lui était la vie 14.
9. Ps 81, 6.
9 bis. Voir n 61, note 62 (voL I, 2e éd., pp. 108-109).
10. Jean 5, 20.
11. Phi 2, 8.
12. Phi 2, 8 et Ro 8, 32 "Lui qui na pas épargné męme son
propre Fils, mais qui La livré pour nous tous... ". Cf. SAINT AUGUSTIN,
Commentaire de la premičre épître de saint Jean, VII, 7, SC 75, pp. 325-327 le
Pčre "a envoyé son Fils mourir pour nous" (p. 325); "le Pčre La
livré, et Lui sest livré" (p. 327).
480. Notons encore lexpression : AFIN QUE TOUT HOMME QUI CROIT EN LUI NE PERISSE PAS. Périr, ou se perdre 15, cest ętre empęché de parvenir ŕ la fin ŕ laquelle on est ordonné. Or lhomme est ordonné ŕ une fin qui est la vie éternelle; et, aussi longtemps quil pčche, il se détourne de cette fin. Certes, tant quil vit, il ne périt pas tout ŕ fait, au point de ne pouvoir ętre ramené ŕ la vie; mais sil meurt dans le péché, il périt [se perd] alors tout ŕ fait Le chemin des impies se perdra 16.
Enfin, les paroles QUIL AIT LA VIE ETERNELLE révčlent limmensité de lamour divin : car en donnant la vie éternelle, Il se donne Lui-męme. La vie éternelle, en effet, nest rien dautre que jouir de Dieu; et se donner soi-męme est le signe du [plus] grand amour : Dieu, qui est riche en miséricorde, ŕ cause de lamour extręme dont Il nous a aimés, et alors que nous étions morts par nos péchés, nous a fait revivre avec le Christ 17, cest-ŕ-dire quIl nous a donné davoir en Lui la vie éternelle.
"CAR
DIEU NA PAS ENVOYE SON FILS DANS LE MONDE POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR QUE
LE MONDE SOIT SAUVE PAR LUI CELUI QUI CROIT EN LUI NEST PAS JUGE; MAIS CELUI
QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE, PARCE QUIL NE CROIT PAS AU NOM DU FILS
UNIQUE DE DIEU. OR TEL EST LE JUGEMENT LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE, ET
LES HOMMES ONT MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, PARCE QUE LEURS UVRES
ETAIENT MAUVAISES. EN EFFET, QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIE RE ET IL NE VIENT
PAS A LA LUMIERE, DE PEUR QUE SES UVRES NE SOIENT REPROUVEES; MAIS CELUI QUI
FAIT LA VERITE VIENT A LA LUMIERE, POUR QUE SES UVRES SOIENT MANIFESTEES,
PARCE QUELLES ONT ETE FAITES EN DIEU. "
"CAR
DIEU NA PAS ENVOYE SON FILS DANS LE MONDE POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR QUE
LE MONDE SOIT SAUVE PAR LUI "
481. Le Seigneur exclut ici une objection "que lon pourrait faire". Dans lancienne loi, en effet, il avait été promis que le Seigneur viendrait pour juger : Le Seigneur viendra pour le jugement 18. On pourrait donc dire que le Fils de Dieu nétait pas venu pour donner la vie éternelle, mais pour juger le monde. Aussi le Seigneur, pour écarter cette objection, montre dabord en quel sens. Il nest pas venu pour juger, puis Il le prouve (n° 484).
13. 1 Jean 5, 20.
14. Jean 1, 4.
15. En latin perire. Ce verbe se retrouvera ŕ plusieurs reprises
avec lun ou lautre de ses deux sens, par exemple en 6, 12" Ramassez les
morceaux qui sont restés, pour que rien ne se perde"; 10, 28" Je leur
donne la vie éternelle, et elles ne périront jamais"; 17, 12" Ceux
que tu mas donnés, je les ai gardés, et aucun deux ne sest perdu... "
16. Ps 1, 6.
17. Eph 2, 4-5.
482. Il dit donc que le
Fils de Dieu nest pas venu pour juger, car Dieu na pas envoyé son Fils, lors
de son premier avčnement, POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR QUE LE MONDE SOIT
SAUVE PAR LUI De męme Il dira plus loin Je ne suis pas venu pour juger le
monde, mais pour sauver le monde 19. Or le salut de lhomme consiste ŕ parvenir jusquŕ Dieu : En Dieu est
mon salut et ma gloire 20 et parvenir jusquŕ Dieu, cest obtenir la vie éternelle. Etre sauvé
est donc la męme chose quavoir la vie éternelle. Et il ne faut pas, sous
prétexte que le Seigneur a dit : Je ne suis pas venu pour juger le monde, ętre
paresseux et abuser de la miséricorde de Dieu en se donnant licence de pécher;
car si, lors de son premier avčnement, Il nest pas venu pour juger mais pour
remettre [les péchés], lors de son second avčnement Il viendra pour juger et non pour
remettre [les péchés], comme le dit Chrysostome 21 Au temps que jaurai
fixé, je rendrai le juste jugement 22.
483. Mais le Seigneur ne dit-Il pas plus loin : Cest pour un jugement que je suis venu dans le monde 23? A cette objection il faut répondre quil y a deux sortes de jugement. Il y a un jugement de discernement, et cest pour celui-lŕ que le Fils de lhomme est venu lors de son premier avčnement; en effet, ŕ sa venue, un discernement sest opéré parmi les hommes, selon laveuglement des uns et la lumičre de grâce des autres. Et il y a un jugement de condamnation; mais le Seigneur, au tant quil dépendait de Lui, nest pas venu pour celui-lŕ.
18. Isaďe 3, 14.
19. Jean 12, 47.
20. Ps 61, 8.
21. In loannem hom. 28, ch. 1, PG 59,
col. 162.
22. Ps 74, 3.
23. In 9, 39.
"CELUI
QUI CROIT EN LUI NEST PAS JUGE; MAIS CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE,
PARCE QUIL NE CROIT PAS AU NOM DU FILS UNIQUE DE DIEU. "
484. Le Christ prouve ici ce quIl a dit plus haut; Il le fait en utilisant un procédé de division Quiconque sera jugé sera ou croyant, ou incroyant; mais je ne suis pas venu juger les croyants, parce quils ne sont pas jugés, ni pour juger les incroyants, parce quils sont déjŕ jugés. Dieu na donc pas envoyé en premier lieu son Fils pour juger le monde.
Le Christ montre donc en
premier lieu que les croyants ne sont pas jugés [n° 485] et ensuite que
ceux qui ne croient pas ne sont pas jugés non plus [n° 487].
485. Le Christ dit ici quIl nest pas venu POUR JUGER LE MONDE, parce quIl nest pas venu pour juger les croyants, puisque CELUI QUI CROIT EN LUI NEST PAS JUGE entendons dun jugement de condamnation. En effet, aucun de ceux qui croient en Lui dune foi formée nest passible dun tel jugement Celui qui écoute ma parole et croit ŕ Celui qui ma envoyé, a la vie éternelle et il ne vient pas en jugement, mais il est passé de la mort ŕ la vie , mais il sera jugé dun jugement de récompense et dapprobation, ce jugement dont parle lApôtre : Celui qui me juge, cest le Seigneur 26.
24. Nous adoptons ici (et de męme au n° 486) la traduction
littérale du P. Bernard (Somme théologique, II-II, q. 4, a. 4, éd. de la Revue
des Jeunes) : foi "formée" et foi "informe". Plus loin, au
n° 901, saint Thomas précisera ce quest la foi "formée" en
distinguant les diverses maničres dont la foi se rapporte ŕ Dieu. Dieu peut en
effet ętre soit lobjet de la foi (croire ŕ Dieu), soit le témoin (croire
Dieu), soit la fin (croire en Dieu). Or, lorsque par la foi nous croyons en
Dieu comme en notre fin, nous Latteignons comme notre bien, cest-ŕ-dire comme
lobjet de la charité. Une telle foi est dite "formée" parce
quelle" opčre par la charité" (n° 486; Ga 5, 6). La charité, dit
saint Thomas dans la Somme, "est appelée "forme" de la foi en
tant que, par la charité, lacte de la foi est rendu parfait et est formé
(II-II, q. 4, a. 3). Ainsi, seul lexercice de la foi formée distingue celle-ci
de la foi informe, puisque Dieu est toujours son objet. Mais la foi exercée
sans la charité ne nous ordonne pas immédiatement ŕ notre fin; informée par la
charité, elle devient au contraire une adhésion aimante ŕ son objet propre Dieu
se révélant comme Vérité et se communiquant comme Amour. Cette distinction a été
reprise par le Concile de Trente (cf. vol. I, 20 éd., p. 182, note 35), en des
termes différents.
"CELUI
QUI CROIT EN LUI NEST PAS JUGE... "
486. Mais quen est-il des nombreux croyants qui sont pécheurs? Ne seront-ils pas condamnés? A cette question certains hérétiques ont répondu quaucun croyant, si grand pécheur soit-il, ne sera condamné, mais quil sera sauvé par le mérite du fondement, cest-ŕ-dire de la foi, bien quil ait ŕ souffrir une certaine peine. Ces hérétiques appuient leur erreur sur ces paroles de lApôtre : Personne ne peut poser dautre fondement que celui qui a été posé et qui est le Christ Jésus; et si luvre [quelquun aura bâtie sur ce fondement] brűle, il en subira la perte; lui pourtant sera sauvé, mais comme ŕ travers le feu 27.
Mais cette interprétation soppose manifestement ŕ ce que lApôtre enseigne aux Galates : Les uvres de la chair sont manifestes : ce sont la fornication, limpureté, la débauche, lidolâtrie, la sorcellerie, les inimitiés, les querelles, la jalousie (...) et autres choses semblables au sujet desquelles je vous préviens, comme je vous ai déjŕ prévenus : ceux qui commettent de telles choses nhériteront pas du Royaume de Dieu 28.
Il faut donc répondre que le fondement, cest-ŕ-dire la foi au Christ, doit ętre sauf, mais que ce fondement nest pas la foi informe : il est la foi formée, celle qui opčre par la charité 29. Aussi le Seigneur dit-Il expressément, non pas que "celui qui Le croit", mais que CELUI QUI CROIT EN LUI 30 cest-ŕ-dire qui, en croyant, tend vers Lui par la charité celui-lŕ NEST PAS JUGE, parce quil ne pčche pas mortellement ce qui fait dis paraître le fondement. Ou bien il faut dire, avec Chrysostome 31 que quiconque agit mal ne croit pas Ils f ont profession de connaître Dieu, mais par leurs uvres ils Le renient 32 mais que celui qui agit bien [de la foi] Je te montrerai ma foi par les uvres 33 et que celui-lŕ nest pas jugé, cest-ŕ-dire nest pas condamné pour navoir pas cru.
25. Jean 5, 24.
26. 1 Corinthiens 4, 4.
27. 1 Corinthiens 3, 11 et 15.
"MAIS
CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE, PARCE QUIL NE CROIT PAS AU NOM DU FILS
UNI QUE DE DIEU. "
487. Le Seigneur montre maintenant que ceux qui ne croient pas ne sont pas jugés. Il commence par laffirmer [n° 488], aprčs quoi Il explicitera son affirmation [n° 490].
28. Ga 5, 19-21.
29. Ga 5, 6.
30. Voir Somme théologique, II-II, q. 2, a. 2.
31. In loannem hom., 28, ch. 1, col. 163.
32. Ti 1, 16.
33. Ja 2, 18.
488. En ce qui concerne laffirmation elle-męme, il faut noter que, selon Augustin, le Christ ne dit pas que CELUI QUI NE CROIT PAS est jugé, mais quil nest pas jugé parce quil A DEJA ETE JUGE ce que lon peut expliquer de trois maničres. Selon Augustin, en effet, CELUI QUI NE CROIT PAS nest pas jugé parce quil A DEJA ETE JUGE, non dans la réalité 34, mais dans la prescience de Dieu, cest-ŕ-dire que Dieu, ŕ lavance, sait quil sera condamné : Le Seigneur connaît ceux qui sont ŕ Lui 35. Chrysostome donne une autre interprétation 36. Pour lui, CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE en ce sens que le fait męme quil ne croie pas le condamne. Ne pas croire, en effet, cest ne pas adhérer ŕ la lumičre, autrement dit ętre dans les ténčbres 37; et cest lŕ la grande condamnation. Ils avaient tous été liés dune męme chaîne de ténčbres. Quelle joie aurai-je encore, moi qui suis assis dans les ténčbres et ne vois pas la lumičre du ciel? 38 Troisičme interprétation, encore selon Chrysostome 39 CELUI QUI NE CROIT PAS nest pas jugé en ce sens quil est déjŕ con damné, cest-ŕ-dire quil y a déjŕ en lui un motif manifeste de condamnation; comme si, de quelquun qui, visiblement, est tout proche de la mort, on disait quil est déjŕ mort, avant męme que soit prononcée sur lui la sentence de mort.
Aussi Grégoire dit-il quil y
a deux procédures possibles dans le jugement de ceux qui doivent ętre condamnés
40. Certains, en effet, seront jugés aprčs examen, car il y a en eux
quelque chose qui soppose ŕ leur condamnation : le bien de la foi; ce sont les
croyants pécheurs. Mais ceux qui ne croient pas, dont la condamnation est
évidente, sont condamnés sans examen; et cest deux quil est dit ici CELUI
QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE. Les impies, dit le psaume, ne ressusciteront
pas au jugement 41, cest-ŕ-dire pour
lexamen de leur cause.
489. Ajoutons quętre jugé a ici le męme sens quętre condamné, et quętre condamné, cest ętre privé du salut, auquel on ne parvient que par une seule voie qui est le NOM DU FILS UNIQUE DE DIEU : car il nest pas sous le ciel dautre Nom donné aux hommes, par lequel nous devions ętre sauvés 42. O Dieu, sauve-moi par ton Nom 43. Ceux donc qui ne croient pas dans le Fils de Dieu se privent du salut, et il y a en eux un motif manifeste de condamnation.
"OR
TEL EST LE JUGEMENT : LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE, ET LES HOMMES ONT
MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, PARCE QUE LEURS UVRES ETAIENT
MAUVAISES. EN EFFET, QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIERE ET NE VIENT PAS A LA
LUMIERE, DE PEUR
34. Comprenons : non dans lexercice de la sentence portée,
cest-ŕ-dire dans sa manifestation. Le texte de saint Augustin auquel saint
Thomas se réfčre nous éclaire sur ce que saint Thomas lui-męme veut dire (voir
note suivante).
35. 2 Tm 2, 19. Voir SAINT AUGUSTIN, Tract, in b. XII, 12, BA
71, p. 659 "Le jugement na pas encore eu lieu, et pourtant déjŕ le
jugement est rendu. Le Seigneur sait en effet ceux qui sont ŕ Lui : Il sait
ceux qui demeureront pour la couronne et ceux qui demeureront pour la flamme;
Il connaît dans son aire le froment et Il connaît la paille; Il connaît la
moisson et Il connaît livraie. Déjŕ celui qui ne croit pas a été jugé... "
36. Voir In boannem hom., 28, ch. 2, col. 163.
37. Sag 17, 17.
38. Tob 5, 12.
39. Loc. cit.
40. Voir Moralium libri, 26, ch. 27, PL 76, coI 379. Lexpression
judicium discussionis, quemploie saint Thomas dans la phrase suivante et que
nous avons traduite par" juger aprčs examen", ne se trouve pas dans
ce passage des Moralia; mais les deux jugements sont trčs nettement distingués
par saint Grégoire ŕ propos de Jb 26, 6. Sur la distinction de ces deux
jugements, voir ci-dessous, n° 776.
41. Ps 1, 5.
42. Ac 4, 12.
43. Ps 53, 3.
[19]
QUE SES UVRES NE SOIENT REPROUVEES; MAIS CELUI QUI FAIT LA VERITE VIENT A LA
LUMIE RE, POUR QUE SES UVRES SOIENT MANIFES TEES, PARCE QUELLES ONT ETE
FAITES EN DIEU. "
490. Le Seigneur explicite ici son affirmation en montrant que le motif de la condamnation est manifeste chez ceux qui ne croient pas. Pour cela Il propose dabord un symbole capable de lexpliciter [n° 491], puis Il montre la convenance de ce symbole [n° 493].
[19]"
OR TEL EST LE JUGEMENT LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE, ET LES HOMMES ONT
MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, PARCE QUE LEURS UVRES ETAIENT
MAUVAISES. "
491. A travers ce symbolisme le Christ fait ressortir trois choses le don de Dieu, la perversité desprit de ceux qui ne croient pas, et enfin la cause de cette perversité.
Le Christ dit donc ceci : Il est manifeste que CELUI QUI NE CROIT PAS A DEJA ETE JUGE. Le don de Dieu LA LUMIERE EST VENUE DANS LE MONDE le montre clairement. Les hommes, en effet, étaient dans les ténčbres de lignorance, et ces ténčbres, Dieu les a dissipées en envoyant la lumičre dans le monde afin que les hommes connaissent la vérité Je suis la lumičre du monde : celui qui me suit ne marche pas dans les ténčbres, mais il aura la lumičre de la vie 44. Il est venu nous visiter den haut, le soleil levant, pour illuminer ceux qui sont assis dans les ténčbres et lombre de la mort 45. Mais cette lumičre EST VENUE DANS LE MONDE parce que lhomme ne pouvait y avoir accčs, car Dieu habite une lumičre inaccessible, que nul homme na vue ni ne peut voir 46.
Que CELUI QUI NE CROIT PAS ait DEJA ETE JUGE, la perversité desprit de ceux qui ne croient pas le montre également : car ils ONT MIEUX AIME LES TENEBRES QUE LA LUMIERE, autrement dit ils ont préféré rester dans les ténčbres de lignorance, plutôt que dętre instruits par le Christ. Ils ont été rebelles ŕ la lumičre 47 Malheur ŕ ceux qui (...) font des ténčbres la lumičre et de la lumičre les ténčbres 48.
Et la cause de cette perversité, cest que LEURS UVRES ETAIENT MAUVAISES, ces uvres qui sont en désaccord avec la lumičre et qui cherchent les ténčbres. Rejetons les uvres des ténčbres 49, dira Paul, cest-ŕ-dire les péchés, qui cherchent les ténčbres : Ceux qui dorment, dorment la nuit 50, et lil de ladultčre guette le crépuscule 51. Si quelquun ne croit pas ŕ la lumičre, cest quil soppose ŕ elle et sen écarte.
44. Jean 8, 12.
45. Luc 1, 78-79.
46. 1 Tm 6, 16. Cf. ci-dessus, n° 454, note 23.
47. Jb 24, 13.
48. Isaďe 5, 20.
49. Ro 13, 12.
50. Voir 1 Th 5, 4-7 "Pour
vous, mes frčres, vous nętes pas dans les ténčbres, de sorte que ce jour vous
surprenne comme un voleur. Car vous ętes tous des fils de lumičre et des fils
du jour. Nous ne sommes pas de la nuit ni des ténčbres. Ne dormons donc pas
comme les autres, mais veillons et soyons sobres. Ceux qui dorment, en effet,
dorment la nuit, et ceux qui senivrent, senivrent la nuit. " En
commentant ce dernier verset, saint Thomas note : "Le sommeil et livresse
conviennent ŕ la nuit, car ceux sur qui rčgnent la nuit de linfidélité et les
ténčbres des péchés sont ivres, lamour des choses présentes les empęchant
davoir lespérance des réalités ŕ venir ayant perdu tout espoir, ils se sont
livrés ŕ limpudicité... (Eph
4, 19)" (Super
primam epistolam ad Thessalonicenses lectura, 5, leç. 1, n° 118).
51. Jb 24, 15.
52. Cf. Jean 12, 36 "Croyez
en la lumičre, afin dętre des fils de lumičre".
492. Mais tous les incroyants font-ils des uvres mauvaises? Il semble que non; car beaucoup de paďens, Caton par exemple, et de nombreux autres, ont agi selon la vertu.
A cela il faut répondre, selon Chrysostome 53, quautre chose est de bien agir par vertu, autre chose de le faire grâce ŕ une aptitude qui nous y dispose naturellement. Il y a en effet des hommes qui agissent bien par disposition naturelle, simplement parce que leurs dispositions ne les poussent pas ŕ faire le contraire. Et męme des incroyants ont pu agir bien de cette maničre : tel, par exemple, a vécu chastement parce quil navait pas ŕ lutter contre la concupiscence. Mais ceux-lŕ agissent bien par vertu qui, malgré un penchant au vice contraire, ne sécartent pourtant pas de la vertu, cela grâce ŕ la rectitude de leur raison et ŕ la bonté de leur volonté; et cest le propre des croyants.
On peut dire encore que, sils faisaient le bien, les incroyants ne le faisaient cependant pas par amour de la vertu, mais par vaine gloire; et que, du reste, ils nagissaient pas bien dans tous les domaines, puisquils ne rendaient pas ŕ Dieu le culte qui Lui est dű.
[20]
EN EFFET, QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIERE ET IL NE VIENT PAS A LA LUMIERE,
DE PEUR QUE SES UVRES NE SOIENT REPROUVEES; MAIS CELUI QUI FAIT LA VERITE
VIENT A LA LU MIERE, POUR QUE SES UVRES SOIENT MANIFESTEES, PARCE QUELLES ONT
ETE FAITES EN DIEU. "
493. Le Seigneur montre ici
la convenance du symbole quIl vient de donner, dabord en ce qui concerne les
méchants [n°
494], puis en ce qui concerne les bons [n° 495].
494. Le Christ dit donc
ceci : Sils nont pas aimé la lumičre, cest parce que LEURS UVRES ETAIENT
MAUVAISES. Cela est évident, puisque QUICONQUE AGIT MAL HAIT LA LUMIERE. Il ne
dit pas "a agi", mais AGIT; car si quelquun a mal agi mais
sen repent et, voyant quil a mal fait, sen afflige, il VIENT A LA LUMIERE.
Au contraire QUICONQUE AGIT MAL, cest-ŕ-dire persévčre dans le mal, ne sen
afflige pas et ne vient pas ŕ la lumičre, mais il la hait, non en tant quelle
est une vérité manifeste, mais en tant que par elle le péché de lhomme est
manifesté. Car lhomme mauvais aime connaître la lumičre et la vérité; mais il
déteste ętre dénoncé par elle Si soudain paraît laurore, ils la prennent pour
lombre de la mort 54. Celui qui AGIT MAL ne vient donc pas ŕ la lumičre, et cela DE PEUR
QUE SES UVRES NE SOIENT REPROUVEES. Nul homme, en effet, sil est décidé ŕ ne
pas renoncer au mal, ne veut ętre blâmé; il fuit le blâme au contraire, et le hait
Ils ont haď celui qui réprimande ŕ la Porte, et celui qui parle avec intégrité,
ils lont eu en horreur 55. Lhomme pernicieux
naime pas celui qui le reprend 56.
495. Le Christ montre ensuite la convenance du symbole quIl a donné en ce qui concerne les bons. La vérité, en effet, ne réside pas seulement dans les pensées et les paroles, mais aussi dans les actes : CELUI QUI FAIT LA VERITE VIENT A LA LUMIERE.
Mais quelquun a-t-il agi ainsi avant le Christ? Il semble que non; car qui FAIT LA VERITE? Celui qui ne pčche pas. Or, avant le Christ, tous ont péché 57.
A cela je réponds, en suivant
Augustin 58, que celui-lŕ FAIT LA VERITE en lui-męme, ŕ qui déplaît le mal quil a
fait et qui, aprčs avoir abandonné les ténčbres, se garde du péché et, regrettant
ses fautes passées, VIENT A LA LUMIERE, afin que SES UVRES SOIENT MANIFESTEES
dune maničre spéciale [cest-ŕ-dire comme celles dun pécheur repentant].
54. Jb 24, 17.
55. Am 5, 10.
56. Prov 15, 12.
57. Ro 3, 23.
58. Tract, in b. XII, 13, p. 661.
53. In boannem hom., 28, ch. 2, PG 59,
coI 164.
496. On objectera sans doute que nul ne doit donner en spectacle le bien quil fait, et que le Seigneur blâme les Pharisiens dagir ainsi. A cela il faut répondre [distinguant diverses maničres de manifester ses uvres]. Vouloir les manifester devant Dieu pour quIl les approuve, cela est permis, car ce nest pas celui qui se recommande lui-męme qui est un homme éprouvé, mais celui que Dieu recommande 59. Voici, dit Job, que dans le ciel est mon témoin 60. Il est également permis ŕ tous, et il nest pas répréhensible, de vouloir manifester ses uvres ŕ sa propre conscience afin de sen réjouir Ce qui fait notre gloire, cest ce témoignage de notre conscience, que nous nous sommes comportés dans ce monde (...) dans la simplicité du cur et la sincérité de Dieu, non pas avec une sagesse charnelle, mais avec la grâce de Dieu 61. Mais manifester devant les hommes, pour sa propre gloire, le bien quon fait, voilŕ qui est répréhensible. Néanmoins les hommes saints désirent que le bien quils font soit, pour lhonneur de Dieu et au profit de la foi, manifesté aux hommes : Que votre lumičre brille devant les hommes, afin quils voient vos bonnes uvres et glorifient votre Pčre qui est dans les cieux 62. Sils viennent ŕ la lumičre pour que leurs uvres soient manifestées, cest PARCE QUELLES ONT ETE FAITES EN DIEU, cest-ŕ-dire selon le commandement de Dieu ou par la grâce de Dieu. En effet, tout ce que nous faisons de bien, que ce soit en évitant le péché, en regrettant les fautes que nous avons commises ou en accomplissant des uvres bonnes, tout vient de Dieu, comme le dit Isaďe Seigneur, tu nous donneras la paix, car toutes nos uvres, cest toi qui les as accomplies pour nous 63.
59. 2 Co 10, 18.
60. Jb 16, 20 (19).
61. 2 Co 1, 12.
62. Mt 5, 16.
63. Isaďe 26, 12.
22
Aprčs cela, Jésus vint avec ses disciples dans la terre de Judée; et Il y
demeurait avec eux, et Il baptisait. Or Jean aussi baptisait ŕ Aenon, prčs de
Salim, parce quil y avait lŕ beaucoup deau; et lon y venait, et lon y était
baptisé. 24 Jean navait pas encore été mis en prison. Or il séleva de la part
des disciples de Jean une discussion avec les Juifs ŕ propos de la purification.
Et ils vinrent ŕ Jean et lui dirent " Rabbi, celui qui était avec toi
de lautre côté du Jourdain, celui ŕ qui tu as rendu témoignage, le voilŕ qui
baptise, et tous viennent ŕ lui. "
497. Plus haut [n° 423], le Seigneur a donné son enseignement concernant la régénération spirituelle; ici, Il accomplit par des uvres, en baptisant, ce quIl avait dabord enseigné par des paroles.
Il est dabord question ici de deux baptęmes, celui du Christ et celui de Jean [n° 500], puis dune discussion qui séleva ŕ leur sujet, mettant lun en comparai son avec lautre [n° 506].
APRES
CELA, JESUS VINT AVEC SES DISCIPLES DANS LA TERRE DE JUDEE; ET IL Y DEMEURAIT
AVEC EUX, ET IL BAPTISAIT. OR JEAN AUSSI BAPTI SAIT A AENON, PRES DE SALIM,
PARCE QUIL Y AVAIT LA BEAUCOUP DEAU; ET LON Y VENAIT, ET LON Y ETA1T
BAPTiSE. CAR JEAN NAVAIT PAS ENCORE ETE MIS EN PRISON.
[22]
APRES CELA, JESUS VINT AVEC SES DISCIPLES DANS LA TERRE DE JUDEE; ET IL Y
DEMEURAIT AVEC EUX, ET IL BAPTISAIT.
498. APRES CELA, dit lEvangéliste, cest-ŕ-dire aprčs ce qui a été rapporté de lenseignement du Christ sur la régénération spirituelle, JESUS VINT AVEC SES DIS CIPLES DANS LA TERRE DE JUDEE. Mais ici se pose une question dordre littéral; car plus haut (2, 13), lEvangéliste avait dit que le Seigneur était venu de Galilée ŕ Jérusalem, qui se trouve dans le territoire de Judée, oů Il avait instruit Nicodčme. Comment donc, aprčs avoir instruit Nicodčme, vint-Il en Judée, puisquIl y était déjŕ?
A cette question il y a deux réponses. Daprčs Bčde 1, le Christ, aprčs son entretien avec Nicodčme, se rendit en Galilée, y demeura quelque temps, puis revint en Judée; il ne faut donc pas, lorsquil nous est dit : APRES CELA, JESUS VINT..., entendre quIl se rendit en Judée immédiatement aprčs son entretien avec Nicodčme.
Chrysostome 2 comprend cette
phrase dune autre maničre. Pour lui, il faut entendre que le Christ, APRES
CELA, se rendit immédiatement DANS LA TERRE DE JUDEE. II voulait en effet
pręcher lŕ oů la multitude se rassemblait, afin que beaucoup se convertissent :
Jai annoncé ta justice dans la grande assemblée 3. Cest
ouvertement que jai parlé au monde 4. Or il y avait en Judée
deux endroits oů affluait la foule des Juifs. Jérusalem, oů lon montait pour
les fętes, et le Jourdain, oů lon accourait ŕ cause de la prédication et du
baptęme de Jean. Cest pourquoi le Seigneur, qui fréquentait ces deux lieux,
dčs que furent achevés les jours de fęte, quitta Jérusalem qui est située dans
une partie de la Judée, et se rendit dans lautre partie, celle du Jourdain, oů
Jean baptisait.
499. Au sens moral 5, le fait que Jésus vint en JUDEE mot dont le sens étymologique est "confession" 6 signifie que le Christ visite ceux qui confessent leurs péchés ou proclament la louange de Dieu 7 La Judée est devenue son sanctuaire 8. Et Il demeure 9, parce quon ne visite pas en passant ceux qui agissent ainsi : Si quelquun maime, il gardera ma parole, et mon Pčre laimera, et nous viendrons ŕ lui, et nous ferons chez lui notre demeure 10. Et lŕ Il baptise, cest-ŕ-dire purifie des péchés; car si lon ne confesse pas ses péchés, on nen obtient pas la rémission : Celui qui cache ses crimes ne sera pas conduit dans la bonne voie, mais celui qui les confesse et les abandonne obtiendra miséricorde 11.
1. Voir Glossa ordinaria (attribuée ŕ W STRABON), Evang. bannis,
PL 114, col. 368 D.
2. In Ioannem hom., 29, ch. 1, PG 59,
col. 166-167.
3. Ps 39, 10.
4. Jean 18, 20.
5. Voir vol. I (2e éd.), Préface, p. 32.
6. Cf. Gn 29, 35; SAINT AUGUSTIN,
Enarrationes in Psalmos, Ps 75, 3, 4-5, CCL vol. XXXIX, p. 1038 (PL 36, col. 959). Voir aussi Fr. WUTZ,
Onomastica sacra, pp. 88, 476, 586, etc.
OR
JEAN AUSSI BAPTISAIT A AENON, PRES DE SALIM, PARCE QUIL AVAIT LA BEAUCOUP
DEAU; ET LON Y VENAIT, ET LON Y ETAIT BAPTISE. CAR JEAN NAVAIT PAS ENCORE
ETE MIS EN PRISON.
500. LEvangéliste dépeint maintenant le baptęme de Jean, en faisant connaître dabord la personne de celui qui baptise [n° 501], puis le lieu du baptęme [n° 502], puis son fruit [n° 503] et enfin le temps oů a lieu ce baptęme [n° 504].
7. Cette distinction des deux sens de la" confession"
se retrouve fréquemment chez saint Augustin. Voir les nombreuses références
données par E. Jeauneau dans JEAN SCOT ERIGČNE, Commentaire sur lEvangile de
Jean, p. 238, note 3.
8. Ps 113, 2.
9. Tout ce passage est assez proche du passage parallčle de Scot
Erigčne (repris dans la Glossa ordinaria)" Suivant le sens moral, le pays
de Judée est le cur des fidčles [croyants]. Judée, en effet, veut dire
"confession". Mais il y a deux sortes de confession : on confesse ses
péchés, on confesse aussi les louanges divines. Quand cette double confession,
celle des péchés et celle des louanges divines, existe dans un cur, Jésus y
vient avec ses disciples autrement dit avec son enseignement et le
rayonnement de sa lumičre , il y demeure et il purifie ce cur de tous ses
péchés. Cest ce que signifie la suite du texte : Il demeurait lŕ avec eux et
il baptisa" (JEAN SCOT ERIGČNE, Commentaire sur lEvangile de Jean, III,
vu, p. 239; cf. p. 373, oů ce passage a été relevé parmi les "gloses
marginales" de la Glossa ordinaria).
10. Jean 14, 23.
11. Prov 28, 13.
OR
JEAN AUSSI BAPTISAIT A AENON, PRES DE SA LIM, PARCE QUIL Y AVAIT LA BEAUCOUP
DEAU; ET LON Y VENAIT, ET LON Y ETAIT BAPTISE.
501. La personne qui baptise est Jean : OR JEAN AUSSI BAPTISAIT. Mais ici se pose une question. Puis que le baptęme de Jean était ordonné au baptęme du Christ, il semble que, le baptęme du Christ une fois venu, Jean aurait dű cesser de baptiser, de męme que, une fois venue la vérité, la figure cesse.
Il y a ŕ cela trois réponses. La premičre se fonde sur la personne du Christ Jean a baptisé pour que le Christ fűt baptisé par lui. Et il ne fallait pas que le Christ fűt seul ŕ ętre baptisé par lui, sinon le baptęme de Jean, en raison de ce caractčre unique, aurait pu paraître meilleur que le baptęme du Christ 12 ; et il était opportun que dautres fussent baptisés par Jean avant le Christ, parce que, avant que lenseignement du Christ ne fűt connu de tous, il était nécessaire que les hommes fussent préparés ŕ [le Christ par le baptęme de Jean. En ce sens, le baptęme de Jean est ŕ celui du Christ ce quest au vrai baptęme la catéchčse, oů lon instruit de la foi les catéchumčnes et oů on les prépare au baptęme. Il fut encore nécessaire que, aprčs que le Christ eut été baptisé par Jean, dautres fussent baptisés par lui, pour que lon ne pensât pas que son baptęme était ŕ rejeter; de męme que, une fois venue la vérité, la pratique des observances légales ne cessa pas tout de suite, mais il fut permis aux Juifs, selon Augustin, de les conserver pendant un certain temps 13.
La deuxičme réponse se fonde sur la personne de Jean : si Jean, dčs que le Christ avait commencé ŕ baptiser, avait lui-męme cessé aussitôt de baptiser, on aurait pu croire quil le faisait par jalousie ou par colčre. Mais parce quil est dit que nous devons avoir soin de faire le bien, non seulement devant Dieu, mais aussi devant tous les hommes 14, Jean ne cessa pas tout de suite de baptiser.
Enfin, la troisičme réponse se
fonde sur les disciples de Jean, qui commençaient déjŕ ŕ ętre jaloux du Christ
et de ses disciples, parce quils baptisaient. Si donc Jean avait aussitôt
cessé complčtement de baptiser, il aurait laissé ses disciples céder davantage
encore ŕ la jalousie et ŕ lhostilité envers le Christ et ses disciples. En
effet, alors męme que Jean baptisait, ils supportaient déjŕ difficilement le
baptęme du Christ, comme la suite le montre clairement; voilŕ pourquoi Jean ne
cessa pas immédiatement de baptiser Prenez garde que cette liberté que vous
avez ne devienne pour les faibles une occasion de chute 15.
12. Voir SAINT AUGUSTIN, Tract. in b. IV,
14, BA 71, pp. 283-285; V, 5, p. 301; XIII, 7, pp. 685-687. Voir aussi Jean ScoT ERIGČNE, op. cit., III, vIII, p. 247.
13. Voir Epistola 82, CSEL vol. XXXIV, pp. 363-367. Lobservance
des coutumes légales des Juifs constitue le thčme de toute cette lettre.
502. Le lieu du baptęme était AENON, PRES DE SALIM, PARCE QUIL Y AVAIT LA BEAUCOUP DEAU. SALIM est appelée aussi dun autre nom SALEM, la ville dont Melchisédech fut roi 16. LEvangéliste dit ici SALIM parce que, chez les Juifs, le lecteur peut, ŕ lintérieur des mots, user des voyelles ŕ son gré; si bien que, chez les Juifs, il importe peu que lon dise Salim ou Salem. Et en ajoutant PARCE QUIL Y AVAIT LA BEAUCOUP DEAU, lEvangéliste explique le nom du lieu, AENON, qui signifie "eau" 17.
14. Ro 12, 17.
15. 1 Corinthiens 8, 9.
16. Gn 14, 18.
503. Quant au fruit du baptęme, cest la rémission des péchés. Cest pourquoi lEvangéliste dit : ET LON Y VENAIT, ET LON Y ETAIT BAPTISE, cest-ŕ-dire purifié; car, comme le disent Matthieu et Luc 18, une grande multitude allait ŕ Jean.
CAR
JEAN NAVAIT PAS ENCORE ETE MIS EN PRISON.
504. LEvangéliste situe
enfin dans le temps ce quil rapporte, et par lŕ donne ŕ entendre quil fait
commencer son récit des actions du Christ avant ceux des autres Evangélistes.
Les autres, en effet, nont commencé le récit des uvres du Christ quŕ partir
du moment oů Jean fut emprisonné. Cest ainsi que Matthieu commence son récit [la vie apostolique du
Christ] par ces mots Ayant appris que Jean avait été livré, Jésus se retira en
Galilée 19. Tous les actes du Christ antérieurs ŕ lemprisonnement de Jean
avaient donc été passés sous silence; voilŕ pourquoi Jean, qui écrivit son
Evangile en dernier lieu, combla cette lacune; et cest ce quil fait
comprendre en disant que JEAN NAVAIT PAS ENCORE ETE MIS EN PRISON 20.
505. Notons encore que cest en raison de léconomie divine que Jean ne baptisa ni ne pręcha plus long temps ŕ partir du moment oů le Christ Lui-męme commença ŕ baptiser, cela pour éviter quun schisme ne se fît dans le peuple; toutefois il lui fut permis de le faire encore un certain temps, pour ne pas apparaître comme quelquun que lon doit rejeter, comme on la dit plus haut [n° 501]. De męme, cest encore en raison de léconomie divine que, aprčs la prédication de la foi et la conversion des croyants, le temple fut entičrement détruit, afin que toute la piété religieuse et lespérance des croyants soient attirées vers le Christ.
17. Cf. JEAN SCOT ERIGČNE, op. cit. III, v pp. 241-243.
18. Voir Mt 3, 5-7 et Luc 3, 3 et 7.
19. Mt 4, 12.
20. Cf n° 367 (vol. I, 2 éd., p. 346).
II
"OR
IL SELEVA DE LA PART DES DISCIPLES DE JEAN UNE DISCUSSION AVEC LES JUIFS A
PROPOS DE LA PURIFICATION. ET ILS VINRENT A JEAN ET LUI DIRENT : "RABBI,
CELUI QUI ETAIT AVEC TOI DE LAUTRE COTE DU JOURDAIN, CELUI A QUI TU AS RENDU
TEMOIGNAGE, LE VOILA QUI BAPTISE, ET TOUS VIENNENT A LUI "
506. LEvangéliste introduit ici la discussion qui séleva ŕ propos des baptęmes. II expose dabord le fait de cette discussion, qui met en comparaison les deux baptęmes [n° 507], puis le rapport qui en est fait ŕ Jean [n° 508], puis la maničre dont celui-ci y met fin [n° 513].
OR IL
SELEVA DE LA PART DES DISCIPLES DE JEAN UNE DISCUSSION AVEC LES JUIFS A PROPOS
DE LA PURIFICATION.
507. Le fait quils étaient, comme on la dit, deux ŕ baptiser, le Christ et Jean, fut pour les disciples de Jean, jaloux pour leur maître, une occasion de dissension IL SELEVA UNE DISCUSSION, une controverse, DE LA PART DES DISCIPLES DE JEAN, ce qui veut dire quils en furent les instigateurs, AVEC LES JUIFS, auxquels les disciples de Jean reprochaient daccourir vers le Christ ŕ cause des miracles quIl faisait, plutôt que vers Jean, qui nen faisait aucun.
Cette discussion séleva A PROPOS DE LA PURIFICATION, cest-ŕ-dire du baptęme. Quant ŕ la cause de la jalousie des disciples de Jean, qui les poussa ŕ engager la controverse, ce fut le fait que Jean envoyait au Christ ceux quil baptisait, alors que le Christ, Lui, nenvoyait pas ŕ Jean ceux quIl baptisait; ce qui laissait paraître et peut-ętre les Juifs le disaient-ils que le Christ était plus grand que Jean. Cest ainsi que les disciples de ce dernier, nétant pas encore spirituels, se querellent avec les Juifs ŕ ce sujet. Puisquil y a parmi vous jalousie et querelle, nętes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon lhomme? 21
ET
ILS VINRENT A JEAN ET LUI DIRENT : "RABBI, CELUI QUI ETAIT AVEC TOI DE
LAUTRE COTE DU JOURDAIN, CELUI A QUI TU AS RENDU TEMOIGNA GE, LE VOILA QUI
BAPTISE, ET TOUS VIENNENT A LUI "
508. ILS VINRENT A JEAN, dit lEvangéliste, pour lui rapporter la discussion quils avaient suscitée. Et si ion est trčs attentif [texte de lEvangile], on comprend que les disciples de Jean sefforcčrent de provoquer chez celui-ci un sentiment dopposition ŕ légard du Christ, semblables en cela au délateur et ŕ lhomme ŕ la langue double dont parle lEcriture : Le délateur et lhomme ŕ la langue double seront maudits, car ils en troubleront beaucoup qui avaient la paix 22.
Ces disciples mettent en avant quatre choses destinées ŕ susciter dans lâme de Jean une opposition ŕ légard du Christ. Ils lui rappellent dabord lhumble condition qui fut jusque-lŕ celle du Christ [n° 509], puis le fait que Jean sest dépensé pour le bien du Christ [n° 510]; aprčs quoi ils soulignent que le Christ sest approprié le ministčre [quexerçait Jean] [n° 511] et, enfin, le dommage qui en résulte pour celui-ci [n° 512].
21. 1 Corinthiens 3, 3.
22. Sir 28, 15.
509. Pour lui rappeler
lhumble condition du Christ, ils disent : CELUI QUI E TAIT AVEC TOI, comme
sil sagissait de lun des disciples, et non pas "celui avec qui tu
étais", comme avec un maître; car si lon rend honneur ŕ quelquun de
plus grand que nous, cela nest pas un si grand motif de jalousie; mais si lon
manifeste plus dhonneur ŕ quelquun de plus petit que nous, cest alors que
nous sommes jaloux Jai vu des esclaves sur des chevaux, et des princes
marchant sur la terre comme des esclaves 23 Jai appelé mon
serviteur et il ne ma pas répondu 24. Un maître, en effet, est plus troublé par la révolte dun serviteur ou
dun sujet que par celle de quelquun dautre.
510. Ensuite, voulant rappeler ŕ Jean quil sest dépensé pour le bien du Christ, ils ne disent pas "celui que tu as baptisé"; car ils auraient par lŕ confessé la grandeur du Christ qui fut manifestée lors du baptęme, ils auraient reconnu que lEsprit Saint était descendu sur Lui sous la forme dune colombe et que la voix du Pčre sétait fait entendre pour Lui; mais ils disent CELUI A QUI TU AS RENDU TEMOIGNAGE, cest-ŕ-dire celui que tu as glorifié et vers qui tu as fait se tourner tous les regards, voilŕ ce quil a laudace de faire en retour ce qui est de nature ŕ susciter beaucoup dirritation : Celui qui mangeait mon pain a levé insolemment le talon contre moi 25. Car ceux qui cherchent leur propre gloire 26, et qui visent leur propre avantage dans le ministčre quils exercent, éprouvent du mécontentement si un autre sapproprie ce ministčre.
23. Qo 10, 7.
24. Jb 19, 16.
25. Ps 40, 10.
511. Cest pourquoi, en
troisičme lieu, ils soulignent que le Christ sest approprié le ministčre de
Jean, en disant : LE VOILA QUI BAPTISE, cest-ŕ-dire qui exerce ton ministčre
ce qui est de nature ŕ susciter beau coup de trouble. On voit en effet, dune
façon générale, les hommes dun męme métier ętre ŕ laffűt les uns des autres
et se jalouser mutuellement. Le potier est jaloux du potier, et non du
charpentier. Cest ainsi que les docteurs jaloux, qui cherchent leur propre
honneur, sont eux aussi mécontents si un autre enseigne la vérité. Cest contre
eux que Grégoire affirme : "Lâme dun pasteur juste souhaite que
dautres enseignent la vérité quŕ lui seul il ne suffit pas ŕ enseigner"
27. Tel fut Moďse : Puisse tout le peuple prophétiser, le Seigneur leur
donnant son Esprit! 28
512. Cependant les disciples de Jean ne se contentčrent pas de le provoquer ŕ propos de ce ministčre assumé par le Christ. Ils lui exposent en quatričme lieu ce qui pouvait laffecter davantage, le dommage que le Christ semblait lui causer en sattribuant son ministčre : ET TOUS, cest-ŕ-dire tous ceux qui avaient coutume de venir ŕ toi, VIENNENT A LUI autrement dit : "Tous courent ŕ son baptęme en tabandonnant et te méprisant." Quauparavant ils aient eu coutume daller ŕ Jean, cela ne fait pas de doute; le Seigneur Lui-męme latteste : Qui ętes-vous allés voir au désert? 29 Une jalousie semblable excitait les Pharisiens contre le Christ et leur faisait dire : Voilŕ que tout le monde court aprčs Lui 30. Mais les propos des disciples de Jean ne réussirent pas ŕ le dresser contre le Christ, car il nétait pas un roseau agité par le vent 31. On le voit clairement dans la réponse qui suit, par laquelle il met fin ŕ la discussion qui lui avait été rapportée.
26. Jean 7, 18.
27. Cf. Moralium libri, XXII, ch. 23, PL 76, col. 247 C :
"Lâme juste des pasteurs (...) souhaite (...) que les lčvres de tous
proclament la vérité quŕ elle seule elle ne suffit pas ŕ exprimer".
28. Nomb 11, 29.
29. Mt 11, 7.
30. Jean 12, 19.
31. Mt 11, 7.
[5]
Jean répondit en disant : "Lhomme ne peut rien recevoir qui ne lui ait
été donné du ciel. Vous me rendrez vous-męmes témoignage, que jai dit : Je ne
suis pas, moi, le Christ, mais jai été envoyé devant Lui. Celui qui a lépouse
est lépoux; mais lami de lépoux, qui se tient lŕ et qui lentend, est ravi
de joie ŕ la voix de lépoux. Cette joie qui est mienne est donc ŕ son comble. Il
faut que Lui croisse et que moi je diminue. 31 Celui qui vient den haut est
au-dessus de tous. Celui qui est [de la terre est de la terre, et parle de la
terre. Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous; et ce quIl a vu et
entendu, cest de cela quIl témoigne. "
513. Voici maintenant la réponse de Jean ŕ la discussion qui lui avait été rapportée par ses disciples 1. Cette discussion impliquait [de la part des disciples de Jean] deux griefs, lun portant sur le ministčre que le Christ sétait approprié LE VOILA QUI BAPTISE , lautre sur le fait que le Christ conquérait lopinion et lestime des hommes : ET TOUS VIENNENT A LUI Aussi Jean fait-il porter sa réponse sur ces deux points : il commence par répondre au grief concernant le ministčre assumé, et répond ensuite au second grief, portant sur la renommée croissante du Christ [n° 522].
Pour répondre au premier grief, il montre dabord lorigine du ministčre du Christ et du sien [n° 514], puis ce qui les distingue [n° 516], et enfin quel est le rôle propre du Christ et quel est le sien dans lexercice de leurs ministčres [n° 522].
1. Cf. n° 506.
I
JEAN
REPONDIT EN DISANT : "LHOMME NE PEUT RIEN RECEVOIR QUI NE LUI AIT ETE
DONNE DU CIEL. VOUS ME RENDEZ VOUS-MEME TEMOIGNAGE QUE JAI DIT : JE NE SUIS
PAS, MOI, LE CHRIST. MAIS JAI ETE ENVOYE DEVANT LUI CELUI QUI A LEPOUSE EST
LEPOUX; MAIS LAMI DE LEPOUX, QUI SE TIENT LA ET QUI LENTEND, EST RAVI DE
JOIE A LA VOIX DE LEPOUX. CETTE JOIE QUI EST MIENNE EST DONC A SON COMBLE. "
514. Dans la réponse de Jean, plusieurs choses sont ŕ remarquer. En premier lieu, alors que ses disciples lui rapportent leur discussion dans une mauvaise intention, et quils méritent pour cela dętre blâmés, Jean cependant ne leur fait pas de vifs reproches, et cela ŕ cause de leur imperfection. Il craignait en effet que, se révoltant devant une réprimande, ils ne se séparent de lui et que, se joignant aux Pharisiens, ils ne tendent publiquement des pičges au Christ. En agissant ainsi, Jean réalise ce qui est dit du Seigneur : Il ne brisera pas le roseau froissé, il néteindra pas la mčche qui fume encore 2. En męme temps, il faut aussi remarquer quau début de sa réponse, Jean naffirme pas au sujet du Christ des choses difficiles et élevées, mais des choses humbles et simples, et cela ŕ cause de la jalousie de ses disciples. En effet, ce qui dans lautre nous dépasse, provoque la jalousie; Jean aurait donc entretenu celle de ses disciples sil avait demblée mis sous leurs yeux la transcendance du Christ.
2. Isaďe 42, 3.
[27]
JEAN REPONDIT EN DISANT : "LHOMME NE PEUT RIEN RECEVOIR QUI NE LUI AIT
ETE DONNE DU CIEL. "
515. Jean affirme donc ici quelque chose dhumble, avec lintention de leur inspirer de la crainte. Le fait que tous accourent vers le Christ, veut-il leur faire comprendre, ne peut venir que de Dieu, car lhomme ne peut rien recevoir, en fait de perfection et de bien, qui ne lui ait été donné du ciel. Si donc vous vous opposez au Christ, cest ŕ Dieu que vous vous opposez Si ce dessein ou cette uvre est des hommes, elle se détruira; mais si elle est de Dieu, vous ne pourrez la détruire 3. Voilŕ lexplication que donne Chrysostome, qui applique au Christ laffirmation de Jean 4.
Augustin, lui, lapplique ŕ Jean lui-męme 5, et cest préférable. En ce sens, LHOMME NE PEUT RIEN RECEVOIR 6 QUI NE LUI AIT ETE DONNE DU CIEL signifie : "Vous, vous ętes jaloux pour moi et vous voulez que je sois plus grand que le Christ;" mais cela ne ma pas été donné et je ne veux pas lusurper Nul ne sattribue cet honneur, mais on est appelé par Dieu, comme Aaron 7. Voilŕ donc manifestée lorigine du ministčre du Christ et de celui de Jean] ils viennent du ciel.
3. Ac 5, 38.
4. In loannem hom., 29, ch. 2, PG 59,
col. 168.
5. Tract, in b. XIII, 9, BA 71, P. 691.
6. Non potest homo accipere quicquam... Accipere (lambanein) est
parfois traduit par "prendre"; mais le nisi datum qui suit ("qui
ne lui ait été donné") indique bien que accipere a plutôt ici le sens
de" recevoir". Cest ainsi que saint Augustin lentend (voir loc. cit.),
en rapprochant ce verset de Jean 1, 16 "De sa plénitude nous avons tous
reçu (nos omnes accepimus)". " Si tous les hommes reçoivent de sa
plénitude, cest quIl est la Source et que les autres y boivent" (op. cit.,
XIII, 8, p. 689; voir aussi la note 3). Voir également XIV, 5, p. 729 (ŕ propos
de Jean 3, 30) : "Que lhomme comprenne oů est sa place, quil fasse sa
confession ŕ Dieu et quil écoute ce que dit lApôtre ŕ lhomme superbe et
orgueilleux qui cherche ŕ sélever : Quas-tu que tu naies reçu (quod non
accepisti)? Mais si tu as reçu, pourquoi te glorifies-tu comme si tu navais
pas reçu? Que lhomme, qui voulait dire sien ce qui nest pas ŕ lui, comprenne
donc quil a reçu, et quil diminue il lui est bon en effet que Dieu soit
glorifié en lui. Quil se diminue en lui-męme afin de saccroître en Dieu. "
Voir aussi JEAN SCOT ERIGČNE, Commentaire sur lEvangile de Jean, III, mx, pp. 253-257"
Je suis homme et non pas Dieu, lui est ŕ la fois Dieu et homme. Il est celui
auquel jai rendu témoignage par ces mots : "De sa plénitude nous avons
tous reçu" (Jean 1, 16). Je suis donc un homme. Je nai rien reçu de
moi-męme, car je ne possčde rien que je puisse recevoir de moi-męme. Tout ce
que jai reçu, cest de lui que je lai reçu. (...) Il y a deux réalités ŕ
considérer en lhomme ce qui est "donné" et ce qui est
"don". Ce qui est "donné" se réfčre ŕ la nature, ce qui est
"don" se réfčre ŕ la grâce. Et bien que ni lune ni lautre de ces
réalités ne viennent dailleurs que de Dieu selon le mot de lApôtre
Quas-tu, ô homme, que tu naies reçu? (1 Corinthiens 4, 7 quod non
accepisti) cependant, de façon courante, l'Ecriture attribue ŕ la nature,
comme appartenant ŕ lhomme lui-męme, ce qui est "donné ", mais
nattribue ce qui est "don" quŕ Dieu seul. Dieu, en effet, a donné
la nature afin de lorner par la grâce. Tel est le sens de ces mots Un homme,
autrement dit la nature humaine, ne peut rien recevoir en fait de grâce si ce
nest ce qui lui a été donné du ciel. En cet endroit, Jean a dit : "ce qui
a été donné ", au lieu de dire "ce qui est don". (...) De quel
ciel sagit-il? Il sagit du Pčre. (...) Un homme ne peut rien recevoir, si ce
nest ce qui lui a été donné du ciel, cest-ŕ-dire du Pčre, qui est le principe
de tous les biens. Et sil la reçu du Pčre, ce fut dabord par le Fils,
"de la plénitude de qui nous avons tous reçu" (Jean 1, 16). "
[28]
"VOUS ME RENDEZ VOUS-MEMES TEMOIGNAGE QUE JAI DIT : JE NE SUIS PAS, MOI,
LE CHRIST, MAIS JAI ETE ENVOYE DEVANT LUI "
516. Il sagit maintenant de ce qui distingue le ministčre du Christ de celui de Jean. Daprčs le témoignage que je Lui ai rendu, dit Jean, vous pouvez savoir quel ministčre ma été confié, et quel ministčre a été confié au Christ; car VOUS ME RENDEZ VOUS-MEMES TE MOIGNAGE, cest-ŕ-dire vous pouvez témoigner, QUE JAI DIT : JE NE SUIS PAS, MOI, LE CHRIST Il confessa, il ne nia pas, il confessa : Je ne suis pas le Christ 8. Mais jai dit cela, poursuit-il, parce que j'ai été envoyé devant Lui, comme un héraut devant un juge. Ain si, par mon témoignage, vous pouvez savoir quel est mon ministčre : précéder le Christ et Lui préparer la voie Il y eut un homme envoyé de Dieu; son nom était Jean. Il vint comme témoin...9 , alors que le ministčre du Christ est de juger et dexercer lautorité.
Enfin, si lon est attentif, on remarquera que Jean, dans sa maničre de répondre, agit avec prudence : il réfute ceux qui avaient suscité la discussion en sappuyant sur leurs propres paroles Cest par ta propre bouche que je te juge 10.
"CELUI
QUI A LEPOUSE EST LEPOUX; MAIS LAMI DE LEPOUX, QUI SE TIENT LA ET QUI LEN
TEND, EST RAVI DE JOIE A LA VOIX DE LEPOUX. CETTE JOIE QUI EST MIENNE EST DONC
A SON COMBLE. "
517. Jean montre ici quel est son rôle propre dans lexercice de son ministčre. Il donne dabord une comparaison, puis lapplique ŕ ce quil veut montrer [n° 521]. La comparaison quil donne se rapporte dabord au Christ, puis ŕ lui-męme [n° 519].
7. He 5, 4.
8. Jean 1, 20.
9. Jean 1, 6-7.
10. Luc 9, 22.
"CELUI
QUI A LEPOUSE EST LEPOUX. "
518. Il faut ŕ ce sujet souligner que, dans les choses humaines, il appartient ŕ lépoux seul de disposer de lépouse, dexercer ŕ son égard lautorité et de lavoir ŕ lui. Voilŕ pourquoi Jean dit : CELUI QUI A LEPOUSE, cest-ŕ-dire celui ŕ qui il appartient davoir lépouse, EST LEPOUX. Or cet époux, cest le Christ Et lui, comme un époux sortant de sa chambre nuptiale... 11 et son épouse est l'Eglise, qui lui est unie par la foi Je tépouserai dans la foi 12 La parole de Séphora ŕ Moďse Tu es pour moi un époux de sang 13 est une figure de ces noces; et cest delles quil est dit dans lApocalypse Voici venues les noces de lAgneau 14. Ainsi, parce que le Christ est lépoux, il Lui appartient davoir lépouse, cest-ŕ-dire l'Eglise; mais ŕ moi, dit Jean, il mappartient seulement de me réjouir de ce que lépoux a lépouse. Cest pourquoi il ajoute :
11. Ps 18, 6.
12. Os 2, 20
13. Ex 4, 25.
14. Ap 19, 7.
"MAIS
LAMI DE LEPOUX, QUI SE TIENT LA ET QUI LENTEND, EST RAVI DE JOIE A LA VOIX
DE LEPOUX. "
519. Plus haut, Jean avait dit quil nétait pas digne de délier la courroie de la chaussure de Jésus 15; mais ici, pour faire comprendre la fidélité de son amour pour le Christ, il se nomme son AMI En effet, pour ce qui concerne son maître, le serviteur nest pas mű par un sentiment damour, mais par un esprit de servitude 16; tandis que lami, lui, soccupe par amour des biens de son ami, et le fait avec fidélité. Cest pourquoi le serviteur fidčle est comme lami de son maître : Si tu as un serviteur fidčle, quil soit pour toi comme ton âme 17. Et la fidélité du serviteur se manifeste quand il se réjouit du bien de son maître et quand il soccupe de ses biens non pour lui-męme, mais pour son maître. Ainsi, parce que Jean na pas gardé pour lui, mais pour lépoux, lépouse qui lui avait été confiée, il fut serviteur fidčle 18 et AMI DE LEPOUX. Cest pour faire comprendre cela quil se dit LAMI DE LEPOUX
Cest ainsi que doivent agir les hommes amis de la vérité, afin de ne pas faire servir ŕ leur propre intéręt et ŕ leur propre gloire lépouse confiée ŕ leurs soins, mais de la garder avec respect pour lhonneur et la gloire de lépoux; autrement ils ne seraient pas amis de lépoux, mais plutôt adultčres. Cest pourquoi Grégoire dit que le serviteur par lintermédiaire de qui lépoux transmet ses dons est coupable de pensées adultčres sil désire plaire ŕ lépouse 20. LApôtre ne faisait pas cela, lui qui disait Je vous ai fiancés ŕ un époux unique, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure 21. Et Jean aussi faisait de męme, puisquil ne garda pas pour lui lépouse, cest-ŕ-dire le peuple croyant, mais le conduisit ŕ lépoux, au Christ 22.
15. Jean 1, 27.
16. Ro 8, 15.
17. Sir 33, 31.
18. Mt 24, 45; 25, 21 et 23.
19. Sur lami de lEpoux, voir aussi n 285 (vol I, 2° éd., pp. 287-288).
20. Regulae pastoralis liber, II, ch. 8,
PL 77, col. 42 C.
520. Ainsi, en se disant LAMI DE LEPOUX, Jean fait comprendre la fidélité de son amour. Puis il fait comprendre sa constance en disant quil SE TIENT LA, ferme dans son amitié et sa fidélité, sans sélever au-dessus de lui-męme A mon poste de garde je me tiendrai 23. Soyez fermes et inébranlables, vous donnant toujours plus ŕ luvre du Seigneur 24. Si lami demeure constant, il sera comme ton égal 25.
Jean fait comprendre encore son attention en disant : ET QUI LENTEND, cest-ŕ-dire qui considčre avec attention la maničre dont lépoux est uni ŕ lépouse. En disant cela il dévoile, selon Chrysostome 26, le mode de ces épousailles. Celles-ci, en effet, sont célébrées dans la foi (comme on la dit plus haut); or la foi vient de ce que lon entend 27 QUI LENTEND peut encore vouloir dire qui obéit avec un grand respect, en disposant de lépouse selon lordre de lépoux Dčs le matin il éveille mon oreille pour que je lécoute comme un maître 28. Voilŕ qui condamne les mauvais prélats, qui ne disposent pas de lEglise 29 conformément aux commandements du Christ.
Enfin Jean fait connaître sa
joie spirituelle en disant que LAMI DE LEPOUX est RAVI DE JOIE A LA VOIX DE
LEPOUX, cest-ŕ-dire lorsque celui-ci sadresse ŕ lépouse. Il dit quil est
RAVI DE JOIE [SE REJOUIT DE JOIE] pour montrer la vérité et la perfection de sa joie. En effet, celui
qui ne se réjouit pas du bien ne se réjouit pas dune vraie joie. Cest
pourquoi, "si je maffligeais de ce que le Christ, qui est lEpoux
véritable, évangélise lépouse, cest-ŕ-dire lEglise, je ne serais pas lami
de lépoux; mais je ne men afflige pas".
"CETTE
JOIE QUI EST MIENNE EST DONC A SON COMBLE. "
521. Non, je ne men afflige pas, dit Jean; bien au contraire CETTE JOIE QUI EST MIENNE EST A SON COMBLE, puisque je vois ce que jai longtemps désiré lépoux sadressant ŕ lépouse. Ou encore, CETTE JOIE QUI EST MIENNE EST A SON COMBLE en ce sens quelle atteint sa mesure parfaite dčs lors que lépouse est unie ŕ lépoux; car je suis désormais comblé 30 et jai accompli mon ministčre Pour moi je me réjouirai dans le Seigneur, et jexulterai en Dieu mon Sauveur [mon Jésus] 31.
21. 2 Co 11, 2.
22. Cf. n° 302 (vol. I, 2° éd., p. 298).
23. Hab 2, 1.
24. 1 Corinthiens 15, 58.
25. Sir 6, 11.
26. In Ioannem hom., 29, ch. 3, col. 170.
27. Ro 10, 17.
28. Isaďe 50, 4. Le verbe audire, employé dans ce passage
dIsaďe comme en Jean 3, 28 (et Ps 84, 9 cf. plus haut, n 453) signifie ŕ la
fois entendre et écouter. Saint Augustin, dans son commentaire, joue sur les
deux sens du verbe : audiendo audires, "en lécoutant tu
lentendrais" (Tract. in 10. XIII, 16, pp. 708-709).
29. Les prélats (autrement dit ceux qui exercent une haute
charge dans lEglise) "disposent" de lEglise comme lami de lépoux
"dispose" de lépouse selon lordre de lépoux. Nous avons gardé le
męme mot (" disposer") pour traduire le dis ponere latin que saint
Thomas emploie volontairement dans les deux cas et qui signifie ici ordonner,
organiser, gouverner.
30. Littéralement "jai désormais ma grâce", jam habeo
gratiam meam. Y a-t-il ici une réminiscence de 3 Jean, 4 Majorem horum non
habeo gratiam? Gratia peut traduire ŕ la fois deux mots grecs : chara, qui
signifie" joie" (comme en 3 Jean, 4 selon saint Jérôme; la
néo-Vulgate donne gaudium) et charis, qui signifie "grâce", mais peut
signifier aussi "reconnaissance" et "récompense". La gratia
dont saint Thomas parle ici semble bien ętre la grâce que Jean-Baptiste reçoit
de lépoux. Cest en tout cas ainsi que parle Scot Erigčne lorsquil fait dire
ŕ Jean-Baptiste : "Pour que vous sachiez ce que je suis et quelle grâce
jai [(qualem gratiam habeo) de cet époux qui a lépouse, écoutez : Lami de
lépoux... Je ne suis pas lépoux, mais jai [de lépoux une grande grâce
magnam gratiam sponsi habeo) je suis son ami. (...) Moi, je suis lami de
lépoux et je me tiens debout en sa grâce (sto in ejus gratia). Je demeure en
son amitié, je ne tombe pas. Lui-męme me garde pour que je ne tombe pas. Lui-męme
me donne de ne pas abandonner sa grâce, mais de me tenir toujours debout et de
lécouter... " (Commentaire sur lEvangile de Jean, III, X, p. 259).
31. Hab 3, 18 et exsultabo in Deo Jesu meo.
II
IL
FAUT QUE LUI CROiSSE ET QUE MOI JE DIMINUE. CELUI QUI VIENT DEN HAUT EST
AU-DESSUS DE TOUS. CELUI QUI EST ISSU DE LA TERRE EST DE LA TERRE, ET PARLE DE
LA TERRE. CELUI QUI VIENT DU CIEL EST AU-DESSUS DE TOUS; ET CE QUIL A VU ET
ENTENDU, CEST DE CELA QUIL TEMOIGNE.
522. Jean met maintenant fin ŕ la discussion en répondant au grief concernant la renommée croissante du Christ. Pour cela il montre dabord quil convenait que cette renommée croisse [n° 523], puis il en donne la raison [n° 525].
[3,
30] "IL FAUT QUE LUI CROISSE ET QUE MOI JE DIMINUE. "
523. Voici ce que dit Jean : Vous dites, vous que tous accourent vers le Christ, et quainsi Il grandit en considération et en popularité; mais moi je dis quil ny a rien ŕ redire ŕ cela, car IL FAUT QUE LUI CROISSE, non en Lui-męme, mais par rapport aux autres, en ce sens que sa puissance doit se faire connaître deux de plus en plus; mais il faut QUE MOI JE DIMINUE en considération et en popularité; car ce nest pas ŕ moi que sont dus lhonneur et la considération, comme si je tenais la premičre place, mais au Christ. Cest pour quoi sa venue met fin aux marques de considération qui métaient données, et les fait croître ŕ son égard, comme la venue du prince met fin ŕ la fonction de son envoyé Quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel sera aboli 32. De męme que dans le ciel léclat de létoile du matin précčde le lever du soleil, mais que la venue du soleil met fin ŕ son éclat, ainsi Jean a précédé le Christ, et cest pourquoi on le compare ŕ létoile du matin Fais-tu lever en son temps létoile du matin? 33
Que le Christ doive croître et Jean diminuer, cela est signifié aussi dans la naissance et la mort de Jean. Dans sa naissance, car il naquit ŕ lépoque oů les jours commencent ŕ décroître, tandis que la naissance du Christ eut lieu le huitičme jour des calendes de janvier, au moment oů les jours commencent ŕ croître. Et dans sa mort, car Jean mourut diminué par la décapitation, tandis que le Christ mourut grandi par lélévation sur la croix 34.
32. 1 Corinthiens 13, 10.
33. Jb 38, 52.
34. Tout ce passage est emprunté ŕ saint Augustin : Tract. fl 10.
XIV, 5, BA 71, p. 729; voir aussi De diversis quaestionibus 83, q. 58, 1, BA
10, pp. 169-171; et Sermones X ex cod. Cassinen. recens editi (Frangipane),
sermo 8, PL 46, col. 995; voir également SCOT ERIGČNE, Commentaire sur
lEvangile de Jean, III, x, pp. 261-263.
524. Au sens moral 35, il doit en ętre ainsi de chacun de nous : IL FAUT QUE LUI, le Christ, CROISSE en toi, cest-ŕ-dire quil faut que tu progresses dans la connaissance et lamour du Christ. En effet, plus tu deviens capable de Le percevoir 36 par la connaissance et lamour, plus le Christ grandit en toi; comme, ŕ celui qui voit de mieux en mieux une męme et unique lumičre, il semble que cette lumičre grandit 37.
Du męme coup, les hommes qui progressent ainsi diminuent dans lestime quils ont deux-męmes; car plus on progresse dans la connaissance de la grandeur de Dieu, moins on a de considération pour la petitesse humaine. Cest pourquoi, au livre des Proverbes, aussi tôt aprčs lannonce Vision qua racontée lhomme avec qui est Dieu, on lit : "Je suis le plus insensé des hommes, et la sagesse des hommes nest pas avec moi" 38. Et au livre de Job : Mon oreille avait entendu parler de toi, mais maintenant mon il te voit; cest pourquoi je maccuse moi-męme, et je fais pénitence dans la poussičre et la cendre 39.
35. Voir vol. I (2e éd.), Préface, p. 32.
36. "Percevoir" doit ętre entendu ici au sens fort du
percipere latin; il na pas simplement le sens de" saisir par les
sens", mais exprime une connaissance pénétrante et certaine au niveau de
lesprit (et non des sens). Dans un passage dont saint Thomas sinspire ici,
saint Augustin employait le verbe capere (saisir). En lui préférant percipere
(per-capere), saint Thomas souligne la pénétration, la profondeur et la
certitude de cette connaissance.
37. Voir SAINT AUGUSTIN, op. cit., pp. 729-731.
38. Prov 30, 1-2.
39. Jb 42, 5-6.
"CELUI
QUI VIENT DEN HAUT EST AU-DESSUS DE TOUS. CELUI QUI EST [DE LA TERRE EST DE LA
TERRE, ET PARLE DE LA TERRE. CELUI QUI VIENT DU CIEL EST AU-DESSUS DE TOUS; ET
CE QUIL A VU ET ENTENDU, CEST DE CELA QUIL TEMOIGNE. "
525. Jean donne ici la
raison de ce quil a dit précédemment : IL FAUT QUE LUI CROISSE ET QUE MOI JE
DIMINUE; et cela de deux points de vue : du point de vue de lorigine [n° 526] et du point de
vue de lenseignement [n°
530].
526. Toute réalité, pour
ętre parfaite, doit parvenir au terme qui lui est dű en raison de son origine.
Par exemple, celui qui est né dun roi doit grandir jusquŕ ce quil puisse
devenir roi. Or le Christ a une origine transcendante et éternelle; il faut
donc que, par la manifestation de sa puissance, Il grandisse devant les autres
jusquŕ ce que lon reconnaisse quIl est AU-DESSUS DE TOUS. Voilŕ pourquoi Jean
dit CELUI QUI VIENT DEN HAUT, en parlant du Christ selon sa divinité
Personne nest monté au ciel, si ce nest Celui qui est descendu du ciel, le
Fils de lhomme qui est au ciel 40. Vous, vous ętes den bas; moi je suis den haut 41.
527. On peut dire aussi que le Christ VIENT DEN HAUT selon la nature humaine, en ce sens quIl vient de ce quil y a de plus élevé dans cette nature, en lassumant dans ce quelle a de plus élevé en chacun de ses états 42.
On peut en effet distinguer
trois états de la nature humaine. Le premier état est celui davant le péché;
de celui-lŕ le Christ a pris la pureté, en assumant une chair non souillée par
la contagion de la faute originelle Ce sera un agneau sans tache, mâle, âgé
dun an 43. Le second état de la nature humaine est celui daprčs le péché; de
celui-lŕ le Christ a pris la capacité de souffrir et de mourir, en assumant une
chair semblable ŕ celle du péché du point de vue de la peine, et non pas le
péché lui-męme comme faute : Dieu, en envoyant son Fils dans une chair
semblable ŕ celle du péché, a condamné le péché dans la chair... 44. Enfin, le
troisičme état de la nature humaine est celui de la résurrection et de la
gloire; et de celui-lŕ le Christ a pris limpossibilité de pécher et
lépanouissement plénier de lâme 45.
40. Jean 3, 13.
41. Jean 8, 23.
42. Nous lisons ici, avec lédition Marietti, in quolibet statu
(au lieu de in primo statu, comme on le lit dans certains mAriuscrits).
43. Ex 12, 5.
528. Mais il faut se garder
ici dune erreur. Certains, en effet, soutiennent quil serait demeuré en Adam,
matériellement, quelque chose de non souillé par la tache originelle, qui
aurait été transmis pur ŕ ses descendants, jusquŕ la bienheureuse Vierge; et
que cest de cela que le corps du Christ aurait été formé. Une telle
affirmation est hérétique; car tout ce qui a existé matériellement en Adam a
été souillé par la tache du péché originel; et la matičre ŕ partir de laquelle
a été formé le corps du Christ fut purifiée par la puissance de lEsprit Saint sanctifiant
la bienheureuse Vierge.
529. Ainsi le Christ vient den haut selon la divinité et selon la nature humaine, et Il est au-dessus de tous par léminence de son rang Il est élevé au-dessus de toutes les nations, le Seigneur, et sa gloire est au-dessus des cieux 46 ainsi que par son autorité et sa puissance : Le Pčre de la gloire (...) La établi chef sur toute lEglise 47.
44. Ro 8, 3.
45. Littéralement : la jouissance de lâme (fruitio animae),
cest-ŕ-dire ici la jouissance que lâme a de Dieu. Sur la fruitio (expression
qui vient de saint Augustin), voir Somme théologique, I-II, q. 11.
46. Ps 112, 4.
47. Eph 1, 17 et 22.
530. Cest ensuite du point de vue de lenseignement que Jean donne la raison de ce quil avait dit précédemment IL FAUT QUE LUI CROISSE ET QUE MOI JE DIMINUE [n° 525]. Pour cela il montre dabord quel est le mode de lenseignement du Christ, et sa profondeur, puis la diversité des réactions certains reçoivent cet enseignement, dautres ne le reçoivent pas [n° 535].
Pour faire ressortir quel est
le mode de lenseignement du Christ, Jean expose dabord la condition de son
propre enseignement [n°
531], puis celle de lenseignement du Christ [n° 533].
531. Cest principalement ŕ son langage que lon connaît lhomme Ton langage te fait reconnaître 48. La bouche parle de labondance du cur 49. Voilŕ pour quoi ce qui constitue lenseignement dun homme se découvre ŕ partir de la condition de cet homme, et celle-ci ŕ partir de ce qui caractérise son origine.
Pour connaître ce qui
constitue lenseignement de Jean, il faut donc considérer en premier lieu ce
qui caractérise lorigine de Jean. Lui-męme nous la dit il EST [ISSU] DE LA TERRE, non
seulement matériellement, mais aussi selon la cause efficiente, puisque son
corps fut formé par une puissance créée, comme pour tous ceux qui habitent des
maisons de boue, et qui ont un fondement de terre 50. Il faut
ensuite considérer la condition de Jean, qui est terrestre; lui-męme la
manifeste en disant que CELUI QUI EST [DE LA TERRE est DE LA TERRE,
cest-ŕ-dire terrestre. Et cest pourquoi, en troisičme lieu, il décrit son
enseignement comme terrestre en disant quil PARLE DE LA TERRE, cest-ŕ-dire
des choses terrestres Cest de la terre que tu parleras, et de la poussičre que
sera entendue ta parole 51.
532. Mais comment parle-t-il DE LA TERRE, celui qui fut rempli de lEsprit Saint dčs le sein de sa mčre 52?
A cela on peut répondre, avec Chrysostome 53, que si Jean dit quil parle des choses terrestres, cest en comparaison de lenseignement du Christ. Autrement dit, les choses dont il parle sont petites et humbles, susceptibles dętre saisies par une nature terrestre, comparativement ŕ [Ce que peut dire] Celui en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu 54. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées 55.
Ou bien lon peut répondre avec Augustin 56, et cest męme préférable; quen tout homme il faut distinguer ce quil possčde de lui-męme et ce quil tient dun autre. Or Jean, et de męme tout homme comme tel, na par lui-męme que dętre DE LA TERRE; et donc, pour ce qui est de lui, il ne peut parler que DE LA TERRE, et sil dit des choses divines, il le tient dune illumination de Dieu Ton cur est en proie ŕ des imaginations (...) ŕ moins quelles ne te soient envoyées par le Trčs-Haut dans une vision, ny abandonne pas ton cur 57. Cest pourquoi lApôtre dit : Non pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi 58. Et Jésus Lui-męme : Ce nest pas vous qui parlerez, mais cest lEsprit de votre Pčre qui parlera en vous 59. Ainsi, pour ce qui est de lui, Jean est DE LA TERRE et PARLE DE LA TERRE. Sil y eut en lui quel que chose de divin, il faut lattribuer non ŕ celui qui reçoit, mais ŕ celui qui illumine.
48. Mt 26, 73.
49. Mt 12, 34.
50. Jb 4, 19.
51. Isaďe 29, 4.
52. Luc 1, 15; cf. 1, 41-44.
53. In loannem hom., 30, ch. 1, col. 171.
54. Col 2, 3.
55. Isaďe 55, 8-9.
56. Tract. in b. XIV, 6, BA 71, pp. 731-733.
57. Sir 34, 6.
58. 1 Corinthiens 15, 10.
59. Mt 10, 20.
"CELUI
QUI VIENT DU CIEL EST AU-DESSUS DE TOUS; ET CE QUIL A VU ET ENTENDU, CEST DE
CELA QUIL TEMOIGNE. "
533. Jean montre ici ce qui constitue lenseignement du Christ, en trois points. Il commence par dire ce qui caractérise lorigine du Christ : elle est céleste, Il VIENT DU CIEL. En effet, si le corps du Christ a été, matériellement, tiré de la terre, il est cependant venu du ciel dans son principe efficient, en ce sens quil a été formé par la puissance divine. Le Christ vient aussi du ciel en ce sens que cest la personne éternelle et incréée du Fils de Dieu qui vient du ciel en assumant la chair : Personne nest monté au ciel, si ce nest Celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme qui est au ciel 60.
Jean montre ensuite la dignité de la condition du Christ, qui est souverainement élevée : Il EST AU-DESSUS DE TOUS, affirmation qui a été commentée plus haut [n° 529].
Enfin Jean conclut en affirmant la dignité de lenseignement du Christ, qui est absolument sűr, car CE QUIL A VU ET ENTENDU, CEST DE CELA QUIL TEMOIGNE. En effet le Christ, en tant que Dieu, est la Vérité męme; mais en tant quhomme Il est témoin de la Vérité : Si je suis né et si je suis venu dans le monde, cest pour rendre témoignage ŕ la Vérité 61. Voilŕ pourquoi Il se rend témoignage ŕ Lui-męme [ce que Lui reprocheront les Pharisiens] : Tu te rends témoignage ŕ toi-męme 62 ; mais ce dont Il témoigne est certain, parce quIl témoigne de ce quIl a vu auprčs de son Pčre Pour moi, ce que jai vu auprčs de mon Pčre, je le dis et de ce quIl a entendu Et moi, ce que jai entendu de Lui, je le dis 63 au monde 64. A leur tour les Apôtres diront : Ce que nous avons vu et entendu, nous vous lannonçons 65.
60. Jean 3, 13.
61. Jean 18, 37.
62. Jean 7, 13.
63. Jean 8, 38.
64. Jean 8, 26.
534. Notons ici quon ne connaît pas une réalité de la męme maničre par la vue et par louďe. Par la vue, en effet, on connaît la réalité par la réalité męme que lon voit; tandis que par louďe on ne connaît pas la réalité par la voix męme que lon entend, mais par lintelligence de celui qui parle. Parce que le Seigneur possčde la science quIl reçoit de son Pčre, on parle de CE QUIL A VU en tant quIl procčde de lessence du Pčre, et de CE QUIL A ENTENDU en tant quIl procčde, comme Verbe, de lintelligence du Pčre. Dans les réalités intelligentes, autre est lętre, autre le connaître; et, ŕ cause de cela, elles reçoivent leur connaissance autrement de la vue et de louďe. Mais en Dieu le Pčre, lętre et le connaître sont identiques; et cest pourquoi, dans le Fils, voir et entendre sont identiques. De męme encore, ce nest pas lessence męme de la réalité en elle-męme qui est [en celui qui voit, mais une similitude de cette réalité; et en celui qui entend nest pas [sent] ce que conçoit "celui qui parle", mais un signe de ce concept; et, ŕ cause de cela, celui qui voit nest pas lessence męme de la réalité en elle-męme, et celui qui entend nest pas le verbe, ou ce que conçoit, celui qui parle. Mais dans le Fils est lessence męme du Pčre, reçue par génération, et le Fils est Lui-męme le Verbe [du Pčre]; voir et entendre sont donc en Lui identiques 66.
Jean conclut donc de lŕ : "Puisque
lenseignement du Christ est plus élevé et plus certain que le mien, il faut
écouter le Christ plus que moi."
65. 1 Jean 1, 13.
66. Cf. ci-dessous, n° 797 et SAINT AUGUSTIN, Tract. in la. XVIII,
9 et 10 pp. 145-147 et 151; voir aussi XX, 4, XXII, 14 et
XXIII, 8, pp. 237-239, 347. 349 et 377.
32b
"Et son témoignage, personne ne le reçoit. Celui qui reçoit son témoignage
certifie que Dieu est véridique. En effet, Celui que Dieu a envoyé dit les
paroles de Dieu; car Dieu ne donne pas lEsprit avec mesure. Le Pčre aime le
Fils, et Il a tout remis dans sa main. Celui qui croit en le Fils a la vie
éternelle; celui qui refuse de croire au Fils ne verra pas la vie, mais la
colčre de Dieu demeure sur lui. "
535. Plus haut, Jean-Baptiste a attiré lattention de ses disciples sur lenseignement du Christ [n° 530]; il parle maintenant de la foi quil faut avoir en cet enseignement, en montrant dabord la rareté des croyants, cest-ŕ-dire de ceux qui reçoivent le témoignage [n° 536], puis le devoir de croire [n° 538], et enfin la récompense de la foi [n° 546].
I
"ET
SON TEMOIGNAGE, PERSONNE NE LE REÇOIT. "
536. Jean déclare donc :
"Jaffirme que le Christ possčde la science certaine et quIl dit la
vérité. Cependant peu reçoivent son témoignage; mais cela ne diminue en rien
son enseignement, parce que cela ne provient pas de Lui mais de ceux qui ne
reçoivent pas son témoignage", autrement dit les disciples de Jean qui
ne croyaient pas encore et les Pharisiens, qui sopposaient ŕ lenseignement du
Christ. Voilŕ pourquoi Jean dit : ET SON TEMOIGNAGE, PERSONNE NE LE REÇOIT.
537. PERSONNE, ici, peut sentendre en deux sens. PERSONNE peut ici vouloir dire "peu" si toutefois il en est quelques-uns pour le recevoir. De fait, que quelques-uns le reçoivent, il le montre en ajoutant : CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE... LEvangéliste sest déjŕ exprimé de la męme maničre en disant plus haut quIl est venu chez Lui et que les siens ne lont pas reçu 1, parce que peu Lont reçu. Dautre part, recevoir le témoignage de Dieu, cest croire en Dieu; mais nul ne peut croire en Dieu par lui-męme : on ne le peut que par Dieu Cest par grâce que vous ętes sauvés, par le moyen de la foi, et cela ne vient pas de vous, car cest un don de Dieu 2. En ce sens Jean veut dire que PERSONNE NE LE REÇOIT par lui-męme, que seul le reçoit celui ŕ qui cela est donné par Dieu.
On peut encore donner une autre interprétation. LEcriture a coutume de parler dun seul peuple comme de deux. Parce que, tant que nous sommes en ce monde, les méchants sont męlés aux bons, lEcriture parle du "peuple" tantôt avec lintention de parler des méchants, tantôt avec lintention de parler des bons. On trouve cette maničre de parler dans Jérémie, qui dit dabord (au chapitre 26), que tout le peuple et les prętres cherchaient ŕ le tuer 3 avec ici lintention de parler des méchants pour dire aussitôt aprčs, en parlant cette fois des bons, que tout le peuple cherchait ŕ le libérer 4. De męme Jean-Baptiste, portant le regard vers la gauche, cest-ŕ-dire vers les méchants 5, dit : ET SON TEMOIGNAGE PERSONNE NE LE REÇOIT; puis, se tournant vers la droite, cest-ŕ-dire vers les bons, il dit : CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE...
1. Jean 1, 11.
2. Eph 2, 8.
3. Jérémie 26, 8.
4. Ibid., 16.
5. Cf. Mt 25, 33. Saint Thomas reprend ici une interprétation de
saint Augustin : voir Tract, in b. XIV 8, BA 71, p. 741.
II
"CELUI
QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE CERTIFIE QUE DIEU EST VERIDIQUE. EN EFFET, CELUI QUE
DIEU A ENVOYE DIT LES PAROLES DE DIEU; CAR DIEU NE DONNE PAS LESPRIT AVEC
MESURE. LE PERE AIME LE FILS, ET IL A TOUT REMIS DANS SA MAIN. "
538. Jean montre ici lexigence de la foi, qui consiste ŕ se soumettre ŕ la vérité divine. Pour cela il commence par affirmer la vérité divine [n° 539], puis parle de lannonce de cette vérité [n° 540], puis de la capacité de lannoncer [n° 541], et donne enfin la raison de cette capacité [n° 545].
[33]
CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE CERTIFIE QUE DIEU EST VERIDIQUE.
539. Ce que la foi exige de lhomme, cest quil se soumette ŕ la vérité divine. Cest pourquoi Jean dit que CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE car, bien que peu le reçoivent, il en est cependant quelques-uns pour le recevoir , celui-lŕ, quel quil soit, CERTIFIE 6, cest-ŕ-dire doit poser sur son cur comme un sceau 7 attestant que le Christ est Dieu, et quIl EST VERIDIQUE parce quIl se dit Lui-męme Dieu; sIl ne létait pas, Il ne serait pas véridique 8 or il est écrit que Dieu est véridique Cest de ce sceau quil est écrit Pose-moi comme un sceau sur ton cur 9 ; et La solide fondation de Dieu tient debout, munie de ce sceau : le Seigneur connaît ceux qui sont ŕ Lui 10.
6. En latin signavit (parfait ayant le sens dun présent, soit
par suite dune erreur de traduction de lhébreu en grec, puis du arec en
latin, soit parce que le parfait latin lui-męme peut avoir le sens dun présent
accompli : voir A. BLAISE, Manuel du latin chrétien, p. 128; saint Thomas
lui-męme semble donner ŕ ce parfait un sens dobligation" signavit, idest
signum (..) ponere debet seu posuit").
7. En latin signum. Cf. ALcuIN, Commentaria in S. bannis
Evangelium, II, ch. 6, PL 100, col. 789 A; et JE ScoT E1uG Commentaire sur
lEvangile de Jean, III, x pp. 269-271.
8. Ro 3, 4.
9. Cant 8, 6 Pone me ut signaculum super cor tuum. Saint Paul
parle du" sceau (signaculum) de la justice de la foi" (Ro 4, 11; cf. 2,
19).
10. 2 Tm 2, 19.
On peut encore comprendre avec
Chrysostome 11
CELUI QUI REÇOIT SON TEMOIGNAGE, celui-lŕ
CERTIFIE, cest-ŕ-dire manifeste, QUE DIEU, le Pčre, EST VERIDIQUE parce quIl
a envoyé son Fils quIl avait promis denvoyer. Et lEvangéliste dit cela pour
montrer que ceux qui ne croient pas au Christ nient la vérité du Pčre. Cest
pourquoi il attire aussitôt lattention sur la vérité divine en disant : "EN
EFFET, CELUI QUE DIEU A ENVOYE DIT LES PAROLES DE DIEU".
540. Autrement dit, CELUI QUI REÇOIT SON TE MOIGNAGE CERTIFIE que CELUI dont il reçoit le témoignage, le Christ, QUE DIEU A ENVOYE, DIT LES PAROLES DE DIEU. Voilŕ pourquoi celui qui croit ŕ Lui croit au Pčre. Celui qui ma envoyé est véridique; et moi, ce que jai entendu de Lui, je le dis au monde 12. Le Christ ne disait donc que le Pčre et les paroles du Pčre, parce quIl avait été envoyé par le Pčre et parce quIl est Lui-męme le Verbe du Pčre; et de lŕ vient encore que, quand Il parle de Lui-męme, cest du Pčre quIl parle.
Les paroles DIEU EST VERIDIQUE peuvent aussi se rapporter au Christ. Elles donnent alors ŕ entendre la distinction des personnes. En effet, puisque le Pčre est le Dieu VERIDIQUE et que le Christ est le Dieu VERIDIQUE, il sensuit que le vrai Dieu a envoyé le vrai Dieu, distinct de Lui dans la personne, non dans la nature.
11. In Ioannem hom., 30, ch. 2, PG 59,
col. 173
12. Jean 8, 26.
"CAR
DIEU NE DONNE PAS LESPRIT AVEC MESURE. "
541. Le Christ possčde au
plus haut degré le pouvoir dannoncer la vérité parce quIl na pas reçu
lEsprit AVEC MESURE. Voilŕ pourquoi Jean dit ici que DIEU NE DONNE PAS
LESPRIT AVEC MESURE. On pourrait dire en effet que, bien quIl ait été envoyé
par Dieu, tout ce quIl dit ne vient pas de Dieu, mais seulement une partie;
car les prophčtes eux-męmes ont parlé tantôt par eux-męmes, selon leur propre
esprit, tantôt en étant mus par lEsprit de Dieu. On lit par exemple, au second
livre de Samuel, que le prophčte Nathan, parlant selon son propre esprit,
conseilla ŕ David de construire le temple; mais que, par la suite, mű par
lEsprit de Dieu et obéissant ŕ son ordre, il retira ce quil avait dit 13. Mais le
Baptiste montre quil nen va pas ainsi pour le Christ; car si les prophčtes
reçoivent lEsprit de Dieu avec mesure, cest-ŕ-dire pour certaines choses et
non pour toutes, et, de ce fait, ne disent pas ŕ propos de tout LES PAROLES DE
DIEU, le Christ, Lui, parce quIl a reçu lEsprit sans mesure et pour toutes
choses, DIT en toutes choses LES PAROLES DE DIEU.
542. Mais comment lEsprit Saint peut-Il ętre donné ŕ quelquun avec mesure, puisquIl est immense, comme laffirme Athanase dans son Symbole : "Immense est le Pčre, immense le Fils, immense le Saint-Esprit 13a"
A cela je réponds quaux hommes lEsprit Saint est donné avec mesure, non pas quant ŕ son essence et ŕ sa puissance, selon lesquelles Il est infini, mais quant ŕ ses dons qui, eux, sont donnés avec mesure : A chacun de nous la grâce a été donnée selon la mesure du don du Christ 14.
13. Voir 2 Sam 7, 3 sq.
13. Symbole de saint Athanase (Quicum que vuit salvus esse), PG
28, col. 1581 sq. Voir VACANT et MANGENOT, Dictionnaire de théologie
catholique, I, col. 2179, n° 9. Lorigine du Symbole est discutée; il semble
quil ait été rédigé dans le cercle des écrivains qui se rattachent ŕ Arles et
ŕ Lérins, au Ve sičcle : certains lattribuent ŕ saint Vincent de Lérins,
dautres ŕ saint Hilaire dArles, dautres encore ŕ saint Honorat (op. cit, col.
2186).
14. Eph 4, 7.
543. Il faut noter aussi que ce qui est dit ici du Christ, ŕ savoir que DIEU, le Pčre, ne Lui a pas donné LESPRIT AVEC MESURE, peut sentendre de deux maničres : on peut lentendre du Christ en tant quIl est Dieu ou en tant quIl est homme. En effet, si lon donne quelque chose ŕ quelquun, cest pour que celui-ci le possčde, quil lait. Or avoir lEsprit Saint convient au Christ ŕ la fois en tant que Dieu et en tant quhomme; cest donc ŕ ce double titre quIl a lEsprit Saint. Cependant, en tant quhomme, Il a lEsprit Saint comme Celui qui Le sanctifie LEsprit du Seigneur est sur moi par ce que le Seigneur ma oint 15, cest-ŕ-dire [oint en moi] lhomme; tandis que, comme Dieu, Il a lEsprit Saint comme Celui qui seulement Le manifeste, parce quIl procčde de Lui 16. Celui-lŕ me glorifiera, parce quIl recevra de ce qui est ŕ moi, et Il vous lannoncera 17.
Ainsi, de lune et lautre maničre, en tant quIl est Dieu et en tant quIl est homme, le Christ a lEsprit Saint sans mesure. Car nous disons quau Christ en tant que Dieu, DIEU le Pčre NE DONNE PAS LESPRIT AVEC MESURE parce quIl Lui donne le pouvoir et la puissance de spirer lEsprit Saint. Celui-ci étant infini, le Pčre Le Lui donne infiniment, et Il Le Lui donne comme Il Le possčde Lui-męme : cest-ŕ-dire que, comme Il procčde du Pčre, ainsi lEsprit procčde aussi du Fils. Et cela, le Pčre le donne au Fils par la génération éternelle. De męme le Christ, en tant quhomme, na pas eu [Lui] LESPRIT AVEC MESURE. Aux hommes, en effet, lEsprit Saint est donné avec mesure parce que cest avec mesure que sa grâce leur est donnée; mais le Christ, en tant quhomme, na pas reçu la grâce avec mesure, et donc Il na pas reçu lESPRIT Saint AVEC MESURE.
15. Isaďe 61, 1.
16. Cf. n° 268 (vol. I, 2 éd., p. 272).
17. Jean 16, 14.
544. Il faut noter ici quil y a dans le Christ trois grâces la grâce dunion, la grâce propre ŕ la personne, ou grâce habituelle, et la grâce capitale, qui est une grâce de fécondité. Chacune de ses grâces a été reçue sans mesure par le Christ.
La grâce dunion, qui nest pas la grâce habituelle, est un don gratuit accordé au Christ pour quIl soit Dieu, Fils de Dieu, non par participation, mais par nature, dans la nature humaine, en tant que la nature humaine du Christ elle-męme est unie dans la personne au Fils de Dieu. Cette union est dite "grâce" car le Christ la reçue sans aucun mérite antérieur. Et parce que ętre Dieu par nature est infini 18, le Christ a reçu, par cette union męme, un don infini. Il na donc pas reçu AVEC MESURE lEsprit, cest-ŕ-dire le don et la grâce de lunion qui, en tant que gratuite, est attribuée ŕ lEsprit Saint.
18. "Etre Dieu par nature" traduit lexpression latine
naturalis divinitas, littéralement : "la divinité naturelle",
expression qui peut surprendre et ŕ laquelle lédition Marietti substitue
natura divina, "la nature divine". Cette expression se trouve
également dans le chapitre 225 du Compendium theologiae qui est, ŕ quelques
légčres variantes prčs, identique au n° 544 (inhabituellement long) du
COMMENTAIRE SUR SAINT JEAN. Intrigués par cette identité de textes et par
lexpression naturalis divinitas, nous avons interrogé le P. Léon Reid,
responsable de létablissement du texte critique, qui nous a donné la réponse
suivante" Les corrections que nous devons apporter au texte de lédition
Marietti (...) sont commandées par lanalyse critique des variantes des divers
témoins par rapport au texte de base, sans aucune référence ŕ quelque autre
ouvrage oů se rencontreraient des passages parallčles ou męme identiques. Dans
le cas typique que vous soumettez, oů il y a coďncidence de la Lectura [taire
sur saint Jean] et du Compendium, la leçon naturalis divinitas est attestée par
tous les manuscrits de la Lectura (sauf deux, [qui lisent naturaliser au lieu
de naturalis), et aussi par les éditions imprimées les plus anciennes : Venise
1508, Paris 1520, Lyon 1562, Roma (Piana) 1572. La correction de Mariettj
natura divina apparaît dans lédition de Venise 1745 et de Parme 1861, qui
notent la variante en bas de page. Les données historiques sur le parallélisme
du Compendium et de la Lectura sont trop peu certaines pour quon puisse en
attendre des éclaircissements, comme en témoignent les divergences des historiens
sur la date de composition du Compendium. A ce moment, Réginald de Piperno
était déjŕ "secrétaire" de saint Thomas, et cest ŕ lui que lon doit
la reportatio de la Lectura. Comme vous le pensez, il est possible quil ait
simplement emprunté au Compendium pour sa rédaction de la Lectura. Une
confrontation des parallčles permettrait tout au plus de renseigner sur le
travail de Réginald. Sil est vrai que saint Thomas a révisé les cinq premiers
chapitres de la Lectura, on peut présumer quil en a approuvé la rédaction. On
sait par ailleurs que Réginald a utilisé dans ses Sermones de larges extraits,
souvent ad verbum, de la Lectura super loannem; malheureusement, aucun ne
provient du commentaire sur le chapitre trois. " A ces précieuses
données historiques, dont nous remercions le P. Reid, ajoutons une précision
dordre théologique. En parlant de naturalis divinitas, saint Thomas a recours
ŕ une formalisation en vue de mieux faire comprendre linfini propre aux trois
personnes divines qui sont, dans leur nature, lIpsum Esse subsistens, lEsse
non reçu, donc infini. Cest bien, en effet, lIpsum Esse subsistens que
signifie le terme divinitas, "ce par quoi Dieu est Dieu (si lon ose dire
!). On comprend encore mieux cette formalisation si lon se reporte au texte
parallčle du Compendium, oů saint Thomas emploie ŕ deux reprises
lexpression" ętre Dieu par participation", qui soppose ŕ" ętre
Dieu par nature". Voir Compendium theologiae, ch. 225, § 1 (lidentité
rigoureuse des textes commence au § 2) : "Aux autres saints, en effet, il
a été donné dętre des dieux ou des fils de Dieu par participation (...). Mais
au Christ, selon sa nature humaine, il a été donné dętre Dieu, Fils de Dieu,
non par participation, mais par nature Or ętre Dieu par nature (naturalis
divinitas) est infini... "
On appelle habituelle la grâce selon laquelle lâme du Christ fut pleine de grâce et de sagesse, comme il a été dit plus haut : nous Lavons vu comme Fils unique du Pčre, plein de grâce et de vérité 19. Cette grâce, on peut se demander sIl ne la pas reçue avec mesure. En effet, puisquune telle grâce est un don créé, il faut reconnaître quelle a une essence finie 20.
Certes, dans son essence, en tant quelle est quel que chose de créé, la grâce habituelle du Christ fut finie [reçue donc limitée]; cependant on dit que le Christ la reçue sans mesure, pour trois raisons.
Dabord ŕ cause de celui qui reçoit cette grâce. Il est manifeste que la capacité de toute nature est finie; car, męme si elle peut recevoir le bien infini en le connaissant, en laimant et en jouissant de lui, elle ne le reçoit cependant pas infiniment. Chaque créature a, suivant son espčce et sa nature, une mesure déterminée de capacité; ce qui nempęche pas que la puissance divine pourrait faire [de cette créature] une autre créature douée dune plus grande capacité; mais alors cette derničre ne serait plus de męme nature selon lespčce de męme que, si lon ajoute une unité au nombre trois, il devient alors une autre espčce de nombre. Quand donc il nest pas donné ŕ une réalité autant de bonté divine quen peut recevoir la capacité naturelle de son espčce, il apparaît que le don lui a été fait avec mesure. Quand, au contraire, toute la capacité naturelle est comblée, il ne semble pas que le don lui soit fait avec mesure, parce que, męme sil y a mesure du côté de celui qui reçoit, il ny a pas mesure du côté de celui qui donne, lequel est pręt ŕ tout donner. Si quelquun porte au fleuve un vase, il y trouve ŕ sa disposition de leau sans mesure, bien quil la reçoive avec mesure ŕ cause des dimensions limitées du vase. Ainsi, bien que la grâce habituelle du Christ soit finie [selon son essence, on dit quelle Lui est donnée infiniment, et non avec mesure, parce quelle Lui est donnée autant que la nature créée peut la recevoir.
19. Jean 1, 14.
20. Voir Somme théologique, III, q. 7, a. 11.
La seconde raison pour laquelle on dit que le Christ a reçu la grâce sans mesure est du côté du don reçu. En effet, toute forme ou tout acte, considéré en lui-męme, nest pas fini [ŕ la maničre dont il est limité par le sujet en lequel il est reçu; mais rien nempęche quil soit fini selon son essence, en tant que son acte dętre est reçu dans quelque chose. Est infini selon son essence Celui qui a toute la plénitude de lacte dętre : mais cela ne convient quŕ Dieu, qui est son ętre. Supposons maintenant quune forme particuličre, par exemple la blancheur ou la chaleur, existe sans ętre [reçue] dans un sujet : elle naurait certes pas une essence infinie, puisque son essence serait limitée ŕ un genre ou une espčce; néanmoins elle posséderait toute la plénitude de lespčce, et donc, considérée en tant quespčce, elle serait sans limite ou sans mesure, possédant tout ce qui peut appartenir ŕ cette espčce. Mais si la blancheur ou la chaleur est reçue dans un sujet, elle na pas toujours tout ce qui appartient nécessairement et toujours ŕ cette forme considérée en elle-męme : elle ne la que quand elle est possédée aussi parfaitement quelle peut lętre, cest-ŕ-dire de telle sorte que le mode de possession soit adéquat ŕ la capacité de la réalité possédée. Ainsi, la grâce habituelle du Christ fut certes finie selon son essence, et pourtant on dit quelle fut sans limite et sans mesure parce que, tout ce qui pouvait appartenir ŕ la grâce considérée en elle-męme 21, le Christ la reçu en totalité. Les autres, eux, ne reçoivent pas tout : lun reçoit de telle maničre, lautre de telle autre : Il y a répartition des grâces 22.
21. En latin : quicquid ad rationem gratiae poterat pertinere. Remarquons
ici la précision du texte de saint Thomas. Quand il parle de la grâce qui est
finie parce quelle est créée, il parle de l'" essence" de la grâce;
et quand il veut nous faire comprendre que le Christ reçoit la totalité de la
grâce, il parle de la ratio de la grâce. La "raison" (ratio) se
distingue ici de l'"essence". Celle-ci signifie la détermination de
la réalité selon sa maničre dexister. En ce sens, la grâce du Christ nest pas
infinie, puisquelle est créée. Mais ratio signifie la seule détermination de
la réalité saisie en elle-męme, indépendamment de sa maničre dexister. En ce
sens le Christ possčde la grâce sans mesure Il reçoit donc tout ce qui
appartient ŕ la grâce considérée en elle-męme, et cest pourquoi saint Thomas
parle alors de la ratio de la grâce.
22. 1 Corinthiens 12, 4. A propos de cette citation assez
surprenante, puisque saint Paul parle des charismes et non de la grâce
sanctifiante, noublions pas que saint Thomas a présent ŕ la mémoire, sinon
devant les yeux, le commentaire de saint Augustin (Tract. in b. XIV, 10). Or
saint Augustin, pour montrer quaux hommes lEsprit est donné avec mesure, se
sert du passage de la Premičre Epître aux Corinthiens sur la diversité des
charismes, "dons spirituels" manifestant la présence de lEsprit et
son action dans les hommes" A lun est donné par lEsprit une parole de
sagesse, ŕ lautre une parole de science etc. " Commentant ŕ son tour les
paroles de saint Jean concernant le Christ : "Dieu ne donne pas lEsprit
avec mesure", saint Thomas, en théologien, parle de la grâce sanctifiante,
qui est donnée sans mesure au Christ et avec mesure aux hommes; et cependant il
garde la citation de saint Paul qui concerne les charismes. Si lon ne
discernait pas, sous la rédaction de saint Thomas, celle de saint Augustin, on
pourrait accuser saint Thomas de faire ici et dans le passage parallčle du
Compendium theologiae) un usage abusif de lautorité de saint Paul, car on ne
peut pas justifier laffirmation de la plénitude de grâce sanctifiante du
Christ et du caractčre partiel de la grâce des membres de son Corps en
sappuyant sur un texte qui regarde immédiatement les charismes.
23. On sattendrait plutôt ŕ ce que saint Thomas parle ici du
Verbe comme principe infini et inépuisable de toute grâce, plutôt que de
mentionner lemanatio creaturarum. Son argumentation serait alors plus précise.
Interrogé également sur ce point, le P. Reid nous répond : "Le texte
totius emanationis creaturarum paraît en effet un peu bizarre puisquil sagit
de la grâce. Il nest pas impossible que le texte originel ait été gratiarum au
lieu de creaturarum; mais pour léditeur critique rien nautorise cette
conjecture. On trouve cependant dans le lieu parallčle de la Somme théologique
(III, q. 7, a. 11) : "la grâce est conférée ŕ lâme du Christ comme ŕ un
certain principe universel de gratification (cuidam universali principio
gratificationis) dans la nature humaine". Il mest difficile den dire
plus : le silence est encore la meilleure façon pour un ignorant de montrer
quil nest pas sot !"
24. Eph 5, 23.
Enfin, la troisičme raison pour laquelle on dit que le Christ a reçu la grâce sans mesure relčve de la cause męme de la grâce. Car dans la cause est contenu dune certaine maničre leffet. On dira donc, de celui (quel quil soit) en qui se trouve une cause ayant une puissance infinie de produire un effet, quil possčde cet effet sans mesure et en quelque sorte infiniment. Par exemple, si quelquun possédait une source capable de jaillir infiniment, on dirait quil possčde leau sans me sure et infiniment. De męme lâme du Christ possčde une grâce infinie et sans mesure, parce quelle est unie au Verbe qui est le principe infini et inépuisable de toute lémanation des créatures 23.
De ce qui vient dętre dit il ressort clairement que la grâce du Christ, quon appelle "capitale" parce que le Christ est la tęte de lEglise 24, est elle aussi infinie dans sa fécondité [notre égard]. En effet, du [seul fait] quIl possčde la grâce, Il la répand. Et donc, parce quIl a reçu sans mesure les dons de lEsprit, Il possčde sans mesure la puissance de les répandre, de sorte que la grâce du Christ suffit non seulement au salut de quelques hommes, mais ŕ celui des hommes du monde entier : Il est Lui-męme victime de propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier 25 on pourrait męme ajouter : et de plusieurs mondes, sils existaient.
"LE
PERE AIME LE FILS, ET IL A TOUT REMIS DANS SA MAIN. "
545. Le Christ possčde aussi la capacité qui convient pour annoncer la vérité divine, parce que tout est en sa puissance. Voilŕ pourquoi Jean dit : LE PERE AIME LE FILS, ET IL A TOUT REMIS DANS SA MAIN, ce qui peut se rapporter au Christ en tant quhomme et au Christ en tant que Dieu, mais de deux maničres différentes.
Si ces paroles se rapportent au Christ selon sa nature divine, alors AIME nexprime pas [une relation de] principe 26, mais [de] Signe; car nous ne pouvons pas dire que le Pčre donne tout au Fils parce quIl Laime, et cela pour deux raisons. Dabord parce que aimer est un acte de la volonté, alors que donner au Fils sa nature, cest Lengendrer; si donc cétait par sa volonté que le Pčre donnait au Fils sa nature, cest la volonté du Pčre qui serait le principe de la génération du Fils, et par conséquent le Pčre engendrerait le Fils par sa volonté et non par sa nature ce que prétend lhérésie arien ne. En second lieu, parce que lamour du Pčre pour le Fils est lEsprit Saint. Si donc la raison pour laquelle le Pčre a TOUT REMIS entre les mains du Fils était son amour pour Lui, le Saint-Esprit serait principe de la génération du Fils ce qui nest pas conforme [ŕ la foi]. Il faut donc dire que AIME inclut seulement [relation de] signe; autrement dit lamour parfait dont le Pčre aime le Fils est [signifié] par 27 y le fait que le Pčre a TOUT REMIS DANS SA MAIN, cest-ŕ-dire tout ce que Lui, le Pčre, possčde Tout ma été remis par mon Pčre 28. Sachant que le Pčre avait tout remis dans ses mains... 29
Mais si ces paroles se rapportent au Christ en tant quhomme, AIME est comme leur principe. On veut dire alors que le Pčre a TOUT REMIS entre les mains du Fils, cest-ŕ-dire tout ce qui est au ciel et sur la terre 30 Tout pouvoir ma été donné au ciel et sur la terre Dieu (...) a établi [Fils] héritier de toutes choses 31. Et pour quelle raison le Pčre a-t-Il TOUT REMIS au Fils? parce quIl Laime. Cest pourquoi Jean dit : LE PERE AIME LE FILS, car cest bien lamour du Pčre qui est la raison de la création de toute créature Tu aimes tout ce qui est, et tu ne hais rien de ce que tu as fait 32. LEcriture nous parle de cet amour du Pčre pour le Fils : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui jai mis ma complaisance 33. Dieu le Pčre (...) nous a transférés dans le Royaume du Fils de son amour 34, cest-ŕ-dire de son Fils bien-aimé.
25. 1 Jean 2, 2.
26. En latin li DILIGIT non designat principium, sed signum, que
lon peut interpréter de la maničre suivante AIME nexprime pas une relation de
principe ŕ principié, mais de signifié ŕ signifiant, en ce sens que le fait que
le Pčre ait tout remis entre les mains du Fils signifie pour nous que le Pčre
Laime.
27. En latin : est signum quod; mais nous croyons devoir
interpréter comme précédemment.
28. Mt 11, 27.
29. Jean 13, 3.
30. Mt 20, 18.
31. Mc 1, 2.
32. Sag 11, 25.
33. Mt 3, 17.
34. Col 1, 13.
III
"CELUI
QUI CROIT EN LE FILS A LA VIE ETERNELLE; CELUI QUI REFUSE DE CROIRE AU FILS NE
VERRA PAS LA VIE, MAIS LA COLERE DE DIEU DEMEURE SUR LUI "
546. Par ces paroles le Baptiste montre quel est le fruit de la foi, et cela en exposant dabord la récompense de la foi [n° 547], puis le châtiment de linfidélité [rejet de la foi] [n° 548].
CELUI
QUI CROIT EN LE FILS A LA VIE ETERNELLE
547. La récompense de la foi est inestimable : cest la vie éternelle. Jean le dit ici, et ce qui précčde le montre. Si le Pčre A TOUT REMIS au Fils, cest-ŕ-dire sIl Lui a donné tout ce quIl a, et sIl a la vie éternelle, Il a donc donné aussi au Fils dętre la vie éternelle Com me le Pčre a la vie en Lui-męme, ainsi a-t-Il donné au Fils davoir la vie en Lui-męme 35, ce qui convient au Christ en tant quIl est le vrai Fils de Dieu par nature Afin que nous soyons en son vrai Fils, Jésus-Christ. Cest Lui le véritable Dieu et la vie éternelle 36. Celui qui croit en Lui a ce vers quoi il tend, cest-ŕ-dire le Fils Lui-męme en qui il croit. Et parce quIl est Lui-męme la vie éternelle, celui qui croit en Lui a la vie éternelle Mes brebis écoutent ma voix (...) et moi je leur donne la vie éternelle 37.
35. Jean 5, 26.
36. 1 Jean 5, 20.
37. Jean 10, 27-28.
"CELUI
QUI REFUSE DE CROIRE AU FILS NE VERRA PAS LA VIE, MAIS LA COLERE DE DIEU
DEMEURE SUR LUI "
548. Le châtiment de linfidélité est intolérable, tant en ce qui concerne la peine du dam, quen ce qui regarde la peine du sens 38.
Il est intolérable en ce qui concerne la peine du dam, parce quon est privé de la vie. Cest pourquoi Jean dit : CELUI QUI REFUSE DE CROIRE AU FILS NE VERRA PAS LA VIE. Il ne dit pas : "naura pas", mais NE VER RA PAS, parce que la vie éternelle consiste dans la vision de la vraie vie La vie éternelle, cest quils te connais sent, toi le seul vrai Dieu, et Celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 39. Cette vision et cette connaissance, ceux qui refusent de croire ne lauront pas : limpie, dit le livre de Job, ne voit pas couler les ruisseaux [dhuile], les torrents de miel et de laitage 40, cest-ŕ-dire la vie éternelle. Et Jean dit NE VERRA PAS, parce que voir la vie elle-męme est la récompense propre de la foi formée 41.
Le châtiment de linfidélité [du rejet de la foi] est également intolérable en ce qui concerne la peine du sens, parce quon est lourdement puni. Cest pourquoi Jean dit : LA COLERE DE DIEU DEMEURE SUR LUI LEcriture, en effet, parle de la "colčre" de Dieu pour exprimer la peine dont Il punit les méchants. Par conséquent, dire LA COLERE DE DIEU le Pčre DEMEURE SUR LUI, cest dire : il ressentira la peine infligée par Dieu le Pčre. Et bien que le Pčre ait remis au Fils tout jugement 42, le Baptiste attribue cependant cela au Pčre, dans le dessein damener par lŕ les Juifs ŕ croire au Fils. Et de ce jugement il est dit quil est terrible de tomber aux mains du Dieu vivant 43. Sil dit que la colčre de Dieu DEMEURE sur ceux qui refusent de croire, cest parce que cette peine quils devront subir ne cessera jamais, et parce que tous ceux qui naissent en cette vie mortelle ont sur eux la colčre de Dieu que porta le premier Adam Nous étions par nature, cest-ŕ-dire par notre naissance, fils de colčre 44. Or, de cette colčre, nous ne sommes délivrés que par la foi au Christ; cest pourquoi ceux qui ne croient pas en le Christ, Fils de Dieu, LA COLERE DE DIEU DEMEURE sur eux.
38. En péchant contre Dieu, lhomme ne se détourne pas seulement
de sa fin ultime il sattache volontairement ŕ des réalités créées comme si
elles étaient sa fin. Cest pourquoi "au péché commis contre Dieu est due
non seulement la peine du dam [qui est la privation de la vision de Dieu, fin
ultime de lhomme], mais encore la peine du sens [provenant des réalités créées
en lesquelles le pécheur a mis sa fin]. La peine du sens répond en effet ŕ la
faute en tant que celle-ci consiste ŕ se tourner de façon désordonnée vers un
bien sujet au changement, comme la peine du dam répond ŕ la faute en tant
quelle consiste ŕ se détourner du bien immuable. Or la créature raisonnable,
avant tout lâme humaine, pčche en se tournant vers les réalités corporelles
dune maničre désordonnée. Il est donc juste quune peine lui soit infligée par
le moyen des réalités corporelles" (Contra Gentiles, IV, ch. 90, p. 429).
39. Jean 17, 3.
40. Jb 20, 17.
41. Cf. ci-dessus, n° 485, note 26.
42. Jean 5, 22.
43. He 10, 31.
44. Eph 2, 3.
1
Quand donc Jésus connut que les Pharisiens avaient entendu dire quIl faisait
plus de disciples et en baptisait plus que Jean 2 (pourtant ce nétait pas
Jésus qui baptisait, mais ses disciples), Il quitta la Judée et sen alla de
nouveau en Galilée. Or il Lui fallait passer par la Samarie. Il vient donc dans
une ville de Samarie nommée Sichar, prčs du domaine que Jacob donna ŕ son fils
Joseph. 6 était la source de Jacob. Jésus, donc, fatigué de la route, était
assis ŕ męme la source. Cétait environ la sixičme heure. Vient une femme de
Samarie pour puiser de leau. Jésus lui dit : "Donne-moi ŕ boire. " 8
Ses disciples en effet étaient partis pour la ville afin dy acheter des vivres.
Cette femme samaritaine Lui dit donc : "Comment! toi qui es juif, tu me
demandes ŕ boire, ŕ moi qui suis une femme samaritaine?" Les Juifs en
effet nont pas de relations avec les Samaritains.
549. Aprčs avoir exposé lenseignement du Christ sur la régénération spirituelle, et montré que le Christ avait communiqué cette grâce aux Juifs [n° 423], lEvangéliste va montrer maintenant comment cette grâce męme est venue par le Christ jusquaux nations paďennes 1. Or la grâce salvatrice du Christ a été communiquée aux nations de deux maničres : par lenseignement et par les miracles. Les Onze, rapporte Marc, étant partis, pręchčrent partout voilŕ lenseignement , le Seigneur uvrant avec eux et confirmant leur parole par les signes qui laccompagnaient 2 voilŕ les miracles.
LEvangéliste montre donc dabord comment la conversion des nations va sopérer par lenseignement [n° 549], puis comment elle va sopérer par des miracles [n° 664].
Avant de montrer la premičre maničre dont va sopérer cette conversion, il commence par donner quelques préambules ŕ lenseignement [n° 549], puis expose lenseignement lui-męme et son effet [n° 575].
Ces préambules sont au nombre de trois : lun con cerne celui
qui enseigne [n°
549], le second ce qui a été loccasion de
lenseignement [n°
561], et le troisičme la personne qui
lécoute [n°
566].
1. En latin : gentes. Comme dans la Vulgate, ce terme désigne
les nations autres que le peuple dIsraël (donc les nations paďennes). Dans la
suite de la leçon, oů il est employé plusieurs fois, nous le traduirons
simplement par" nations". Saint Thomas, du reste, emploie une fois
(au n° 573) le terme nationes. Il emploie aussi une fois (au n 567) gentiles,
que nous avons traduit par "Gentils" pour marquer la différence de
termes. Gentes, en effet, traduit dans la Vulgate le grec ethnč et désigne
tantôt les nations, sans nuance péjorative, tantôt les paďens, les Gentils;
tandis que le mot gentiles, sil traduit également ethnč, le traduit plutôt au
sens péjoratif du terme; et il traduit aussi hellčnes, les Grecs (ou les
peuples utilisant la langue grecque) au sens de "non-Juifs",
"paďens". Saint Thomas emploie aussi (par exemple au n° 557) le terme
gentilitas, que nous avons traduit par" gentilité" et qui désigne
lensemble des nations (paďennes). Dans sa Somme contre les Gentils (dont le
titre, du reste, nest probablement pas de lui), saint Thomas emploie le terme
gentiles exclusivement pour désigner les paďens de lAntiquité; dans la Somme
théologique, il lemploie parfois pour désigner les paďens en général, quil
appelle assez rarement pagani, se conformant en cela ŕ lancien usage de la
langue latine chrétienne. Cest seulement au IVe sičcle, en effet, que gentilis
a été remplacé par le terme vulgaire de pagArius. Saint Augustin atteste
léquivalence des deux termes dans la Lettre 184 voir ŕ ce sujet A. GAUTHIER,
Introduction historique au Contra Gentiles, pp. 73-74. Voir également E. FORCELLINI,
Totius latinitatis lexicon, III, aux articles gens et gentilis, pp. 200-201, et
A. BLAISE, Le vocabulaire latin des principaux thčmes liturgiques, aux męmes
articles, p. 55.
I
QUAND
DONC JESUS CONNUT QUE LES PHARISIENS AVAIENT ENTENDU DIRE QUIL FAISAIT PLUS DE
DISCIPLES ET EN BAPTISAIT PLUS QUE JEAN (POURTANT CE NETAIT PAS JESUS QUI BAP
TISAIT, MAIS SES DISCIPLES), IL QUITTA LA JUDEE ET SEN ALLA DE NOUVEAU EN
GALILEE. OR IL LUI FALLAIT PASSER PAR LA SAMARIE. IL VIENT DONC DANS UNE VILLE
DE SAMARIE NOMMEE SICHAR, PRES DU DOMAINE QUE JACOB DONNA A SON FILS JOSEPH.
Du côté de celui qui enseigne, le préambule [ŕ lenseignement] est son arrivée au lieu oů Il va enseigner. LEvangéliste indique donc le lieu doů vient le Christ la Judée [n° 550], puis le lieu oů Il se rend la Galilée [n° 557], et enfin le lieu par lequel Il passe : la Samarie [n° 558].
Concernant le premier point, il donne dabord la cause pour laquelle le Christ a quitté le lieu oů Il était [n° 550], puis il ajoute quelques précisions au sujet de cette cause [n° 554]; enfin il expose le départ du Christ de Judée [n° 556].
QUAND
DONC JESUS CONNUT QUE LES PHARISIENS AVAIENT ENTENDU DIRE QUIL FAISAIT PLUS DE
DISCIPLES ET EN BAPTISAIT PLUS QUE JEAN (POURTANT CE NETAJT PAS JESUS QUI
BAPTISAIT, MAĎS SES DISCIPLES), IL QUITTA LA JUDEE...
550. LEvangéliste veut
montrer ici que, aprčs que le Baptiste eut réprimé la jalousie de ses
disciples, le Christ se déroba ŕ la malveillance des Pharisiens.
551. Mais comme il est dit dans lEcriture, du Seigneur notre Dieu, avant quelles fussent créées, toutes choses étaient connues 3, et tout est ŕ nu et ŕ découvert aux yeux de Celui ŕ qui nous devons rendre compte 4; il semble donc quil faille se demander en quel sens il est dit que Jésus connaît quelque chose de nouveau.
A cela il faut répondre que
Jésus, en vertu de sa divinité, connut de toute éternité toutes les choses
passées, présentes et futures, comme le garantit lautorité de lEcriture que
lon vient de citer; mais que, en tant quhomme, Il apprit des choses
nouvelles, dune con naissance expérimentale. Cest de cela quil sagit quand
lEvangéliste dit : QUAND DONC JESUS CONNUT, aprčs quon le Lui eut appris, QUE
LES PHARISIENS AVAIENT ENTENDU DIRE, etc. Si le Christ voulut recevoir cette
connaissance comme une connaissance toute nouvelle, cétait dans le dessein de
manifester la vérité de sa nature humaine, de męme quIl voulut, dans ce but,
faire et souffrir beaucoup dautres choses qui sont propres ŕ la nature
humaine.
2. Mc 16, 20.
552. Mais pourquoi est-il dit que LES PHARISIENS AVAIENT ENTENDU DIRE QUE JESUS FAISAIT PLUS DE DISCIPLES EN BAPTISAIT PLUS QUE JEAN, puisque cela ne les concernait pas? Ces męmes Pharisiens, en effet, persécutaient Jean et ne le croyaient pas. Comme le rapporte Matthieu, lorsque le Seigneur leur demanda doů venait le baptęme de Jean, ils se dirent entre eux : Si nous répondons : Du ciel, il nous dira Pourquoi donc ny avez-vous pas cru? 5 Cest donc quils navaient pas cru Jean.
A cette question on peut répondre de deux maničres. Ou bien les disciples de Jean qui avaient précédemment provoqué une discussion contre le Christ étaient eux-męmes Pharisiens ou liés aux Pharisiens; cela expliquerait quil soit dit, en Matthieu, que les Pharisiens, en męme temps que les disciples de Jean, posčrent des questions hostiles aux disciples du Christ 6. Et la conclusion que tire lEvangéliste en disant : QUAND DONC JESUS CONNUT (...), IL QUITTA LA JUDEE, signifierait ceci aprčs que Jésus eut compris la discussion des disciples de Jean, qui étaient Pharisiens ou liés aux Pharisiens, et leur agitation au sujet de son baptęme et de celui de ses disciples, IL QUITTA LA JUDEE.
Ou bien seconde réponse possible les Pharisiens furent, par jalousie, troublés au sujet de la prédication de Jean, et ŕ cause de cela persuadčrent Hérode de se saisir de lui. Cela apparaît clairement dans le passage de Matthieu oů le Christ, parlant de Jean, dit Elie est déjŕ venu (...) et ils lui ont fait tout ce quils ont voulu, pour ajouter aussitôt : De męme le Fils de lhomme aura ŕ souffrir par eux 7, passage au sujet du quel la Glose 8 dit que les Pharisiens incitčrent Hérode ŕ emprisonner Jean et ŕ le faire mourir. Il semble donc probable quils éprouvaient contre le Christ une irritation semblable, du fait quIl pręchait. Et en ce sens, les paroles de lEvangéliste signifient que les Pharisiens, jaloux du Christ et tout pręts ŕ Le persécuter, avaient pręté attention, en vue de Le persécuter, au fait QUE JESUS FAISAIT PLUS DE DISCIPLES ET EN BAPTI SAIT PLUS QUE JEAN.
3. Sir 23, 29.
4. He 4, 13.
5. Mt 21, 25.
6. Voir Mt 9, 11 et 14.
7. Mt 17, 12.
8. Voir BČDE, In S. Matthaei Evangelium expositio, lib. 3
(Glossa), PL 92, col. 82 A : les Pharisiens" méprisčrent et décapitčrent
EJean]. "
9. Jb 28, 22.
10. Ps 131, 6 et 7.
553. De cette maničre dentendre [de pręter attention] il est dit au livre de Job La perdition et la mort ont dit : Nous en avons de nos oreilles entendu parler 9. Mais les bons, eux, écoutent pour obéir : Nous avons entendu dire que [larche du Seigneur] était en Ephrata (...) Nous adorerons dans le lieu oů se sont arrętés ses pieds 10.
Les Pharisiens, donc, avaient
entendu dire deux choses QUE JESUS FAISAIT PLUS DE DISCIPLES QUE JEAN, ce qui
était, certes, juste et compréhensible puis que, comme il a été dit plus haut,
il fallait que le Christ croisse et que je [Jean] diminue 11; et que Jésus
BAPTISAIT, cela ŕ juste titre, puisque cest Lui qui purifie Lčve-toi,
Seigneur, en baptisant, selon le précepte que tu as établi au sujet du baptęme,
et lassemblée des peuples réunis par le baptęme tenvironnera 12.
554. En disant ensuite que, POURTANT, CE NETAIT PAS JESUS QUI BAPTISAIT, MAIS SES DISCIPLES, lEvangéliste précise ce quil vient de dire au sujet du baptęme du Christ dont les Pharisiens avaient entendu parler.
Cependant Augustin dit quil semble y avoir lŕ une incohérence. Plus haut, en effet, lEvangéliste avait dit quIl baptisait mais ici, comme pour corriger une affirmation qui aurait été fausse, il dit ET POURTANT CE NETAIT PAS JESUS QUI BAPTISAIT 14.
A cela on peut répondre de deux maničres. Selon Chrysostome 15, ce que lEvangéliste dit ici est vrai : le Christ na baptisé personne. Quant ŕ ce qui a été dit précédemment, ŕ savoir quIl baptisait, il faut le prendre comme le bruit qui courait chez les Pharisiens, que le Christ baptisait; et cela parce quon serait venu leur dire : "Vous avez fait emprisonner Jean parce quil faisait des disciples et baptisait : mais voilŕ que celui-ci, cest-ŕ-dire Jésus, fait plus de disciples que Jean, et baptise. Pourquoi donc le supportez-vous?" Ce nest donc pas de lui-męme que lČvangéliste, plus haut, dit que le Christ baptise il rapporte ce que les Pharisiens ont entendu dire. Et maintenant, voulant corriger la fausse rumeur qui circule dans le peuple, il dit : Il est vrai que les Pharisiens ont entendu dire que le Christ baptise, mais cest faux. Tel est le sens de ses paroles : POUR TANT CE NETAIT PAS JESUS QUI BAPTISAIT, MAIS SES DISCIPLES.
Toujours selon Chrysostome, le Christ na pas baptisé parce quen aucun des baptęmes conférés par Jean et les disciples du Christ durant tout le temps qui précéda la Passion du Christ, lEsprit Saint ne fut donné; mais le but de ce baptęme était de disposer les hommes au baptęme du Christ et de les rassembler pour la prédication, comme Chrysostome le dit lui-męme 16. Il ne convenait pas, en effet, que le Christ baptisât, si dans ce baptęme nétait pas donné lEsprit Saint, qui ne fut pas donné avant la Passion du Christ, comme il sera dit plus loin : LEsprit navait pas encore été donné parce que Jésus navait pas encore été glorifié 17.
Mais daprčs Augustin 18 il faut dire, et cest plus vrai, que les disciples conféraient le baptęme du Christ, cest-ŕ-dire le baptęme dans leau et dans lEsprit, lequel était donné dans ce baptęme, et que le Christ Lui-męme ŕ la fois baptisait et ne baptisait pas. Il baptisait, certes, parce que cest Lui qui purifiait intérieurement; mais Il ne baptisait pas, parce que ce nest pas Lui qui, ŕ lextérieur, pratiquait limmersion. Les disciples en effet sacquittaient du ministčre de lablution du corps, tandis que le Christ apportait lEsprit qui purifie intérieurement 19 Cest donc Lui qui, ŕ proprement parler, baptisait Celui sur qui tu verras lEsprit descendre et demeurer, cest Lui qui baptise dans lEsprit Saint 20.
Que faut-il donc répondre ŕ ce que dit Chrysostome, alléguant que lEsprit Saint navait pas encore été donné, etc.? QuIl navait pas été donné avec des signes visibles, comme Il fut donné aux disciples aprčs la Résurrection de Jésus-Christ; mais quIl avait cependant été donné, et quIl était donné, aux croyants par la sanctification intérieure.
Si le Christ na pas toujours
baptisé, cest pour nous donner un exemple ceux qui exercent les plus hautes
charges dans l'Eglise ne doivent pas semployer aux fonctions qui peuvent ętre
remplies par dautres, mais ils doivent en laisser le soin ŕ leurs inférieurs
Le Christ ne ma pas envoyé baptiser, mais évangéliser 21.
11. Jean 3, 30.
12. Ps 7, 7.
13. Jean 3, 22.
14. Cf. Tract. in b. XV, 3, BA 71, p. 761.
15. Cf. In loannem hom., 31, eh. 1, PG 59, col. 176 "En réalité, Jésus ne baptisait pas Lui-męme, mais comme
les envoyés voulaient exciter plus denvie contre Lui, ils le rapportaient
ainsi. "
16. Op. cit., 29, eh. 1, col. 167-168.
17. Jean 7, 39. Commentant ce verset, saint Jean Chrysostome
reconnaît que, certes, lEsprit Saint avait déjŕ été donné aux prophčtes; mais
cette grâce fut donnée avec mesure, puis retirée peu ŕ peu en effet, il ny
avait plus de prophčtes chez les Juifs. Cest aprčs la Croix, poursuit-il, que
lEsprit Saint fut répandu avec une plus grande effusion, accompagnée de
charismes plus grands et plus admirables. Saint Jean Chrysostome cite en
particulier Ro 8, 15 "Vous navez pas reçu un esprit de servitude, mais
vous avez reçu un esprit dadoption". Voir In loannem hom., 51, ch. 1-2, col. 284.
18. Tract, in b. XV, 3, p. 761.
555. Les disciples du Christ furent-ils eux-męmes baptisés? A cette question on peut répondre, comme le fait Augustin dans sa lettre ŕ Seleuciana 22, quils furent baptisés soit du baptęme de Jean, parce que certains des disciples du Christ avaient été disciples de Jean, soit (ce qui est plus vraisemblable) du baptęme du Christ. On ne croit pas, en effet, quIl se soit abstenu dexercer le ministčre du baptęme, et cela afin davoir des serviteurs baptisés par lintermédiaire desquels Il baptiserait les autres. Cest cela quil faut entendre par les paroles quIl prononcera plus tard Celui qui sest baigné na besoin que de se laver les pieds. Vous aussi vous ętes purs, mais non pas tous 23.
19. Ces deux derničres phrases reproduisent, en les précisant,
deux phrases de saint Augustin" En effet Il baptisait, parce que cest Lui
qui purifiait; Il ne baptisait pas parce que ce nest pas Lui qui pratiquait
limmersion. Les disciples sacquittaient du ministčre du corps, Lui apportait
le secours de sa majesté" (Tract, in b. XV, 3, p. 761).
20. Jean 1, 33.
21. 1 Corinthiens 1, 17.
22. Epistula 265, 5, 10 sq., CSEL vol. LVII, pp. 643-644 (PL 33
col. 1088, 5). Cf. Epistula 44, V, 10, 1 sq., CSEL vol. XXXIV p. 118 (PL 33,
col. 178, ch. V, 10).
556. LEvangéliste affirme ensuite le départ du Christ en disant quIL QUITTA LA JUDEE, cela pour trois motifs. En premier lieu pour se soustraire ŕ la jalousie des Pharisiens, qui étaient agités par ce quils avaient entendu dire du Christ et qui se préparaient ŕ Le persécuter. Il nous donne ainsi un exemple, pour que nous nhésitions pas ŕ nous écarter momentanément, par douceur, de ceux qui font le mal : Nentasse pas de bois sur son feu [dit l'Ecriture en nous conseillant de ne pas avoir de querelle avec un grand parleur] 24. Second motif de son départ : le Christ veut nous montrer que ce nest pas pécher que de fuir ses persécuteurs 25 Lorsquon vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre 26. Troisičme cause de son départ : le temps de sa Passion nétait pas encore venu, comme Il le dira Lui-męme plus loin : Mon temps nest pas encore venu 27. Enfin il y a encore une autre cause, qui a une signification cachée par un tel départ le Christ signifiait que ses disciples, ŕ cause de la persécution des Juifs, quitteraient ceux-ci et iraient vers les nations, comme le rapportent les Actes :... les Juifs furent remplis de jalousie, et en blasphémant ils contre disaient ce que disait Paul. Alors Paul et Barnabé dirent avec assurance : Cétait ŕ vous quil fallait dabord annoncer la parole de Dieu; mais puisque vous la rejetez et que vous vous jugez indignes de la vie éternelle, voici que nous nous tournons vers les nations. Car ainsi nous la ordonné le Seigneur... 29
23. Jean 13, 10.
24. Sir 8, 4.
25. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in b. XV, 2, p. 759.
26. Mt 10, 23.
27. Jean 7, 6.
[3b]
ET IL SEN ALLA DE NOUVEAU EN GALILEE.
557. LEvangéliste indique maintenant le lieu oů se rendit le Christ. Sil dit DE NOUVEAU, cest parce que, plus haut, il avait fait mention dune autre descente du Christ en Galilée : lorsque, aprčs le miracle des noces, II était descendu ŕ Capharnaüm 29. Les trois autres Evangélistes ne font pas mention de cette premičre descente; cest pourquoi Jean dit DE NOUVEAU, afin de donner ŕ entendre que les autres Evangélistes ont passé sous silence tout ce que lui-męme a dit jusquŕ ce chapitre, et quŕ partir de maintenant il commence ŕ ponctuer 30 lhistoire contemporaine de leurs Evangiles.
Quant ŕ la Galilée, il y a deux maničres dinterpréter son nom. Ou bien il faut lentendre de la gentilité, vers laquelle va le Christ en quittant les Juifs : "Galilée" peut en effet se traduire "transmigration". Ou bien, selon une autre interprétation, il faut entendre ici par la Galilée la gloire céleste, car "Galilée" peut aussi se traduire "révélation" 31.
28. Ac 13, 45-47; cf. 8, 1 et 4 sq.
29. Jean 2, 12.
30. Saint Thomas emploie ici le verbe texere, tisser, image qui
exprime bien une disposition selon un ordre.
31. La premičre interprétation (transmigratio), qui était déjŕ
donnée au n" 338 oů nous lavions traduite par" passage" (voir
vol. I, 2e éd., p. 326, note 12), vient de saint Jérôme. La seconde (ici
revelatio, mais Scot Erigčne donne revolutio) trouve, sous ses deux formes, un
appui chez Denys. Voir JEAN SCOT ERIGČNE, Commentaire sur lEvangile de Jean,
IV, j, SC 180, p. 283, et la note dE. Jeauneau, pp. 283-284; voir aussi Fr. Wurz,
Onomastica sacra, p. 547.
[4-5]
OR IL LUI FALLAIT PASSER PAR LA SAMARIE. IL VIENT DONC DANS UNE VILLE DE
SAMARIE NOMMEE SICHAR, PRES DU DOMAINE QUE JACOB DON-[4-5] NA A SON FILS JOSEPH.
558. LEvangéliste indique
enfin le lieu par lequel passe le Christ; il le fait dabord dune maničre
générale [n°
559], puis avec plus de précision [n° 560].
559. Le lieu par lequel le Christ passe pour se rendre en Galilée est LA SAMARIE. LEvangéliste dit quil LUI FALLAIT PASSER par lŕ afin de montrer que, mal gré les apparences, Il nagit pas contrairement ŕ ce quIl enseigne. Il donna en effet ŕ ses disciples lordre de ne pas prendre le chemin des nations et de ne pas entrer dans une ville des Samaritains 32. Or la Samarie était une terre des nations. LEvangéliste, en disant IL LUI FALLAIT, veut donc montrer que ce nest pas ŕ des sein que le Christ sy rendit, mais par nécessité; et la raison de cette nécessité est que la Samarie était située entre la Judée et la Galilée.
Au sujet de cette Samarie, il faut savoir que Amri, roi dIsraël, établit sur une certaine montagne une ville quil appela SAMARIE et qui devint le sičge du royaume et sa capitale; et quŕ cause de cela toute la région fut appelée SAMARIE, du nom de cette ville 33. Quand lEvangéliste dit quIL LUI FALLAIT PASSER PAR LA SAMARIE, il faut donc comprendre que cest par la région que le Christ devait passer, et non par la ville.
32. Mt 10, 5.
33. Voir 1 Rs 16, 23-24 Amri (Omri), roi dIsraël (pčre
dAchab), "acheta ŕ Somer (Shemer) la
montagne de Samarie, pour deux talents dargent; et il la bâtit, et il appela
la ville quil avait construite Samarie, du nom de Somer, propriétaire de la
montagne. "
560. Aussi, indiquant dune maničre plus précise le lieu par lequel Jésus passe, ajoute-t-il : IL VIENT DONC DANS UNE VILLE DE SAMARIE, cest-ŕ-dire de la région de Samarie, NOMMEE SICHAR. Sichar, en effet, est sous un autre nom la męme ville que Sichem dont parle la Genčse. Jacob, y est-il dit, dressa ses tentes prčs de cette ville; et, ŕ cause du rapt de sa fille Dma par Sichem, le fils du roi [Hémor] 35, deux fils de Jacob, indignés, tučrent les hommes de cette ville 36. Cest ainsi quelle devint la possession de Jacob, qui y habita et y creusa des puits. Plus tard, sur le point de mourir, il la donna ŕ son fils Joseph, comme on le lit encore dans la Genčse : Je te donne de plus quŕ tes frčres une part que jai prise des mains de lAmorrhéen avec mon glaive et mon arc 37. Cest ce que rappelle lEvangéliste en disant : PRES DU DOMAINE, cest-ŕ-dire prčs du champ, QUE JACOB DONNA A SON FILS JOSEPH.
Si lEvangéliste mentionne avec soin toutes ces choses, cest pour montrer que tous les événements qui concernent les Patriarches neurent dautre sens que de conduire au Christ, que le Christ a été annoncé par les Patriarches et quIl descend deux selon la chair.
34. Le mot "Sichar", note Scot Erigčne, est mis pour
"Sichem" dont il est une corruption. "Sichem" se traduit
par "nombres" : les élus de la Gentilité, en effet, restent ŕ
dénombrer" (Commentaire sur lEvangile de Jean, IV, n, p. 287; en fait,
saint Jérôme, ŕ qui est empruntée cette étymologie, écrit non pas numeros [mais
umeros] : voir la note dE. Jeauneau : op. cit., p. 286, note 2).
35. Gn 34, 2.
36. Gn 34, 25-26.
37. Gn 48, 22.
II
LA
ETAIT LA SOURCE DE JACOB. JESUS, DONC, FATIGUE DE LA ROUTE, ETAIT ASSIS A MEME
LA SOURCE. CETAIT ENVIRON LA SIXIEME HEURE.
561. LEvangéliste donne ici un second préambule ŕ lenseignement du Christ. Il sagit cette fois de la réalité ŕ propos de laquelle lenseignement allait ętre donné; et il convient bien den parler. En effet, lenseignement devant porter sur leau jaillissant de la source spirituel le, cest ŕ juste titre que lEvangéliste fait ici mention de la source matérielle qui fut loccasion dun dialogue sur la source spirituelle quest le Christ En Toi est la source de vie 38, la vie étant ici lEsprit Saint, qui est lEsprit de vie 39, et la source, le baptęme, dont il est dit En ce jour-lŕ il y aura une source ouverte ŕ la maison de David et aux habitants de Jérusalem, pour laver le pécheur 40.
Ainsi, pour montrer ce qui a été loccasion de lenseignement du Christ, lEvangéliste situe dabord la source elle-męme [n° 562], puis décrit la halte du Christ assis ŕ męme la source [n° 563], et enfin indique lheure ŕ la quelle Il sy assit [n° 565].
LA ETAIT
LA SOURCE DE JACOB.
562. LEvangéliste parle ici dune source; mais plus loin il est dit que le puits est profond (4, 11). Il ne sagissait donc pas dune source? A cela il faut répondre, selon Augustin, que cétait ŕ la fois une source et un puits. Tout puits, en effet, est une source, mais lin verse nest pas vrai; car lendroit doů leau sourd de la terre est une source; et si leau sourd en surface, on parle seulement dune source, tandis que si elle sourd ŕ une grande profondeur on lappelle "puits", sans quelle perde pour autant son nom de "source" 41. Et la source dont il est question ici est dite "source DE JACOB" parce que cest lui qui avait creusé ce puits ŕ cet endroit ŕ cause du manque deau, comme le rap porte la Genčse.
38. Ps 35, 10.
39. Cf. Ez 1, 20-21 et 10, 17; 37, 5 et 10; Ap 11, 11.
40. Zach 13, 1.
41. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in b. XV,
5, p. 763.
JESUS,
DONC, FATIGUE DE LA ROUTE, ETAIT ASSIS A MEME LA SOURCE.
563. En sasseyant ainsi,
le Christ montre de la faiblesse, bien que sa force fűt immense; [Il montre de la faiblesse] non par manque de
force, mais pour manifester la vérité de sa nature [humaine]. Comme le dit
Augustin, Jésus est fort parce que dans le Principe était le Verbe 43, mais Il est
faible parce que le Verbe sest fait chair 44. Ainsi, voulant
montrer la vérité de sa nature humaine, le Christ laissait celle-ci faire et
subir ce qui est propre ŕ lhomme; et voulant aussi manifester en Lui-męme la
vérité de sa nature divine, Il faisait et accomplissait ce qui est propre ŕ
Dieu. Quand donc Il retirait ŕ son corps linflux de la force divine, Il avait
faim et Il était fatigué; quand au contraire II laissait se manifester la
puissance divine de son corps, Il se passait de nourriture sans avoir faim et
Il nétait pas fatigué au milieu des labeurs. Il jeűna quarante jours et
quarante nuits, rapporte Matthieu, et ensuite Il eut faim 45.
564. Le fait que Jésus ait été FATIGUE DE LA ROUTE nous donne un exemple : lorsquil sagit du salut des autres, nous ne devons pas reculer devant la peine Je suis pauvre, dit le psalmiste, et je peine depuis ma jeunesse 46. De męme, Jésus nous donne lŕ lexemple de la pauvreté, en étant ASSIS A MEME LA SOURCE, cest-ŕ-dire ŕ męme la terre, tout simplement.
Le fait que le Christ soit assis a également une signification mystique; il signifie dune part lhumilité de sa Passion Tu sais quand je massieds (cest-ŕ-dire : tu connais ma passion) et quand je me relčve (tu connais ma résurrection) 47 dautre part son autorité de docteur, car Il parlait comme ayant autorité 48, et cest pour quoi Matthieu dit que sétant assis (...), Il les enseignait 49.
CETAIT
ENVIRON LA SIXIEME HEURE.
565. LEvangéliste précise maintenant lheure ŕ la quelle Jésus sassit. La raison de cette précision est [ŕ la fois] littérale et mystique.
Au sens littéral, cette précision est donnée pour montrer la cause de la fatigue du Christ; en effet, en pleine chaleur et ŕ la sixičme heure du jour, les hommes sont davantage fatigués par leur labeur. Elle est donnée aussi afin de montrer pourquoi le Christ sassied; car, ŕ lheure du jour oů la chaleur est accablante, les hommes se reposent volontiers prčs de leau.
Au sens mystique, il y a trois raisons [pour que le Christ se soit assis ŕ la sixičme heure]. Lune est que le Christ est venu dans le monde 50, en prenant [notre] chair, au sixičme âge du monde 51. La seconde est que lhomme fut créé le sixičme jour 52, et que le Christ fut conçu au sixičme mois 53. La troisičme est que, ŕ la sixičme heure du jour, le soleil est au zénith et quil ne lui reste plus quŕ décliner. Or le soleil signifie, dans ce contexte, la prospérité temporelle Si, ŕ la vue du soleil dans son éclat, disait Job, mon cur alors a ressenti une secrčte joie... 54 Ainsi le Christ est venu quand la prospérité du monde était ŕ son sommet, cest-ŕ-dire quand lamour [du monde] florissait dans le cur des hommes 55 ; mais grâce ŕ la [présence du] Christ cet amour devait décliner dans le cur des hommes.
42. Le texte latin renvoie ŕ Gn 34. En fait, ni la Genčse ni
aucun autre livre de lAncien Testament ne mentionne ce puits de Jacob.
43. Jean 1, 1.
44. Jean 1, 14. Voir SAINT AUGUSTIN, Tract. in b. XV, 6, p. 765.
Voir aussi JEAN SCOT ERIGČNE, Commentaire sur lEvangile de Jean, IV, II, p. 289"
La fatigue de Jésus est son incarnation : cest notre nature fatiguée par les
labeurs et les souffrances de ce monde ŕ cause du péché originel, quIl a
assumée. (...) Cest sans labeur quIl nous a créés par sa divinité, cest avec
labeur quIl nous a recréés par son humanité. Tout en demeurant éternellement
et immuable. ment en Lui-męme et dans son Pčre, Il sest pour ainsi dire mis en
chemin par sa mission temporelle dans la chair. "
45. Mt 4, 2. Cf. n° 352 (vol. I, 2 éd.,
p. 335).
46. Ps 87, 16.
47. Ps 138, 2.
48. Mt 7, 29; Mc 1, 22.
49. Mt 5, 1-2. En commentant Jean 4, 6, saint Augustin évoque
seulement lhumilité du Christ : "Il sest assis (...) parce quIl sest
humilié" (Tract. in b. XV, 9, p. 771; voir aussi De diversis quaestionibus
83, q. 64, 3, BA 10, p. 217); mais ailleurs il développe la double
signification que peut avoir dans lEcriture le fait dętre assis parfois signe
de la dignité des juges (comme en Mt 19, 28), il peut ętre aussi signe
dhumilité, comme en Jean 4, 6 La fatigue du Seigneur était la faiblesse du
Seigneur, la faiblesse de la puissance, la faiblesse de la sagesse, mais cette
faiblesse męme est humilité. Par conséquent, sIl sest assis par suite de sa
faiblesse, le fait de sasseoir désigne son humilité. Et cest en sasseyant,
cest-ŕ-dire en shumiliant, quIl nous a sauvés, car ce qui est faible en Dieu
est plus fort que les hommes (1 Corinthiens 1, 25)" (Enarr. in Ps., 126,
5, CCL vol. XL, p. 1860 {PL 37, coI 1671]).
50. Jean 18, 37.
51. Cette interprétation est celle que donne saint Augustin voir
Tract, in b. XV, 9, p. 769. Elle est reprise par Scot Erigčne (Commentaire sur
lEvangile de Jean, IV, Ix, pp. 289-29 1.)
52. Gn 1, 26.
53. Il sagit du sixičme mois aprčs la conception de
Jean-Baptiste (Luc 1, 36). Celle-ci est encore dans le temps de lattente et
dans le temps de lhistoire de lhumanité. A partir de la conception du Christ,
le temps de lattente est terminé et męme, dune certaine maničre, il ny a
plus de temps. En effet, léternité est présente dans le temps; cest pourquoi
"le temps est accompli" (Mc 1, 15), et cest pourquoi il est dit que
le Christ vient ŕ "la plénitude du temps" (Ga 4, 4; Eph 1, 10),
"ŕ la fin des temps" (11e 9, 26; cf. 1 Corinthiens 10, 11),
"dans les derniers temps" (1 Pe 1, 20; cf. 1 Jean 2, 18), dans les
"derniers jours" (He 1, 2; cf. Ac. 2, 17).
54. Jb 31, 26; voir n° 226 et note 13 (vol. I, 2e éd., p. 241).
55. Il sagit évidemment ici du "monde" au sens oů
lentend saint Jean quand il dit que "si quelquun aime le monde, lamour
du Pčre nest pas en lui" (1 Jean 2, 15).
III
VIENT
UNE FEMME DE SAMARIE POUR PUISER DE LEAU. JESUS LUI DIT : "DONNE-MOI A
BOIRE. " SES DISCIPLES EN EFFET ETAIENT PARTIS POUR LA VILLE AFIN DY
ACHETER DES VIVRES. CETTE FEMME SAMARITAINE LUI DIT DONC : "COMMENT! TOI
QUI ES JUIF, TU ME DEMANDES A BOIRE, A MOI QUI SUIS UNE FEMME
SAMARITAINE?" LES JUIFS EN EFFET NONT PAS DE RELATIONS AVEC LES
SAMARITAINS.
566. LEvangéliste donne maintenant un troisičme préambule ŕ lenseignement du Christ, du côté, cette fois, de celle qui lécoute. Il commence par présenter la personne ŕ qui lenseignement va ętre donné [n° 567], puis il montre comment elle est préparée ŕ le recevoir [n° 568].
VIENT
UNE FEMME DE SAMARIE POUR PUISER DE [7a] LEAU.
567. La personne ŕ qui va ętre donné lenseignement est UNE FEMME DE SAMARIE. Cette femme représente lEglise des Gentils qui, nétant pas encore justifiée, était retenue dans lidolâtrie, mais qui devait cependant ętre justifiée par le Christ 56. Elle vient de chez les étrangers, cest-ŕ-dire de chez les Samaritains qui avaient été des étrangers, bien quils habitassent les terres voisines; [elle vient de chez eux] parce que lEglise issue des nations, étrangčre ŕ la race des Juifs, devait venir au Christ Beaucoup viendront de lOrient et de lOccident et se mettront ŕ table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux 57.
56. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in b. XV, 10, p. 771 (et déjŕ IX,
6, p. 519, ŕ propos des six urnes de pierre des noces de Cana); voir aussi De
diversis quaest. 83, q. 64, 2, BA 10,
[7b
JESUS LUI DIT : "DONNE-MOI A BOIRE. "
568. Ces paroles préparent
cette femme ŕ recevoir lenseignement du Christ, en lui donnant loccasion de
Linterroger; mais avant de rapporter linterrogation de la femme,
lEvangéliste notera la circonstance [qui permet au Christ
Lui-męme] de lui faire une demande [n°
570].
569. Loccasion que le Christ donne ŕ la femme de Linterroger, par oů Il la prépare ŕ recevoir son enseignement, est sa propre demande : DONNE-MOI A BOIRE. Et sIl lui demande ŕ boire, cest ŕ la fois parce quIl avait soif deau ŕ cause de la forte chaleur du jour, et parce quIl avait soif du salut des hommes ŕ cause de son amour pour eux, ce qui Lui fit dire, lorsquIl était suspendu ŕ la croix : Jai soif 58.
[8]
SES DISCIPLES EN EFFET ETAIENT PARTIS POUR LA VILLE AFIN DY ACHETER DES VIVRES.
570. Voilŕ la circonstance qui permet au Christ dadresser sa demande ŕ la femme : ses disciples, ŕ qui Il aurait demandé de leau, nétaient pas lŕ.
Remarquons ici trois choses au sujet du Christ. En premier lieu son humilité on Le laissait seul. Il donnait par lŕ un exemple ŕ ses disciples, leur apprenant ŕ fouler aux pieds tout orgueil.
Mais peut-ętre pourrait-on se demander quelle nécessité il y avait dhabituer les disciples ŕ lhumilité, eux qui avaient été dhumbles pęcheurs ou fabricants de tentes. Ceux qui font une telle objection doivent pręter attention au fait que ces pęcheurs devinrent, en un instant, plus dignes de respect que tous les rois, plus éloquents que les philosophes et les rhéteurs, et devinrent aussi les amis les plus intimes du Seigneur de lunivers; et que généralement ceux qui se trouvent soudain élevés ainsi senorgueillissent, parce quils nont pas lexpérience de si grands honneurs.
Remarquons ensuite la sobriété du Christ : Il se souciait si peu de la nourriture quIl nemportait avec Lui aucunes provisions.
Remarquons encore que [ses disciples] Le laissčrent seul sur la croix Au pressoir jai foulé solitaire, et des peuples aucun homme nétait avec moi 59.
57. Mt 8, 11.
58. Jean 19, 28. Cf n° 2447.
CETTE
FEMME SAMARITAINE LUI DIT DONC "COMMENT! TOI QUI ES JUIF, TU ME
DEMANDES A BOIRE, A MOI QUI SUIS UNE FEMME SAMARITAINE?" LES JUIFS EN
EFFET NONT PAS DE RELA TIONS AVEC LES SAMARITAINS.
571. Le Seigneur, nous
lavons vu, a préparé la femme ŕ recevoir son enseignement spirituel en lui
donnant une occasion de Linterroger. LEvangéliste rapporte maintenant la
question de la femme, puis donne la rai son de cette question [n° 573].
572. Il faut comprendre que le Seigneur, en demandant ŕ boire ŕ la femme, avait en vue une boisson spi rituelle, plus que celle qui désaltčre le corps; tandis que la femme, ne saisissant pas encore ce quest une boisson spirituelle, ne pensait quŕ celle du corps. Cest pourquoi elle lui répond COMMENT! TOI QUI ES JUIF, TU ME DEMANDES A BOIRE, A MOI QUI SUIS UNE FEMME SAMARITAINE? Le Christ, en effet, était juif les promesses annonçaient quIl sortirait de Juda Le sceptre ne sera pas enlevé ŕ Juda, ni le bâton de chef ôté dentre ses pieds, jus quŕ ce que vienne celui qui doit ętre envoyé 60. Cest pourquoi lApôtre dit, en parlant des Israélites : eux de qui est le Christ selon la chair 61. Et la femme reconnaissait, ŕ son vętement, quIl était juif; il est dit, en effet que le Seigneur ordonna aux Juifs de porter des franges dhyacinthe aux quatre pans de leur vętement 62, afin de se distinguer par lŕ des autres peuples.
59. Isaďe 63, 3.
573. La raison de la question de la femme est ensuite donnée, soit par lEvangéliste, selon la Glose 63, soit par la femme elle-męme, selon Chrysostome 64 LES JUIFS EN EFFET NONT PAS DE RELATIONS AVEC LES SAMARITAINS. A ce sujet il faut se rappeler que le peuple dIsraël, cest-ŕ-dire les dix tribus qui avaient adoré les idoles, fut, ŕ cause de son péché, emmené en captivité ŕ Babylone par le roi dAssyrie 65 et que celui-ci, pour que la Samarie ne demeurât pas sans habitants, y établit des gens venus de différents pays 66. Mais alors quils y étaient ainsi installés, le Seigneur, voulant montrer que sIl avait livré les Juifs, ce nétait pas par manque de puissance, mais ŕ cause de leur péché, envoya ŕ ces gens des lions et des bętes sauvages qui en firent un massacre. Lorsque le roi dAssyrie eut appris la nouvelle et eut été averti que cela leur arrivait parce quils nobservaient pas les préceptes du Dieu de ce pays, il leur envoya un prętre de chez les Juifs [déportés] pour leur enseigner les préceptes de Dieu, selon la Loi de Moďse 67. Voilŕ pourquoi ces gens, bien quils ne fissent pas partie du peuple juif, observaient néanmoins la Loi de Moďse; mais avec le vrai Dieu ils adoraient des idoles, ils nécoutaient pas les prophčtes et sappelaient eux-męmes "Samaritains", du nom de la ville de Samarie, située sur la montagne de Somer. Lors donc que les Juifs furent revenus [de la captivité] en ce pays, les Samaritains leur furent toujours hostiles et opposés; et, comme le rapporte Esdras, ils les empęchaient de construire le Temple 70. Aussi les Juifs, sils évitaient toutes les autres nations, se détournaient-ils particuličrement des Samaritains, et navaient-ils avec eux aucune relation, comme le dit ici lEvangéliste : LES JUIFS EN EFFET NONT PAS DE RELATIONS AVEC LES SAMARITAINS.
Remarquons quil ne dit pas : "Les
Samaritains nont pas de relations avec les Juifs" 71, car ils au
raient bien voulu se joindre ŕ eux et les fréquenter, mais les Juifs les
repoussaient, selon ce qui est écrit Tu ne concluras pas dalliance avec [les nations] et tu nen auras pas
pitié 72.
574. Mais sil nétait pas permis aux Juifs de fréquenter les Samaritains, pourquoi le Seigneur demanda-t-Il ŕ boire ŕ la Samaritaine? A cela on pourrait répondre, selon Chrysostome 73, que le Seigneur savait quelle ne Lui donnerait pas ŕ boire, et que cest pour cela quIl le lui a demandé. Mais une telle réponse nest pas satisfaisante; car celui qui demande ce quil nest pas permis de demander nest pas, pour ce qui le regarde, exempt de péché, et il nest pas sans scandaliser, męme si on ne lui donne pas ce quil demande. Ce quil faut donc répondre ici, cest que le Fils de lhomme est maître męme du sabbat 74 et que, en maître de la Loi, Il pouvait appliquer ou ne pas appliquer la Loi et les observances légales, selon quIl le jugeait bon. Or le temps approchait oů les nations seraient appelées ŕ la foi; voilŕ pourquoi Il entretenait des relations avec elles.
60. Gn 49, 10.
61. Ro 9, 5.
62. "Tu te feras des franges
aux quatre pans du vętement dont tu te couvriras" (Deut 22, 12; cf. Nomb
15, 37-39). Voir aussi Mt 23, 5 et 9, 20 (Luc 8, 44) : "Une femme (,..)
sapprocha par derričre et toucha la frange de son manteau. " Mt 14, 36
(Mc 6, 56) : "On Le priait de les laisser seulement toucher la frange
de son manteau... "
63. Voir BČDE, In S. bannis Evangelium
expositio (Glossa), PL 92, col. 682 A et 685 B.
64. In boannem hom., 31, ch. 4, col. 180.
65. Voir 2 Rs 17, 1-23.
66. 2 Rs 17, 24 "Le
roi dAssyrie fit venir des gens de Babylone, de Kouta (...) et les établit
dans les villes de Samarie ŕ la place des fils dIsraël... " Cf. SAINT THOMAS, Super
Epistolam ad Romanos lectura, 2, leç. 4, n° 225.
67. 2 Rs 17, 25-28.
68. Ibid., 29-33 et 41; cf. Os 8, 5.
69. Cf. ci-dessus, note 31.
70. Voir Esd 4.
71. Cf. SAINT JEAN CHaYSOSTOME, In
loannem hom., loc. cit.
72. Deut 7, 2. En fait, il sagit dans ce verset des nations
habitant la Palestine avant larrivée des Israélites, et non pas des
Samaritains. Mais laversion des Juifs pour les Samaritains est exprimée ŕ diverses
reprises dans lEcriture. Voir notamment Sir 50, 25-26; Mt 10, 5; Luc 9, 52-55;
10, 33; 17, 16; Jean 8, 48.
73. In loannem hom, loc. cit. Plus loin, saint Jean Chrysostome
dit que Jésus "nempęchait pas de venir ŕ Lui ceux qui le voulaient"
(loc. cit, col. 181).
74. Mt 12, 8.
10
Jésus répondit et lui dit : "Si tu savais le don de Dieu, et qui est celui
qui te dit : Donne-moi ŕ boire, cest toi peut-ętre qui len aurais prié, et il
taurait donné de leau vive. "' La femme Lui dit : "Seigneur, tu
nas rien pour puiser, et le puits est profond. Doů las-tu donc, cette eau
vive? 12 Es-tu plus grand, toi, que notre pčre Jacob, qui nous a donné ce puits
et y a bu, lui, ses fils et ses troupeaux?"' répondit et lui dit :
"Quiconque boit de cette eau aura encore soif, 14i celui qui boira de
leau que moi je lui donnerai naura plus jamais soif leau que moi je lui
donnerai deviendra en lui source deau jaillissant en vie éternel le. " 15
La femme Lui dit" Seigneur, donne-moi de cette eau, que je naie plus soif
et que je ne vienne plus ici pour puiser. " 16 Jésus lui dit : "Va,
appelle ton mari et viens ici. " 17 La femme Lui répondit en disant"
Je nai pas de mari. " Jésus lui dit : "Tu as bien dit Je nai pas de
mari, 18 tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant nest pas ton mari;
en cela tu as dit vrai. " 19 La femme Lui dit : "Seigneur, je vois
que tu es un prophčte. 20 Nos pčres ont adoré sur cette montagne, et vous
dites, vous, que cest ŕ Jérusalem quest le lieu oů il faut adorer. " 21
Jésus lui dit : "Femme, crois-moi, elle vient, lheure oů ce nest ni sur
cette montagne ni ŕ Jérusalem que vous adorerez le Pčre. Vous adorez, vous, ce
que vous ne connaissez pas; nous adorons, nous, ce que nous connaissons, parce
que le salut vient des Juifs. Mais lheure vient, et cest maintenant oů
les vrais adorateurs adoreront le Pčre en esprit et en vérité; car tels sont
les adorateurs que cherche le Pčre. 24 est Esprit, et ceux qui Ladorent
doivent adorer en esprit et en vérité. " La femme Lui dit" Je sais
que le Messie vient, Celui quon appelle Christ; Celui-lŕ, lorsquIl sera venu,
nous annoncera toutes choses. " Jésus lui dit : "Je le suis, moi qui
te parle. "
575. LEvangéliste rapporte
maintenant lenseignement spirituel [ŕ la Samaritaine]; il commence par
lexposer [n°
576], puis en montre les effets [n° 620]. Voyons dabord
lexposé. Le Christ commence par donner une sorte de résumé de tout son
enseignement [n°
576], puis Il le développe progressivement [n° 580].
I
576. Il dit donc dabord ceci : "Tu tétonnes de ce que moi, un Juif, je taie demandé ŕ boire, ŕ toi, une Samaritaine; mais tu ne dois pas tétonner, car cest pour cela que je suis venu : pour donner ŕ boire męme aux Gentils". Cest bien ce qui est dit ici
JESUS
REPONDIT ET LUI DIT : "SI TU SAVAIS LE DON DE DIEU, ET QUI EST CELUI QUI
TE DIT : DON NE-MOI A BOIRE, CEST TOI PEUT-ETRE QUI LEN AURAIS PRIE, ET IL
TAURAIT DONNE DE LEAU VIVE. "
577. Commençons par ces derniers mots et demandons-nous ce quil faut entendre par "leau". Par "leau", on entend la grâce de lEsprit Saint, que lon nomme parfois "feu", parfois "eau", pour montrer quelle nest pas nommée "feu" ou "eau" selon la propriété de sa substance, mais seulement selon une similitude daction 1 En effet, on dit de la grâce quelle est un "feu" parce quelle élčve le cur par la ferveur et lardeur Soyez fervents par lesprit , et parce quelle consume les péchés Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes. Dautre part on lappelle "eau" parce quelle purifie Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures 4 , parce quelle rafraîchit [lâme] des ardeurs de la tentation Leau éteint le jeu ardent 5 et parce que, en désaltérant, elle ôte la soif de ce qui est terrestre et de tout ce qui est temporel Vous tous qui avez soif, venez vers les eaux... 6
Mais il y a deux sortes deau celle qui est vive et celle qui ne lest pas. Leau non vive est celle qui nest pas reliée ŕ son principe, doů elle jaillit, mais qui, provenant de la pluie ou dune autre origine, est recueillie et conservée, séparée de son principe, dans des fossés ou des citernes. Leau vive, au contraire, est celle qui coule en continuité avec son principe. En ce sens la grâce de lEsprit Saint est justement appelée "eau vive", car la grâce est donnée ŕ lhomme de telle sorte que la source męme de la grâce, cest-ŕ-dire lEsprit Saint, est donnée; et cest par Lui que la grâce est donnée Lamour de Dieu a été répandu dans nos curs par lEsprit Saint qui nous a été donné 7. LEsprit Saint, en effet, est la source intarissable doů découlent tous les dons de la grâce Tous ces dons, cest un seul et męme Esprit qui les opčre, les distribuant ŕ chacun comme Il veut 8. De lŕ vient que, si quelquun possčde un don de lEsprit Saint sans avoir lEsprit Lui-męme, il est une eau coupée de son principe, une eau qui est donc morte et non vive La foi sans les uvres est morte 9. On voit ainsi clairement ce quil faut entendre par "leau".
1. Saint Thomas précise ici la maničre dont nous parlons du
mystčre de la grâce. Nous ne pouvons pas connaître ce quelle est, car il
faudrait pour cela voir sa source propre, lEsprit Saint, la Trčs Sainte
Trinité; la vision de la grâce présuppose la vision béatifique. Nous ne pouvons
donc connaître la grâce que dune maničre analogique : soit au niveau dune
analogie propre, en théologie scientifique, oů nous connaissons la grâce selon
les propriétés de sa substance; soit au niveau dune analogie métaphorique, en
théologie mystique, oů nous connaissons la grâce selon une similitude deffets.
2. Ro 12, 11 spiritu ferventes (cf. Ac 18, 25 oů la męme
expression est employée ŕ propos dApollos). En commentant lEpître aux
Romains, saint Thomas éclaire cette expression en montrant que cest par son
esprit que tout lhomme devient fervent : "Soyez fervents par lesprit,
cest-ŕ-dire dans lamour de Dieu. La ferveur [procčde de labondance de la
chaleur; cest pourquoi on parle de ferveur de lesprit ", parce que, ŕ
cause de labondance de lamour divin, cest tout lhomme qui brűle en Dieu,
[vers Lui (fervet in Deum) (...) Néteignez pas lEsprit de Dieu (1 Th 5,
19)" (Super Epistolam ad Romanos lectura, XII, leç. 2, n° 987). En
commentant cet autre verset, saint Thomas note quon ne peut certes pas
éteindre lEsprit Saint" dans sa substance", mais quon peut"
éteindre lesprit en éteignant sa ferveur, en soi-męme ou dans un autre"
Super primam Epistolam ad Thessaloni censes lectura, V, leç. 2, n" 133).
3. Cant 8, 6.
4. Ez 36, 25.
5. Sir 3, 33.
6. Isaďe 55, 1.
578. La suite montre que
chez les adultes cest le désir, cest-ŕ-dire la pričre de demande, qui obtient
leau vive, cest-ŕ-dire la grâce Le Seigneur exauce le désir des pauvres 10 parce que
sans la pričre de demande et le désir, la grâce nest donnée ŕ personne. Aussi
di sons-nous que la justification de limpie exige le libre arbitre, pour
détester les péchés et désirer la grâce Demandez et il vous sera donné 11. Le désir est
tellement requis que le Fils Lui-męme est invité ŕ demander.
Demande-moi, et je te donnerai les nations en héritage, et pour domaine les extrémités de la terre 12. Cest pourquoi celui qui soppose ŕ la grâce ne peut la recevoir sans ętre dabord amené ŕ la désirer Seigneur, que veux-tu que je fasse? 13, Et cest pour cela que le Seigneur dit expressément [ŕ la Samaritaine] : CEST TOI PEUT ETRE QUI LEN AURAIS PRIE. Il dit PEUT-ETRE ŕ cause du libre arbitre par lequel lhomme tantôt désire la grâce et la demande, tantôt non 13bis.
7. Ro 5, 5.
8. 1 Corinthiens 12, 11.
9. Ja 2, 26.
10. Ps 10, 17.
11. Mt 7, 7.
12. Ps 2, 8
579. Mais, pour demander la grâce, le désir de lhomme est suscité de deux maničres : par la connaissance du bien ŕ désirer et par la connaissance de celui qui le donne. Cest pourquoi le Seigneur présente ici les deux choses quil faut connaître : dabord le don lui-męme; aussi dit-Il : SI TU SAVAIS LE DON DE DIEU, cest-ŕ-dire tout bien désirable qui vient de lEsprit Saint 14 Je sais que je ne peux ętre chaste si Dieu ne me donne de lętre 15. Voilŕ pour le don. Ensuite, le Seigneur présente le donateur en disant : SI TU SAVAIS QUI EST CELUI QUI TE DIT : DONNE-MOI A BOIRE, cest-ŕ-dire : Si tu connaissais Celui qui peut donner, et que je suis moi-męme Quand viendra le Paraclet, que moi je vous enverrai dauprčs du Pčre... 16 Il a donné des dons aux hommes 17.
Ainsi cet enseignement [du Christ] porte sur trois points : le don de leau vive, la demande de ce don, et son donateur.
13. Ac 9, 6.
13 bis. Cf. ci-dessous, n° 836.
14. Dans le passage parallčle de son commentaire, saint Augustin
disait simplement : "Le don de Dieu, cest lEsprit Saint" (Tract, in
b XV, 12, BA 71, p. 775). De męme Scot Erigčne : "Si tu savais le don de
Dieu, cest-ŕ-dire le Saint-Esprit... " (JEAN SCOT ERIGČNE, Commentaire
sur lEvangile de Jean, IV, ni, p. 297).
15. Sag 8, 21.
16. Jean 15, 26.
17. Eph 4, 8 (cf. Ps 67, 19).
580. LEvangéliste va maintenant traiter explicitement de lenseignement męme du Christ quant au don [n° 580], puis quant ŕ la demande [n° 595], enfin quant au donateur [n° 616].
II
LA
FEMME LUI DIT : "SEIGNEUR, TU NAS RIEN POUR PUISER, ET LE PUITS EST
PROFOND. DOŮ LAS-TU DONC, CETTE EAU VIVE? ES-TU PLUS GRAND, TOI, QUE NOTRE PERE
JACOB, QUI NOUS A DONNE CE PUITS ET Y A BU, LUI, SES FILS ET SES
TROUPEAUX?" JESUS REPONDIT ET LUI DIT : "QUICONQUE BOIT DE CETTE EAU
AURA ENCORE SOIF, MAIS CELUI QUI BOIRA DE LEAU QUE MOI JE LUI DONNERAI NAURA
PLUS JAMAIS SOIF : LEAU QUE MOI JE LUI DONNERAI DEVIENDRA EN LUI SOURCE DEAU
JAILLISSANT EN VIE ETERNEL LE. " LA FEMME LUI D1T : "SEIGNEUR,
DONNE-MOI DE CETTE EAU, QUE JE NAIE PLUS SOIF ET QUE JE NE VIENNE PLUS ICI
POUR PUISER. "JESUS LUI DIT : "VA, APPELLE TON MARI ET VIENS ICI "
LA FEMME LUI REPONDIT EN DISANT : "JE NAI PAS DE MARI " JESUS LUI
DIT : "TU AS BIEN DIT : "JE NAI PAS DE MARI", CAR TU AS EU CINQ
MARIS, ET CELUI QUE TU AS MAINTENANT NEST PAS TON MARI; EN CELA TU AS DIT VRAI
"
Dans son enseignement sur le don, le Seigneur montre dabord la puissance du don [n° 581], puis sa perfection [n° 588]. Et pour montrer la puissance du don, lEvangéliste rapporte dabord linterrogation de la femme [n° 581], puis la réponse du Christ [n° 584].
LA
FEMME LUI DIT : "SE1GNEUR, TU NAS RIEN [POUR PUISER, ET LE PUITS EST
PROFOND. D'OŮ LAS-TU DONC, CETTE EAU VIVE? SERAIS-TU PLUS 11-12] GRAND, TOI,
QUE NOTRE PERE JACOB QUI NOUS A DONNE CE PUITS ET Y A BU, LUI, SES FILS ET SES
TROUPEAUX?"
581. A propos de cette
interrogation de la femme, il faut savoir que les paroles que le Seigneur
entendait de maničre spirituelle, cette femme samaritaine les recevait de
maničre charnelle, parce quelle était charnelle Lhomme naturel naccueille
pas ce qui est de lEsprit de Dieu 18. Cest pourquoi elle sefforçait de contredire les paroles dites par le
Seigneur comme étant incohérentes et impossibles, au moyen de largument
suivant : Tu me promets de leau vive, donc de leau de ce puits ou dun autre.
Or cela ne peut ętre de ce puits, car TU NAS RIEN POUR PUISER, ET LE PUITS EST
PROFOND. Et il ne semble pas croyable que tu puisses me donner de leau dun
autre puits, car TU NES PAS PLUS GRAND QUE NOTRE PERE JACOB, QUI NOUS A DONNE
CE PUITS.
582. Voyons donc, toujours ŕ propos de linterrogation de la femme, le premier point [de son argument] : SEIGNEUR, TU NAS RIEN POUR PUISER, cest-ŕ-dire : il te manque linstrument voulu pour pouvoir tirer leau de ce puits, ET LE PUITS EST PROFOND, si bien que, sans instrument, tu ne peux atteindre [l'eau] avec la main.
Par la hauteur ou profondeur du puits est signifiée la profondeur de la Sainte Ecriture et de la Sagesse divine combien est grande sa profondeur, et qui la sondera 19? Quant ŕ linstrument avec lequel on puise leau de la sagesse qui donne le salut 20, cest la pričre Si quelquun dentre vous manque de sagesse, quil la demande ŕ Dieu, qui donne ŕ tous généreusement sans faire de blâme, et elle lui sera donnée 21.
18. 1 Corinthiens 2, 14. Cf. n 432, note 20.
19. Qo 7, 25.
20. Sir 15, 3.
583. [La Samaritaine] montre le second [point de son raisonnement] en disant : SERAIS-TU PLUS GRAND, TOI, QUE NOTRE PERE JACOB QUI NOUS A DONNE CE PUITS? Comme si elle disait : As-tu une eau meilleure ŕ nous donner que celle que nous a donnée Jacob? Si elle appelle Jacob son pčre, ce nest pas que les Samaritains soient de la race de Jacob, comme il ressort de ce qui a été dit plus haut 22, mais parce quils avaient la Loi de Moďse et quils étaient entrés dans la Terre promise ŕ la descendance de Jacob.
Cette femme fait valoir ce puits pour trois raisons. Dabord ŕ cause de lautorité de celui qui la donné : NOTRE PERE JACOB, QUI NOUS A DONNE CE PUITS.
Ensuite parce que leau de ce puits était de leau douce; cest pour cela quelle dit que Jacob lui-męme en a bu, ainsi que ses fils, car si leau navait pas été douce, ils nen auraient pas bu, mais lauraient laissée ŕ leurs troupeaux. Enfin ŕ cause de labondance de leau : leurs troupeaux aussi en ont bu. En effet, puisque cétait de leau douce, ils nen auraient pas donné ŕ leurs troupeaux si elle navait pas été trčs abondante.
De męme la Sainte Ecriture est grande en vertu de son autorité, parce quelle a été donnée par lEsprit Saint; délectable par sa douceur Que tes paroles sont douces ŕ mon palais 23 ; et féconde par son abondance, car elle est communiquée non seulement aux sages, mais aussi aux insensés 24
21. Ja 1, 5.
22. Voir n° 573.
23. Ps 118, 103.
24. Prov 9, 4.
JESUS
REPONDIT ET LUI DIT : "QUICONQUE BOIT DE CETTE EAU AURA ENCORE SOIF,
MAIS CELUI QUI BOIRA DE LEAU QUE MOI JE LUI DONNERAI NAURA PLUS JAMAIS SOIF :
LEAU QUE MOI JE LUI DONNERAI DEVIENDRA EN LUI SOURCE DEAU JAILLISSANT EN VIE
ETERNELLE. "
584. LEvangéliste expose
ici la réponse du Seigneur, réponse oů Il explicite le pouvoir de son
enseignement, en référence ŕ ce quIl avait dit précédemment, ŕ savoir que cet
enseignement est une eau [n°
585] et quil est une eau vive [n° 587].
585. Le Seigneur montre donc en premier lieu que son enseignement est la meilleure des eaux puisquil a les effets de leau, cest-ŕ-dire quil enlčve la soif, [et quil lenlčve] bien mieux que cette eau matérielle. En cela le Christ montre quIl est plus grand que Jacob. Tel est en effet le sens de sa réponse : Toi, tu dis que Jacob vous a donné ce puits, mais moi je donnerai une eau meilleure, car QUICONQUE BOIRA DE CETTE EAU, cest-ŕ-dire de leau matérielle ou de leau du désir et de la concupiscence charnelle, sil assouvit son appétit pour un temps, AURA ENCORE SOIF, car insatiable est lappétit du plaisir Quand me réveillerai-je et trouverai-je encore du vin? 25 MAIS CELUI QUI BOIRA DE LEAU spirituelle QUE MOI JE LUI DONNERAI NAURA PLUS JAMAIS SOIF Voici que mes serviteurs boiront, et vous, vous aurez soif 26.
25. Prov 23, 35.
26. Isaďe 65, 13.
27. Sir 24, 29.
586. Cependant il est dit dans lEcclésiastique : Ceux qui me boivent auront encore soif 27. Comment donc nau ra-t-il plus jamais soif, celui qui aura bu de cette eau quest la divine Sagesse, alors que la Sagesse dit elle-męme : Ceux qui me boivent auront encore soif?
Il faut répondre que les deux sont vrais, et cela pour deux raisons. En effet, celui qui boit de leau que donne le Christ, ŕ la fois a encore soif et na plus soif, alors que celui qui boit de leau matérielle, lui, aura encore soif. Dabord parce que leau matérielle et sensible nest pas perpétuelle et que sa cause non plus ne lest pas, car il nest pas nécessaire quelle existe; il faut donc aussi que son effet cesse Toutes ces choses ont passé comme une ombre 28. Leau spirituelle, au contraire, a une cause qui dure toujours : cest lEsprit Saint, qui est source de vie 29, une source qui ne tarit jamais. Voilŕ pourquoi celui qui boit de cette eau naura plus jamais soif, comme naurait jamais soif celui qui aurait en son sein une source deau vive.
La seconde raison est quil y a une différence entre réalité spirituelle et réalité temporelle. Toutes deux engendrent la soif, mais de maničre tout autre : une réalité temporelle possédée donne soif, non delle-męme, mais dune autre; tandis quune réalité spirituelle supprime la soif dune autre réalité et donne soif delle-męme. La raison en est que la réalité temporelle, avant dętre possédée, est estimée de grand prix et suffisante [pour apaiser le désir]; mais que, une fois quelle est possédée, on ne la trouve ni si grande, ni suffisante pour apaiser le désir, et cest pourquoi elle ne rassasie pas le désir au point de lempęcher de se porter vers la possession dautre chose. La réalité spirituelle, au contraire, nest connue que quand elle est possédée Nul ne connaît [le nom nouveau] hormis celui qui le reçoit 30. Cest pourquoi, avant dętre possédée, elle ne meut pas le dé sir; mais dčs quelle est possédée et connue, alors elle réjouit la volonté aimante et meut le désir, non certes pour quil se porte vers la possession dautre chose, mais parce que, imparfaitement saisie ŕ cause de limperfection de celui qui la reçoit, elle le meut afin dętre elle-męme possédée parfaitement. Cest de cette soif quil est dit : Mon âme a soif de Dieu, source vive 31. Or cette soif nest jamais enlevée totalement en ce monde, parce que nous ne pouvons, en cette vie, saisir parfaitement les biens spirituels; et cest pourquoi celui qui boira de cette eau aura encore soif de sa perfection; mais il nau ra plus soif comme il aurait soif si leau venait ŕ manquer, car il est écrit Les fils des hommes (...) seront enivrés de labondance de ta maison 32. Mais dans la vie de la gloire, oů ils boivent parfaitement leau de la grâce divine, les bienheureux nont PLUS JAMAIS SOIF : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice en ce monde, parce quils seront rassasiés dans la vie de la gloire 33.
28. Sag 5, 9.
29. Ps 35, 10.
30. Ap 2, 17.
587. En disant que leau quIl donnera deviendra, en celui ŕ qui Il la donnera, SOURCE DEAU JAILLISSANT EN VIE ETERNELLE, le Seigneur présente son enseignement comme une eau vive en raison du mouvement de cette eau; Il parle donc dune source dont leau sécoule Le cours dun fleuve abondant réjouit la cité de Dieu 34.
Mais autre est le cours de leau matérielle, qui descend, autre celui de leau spirituelle, qui sélčve 35. Aussi le Christ affirme-t-Il : Je dis que leau matérielle est telle quelle ne supprime pas la soif, mais que leau que moi je donne, non seulement enlčve la soif, mais est vive, parce quelle est reliée ŕ sa source. Cest pourquoi Il dit quelle deviendra, en celui ŕ qui Il la donne, une source : oui, une SOURCE conduisant par les uvres bonnes jusquŕ la vie éternelle; et une source DEAU JAILLISSANT, cest-ŕ-dire qui fait bondir 35 bis dans la VIE ETERNELLE, lŕ oů il ny a plus de soif Celui qui croit en moi, des fleuves deau vive, cest-ŕ-dire des fleuves de désirs ardents 36, couleront de son sein 37. Auprčs de toi est la source de vie 38.
LA
FEMME LUI DIT : "SEIGNEUR, DONNE-LA MOI, CETTE EAU, QUE JE NAIE PLUS SOIF
ET QUE JE NE VIENNE PLUS ICI POUR PUISER. " JESUS LUI DIT : "VA,
APPELLE TON MARI ET VIENS ICI "
588. LEvangéliste montre ici comment la femme reçoit le don. Il expose dabord la maničre de le recevoir [n° 589], puis montre comment la femme est confondue [n° 591].
La maničre de recevoir le don
dépend, comme on la dit, de la pričre de demande. Aussi expose-t-on dabord la
demande de la femme [n°
589], puis la réponse du Christ [n° 590].
589. Concernant la demande de la femme, il faut noter quau début de leur entretien, la femme ne donna pas au Christ le titre de "Seigneur", mais lappela simplement "Juif", en disant Comment, toi qui es Juif, tu me demandes ŕ boire? Mais dčs quelle comprend quIl lui sera utile car Il pourra lui donner de leau, elle Lappelle "Seigneur" : SEIGNEUR, DONNE-LA MOI, CETTE EAU. En effet, parce quelle avait compris la réponse du Christ dune maničre charnelle et quelle était astreinte ŕ une double nécessité corporelle, dune part la soif, dautre part le labeur consistant ŕ venir jusquau puits et ŕ porter leau, elle fait allusion, en demandant leau, ŕ ces deux choses : QUE JE NAI PLUS SOIF et QUE JE NE VIENNE PLUS ICI POUR PUISER. Il est en effet naturel ŕ lhomme de fuir le labeur Ils ne prennent pas part au labeur des hommes 39.
31. Ps 41, 3. Saint Thomas lit : "Deum fontem vivum"
au lieu de "Deum fortem vivum". Cette version nest pas celle de la
Vetus latina, mais on la trouve chez certains Pčres, notamment chez saint
Ambroise : voir SABATIER, Latinae versiones antiquae, I, p. 85.
32. Ps 35, 9.
33. Mt 5, 6.
34. Ps 45, 5.
35. Cf. JEAN SCOT ERIGČNE, Commentaire sur lEvangile de Jean,
IV, iv, p. 301 "Leau corporelle coule
vers le bas, leau spirituelle jaillit vers le haut et entraîne avec elle
jusquŕ la gloire et la béatitude éternelles ceux qui la boivent".
35 bis. Le męme verbe latin, saure, signifie ŕ la fois jaillir
et bondir.
36. En latin : bonorum desideriorum; mais ce qui fait la bonté
de ces désirs, cest leur ardeur.
37. Jean 7, 38.
38. Ps 35, 10.
590. A cette demande de la femme le Seigneur répond : VA, APPELLE TON MARI ET VIENS ICI Mais notons bien que si le Seigneur répondait dune maničre spirituelle, la femme, elle, comprit dune maničre charnelle.
On peut comprendre la réponse spirituelle de Jésus de deux maničres. Selon Chrysostome 40, le Seigneur ne voulait pas donner leau de son enseignement spirituel ŕ la femme seule, mais aussi et spécialement ŕ son mari; car, comme le dit lApôtre, le chef de la femme, cest lhomme 41, et ŕ cause de cela il voulait que les préceptes de Dieu parvinssent aux femmes par lintermédiaire de lhomme Si elles veulent sinstruire de quelque chose, quelles interrogent leur mari ŕ la maison 42. Voilŕ pour quoi le Seigneur dit VA, APPELLE TON MARI ET VIENS ICI Alors, avec lui et par lui je te donnerai cette eau.
Augustin 43 donne de ces paroles une autre interprétation, qui est mystique : de męme que le Seigneur, en parlant de leau, parlait en figures, de męme le fait-Il en parlant du mari. Ce mari, daprčs Augustin, cest lintelligence. En effet, la volonté conçoit et enfante par la puissance cognitive qui la meut; par suite, la volonté est comme une femme et la raison qui meut la volonté est son mari. Ainsi, parce que la femme, cest-ŕ-dire la volonté, tout en étant prompte ŕ recevoir, nétait pas mue par lintelligence et la raison pour comprendre de façon spirituelle les paroles du Christ, mais était encore prisonničre des sens, le Seigneur lui dit : VA, toi qui es sensuelle, APPELLE TON MARI, cest-ŕ-dire fais appel ŕ lintelligence raisonnable pour que tu puisses entendre dune maničre spirituelle et intelligible ce que maintenant tu goűtes charnellement, ET VIENS ICI, en comprenant ce que je dis sous la conduite de lintelligence raisonnable.
39. Ps 72, 5.
40. Saint Jean Chrysostome ne précise pas si Jésus voulait
donner leau de son enseignement spirituel spécialement au mari de la
Samaritaine. Il dit seulement qu"il sagissait dun don et dune grâce
surpassant la nature humaine", auxquels son mari "devait aussi
participer" (In loannem hom., 32, ch. 2, col. 186).
41. 1 Co 11, 3.
42. 1 Corinthiens 14, 35.
43. Tract, in b. XV, 18-19, pp. 781-787.
44. Sir 9, 10.
LA
FEMME REPONDIT EN DISANT : "JE NAI PAS DE MARI " JESUS LUI DIT :
"TU AS BIEN DIT : "JE NAI PAS DE MARI", CAR TU AS EU CINQ
MARIS, ET CELUI QUE TU AS MAINTENANT NEST PAS TON MARI; EN CELA TU AS DIT VRAI
"
591. La femme est ici confondue. LEvangéliste rapporte en premier lieu sa réponse [n° 592], puis la réplique du Christ qui la confond [n° 593].
592. Concernant le premier
point, il faut savoir que la femme, voulant cacher sa honte et ne voyant dans
le Christ quun homme, Lui donna sans doute une réponse qui était vraie, mais
tut néanmoins son déshonneur et le cacha en le déguisant; car, selon
lEcriture, toute femme qui se prostitue sera foulée aux pieds comme du fumier
sur un chemin 44. Cest pourquoi elle Lui répondit en disant : JE NAI PAS DE MARI; et
cétait vrai, car bien que précédemment elle en ait eu plusieurs, jusquŕ cinq,
ŕ présent elle navait pas de mari légitime, mais vivait avec quelquun. Aussi
est-elle confondue par le Seigneur.
593. Jésus lui dit donc : "TU
AS BIEN DIT : "JE NAI PAS DE MARI", cest-ŕ-dire de mari
légitime, CAR TU AS EU CINQ MARIS, ET CELUI QUE TU AS MAIN TENANT, cest-ŕ-dire
celui avec qui tu vis comme sil était ton mari, NEST PAS TON MARI; EN CELA TU
AS DIT VRAI tu nas pas de mari. Le Seigneur lui dit ces faits quIl navait
pas appris delle et qui semblaient Lui ętre cachés, afin de réveiller en elle
lintelligence spirituelle et de lamener ŕ croire quil y a en Lui quel que
chose de divin 45.
594. Au sens mystique, les cinq maris sont les cinq livres de Moďse 46, parce que les Samaritains, comme on la dit, les acceptaient 47. Aussi le Seigneur dit-Il : TU AS EU CINQ MARIS, ET CELUI QUE TU AS MAIN TENANT, cest-ŕ-dire celui que tu écoutes, le Christ, NEST PAS TON MARI, car tu ne crois pas en Lui.
Cependant, pour Augustin 48, cette explication nest pas bonne, parce que cest aprčs avoir abandonné cinq maris que cette femme était venue ŕ celui quelle avait maintenant; mais ceux qui viennent au Christ nabandonnent pas les cinq livres de Moďse. Il faut donc donner une autre explication : TU AS EU CINQ MARIS, cest-ŕ-dire cinq sens dont tu usais jusquŕ présent; ET CELUI QUE TU AS MAINTENANT, cest-ŕ-dire ta raison égarée qui te fait entendre dune maničre encore charnelle des paroles spirituelles, NEST PAS TON MARI légitime, mais un adultčre; rejette donc cette erreur adultčre, qui te pervertit, ET APPELLE TON MARI, je veux dire ton intelligence, afin de me comprendre.
45. Voir SAINT AUGUSTIN, Tract, in b. XV,
20, p. 787.
46. Cette interprétation est celle de saint Ambroise (voir
Traité sur lEvangile de S. Luc, SC 52, pp. 84 et 154). Saint Augustin la
mentionne mais lui en préfčre une autre, comme on va le voir. A son tour Scot
Erigčne dira : "Certains voient [les cinq maris] les cinq livres de la Loi
mosaďque. Cette interprétation nest pas ŕ retenir, parce que la Loi mosaďque a
été donnée seulement aux Juifs, alors que cette femme signifie, dune maničre
générale, toute âme humaine" (Commentaire sur lEvangile de Jean, IV, vi,
pp. 309-311).
47. Voir plus haut, n" 573.
48. Tract. in b. XV, 21-22, BA 71, pp. 787. 793; cf. De diversis
quaest. 83, q. 64, 6-7, BA 10, pp. 223-227. Pour les cinq premiers maris de la
Samaritaine représentant les cinq sens corporels, voir également ORIGČNE,
Commentaire sur
saint Jean, XIII, ch. 9, § 51, SC 222, pp. 59-61. Scot Erigčne
reprend linterprétation de saint Augustin : voir son Commentaire sur
lEvangile de Jean, loc. cit., p. 311. Il donne ensuite celle de Maxime le
Confesseur (voir loc. cit., pp. 311-313), pour qui les cinq maris signifient
les cinq lois données ŕ lâme humaine : avant le péché, aprčs le péché et
lexpulsion du paradis terrestre, avant le déluge, aprčs le délu et enfin ŕ
Abraham. La Loi" de la lettre", donnée par lmtermédiaire de Moďse,
est comme un sixičme mari quil faut renvoyer car cette Loi ne peut pas
délivrer lâme ni la justifier. Il faut donc que la femme renvoie la lettre,
qui nest pas son mari, et aille ŕ son véritable mari, lesprit de la lettre :
"Va ŕ ton mari, cest-ŕ-dire lesprit de la lettre. Appelle la loi de la
grâce, cest lŕ ton mari, celui de qui tu concevras la famille spirituelle des
vertus, avec lequel je te donnerai les dons du Saint-Esprit : par eux tu
pourras croire en moi" (loc. cit., p. 313).
III
LA
FEMME LUI DIT : "SEIGNEUR, JE VOIS QUE TU ES UN PROPHETE. NOS PERES ONT
ADORE SUR CETTE MONTAGNE, ET VOUS DITES, VOUS, QUE CEST A JERUSALEM QUEST LE
LIEU OU IL FAUT ADORER. " JESUS LUI DIT : "FEMME, CROIS-MOI, ELLE
VIENT, LHEURE OU CE NEST NI SUR CETTE MONTAGNE NI A JERUSALEM QUE VOUS
ADOREREZ LE PERE. VOUS ADOREZ, VOUS, CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS; NOUS
ADORONS, NOUS, CE QUE NOUS CONNAISSONS, PARCE QUE LE SALUT VIENT DES JUIFS. MAIS
LHEURE VIENT ET CEST MAINTENANT OU LES VRAIS ADORATEURS ADORERONT LE PERE
EN ESPRIT ET EN VERITE; CAR TELS SONT LES ADORATEURS QUE CHERCHE LE PERE. DIEU
EST ESPRIT, ET CEUX QUI LADORENT DOIVENT ADORER EN ESPRIT ET EN VERITE. "
595. Il sagit ici de la demande par laquelle le don est obtenu, et qui est la pričre. Pour commencer, lEvangéliste expose la question de la femme ŕ propos de la pričre [n° 596]; puis il donne la réponse du Christ [n° 599].
Avant de poser sa question [n° 597], la femme commence par reconnaître laptitude du Christ ŕ lui répondre [n° 596].
[19]
LA FEMME LUI DIT : "SEIGNEUR, JE VOIS QUE TU ES UN PROPHETE. "
596. Aprčs avoir entendu ce que le Christ lui avait manifesté de choses qui étaient cachées, cette femme, qui jusqualors avait cru quIl nétait quun homme, proclame maintenant quIl est un prophčte, capable déclaircir ses doutes. Cest le propre des prophčtes dannoncer des choses éloignées et inconnues Celui quautrefois on appelait voyant, on le nomme maintenant prophčte 49. La femme Lui dit donc : "SEIGNEUR, JE VOIS QUE TU ES UN PROPHETE"; autrement dit : En me disant ce que jai caché, tu montres que tu es un prophčte. Ici, selon Augustin 50, il est manifeste que son mari commence ŕ revenir ŕ elle. Mais il nest pas encore revenu pleinement, puisquelle prenait le Seigneur pour un prophčte; or, bien quIl fűt prophčte Un prophčte nest méprisé que dans sa propre patrie 51 , Il était cependant plus quun prophčte, Lui qui fait les prophčtes : La Sagesse se répand parmi les nations dans les âmes saintes, et en fait des amis de Dieu et des prophčtes 52.
49. 1 Sam 9, 9. Saint Thomas inverse la phrase de lEcriture : "Celui qui est aujourdhui appelé prophčte, on le nommait
autrefois voyant. "
50. Tract. in la. XV, 23, pp. 793-795.
"NOS
PERES ONT ADORE SUR CETTE MONTAGNE, ET VOUS DITES, VOUS, QUE CEST A JERUSALEM
QUEST LE LIEU OU IL FAUT ADORER. "
597. Dans cette question quelle pose sur la pričre, il faut admirer le zčle aimant de cette femme; car les femmes sont ordinairement curieuses et vaines, et non seulement vaines, mais aussi oisives 53 comme le dit lApôtre; mais celle-ci ninterrogeait ni sur des questions mondaines, ni sur lavenir, mais sur les choses de Dieu Cherchez dabord le Royaume de Dieu 54.
Elle pose dabord une question ŕ propos de ce dont les gens du pays avaient coutume de discuter, cest-ŕ-dire ŕ propos du lieu de ladoration, qui faisait lobjet dune controverse entre Juifs et Samaritains. NOS PERES, dit-elle, ONT ADORE SUR CETTE MONTAGNE, ET VOUS DITES, VOUS, QUE CEST A JERUSALEM QUEST LE LIEU OU IL FAUT ADORER. A ce propos il faut savoir que les Samaritains qui honorent Dieu (selon les commandements de la Loi) construisirent un temple pour pouvoir Ly adorer sans aller ŕ Jérusalem, ŕ cause des Juifs qui leur étaient hostiles; et ce temple, ils le bâtirent sur le mont Garizim, tandis que les Juifs, eux, avaient le leur sur le mont Sion. Doů la question débattue entre eux, de savoir lequel de ces deux monts était le lieu le plus convenable pour la pričre. Les uns aussi bien que les autres avançaient des arguments en faveur de leur point de vue; les Samaritains, notamment, soutenaient quil était préférable dadorer sur le mont Garizim parce que les anciens pčres y adorčrent le Seigneur. Voilŕ pourquoi la femme dit : NOS PERES ONT ADORE SUR CETTE MONTAGNE.
51. Mt 13, 57.
52. Sag 7, 27.
53. 1 Tm 5, 13.
54. Mt 6, 33.
598. Par ces "pčres" ont peut entendre ceux du temps dAbraham, car daprčs Chrysostome certains di sent que cest sur cette montagne quAbraham offrit son fils 55, bien que dautres disent que ce fut sur le mont Sion 56. On peut dire aussi que lexpression NOS PERES désigne Jacob et ses fils qui, selon la Genčse 57 et comme on la dit plus haut [n° 560], demeurčrent ŕ Sichem, qui est située prčs du mont Garizim, et qui peut-ętre adorčrent lŕ le Seigneur. Ou bien on peut dire que lexpression NOS PERES désigne les fils dIsraël qui adorčrent sur cette montagne lorsque Moďse leur prescrivit de monter sur le mont Garizim pour bénir ceux qui observaient les préceptes du Seigneur 58.
Les Juifs, eux, disent quil faut prier ŕ Jérusalem, en vertu de lautorité du Seigneur qui leur ordonna de détruire les autels et les pieux sacrés et de ne pas Ladorer nimporte oů 59, mais en un lieu unique et déterminé quIl avait Lui-męme choisi 60. Ce lieu de pričre fut dabord Silo; puis, sur lordre de David, de Salomon et du prophčte Nathan 61, larche de Dieu fut transportée de Silo ŕ Jérusalem et lŕ fut bâti le Temple, selon ce que dit le Psaume : Dieu rejeta la demeure de Silo (...) mais Il choisit la tribu de Juda, la montagne de Sion quil a aimée 62. Et cest pourquoi il est dit dans Isaďe : Cest devant cet auquel que vous adorerez 63. Ain si, les Samaritains avançaient en leur faveur lautorité des pčres; et les Juifs, celle des prophčtes, que les Samaritains ne recevaient pas.
Voilŕ donc la question que pose la femme. Il ne faut pas sen étonner ni se demander qui lavait ainsi instruite, car il arrive fréquemment, dans les pays oů rčgnent des croyances diverses, que męme les gens simples en soient informés. Ainsi, parce que les Samaritains avaient été en perpétuel litige avec les Juifs, męme les femmes et les gens simples étaient instruits ŕ ce sujet.
55. Pour saint Jean Chrysostome, ce sont les Samaritains
eux-męmes qui affirment cela : "ils disaient qu y avait amené son
fils" jn loannem hom., 32, ch. 2, col. 186).
56. 2 Chr 3, 1.
57. Gn 33, 18-20.
58. Deut 27, 11-12.
59. Voir Ex 34, 13, et Deut 12, 13.
60. Deut 12, 14; cf. Jug 6, 28.
599. LEvangéliste donne maintenant la réponse du Christ, qui commence par distinguer trois formes de pričre [n° 600], pour ensuite les comparer entre elles (n° 602].
JESUS
LUI DIT : "FEMME, CROIS-MOI, ELLE VIENT, LHEURE OU CE NEST Ni SUR
CETTE MONTAGNE NI A JERUSALEM QUE VOUS ADOREREZ LE PERE. "
600. Le Christ, parce quIl va parler de choses trčs élevées, commence par éveiller lattention de la femme en disant : CROIS-MOI, cest-ŕ-dire fais preuve de foi, car partout la foi est nécessaire : Celui qui sapproche de Dieu doit croire 64; et, selon une variante dIsaďe : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 65. Puis Il lui dévoile trois formes dadoration, dont deux existaient déjŕ, mais dont une autre était encore attendue. Des deux déjŕ existantes, lune était celle des Samaritains qui priaient sur le mont Garizim; le Christ lévoque ainsi : ELLE VIENT, LHEURE OU CE NEST PAS SUR CET TE MONTAGNE, cest-ŕ-dire sur le mont Garizim, QUE VOUS ADOREREZ LE PERE. Lautre adoration est celle des Juifs, qui priaient sur le mont Sion, ŕ Jérusalem; le Christ lévoque en disant : NI A JERUSALEM. La troisičme forme dadoration reste ŕ venir, elle est attendue et est autre que les deux premičres; car si vient une heure oů lon nadorera ni sur le mont Garizim, ni ŕ Jérusalem, il est manifeste quil y aura une troisičme adoration. Et certes il fallait que ladoration du Christ supprimât les deux autres. Car si lon veut unir deux peuples en un seul 66, il faut écarter de lun et lautre ce qui les divise, puis leur donner quelque chose qui leur soit commun, en quoi ils saccordent. Le Christ, donc, voulant unir Juifs et Gentils, a enlevé aux Juifs leurs cérémonies et aux Gentils lidolâtrie, qui ŕ elles deux formaient comme un mur de dissension entre eux, puis des deux peuples Il en a fait un seul Car cest Lui qui est notre paix, Lui qui des deux en a fait un seul, détruisant en sa chair le mur de séparation, leurs inimitiés 67. Ain si, ayant fait cesser le culte rituel des Juifs et lidolâtrie des Gentils, le Christ a introduit le vrai culte de Dieu.
61. Voir 2 Sam 6, 12 sq. ; 7, 5 sq. ; 2 Chr 5, 2 sq.
62. Ps 77, 60 et 68.
63. Isaďe 37, 7.
64. He 11, 6.
601. Mais au sens mystique, selon Origčne 68, il faut entendre, par les trois adorations, trois participations ŕ la Sagesse divine. Certains, en effet, y participent bien quelle demeure voilée par les ténčbres de lerreur; ceux-lŕ adorent sur la montagne, car toute erreur a pour cause lorgueil Je viens ŕ toi, montagne pestilentielle, dit le Seigneur, toi qui corromps toute la terre 69. Dautres participent sans erreur ŕ la Sagesse divine elle-męme, mais de maničre imparfaite, comme dans un miroir et en énigme 70; ceux-ci adorent ŕ Jérusalem, qui signifie lEglise présente dont le psaume dit : Bâtissant Jérusalem, le Seigneur rassemblera les [enfants] dispersés dIsraël 71. Quant aux bienheureux et aux saints, ils participent ŕ la Sagesse sans erreur et de maničre parfaite, parce quils voient Dieu comme Il est Nous savons que lorsquil apparaîtra nous Lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel quIl est 72.
65. Isaďe 7, 9 (daprčs les LXX). Cette variante correspond au
texte de la Vetus latina; on la trouve chez de nombreux Pčres ŕ partir de
Tertullien (voir SABATIEa, Latinae versiones antiquae, II, pp. 530-531); saint
Augustin la cite fréquemment.
66. Voir Ez 37, 15. 22.
67. Eph 2, 14.
68. Voir Sur saint Jean, XIII, § 83-89, 98-100, 113, 117, SC
222, pp. 75-93.
69. Jérémie 51, 25.
70. 1 Corinthiens 13, 12.
71. Ps 146, 2. Cf. Jean 11, 52.
72. 1 Jean 3, 2.
602. Le Christ compare maintenant entre elles les adorations susdites. Il compare dabord la seconde ŕ la premičre [n° 602], puis la troisičme ŕ la premičre et ŕ la seconde [n° 607].
VOUS
ADOREZ, VOUS, CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS; NOUS ADORONS, NOUS, CE QUE NOUS
CONNAISSONS, PARCE QUE LE SALUT VIENT DES JUIFS.
Pour comparer la seconde
adoration ŕ la premičre, le Christ montre dabord linsuffisance de la premičre
[n° 603],
puis la vérité de la seconde [n°
604]; enfin il en donne les raisons [n° 605].
603. Il pourrait sembler que le Seigneur aurait dű relever ce quil y avait de vrai dans la question de la femme, et résoudre le problčme quelle posait. Mais Il ne sen soucie pas, car lune et lautre adoration devaient cesser.
Quant ŕ ces paroles : VOUS ADOREZ, VOUS, CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS, il faut savoir que, pour le Philosophe, autre est la connaissance des réalités composées, autre celle des réalités simples. En effet, les réalités composées peuvent nętre connues que sous un certain aspect, de sorte que sous un autre elles demeurent inconnues, ce qui entraîne que lon puisse avoir delles une connaissance fausse. Par exemple, celui qui a dun animal une connaissance vraie quant ŕ sa substance, peut cependant se tromper dans la connaissance des accidents ne pas discerner sil est blanc ou noir ou de lespčce si cest un volatile ou un quadrupčde. Mais on ne peut en aucune maničre avoir des réalités simples une connaissance fausse : ou bien on les connaît parfaitement en connaissant leur quiddité, ou bien, si on ne peut atteindre leur quiddité, on ne les connaît en aucune maničre 73. Ainsi, puisque Dieu est absolument simple, si lon a de Lui une connaissance fausse, ce ne peut ętre en connaissant quelque chose de Lui et en ignorant de Lui autre chose; cela ne peut venir que de ce quIl nest pas atteint et quIl reste inconnu. Par conséquent, quiconque croit que Dieu est quelque chose quIl nest pas, par exemple un corps ou autre chose de ce genre, nadore pas Dieu, parce quil ne Le connaît pas, mais adore autre chose.
Or les Samaritains avaient de Dieu une opinion doublement fausse. En premier lieu, ils Le croyaient corporel, et par suite croyaient quIl était localisé dans un lieu unique, corporel, et que cétait en cet endroit quil fallait Ladorer. De plus, ils ne croyaient pas quIl est au-dessus de tout 74 mais Le pensaient égal ŕ certaines créatures; aussi, avec Lui, adoraient-ils des idoles, comme si elles Lui étaient égales. Ils ne Le connaissaient donc pas, puisquils ne parvenaient pas ŕ une connaissance vraie de Lui. Voilŕ pourquoi le Seigneur dit VOUS ADOREZ, VOUS, CE QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS, et vous nadorez pas Dieu, car ce nest pas Lui que vous connaissez, mais ce que vous avez imaginé et que vous prenez pour Dieu Les nations marchent dans la vanité de leurs pensées, leur intelligence étant obscurcie par des ténčbres... 75
73. Cf. ARISTOTE, Métaphysique, 0, 10, 1051 b 1-32. La
"quiddité" dune réalité est sa nature (son essence) en tant que
capable dętre saisie par lintelligence et exprimée dans la définition
604. En ce qui concerne la
vérité de ladoration des Juifs, le Seigneur déclare NOUS ADORONS, NOUS, CE QUE
NOUS CONNAISSONS. Il se compte au nombre des Juifs, parce quIl était de race
juive et que, de plus, la femme Le regardait comme un prophčte juif. NOUS
ADORONS, dit-Il, CE QUE NOUS CONNAISSONS; car les Juifs avaient, par la Loi et
les Prophčtes, une connaissance ou une appréciation vraie de Dieu ils ne Le
croyaient pas corporel, ni présent dans un lieu déterminé, comme si sa majesté
pouvait ętre conte nue dans un lieu Voici que les cieux et les cieux des
cieux ne peuvent te contenir; combien moins cette mai son que jai bâtie !
76 Ils nadoraient pas non plus des idoles; cest pourquoi il est dit :
Dieu est connu en Judée, son Nom est grand en Israël 77.
605. Le Seigneur donne la raison de ce quIl vient de dire en ajoutant : PARCE QUE LE SALUT VIENT DES JUIFS. Autrement dit : les Juifs possédaient seuls la vraie connaissance de Dieu, parce que le salut du monde devait venir deux et que, comme le principe de la santé doit ętre quelque chose de sain, ainsi le principe du salut, salut qui est obtenu par la connaissance et le vrai culte de Dieu, doit avoir une connaissance vraie de Dieu. Cest pourquoi, puisque cest des Juifs que devaient venir le principe et la cause du salut, cest-ŕ-dire le Christ En ta descendance seront bénies toutes les nations 78 , il fallait que Dieu fűt connu en Judée.
74. Eph 4, 6.
75. Eph 4, 17-18.
76. 1 Rs 8, 27.
77. Ps 75, 2.
606. Il y a trois aspects sous lesquels le salut est venu des Juifs. En premier lieu lenseignement de la vérité; car, alors que toutes les nations étaient dans lerreur, les Juifs persévéraient dans la vérité Quest-ce donc que le Juif a de plus? (...) Premičrement, cest ŕ eux quont été confiées les paroles de Dieu 79. Ensuite, les dons spirituels; car cest dabord ŕ eux que furent donnés la prophétie et les autres dons de lEsprit Saint, et cest deux que ces dons parvinrent aux autres Toi, cest-ŕ-dire les Gentils, alors que tu étais un olivier sauvage, tu as été greffé sur eux, cest-ŕ-dire sur les Juifs 80. Si donc les Gentils ont eu part ŕ leurs biens spirituels, cest-ŕ-dire ŕ ceux des Juifs, ils doivent ŕ leur tour les servir dans les choses temporelles 81. Enfin, cest des Juifs quest venu lauteur męme du salut, qui est issu deux selon la chair : Cest deux que le Christ est issu selon la chair 82.
MAIS
ELLE VIENT, LHEURE ET CEST MAINTENANT OU LES VRAIS ADORATEURS ADORERONT
LE PERE EN ESPRIT ET EN VERITE; CAR TELS SONT LES ADORATEURS QUE CHERCHE LE
PERE. DIEU EST ESPRIT, ET CEUX QUI LADORENT DOI VENT ADORER EN ESPRIT ET EN
VERITE. "
607. Jésus compare ici la
troisičme adoration aux deux premičres; Il montre dabord son éminence par
rapport aux deux autres [n°
608], puis montre la convenance de cette adoration
éminente [n°
613].
608. Mais au sujet de léminence de cette troisičme adoration il faut remarquer, daprčs Origčne 83, que plus haut le Seigneur, parlant de cette męme adoration ELLE VIENT, LHEURE OU CE NEST NI SUR CETTE MONTAGNE NI A JERUSALEM QUE VOUS ADOREREZ LE PERE , na pas ajouté "et cest maintenant"; tandis quici, parlant toujours de cette adoration, Il dit : ELLE VIENT, LHEURE, ET CEST MAINTENANT.
Cest que plus haut Il a parlé
de ladoration dans la patrie, qui nous fera participer ŕ une connaissance par
faite de Dieu et qui nest pas encore venue pour ceux qui vivent dans cette
chair mortelle; tandis quici, Il parle de ladoration exercée en cette vie et
qui nous est déjŕ communiquée par le Christ.
609. Cest pourquoi Il dit ELLE VIENT, LHEURE ET CEST MAINTENANT OU LES VRAIS ADORATEURS. ADORERONT LE PERE EN ESPRIT ET EN VERITE. Cette affirmation peut sentendre de plusieurs maničres. On peut en premier lieu, avec Chrysostome 84, comprendre que lensemble de la phrase montre la prééminence de cette adoration sur celle des Juifs. Le sens est alors le suivant : comme ladoration des Juifs lemporte sur celle des Samaritains, ainsi ladoration des chrétiens lemporte sur celle des Juifs. Et cela de deux maničres. Dabord parce que ladoration des Juifs sexerce dans des cérémonies corporelles 85 Ce ne sont que prescriptions pour le corps, imposées jusquau temps du redressement 86, tandis que celle des chrétiens est [avant tout] spirituelle. Ensuite parce que ladoration des Juifs était en figures. En effet ses victimes, en tant que réalités [matérielles] ne plaisaient pas ŕ Dieu] Mangerai-je la chair des taureaux, ou boirai-je le sang des boucs? 87 Si tu avais voulu un sacrifice, je te lau rais certes offert; mais les holocaustes ne te sont pas agréables 88, cest-ŕ-dire : dans leur réalité [matérielle]. Cependant ces victimes étaient agréables ŕ Dieu en tant quelles étaient les figures de la vraie victime et du vrai sacrifice La Loi possčde lombre des biens ŕ venir, non limage męme des réalités 89. Ladoration des chrétiens, elle, est ladoration EN VERITE, parce quen elle-męme elle plaît ŕ Dieu La grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ 90. Voilŕ pourquoi le Seigneur, pour manifester léminence de cette adoration, dit que LES VRAIS ADORATEURS ADORERONT EN ESPRIT, pour montrer quils nadoreront pas par des cérémonies corporelles, ET EN VERITE, pour montrer quils nadoreront pas en figure.
78. Gn 22, 18.
79. Ro 3, 1-2.
80. Ro 11, 17.
81. Ro 15, 27.
82. Ro 9, 5.
83. Sur saint Jean, XIII, § 86-89, SC 222, pp. 77-79.
84. In loannem hom., 33, ch. 2, col. 190.
Saint Thomas, tout en se référant ŕ
dautres textes de lEcriture, reprend largumentation de saint Jean
Chrysostome. Citant Jean 4, 23 (tels sont les adorateurs [savoir en esprit et
en vérité] que le Pčre cherche"), celui-ci remarque que la maničre dont
les Juifs adoraient nétait pas proprement voulue par Dieu : cétait une
concession quIl leur fit par indulgence, afin de les introduire au culte
véritable. Dautre part, il voit dans ladoration en esprit et en vérité
loffrande de soi-męme, tandis que saint Thomas y voit avant tout le sacrifice
de la vraie victime, le Christ.
610. Dans cette affirmation
on peut encore comprendre que le Seigneur, par ces deux mots : EN ESPRIT ET EN
VERITE, veut montrer ce qui différencie cette adoration non seulement de celle
des Juifs, mais encore de celle qui était propre aux Samaritains. EN ESPRIT la
distingue de celle des Juifs, pour la raison quon a dite plus haut, en EN
VERITE de celle des Samaritains, car celle-ci était dans lerreur, puisque les
Samaritains ado raient ce quils ne connaissaient pas, alors que ladoration
des chrétiens implique la vraie connaissance de Dieu.
611. Enfin on peut, dans les mots EN ESPRIT ET EN VERITE, lire la condition dune vraie adoration. Deux choses en effet sont requises pour que la pričre soit bonne et vraie. La premičre est que la pričre soit spirituelle; cest pourquoi le Christ dit EN ESPRIT, cest-ŕ-dire dans la ferveur de lesprit Je prierai avec lesprit, mais je prierai aussi avec lintelligence 91, chantant et célébrant le Seigneur de tout [mon] cur 92. Lautre est quelle soit dans la vérité, et en premier lieu la vérité de la foi, car sans la vérité de la foi aucune ferveur du désir spirituel nest apte ŕ mériter Si quel quun dentre vous manque de sagesse, quil la demande ŕ Dieu (...); mais quil la demande avec foi, sans hésitation 93. EN VERITE veut dire aussi sans feinte ni simulation Lorsque vous priez, vous ne serez pas comme les hypocrites, qui aiment ŕ prier debout dans les synagogues et aux coins des places, afin dętre vus des hommes 94. Pour la pričre sont donc requises la ferveur de la charité (EN ESPRIT), puis la vérité de la foi et la droiture dintention (EN VERITE). Et si le Christ dit que les vrais adorateurs adoreront le Pčre, cest parce que sous la Loi les Juifs nadoraient pas le Pčre, mais le Seigneur. Nous, nous adorons en fils, par amour, alors queux adoraient comme des serviteurs, par crainte.
85. "Corporelles" (dans le texte latin carnales) en ce
sens que ces cérémonies ne sont que pour un temps elles doivent passer (tout ce
qui est corporel, charnel, passe).
86. He 9, 10.
87. Ps 49, 13.
88. Ps 50, 18.
89. He 10, 1.
90. Jean 1, 17.
91. 1 Corinthiens 14, 15.
92. Cf. Eph 5, 18-19 "Soyez
remplis de lEsprit Saint, récitant entre vous des psaumes, des hymnes et des
cantiques spirituels, chantant et célébrant le Seigneur de tout votre cur... "
93. Ja 1, 5-6.
94. Mt 6, 5.
612. Ainsi, en parlant des
vrais adorateurs, le Christ exclut, daprčs ce quon vient de dire, trois
choses : la fausseté de ladoration des Samaritains Rejetant le mensonge,
dites la vérité 95 ; le caractčre
vain et transitoire des cérémonies corporelles Pourquoi aimez-vous la vanité
et cherchez-vous le mensonge? 96 enfin ce qui nétait que figure La grâce et la vérité sont venues
par Jésus-Christ 97.
613. En disant ensuite :
TELS SONT LES ADORA TEURS QUE CHERCHE LE PERE. DIEU EST ESPRIT..., le Christ
montre la convenance de cette troisičme adoration. Il la montre en se référant
dabord ŕ la volonté de Celui qui est adoré et ŕ ce qui Lui est agréable, et
ensuite ŕ sa nature męme [n°
615].
614. Sachons dabord que, pour que quelquun mérite de recevoir ce quil demande, il doit demander des choses qui ne soient pas contraires ŕ la volonté de celui qui donne, et doit les demander dune maničre qui lui soit agréable. Voilŕ pourquoi, quand nous prions Dieu, il nous faut ętre tels que Dieu nous veut. Or Dieu cherche des hommes qui Ladorent EN ESPRIT ET EN VERITE, cest-ŕ-dire dans la ferveur de la charité et la vérité de la foi Et maintenant, Israël, que demande de toi le Seigneur ton Dieu, si ce nest que tu craignes le Seigneur ton Dieu, que tu marches dans ses voies et que tu Laimes, et que tu serves le Seigneur ton Dieu de tout ton cur et de toute ton âme (...) pour que tu aies le bonheur? 98 Je vais tindiquer, ô homme, ce qui est bon, et ce que le Seigneur réclame de toi : cest de pratiquer la justice, daimer la miséricorde, et de marcher humblement avec ton Dieu 99.
95. Eph 4, 25.
96. Ps 4, 3.
97. Jean 1, 17.
615. Cette convenance [la troisičme adoration], le Christ la montre aussi en se référant ŕ la nature męme de Dieu : DIEU EST ESPRIT. Car de męme que, comme le dit lEcclésiastique, Tout vivant aime son semblable 100, ainsi Dieu nous aime dans la mesure oů nous Lui ressemblons; or nous ne Lui ressemblons pas par le corps, parce quIl est incorporel, mais par lesprit, parce que DIEU EST ESPRIT. Renouvelez-vous, dit lApôtre, par lesprit de votre esprit 101. En disant DIEU EST ESPRIT, le Christ souligne lincorporéité de Dieu Un esprit na ni chair ni os 102, et de męme son action vivifiante, car toute notre vie vient de Dieu comme de son principe efficient. Et Dieu est aussi Vérité Je suis la voie, la vérité et la vie 103. Voilŕ pourquoi cest EN ESPRIT ET EN VERITE quil faut Ladorer.
98. Deut 10, 12-13.
99. Mie 6, 8.
100. Sir 13, 19.
101. Eph 4, 23 "Renovamini spiritu mentis vestrae",
que lon traduit généralement : "par lesprit de votre intelligence".
Mais lApôtre ne veut-il pas montrer quil faut se renouveler par ce quil y a
de plus spirituel dans lesprit, la "fine pointe" de lesprit?
Lorsquil commente ce verset de saint Paul, saint Thomas suggčre que spiritus
peut ętre compris ici comme désignant" lEsprit Saint, qui habite dans
notre esprit (in mente nostra)". Cependant il semble préférer une autre
interprétation, oů spiritus désigne en nous" lesprit rationnel",
distinct de ce quil appelle pour la circonstance" lesprit
imaginaire" (autrement dit limagination), qui domine chez certains, par
exemple chez l'"inspiré" en délire dOs 9, 7. Entendu au sens
d"esprit rationnel", spiritus est identique ŕ mens et lexpression
spiritus mentis vestrae est comparable ŕ cette autre expression de saint Paul :
"in expoliatione corporis carnis, dans le dépouillement de votre corps de
chair" (Col 2, 11). Le spiritus mentis est ce quil y a de plus spirituel
dans lesprit, comme le corpus carnis est ce quil y a de plus charnel dans le
corps. Voir SAINT
THOMAS, Super Epistolam ad Ephesios lectura, IV, leç. 7, n° 243.
IV
LA
FEMME LUI DIT : "JE SAIS QUE LE MESSIE 25-26] VIENT, CELUI QUON APPELLE
CHRIST; CELUI-LA, LORSQUIL SERA VENU, NOUS ANNONCERA TOUTES CHOSES. "
JESUS LUI DIT : JE LE SUIS, MOI QUI TE PARLE. "
616. Il sagit ici du donateur, de lauteur du don dont le Seigneur avait parlé plus haut : SI TU SAVAIS LE DON DE DIEU, ET QUI EST CELUI QUI TE DIT : DONNE-MOI A BOIRE... LEvangéliste expose dabord la confession de foi de la femme [n° 616], puis lenseignement du Christ [n° 619].
[25]
LA FEMME LUI DIT : "JE SAIS QUE LE MESSIE VIENT, CELUI QUON APPELLE
CHRIST; CELUI-LA, LORSQUIL SERA VENU, NOUS ANNONCERA TOUTES CHOSES. "
Dans sa confession de foi, la
femme commence par proclamer sa foi au Christ qui doit venir [n° 617], puis elle
affirme la perfection de son enseignement [n° 618].
617. Sachons que la femme,
toute retournée par la profondeur des paroles du Seigneur, resta interdite,
sans pouvoir les comprendre. Elle Lui dit donc JE SAIS QUE LE MESSIE VIENT,
CELUI QUON APPELLE CHRIST, comme pour dire : Je ne comprends pas tes paroles,
mais un jour le Messie viendra, et alors nous connaîtrons tout cela. Lhébreu "Messie"
se dit en latin "Oint", et en grec "Christ" 104. Cette femme
savait que le Messie viendrait parce quelle lavait appris par les livres de
Moďse, oů fut annoncée la venue du Christ : Le sceptre ne sera pas enlevé de
Juda, ni le chef de sa descendance, jusquŕ ce que vienne celui qui doit ętre
envoyé 105. Comme le note
Augustin, cette parole de la femme est la premičre oů elle nomme le Christ, ce
qui donne ŕ entendre que, laissant ses cinq sens corporels, elle a commencé
désormais ŕ revenir ŕ son mari légitime 106.
102. Luc 24, 39.
103. Jean 14, 6.
618. Ce Messie, lorsquIl sera venu, nous donnera un enseignement parfait; voilŕ ce quelle veut dire par ces paroles : IL NOUS ANNONCERA TOUTES CHOSES. Cela, Moďse 107 lavait prédit : Je leur susciterai du milieu de leurs frčres un prophčte semblable ŕ toi; je placerai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai 108. Et parce que la femme avait désormais appelé son mari, cest-ŕ-dire lintelligence et la rai son, le Seigneur lui offre ŕ boire leau de son enseignement spirituel, en se manifestant ŕ elle au moment opportun.
JESUS
LUI DIT : "JE LE SUIS, MOI QUI TE PARLE. " [26]
619. JE LE SUIS,
cest-ŕ-dire : Je suis le Christ La Sagesse prévient ceux qui la désirent,
pour se montrer ŕ eux la premičre 109. Celui qui maime sera aimé de mon Pčre, et moi je laimerai et je me
manifesterai ŕ lui 110. Le Seigneur ne sest pas manifesté tout de suite car la femme ne
laurait peut-ętre pas cru, et elle aurait pensé quIl parlait par vanité. Mais
maintenant, lamenant peu ŕ peu ŕ la connaissance du Christ, Il sest révélé
Lui-męme, au temps opportun Pommes dor sur ciselures dargent, celui qui dit
une parole en son LES PREMIERS FRUITS DE LENSEIGNEMENT temps 111. Aux Pharisiens qui
Linterrogeaient pour savoir sIl était le Christ Si cest toi le Christ,
dis-le nous clairement 112 Il ne se révéla pas ouvertement, parce quils ne Linterrogeaient
pas pour ętre éclairés,
104. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in b. XV,
27, BA 71, p. 803.
105. Gn 49, 10.
106. Cf. Tract. in b. XV, 21-23, BA 71, pp. 789-793; 27, pp. 801-803;
De diversis quaest. 83, q. 64, 8, BA 10, pp. 227-229.
107. Jusquŕ la fin du XIX° sičcle, Moďse a toujours été
considéré comme lauteur du Pentateuque.
108. Deut 18, 18.
109. Sag 6, 14,
110. Jean 14, 21.
111. Prov 25, 11.
112. Jean 10, 24.
27
Lŕ-dessus vinrent ses disciples, et ils sétonnaient de ce quIl parlait avec
une femme. Aucun pourtant ne dit" Que lui veux-tu?" ou :
"Pourquoi parles-tu avec elle?" La femme laissa donc sa cruche et
sen alla ŕ la ville. Et elle dit aux hommes [de la ville]" Venez et voyez
un homme qui ma dit tout ce que j'ai fait. Ne serait-Il pas le Christ?"
Ils sortirent donc de la ville, et ils venaient ŕ Lui. Entre temps les
disciples Le priaient en disant : "Rabbi, mange. " Mais Il leur
dit" Moi, jai ŕ manger une nourriture que vous, vous ne connaissez pas. "
Les disciples se disaient donc entre eux : "Quelquun Lui a-t-il apporté ŕ
manger?"
620. Aprčs avoir exposé lenseignement du Christ mais dans le but de Lui nuire. Cette femme, au contraire, sur leau spirituelle, lEvangéliste traite ici de son effet; parlait en toute simplicité de cur. il lexpose dabord [n° 620], puis le manifeste [n° 631].
I
LA-DESSUS
VINRENT SES DISCIPLES, ET ILS SETONNAIENT DE CE QUIL PARLAIT AVEC UNE FEMME. AUCUN
POURTANT NE DIT : "QUE LUI VEUX-TU?" OU : "POURQUOI PARLES-TU
AVEC ELLE?" LA FEMME LAISSA DONC SA CRUCHE ET SEN ALLA A LA VILLE. ET
ELLE DIT AUX HOMMES [LA VILLE] : "VENEZ ET VOYEZ UN HOMME QUI MA DIT TOUT
CE QUE JAI FAIT. NE SERAIT-IL PAS LE CHRIST?" ILS SORTIRENT DONC DE LA
VILLE, ET ILS VENAIENT A LUI
Leffet de lenseignement du Christ est le fruit quil produit chez les fidčles; cest pourquoi lEvangéliste expose dabord le fruit produit chez les disciples qui sétonnent [n° 621], puis chez la femme qui annonce [aux hommes de Samarie] la puissance du Christ [n° 624].
LA-DESSUS
VINRENT SES DISCIPLES, ET ILS SETONNAIENT DE CE QUIL PARLAIT AVEC UNE FEMME. AUCUN
POURTANT NE DIT : "QUE LUI VEUX-TU?" OU" POURQUOI PARLES-TU AVEC
ELLE?"
621. Trois choses nous sont
dites ici au sujet des disciples. Dabord leur retour auprčs du Christ
LA-DESSUS VINRENT SES DISCIPLES. Comme le dit Chrysostome 1, cest tout ŕ
fait ŕ propos que, aprčs que le Christ se fűt manifesté ŕ la femme, les
disciples survinrent, afin de montrer que tous les temps sont réglés par la
divine Providence Dieu a fait Lui-męme le petit et le grand, et Il prend
également soin de tous (...) et [sa Sagesse], dans sa Providence universelle, va au-devant deux 2. Pour toute affaire il y a un
temps et un moment favorable 3.
622. LEvangéliste montre ensuite leur étonnement au sujet du Christ : ET ILS SETONNAIENT DE CE QUIL PARLAIT AVEC UNE FEMME. Ils sétonnaient en bien et ne soupçonnaient aucun mal, comme le dit Augustin 4.
ILS SETONNAIENT de deux choses. Dabord de la douceur et de lhumilité surabondantes du Christ ils sétonnaient de ce que le Seigneur de lunivers daignât parler, et longuement, avec une pauvre femme, nous donnant en cela un exemple dhumilité Montre-toi accueillant pour la communauté des pauvres 5. Dautre part, ils sétonnaient de Le voir parler avec une Samaritaine, une étrangčre, car ils ignoraient le mystčre, ŕ savoir que cette femme était limage de lEglise des Gentils, que cherchait Celui qui est venu chercher et [n° 27] sauver ce qui était perdu 6,
1. Cf. In bannent hom., 33, ch. 2, PG
59, col. 191. Saint Jean Chrysostome dit
seulement que" [disciples] arrivčrent ŕ propos, alors que la doctrine
était déjŕ parfaitement transmise", laissant ainsi entendre que Jésus eut
pleinement le temps dachever linstruction de la Samaritaine.
2. Sag 6, 8 et 17; cf. Sir 43, 37.
3. Qo 8, 6.
4. Tract, in b. XV, 29, BA 71, pp. 803-805.
5. Sir 4, 7.
623. Enfin lEvangéliste souligne le respect confiant des disciples pour le Christ, manifesté par leur silence. Nous montrons en effet notre respect confiant pour Dieu quand nous navons pas laudace de discuter ses actes La gloire de Dieu est de cacher son verbe, et la gloire des rois de scruter la parole 7. Aussi lEvangéliste dit-il que, malgré leur étonnement, AUCUN POUR TANT NE DIT : "QUE LUI VEUX-TU?" OU : "POUR QUOI PARLES-TU AVEC ELLE?" Ecoute en silence, et pour ton respect confiant te viendra la faveur divine 8.
Cependant, si les disciples avaient appris ŕ garder leur rang par respect et par crainte filiale envers le Christ, cétait de telle sorte que parfois ils Linterrogeaient avec confiance sur ce qui les regardait, par exemple quand le Christ leur annonçait des vérités les concernant, mais dépassant la capacité de leur intelligence Jeune homme, parle ŕ peine dans ta propre cause 9 , mais que parfois ils se gardaient de Le questionner, quand cela ne les regardait pas, ce qui est le cas ici.
6. Luc 19, 10. Scot Erigčne pense que les disciples ne
sétonnent pas de voir le Christ parler avec une femme, car cela Lui arrivait
trčs souvent, mais de Le voir parler avec une étrangčre, et mie Samaritaine,
"car ils ignoraient le mystčre de lEglise qui devait venir de la
Gentilité". Et si les disciples nosaient pas interroger leur Maître,
cest seulement "dans la crainte dętre réprimandés par Lui sils
Linterrogeaient de façon inconsidérée, eux qui ne pouvaient pas encore
connaître le mystčre de lEglise future" (Commentaire sur lEvangile de
Jean, IV, VIII, p. 323). Le commentaire de Scot Erigčne sarręte au verset
28; le chapitre V manque intégralement, et il ne reste de la suite quun
fragment du chapitre VI
7. Prov 25, 2 "Gloria
Dei est celare verbum, et gloria regum investigare sermonem". Sur le sens du mot "verbe", voir n° 25 (vol. I, 2e éd., pp. 81 sq.).
8. Sir 32, 9.
9. Sir 32, 10.
624. LEvangéliste expose maintenant le fruit pro duit par lenseignement du Christ chez la femme celle-ci assume la fonction des Apôtres en portant le message. A travers les paroles et les actes de cette femme on peut saisir laspect amoureux de son dévouement [n° 625], le caractčre propre de sa prédication [n° 626] et son effet [n° 630].
LA
FEMME LAISSA DONC SA CRUCHE ET SEN ALLA A LA VILLE.
625. Lamour de la femme apparaît de deux maničres. Dabord en ce que, dans la grandeur de son dévouement, elle laisse lŕ son eau comme si elle avait oublié ce pour quoi elle était spécialement venue LA FEMME LAISSA DONC SA CRUCHE ET SEN ALLA A LA VILLE pour annoncer des merveilles au sujet du Christ 10, méprisant son bien-ętre corporel pour le bien des autres. En cela elle suit lexemple des Apôtres qui, laissant lŕ leurs filets, suivirent [le Seigneur] 11. Par la CRUCHE il faut entendre la convoitise du monde, avec laquelle les hommes tirent leurs plaisirs du fond ténébreux dont le puits offre limage, cest-ŕ-dire dune vie toute terrestre 12. Ceux donc qui abandonnent les, convoitises du monde pour le Christ laissent lŕ leur cruche Personne, combattant pour Dieu, ne sembarrasse des affaires du sičcle 13.
Le zčle de la femme apparaît encore dans le grand nombre de ceux auxquels elle porte son message : non pas ŕ un seulement, ni ŕ deux ou trois, mais ŕ la ville entičre 14. Cest ce que veut dire lEvangéliste en disant quelle SEN ALLA A LA VILLE. En cela elle représente le ministčre qui fut confié aux Apôtres par le Seigneur Allez, enseignez toutes les nations 15 Je vous ai établis pour que vous alliez et que vous portiez du fruit 16.
ET
ELLE DIT AUX HOMMES [LA VILLE] : "VENEZ ET VOYEZ UN HOMME QUI MA DIT TOUT
CE QUE JAI FAIT. NE SERAIT-IL PAS LE CHRIST?"
626. LEvangéliste indique ici le caractčre propre de la prédication de la femme. En premier lieu elle invite ŕ venir voir le Christ, en disant : VENEZ ET VOYEZ UN HOMME. Cette femme avait bien entendu le Christ lui dire "Je suis le Christ"; mais elle na pas tout de suite dit aux hommes de venir "au Christ" ou de croire, pour ne pas leur donner occasion de blasphémer. Cest pour cette raison quelle a dit dabord du Christ ce qui était croyable et soffrait aux yeux de tous, ŕ savoir que cétait UN HOMME Il sest fait semblable aux hommes 17. Et elle na pas dit non plus "croyez", mais VOYEZ, car elle savait bien que sils goűtaient ŕ cette source en Le voyant, ils éprouveraient la męme chose quelle 18 Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu, et je raconterai tout ce quIl a fait pour mon âme 19. En cela la Samaritaine nen imite pas moins lexemple du véritable prédicateur, qui appelle les hommes non ŕ soi, mais au Christ Ce nest pas nous-męmes que nous pręchons, mais le Christ Jésus notre Seigneur 20.
10. En latin "annuntiare magnalia de
Christo. " Cf. Ac 2,
11. Sir 18, 3-5; 2 Mac 3, 34; Ps 70, 19, etc.
11. Mt 4, 20.
12. Cette phrase est empruntée presque littéralement ŕ saint
Augustin. Voir De diversis quaest. 83, q. 64, BA 10, p. 229 "La cruche peut signifier lamour de ce monde, cest-ŕ-dire
la convoitise avec laquelle les hommes tirent le plaisir du fond ténébreux (de
tenebrosa prof unditate) dont le puits offre limage, cest-ŕ-dire dune vie
toute terrestre" (de terrena conversatione, qui soppose ŕ
laffirmation de saint Paul : conversatio nostra autem in coelis est,
"pour nous, notre vie est dans les cieux" [1, 20]). Voir aussi Tract.
in b. XV, 16, BA 71, p. 779 "Leau au fond du puits figure le
plaisir du sičcle dans la profondeur des ténčbres (in prof unditate tenebrosa),
car cest de lŕ que les hommes le tirent avec la cruche de leur convoitise. La
convoitise les courbe et les abaisse pour quils parviennent au plaisir puisé
dans ces bas-fonds... " Scot Erigčne reprend cette interprétation en en
modifiant un peu les termes : "Selon saint Augustin, le puits profond
signifie la délectation des choses corporelles ŕ partir desquelles et dans
lesquelles, telle une eau qui sécoule, surgit la délectation elle-męme; le
vase qui sert ŕ puiser leau symbolise la convoitise de lâme charnelle qui
désire sans cesse se rassasier de la délectation des choses temporelles et
corporelles" (Commentaire sur lEvangile de Jean, IV, iv, p. 299).
13. 2 Tm 2, 4. Le mot "Dieu" ne figurant pas dans le
texte grec, on traduit généralement : "Dans le métier des armes, personne
ne sembarrasse des affaires de la vie civile". Mais la Vulgate donne :
"Nemo militans Deo", doů notre traduction.
14. Cf. In loannem hom., 34, ch. 1, col.
193.
15. Mt 28, 19.
16. Jean 15, 16.
627. Elle donne ensuite un
signe de la divinité du Christ en disant : IL MA DIT TOUT CE QUE JAI FAIT,
cest-ŕ-dire combien elle a eu de maris. Cest en effet une marque de la
divinité de manifester ce qui est caché et secret dans les curs. Et bien que
sa conduite passée nait pu que la couvrir de confusion, cette femme neut
pourtant pas honte de la rappeler; car "une fois que lâme a été
embrasée du feu divin, comme le dit Chrysostome, il ne lui reste plus de regard
pour ce qui est de la terre, ni pour la gloire ni pour la honte, mais elle est
relative ŕ cette seule flamme qui la possčde" 21.
628. Enfin la femme achčve sa prédication sur la majesté du Christ : NE SERAIT-IL PAS LE CHRIST? Elle na pas osé montrer de maničre affirmative que cétait le Christ, de peur de paraître vouloir instruire les autres et que ceux-ci, irrités, ne veuillent pas sortir [n° 28b] de la ville] pour aller vers Lui. Cependant elle ne la pas tu entičrement, mais elle la dit sous forme dinterrogation, comme sen remettant ŕ leur jugement NE SERAIT-IL PAS LE CHRIST? Cest lŕ en effet une maničre plus facile de persuader.
17. Phi 2, 7.
18. Cf. In loannem hom., loc. cit.
19. Ps 65, 16.
20. 2 Co 4, 5.
21. Cf. In loannem hom., loc. cit. La version latine que donne saint Thomas diffčre de celle de
Migne, surtout pour la fin de la phrase; elle est plus proche du texte grec.
629. Par cette femme, qui est dune condition trčs humble, est signifiée la condition des Apôtres qui pręchent. Il est dit en effet : Il ny a pas beaucoup de sages selon la chair, pas beaucoup de puissants, pas beaucoup de gens bien nés. Mais ce quil y a de fou dans le monde, voilŕ ce que Dieu a choisi pour confondre les sages 22. Aussi les Apôtres eux-męmes sont-ils appelés "servantes" : Elle, la Sagesse divine, cest-ŕ-dire le Fils de Dieu, a envoyé ses servantes, cest-ŕ-dire les Apôtres, appeler au sommet de la ville et sur ses remparts : "Si quelquun est tout petit, quil vienne ŕ moi. (...) Venez, mangez mon pain et buvez le vin que je vous ai męlé" 23.
ILS
SORTIRENT DONC DE LA VILLE, ET ILS VE NAIENT A LUI
630. Voici le fruit de la prédication [de la femme] ILS SORTIRENT DONC DE LA VILLE, oů la femme était allée, ET ILS VENAIENT A LUI, cest-ŕ-dire au Christ; ce qui nous donne ŕ entendre que si nous voulons aller au Christ, il nous faut sortir de la ville, autrement dit abandonner lamour de la cupidité charnelle Sortons donc vers Lui hors du camp en portant son opprobre 24.
22. 1 Corinthiens 1, 26-27.
23. Prov 9, 3.
24. He 13, 13,
II
631. Maintenant va ętre manifesté leffet de lenseignement spirituel du Christ : dabord par lenseignement męme du Christ aux disciples [n° 631], puis par leffet quil produit dans les autres [n° 656].
ENTRE
TEMPS LES DISCIPLES LE PRIAIENT EN 31331 DISANT : "RABBI, MANGE". MAIS
IL LEUR DIT : "MOI, JAI A MANGER UNE NOURRITURE QUE VOUS NE CONNAISSEZ
PAS. " LES DISCIPLES SE DISAIENT DONC ENTRE EUX "QUELQUUN
LUI A-T-IL APPORTE A MANGER?"
Pour manifester leffet de lenseignement du Christ sur les disciples, lEvangéliste rapporte dabord loccasion de la manifestation de ce fruit [chez les disciples] [n° 6321, puis la manifestation proprement dite [n° 633].
[31]
ENTRE TEMPS LES DISCIPLES LE PRIAIENT EN DISANT : "RABBI, MANGE. "
632. Loccasion de cette manifestation est linsistance avec laquelle les disciples pressent le Christ de manger : ENTRE TEMPS, cest-ŕ-dire entre le moment oů ils trouvent la femme parlant au Christ et Celui-ci sentretenant avec elle, et le moment de larrivée des Samaritains, LES DISCIPLES LE PRIAIENT EN DI SANT : "RABBI, MANGE", jugeant que ce moment était propice au repas, avant que la foule ne se rassemblât autour deux. En effet, devant un étranger ils ne préparaient pas de nourriture; cest pourquoi il est dit ailleurs quune telle foule se pressait autour de Lui quIl navait męme pas le temps de manger 25.
25. Cf. Mc 6, 31; 3, 20.
633. Loccasion Lui ayant donc été donnée, le Seigneur manifeste maintenant le fruit de son enseignement. Il présente dabord ce fruit en un langage figuré [n° 634], puis Il souligne la lenteur des disciples ŕ comprendre [n° 636]; enfin Il explique ce quIl a dit [n° 638].
MAIS
IL LEUR DIT : "MOI, JAI A MANGER UNE NOURRITURE QUE VOUS, VOUS NE
CONNAISSEZ PAS. "
634. Le Christ présente ici le fruit de son enseignement spirituel sous la figure dune nourriture et dun repas. Il faut ŕ ce propos savoir que, de męme quon ne peut refaire parfaitement ses forces corporelles si la boisson nest pas jointe ŕ la nourriture ou inversement, de męme, pour refaire ses forces spirituelles, il faut avoir lune et lautre : Dieu nourrira [celui qui Le craint] du pain de la vie et de lintelligence (voilŕ la nourriture) et Il labreuvera de leau de la sagesse qui donne le salut 26 (voilŕ la boisson). Il convenait donc quaprčs avoir parlé de la boisson dont avait été abreuvée la Samaritaine, le Seigneur parlât de la nourriture. Et de męme que par leau il faut entendre la sagesse qui donne le salut, de męme par la nourriture il faut entendre laccomplissement de luvre du Pčre 27.
Or cette nourriture que le Christ avait ŕ manger, cest le salut des hommes 28 quIl cherchait; en disant quIl a une nourriture ŕ manger, Il montre combien est grand le désir quIl a de notre salut. En effet, ce quest pour nous le désir de manger quand nous avons faim, le désir de nous sauver lest pour le Christ Mes délices sont dętre avec les fils de hommes. Cest pourquoi Il dit : JAI A MANGER UNE NOURRITURE, cest-ŕ-dire la conversion des Gentils, QUE VOUS. VOUS NE CONNAISSEZ PAS, parce que les disciples ne pouvaient pas encore prévoir cette conversion.
26. Sir 15, 3.
27. En latin : "per cibum intelligitur operatio bona. "
Mais ici loperatio bona ne peut ętre que laccomplissement de luvre du Pčre.
635. On peut, avec Origčne 29, expliquer ces paroles dune autre maničre. Il en va de la nourriture spirituelle comme de la nourriture corporelle : la męme quantité ne suffit pas ŕ tous; pour lun une plus grande quantité est nécessaire, pour un autre une moindre; et est sain pour lun ce qui nuira ŕ un autre. Il en va de męme pour la nourriture spirituelle on ne doit pas dis penser ŕ tous un enseignement spirituel de męme qualité, ni selon la męme quantité; on doit tenir compte de la disposition et de la capacité des hommes [quon enseigne]. Car, comme le dit lApôtre Pierre, les enfants nouveaux-nés désirent le lait spirituel 30, tandis que la nourriture solide est celle des parfaits. Cest pourquoi Origčne dit que celui qui a une doctrine plus élevée et qui surpasse les autres dans les choses spirituelles peut transmettre cette parole ŕ ceux qui sont faibles et dont lintelligence manque de force 31. Cest ainsi que parle lApôtre : Comme ŕ des petits enfants dans le Christ, cest du lait que je vous ai donné ŕ boire, non une nourriture solide 32. A bien plus forte raison Jésus peut-Il dire en vérité : JAI A MANGER UNE NOURRITURE QUE VOUS, VOUS NE CONNAISSEZ PAS. Jai beaucoup de choses ŕ vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter [n° 32] maintenant 33.
28. Prov 8, 31. Cf. ci-dessus, n° 568.
29. Sur saint Jean, XIII, § 205-213, SC 222, pp. 145-147.
30. Cf. 1 Pierre 2, 2.
31. Cf Sur saint Jean, XIII, § 217-218, SC 222, p 149.
32. 1 Corinthiens 3, 1.
LES
DISCIPLES SE DISAIENT DONC ENTRE EUX "QUELQUUN LUI A-T-IL APPORTE A
MANGER?"
636. La lenteur de
lintelligence des disciples se révčle ici au fait que, ce que le Seigneur a
dit de la nourriture spirituelle, ils lentendaient dune nourriture
corporelle; car ils étaient encore sans intelligence 34. Voilŕ pourquoi
ils SE DISAIENT ENTRE EUX "QUELQUUN LUI A-T-IL APPORTE A
MANGER?"
Il ne faut donc pas sétonner que la femme, une Samaritaine, nait pas compris leau spirituelle; car voilŕ que les disciples, des Juifs, ne comprennent pas la nourriture spirituelle.
Le fait quils se disent entre eux QUELQUUN LUI A-T-IL APPORTE A MANGER? nous indique que le Christ avait coutume daccepter la nourriture que dautres Lui offraient. Et pourtant Il na pas besoin de nos biens Jai dit au Seigneur : Tu es mon Dieu, tu nas pas besoin de mes biens 35 et Celui qui donne la nourriture ŕ toute chair 36 na pas besoin de la nourriture des hommes.
637. Pourquoi alors le Christ demandait-Il de la nourriture aux autres et lacceptait-Il deux? Il le faisait pour deux raisons. Dabord pour permettre ŕ ceux qui la Lui donnaient et la Lui apportaient dacquérir ainsi un mérite. Ensuite, pour donner ŕ ceux qui vaquent aux choses spirituelles lexemple de ne pas rougir de la pauvreté, et pour quils ne trouvent pas pénible dętre nourris par les autres. Il appartient en effet ŕ ceux qui enseignent davoir leur subsistance assurée par dautres, pour quils puissent, nayant souci de rien, donner tous leurs soins au ministčre de la parole, comme le dit Chrysostome 37. La Glose 38 dit la męme chose en commentant ces paroles de lEcriture : Que les anciens qui exercent bien la présidence soient regardés comme dignes dun double honneur, surtout ceux qui peinent ŕ la parole et ŕ lenseignement 39.
33. Jean 16, 12.
34. Mt 15, 16.
33. Ps 15, 2.
36. Ps 135, 25.
Jésus
leur dit : "Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui ma envoyé
et daccomplir son uvre. Ne dites-vous pas, vous : Encore quatre mois et vient
la moisson? Voici que je vous dis : Levez les yeux et voyez les campagnes :
elles sont déjŕ blanches pour la moisson. Et celui qui moissonne reçoit un
salaire et amasse du fruit pour la vie éternelle, afin que se réjouissent
ensemble celui qui sčme et celui qui mois sonne. Car en cela se vérifie la
parole : Autre est celui qui sčme, autre celui qui moissonne. Moi, je vous ai
envoyés moissonner ce pour quoi vous, vous navez pas peiné; dautres ont
peiné, et vous, vous ętes entrés dans leurs labeurs. "
638. Aprčs avoir montré la lenteur des disciples ŕ comprendre le langage figuré du Seigneur [n° 633-636], lEvangéliste nous Le montre ici donnant lexplication de ce langage figuré [n° 639], puis prenant une comparaison [n° 644]
I
JESUS
LEUR DIT : "MA NOURRITURE EST DE FAIRE LA VOLONTE DE CELUI QUI MA
ENVOYE ET DACCOMPLIR SON UVRE. "
639. De męme que, plus
haut, le Seigneur a expliqué ŕ la femme ce quIl lui avait dit en figure ŕ propos
de leau, ainsi Il explique maintenant aux Apôtres ce quIl leur a dit en
figure ŕ propos de la nourriture. Cependant il le fait cette fois de maničre
tout autre aux Apôtres, plus capables de comprendre, Il donne aussitôt, sans
circonlocutions, son explication; alors que la femme, moins capable, Il la
conduit par beaucoup de paroles ŕ la connaissance de la vérité.
640. Ce que le Christ dit ici aux Apôtres sexplique facilement. En effet, puisque la nourriture corporelle est ce qui sustente lhomme et le rend parfait, on considérera comme nourriture spirituelle de lâme et de la créature douée dintelligence ce qui les sustente et les rend parfaites. Or leur perfection consiste ŕ ętre unies ŕ leur fin et ŕ suivre une rčgle supérieure ce que David, qui lavait bien compris, exprimait ainsi : Il est bon pour moi dadhérer ŕ Dieu 1. Cest pourquoi il convenait au Christ, en tant quhomme, de dire que sa NOURRITURE était de FAIRE LA VOLONTE de Dieu ET DACCOMPLIR SON UVRE.
37. Voir In Epistolam ad Galatas
commentarius, ch. 2, PG 61, col. 675-676. En fait,
saint Jean Chrysosotome voit surtout la dépendance, du point de vue matériel,
des prédicateurs ŕ légard de leurs bienfaiteurs : elle favorise chez les
premiers lexercice de lhumilité et chez les seconds lexercice de la charité.
38. PIERRE LOMBARD, In Epistolam I ad
Timothaeum (Glossa), eh. 5, PL 192, col. 354 C-D.
39. 1 Tm 5, 17.
641. Ces deux expressions : FAIRE LA VOLONTE de Dieu et ACCOMPLIR SON UVRE, peuvent ętre comprises comme signifiant la męme chose, la seconde étant cependant lexplicitation de la premičre. Elles peuvent aussi ętre comprises comme signifiant deux choses différentes.
Si on les comprend comme nen signifiant quune, le sens est alors le suivant : MA NOURRITURE, autrement dit ma force et mon soutien, EST DE FAIRE LA VOLONTE DE CELUI QUI MA ENVOYE Jai voulu, mon Dieu, faire ta volonté, et ta loi est au fond de mon cur 2 Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui ma envoyé 3. Mais comme" faire la volonté" de quelquun peut sentendre de deux maničres soit quon le fasse vouloir, soit quon accomplisse par des uvres ce que lon sait quil veut , le Seigneur, expliquant ce quest FAIRE LA VOLONTE de Celui qui La envoyé, dit que cest ACCOMPLIR SON UVRE, cest-ŕ-dire mener ŕ bien les uvres dont je sais quIl les veut Tant quil fait jour, il me faut travailler aux uvres de Celui qui ma envoyé 4.
Si maintenant on entend ces deux expressions comme signifiant deux choses différentes, il faut savoir que le Christ a accompli les deux en ce monde. Il a dabord enseigné la vérité, en invitant et appelant ŕ la foi; et en cela Il a accompli la volonté de son Pčre Telle est la volonté de mon Pčre, qui ma envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en Lui ait la vie éternelle 5. Ensuite, II a achevé la vérité elle-męme en nous ouvrant par sa Passion la porte de la vie, nous donnant ainsi le pouvoir de parvenir ŕ la vérité achevée Jai achevé luvre que tu mas donnée ŕ faire 6. En ce sens, le Christ dit MA NOURRITURE EST DE FAIRE LA VOLONTE DE CE LUI QUI MA ENVOYE en appelant les hommes ŕ la foi, ET DACCOMPLIR SON UVRE en les conduisant ŕ la perfection.
1. Ps 72, 28.
2. Ps 39, 9. Saint Thomas modifie le temps du verbe facere (faire),
ce qui lui permet de ponctuer différemment le verset.
3. Jean 6, 38.
4. n 9, 4.
642. On peut, daprčs Origčne 7, donner une autre interprétation. Tout homme qui agit bien doit diriger son intention vers deux fins : lhonneur de Dieu et le bien du prochain; car, comme le dit lApôtre, La fin du précepte, cest la charité 8, qui comprend lamour de Dieu et du prochain. Ainsi, quand nous faisons quelque chose pour Dieu, la fin du précepte est Dieu; et quand nous agissons pour le bien du prochain, la fin du précepte est le pro chain. Selon cette interprétation, le Christ affirme donc MA NOURRITURE EST DE FAIRE LA VOLONTE de Dieu, cest de diriger son intention et de la régler sur ce qui est en vue de la gloire de Dieu, ET DACCOMPLIR SON UVRE, cest de faire ce qui concourt au bien et ŕ la perfection de lhomme.
643. Mais on peut objecter que les uvres de Dieu sont parfaites 9, et quil ne convient donc pas de dire quon "accomplit" 10 luvre de Dieu. A cela je réponds que parmi toutes les autres créatures inférieures, lhomme est luvre spéciale de Dieu, parce quil a été fait ŕ son image et ŕ sa ressemblance 11; et quŕ lorigine cette uvre fut certainement parfaite, car Dieu a fait lhomme droit, comme dit lEcclésiaste 12. Mais ensuite, ŕ cause du péché, lhomme perdit cette perfection et sécarta de cette rectitude. Aussi, afin que cette uvre de Dieu fűt parfaite, était-il nécessaire de la réparer : ce qui fut fait par le Christ En effet, comme par la désobéissance dun seul homme, la multitude a été constituée pécheresse, de męme par lobéissance dun seul la multitude sera constituée juste 13. Ainsi le Christ dit-Il que sa nourriture est DACCOMPLIR LUVRE de Celui qui La envoyé, cest-ŕ-dire de conduire lhomme ŕ sa perfection 14.
5. Jean 6, 40.
6. Jean 17, 4.
7. Nous navons pas trouvé cette référence. Il se pourrait
quelle vise plutôt lobjection qui suit et sa solution (no 643).
8. lTm 1, 5.
9. Deut 32, 4.
10. "Accomplir" est ŕ prendre ici au sens de
"achever", "parfaire" (en latin perficere, dont perfectus
est le participe passé).
11. Gn 1, 26.
12. Qo 7, 30.
13. Ro 5, 19.
14. Cf. ORIGČNE, XIII, § 236-242 et 246, SC 222, pp. 159-163.
II
"NE
DITES-VOUS PAS, VOUS : ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON? VOICI QUE JE
VOUS DIS : LEVEZ LES YEUX ET VOYEZ LES CAMPA GNES : ELLES SONT DEJA BLANCHES
POUR LA MOISSON. ET CELUI QUI MOISSONNE REÇOIT UN SALAIRE ET AMASSE DU FRUIT
POUR LA VIE ETERNELLE, AFIN QUE SE REJOUISSENT ENSEMBLE CELUI QUI SEME ET CELUI
QUI MOISSONNE. CAR EN CELA SE VERIFIE LA PAROLE : AUTRE EST CE LUI QUI SEME,
AUTRE CELUI QUI MOISSONNE. MOI, JE VOUS AI ENVOYES MOISSONNER CE POUR QUOI
VOUS, VOUS NAVEZ PAS PEINE; DAUTRES ONT PEINE, ET VOUS, VOUS ETES ENTRES DANS
LEURS LABEURS. "
644. Le Seigneur emploie ici une image. Remarquons ŕ ce sujet quIl demanda ŕ boire ŕ la femme en disant : Donne-moi ŕ boire, et que cest ŕ loccasion de cette demande quIl introduisit limage de leau. Ici, au contraire, ce sont les disciples qui exhortent le Seigneur ŕ manger; mais, de la męme façon, le Seigneur saisit cette occasion dintroduire limage de la nourriture spirituelle; car par limage de la nourriture et celle de la boisson le męme mystčre est signifié. Ainsi, ŕ certains (comme la femme), Dieu demande ŕ boire, tandis que dautres Lui offrent ŕ boire. Mais nul noffre ŕ Dieu de la nourriture si Dieu le premier ne lui en fait la demande. En effet, nous offrons ŕ Dieu une nourriture spirituelle quand nous sollicitons de Lui notre salut, cest-ŕ-dire quand nous demandons : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel 15. Ce salut, nous ne pouvons pas lobtenir par nous-męmes; [nous ne pouvons lobtenir que] si Dieu nous a devancés par la grâce prévenante Fais-nous revenir ŕ toi, Seigneur, et nous reviendrons 16. Cest donc Dieu qui demande le premier, Lui qui, par la grâce prévenante, nous fait demander.
Dans cette comparaison quIl prend, le Seigneur parle dabord de la moisson [n° 645], puis des moissonneurs [n° 650]. A propos de la moisson, Il commence par donner la comparaison de la moisson visible [n° 645], puis Il parle de la moisson spirituelle [n° 646].
15. Mt 6, 10.
16. Lam 5, 21.
"NE
DITES-VOUS PAS, VOUS : ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON? VOICI QUE JE
VOUS DIS LEVEZ LES YEUX ET VOYEZ LES CAMPAGNES : ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR
LA MOISSON. "
645. Les paroles ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON nous laissent entendre que le Christ quitta la Judée aussitôt aprčs lemprisonnement de Jean, comme le dit Matthieu, quIl traversa la Samarie et que cela eut lieu pendant lhiver, comme lemprisonnement de Jean. Cela explique pourquoi il ne restait que quatre mois jusquŕ la moisson, celle-ci se faisant, dans cette région, plus tôt quailleurs. Voici donc ce que dit le Christ : NE DITES-VOUS PAS, VOUS, en parlant de la moisson visible (physique) : ENCORE QUA TRE MOIS ŕ passer, ET VIENT LA MOISSON, cest-ŕ-dire le temps de récolter la moisson? Mais VOICI QUE JE VOUS DIS, en parlant de la moisson spirituelle
LEVEZ
LES YEUX ET VOYEZ LES CAMPAGNES ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON.
646. Notons ici quon appelle "temps des moissons" le moment oů lon récolte les fruits et que, par conséquent, toute récolte de fruits peut ętre regardée comme "le temps des moissons". Or il y a deux temps pour la récolte des fruits. Rien nempęche en effet, dans lordre spirituel comme dans lordre physique, que ce qui est fruit par rapport ŕ ce qui précčde soit aussi semence par rapport ŕ ce qui suit. Ainsi les uvres bonnes, comme la foi et autres choses du męme ordre, sont les fruits de lenseignement spirituel, et elles sont pour tant les semences de la vie éternelle, puisque par elles on parvient ŕ la vie éternelle. Cest ainsi que la Sagesse dit : Mes fleurs, par rapport aux fruits qui viendront aprčs elles, sont des fruits de gloire et de noblesse 17, par rapport ŕ ce qui précčde.
Daprčs cela il y a donc une
moisson spirituelle qui est la récolte des fruits éternels, cest-ŕ-dire le
rassemblement des fidčles dans la vie éternelle La moisson, cest la fin du
monde 18 ; mais ce nest pas delle quil est question ici. Une autre a lieu
dans la vie présente, et on peut la voir de deux maničres : soit comme cette
récolte des fruits quest la conversion des fidčles qui doivent ętre rassemblés
dans lEglise, soit comme la con naissance męme de la vérité, par laquelle on
récolte dans son âme les fruits de la vérité. Selon les divers commentaires, il
sagit ici de lune ou de lautre.
647. Augustin 19 et Chrysostome 20 sen tiennent ŕ la premičre maničre de comprendre la moisson spirituelle de la vie présente, et interprčtent les paroles du Christ de la façon suivante VOUS DITES, VOUS, que ce nest pas encore le moment de la moisson visible; mais il nen va pas de męme de la moisson spirituelle. Bien au contraire, VOICI QUE JE VOUS DIS : LEVEZ LES YEUX, cest-ŕ-dire considérez des yeux de votre esprit, ou męme regardez des yeux du corps, ET VOYEZ LES CAMPAGNES ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON, toute la campagne étant remplie de Samaritains qui venaient vers le Christ. Lexpression SONT BLANCHES est métaphorique. Lorsquen effet les blés ont blanchi, cest signe quils sont pręts pour la moisson. Par lŕ le Seigneur na voulu signifier rien dautre que ceci : les hommes étaient pręts pour le salut et pręts ŕ recevoir sa parole. Cest pourquoi Il dit : VOYEZ LES CAMPAGNES ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON, car non seulement les Juifs, mais encore les Gentils sont pręts pour la foi La moisson est abondante 21.
Comme les moissons blanchissent ŕ cause de la présence du soleil qui durant lété est plus ardent, ainsi les hommes étaient préparés au salut par la venue du Soleil de justice, le Christ, ainsi que par sa prédication et sa puissance. Cest de ce Soleil quil est dit : Pour vous qui craignez mon nom se lčvera le Soleil de justice, avec la guérison dans ses ailes 22. Et cest pour cela que lEcriture appelle "temps de la plénitude" le temps de sa venue Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils 23.
17. Sir 24, 23.
18. Mt 13, 39.
19. Tract. in b. XV, 32, BA 71, pp. 807.
811.
20. Cf. In loannem hom., 34, ch. 2, PG
59, col. 194. Lallusion aux Juifs pręts pour
la foi est de saint Augustin.
648. Origčne 24, lui, interprčte de la seconde maničre la moisson spirituelle de la vie présente : comme la récolte des fruits de la vérité dans lâme. On récolte dans cette moisson, dit-il, autant de fruits de vérité que lon connaît de vérités. Et Origčne veut que lon comprenne comme une parabole lensemble de ces paroles : NE DITES-VOUS PAS, VOUS : ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON? VOICI QUE JE VOUS DIS : LEVEZ LES YEUX ET VOYEZ LES CAMPAGNES : ELLES SONT DEJA BLANCHES POUR LA MOISSON.
En ce sens le Seigneur, par ces mots, expose, pour ensuite lécarter, une opinion fausse quavaient certains.
Certains en effet défendaient cette opinion, que lhomme ne peut posséder la vérité sur aucune réalité. De lŕ provient lhérésie des Académiciens, pour qui rien ne peut ętre tenu pour certain en cette vie Jai tout tenté, dit lEcclésiaste, pour acquérir la sagesse. Jai dit : Je deviendrai sage; mais elle sest retirée bien loin de moi, beaucoup plus loin quelle nétait 25. Cest donc ŕ cette opinion que le Seigneur fait allusion en disant : NE DITES-VOUS PAS, VOUS : ENCORE QUATRE MOIS ET VIENT LA MOISSON autrement dit : toute la vie présente, durant laquelle lhomme est asservi aux quatre éléments 26, doit prendre fin pour quaprčs elle la récolte de la vérité ait lieu dans lautre vie 27. Mais le Seigneur écarte ensuite cette opinion en disant : Il nen est pas ainsi; au contraire VOICI QUE JE VOUS DIS : LEVEZ LES YEUX. Cette derničre expression semploie habituellement dans la Sainte Ecriture chaque fois quil est demandé de considérer quelque chose de subtil et délevé 28. Levez vos yeux vers les hauteurs et voyez : Qui a créé ces choses? 29. En effet, si les yeux ne sélčvent pas au-dessus des réalités terrestres et de la concupiscence charnelle, ils ne sont pas capables de connaître les fruits spirituels; car tantôt, détournés de la considération des réalités divines, ils sabaissent vers les choses terrestres Ils ont résolu de tenir leurs yeux baissés vers la terre 30 , tantôt ils sont aveuglés par la concupiscence -Ils détournčrent leurs yeux pour ne pas voir le ciel, et ne pas se souvenir des jugements de Dieu 31.
21. Mt 9, 37.
22. Mal 4, 2.
23. Ga 4, 4.
24. Voir, XIII, § 262-263, 267 et 270, pp. 173-177.
25. Qo 7, 24-25.
26. Cf. Ga 4, 3.
27. Cf. ORIGČNE, op. cit., XIII, §
262-263, p. 173.
28. Ibid., § 274-278, pp. 179-181.
29. Isaďe 40, 26.
30. Ps 16, 11.
31. Dan 13, 9.
649. Le Christ dit donc :
LEVEZ LES YEUX ET VOYEZ LES CAMPAGNES : ELLES SONT DEJA BLAN CHES POUR LA
MOISSON, cest-ŕ-dire ordonnées de telle maničre quon peut ŕ partir delles
connaître la vérité. Car par les CAMPAGNES il faut entendre particuličrement
tout ce ŕ partir de quoi on peut atteindre la vérité, et spécialement deux
choses. Dune part, ce sont les Ecritures Vous scrutez les Ecritures (...) et
ce sont elles qui me rendent témoignage 32. Ces CAMPAGNES, si
elles étaient déjŕ dans lAncien Testament, ny étaient cependant pas BLANCHES
POUR LA MOISSON, car les hommes ne pouvaient en tirer un fruit spirituel avant
que vînt le Christ, qui les fit blanchir en ouvrant lintelligence des hommes
Il ouvrit leur intelligence pour quils comprennent les Ecritures 33. Dautre part,
les moissons sont aussi les créatures, doů lon récolte le fruit de la vérité,
car les [perfections] invisibles [de Dieu] sont rendues visibles ŕ lintelligence par ses uvres 34. Pourtant les
Gentils, qui sadonnaient ŕ la connaissance des créatures, en recueillaient des
fruits derreur plutôt que de vérité ils ont adoré et servi la créature au
lieu du Créateur 35. Voilŕ pourquoi ces CAMPAGNES nétaient pas encore blanches; mais
quand vint le Christ, elles devinrent BLANCHES POUR LA MOISSON.
650. Le Christ parle ensuite des moissonneurs. A ce propos II fait dabord mention de leur récompense [n° 651], puis cite un proverbe [n° 652]; enfin Il explique ce proverbe et lapplique ŕ son propos [n° 653].
[36]
"ET CELUI QUI MOISSONNE REÇOIT UN SALAIRE ET AMASSE DU FRUIT POUR LA VIE
ETERNELLE, AFIN QUE SE REJOUISSENT ENSEMBLE CELUI QUI SEME ET CELUI QUI
MOISSONNE. "
651. A propos de la récompense des moissonneurs 36, une remarque simpose : plus haut, le Seigneur, expliquant ce quIl avait dit de leau spirituelle, précisa ce qui différencie celle-ci de leau physique, ŕ savoir que celui qui boira de leau physique aura encore soif, tandis que celui qui boira de leau spirituelle naura plus jamais soif. De męme, expliquant ici ce quIl dit de la moisson, Il montre en quoi sont dissemblables la moisson visible (physique) et la moisson spirituelle; et Il mentionne lŕ trois choses.
En premier lieu, considérant la ressemblance de lune et lautre moisson, Il affirme que CELUI QUI MOISSONNE, tant dans la moisson visible que dans la moisson spirituelle, REÇOIT UN SALAIRE. Or, moisson ne spirituellement celui qui rassemble les fidčles dans l'Eglise ou celui qui recueille les fruits de la vérité dans son âme; et tous deux reçoivent un salaire Chacun recevra son propre salaire selon son labeur 37.
Puis Il précise deux autres choses, qui regardent cette fois la dissemblance des deux moissons. La premičre est que le fruit recueilli par le moissonneur de la moisson visible appartient ŕ la vie corruptible, tandis que le fruit recueilli par le moissonneur de la moisson spirituelle appartient ŕ la vie éternelle. Cest pourquoi le Christ dit : celui qui moissonne spirituellement AMAS SE DU FRUIT POUR LA VIE ETERNELLE : du fruit, cest-ŕ-dire soit les fidčles qui parviennent ŕ la vie éternelle 38 Vous avez pour fruit la sanctification et pour fin la vie éternelle soit la connaissance et la communication de lŕ vérité, par lesquelles lhomme acquiert la vie éternelle Ceux qui me font connaître auront la vie éternelle 39.
La seconde chose que souligne le Christ en considérant la dissemblance des deux moissons est que, dans la moisson visible (physique), on regarde comme un malheur le fait que lun sčme et quun autre moissonne, si bien que le semeur sattriste de ce quun autre récolte, tandis que dans les semailles spirituelles, il en va autrement : CELUI QUI SEME ET CELUI QUI MOISSONNE SE REJOUISSENT ENSEMBLE.
Selon Chrysostome 40 et Augustin 41, ceux qui sčment la semence spirituelle sont les pčres de lAncien Testament et les prophčtes, car, comme il est dit, la semence, cest la parole de Dieu 42 que Moďse et les prophčtes ont semée en Judée; mais ce furent les Apôtres qui moissonnčrent, car ce vers quoi les premiers faisaient tendre leur effort amener les hommes au Christ , ils ne purent laccomplir, tandis que les Apôtres le firent. Ainsi les uns et les autres, Apôtres et prophčtes, SE REJOUISSENT ENSEMBLE de la conversion des fidčles dans lunique demeure de la gloire On y trouvera lallégresse et la joie, laction de grâces et la voix de la louange 43.
Par lŕ se trouve réfutée lhérésie des Manichéens condamnant les pčres de lAncien Testament, puisque, comme le dit ici le Seigneur, ils se réjouiront avec les Apôtres.
Daprčs Origčne 44, dautre part, on dit que "sčment" dans nimporte quelle discipline ceux qui communiquent les principes de cette discipline, quels quils soient, et que "moissonnent", ceux qui, ŕ partir de ces principes, progressent plus avant; et cela ŕ bien plus forte raison dans la discipline qui est la science de toutes les sciences. Les prophčtes sont les semeurs, parce quils ont communiqué beaucoup de vérités sur Dieu, et les moissonneurs sont les Apôtres, eux qui, par leur prédication et leur enseignement, révélčrent aux hommes ce que les prophčtes ne leur avaient pas manifesté Le mystčre du Christ (...), en dautres générations, na pas été porté ŕ la connaissance des fils des hommes comme il ci été révélé maintenant ŕ ses saints Apôtres et prophčtes dans lEsprit 45.
32. Jean 5, 39.
33. Le 24, 45.
34. Ro 1, 20.
35. Ro 1, 25.
36. Dans ce paragraphe, saint Thomas sinspire assez largement
de saint Jean Chrysostome cf. In loannem hom., 34, ch. 2, col. 195-196.
37. 1 Corinthiens 3, 8.
38. Ro 6, 22.
39. Sir 24, 31
40. Cf. In loannem hom., loc. cit. : ceux qui jettent la
semence, ce sont les prophčtes. Selon saint Augustin, ce sont aussi les pčres
de lAncien Testament.
41. Tract, in b. XV, 32, pp. 809-811.
42. Luc 8, 11.
43. Isaďe 51, 3.
44. Sur saint Jean, XIII, § 302-305, pp. 197-201.
"CAR
EN CELA SE VERIFIE LA PAROLE AUTRE EST CELUI QUI SEME, AUTRE CELUI QUI
MOISSONNE. "
652. Par ces paroles, oů Il
cite un proverbe, le Christ veut dire : EN CELA, cest-ŕ-dire en ce fait, SE
VERIFIE LA PAROLE, autrement dit se réalise un pro verbe qui était familier aux
Juifs : "Lun sčme et un autre moissonne." Il semble que ce
proverbe ait pour origine un passage du Lévitique : Vous sčmerez en vain votre
semence, qui sera dévorée par vos ennemis 46. A partir de cela les
Juifs prirent lhabitude de citer un proverbe de ce genre lorsque quelquun
avait peiné dans une affaire et quun autre en jouissait. Voilŕ donc ce que dit
le Seigneur : "Lŕ oů les prophčtes ont semé et peiné, vous, vous
moissonnez et vous vous réjouissez; le proverbe se vérifie."
Interprétant dune autre maničre, on peut lire : EN CELA SE VERIFIE LA PAROLE, cest-ŕ-dire celle que je vous dis, quAUTRE EST CELUI QUI SEME, AUTRE CELUI QUI MOISSONNE; car vous, vous moissonnez les fruits du labeur des prophčtes. Cependant, si les Apôtres et les prophčtes diffčrent dans leurs labeurs, ils ne diffčrent pas dans la foi au Christ, car les uns et les autres eurent cette foi et lenseignčrent Mais maintenant, sans la Loi, a été manifestée la justice de Dieu, ŕ laquelle rendent témoignage la Loi et les prophčtes 47 , mais ils diffčrent dans leur maničre de vivre leur foi; car les prophčtes vivaient assujettis aux cérémonies léga les, dont les chrétiens et les Apôtres sont affranchis Lors que nous étions enfants, nous étions asservis aux éléments du monde; mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né dune femme, né sous la Loi, pour racheter ceux qui étaient sous la Loi, pour que nous recevions ladoption filiale 48.
Bien quils aient peiné dans leurs travaux en des temps différents, les Apôtres et les prophčtes jouiront néanmoins de la męme joie et recevront le męme salaire LA VIE ETERNELLE, AFIN QUE SE REJOUISSENT ENSEMBLE CELUI QUI SEME ET CELUI QUI MOISSONNE. Cela fut préfiguré lors de la Transfiguration du Christ oů, manifestant sa gloire, Il eut auprčs de Lui ŕ la fois les pčres de lAncien Testament, Moďse et Elie, et ceux du Nouveau, Pierre, Jacques et Jean, donnant ainsi ŕ entendre que dans cette gloire ŕ venir les justes du Nouveau et de lAncien Testaments SE REJOUISSENT ENSEMBLE 49.
45. Eph 3, 5.
46. Lev 26, 16.
"MOI,
JE VOUS AI ENVOYE S MOISSONNER CE POUR QUOI VOUS, VOUS NAVEZ PAS PEINE;
DAUTRES ONT PEINE, ET VOUS, VOUS ETES ENTRES DANS LEURS LABEURS. "
653. Le Seigneur applique
ensuite le proverbe ŕ son propos. Pour cela, Il montre dabord que les Apôtres
sont des moissonneurs [n°
654], et ensuite quautres sont ceux qui ont peiné [n° 655].
654. Il montre que les Apôtres sont des moissonneurs en disant ceci : "Je dis quAUTRE EST CELUI QUI MOISSONNE, car vous, vous ętes les moissonneurs, et AUTRE CELUI QUI SEME, parce que MOI, JE VOUS AI ENVOYES MOISSONNER CE POUR QUOI VOUS, VOUS NAVEZ PAS PEINE." Il ne dit pas "Je vous enverrai", mais : "JE VOUS AI ENVOYES", car Il les envoya par deux fois. Une premičre fois, avant sa Passion, Il les envoya vers les Juifs seulement, en leur disant Ne prenez pas le chemin des nations et nentrez pas dans les villes des Samaritains; mais allez plutôt vers les brebis perdues de la maison dIsraël 50; et clans cette mission les Apôtres furent ENVOYES MOISSONNER lŕ oů ils navaient PAS PEINE, pour convertir les Juifs auprčs de qui avaient peiné les prophčtes. Mais aprčs sa Résurrection, Il les envoya de nouveau, cette fois aux Gentils, en leur disant : Allez dans le monde entier pręcher lEvangile ŕ toute créature 51. Dans cette mission, ils furent envoyés de nouveau, mais cette fois pour semer; cest pourquoi lApôtre disait : Jai pris soin de pręcher lEvangile lŕ oů navait pas été prononcé le nom du Christ, pour ne pas bâtir sur le fondement dautrui, mais selon quil est écrit ceux ŕ qui on ne lavait pas annoncé verront, et ceux qui nen avaient pas entendu parler comprendront 52. Cest donc en référence ŕ la premičre mission que le Christ dit ici : JE VOUS AI ENVOYES. Ainsi les Apôtres sont les moissonneurs, mais les autres, les prophčtes, sont les semeurs.
47. Ro 3, 21.
48. Ga 4, 3-5.
49. Cf. ORIGČNE, op. cit., § 310, p. 203.
655. Cest pour cela quIl ajoute : DAUTRES ONT PEINE, en semant les principes de lenseignement du Christ, ET VOUS, VOUS ETES ENTRES DANS LEURS LABEURS pour en recueillir les fruits Le fruit des bons labeurs est plein de gloire 53. Les prophčtes ont en effet travaillé pour amener les hommes au Christ Si vous croyiez Moďse, vous me croiriez aussi; car C est de moi quil a écrit. Et si vous ne croyez pas ses écrits, comment croirez-vous mes paroles? 54 mais ils n ont pas moissonné eux-męmes les fruits. Aussi Isaďe disait-il : Cest en vain que jai peiné, et sans cause; et cest vainement que jai consumé ma force 55.
50. Mt 10, 5.
51. Mc 16, 15.
52. Ro 15, 20-21 et Isaďe 52, 15.
53. Sag 3, 15
54. hi 5, 46-47. 1. Cf
nc 631
55. Isaďe 49, 4.
.
Beaucoup
de Samaritains de cette ville crurent en Lui ŕ cause de la parole de la femme,
qui rendait ce témoignage" Il ma dit tout ce que jai fait. " 40
donc les Samaritains vinrent ŕ Lui, ils Le pričrent de demeurer lŕ, et Il y
demeura deux jours. 41 Et cest en bien plus grand nombre quils crurent en Lui
ŕ cause de sa parole ŕ Lui; et ils disaient ŕ la femme : "Ce nest plus ŕ
cause de tes dires que nous croyons : nous Lavons entendu nous-męmes, et nous
savons que cest Lui qui est vraiment le Sauveur du monde. "
656. Plus haut 1, le Seigneur a prédit aux Apôtres le fruit que produirait chez les Samaritains la prédica tion de la femme. Cest de ce fruit que parle mainte nant lEvangéliste, en le montrant dabord provenant de la prédication de la femme [n° 657], puis accru par le Christ [n° 660].
I
BEAUCOUP
DE SAMARITAINS DE CETTE VILLE CRURENT EN LUI A CAUSE DE LA PAROLE DE LA FEMME,
QUI RENDAIT CE TEMOIGNAGE : IL MA DIT TOUT CE QUE JAI FAIT. " QUAND DONC
LES SAMA RITAiNS VINRENT A LUI, ILS LE PRIERENT DE DEMEURER LA, ET IL Y DEMEURA
DEUX JOURS.
Le fruit produit chez les
Samaritains par la prédication de la femme se manifeste de trois maničres.
657. On le voit dabord
dans la foi avec laquelle ils crurent au Christ. Cest pour cela que
lEvangéliste dit : DE CETTE VILLE, oů était allée la femme, BEAUCOUP dhommes
SAMARITAINS CRURENT EN LUI, et cela A CAUSE DE LA PAROLE DE LA FEMME, ŕ qui le
Christ avait demandé de leau et QUI RENDAIT CE TEMOIGNAGE : le Christ lui
avait dit tout ce quelle avait fait. Ce témoignage était suffisant pour amener
ŕ croire au Christ. En effet, les paroles que le Christ lui avait dites ayant
abouti ŕ dévoiler ses fautes, elle ne les aurait pas rapportées si elle-męme
navait pas été assez secouée pour croire. Voilŕ pourquoi, dčs quils eurent
entendu ses paroles, ils CRURENT; par lŕ est manifesté que la foi vient de ce
quon entend 2.
658. En second lieu, le
fruit de la prédication de la femme se manifeste dans la venue des Samaritains au
Christ; car de la foi naît le désir de la réalité ŕ laquelle on croit. Cest
pourquoi, aprčs avoir cru, ils viennent au Christ, pour quIl les mčne ŕ la
perfection. Cest ce qui est exprimé ici : QUAND DONC LES SAMARITAINS VINRENT A
LUI... Approchez-vous de Lui et vous serez illuminés 3. Venez ŕ moi,
vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je referai vos forces 4.
659. Le fruit de la prédication de la femme se manifeste enfin dans leur désir; car ŕ celui qui croit, il nest pas nécessaire seulement de venir au Christ, mais encore de Lavoir avec lui; cest pourquoi lEvangéliste dit : ILS LE PRIERENT DE DEMEURER LA, ET IL Y DEMEURA DEUX JOURS.
Or cest par la charité que le Seigneur demeure avec nous : Si quelquun maime, dit Jésus, il gardera ma parole, et mon Pčre laimera; et Il ajoute et nous ferons chez lui notre demeure 5. Et sIl demeure DEUX JOURS [chez les Samaritains], cest parce que la charité comporte deux préceptes, lamour de Dieu et celui du prochain, auxquels toute la Loi est suspendue, ainsi que les prophčtes 6. Quant au troisičme jour, cest le jour de la gloire : Aprčs deux jours Il nous fera revivre; le troisičme jour Il nous relčvera, et nous vivrons en sa présence 7. Et le Christ ne demeura pas un troisičme jour chez les Samaritains, parce que ceux-ci nétaient pas encore capables [de vivre] de la gloire.
2. Ro 10, 17. En commentant ce verset de saint Paul, saint
Thomas précise que la foi requiert deux choses : "l'inclination ŕ
croire", inclination du cur qui ne naît pas de ce que lon entend mais
qui est un don de la grâce, et "la détermination de ce qui est ŕ
croire", laquelle provient de ce que lon entend. Et saint Thomas prend
lexemple du centurion Corneille, "dont le cur était incliné ŕ croire et
ŕ qui cependant il fut nécessaire que Pierre soit envoyé pour lui déterminer ce
quil devait croire" (Super Epistolam ad Romanos lectura, X, leç. 2, n°
844; cf. Ac 10, 22).
3. Ps 33, 6.
4. Mt 11, 28.
5. Jean 14, 23.
6. Mt 22, 40.
7. Os 6, 3.
II
ET
CEST EN BIEN PLUS GRAND NOMBRE QUILS CRURENT EN LUI A CAUSE DE SA PAROLE A
LUI; ET ILS DISAIENT A LA FEMME : "CE NEST PLUS A CAUSE DE TES DIRES QUE
NOUS CROYONS : NOUS LAVONS ENTENDU NOUS-MEMES, ET NOUS SAVONS QUE CEST LUI
QUI EST VRAIMENT LE SAUVEUR DU MONDE.
660. LEvangéliste montre
ici que le fruit provenant de la prédication de la femme fut accru par la
présence du Christ. On le voit de trois maničres au grand nombre de ceux qui
crurent [n°
661]; ŕ leur maničre de croire [662]; ŕ la
vérité de leur foi [n°
663].
661. Que ce fruit ait été accru par la présence du Christ, cela se voit en effet ŕ la multitude des croyants 8; car si, ŕ cause de la femme, BEAUCOUP CRURENT EN LUI, CEST EN BIEN PLUS GRAND NOMBRE QUILS CRURENT EN LUI A CAUSE DE SA PAROLE A LUI, cest-ŕ-dire ŕ cause de la parole du Christ. Il nous est par lŕ indiqué que si beaucoup ont cru grâce aux prophčtes, un bien plus grand nombre sest converti ŕ la foi lors de la venue du Christ Lčve-toi, Seigneur, mon Dieu, selon le précepte que tu as établi, et lassemblée des peuples tenvironnera 9.
8. Cf. Ac 4, 32.
662. Que le fruit ait été accru par le Christ, cela se voit encore ŕ la maničre dont ils croient : CE NEST PLUS A CAUSE DE TES DIRES QUE NOUS CROYONS.
Notons que trois choses sont nécessaires ŕ la perfection de la foi; elles sont ici données selon un ordre : la foi doit dabord ętre droite, ensuite prompte, enfin certaine.
La foi est droite quand on obéit ŕ la vérité 10 non pas ŕ cause dautre chose, mais pour elle-męme. Cest cela quindique lEvangéliste en rapportant que les Samaritains disaient ŕ la femme : Maintenant, nous croyons ŕ la vérité non A CAUSE DE TES DIRES, mais ŕ cause de la vérité elle-męme. Et ce qui nous amčne ŕ croire au Christ, cest en premier lieu la raison naturelle Depuis la création du monde, les [vertus invisibles de Dieu] sont rendues visibles ŕ lintelligence par ses uvres 11 ; puis le témoignage de la Loi et des prophčtes Maintenant, sans la Loi, a été manifestée la justice de Dieu, ŕ laquelle rendent témoignage la Loi et les prophčtes 12; enfin la prédication des Apôtres et des autres Comment croiront-ils ŕ celui quils nont pas entendu? et comment entendront-ils si personne ne pręche? 13 Mais quand lhomme, conduit ainsi comme par la main, croit, il peut alors dire que ce nest pour aucune de ces raisons quil croit : ni ŕ cause de la raison naturelle, ni ŕ cause des témoignages de la Loi, ni ŕ cause de la prédication des autres, mais uniquement ŕ cause de la vérité elle-męme Abraham crut ŕ Dieu, et cela lui fut imputé ŕ justice 14.
La foi est prompte si elle croit tout de suite. Telle était bien la foi de ces Samaritains, car il leur avait suffi dentendre le Christ pour se tourner vers Dieu. Cest pourquoi ils disent : NOUS LAVONS seulement ENTENDU, ET NOUS CROYONS, sans avoir vu ses miracles comme les Juifs les virent. Sans doute est-ce une marque de légčreté que de croire trop vite aux hommes Qui croit trop vite est un cur léger 15; mais croire ŕ Dieu tout de suite est trčs louable Dčs que son oreille ma entendu, il ma obéi 16.
La foi doit enfin ętre certaine, parce que celui qui doute dans la foi est incroyant : Si quelquun dentre vous manque de sagesse, quil la demande ŕ Dieu (...) mais quil demande avec foi, sans hésiter en rien 17. Et cest parce que leur foi était certaine que les Samaritains di sent : ET NOUS SAVONS. Parfois, en effet, on dit "savoir" pour "croire", comme cest le cas ici, parce que science et foi ont en commun la certitude. En effet, comme la science est certaine, la foi lest aussi; elle lest męme bien davantage, car la certitude de la science repose sur la raison humaine, qui peut faillir, tandis que la certitude de la foi repose sur la lumičre divine 18 que rien ne peut contredire. Leurs certitudes diffčrent cependant dans le mode : la foi reçoit sa certitude dune lumičre divine infusée gratuitement, la science la reçoit de la lumičre naturelle. En effet, de męme quon possčde la certitude de la science grâce aux premiers principes connus naturellement, ainsi on connaît les principes de la foi grâce ŕ la lumičre divinement infuse : Cest par la grâce que vous ętes sauvés, par le moyen de la foi; et cela ne vient pas de vous, car cest un don de Dieu 19.
9. Ps 7, 7-8.
10. Ga 3, 1 et 5, 7.
11. Ro 1, 20.
12. Ro 3, 21.
13. Ro 10, 14.
14. Gn 15, 6.
15. Sir 19, 4.
16. Ps 17, 45.
17. Ja 1, 5-6.
18. Littéralement "la raison divine".
663. Que le fruit ait été accru par le Christ, cela se voit enfin ŕ la vérité de la foi des Samaritains. En disant
CEST LUI QUI EST VRAIMENT LE SAUVEUR DU MONDE, ils confessent que le Christ est lunique Sauveur, le vrai, celui de tout lunivers.
Unique, certes, puisquils Le distinguent des autres en disant : CEST LUI, cest-ŕ-dire Lui seul, qui vient sauver Vraiment tu es un Dieu caché, Dieu dIsraël Sauveur 20 Il nest pas sous le ciel dautre Nom donné aux hommes, par lequel nous devions ętre sauvés 21
Ils Le reconnaissent aussi comme le vrai Sauveur en disant : VRAIMENT. Puisque, selon Denys 22, le salut consiste dans la délivrance des maux et la conservation dans le bien, il y a un double salut : lun qui est vrai, lautre qui ne lest pas. Le salut est vrai lorsque nous sommes délivrés des vrais maux et conservés dans les vrais biens. Or, sil y eut dans lAncien Testament quelques hommes qui furent envoyés comme sauveurs, ils ne sauvaient pourtant pas vraiment; car ils délivraient de maux temporels et conservaient dans des biens temporels, qui ne sont ni de vrais maux, ni de vrais biens, parce quils passent. Le Christ au contraire est VRAI MENT LE SAUVEUR parce quIl libčre des vrais maux, cest-ŕ-dire des péchés Cest Lui qui sauvera son peuple de ses péchés 23 et quIl nous conserve dans les vrais biens, qui sont les biens spirituels.
Enfin les Samaritains Le reconnaissent comme Sauveur de tout lunivers, parce quIl ne se limite pas ŕ quelques-uns, mais quIl est le Sauveur DU MONDE entier Dieu na pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par Lui 24.
19. Eph 2, 8.
20. Isaďe 45, 15.
21. Ac 4, 12.
22. Les Noms divins, ch. 8, § 9, PG 3, col. 896 D-897 B : "On célčbre encore la divine Justice comme Salut universel
parce que cest elle qui garde et conserve ŕ chaque ętre la pureté de son
essence et de son rang propres (...). Si on la célčbre comme Salut, cest en
outre parce quelle préserve toutes choses des atteintes du mal. (...) On se
conformera encore aux desseins de la sainte théologie en célébrant ce Salut en
raison de la bonté universelle et salvatrice par laquelle il rachčte tous les
ętres ŕ qui il advient de déchoir des biens qui leur sont propres. (...) cest
elle qui les établit au cur du Bien, qui leur rend la plénitude du bien quils
ont laissé échapper, qui met bon ordre ŕ leur désordre, qui harmonise leur
disharmonie, qui leur rend la plénitude de leur perfection, qui les délivre de
toutes leurs fautes" (pp. 152-153 dans les uvres complčtes du
Pseudo-Denys lAréopagite, trad. M. de Gandillac).
23. Mt 1, 21.
24. Jean 3, 17.
Aprčs
deux jours, Il partit de lŕ et sen alla en Galilée. Jésus en effet a Lui-męme
rendu ce témoignage, quun prophčte nest pas honoré dans sa propre patrie. Lors
donc quIl vint en Galilée, les Galiléens Laccueillirent, ayant vu tout ce
quIl avait fait ŕ Jérusalem pendant la fęte; car eux aussi étaient venus ŕ la
fęte. Il vint donc de nouveau ŕ Cana de Galilée, oů Il avait changé leau en
vin.
664. Aprčs la conversion des nations par la voie de lenseignement du Christ 1, lEvangéliste montre ici leur conversion par la voie du miracle, en en rapportant un accompli par le Christ. Pour cela, il indique dabord le lieu du miracle [n° 665], puis le décrit [n° 675] et enfin en montre leffet [n° 696].
Le lieu du miracle est désigné dabord dune maničre générale [n° 665], puis dune maničre précise [n° 673].
I
APRES
DEUX JOURS, IL PARTIT DE LA ET SEN ALLA EN GALILEE. JESUS EN EFFET A LUI-MEME
RENDU CE TEMOIGNAGE, QUUN PROPHETE NEST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE. LORS
DONC QUIL VINT EN GALILEE, LES GALILEENS LACCUEILLIRENT, AYANT VU TOUT CE
QUIL AVAIT FAIT A JERUSALEM PENDANT LA FETE; CAR EUX AUS SI ETAIENT VENUS A LA
FETE.
En indiquant dune maničre générale le lieu du miracle [n° 665], lEvangéliste donne aussi la raison pour laquelle le Christ a choisi ce lieu [n° 666], et il montre comment Il y fut reçu [n° 670].
1. Cf. n° 549.
APRES
DEUX JOURS, IL PARTIT DE LA ET SEN ALLA EN GALILEE.
665. LEvangéliste dit donc que Jésus demeura deux jours chez les Samaritains, et quaprčs deux jours IL PARTIT DE LA, cest-ŕ-dire quitta la Samarie aprčs avoir confirmé les Samaritains dans leur foi, ET SEN ALLA EN GALILEE, oů Il avait été élevé 2. Par lŕ il est signifié quŕ la fin du monde, une fois les nations confirmées dans la foi et la vérité, Il reviendra pour convertir les Juifs Une partie dIsra est tombée dans laveugle nent jus quŕ ce que soit entrée la plénitude des nations; et ainsi tout Israël sera sauvé 3.
JESUS
EN EFFET A LUI-MEME RENDU CE TEMOIGNAGE, QUUN PROPHETE NEST PAS HONORE DANS
SA PROPRE PATRIE.
666. Voilŕ la raison pour laquelle le Christ a choisi ce lieu; mais ces paroles suscitent une double perplexité : lune concernant le sens littéral, lautre lenchaînement du texte [n° 668].
On peut en effet hésiter sur le sens littéral, car ce que le Christ dit ici, ŕ savoir quUN PROPHETE NEST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE, ne semble pas vrai, puisquon lit que certains prophčtes furent honorés dans leur patrie.
Selon Chrysostome 4, il faut répondre ŕ cela que le Seigneur parle ici de ce qui arrive dans la plupart des cas. Par conséquent, bien que les paroles du Seigneur ne se vérifient pas dans tel ou tel cas particulier, on ne doit pas pour autant les considérer comme fausses; car, dans le domaine des réalités naturelles et morales, une rčgle qui sapplique ŕ la majorité des cas est vraie; et sil en va autrement dans un cas particulier, on nestime pas pour autant que la rčgle est fausse. Or ce que dit le Seigneur est vrai pour la plupart des prophčtes, car, dans lAncien Testament, cest ŕ peine si lon en trouve un qui nait pas souffert la persécution de la part de ses compatriotes Lequel des prophčtes vos pčres nont-ils pas persécuté? 5. Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophčtes et lapides ceux qui te sont envoyés... 6. Cette parole du Seigneur nest pas seulement vraie des prophčtes chez les Juifs, mais aussi, comme le notre Origčne 7, de la plupart des prophčtes chez les Gentils, qui furent méprisés par leurs concitoyens et conduits ŕ la mort. En effet, le commerce habituel avec les hommes et une familiarité excessive diminuent le respect de lamour et engendrent le mépris; si bien que, généralement, ceux que nous traitons plus familičrement, nous les respectons moins, et nous avons plus de considération pour ceux avec qui lintimité nest pas possible. Mais quand il sagit de Dieu, cest le contraire qui arrive. Plus on entre dans son intimité par lamour et la contemplation, plus, reconnaissant son excellence, on Le respecte avec amour et plus on sestime petit Je tavais entendu de mon oreille mais maintenant mon il te voit; cest pourquoi je maccuse moi-męme, et je fais pénitence dans la poussičre et la cendre 8. La raison en est que, la nature de lhomme étant faible et fragile, quand on fréquente longtemps quelquun on trouve en lui des faiblesses, et le respect affectueux quon a pour lui en est diminué. Au contraire, la perfection de Dieu étant sans mesure, plus lhomme progresse dans la connaissance de Dieu, plus il admire lexcellence de sa perfection et plus augmente le respect aimant quil a pour Lui.
2. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in b. XVI, I et 3, SA 71, pp. 815
et 823.
3. Ro 11, 25.
4. Voir In loannem honi., 35, ch. 2, PG 59, col. 200.
5. Ac 7, 52.
6. Mt 23, 37.
7. Sur saint Jean, XIII, § 376-377, SC 222, p. 241.
8. Jb 42, 5-6.
667. Mais le Christ a-t-Il été prophčte? Il semble que non, puisque la prophétie comporte une connaissance énigmatique Si quelquun parmi vous est prophčte du Seigneur, je lui apparaîtrai dans une vision ou je lui parlerai en songe 9 et que le Christ, Lui, neut pas de connaissance énigmatique.
Cependant, que le Christ ait été prophčte, ce passage de lEcriture qui sapplique ŕ Lui le montre manifestement : Le Seigneur ton Dieu te suscitera, de ta nation et dentre tes frčres, un prophčte comme moi : cest lui que tu écouteras 10.
A lobjection je réponds que le prophčte exerce une double fonction il voit Celui quon appelle mainte nant prophčte, on lappelait autrefois voyant 11 et il annonce. A cet égard le Christ fut prophčte, parce quIl annonça la vérité sur Dieu Moi, ce pour quoi je suis né et ce pour quoi je suis venu dans le monde, cest pour rendre témoignage ŕ la Vérité 12. En ce qui concerne loffice de voyant, il faut savoir que le Christ ŕ la fois était pčlerin sur la terre et possédait la vision béatifique; il était pčlerin selon la passibilité de sa nature humaine et tout ce qui en relčve, mais Il possédait la vision béatifique dans son union ŕ la divinité 13, par laquelle Il jouis sait de Dieu de la maničre la plus parfaite.
Mais la vision de la prophétie comporte deux choses la lumičre intellectuelle de lesprit et limage. En ce qui concerne la premičre, le Christ neut pas la prophétie, parce quIl neut pas de lumičre imparfaite, mais la lumičre de celui qui voit Dieu. En ce qui concerne la vision imaginaire, Il eut une ressemblance avec les prophčtes, du fait que, pčlerin sur la terre, Il pouvait former dans son imagination des images diverses.
9. Nomb 12, 6.
10. Deut 18, 15.
11. 1 Sam 9, 9.
12. Jean 18, 37.
13. Rappelons ce que saint Thomas précise dans la Somme rappeler
ce que saint Thomas précise dans la Somme théologique (III, q. 9, a. 2) : le
Christ possčde la vision béatifique en tant quhomme (secundum quod homo). Dans
son âme humaine surélevée par la plénitude de grâce (effet propre de la grâce
de lunion hypostatique) le Christ voit Dieu.
668. On peut hésiter aussi sur lenchaînement du texte. En effet, les paroles de lEvangéliste APRES DEUX JOURS, IL PARTIT DE LA ET SEN ALLA EN GALILEE, et les suivantes JESUS A LUI-MEME REN DU CE TEMOIGNAGE, QUUN PROPHETE NEST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE, ne semblent pas senchaîner de maničre cohérente. Il semble que lEvangéliste aurait dű plutôt dire que Jésus ne sen alla pas en Galilée, puisquil A LUI-MEME RENDU CE TEMOI GNAGE, QUUN PROPHETE NEST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE. Car sIl ny était pas honoré, cétait une raison, semble-t-il, pour ne pas y aller.
Augustin résout cette difficulté en disant que lEvangéliste répond ici ŕ une question que lon pourrait poser : "Pourquoi allait-Il lŕ puisquIl avait demeuré longtemps en Galilée et que les Galiléens ne sétaient pas convertis, alors que les Samaritains se convertirent en deux jours?" Ce qui revient ŕ dire bien quils ne se fussent pas convertis, néanmoins Il y alla 14. Il avait LUI-MEME RENDU CE TEMOIGNAGE QUUN PROPHETE NEST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE.
Chrysostome résout la
difficulté autrement, en comprenant le texte de la maničre suivante 15 APRES DEUX
JOURS IL PARTIT DE LA, mais pas pour Capharnaüm qui était sa patrie en ce sens
quIl y fit des séjours prolongés, ni pour Bethléem qui était sa patrie puisque
cétait le lieu de sa naissance, ni pour Nazareth qui était encore sa patrie
car cétait la ville oů Il avait été élevé. Il nalla donc pas ŕ Capharnaüm, ŕ
qui II adresse ce reproche : Et toi, Capharnaüm, télčveras-tu jusquau ciel?
(...) Jusquaux enfers tu descendras 16, mais A CA NA DE
GALILEE. Et lEvangéliste en donne ici la rai son cest quils étaient mal
disposés envers Lui 17, ce quil exprime ainsi : JESUS EN EFFET A LUI-MEME RENDU CE
TEMOIGNAGE, QUUN PROPHETE NEST PAS HONORE DANS SA PROPRE PATRIE.
669. Mais alors, le Christ recherchait-Il la gloire qui vient des hommes 18? Il semble que non, puisque plus tard II dira Pour moi, je ne cherche pas ma gloire 19.
A cela je réponds que Dieu seul peut, sans péché, chercher sa propre gloire; tandis que lhomme ne doit pas chercher auprčs des hommes sa propre gloire, mais doit chercher la gloire de Dieu 20. Quant au Christ, en tant que Dieu il convenait quIl cherchât sa gloire, et, en tant quhomme, quIl cherchât la gloire de Dieu en Lui-męme.
14. En fait, saint Thomas ne rend absolument pas compte de la longue
explication que donne saint Augustin (voir Tract. in b. XVI, 3-7, pp. 817-833
et en particulier pp. 823, 825, 827 et 831 si lon considčre que la patrie de
Jésus [en tant que prophčte] est la Judée et non la Galilée, on comprend alors
lenchaînement du texte), et lui-męme ne donne ici aucune explication il
affirme simplement le fait, en soulignant que Jésus savait bien que la Galilée
était un lieu particuličrement difficile. La véritable raison est donnée au n°
669, oů saint Thomas montre que le Christ ne cherche que la gloire du Pčre. Ioannem
hom., 35, ch. 1-2, col. 200. 16. Mt 11, 23.
17. Saint Jean Chrysostome précise que Jésus "ne demeure pas chez les siens (...) parce quils ne
Lécoutaient pas et pour quils ne subissent pas un Jugement plus sévčre"
(In loannem hom., 35, ch. 1, col. 200).
18. Jean 12, 43; 1 Th 2, 6.
19. Jean 8, 50.
20. Cf. Jean 5, 44 et 12, 43
[45]
LORS DONC QUIL VINT EN GALILEE, LES GALI LEENS LACCUEILLIRENT, AYANT VU TOUT
CE QUIL AVAIT FAIT A JERUSALEM PENDANT LA FE TE; CAR EUX AUSSI ETAIENT VENUS A
LA FETE.
670. LEvangéliste montre
ici que le Christ fut reçu par les Galiléens avec plus dhonneur que
précédemment LES GALILEENS, dit-il, LACCUEILLIRENT AVEC HONNEUR. La raison en
est quils avaient vu TOUT CE QUIL AVAIT FAIT A JERUSALEM PENDANT LA FETE; CAR
EUX AUSSI ETAlENT VENUS A LA FETE, conformément ŕ ce qui était prescrit par la
Loi. Pourtant, nous navons pas lu plus haut que le Christ ait fait un miracle
ŕ Jérusalem. A cela je réponds, avec Origčne 21 que les Juifs
considérčrent comme un trčs grand miracle que le Christ ait avec une si grande
autorité chassé du Temple acheteurs et vendeurs. On peut également dire que
peut-ętre Il fit ŕ Jérusalem plusieurs miracles qui ne furent pas écrits, selon
ce qui est dit plus loin : Jésus a fait encore en présence de ses disciples
beaucoup dautres signes qui nont pas été écrits dans ce livre 22.
671. Mystiquement, il nous est donné par lŕ un exemple ŕ suivre : si nous voulons recevoir en nous le Christ Jésus, il nous faut monter A JERUSALEM PENDANT LA FETE, cest-ŕ-dire chercher le repos de lesprit et voir une par une les choses que Jésus y accomplit Regarde Sion, la cité de nos fętes 23. Jai médité sur toutes tes uvres 24.
21. Sur saint Jean, XIII, § 381-388, pp. 245-249.
22. Jean 20, 30.
23. Isaďe 33, 20.
24. Ps 142, 5.
672. Remarquons encore ceci : autant les hommes étaient inférieurs aux autres dans lordre de la dignité, autant ils étaient meilleurs queux au regard de Dieu. Or les Juifs lemportaient en dignité sur les Galiléens Scrute les Ecritures, et tu verras que de Galilée il ne se lčve pas de prophčte 25 et les Galiléens lemportaient en dignité sur les Samaritains Les Juifs nont pas de relations avec les Samaritains 26 ; mais, inversement, les Samaritains étaient meilleurs que les Galiléens, puis quen deux jours et sans avoir vu de miracle ils crurent dans le Christ en plus grand nombre que les Galiléens ne le firent en bien des jours, et encore, avec le miracle du vin; en effet ceux-ci ne crurent pas en Lui, ŕ lexception de ses disciples 27. Quant aux Juifs, ils étaient pires que les Galiléens eux-męmes, puisquaucun deux navait cru, si ce nest peut-ętre Nicodčme.
II
IL
VINT DONC DE NOUVEAU A CANA DE GALILEE, OU IL AVAIT CHANGE LEAU EN VIN.
673. Selon Chrysostome, ces paroles de lEvangéliste se présentent comme une conclusion de ce quil vient de dire 28. Autrement dit parce quIl nétait pas honoré ŕ Capharnaüm, le Christ nalla pas lŕ oů on Le déshonorait; mais Il devait aller A CANA DE GALILEE, oů Il avait une premičre fois été invité ŕ des noces, et oů cette fois Il revint sans avoir été invité. Ainsi, cest pour montrer leur dureté que lEvangéliste fait mention de la double venue ŕ Cana; puisque lors du premier miracle, celui du vin, seuls ses disciples crurent en Lui, et quau second ne crurent en Lui que lofficier royal et toute sa maison 30, alors que les Samaritains crurent sur sa seule parole.
25. Jean 7, 52.
26. Jean 4, 9.
27. Cf. Jean 2, 11 et le commentaire quen donne saint Thomas,
n° 364, vol. 1 [éd. ] pp. 343-344).
28. In loannem hom., 35, ch. 2, col. 200.
674. Au sens mystique, la double venue ŕ Cana signifie le double effet de la parole de Dieu sur lesprit. En effet, elle réjouit dabord ils reçoivent la parole avec joie 31 , et cest ce qui est signifié dans le miracle du vin, qui réjouit le cur de lhomme 32. Puis elle guérit Ce nest ni une herbe, ni un émollient qui les a guéris, mais ta parole, Seigneur, qui guérit tout , et cest ce qui est signifié dans la guérison du malade.
Cette double venue signifie encore le double avčnement du Fils de Dieu. Le premier fut un avčnement de douceur, pour donner la joie Exulte et loue, demeure de Sion, car Il est grand au milieu de toi, le Saint dIsaďe 34. Cest pourquoi lange dit aux bergers : Voici que je vous annonce une grande joie (...) : il vous est né aujourdhui un Sauveur 35. Cest ce que signifie le miracle du vin. Le second avčnement du Fils de Dieu en ce mon de sera un avčnement de majesté, quand Il viendra enlever toutes nos infirmités et nos peines, et nous con former ŕ son Corps de gloire 36 ; cest ce qui est signifié dans la guérison du malade.
29. Jean 2, 11. Jean 4, 46b.
30. Jean 4, 53.
31. Mc 4, 16.
32. Ps 103, 15.
33. Sag 16, 12.
34. Isaďe 12, 6.
35. Lc 2, 10-11.
36. Phi 3, 21.
Or il
y avait un fonctionnaire royal dont le fils était malade ŕ Capharnaüm. Lorsquil
eut entendu dire que Jésus arrivait de Judée en Galilée, il alla vers Lui, et
Le priait pour quIl descende et guérisse son fils : celui-ci était en effet
sur le point de mourir. Jésus lui dit donc : "Si vous navez pas vu des
signes et des prodiges, vous ne croyez pas. " Le fonctionnaire royal Lui
dit : "Seigneur, descends avant que mon fils ne meure. " 50 lui dit :
"Va, ton fils vit. " Lhomme crut ŕ la parole que lui dit Jésus, et
sen alla. Or, comme déjŕ il descendait, ses serviteurs vinrent ŕ sa rencontre
et lui annoncčrent que son fils vivait. Il leur demanda ŕ quelle heure il
sétait trouvé mieux. Ils lui dirent : "Cest hier, ŕ la septičme heure,
que la fičvre la quitté. " Le pčre reconnut alors que cétait lheure oů
Jésus lui avait dit : "Ton fils vit. " Et il crut, lui et toute sa
maison. Tel fut le second signe que fit encore Jésus quand Il vint de Judée en
Galilée.
675. Aprčs avoir indiqué le lieu du miracle [leçon 6], lEvangéliste parle maintenant du miracle lui-męme.
I
OR IL
Y AVAIT UN FONCTIONNAIRE ROYAL DONT LE FILS ETAIT MALADE A CAPHARNAÜM. LORSQUIL
EUT ENTENDU DIRE QUE JESUS ARRIVAIT DE JUDEE EN GALILEE, IL ALLA VERS LUI, ET
LE PRIAIT POUR QUIL DESCENDE ET GUERISSE SON FILS : CELUI-CI ETAIT EN EFFET
SUR LE POINT DE MOURIR. JESUS LUI DIT DONC : "SI VOUS NAVEZ PAS VU DES
SIGNES ET DES PRODIGES, VOUS NE CROYEZ PAS. " LE FONCTIONNAIRE ROYAL LUI
DIT : "SEIGNEUR, DESCENDS AVANT QUE MON FILS NE MEURE. " JESUS LUI
DIT : "VA, TON FILS VIT. " LHOMME CRUT A LA PAROLE QUE LU! DIT
JESUS, ET SEN ALLA. OR, COMME DEJA IL DESCENDAIT SES SERVITEURS VINRENT A SA
RENCONTRE ET LUI ANNONCERENT QUE SON FILS VIVAIT. IL LEUR DEMANDA A QUELLE
HEURE IL SETAIT TROUVE MIEUX. ILS LUI DIRENT : "CEST HIER, A LA SEPTIEME
HEURE, QUE LA FIEVRE LA QUITTE. "
Le récit du miracle fait intervenir trois personnes celle qui est malade [n° 676], celle qui intercčde [n° 679] et celle qui guérit [n° 683].
La personne malade est le fils du fonctionnaire royal, celle qui intercčde est son pčre; et celle qui guérit, cest le Christ.
OR IL
Y AVAIT UN FONCTIONNAIRE ROYAL (REGULUS) DONT LE FILS ETAIT MALADE A CAPHARNAÜM.
676. Concernant le malade, lEvangéliste expose dabord sa condition : cest le FILS du FONCTIONNAIRE ROYAL; puis la ville oů il habite : CAPHARNAUM; enfin la nature de sa maladie : il est atteint de FIEVRE.
Au sujet de sa condition, il faut savoir que le mot regulus a plusieurs significations. Il désigne dabord celui qui est ŕ la tęte dun petit royaume; ce nest pas en ce sens quil est pris ici, puisquŕ cette époque il ny avait pas de roi en Judée Nous navons pas dautre roi que César 1. Regulus désigne encore, selon Chrysostome 2, quelquun dorigine royale; cette acception nest pas non plus ŕ retenir. Enfin, tout fonctionnaire royal peut ętre appelé regulus, et cest en ce sens que le terme est pris ici.
De lŕ vient, selon Chrysostome 3, que certains y voient la męme personne que le centurion dont parle Matthieu 4. Mais cela nest pas vrai, car ils [le fonctionnaire royal et le centurion] diffčrent de quatre maničres. Dabord quand au genre de la maladie : en effet, le centurion intercédait pour un paralytique Mon serviteur gît paralysé dans ma maison 5 , tandis que le fils du fonctionnaire royal avait de la fičvre, et cest pourquoi il est dit : HIER, A LA SEPTIEME HEURE, LA FIEVRE LA QUITTE. Ensuite quant ŕ la personne malade : celui-lŕ était serviteur mon serviteur, dit le centurion , tandis que celui-ci était fils UN FONCTION NAIRE ROYAL DONT LE FILS ETAIT MALADE... Puis quant ŕ la demande : le centurion, en effet, alors que le Christ voulait aller dans sa maison, Le priait de ne pas se déranger en disant : Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit; mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri 6. Le fonctionnaire royal, au contraire, Lui demandait de descendre chez lui : SEIGNEUR, DESCENDS AVANT QUE MON FILS NE MEURE. Enfin quant au lieu : lune des guérisons eut lieu ŕ Capharnaüm, lautre ŕ Cana de Galilée. Ce fonctionnaire royal nest donc pas le męme homme que le centurion, mais il appartenait ŕ la maison dHérode le tétrarque, soit comme envoyé, soit comme fonctionnaire de lempereur.
1. Jean 19, 15.
2. In loannem hom., 35, c 2, PG 59, col.
201.
3. Loc. cit.
4. Mt 8, 5. 13.
5. Mt 8, 6.
677. Au sens allégorique, ce FONCTIONNAIRE ROYAL est Abraham ou lun des pčres de lAncien Testament, puisquil adhérait au grand roi, le Christ, dont il est dit dans le psaume : Pour moi, jai été établi roi par Lui sur Sion, sa montagne sainte 7. Or Abraham y adhérait : Abraham, votre pčre, exulta ŕ la pensée quil verrait mon jour 8, et le peuple juif est fils dAbraham Nous sommes la descendance dAbraham, et nous navons jamais été esclaves de personne 9. Ce peuple se rendit malade par les jouissances malsaines et les fausses croyances, et cela ŕ Capharnaüm, cest-ŕ-dire dans labondance ŕ cause de laquelle les Juifs séloignčrent de Dieu Le bien-aimé sest engraissé et sest révolté (...), il a abandonné Dieu son Créateur, et il sest éloigné de Dieu son salut 10.
6. Mt 8, 8.
7. Ps 2, 6.
8. Jean 8, 55.
9. Jean 8, 33.
10. Deut 32, 15.
678. Au sens moral, dans le royaume de lâme, le roi est lintelligence elle-męme, daprčs ce passage de lEcriture : Le roi qui est assis sur le trône de la justice dissipe tout mal par son regard 11.
Pourquoi est-elle appelée roi? parce que le corps de lhomme tout entier est guidé par elle, que sa capacité daimer est orientée et déterminée par elle et que les autres puissances de lâme lui sont soumises. Mais elle mérite parfois dętre appelée "petit roi" (regulus), quand sa connaissance diminue et que, obscurcie, elle se soumet aux passions désordonnées sans leur résister : "Les nations marchent dans la vanité de leurs pensées, leur intelligence étant obscurcie par des ténčbres..." 12. Cest pourquoi SON FILS, cest-ŕ-dire la capacité dai mer, est malade en ce sens quelle se détourne du bien pour aller vers le mal. Si en effet lintelligence avait été roi, cest-ŕ-dire forte, son fils naurait pas été malade; mais parce quelle est un petit roi, son fils est malade. Et cela A CAPHARNAUM, car labondance des biens temporels est la cause de linfirmité spirituelle Voici quelle a été liniquité de Sodome ta sur lorgueil, lexcčs de nourriture, labondance et loisiveté oů elle vivait avec ses filles 13.
11. Prov 20, 8.
12. Eph 4, 17-18.
13. Ez 16, 49.
[47]
LORSQUIL EUT ENTENDU DIRE QUE JESUS ARRI VAIT DE JUDEE EN GALILEE, IL ALLA
VERS LUI, ET LE PRIAIT POUR QUIL DESCENDE ET GUERIS SE SON FILS : CELUI-CI
ETAIT EN EFFET SUR LE POINT DE MOURIR.
679. LEvangéliste présente
ici la personne qui inter cčde : le fonctionnaire royal. Il expose dabord ce
qui la incité ŕ faire sa demande [n°
680], puis la demande elle-męme [n° 681], enfin la
nécessité de cette demande [n°
682].
680. La décision de
demander fut suscitée par la venue du Christ; cest pourquoi il est dit :
LORSQUIL EUT ENTENDU DIRE QUE JESUS ARRIVAIT DE JUDEE EN GALILEE, IL ALLA VERS
LUI Car, aussi long temps que tardait la venue du Christ, lespérance des
hommes concernant la guérison de leurs péchés était bien faible; mais ŕ la
nouvelle de lapproche de sa venue, lespérance de la guérison se fortifie en
nous, et alors nous allons ŕ Lui : en effet, cest pour cela quIl est venu
dans le monde pour sauver les pécheurs Le Fils de lhomme est venu chercher
et sauver ce qui était perdu 14 Mais, comme le dit lEcclésiastique, nous devons préparer notre âme
avant la pričre 15, et cela en allant au-devant de Dieu par le désir. Cest bien ce que
fit le fonctionnaire royal IL ALLA VERS LUI Pré pare-toi, Israël ŕ la
rencontre de ton Dieu 16.
681. La demande porte sur la guérison de son fils IL PRIAKÎ Jésus POUR QUIL DESCENDE par miséricorde Oh, si tu déchirais les cieux, et si tu descendais 17 ET QUIL GUERISSE SON FILS. Ainsi devons-nous prier, nous aussi, pour ętre guéris de nos péchés Guéris mon âme, car jai péché contre toi 18. Personne, en effet, ne peut revenir ŕ létat de justice sil nest pas guéri par Dieu : Je ne trouve en moi-męme aucun secours 19. Cest ainsi que les pčres de lAncien Testament priaient pour le peuple dIsraël. Aussi est-il dit de lun deux : Voici lami de ses frčres et du peuple dIsraël celui qui prie pour le peuple et pour toute la cité sainte, Jérémie, le prophčte de Dieu 20.
14. Luc 19, 10.
15. Sir 18, 23" Avant la pričre, prépare ton âme".
16. Am 4, 12.
18. Ps 40, 5.
19. Jb 6, 13.
20. 2 Mac 15, 14.
682. La nécessité de la demande est urgente le fils ETAIT SUR LE POINT DE MOURIR. En effet, quand un homme est tenté, il tombe malade, mais lorsque la tentation lemporte de telle sorte quil est sur le point de consentir, il est proche de la mort; et lorsquil y a déjŕ consenti, il est sur le point de mourir. Donc, en consommant le péché, il meurt, car il est dit : Le péché, lorsquil a été consommé, engendre la mort 21 De cette mort des pécheurs le psaume dit quelle est affreuse 22, car elle commence ici-bas et, dans le futur, elle est tourment sans fin 23.
JESUS
LUI DIT DONC : "SI VOUS NAVEZ PAS VU DES SIGNES ET DES PRODIGES, VOUS NE
CROYEZ PAS. " LE FONCTIONNAIRE ROYAL LUI DIT : "SEIGNEUR, DESCENDS
AVANT QUE MON FILS NE MEURE. " JESUS LUI DIT : "VA, TON FILS VIT. "
LHOMME CRUT A LA PAROLE QUE LUI DIT JESUS, ET SEN ALLA.
683. LEvangéliste traite ici de la demande de guérison et de son accomplissement par le Christ. Pour cela il rapporte le reproche du Seigneur [n° 684], puis la demande du fonctionnaire royal [n° 686] qui obtient ce quil a demandé [n° 687].
684. Le Seigneur reproche au fonctionnaire royal son manque de foi. Cest pourquoi Il lui dit : SI VOUS NAVEZ PAS VU DES SIGNES ET DES PRODIGES, VOUS NE CROYEZ PAS. Mais ceci pose quelques questions. Dabord parce quil ne semble pas juste de parler ainsi ŕ ce fonctionnaire royal. En effet, si celui-ci navait pas cru que Jésus était le Sauveur, il ne Lui aurait pas demandé la guérison.
A cela il faut répondre que ce fonctionnaire royal ne croyait pas encore parfaitement : sa foi était déficiente en deux points. Dabord parce que tout en croyant que le Christ était un homme bon, il ne croyait cependant pas en sa puissance divine : autrement il au rait cru que, męme absent, Jésus pouvait guérir, puis que Dieu est partout présent Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre? 24. Et ainsi, il ne Lui aurait pas demandé de descendre dans sa maison, mais seulement de donner un ordre.
Ensuite, sa foi était imparfaite en ce sens que, selon Chrysostome 25, il doutait que le Christ pűt guérir son fils : sil lavait tenu pour certain, il naurait pas attendu la venue du Christ en son pays, mais serait plutôt allé lui-męme en Judée. Mais en étant arrivé ŕ désespérer du salut de son fils, et ne voulant rien négliger de ce quil pouvait faire, il alla trouver Jésus, comme ces parents qui, désespérant de sauver leurs enfants, vont consulter męme des médecins incompétents.
21. Ja 1, 15.
22. Ps 33, 22.
23. Cf. Ap 14, 10-11; 20, 10.
685. Il semble ensuite quon ne pouvait reprocher au fonctionnaire royal de demander DES SIGNES : car la foi est confirmée par les signes. A cela il faut répondre que les incroyants sont amenés ŕ la foi au Christ dune maničre, et les croyants dune autre. Les in croyants, en effet, ne peuvent pas ętre attirés et conduits par lautorité de lEcriture sainte, puisquils ny croient pas, ni par la puissance naturelle de lintelligence, parce que la foi la dépasse; et cest pourquoi il faut les conduire pas des miracles Les signes sont donnés non pour les croyants, mais pour les incroyants 26. Mais les croyants doivent ętre conduits et amenés ŕ la foi par lautorité de lEcriture ŕ laquelle ils sont tenus dadhérer.
Sur ce point donc, le fonctionnaire royal est corrigé parce que, alors quil avait été élevé au milieu des Juifs et instruit de la Loi, il voulait croire, non par lautorité de lEcriture, mais par des signes. Et cest pourquoi le Seigneur le reprend en disant : SI VOUS NAVEZ PAS VU DES SIGNES ET DES PRODIGES, cest-ŕ-dire des miracles quon appelle parfois "signes" en tant quils indiquent la puissance divine, et que parfois on appelle aussi "prodiges", soit parce quils indiquent avec la plus grande certitude, comme si prodigium (prodige) avait le sens de porrodicium 27, soit parce quils annoncent un événement futur, comme si prodigium avait le sens de procul ostendens, cest-ŕ-dire "manifestant de loin" un effet futur.
24. Jérémie 23, 24.
25. In Ioannem hom., loc. cit.
26. 1 Corinthiens 14, 22. Saint Thomas modifie un peu la
citation. Saint Paul dit : "les langues sont un signe, non pour les
croyants, mais pour les incroyants".
686. LEvangéliste rapporte ensuite la demande pressante du fonctionnaire royal : en effet, devant le reproche du Seigneur il ne sest pas découragé, mais il Lui dit de maničre pressante : SEIGNEUR, DESCENDS AVANT QUE MON FILS NE MEURE. Il faut toujours prier et ne jamais se lasser 28.
Ceci montre, dune certaine
maničre, le progrčs de sa foi, parce quil Lappelle SEIGNEUR; mais il na pas
encore atteint la plénitude de la foi, puisque, croyant encore la présence
corporelle du Christ nécessaire au salut son fils, il Le prie de descendre.
687. Cependant, parce que la pričre persévérante est exaucée, le Seigneur lui accorde ce quil demande; cest pourquoi Jésus lui dit : "VA, TON FILS VIT." Ces paroles sont lannonce, par le Christ, de la guérison quIl opéra [n° 687]; les suivantes indiquent les personnes qui en furent les témoins [n° 691]. Lannonce de la guéri son est donnée par le commandement du Christ [n° 688], suivi de lobéissance du fonctionnaire royal [n° 690].
27. Voir SAINT AUGUSTIN, Tract, in b. XVI,
3 BA 71, p. 823. Pour saint Augustin, porrodicium
signifie "qui dit ŕ lavance, qui indique ŕ lavance, qui annonce un
événement futur".
28. Luc 18, 1.
688. Le Seigneur ordonne
dabord, et ensuite Il an nonce. Il ordonne en effet ŕ lhomme daller : VA,
cest-ŕ-dire dispose-toi en touvrant au don de la grâce dans un mouvement du
libre arbitre vers Dieu Convertissez-vous ŕ moi, et vous serez sauvés 29, et dans un
mouvement du libre arbitre contre le péché. La justification de limpie,
spécialement des adultes, exige quatre choses : linfusion de la grâce et la
rémission de la faute, le mouvement du libre arbitre vers Dieu, qui est la foi,
et celui contre le péché, qui est la contrition. Ensuite, le Seigneur annonce ŕ
lhomme la guérison quil avait demandée pour son fils : TON FILS VIT.
689. On peut se demander pourquoi le Christ, sollicité par le fonctionnaire royal de descendre dans sa maison, refuse de se déplacer, alors quIl propose de se rendre auprčs du serviteur du centurion.
On a donné ŕ cela deux raisons. Pour Grégoire 30, cest afin de rabaisser notre orgueil, nous qui offrons nos services aux grands de ce monde mais les refusons aux petits, alors que Lui, qui est le Seigneur de toutes choses, offrit daller auprčs du serviteur du centurion, mais refuse daller auprčs du fils du fonctionnaire royal Montre-toi accueillant pour la communauté des pauvres 31.
Pour Chrysostome 32, la raison est que le centurion était déjŕ confirmé dans la foi au Christ, puisquil croyait que męme absent, Il pouvait le sauver. Aussi, pour manifester la foi et la piété de cet homme, le Seigneur promit-Il de se déplacer. Le fonctionnaire royal, lui, était encore imparfait : il ne savait pas encore clairement que, męme absent, le Seigneur pouvait guérir; aussi le Christ naccéda-t-Il pas ŕ sa demande, pour lui faire connaître son imperfection.
29. Isaďe 45, 22.
30. XL hom. in Evang., II, hom. 28, ch. 2,
PL 76, col. 1212 C-D.
31. Sir 4, 7.
32. In boannem hom., 35, ch. 3, col. 202.
690. LEvangéliste montre deux aspects de lobéissance du fonctionnaire royal. Dabord il crut ŕ Celui qui lui avait annoncé la guérison LHOMME CRUT A LA PAROLE QUE LUI DIT JESUS, cest-ŕ-dire TON FILS VIT. Ensuite il obéit au commandement ET IL SEN ALLA, progressant dans la foi, bien que ce ne fűt pas encore dune maničre parfaite et pléničre comme le dit Origčne 33. Ceci montre que la justification doit sopérer par la foi Etant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu, par notre Seigneur Jésus Christ Il faut que nous allions en progressant, parce que celui qui sarręte sexpose au danger de ne pouvoir conserver la vie de la grâce. Dans le chemin qui mčne ŕ Dieu, ne pas progresser, cest reculer.
OR,
COMME DEJA IL DESCENDAIT, SES SERVITEURS VINRENT A SA RENCONTRE ET LUI ANNON
CERENT QUE SON FILS VIVAIT. IL LEUR DEMANDA A QUELLE HEURE IL SETAIT TROUVE
MIEUX. ILS LUI DIRENT : "CEST HIER, A LA SEPTIEME HEU RE, QUE LA
FIEVRE LA QUITTE. "
691. Pour rapporter lannonce de la guérison par les serviteurs, lEvangéliste donne dabord lannonce elle-męme [n° 692], puis linterrogation du fonctionnaire royal sur lheure de la guérison [n° 694].
33. Cf Sur saint Jean, XIII, § 409, SC 222, p. 259.
34. Ro 5, 1.
692. LEvangéliste dit donc
: OR, COMME DEJA IL DESCENDAIT de Cana de Galilée vers sa maison, SES
SERVITEURS VINRENT A SA RENCONTRE ce qui montre que ce fonctionnaire royal
était riche, puisquil avait de nombreux serviteurs , ET LUI ANNONCE RENT QUE
SON FILS VIVAIT, parce quils croyaient que le Christ allait venir en personne,
Lui dont la présence semblait inutile maintenant que son fils était guéri.
693. Au sens mystique, les
SERVITEURS du fonctionnaire royal, cest-ŕ-dire de lintelligence, sont les uvres
de lhomme; car lhomme est maître de ses actes et de ses passions parce que
celles-ci obéissent ŕ lintelligence qui les commande et les dirige. Et ces
serviteurs annoncent que le fils du fonctionnaire royal, cest-ŕ-dire de
lintelligence, vit, quand brille dans lhomme les uvres bonnes et que les
forces vitales inférieures obéissent davantage ŕ lintelligence Le vętement
du corps, le rire des dents et la démarche dun homme le font connaître 35.
694. Mais parce quil ne croyait pas encore parfaitement et totalement, le fonctionnaire royal voulait savoir si son fils avait été guéri par hasard ou par le commandement du Christ. Voilŕ pourquoi il senquit de lheure de la guérison : IL DEMANDA ŕ ses serviteurs A QUEL LE HEURE son fils SETAIT TROUVE MIEUX, et il constata quil avait été guéri ŕ lheure męme oů le Christ lui avait dit VA, TON FILS VIT. Cela nest pas étonnant puisque le Christ est le Verbe par qui furent créés le ciel et la terre Lui-męme a dit, et les choses ont été faites. Lui-męme a commandé, et elles ont été créées 36. Il est facile aux yeux de Dieu denrichir tout dun coup le pauvre 37.
695. Les serviteurs lui dirent donc CEST HIER, LA SEPTIEME HEURE, QUE LA FIEVRE LA QUITTE.
Au sens mystique, LA SEPTIEME HEURE, heure ŕ la quelle la fičvre a quitté lenfant, signifie les sept dons du Saint-Esprit par qui saccomplit la rémission des péchés Recevez le Saint-Esprit; les péchés seront remis ŕ ceux ŕ qui vous les remettrez 38 et par qui aussi la vie spirituelle est causée dans lâme Cest lEsprit qui vivifie 39. La septičme heure peut encore signifier le temps du repos; en effet, le Seigneur se reposa le septičme jour de toute luvre quIl avait faite 40, ce qui donne ŕ entendre que la vie spirituelle de lhomme consiste dans un repos spirituel Si vous revenez et vous tenez en repos, vous serez sauvés 41. Et des méchants il est dit Les impies sont comme une mer impétueuse qui ne peut sapaiser 42.
35. Sir 19, 27.
36. Ps 148, 5.
37. Sir 11, 23.
38. Jean 20, 22. 23.
39. Jean 6, 23.
40. Gn 2, 2.
41. Isaďe 30, 15.
42. Isaďe 57, 20.
II
LE
PERE RECONNUT ALORS QUE CETAIT LHEURE 5354] OU JESUS LUI AVAIT DIT :
"TON FILS VIT. " ET IL CRUT, LUI ET TOUTE SA MAISON. TEL FUT LE
SECOND SIGNE QUE FIT ENCORE JESUS QUAND IL VINT DE JUDEE EN GALILEE.
696. Aprčs avoir fait connaître le lieu du miracle [n° 665], puis le miracle lui-męme [n° 675], lEvangéliste expose maintenant leffet de ce miracle. Il en donne dabord le fruit, puis indique sa relation avec un autre.
[53]
LE PERE RECONNUT ALORS QUE CETAIT LHEURE OU JESUS LUI AVAIT DIT : "TON
FILS VIT. " ET IL CRUT, LUI ET TOUTE SA MAISON.
697. En comparant lheure indiquée par ses serviteurs ŕ lheure oů Jésus lui avait annoncé la guérison de son fils, le pčre reconnut QUE CETAIT LHEURE OU JESUS LUI AVAIT DIT : "TON FILS VIT". De ce fait, il se convertit au Christ, reconnaissant que le miracle était luvre de sa puissance, ET IL CRUT, LUI ET TOU TE SA MAISON, cest-ŕ-dire ses serviteurs et męme ses esclaves, parce que les esclaves sont conditionnés par la maničre dagir de leur maître, quelle soit bonne ou mauvaise Comme est le juge du peuple, ainsi sont aussi ses serviteurs 43. Je sais (...) quil ordonnera ŕ ses enfants et ŕ toute sa maison... 44. Ainsi il est manifeste que la foi du fonctionnaire royal ne cessa de progresser : au début, lorsquil intercéda en faveur de son fils malade, elle était faible. Elle commença ŕ saffermir quand il appela le Christ SEIGNEUR. Ensuite, lorsque cet homme crut ŕ sa parole et se mit en route, elle était plus parfaite, sans toutefois lętre pleinement parce quil doutait encore. Ici, ayant clairement reconnu la puissance de Dieu dans le Christ, il a atteint la perfection de la foi : car le sentier des justes est comme une lumičre éclatante qui savance et croît jusquau jour parfait 45.
TEL
FUT LE SECOND SIGNE QUE FIT ENCORE [54] JESUS QUAND IL VINT DE JUDEE EN GALILEE.
698. Par ces mots, lEvangéliste rapproche ce miracle dun miracle précédent. Ce rapprochement peut sen tendre de deux maničres. Ou bien le Seigneur aurait fait lors de cette męme venue de Judée en Galilée deux miracles dont lEvangéliste naurait relaté que le second; ou bien Jésus fit deux SIGNES en Galilée ŕ deux moments différents : le premier, celui du vin, et le second, celui quil accomplit en faveur du fils du fonctionnaire royal quand, de Judée, Il revint en Galilée. Ce récit montre bien que les Galiléens étaient pires que les Samaritains [n° 672]. Ces derniers, sans attendre aucun signe du Seigneur, crurent en grand nombre ŕ sa seule parole 46. Mais devant ce miracle, il ny eut ŕ croire au Christ que le fonctionnaire royal et toute sa maison. Car les Juifs, ŕ cause de leur dureté, ne se convertissaient ŕ la foi que peu ŕ peu Malheur ŕ moi parce que je suis devenu comme celui qui, en automne, grappille aprčs la vendange : il ny a pas une grappe ŕ manger, pas une de ces figues précoces que mon âme a désirées 47.
43. Sir 10, 2.
44. Gn 18, 19.
45. Prov 4, 18.
46. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in b. XVI,
3, p 821.
47. Mic 7, 1.
1
Aprčs cela, il y avait une fęte des Juifs, et Jésus monta ŕ Jérusalem. 2 Or il
y a Jérusalem la piscine probatique, appelée en hébreu Bethsaďde, qui a cinq
portiques. ceux-ci gisait une multitude de malades, daveugles, de boiteux, de
gens aux membres desséchés, qui attendaient le mouvement de leau. Car lange
du Seigneur descendait de temps en temps dans la piscine, et leau sagitait;
le premier qui était descendu dans la piscine aprčs lagitation de leau était
guéri, de quel que mal quil fűt atteint. 5 il y avait lŕ un homme qui
souffrait de sa maladie depuis trente-huit ans. 6 sus, layant vu étendu et
connaissant quil était dans cet état depuis longtemps déjŕ, lui dit"
Veux-tu ętre guéri?" Le malade Lui répondit : "Seigneur, je nai
personne pour me jeter dans la piscine quand leau a été agitée : pendant que
moi jy vais, un autre descend avant moi. " 8 lui dit : "Lčve-toi,
prends ton grabat et marche. " 9a Et aussitôt lhomme fut guéri, il prit
son grabat, et il marchait.
699. Le Seigneur a parlé plus haut de la régénération spirituelle [n° 423]; Il parle maintenant des bien faits qui sont accordés par Dieu ŕ ceux qui ont été régénérés spirituellement [ch. 5 ŕ 11]. Or ceux qui sont engendrés selon la chair reçoivent trois choses de leurs parents selon la chair : la vie, la nourriture et lenseignement (ou léducation); ceux qui ont été régénérés spi rituellement reçoivent également du Christ ces trois dons : la vie spirituelle, la nourriture spirituelle, lenseignement spirituel.
Il est donc question ici de ces trois dons : celui de la vie spirituelle [Ch. 5]; celui de la nourriture spirituelle [Ch. 6, n° 838]; celui de lenseignement spirituel [Ch. 7 ŕ 11].
Pour traiter du don de la vie spirituelle, lEvangéliste rapporte dabord un signe visible oů se manifeste la puissance qua le Christ de donner la vie et de la restaurer selon la coutume de cet Evangile, qui joint toujours ŕ lenseignement du Christ quelque action visible se rapportant au sujet de lenseignement, afin quŕ partir des réalités visibles on connaisse les invisibles. Ensuite, il expose loccasion qui permet au Christ de donner son enseignement [2, n° 720]. Enfin, lEvangéliste expose lenseignement lui-męme [Ch. 3, n° 744].
Pour rapporter le signe visible, il décrit dabord le lieu oů le miracle a été accompli [n° 700], puis linfirmité [n° 709], enfin le rétablissement de la santé [n° 715].
I
[1-4]
APRES CELA, IL Y AVAIT UNE FETE DES JUIFS, ET JESUS MONTA A JERUSALEM. OR IL Y
A A JERUSALEM LA PISCINE PROBATIQUE, APPELEE EN HE BREU BETHSAIDE, QUI A CINQ
PORTIQUES. SOUS CEUX-CI GISAIT UNE MULTITUDE DE MALADES, DAVEUGLES, DE
BOITEUX, DE GENS AUX MEM BRES DESSECHES, QUI ATTENDAIENT LE MOUVEMENT DE LEAU.
CAR LANGE DU SEIGNEUR DES CENDAIT DE TEMPS EN TEMPS DANS LA PISCINE, ET LEAU
SAGITAIT; LE PREMIER QUI ETAIT DES CENDU DANS LA PISCINE APRES LAGITATION DE
LEAU ETAIT GUERI, DE QUELQUE MAL QUIL FUT ATTEINT.
700. Le lieu du miracle est décrit de deux maničres dabord dune maničre générale [n° 700], puis dune maničre précise [n° 701].
[1]
APRES CELA, IL Y AVAIT UNE FETE DES JUIFS, ET JESUS MONTA A JERUSALEM.
Le lieu pris dune façon générale est Jérusalem; cest pourquoi lEvangéliste dit APRES CELA, cest-ŕ-dire aprčs le miracle accompli en Galilée, IL Y AVAIT UNE FETE DES JUIFS. Cette fęte est la Pentecôte, selon Chrysostome 1, car plus haut (2, 13) lEvangéliste fait mention de la fęte de la Pâque, lorsque le Seigneur était allé ŕ Jérusalem. De nouveau, donc, pour la fęte de la Pentecôte suivante, JESUS MONTA A JERUSALEM; car, ainsi quon le lit dans lExode, il avait été prescrit par le Seigneur que tout individu mâle du peuple juif se présentât dans le Temple en trois occasions de lannée 2 la Pâque, la Pentecôte et la fęte des Tentes.
En ces jours de fętes, le Seigneur monta ŕ Jérusalem pour deux raisons pour ne pas paraître aller contre la Loi, comme Il lavait dit Lui-męme : Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais laccomplir 3; et pour attirer ŕ Dieu par ses miracles et son enseignement la multitude du peuple qui venait pour la fęte 4, selon ce que disent les psaumes : Au milieu de la multitude je Le louerai 5; et Jai annoncé ta justice dans une grande assemblée. Aussi le Christ dit-Il Lui-męme : Jai parlé ouvertement au monde; jai toujours enseigné dans la synagogue et dans le Temple, oů tous les Juifs sassemblent 7.
1. In loannem hom., 36, ch. 1, PG 59,
col. 203.
2. Cf. Ex 23, 17 "Trois fois dans lannée, tous tes mâles
paraîtront en présence du Seigneur ton Dieu.
3. Mt 5, 17.
4. Voir SAINT JEAN CHRYSOSTOME, loc. cit.
5. Ps 108, 30.
6. Ps 39, 10.
7. Jean 18, 20.
OR IL
Y A A JERUSALEM LA PISCINE PROBATIQUE, APPELEE EN HEBREU BETHSAIDE, QUI A CINQ
PORTIQUES.
701. Le lieu précis du miracle fut la piscine probatique, qui est décrite sous quatre aspects : son nom [n° 702], la disposition des lieux [n° 704], ceux qui lhabitent [n° 7051 et sa vertu particuličre
702. Le nom de cette
piscine est PISCINE PROBATIQUE, du grec probaton qui signifie "brebis".
On lappelle "probatique", cest-ŕ-dire "pour les
troupeaux de brebis ou de bestiaux", parce que les prętres y lavaient
les cadavres des bętes, surtout ceux des brebis, qui étaient le plus souvent
offertes en sacrifice 8 doů lappellation hébraďque "Bethsaďde", cest-ŕ-dire
"maison des brebis" 9. Cette piscine était en
effet proche du Temple, et alimentée par les eaux de pluie.
703. Au sens mystique, selon Chrysostome 10, cette piscine préfigurait le baptęme : voulant donner diverses préfigurations de la grâce baptismale, le Seigneur donna dabord une eau purifiant les souillures du corps contractées au contact des choses considérées par la Loi comme impures; cest de cette eau que parle le livre des Nombres 11. Ensuite, Il donna ŕ cette piscine une vertu particuličre, qui représente de maničre plus expressive que lautre eau la vertu du baptęme, parce que non seulement elle guérissait des impuretés de la chair, mais encore elle délivrait des infirmités du corps. En effet, les préfigurations exprimaient dautant mieux la vérité quelles en étaient plus proches.
La vertu de cette eau était donc le signe de la vertu du baptęme; car de męme que cette eau, du fait quelle lavait les corps, avait la vertu de guérir linfirmité non certes par sa propre nature, mais grâce ŕ un ange , ainsi leau du baptęme a la vertu de guérir lâme et de la laver des péchés. Il nous a aimés et nous a lavés de nos péchés 12. Doů lon voit que la Passion du Christ a été préfigurée par les sacrifices de lancienne Loi Nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, cest en sa mort que nous avons été baptisés; car nous avons été ensevelis avec Lui par le baptęme dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Pčre, nous aussi, nous marchions dans une vie nouvelle 13.
Selon Augustin, dautre part, leau renfermée dans cette piscine signifiait létat du peuple juif Eaux abondantes, les peuples nombreux 14. Car les nations navaient pas été enfermées dans les limites de la Loi divine, mais chaque peuple marchait selon la vanité de son cur 15. Le peuple juif, au contraire, était enfermé sous le culte du Dieu unique Avant que la foi vînt, nous étions enfermés sous la garde de la Loi, en vue de la foi qui devait ętre révélée 16. Cest pourquoi ce peuple était représenté par leau renfermée dans la piscine; celle-ci est appelée "probatique" parce que les Juifs étaient dune maničre spéciale les brebis de Dieu : Nous sommes le peuple de son pâturage et les brebis de sa main 17.
8. Cf. ALCUIN, Comrn. in S. bannis Evang., 3, ch. 9, PL 100, col.
803 D -804 A. Voir également BČDE, In S. bannis Evang. expos., ch. 5, PL 92,
col. 690 D-691 A.
9. Sur létymologie de" Bethsaďde", voir Fr. WUTZ,
Onomastica sacra, p. 411.
10. In loannem hom., 36, ch 1, col. 203-204.
11. Cf. Nomb ch. 19.
12. Ap 1, 5.
13. Ro 6, 3-4.
14. Aquae multae, populi multi. Lédition Marietti renvoie ŕ Ap
17, 15, mais en fait cette citation ne figure pas telle quelle dans lEcriture
(ni dans la Vulgate, ni dans la Vetus latina); elle sinspire sans doute dAp
17, 15, dIsaďe 17, 12-13, etc. Saint Thomas se réfčre directement ŕ un passage
de saint Augustin dont lexpression aquae multae, populi multi est comme un
résumé. Voir Tract. in b. XVII, 2, BA 72, pp. 75. 77 "Cette piscine et
cette eau me paraissent avoir symbolisé le peuple juif. Que les eaux en effet
soient un symbole des peuples, lApocalypse de Jean nous lindique clairement
comme on lui montrait des eaux abondantes et quil demandait ce que cétait, il
lui fut répondu que cétait les peuples [Ap 17, 15]. "
15. Cf. Eph 4, 17 "les
nations marchent dans la vanité de leurs pensées... "
16. Ga 3, 23.
17. Ps 94, 7.
704. La piscine est décrite maintenant sous un autre aspect : celui de la disposition des lieux : elle avait CINQ PORTIQUES ŕ son pourtour, afin que les nombreux prętres puissent sy tenir facilement sans se gęner, pour laver les cadavres des bętes.
Au sens mystique, ces cinq portiques, selon Chrysostome, signifient les cinq plaies du Christ 18, dont il est dit plus loin : Mets ton doigt ici et vois mes mains; avance ta main et mets-la dans mon côté 19 Selon Augustin, dautre part, ce sont les cinq livres de Moďse 20.
[3]
SOUS CEUX-CI GISAIT UNE MULTITUDE DE MALA DES, DAVEUGLES, DE BOITEUX, DE GENS
AUX MEMBRES DESSECHES, QUI ATTENDAIENT LE MOUVEMENT DE LEAU.
705. La piscine est décrite ici du point de vue de ceux qui lhabitent : sous ses portiques gisait UNE MULTITUDE. Au sens littéral, il y a multitude du fait du rassemblement de tous les infirmes ŕ cause de la vertu de leau : celle-ci ne guérissait pas toujours, ni de maničre continue, ni plusieurs ŕ la fois; il était donc inévitable quun grand nombre restât lŕ en attente.
Au sens mystique, selon Augustin 21, cela signifie que la Loi ne pouvait pas guérir les péchés : Il est impossible que les péchés soient effacés par le sang de taureaux et de boucs 22. Elle les montrait seulement : La Loi donne seulement la connaissance du péché 23.
18. Nous navons trouvé cette interprétation ni chez saint Jean
Chrysostome, ni chez saint Augustin. Elle ne se trouve pas non plus chez Bčde,
ni chez Alcuin, ni chez Raban Maur.
19. Jean 20, 27.
20. Tract. in la. XVII, 2, p. 77.
21. Lac. cit.
22. He 10, 4.
23. Ro 3, 20.
706. Sous ces portiques gisaient donc des malades aux infirmités diverses et incurables. Ces malades sont décrits de quatre maničres. Dabord par leur position ils gisaient prostrés, cest-ŕ-dire collant par leurs péchés aux choses de la terre; celui qui gît colle en effet ŕ la terre par tout lui-męme. Il en eut pitié, parce quils étaient accablés et prostrés comme des brebis sans berger 24. Les justes, eux, ne gisent pas, mais ils se tiennent dressés vers les réalités célestes. Eux, les pécheurs, se sont trouvés liés et sont tombés; alors que nous, les justes, nous nous sommes relevés et nous nous sommes dressés 25.
Ensuite par leur nombre, qui est grand : Les pervers se corrigent difficilement et le nombre des insensés est infini 26. Large est la porte, et spacieux le chemin qui mčne ŕ la perdition, et ils sont nombreux ceux qui sy engagent 27.
Les infirmes sont enfin décrits par leurs dispositions ou leur état. LEvangéliste indique ici quatre maux que lhomme encourt par le péché. Dabord, parce quil est assujetti aux passions coupables qui dominent sur lui, lhomme est affaibli comme par une maladie; lEvangéliste parle donc de MALADES. Cest la raison pour la quelle Cicéron 28 dit que les passions de lâme, comme celles de la colčre, de la concupiscence, etc., sont comme des maladies de lâme. Aussi le psalmiste disait-il : Aie pitié de moi, Seigneur, parce que je suis malade 29.
Le second de ces maux est laveuglement de la raison dű ŕ lemprise des passions et ŕ leur victoire dans lhomme consentant. Cest pourquoi lEvangéliste parle dAVEUGLES, cest-ŕ-dire dhommes aveuglés par leurs péchés 30 Leur malice les a aveuglés. Le feu, celui de la colčre et de la concupiscence, est tombé sur eux et ils nont pas vu le soleil.
Ensuite, lhomme malade et aveugle devient instable dans ses uvres, et il est comme boiteux; cest pourquoi lEcriture dit que ce que fait limpie est instable 32, et le Philosophe, que les hommes mauvais sont remplis de remords 33. Aussi lEvangéliste parle-t-il de BOITEUX Jusques ŕ quand clocherez-vous des deux côtés? 34
Enfin, lhomme qui est ainsi malade, aveugle dans son intelligence, boiteux dans ce quil réalise, devient DESSECHE dans sa capacité daimer, car en lui est des séchée toute cette moelle de la piété 35 que David demandait dans le psaume : "Que de moelle et de graisse mon âme soit rassasiée" 36. Cest pourquoi lEvangéliste parle de GENS AUX MEMBRES DESSECHES Ma force sest desséché comme un tesson 37.
Certains cependant sont ŕ ce point affectés par la maladie du péché quils nattendent pas le bouillonnement de leau, mais se reposent dans leurs péchés : Alors quils vivent dans une grande lutte ŕ cause de lignorance, ils appellent paix des maux si nombreux et si grands 38. Cest deux encore quil est dit : Ils sont joyeux alors quils ont fait le mal, et ils exultent dans les choses les plus mauvaises 39. La raison en est quils nont pas horreur du péché, et ne pčchent pas par ignorance ou par faiblesse, mais par une malice résolue. Toutefois, ceux dont parle lEvangéliste, ne péchant pas par malice, ne se reposaient pas dans leurs péchés, mais attendaient par leur désir le mouvement de leau; cest pourquoi il dit quils ATTENDAIENT LE MOUVEMENT DE LEAU. Pendant tous les jours oů maintenant je combats, jattends que mon changement survienne 40. Cest ainsi que ceux de lAncien Testament attendaient le Christ Ton salut, Seigneur, je lattendrai 41.
24. Mt 9, 36.
25. Ps 19, 9.
26. Qo 1, 15.
27. Mt 7, 13.
28. Cf. Tusculanes, III, § 4, 7 et 10, pp. 4, 6 et 7; IV, § 10,
p. 58. Notons que Cicéron, suivant lusage de la langue latine, plus précise,
préfčre traduire le terme grec pathč (passions) par perturbationes (troubles,
affections) plutôt que par morbj ou aegritudines, ou aegrotationes (maladies),
qui en serait la traduction littérale.
29. Ps 6, 3.
30. Sag 2, 21.
31. Ps 57, 9.
32. Prov 11, 18.
33. ARISTOTE, Ethique ŕ Nicomaque, IX, 4, 1166 b 24; cf. 1166 b,
7. 8 et 18-23 les hommes mauvais sont tiraillés entre leur concupiscence et
leur désir rationnel (volonté), et sont remplis de remords. Voir aussi le
commentaire quen donne saint Thomas : "(...) peu aprčs sętre réjoui,
lhomme mauvais sattriste de cela męme dont il sest réjoui et voudrait
navoir pas éprouvé une telle joie. En effet, les hommes mauvais sont remplis
de remords parce que dčs que cesse le mouvement de malice ou de passion qui
leur a fait faire le mal, ils connaissent par leur raison quils ont mal agi et
en souffrent" (In decem libros Ethicorum Aristo telis ad Nicomachum
expositio, IX, leç. 4, n° 1818). Voir également Somme théol., I-II, q. 78, a. 2,
obj. 3.
34. 1 Rs 18, 21.
35. Voir BČDE, In S. bannis Evang. expos.,
ch. 5, col. 691 A.
36. Ps 62, 6.
37. Ps 21, 16.
38. Sag 14, 22.
39. Prov 2, 14.
40. Jb 14, 14.
41. Gn 49, 18.
42. Ce paragraphe développe, en le précisant, le commentaire de
samt Jean Chrysostome voir In loannem hom., 36, ch. 1, col. 204.
CAR
LANGE DU SEIGNEUR DESCENDAIT DE TEMPS EN TEMPS DANS LA PISCINE, ET LEAU
SAGITAIT; LE PREMIER QUI ETAIT DESCENDU DANS LA PIS CINE APRES LAGITATION DE
LEAU ETAIT GUERI, DE QUELQUE MAL QUIL FUT ATTEINT.
707. La piscine est décrite ici par la vertu qui lui est attachée 42 grâce ŕ un ange qui y descend, elle guérit de toute infirmité corporelle.
La vertu de cette piscine diffčre de celle du baptęme sous un aspect, et lui est semblable sous un autre. La similitude porte sur deux points. En premier lieu. de part et dautre la vertu est cachée : la vertu de leau de cette piscine, en effet, ne venait pas de sa nature autrement elle aurait toujours guéri mais dune vertu cachée, ŕ savoir dun ange : LANGE DU SEIGNEUR DESCENDAIT DE TEMPS EN TEMPS DANS LA PISCINE. De męme, leau du baptęme na pas la vertu de purifier les âmes du seul fait quelle est de leau, mais elle la tient de la vertu cachée de lEsprit Saint : Personne, ŕ moins de renaître de leau et de lEsprit Saint, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu 43. En second lieu, ces deux eaux sont semblables par leur effet : car, comme leau du baptęme, cette eau guérit LE PREMIER QUI ETAIT DESCENDU DANS LA PISCINE ETAIT GUERI Si Dieu conféra ŕ leau de cette piscine la vertu de guérir les corps, cest pour que les hommes, en sy lavant, se disposent, par le salut du corps, ŕ chercher le salut spirituel.
Quant ŕ la différence, elle porte sur trois points. Elle porte dabord sur la source de la vertu qui guérissait : leau de la piscine donnait la guérison par la vertu dun ange; tandis que celle du baptęme la donne par la vertu incréée, non seulement de lEsprit Saint, mais aussi de toute la Trinité. Cest pourquoi toute la Trinité fut présente quand le Seigneur fut baptisé : le Pčre dans la voix, le Fils dans la personne du Christ, lEsprit Saint sous la forme dune colombe 44. Cest aussi pour quoi, dans notre baptęme, est invoquée la Trinité.
La différence porte en second lieu sur lefficacité leau de la piscine na pas eu la vertu de guérir de façon continue, mais DE TEMPS EN TEMPS, cest-ŕ-dire ŕ des moments déterminés; tandis que leau du baptęme a dune maničre continue la vertu de purifier : En ce jour-lŕ, il y aura une source ouverte ŕ la maison de David et aux habitants de Jérusalem pour laver le pécheur et celle qui est souillée 45.
Enfin, la différence porte sur le nombre des personnes ŕ guérir : quand leau de cette piscine était mise en mouvement, un seul était guéri; mais quand cest leau du baptęme, tous le sont. Cela nest pas étonnant puis que la vertu de la premičre eau, étant créée, est limitée et a un effet limité, alors que dans la seconde la vertu est infinie, pour purifier, si elles existaient, une infinité dâmes : Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et de toutes vos idoles je vous purifierai 46.
43. Jean 3, 5.
44. Mt 3, 16-17; Mc 1, 9-11; Luc 3, 21-22.
45. Zach 13, 1.
708. Par lANGE il faut entendre, selon Augustin 47, le Christ, daprčs cette autre version dIsaďe : On lappellera lange du grand conseil 48. De męme que cet ange DESCENDAIT DE TEMPS EN TEMPS DANS LA PISCINE, ainsi le Christ, Lui aussi, au temps fixé par le Pčre, descendit dans le monde : Son temps est prčs de venir et ses jours ne seront pas différés 49. Lorsque vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils 50. De męme, aussi, quon ne percevait pas lange, si ce nest par le mouvement de leau, ainsi le Christ nétait pas connu selon sa divinité. Car sils Lavaient connu, jamais ils nauraient crucifié le Seigneur de la gloire 51. Isaďe dit en effet Vraiment, tu es un Dieu caché, Dieu dIsraël Sauveur 52. Si on voyait leau agitée, mais non celui qui lagitait, cest que, voyant la faiblesse du Christ, on ne reconnaissait pas sa divinité. Et comme celui qui descendait dans la piscine était guéri, ainsi celui qui croit avec humilité ŕ la Passion du Seigneur est guéri : ceux qui ont péché sont justifiés gratuitement par la grâce de Dieu, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus que Dieu a établi victime de propitiation par la foi en son sang 53.
Dautre part, un seul était guéri, parce que personne ne peut ętre guéri si ce nest dans lunité de lEglise : Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptęme, un seul Dieu et Pčre de tous 54. Malheur donc ŕ ceux qui haďssent lunité et créent pour eux des partis parmi les hommes.
46. Ez 36, 25.
47. Ce paragraphe reprend, en lexplicitant, le commentaire de
saint Augustin : voir Tract. in b. XVII, 3, pp. 79-81.
48. Isaďe 9, 6. Cette alia littera que cite saint Thomas est
celle de la Vetus latina ou plus exactement (car la Vetus latina donne magni
consilII nuntius) une version que lon trouve chez de nombreux Pčres de
l'Eglise, notamment Tertullien, saint Ambroise, etc. : voir SABATIER, Latinae
versiones antiquae, II, p. 535. Elle se trouve également dans la liturgie de
Noël.
49. Isaďe 14, 1.
50. Ga 4, 4.
51. 1 Corinthiens 2, 8.
52. Isaďe 45, 15.
II
OR IL
Y AVAIT LA UN HOMME QUI SOUFFRAIT DE SA MALADIE DEPUIS TRENTE-HUiT ANS. JESUS,
LAYANT VU ETENDU ET CONNAISSANT QUIL ETAIT DANS CET ETAT DEPUIS LONGTEMPS
DEJA, LUI DIT : "VEUX-TU ETRE GUERI?" LE MALADE LUI REPONDIT :
"SEIGNEUR, JE NAI PERSONNE POUR ME JETER DANS LA PISCINE QUAND LEAU A
ETE AGITEE : PENDANT QUE MOI JY VAIS, UN AUTRE DESCEND AVANT MOI "
709. LEvangéliste décrit maintenant linfirmité qui va ętre guérie. Il commence par montrer la longue durée de cette infirmité [n° 710]; il en donne ensuite la cause [n° 712].
[5]
OR IL Y AVAIT LA UN HOMME QUI SOUFFRAIT DE SA MALADiE DEPUiS TRENTE-HUIT ANS.
710. Linfirmité durait
donc depuis longtemps; cest une maničre assez belle de nous faire comprendre
que lhomme, qui ne pouvait ętre guéri par la piscine, devait cependant ętre
guéri par le Christ; car ceux que la Loi ne pouvait guérir, le Christ les a
guéris parfaitement Ce qui était impossible ŕ la Loi, que la chair rendait
impuissante, Dieu la fait : en envoyant son propre Fils dans une chair
semblable ŕ celle du péché et pour le péché, Il a condamné le péché dans la
chair, afin que la justification de la Loi saccomplît en nous qui ne marchons
pas selon la chair, mais selon lesprit 55. Renouvelle les signes
et produis dautres merveilles 56.
711. Le nombre TRENTE-HUIT saccorde bien avec linfirmité, car il convient davantage ŕ la maladie quŕ la santé. Le nombre quarante en effet, selon Augustin 57, sert ŕ désigner la perfection de la justice, qui consiste dans lobservation de la Loi. Celle-ci fut donnée en dix commandements, et devait ętre pręchée dans les quatre parties du monde, ou encore accomplie par les quatre Evangiles : La fin de la Loi, cest le Christ 58. Puisque dix multipliés par quatre font quarante, la justice parfaite est donc bien indiquée par le nombre quarante. En soustrayant deux ŕ quarante, on obtient trente-huit. Or le nombre deux représente les deux préceptes de la charité, par lesquels est accomplie toute justice parfaite. Voilŕ pourquoi cet homme était malade : il avait quarante ans moins deux, cest-ŕ-dire une justice imparfaite, puisquil est dit : A ces deux commandements toute la Loi est suspendue, ainsi que les prophčtes 59.
55. Ro 8, 3-4.
56. Sir 36, 6.
57. Ce paragraphe résume le commentaire de saint Augustin voir
op. cit., XVII, 4 et 6, pp. Si et 87-91.
58. Ro 10, 4.
59. Mt 22, 40.
53. Ro 3, 24-25.
54. Eph 4, 5-6.
[6]
JESUS, LAYANT VU ETENDU ET CONNAISSANT QUIL ETAIT DANS CET ETAT DEPUIS
LONGTEMPS DEJA, LUI DIT : "VEUX-TU ETRE GUERI?"
712. LEvangéliste donne
ensuite la cause de la longue durée de linfirmité. Pour cela, il rapporte
dabord linterrogation du Seigneur [n° 713], puis la réponse du
malade [n°
714].
713. Jésus LE VIT ETENDU non seulement avec les yeux du corps, mais aussi avec ceux de sa miséricorde, de la maničre dont David demandait ŕ ętre regardé : Regarde-moi, Seigneur, et aie pitié de moi 60. Et Il connut QUIL ETAIT DEPUIS LONGTEMPS DEJA DANS CET ETAT dinfirmité, ce qui est contraire au cur du Christ comme ŕ celui de linfirme, car une maladie trop longue accable le médecin 61. Il LUI DIT : "VEUX-TU ETRE GUERI?", non par ignorance il était en effet assez évident que le malade voulait ętre guéri , mais pour réveiller son désir et pour quil montrât sa patience, lui qui, sans se lasser, avait attendu durant tant dannées dętre délivré de sa maladie, et afin que par lŕ il fűt reconnu plus digne dętre guéri 62. Agissez virilement et que votre cur saffermisse, vous tous qui espérez dans le Seigneur 63.
Si le Seigneur réveille le désir de linfirme, cest par ce quon garde plus fermement ce quon reçoit avec désir, et quon lobtient plus facilement : Frappez, par le désir, et lon vous ouvriras 64.
Il faut noter cependant que, de la part des aveugles, le Seigneur exige la foi : Croyez-vous que je puis se faire cela? 65, alors quŕ légard de cet infirme Il ne fait rien de tel. Cest parce que ceux-lŕ avaient entendu parler des miracles de Jésus, alors que lui nen avait pas encore entendu parler. Voilŕ pourquoi Jésus nexige pas de lui la foi, si ce nest aprčs laccomplissement du miracle 66.
60. Ps 85, 16.
61. Sir 10, 11.
62. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, op. cit., 36, ch. 1, col. 204-205.
63. Ps 30, 25.
64. Mt 7, 7.
65. Mt 9, 28.
LE
MALADE LUI REPONDIT : "SEIGNEUR, JE NAI PERSONNE POUR ME JETER DANS LA
PISCINE QUAND LEAU A ETE AGITEE : PENDANT QUE MOI JY VAIS, UN AUTRE DESCEND
AVANT MOI "
714. Cette réponse de linfirme indique deux choses qui étaient cause de la longue durée de son infirmité la pauvreté et la faiblesse. Parce quil était pauvre, il ne pouvait avoir personne pour le jeter dans la piscine; cest pourquoi il dit : SEIGNEUR, JE NAI PERSONNE... Peut-ętre, selon Chrysostome 67, pensait-il que le Christ lui serait utile pour le jeter dans leau.
Dautre part, parce quil était faible et ne pouvait se déplacer rapidement, il était devancé par un autre
PENDANT QUE MOI JY VAIS, UN AUTRE DESCEND AVANT MOI Aussi pouvait-il dire avec Job : Voici que je ne trouve en moi aucun secours 68. Par lŕ est signifié quaucun homme qui fűt seulement homme ne pouvait sauver le genre humain, parce que tous ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu 69, jusquŕ ce que vînt le Christ, Dieu et homme, par qui ils devaient ętre sauvés.
66. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, op. cit.,
37, ch. 2, col. 209.
67. Loc. cit. ch. 1, col. 207.
68. Jb 6, 13.
69. Ro 3, 23. Et egent gratia Dei, dit saint Thomas. En réalité,
le texte de saint Paul porte et egent gloria Dei, "et ils sont privés de
la gloire de Dieu". Mais saint Thomas, en divers lieux de ses uvres, cite
en substituant gratia ŕ gloria. Du reste, en commentant le verset męme de saint
Paul, il dit : "Tous ont péché (...) et par lŕ sont privés (egent) de la
gloire de Dieu, cest-ŕ-dire ont besoin (egent) de la justification qui aboutit
ŕ la gloire de Dieu" (Super Epistolam ad Romanos lectura, III, leç. 3, n°
305); et un peu plus loin il reprend" Tous ont péché et ont besoin de la
grâce de Dieu, cest-ŕ-dire ils sont pécheurs, ceux qui doivent ętre justifiés
par la grâce de Dieu" (III, leç. 4, n 318)
III
JESUS
LUI DIT : "LEVE-TOl, PRENDS TON GRABAT ET MARCHE". ET AUSSITOT
LHOMME FUT GUERI, IL PRIT SON GRABAT, ET IL MARCHAIT.
715. LEvangéliste montre maintenant le rétablissement de la santé, ou laccomplissement du miracle, en rapportant lordre du Seigneur [n° 716], puis lobéissance de lhomme [n° 719].
[8]
JESUS LUI DIT : "LEVE-TOI, PRENDS TON GRABAT ET MARCHE. "
716. Le Seigneur commande ŕ la fois ŕ la nature et ŕ la volonté de lhomme; celles-ci sont en effet toutes deux soumises ŕ son pouvoir. Il commande ŕ la nature en disant LEVE-TOI Cet ordre, en effet, nest pas adressé ŕ la volonté de linfirme, car il nétait pas en son pouvoir de se lever, mais ŕ la nature, que le Seigneur changea par son ordre en lui donnant la capacité de se lever 70.
A la volonté Il commanda deux choses PRENDS TON GRABAT et MARCHE. Au sens littéral, Il donna ces deux ordres pour montrer quune santé parfaite avait été rendue ŕ cet homme. Dans tout miracle, en effet, le Seigneur donne ŕ luvre quIl fait la perfection conforme ŕ lexcellence de sa nature cest ainsi que, de leau, Il fit un vin parfait 71 , car Les uvres de Dieu sont parfaites 72.
Quant ŕ lhomme, deux choses lui faisaient défaut dune part ses propres forces, car il ne pouvait se tenir debout; cest pourquoi le Seigneur le trouva ETENDU. Dautre part le secours dautrui, ce qui lui faisait dire : JE NAI PERSONNE POUR ME JETER DANS LA PISCINE. Afin donc de faire connaître la perfection de la santé rendue ŕ lhomme, le Christ lui commande, ŕ lui qui ne pouvait se tenir debout, de prendre son grabat; et ŕ lui qui ne pouvait marcher, Il commande de marcher.
70. Voir SAINT AUGUSTIN, op. cit., XVII, 7, p. 93.
71. Cf. n° 362 (vol. I, 2° éd., p. 342).
72. Deut 32, 4.
717. Ces trois ordres nen
sont pas moins ceux que le Seigneur donne dans la justification. Dabord,
lhomme doit se lever en sécartant du péché : Lčve-toi, toi qui dors, et
relčve-toi dentre les morts 73. Ensuite, le Seigneur lui ordonne PRENDS TON GRABAT, en satisfaisant
pour les péchés commis. Le grabat sur lequel lhomme repose signifie en effet
le péché. Lhomme prend donc son grabat quand il porte le poids de la pénitence
qui lui a été imposée pour son péché La colčre du Seigneur, je la porterai, puisque
jai péché contre Lui 74. Enfin le Seigneur lui
ordonne de marcher en progressant dans le bien Ils iront de vertu en vertu 75.
718. Selon Augustin 76, deux choses manquaient ŕ ce malade : les deux préceptes de la charité. Aussi, ŕ la volonté qui est rendue parfaite par la charité, le Seigneur donne-t-Il deux ordres : prendre le grabat et marcher. Le premier se rapporte ŕ lamour du prochain, parce que cet amour est premier dans lordre de la réalisation 77; le second ŕ lamour de Dieu, qui est premier dans lordre de ce que nous devons faire.
Le premier ordre, "PRENDS TON GRABAT", revient donc ŕ dire : lorsque tu es malade, ton prochain te soutient, il a compassion de toi et te soulage, comme fait le grabat pour linfirme. Nous devons, nous qui sommes plus forts, porter les faiblesses de ceux qui nont pas cette force, et ne pas chercher ce qui nous plaît 78. Quand donc tu as été guéri, PRENDS TON GRABAT, cest-ŕ-dire soutiens et supporte ton prochain qui te portait quand tu étais faible : Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ 79.
Quant au second ordre, "MARCHE", il sous-en tend : en tapprochant de Dieu. Cest pourquoi le psalmiste, aprčs avoir dit : Ils iront de vertu en vertu, ajoute : Il sera vu, le Dieu des dieux, dans Sion 80. Marchez tant que vous avez la lumičre, de peur que les ténčbres ne vous saisissent 81.
73. Eph 5, 14.
74. Mic 7, 9.
75. Ps 83, 8.
76. Cf. op. cit., XVII, 8-9, pp. 93-99.
77. Cf. 1 Jean 4, 20 "Celui
qui naime pas son frčre quil voit, comment peut-il aimer Dieu quil ne voit
pas?"
ET
AUSSITOT LHOMME FUT GUERI, IL PRIT SON GRABAT, ET IL MARCHAIT.
719. LEvangéliste rapporte ici ŕ la fois lobéissance de la nature et celle de la volonté. Dabord celle de la nature : AUSSITOT LHOMME FUT GUERI A cela rien détonnant, puisque cest par le Verbe Lui-męme que le ciel et la terre ont été faits : Lui-męme a dit, et tout a été fait 82. Par la parole du Seigneur, les cieux ont été affermis 83. Ensuite, lobéissance de la volonté : IL PRIT SON GRABAT, ET IL MARCHAIT. Tout ce qua prescrit le Seigneur, nous le ferons, et nous serons obéissants 84.
9b Or
cétait le sabbat ce jour-lŕ. 10 Les Juifs disaient donc ŕ celui qui avait été
guéri : "Cest le sabbat, il ne test pas permis de porter ton grabat. "
11 Il leur répondit : "Celui qui ma guéri, cest lui qui ma dit : Prends
ton grabat et marche. " 12 Ils linterrogčrent donc : "Qui est cet
homme, qui ta dit" Prends ton grabat et marche?" 1 celui qui avait
été guéri ne savait pas qui cétait : Jésus en effet sétait éloigné de la
foule assemblée en ce lieu. 14 Aprčs cela, Jésus le trouva dans le Temple et
lui dit : "Voilŕ que tu as été guéri; désormais ne pčche plus, de peur
quil ne tarrive quelque chose de pire. " sen alla et annonça aux Juifs
que cétait Jésus qui lavait guéri. 16 pourquoi les Juifs persécutaient Jésus
: parce quIl fai sait cela un jour de sabbat. 17 Mais Jésus leur répondit :
"Mon Pčre travaille jusquŕ maintenant, et moi aussi je travaille. "
18a A cause de cela les Juifs cherchaient encore plus ŕ Le tuer : parce que non
seulement Il violait le sabbat, mais encore Il disait que Dieu était son Pčre,
se faisant légal de Dieu.
720. Aprčs avoir rapporté [n° 699] un miracle visible manifestant la puissance qua le Christ de restaurer la vie spirituelle, lEvangéliste montre maintenant ce qui fut loccasion de lenseignement du Christ : la persécution provoquée contre Lui par les Juifs.
I
OR
CETAIT LE SABBAT CE JOUR-LA. LES JUIFS DI SAIENT DONC A CELUI QUI AVAIT ETE
GUERI "CEST LE SABBAT, IL NE TEST PAS PERMIS DE PORTER TON GRABAT. "
IL LEUR REPONDIT : "CE LUI QUI MA GUERI, CEST LUI QUI MA DIT : PRENDS
TON GRABAT ET MARCHE. " iLS LINTERROGERENT DONC : "QUI EST CET
HOMME, QUI TA DIT : PRENDS TON GRABAT ET MARCHE?" MAIS CELUI QUI AVAIT
ETE GUERI NE SAVAIT PAS QUI CETAJT : JESUS EN EFFET SETAIT ELOIGNE DE LA
FOULE ASSEMBLEE EN CE LIEU. APRES CELA, JESUS LE TROUVA DANS LE TEMPLE ET LUI
DIT : "VOILA QUE TU AS ETE GUERI; DES ORMAIS NE PECHE PLUS, DE PEUR QUIL
NE TARRIVE QUEL QUE CHOSE DE PIRE. " LHOMME SEN ALLA ET ANNONÇA AUX
JUIFS QUE CETAIT JESUS QUI LAVAIT GUERI VOILA POURQUOI LES JUIFS
PERSECUTAIENT JESUS : PARCE QUIL FAISAIT CELA UN JOUR DE SABBAT.
Cette persécution eut chez les Juifs envieux du Christ une double cause : son uvre de miséricorde et son enseignement de la vérité [n° 737]. LEvangéliste commence donc par montrer comment luvre de miséricorde du Christ fut occasion de persécution. Pour cela il en indique la circonstance [n° 721], puis il rapporte les accusations abusives portées dabord contre linfirme guéri [n° 722] et ensuite contre le Christ [n° 725].
78. Ro 15, 1.
79. Ga 6, 2.
80. Ps 83, 8.
81. Jean 12, 35.
82. Ps 148, 5.
83. Ps 32, 6.
84. Ex 24, 7.
OR CETAIT LE SABBAT CE JOUR-LA.
721. Loccasion de la persécution suscitée contre le Christ fut le fait quIl avait guéri un jour de sabbat; cest pourquoi lEvangéliste souligne que CETAIT LE SABBAT CE JOUR-LA, oů Jésus fit le miracle au cours duquel Il ordonna ŕ linfirme de prendre son grabat.
Pourquoi le Seigneur se mit-Il ŕ luvre le jour du sabbat? On donne ŕ cela trois raisons. Lune est don née par Ambroise 1 le Christ, dit-il, est venu pour restaurer luvre de la création qui avait été défigurée, cest-ŕ-dire lhomme. Il devait donc commencer le jour oů le Créateur avait parfaitement achevé son uvre créatrice. Or ce jour fut celui du sabbat; cest pourquoi, afin de montrer quIl venait restaurer toute la création, le Christ commença ŕ partir du sabbat.
La seconde raison est que le jour du sabbat est célébré par les Juifs en mémoire de la premičre création. Or le Christ est venu pour réaliser comme une nouvelle créature : Dans le Christ Jésus la circoncision nest rien, ni lincirconcision, mais la créature nouvelle 2, et cette création nouvelle est une re-création par la grâce, qui se fait par lEsprit Saint : Tu enverras ton esprit, et ils seront créés, et tu renouvelleras la face de la terre 3. Voulant donc montrer que la recréation se fait par Lui, le Christ travaille le jour du sabbat Cest de sa propre volonté quil nous a engendrés par la parole de vérité, afin que nous soyons comme les prémisses de ses créatures 4.
La troisičme raison est que le Christ voulait montrer quIl accomplirait ce que la Loi ne pouvait faire : Ce qui était impossible ŕ la Loi, que la chair rendait impuissante, Dieu la fait : en envoyant son propre Fils dans une chair semblable ŕ celle du péché et pour le péché, il a condamné le péché dans la chair, afin que la justification de la Loi saccomplît en nous 5.
Or les Juifs ne faisaient aucun travail durant le sabbat, pour exprimer dune maničre symbolique que certaines choses qui étaient propres au sabbat devaient ętre accomplies, qui ne pouvaient pas ętre réalisées par la Loi. On le voit manifestement dans les quatre choses que fit la Sagesse de Dieu 6, légard du jour du sabbat : ce jour, Dieu le sanctifia, Il le bénit, Il y acheva ses uvres et Il sy reposa 7. Or la Loi ne pouvait rien faire de cela. Elle ne pouvait pas sanctifier, et cest pour quoi le psalmiste disait Sauve-moi, Seigneur, car il ny a plus de saint 8. Elle ne pouvait pas non plus bénir; bien au contraire, tous ceux qui sappuient sur les uvres de la Loi sont sous la malédiction 9. Elle ne pouvait pas non plus achever et parfaire, car la Loi na rien amené ŕ la perfection 10, ni enfin accorder le parfait repos, car si Josué leur avait donné le repos, David nau rait pas parlé dun autre jour aprčs celui-lŕ 11.
Mais ce que la Loi na pu faire, le Christ la fait : Il a sanctifié le peuple par sa Passion : Jésus Lui-męme, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte 12. Il la béni Lui-męme en répandant la grâce : Béni soit le Dieu et Pčre de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle, aux cieux, dans le Christ 13. Il la mené ŕ la perfection en lui enseignant la justice parfaite : Soyez parfaits comme votre Pčre céleste est parfait 14. Il la introduit dans le vrai repos : Nous entrerons dans le repos, nous qui avons cru 15, alors que le psaume disait : Comme je lai juré dans ma colčre, ils nentreront pas dans mon repos 16. Travailler le jour du sabbat revient donc ŕ Celui-lŕ męme qui peut accomplir ce qui appartient au sabbat, et devant quoi la Loi demeurait impuissante.
1. Voir Traité sur lEvang. De S. Luc, IV, 58, SC 45, pp. 174-175.
2. Ga 6, 15.
3. Ps 103, 30.
4. Ja 1, 18.
5. Ro 8, 3-4.
6. Littéralement" que Dieu ordonna"; mais ordonner (au
sens fort que saint Thomas donne ŕ ce terme) est le propre de la Sagesse.
7. Cf. Gn 2, 2. 3.
8. Ps 11, 1.
9. Ga 3, 10.
10. He 7, 19.
11. He 4, 8-9.
12. He 13, 12.
13. Eph 1, 3.
14. Mt 5, 48.
15. He 4, 3.
16. Ps 4, 9.
LES
JUIFS DISAIENT DONC A CELUI QUI AVAIT ETE GUERI "CEST LE SABBAT, IL NE
TEST PAS PERMIS DE PORTER TON GRABAT. " IL LEUR REPONDIT : "CELUI
QUI MA GUERI, CEST LUI QUI MA DIT : PRENDS TON GRABAT ET MARCHE. "
722. LEvangéliste expose maintenant laccusation abusive portée contre celui qui a été guéri [n° 723]; aprčs quoi il rapportera la maničre dont il se justifie [n° 724].
LES
JUIFS DISAIENT DONC A CELUI QUI AVAIT ETE GUERI "CEST LE SABBAT, IL NE
TEST PAS PERMIS DE PORTER TON GRABAT. "
723. Par ces mots les Juifs accusent abusivement cet homme, non pas davoir été guéri le jour du sabbat, mais de porter son grabat ce jour-lŕ. On peut trouver ŕ cela plusieurs raisons.
La premičre est que les Juifs, ayant fréquemment accusé le Christ de guérir le jour du sabbat, avaient été confondus par Lui, du fait queux-męmes retiraient leurs bętes du puits ce jour-lŕ pour les sauver 17. Cest pour quoi ils gardent le silence au sujet de la guérison, comme ŕ légard dune chose utile et nécessaire; mais ils accu sent lhomme de porter son lit, ce qui ne leur semblait pas nécessaire. Cest comme sils disaient : "Admettons que cette guérison navait pas ŕ ętre différée; mais quelle nécessité y avait-il de porter ce grabat ou de donner lordre de le porter?" 18
Une autre raison est que le Seigneur avait dit, met tant ainsi fin ŕ leurs objections, qu il est permis de f aire le bien le jour du sabbat 19. Cest pourquoi ils accu sent celui qui a été guéri plutôt que lauteur de la guérison, car ętre guéri, ce nest pas faire le bien, mais en ętre lobjet.
Une troisičme raison est que, sil était universellement interdit aux Juifs, dans la Loi, de travailler le jour du sabbat, il leur était tout spécialement défendu de porter un fardeau ce jour-lŕ : Ne portez point de fardeau le jour du sabbat 20. Cest pourquoi ils reprochčrent spécialement ce transport le jour du sabbat, comme étant contraire ŕ la prescription du prophčte.
Cependant ce commandement du prophčte a une va leur mystique : en leur défendant de porter les fardeaux, il voulait les amener ŕ se reposer le jour du sabbat du fardeau des péchés, dont le psalmiste dit : Comme un fardeau pesant, mes iniquités se sont appesanties sur moi 21. Cest pourquoi, comme le temps était venu de transformer les figures cachées, le Christ ordonne ŕ lhomme de porter son grabat, cest-ŕ-dire de soutenir son prochain dans ses infirmités Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ 22.
17. Cf Luc 14, 5.
18. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in b. XVII,
10, BA 72, pp. 99-101.
19. Mt 12, 12.
20. Jr. 17, 21.
IL
LEUR REPONDIT : "CELUI QUI MA GUERI, CEST LUI QUI MA DIT : PRENDS
TON GRABAT ET MARCHE. "
724. Cest ainsi que se justifie celui qui a été guéri. Il se justifie du reste avec sagacité : jamais, en effet, lorigine divine dun enseignement nest aussi bien confirmée que par la réalisation manifeste de miracles, qui ne peuvent ętre opérés sans une intervention divine Et eux, étant partis, pręchčrent partout, le Seigneur uvrant avec eux et confirmant leur parole par les signes qui laccompagnaient 23. Cest pourquoi, ŕ ceux qui accusaient lauteur de sa guérison, cet homme objectait : "CELUI QUI MA GUERI, CEST LUI QUI MA DIT : PRENDS TON GRABAT ET MARCHE"; comme sil disait : "Vous, vous dites quil est interdit de porter un fardeau le jour du sabbat," et ce en vertu de lautorité divine; mais ŕ moi, cette męme autorité ma ordonné de prendre mon grabat; en effet, CELUI QUI MA GUERI et qui, en me rendant la santé, ma montré quil a une puissance divine, MA DIT : PRENDS TON GRABAT ET MARCHE. Aussi, aux commandements de celui qui a une si grande puissance et qui ma accordé un tel bien fait, je suis tenu ŕ juste titre dobéir. "Jamais je noublierai tes préceptes, dit le psalmiste, car par eux tu mas fait vivre." 24.
21. Ps 37, 5.
22. Ga 6, 2.
23. Mc 16, 20.
24. Ps 118, 93.
ILS
LINTERROGERENT DONC : "QUI EST CET HOMME QUI TA DIT : PRENDS TON GRABAT
ET MARCHE?" MAIS CELUI QUI AVAIT ETE GUERI NE SAVAIT PAS QUI CETAIT :
JESUS EN EFFET SETAIT ELOIGNE DE LA FOULE ASSEMBLEE EN CE LIEU. APRES CELA,
JESUS LE TROUVA DANS LE TEMPLE ET LUI DIT : "VOILA QUE TU AS ETE GUERI;
DESORMAIS, NE PECHE PLUS, DE PEUR QUIL NE TARRIVE QUELQUE CHOSE DE PIRE. "
LHOMME SEN ALLA ET ANNONÇA AUX JUIFS QUE CETAIT JESUS QUI LAVAIT GUERI
725. Ne pouvant plus rien contre lhomme guéri, les Juifs sefforcent daccuser le Christ qui lavait guéri lhomme en effet sétait déchargé sur Lui; et comme il navait pas indiqué avec précision qui Il était, ceux-ci linterrogeaient avec malveillance pour le savoir. LEvangéliste nous montre donc maintenant les Juifs recherchant le Christ [n° 726], Le trouvant [n° 729] et Le persécutant [n° 736].
ILS
LINTERROGERENT DONC : "QUI EST CET HOMME QUI TA DIT : PRENDS TON GRABAT
ET MARCHE?" MAIS CELUI QUI AVAIT ETE GUERI NE SAVAIT PAS QUI CETAIT :
JESUS EN EFFET SETAIT ELOIGNE DE LA FOULE ASSEMBLEE EN CE LIEU.
726. En ce qui concerne la recherche du Christ, lEvangéliste montre lenquęte faite par les Juifs [n° 726], puis lignorance de lhomme guéri [n° 727], enfin la cause de son ignorance [n° 728].
Les Juifs LINTERROGERENT
DONC, non pas dans une bonne intention, pour progresser, mais par malveillance,
pour persécuter Jésus et Le perdre Vous me chercherez, et vous mourrez dans
votre péché 25. Leurs paroles manifestent bien leur malveillance. En effet, alors que
le Seigneur avait ordonné au malade de guérir et de prendre son grabat, ils
passent sous silence ce qui est un signe révélateur et irrécusable de la
puissance divine, et ne relčvent que ce qui leur semble contraire ŕ la Loi, en
disant : "QUI EST CET HOMME, QUI TA DIT PRENDS TON GRABAT ET
MARCHE?" Changeant le bien en mal, il dresse des embűches, et il
marquera dune tache (cest-ŕ-dire il sefforce de marquer dune tache) les
choses les plus pures 26.
727. MAIS CELUI QUI AVAIT
ETE GUERI NE SA VAIT PAS QUI CETAIT. Cet homme rendu ŕ la santé représente les
croyants guéris par la grâce du Christ : Cest par la grâce que vous avez été
sauvés 27. Ceux-lŕ ignorent en réalité qui est le Christ, ils ne Le connaissent
que par leffet [de son action en eux] Tant que nous sommes dans ce corps, nous pérégrinons loin du Seigneur
: car cest par la foi que nous marchons, et non par une claire vision 28. Mais quand
nous Le verrons tel quil est 29, alors nous saurons qui est le Christ.
728. La cause de lignorance de cet homme est indiquée par ces mots : JESUS EN EFFET SETAIT ELOIGNE DE LA FOULE ASSEMBLEE EN CE LIEU. A cela il y a une cause littérale et une cause mystique.
Une cause littérale, de deux maničres : en premier lieu, Jésus voulait nous donner lexemple de cacher nos bonnes uvres et de ne pas rechercher par elles la faveur des hommes : Gardez-vous daccomplir votre justice devant les hommes pour ętre vus deux 30. Ensuite, Il voulait nous inviter ŕ fuir et ŕ éviter les regards des envieux dans toutes nos uvres, de peur quŕ cause delles leur envie ne saccroisse 31. Ne résiste pas en face ŕ linsolent, de peur quil ne se tienne en embuscade devant tes lčvres 32.
Quant ŕ la cause mystique, elle est double également. Le Christ voulait nous faire comprendre quon ne Le trouve pas facilement dans la foule des hommes et dans le tourbillon des soucis temporels, mais dans la retraite spirituelle 33 Je vais la conduire au désert, et lŕ je parlerai ŕ son cur 34. En effet, les paroles des sages sont entendues dans le silence 35, comme le dit lEcclésiaste. Ensuite, le Christ voulait nous faire entendre quIl devait séloigner des Juifs pour aller vers les nations : [Le Seigneur] cache momentanément sa face ŕ la maison de Jacob 36, cest-ŕ-dire quIl a retiré la connaissance de sa vérité ŕ la maison de Jacob.
25. Jean 8, 21.
26. Sir 11, 33.
27. Eph 2, 8.
28. 2 Co 5, 6-7.
29. 1 Jean 3, 2.
30. Mt 6, L
31. Cf. SAINT JEAr CHRYSOSTOME, In
loannem hom., 37, ch. 2, PG 59, col. 210.
32. Sir 8, 14.
33. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XVII,
11, p. 101.
34. Os 2, 14.
35. Qo 9, 17.
36. Isaďe 8, 17. Le "momentanément" ne figure ni dans
la Vulgate, ni dans la Vetus latina.
APRES
CELA, JESUS LE TROUVA DANS LE TEMPLE. ET LUI DIT : "VOILA QUE TU AS ETE
GUERI; DESORMAIS NE PECHE PLUS, DE PEUR QUIL NE TARRIVE QUELQUE CHOSE DE PIRE.
" LHOMME SEN ALLA ET ANNONÇA AUX JUIFS QUE CETAIT JESUS QUI LAVAIT
GUERI
729. LEvangéliste rapporte
ici comment on retrouve le Christ. Il dit dabord quon Le trouve [n° 730], puis quayant été trouvé, Il enseigne [n° 731]; enfin, quaprčs cet enseignement lhomme Le fait connaître [n° 735].
730. A propos de la découverte du Christ, l'Evangéliste indique la maničre dont lhomme Le trouve, et le lieu oů il Le trouve.
La maničre est admirable : on ne trouve pas le Christ si Lui-męme ne nous trouve; cest pourquoi il est dit APRES CELA, cest-ŕ-dire aprčs ce qui a été dit, JESUS LE TROUVA. Lhomme en effet, par ses propres forces, ne peut trouver le Christ si le Christ ne se présente ŕ lui. Cest pourquoi le psalmiste disait : Seigneur, cherche ton serviteur 37 ; et le livre de la Sagesse : [La Sagesse] prévient ceux qui la désirent ardemment, afin de se montrer ŕ eux la premičre 38.
Quant au lieu oů on Le trouve, il est vénérable, car cest DANS LE TEMPLE Le Seigneur est dans son Temple saint. Sa mčre aussi le trouva au Temple, et cela parce quil fallait quIl fűt aux affaires de son Pčre 40. Il nous est par lŕ donné ŕ entendre que lhomme guéri ne sest pas converti ŕ la vanité, mais au zčle de la religion; fréquentant le Temple, il y reconnaît le Christ 41. En effet, si nous voulons parvenir ŕ la connaissance du Créateur, il nous faut fuir le tumulte des affections mauvaises, nous éloigner des assemblées des méchants et fuir dans le temple de notre cur, que Dieu daigne visiter et habiter 42.
37. Ps 118, 176.
38. Sag 6, 14.
39. Ps 10, 5.
40. Luc 2, 49.
41. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, op. cil., 38, ch. 1, col. 213.
731. Celui qui a été trouvé
dans le Temple donne maintenant son enseignement : "VOILA QUE TU AS ETE
GUERI; DESORMAIS NE PECHE PLUS." Il rap pelle dabord le bienfait reçu
[n° 732],
puis donne un sage conseil [n°
733]; enfin Il montre un danger imminent [n° 734].
732. Pour ce qui est du
bienfait, il est admirable ce fut en effet le rétablissement immédiat de la
santé. Aussi convient-il de toujours le garder dans sa mémoire : Je me souviendrai
des miséricordes du Seigneur 43.
733. Quant au conseil DESORMAIS NE PECHE PLUS , il est utile. Mon fils, as-tu péché? Ne recommence plus, dit lEcclésiastique. 44
Mais pourquoi le Seigneur parle-t-Il des péchés ŕ ce paralytique ainsi quŕ certains de ceux quIl a guéris, et pas aux autres? 45 Cest afin de montrer que pour certains les maladies proviennent de péchés passés : Quiconque mange [ce pain] et boit indignement [ce vin] mange et boit son propre jugement, ne discernant pas le Corps du Seigneur. Cest pourquoi il y a parmi vous beaucoup dinfirmes et de débiles, et que beaucoup dorment 46. Par lŕ également Il montre quIl est Dieu, en dévoilant les péchés et les secrets des curs : Lenfer et labîme sont devant le Seigneur; combien plus les curs des fils des hommes? 47 Cest donc ŕ ces derniers seulement quIl parle de leurs péchés, et non aux autres, qui ont été guéris aussi par Lui, car toutes les maladies ne surviennent pas ŕ cause de péchés antérieurs, mais certaines proviennent dune mauvaise disposition naturelle, dautres sont envoyées comme des épreuves ce qui fut le cas de Job. Ou bien le Christ ne fit mention de leurs péchés quŕ ceux qui étaient davantage préparés ŕ la correction : Ne reprends pas le railleur, de peur quil ne te haďsse. Reprends le sage et il taimera 48. Ou encore, en donnant ŕ certains le commandement de ne plus pécher, Il sadressa ŕ tous les autres.
42. Cf. ALCUIN, Comm. in S. Ioannis
Evang., 3, ch. 9, PL 100, col. 806 D-807 A.
43. Isaďe 63, 7.
44. Sir 21, 1.
45. Voir SAINT JEAN CHRYSOSTOME, op. cit., 38, ch. 1-2, col. 211-213.
46. 1 Corinthiens 11, 29-30.
47. Prov 15, 11.
734. Le danger imminent, enfin, était terrible. Cest pourquoi le Christ ajoute : DE PEUR QUIL NE TARRIVE QUELQUE CHOSE DE PIRE. Cela peut sentendre de deux maničres, selon les deux événements qui ont précédé dans la vie de cet homme : il fut dabord puni par une longue maladie, puis il obtint un grand bienfait. La parole du Christ peut donc se référer ŕ lun comme ŕ lautre fait.
Elle peut se référer au premier; car lorsque quel quun est puni pour un péché et que sa punition ne le fait pas se retirer du péché, il est juste quil soit puni plus sévčrement 49. Aussi le Christ dit-Il : DESORMAIS NE PECHE PLUS, car si tu pčches il tarrivera QUELQUE CHOSE DE PIRE. En vain jai frappé vos enfants : ils nont pas reçu la correction 50.
Mais elle peut aussi se
référer au second; car celui qui, aprčs avoir reçu des bienfaits, retombe dans
le péché, devient passible dun châtiment plus lourd ŕ cause de son ingratitude
: Il eűt mieux valu pour eux ne pas connaître la voie de la justice, que de
lavoir connue et de revenir ensuite en arričre, séloignant du saint
commandement qui leur avait été donné 51. En outre, aprčs ętre retourné une fois au péché, lhomme pčche plus
facilement : Le dernier état de cet homme devient pire que le premier 52. Dčs les
temps anciens tu as brisé mon joug, tu as rompu mes liens et tu as dit : Je ne
servirai pas 53.
735. Aprčs cela, lhomme
fait connaître Celui qui a été trouvé : LHOMME SEN ALLA ET ANNONÇA AUX JUIFS
QUE CETAIT JESUS QUI LAVAIT GUERI Selon certains on peut comprendre, comme
le dit Chrysostome 54, que cest par malveillance quil Laurait fait connaître; mais il ne
paraît pas probable quaprčs un si grand bienfait lhomme se soit montré si
ingrat. IL ANNONÇA donc AUX JUIFS QUE CETAIT JESUS QUI LAVAIT GUERI, afin de
faire connaître la puissance quavait le Christ de guérir : Venez, écoutez,
vous tous qui craignez Dieu, et je raconterai quelles grandes choses. Il a
faites pour mon âme 55. Cela est manifeste, car les Juifs lui ont demandé qui lui avait
ordonné de porter son grabat, et lui leur a annoncé QUE CETAIT JESUS QUI
LAVAIT GUERI
736. Enfin, en disant : VOILA POURQUOI LES JUIFS PERSECUTAIENT JESUS : PARCE QUIL FAISAIT CELA UN JOUR DE SABBAT, lEvangéliste souligne que si les Juifs persécutent le Christ, cest en raison dune uvre de miséricorde accomplie durant le sabbat : Des grands mont persécuté sans raison 56.
48. Prov 9, 8.
49. Voir SAINT JEAN CHRYSOSTOME, op. cit., 38, eh. 1, col. 211.
50. Jérémie 2, 30.
51. 2 Pe 2, 21.
52. Mt 12, 45.
53. Jérémie 2, 20.
54. Op. cit., 38, ch. 2, col. 213-214.
55. Ps 65, 16.
56. Ps 118, 161.
II
MAIS
JESUS LEUR REPONDIT" MON PERE TRA-[VAILLE JUS QUA MAINTENANT, ET MOI
AUSSI JE TRAVAILLE. " A CAUSE DE CELA LES JUIFS CHERCHAIENT ENCORE PLUS A
LE TUER : PARCE QUE NON SEULEMENT IL VIOLAIT LE SABBAT, MAIS ENCORE IL DISAIT
QUE DIEU ETAIT SON PERE, SE FAISANT LEGAL DE DIEU.
737. LEvangéliste donne maintenant la seconde cause de la persécution : lenseignement du Christ. Il expo se dabord lenseignement de la vérité [n° 738], puis la persécution due ŕ la perversité juive [n° 741].
[17]
MAIS JESUS LEUR REPONDIT : "MON PERE TRAVAILLE JUSQUA MAINTENANT, ET MOI
AUSSI JE TRAVAILLE. "
738. Le Seigneur donne lenseignement de la vérité en se justifiant de la violation du sabbat 57. Mais il faut noter que, de cette violation, tantôt Il sest justifié Lui-męme, tantôt Il a justifié ses disciples. Parce que ceux-ci nétaient que des hommes, Il les a justifiés en les comparant ŕ des hommes, cest-ŕ-dire en prenant lexemple des prętres qui travaillaient dans le Temple le jour du sabbat sans le violer 58, et aussi de David qui, fuyant devant Saül un jour de sabbat, au temps du prętre Abiathar, prit dans le Temple les pains de proposition. 59 Mais Lui-męme, parce quIl était homme et Dieu, sest justifié de la violation du sabbat tantôt en se comparant ŕ des hommes Lequel dentre vous, si son âne ou son buf tombait dans un puits, ne len retirerait pas aussi tôt, męme le jour du sabbat? 60 , tantôt, et spécialement en cet endroit, en se comparant ŕ Dieu : MON PERE TRAVAILLE JUSQUA MAINTENANT, ET MOI AUSSI JE TRAVAILLE comme sIl disait : Ne pensez pas que mon Pčre se soit reposé le jour du sabbat de maničre telle que depuis Il ne travaille plus; mais de męme que Lui, maintenant encore, travaille sans labeur, de męme MOI AUSSI JE TRAVAILLE. Par lŕ, Il écarte la fausse interprétation des Juifs qui, voulant imiter Dieu, ne faisaient rien le jour du sabbat, comme si Dieu en ce jour-lŕ avait tout ŕ fait cessé de travailler. Certes, Dieu sest reposé le jour du sabbat en ce sens quIl a cessé de faire des créatures nouvelles; mais Il nen continue pas moins ŕ TRAVAILLER JUSQUA MAINTENANT, en conservant les créatures dans lętre. Si donc Moďse a expressément employé le mot "repos" aprčs avoir énuméré les uvres de Dieu, en disant quIl se reposa 61 de les avoir créées, cest pour désigner le repos spirituel que Dieu, dans un signe mystérieux, avait promis de donner aux croyants, ŕ lexemple de son propre repos, aprčs les bonnes uvres quils auraient faites. Aussi peut-on dire que le commandement concernant le sabbat fut donné comme lombre des choses ŕ venir 62.
57. Voir SAINT JEAN CHRYSOSTOME, op. cit., 38, ch. 2-3, col. 214.
215, et SAINT AUGUSTIN, op. cit., XVII, 15 et XX, 2, pp. 109-111 et 227-231;
Sermo 125, 4, PL 38, col. 692; De Genesi ad litteram, IV, eh. X-XII, § 20-23,
BA 48, pp. 305-311. Pour saint Augustin, le repos du septičme jour peut aussi
désigner le repos de Jésus au sépulcre aprčs lachčvement de toutes les uvres
annoncées par les prophčtes" Pourquoi donc sétonner que, voulant annoncer
męme de cette maničre-lŕ le jour oů le Christ se reposerait dans le sépulcre,
Dieu se soit reposé de ses uvres en ce seul jour avant dopérer le déroulement
des sičcles, de telle sorte que soit également vraie cette parole : "Mon
Pčre travaille jusquŕ maintenant" (Jean 5, 17)?" (De Gen. ad litt.,
IV, eh. XI, § 21, BA 48, p. 306). Voir également Tract, in b. XVII, 15, pp. 107-109.
58. Mt 12, 5.
739. Remarquons que le Christ dit expressément : MON PERE TRAVAILLE JUSQUA MAINTENANT, et non "Il a travaillé", pour montrer la continuité de luvre divine. On pourrait en effet imaginer que Dieu est la cause du monde ŕ la maničre dont lartisan est la cause dune maison, seulement quant ŕ son devenir. Ainsi, de męme que la maison demeure męme quand cesse le travail de lartisan, le monde aussi pourrait subsister si linflux divin venait ŕ cesser. Mais, comme le dit Augustin 63, Dieu est cause du devenir de toutes les créatures de maničre telle quIl est aussi cause de leur subsistance; car si sa puissance cessait un instant, en męme temps cesserait leur détermination essentielle, et toute la nature sécroulerait de męme que lair nest illuminé quaussi longtemps que la lumičre du soleil y demeure. En voici la raison : les réalités qui ont une cause quant au devenir seulement, peuvent subsister quand la cause cesse; par contre, celles dont la cause nest pas seulement cause de leur devenir, mais aussi de leur subsistance, ont besoin dętre conservées continuellement par cette cause.
59. Mc 2, 25-26. Cf. 1 Sam 21, 2-7. Saint Thomas (selon le texte
de lédition léonine), nomme ici Abiathar, comme saint Marc et le livre de
Samuel; en réalité lépisode eut lieu, non pas au temps dAbiathar, mais au
temps dAbimélek, son pčre.
60. Luc 14, 5.
61. Gn 2, 2.
62. Cf. Col 2, 17.
740. En disant MON PERE TRAVAILLE JUSQUA MAINTENANT, le Christ écarte aussi lopinion de certains, qui prétendent que Dieu produit les réalités par lintermédiaire de causes secondes, ce qui va ŕ lencontre de cette affirmation : Seigneur, toutes nos uvres, cest toi qui les as opérées pour nous 64. Ainsi donc, MON PERE, en fondant la nature au commencement, TRAVAILLE JUSQUA MAINTENANT en la maintenant et en la conservant par la męme opération, ET MOI AUSSI JE TRAVAILLE, car je suis le Verbe du Pčre par lequel Il opčre toutes choses : Dieu dit : "Que la lumičre soit", et la lumičre fut 65. Ainsi, de męme que cest par son Verbe quIl a fondé au commencement les réalités, de męme cest par Lui quIl les conserve. Si donc Lui-męme TRAVAILLE JUSQUA MAINTENANT, MOI AUS SI JE TRAVAILLE, parce que je suis le Verbe du Pčre par qui toutes choses sont faites et conservées 66.
63. De Gen. ad litt., IV, ch. XII, § 22, p. 309.
64. Isaďe 26, 12.
65. Gn 1, 3.
A
CAUSE DE CELA LES JUIFS CHERCHAIENT ENCORE PLUS A LE TUER : PARCE QUE NON SEULEMENT
IL VIOLAIT LE SABBAT, MAIS ENCORE IL DISAIT QUE DIEU ETAIT SON PERE, SE FAISANT
LEGAL DE DIEU.
741. LEvangéliste rapporte maintenant la persécution occasionnée par lenseignement : ŕ cause de cet enseignement, LES JUIFS CHERCHAIENT ENCORE PLUS, cest-ŕ-dire avec une plus grande impatience et un zčle plus agité, ŕ LE TUER.
Deux crimes, en effet, étaient punis de mort dans la Loi : le crime de la violation du sabbat cest pour quoi celui qui ramassa du bois le jour du sabbat fut lapidé 67, et celui du blasphčme : Conduis hors du camp le blasphémateur (...), et que tout le peuple le lapide 68. Or les Juifs considéraient comme un blasphčme le fait quun homme se dit ętre Dieu : Ce nest pas pour une bonne uvre que nous te lapidons, mais cest pour un blasphčme : parce que toi, alors que tu es homme, tu te fais Dieu 69. Et ils imputaient au Christ ces deux crimes : le premier, de violer le sabbat, lautre, de se dire égal ŕ Dieu.
Cest pourquoi lEvangéliste dit : A CAUSE DE CELA LES JUIFS CHERCHAIENT ENCORE PLUS A LE TUER : PARCE QUE NON SEULEMENT IL VIOLAIT LE SABBAT, MAIS ENCORE IL DISAIT QUE DIEU ETAIT SON PERE. Cependant, comme dautres justes appellent aussi Dieu leur Pčre Tu mappelleras "Pčre" 70 les Juifs ne se contentent pas de dire quIL DISAIT QUE DIEU ETAIT SON PERE, mais ils ajoutent ce qui relčve du blasphčme SE FAISANT LEGAL DE DIEU, ce quils déduisent de ses paroles MON PERE TRAVAILLE JUSQUA MAINTENANT, ET MOI AUSSI JE TRAVAILLE. Lŕ, en effet, Il appelle Dieu son Pčre dune maničre unique, pour donner ŕ entendre que le Pčre est son Pčre par nature, tandis quIl nest celui des autres que par adoption. Cest ce quIl fait aussi en disant plus loin Je monte vers mon Pčre par nature et votre Pčre par grâce 71.
En outre, Il dit quIl travaille comme Lui, réfutant par lŕ laccusation des Juifs concernant la violation du sabbat ce qui ne serait pas une réponse convenable sIl navait en travaillant une autorité égale ŕ celle de Dieu. Cest pour cela que les Juifs disent quIl se fait LEGAL DE DIEU 72.
66. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in b. XVII,
15, pp. 109. 111.
67. Voir Nomb 15, 32-36.
68. Lev 24, 14.
69. Jean 10, 33.
70. Jérémie 3, 19.
71. Jean 20, 17.
72. Voir SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
loannem hom., 38, ch. 2, col.
742. Grand est laveuglement des Ariens 73 disant que le Christ est inférieur ŕ Dieu le Pčre, ils ne comprennent pas, dans ces paroles du Seigneur, ce que les Juifs, eux, comprennent 74. Mais les Ariens disent que le Christ ne sest fait pas fait légal de Dieu, alors que les Juifs Le suspectent de cela.
Or, par ce qui est dit dans le texte męme, il est manifeste quil en est autrement. LEvangéliste dit en effet que les Juifs persécutaient le Christ parce quIL VIOLAIT LE SABBAT et parce quIl appelait Dieu SON PERE et se faisait LEGAL DE DIEU. Ces deux choses que le Christ a faites, [le jour du sabbat et appeler Dieu son Pčre], lEvangéliste les rapporte et ajoute avec raison : SE FAISANT LEGAL DE DIEU. Ou bien donc le Christ est un menteur, ou bien Il est égal ŕ Dieu; mais sIl est LEGAL DE DIEU, alors le Christ est Dieu par nature.
73. Cf. n° 61 (vol. I, 2e éd.), note 62,
pp. 108-109.
74. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in b. XVII, 16, pp. 111-113 "Voilŕ donc que les Juifs comprennent ce que ne comprennent
pas les Ariens, car les Ariens déclarent le Fils inégal au Pčre, et de ce fait
lhérésie agite lEglise. Voilŕ que les aveugles męmes, les meurtriers męmes du
Christ, ont compris pourtant les paroles du Christ. Ils nont pas compris qui
était le Christ, ils nont pas compris quIl était le Fils de Dieu, mais ils
ont compris que dans ces paroles il était question dun Fils de Dieu qui était
égal ŕ Dieu. Ils ignoraient qui Il était, mais ils reconnaissaient quIl se
proclamait tel, puisquil disait que Dieu était son Pčre, se faisant égal ŕ
Dieu. "
743. Si lEvangéliste dit
SE FAISANT LEGAL DE DIEU, ce nest pas que le Christ se soit fait Lui-męme
égal ŕ Dieu, puisquIl Lui était égal par la génération éternelle 75, mais il
exprime la pensée des Juifs qui, ne croyant pas que le Christ était par nature
le Fils de Dieu, comprirent daprčs ses paroles quIl se disait Fils de Dieu,
comme sIl voulait se faire égal ŕ Dieu, alors queux ne croyaient pas quIl le
fűt : Toi, alors que tu es homme, tu te fais Dieu 76, cest-ŕ-dire "tu
dis que tu es Dieu, mais nous comprenons que cest toi-męme qui te fais
Dieu".
75. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., p. 113.
76. Jean 10. 33.
18b
Jésus répondit donc et leur dit : 19 "Amen, amen je vous le dis, le Fils
ne peut rien faire de Lui-męme si ce nest ce quIl a vu faire au Pčre. Car
tout ce que Celui-ci fait, cela le Fils aussi le fait pareillement. Le Pčre en
effet aime le Fils, et Il Lui montre tout ce quIl fait. "
744. LEvangéliste nous livre maintenant lenseignement du Christ concernant sa puissance vivificatrice. Il expose en premier lieu lenseignement lui-męme [n° 745]; ensuite il en donnera la confirmation [n° 799] En ce qui concerne lenseignement lui-męme, il rapporte dabord ce que dit le Christ de sa puissance vivificatrice en général [n° 745], puis ce quIl en dit de maničre plus précise [n° 755].
Pour révéler sa puissance vivificatrice, le Christ commence par en indiquer lorigine [n° 745], puis Il montre sa grandeur [n° 752]; enfin Il donne la raison de lune et de lautre [n° 753].
I
JESUS
REPONDIT DONC ET LEUR DIT : "AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, LE FILS NE PEUT
RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE NEST CE QUIL A VU FAIRE AU PERE. "
745. A propos de lorigine de la puissance du Christ, il faut avoir présent ŕ lesprit que les Ariens 1 sappuient sur ces paroles du Seigneur pour confirmer leur erreur, ŕ savoir que le Fils serait inférieur au Pčre. En effet, comme la dit l'Evangéliste, les Juifs persécutaient le Christ parce quIl se faisait légal de Dieu 2. Daprčs les Ariens, le Seigneur, voyant que les Juifs étaient troublés de cela et voulant dissiper ce trouble, aurait ajouté ces paroles afin de leur montrer quIl nétait pas égal au Pčre : "AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE NEST CE QUIL A VU FAIRE AU PERE" comme pour dire "Par mes paroles : Mon Pčre travaille jusquŕ maintenant, et moi aussi je travaille 3, nentendez pas que je travaille comme si je Lui étais égal, car de moi-męme je ne puis RIEN FAIRE." Puis donc que LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE NEST CE QUIL A VU FAIRE AU PERE, Il est assurément, disent les Ariens, inférieur au Pčre 4.
Mais cette maničre de comprendre les paroles du Christ est fausse et conduit ŕ lerreur; car si le Fils nétait pas égal au Pčre, alors Il ne serait pas un męme ętre avec Lui, ce qui va ŕ lencontre de ceci : Moi et le Pčre nous sommes un 5. En effet, linégalité sentend selon la grandeur; or celle-ci, dans les personnes divines, est lessence elle-męme. Cest pourquoi, si le Fils était inégal au Pčre, Il différerait de Lui selon lessence.
1. Cf. ci-dessus, n° 742, note 73.
2. Jean 5, 18 a.
3. Jean 5, 17.
4. Cf. SAINT AtJGUSTIN, Tract. in b. XVIII, 3, BA 72, pp. 125-127.
5. Jean 10, 30.
746. Pour saisir le vrai sens de ces paroles du Christ, il faut savoir que ce qui semble introduire une infériorité dans le Fils pourrait ętre considéré par certains comme étant dit du Christ selon la nature assumée, comme cette autre parole : Le Pčre est plus grand que moi 6. Selon cette interprétation, les paroles du Seigneur : LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI MEME SI CE NEST CE QUIL A VU FAIRE AU PERE devraient donc sentendre du Fils selon la nature assumée. Or cela est insoutenable, car il faudrait alors dire que tout ce que le Fils de Dieu a fait dans la nature assumée, le Pčre laurait fait auparavant; par exemple, Il aurait marché ŕ pied sec sur la mer, comme la fait le Christ 7, sinon il ne serait pas dit : SI CE NEST CE QUIL A VU FAIRE AU PERE.
Si lon disait, dautre part, que tout ce que le Christ a fait dans la chair, Dieu le Pčre la fait aussi en tant que le Pčre opčre en Lui Cest le Pčre, demeurant en moi, qui accomplit Lui-męme les uvres 8 , alors le sens du passage serait : LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE NEST CE QUIL A VU FAIRE AU PERE agissant en Lui, cest-ŕ-dire dans le Fils. Mais cela aussi est insoutenable, car alors on ne pourrait plus laccorder avec ce qui suit : TOUT CE QUE CELUI-CI FAIT, CELA LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT.
Jamais en effet, selon la nature assumée, le Fils na créé le monde comme le Pčre la créé. Ce nest donc pas ŕ la nature assumée quil faut rapporter les paroles du Christ.
6. Jean 14, 28.
7. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XX, 5, p 241.
8. Jean 14, 10.
9. Voir op. cit. XVII, 16 et XIX, 13, pp. 113 et 195.
747. Selon Augustin 9, il y a une autre maničre de comprendre ces expressions qui semblent introduire une infériorité dans le Fils, bien quen réalité elles ne le fassent pas : cest de les rapporter ŕ lorigine du Fils ŕ partir du Pčre. Car bien que le Fils soit égal au Pčre en toutes choses, Il tient cependant tout du Pčre par la génération éternelle, tandis que le Pčre ne tient rien [n° 18b-de personne, puisquIl est inengendré.
Les paroles du Christ
senchaînent donc ainsi avec ce qui précčde : Pourquoi ętes-vous scandalisés de
ce que jai appelé Dieu mon Pčre et me suis fait légal de Dieu? AMEN, AMEN JE
VOUS LE DIS, LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME; comme sIl disait : "Voici
de quelle maničre je suis égal au Pčre : je suis de Lui, et Lui nest pas de
moi; et tout ce que moi jai ŕ faire, je le tiens du Pčre" 10.
748. Selon cette
interprétation, il est donc fait mention dans ces paroles de la puissance du
Fils, par le verbe PEUT, et de son opération, par le verbe FAIRE. Cest
pourquoi on peut saisir lŕ deux choses : en premier lieu il nous est montré que
la puissance du Fils découle du Pčre [n° 749], et en second lieu que
lopération du Fils est conforme ŕ lopération du Pčre 11 [n° 751].
749. Le premier point, Hilaire lexplique de la maničre suivante 12. Le Seigneur a dit plus haut quIl était égal au Pčre. Mais certains hérétiques, sappuyant sur lautorité de lEcriture qui affirme lunité et légalité du Fils avec le Pčre, attribuent au Fils dętre inengendré, comme le font les Sabelliens 13 qui soutiennent que le Fils est identique au Pčre dans sa personne. Donc, pour que lon ne comprenne pas cela, le Christ dit : LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME. La puissance du Fils, en effet, est identique ŕ sa nature. Le Fils tient donc le pouvoir de Celui dont Il tient lętre; or Il tient lętre du Pčre Je suis sorti du Pčre 14 de qui Il tient également la nature : Il est Dieu de Dieu 15 tient donc de Lui le pouvoir 16.
Ainsi les paroles : LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE NEST QUIL A VU FAIRE AU PERE ne peuvent avoir que cette signification : le Fils, de męme quIl na lętre que par le Pčre, ne peut rien faire si ce nest par le Pčre. En effet, dans les réalités naturelles, toute chose reçoit le pouvoir dopérer de ce dont elle reçoit lętre : ainsi le feu reçoit le pouvoir de sélever de ce dont il reçoit la forme et lętre. Cependant ces paroles LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI MEME ne signifient pas linégalité, car elles se rapportent ŕ la relation, tandis que la question de légalité et de linégalité concerne la quantité.
10. Ce dernier passage est une citation presque littérale op. cit.,
XX, 4, p. 237.
11. Voir op. cit., XIX, 5, p, 167.
12. Voir De Trin., VII, 17-18 et 21, CCL vol. LXII, pp. 278-279 et 283.
13. Cf. n° 64 (vol. I, 2° éd., p. 111, note 69).
750. De ces paroles SI CE NEST CE QUIL A VU FAIRE AU PERE pourrait naître chez certains une interprétation fausse conduisant ŕ croire que le Fils fait CE QUIL A VU FAIRE AU PERE comme si, ce que le Pčre a accompli le premier, le Fils, aprčs lavoir vu, se mettait ŕ le faire ŕ la maničre de deux artisans, maître et disciple, ce dernier fabriquant un coffre de la façon dont il a vu faire son maître. Mais cela nest pas vrai pour le Verbe, car il est dit plus haut ŕ son sujet : Tout a été fait par Lui, et sans Lui rien na été fait 17 Il ny a donc rien que le Pčre ait fait de telle sorte que le Fils lait vu faire et sen soit instruit 18.
En réalité, ces paroles ont été dites pour indiquer la communication de la puissance au Fils par la génération, communication qui est désignée dune maničre vraiment convenable par le verbe "voir" (IL A VU), car cest par la vue et par louďe que la science se transmet dun autre ŕ nous. Cest en effet par la vue que nous recevons des réalités la science, et par louďe que nous la recevons des paroles. Or le Fils nest autre que la Sagesse engendrée : Moi, dit la Sagesse, je suis sortie de la bouche du Trčs-Haut, engendrée la premičre avant toute créature 19. Ainsi lémanation du Fils ŕ partir du Pčre nest autre que la communication de la Sagesse divine. Donc, puisque la vision désigne la transmission, ŕ partir dun autre, de la connaissance et de la sagesse, cest ŕ juste titre que la génération du Fils par le Pčre est désignée comme "vision", de sorte que pour le Fils, voir le Pčre FAIRE nest autre que procéder, selon une procession intelligible, du Pčre qui FAIT. On peut aussi, selon Hilaire 20, donner cette autre raison les paroles IL A VU ont pour but dexclure de la génération du Verbe toute imperfection. En effet, dans la génération matérielle, ce qui est engendré est amené peu ŕ peu, selon le déroulement du temps, de limparfait au parfait; car une réalité nest pas encore parfaite lorsquelle commence ŕ ętre engendrée. Mais il nen est pas ainsi dans la génération éternelle, qui est la génération dun ętre parfait ŕ partir dun ętre parfait. Aussi le Christ dit-Il : SI CE NEST CE QUE [LE FILS] A VU FAIRE AU PERE. En effet, puisque voir est lacte dun ętre parfait, il est manifeste que le Fils, qui a immédiatement vu, fut parfait dčs quIl fut engendré, et ne fut pas amené ŕ la perfection selon le déroulement du temps.
14. Jean 16, 28.
15. Cf. Symbole de Nicée : "Je crois (...) en un seul
Seigneur Jésus-Christ (...), Dieu de Dieu, Lumičre de la Lumičre, vrai Dieu du
vrai Dieu... "
16. Voir SAINT AUGUSTIN, op. cit., XX, 4, pp. 237-239.
17. Jean 1, 3.
18. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XX, 9, pp 249-251; voir
également XVIII, 5, pp. 131-133.
19. Sir 24, 5.
20. Voir De Trin., II, 11; VII, 14 et 17; VIII, 52, CCL vol. LXII
et LXII A, pp. 48, 275, 278-279 et 364-365.
751. Chrysostome explique
le second point, ŕ savoir la conformité du Fils au Pčre quant ŕ lopération, de
la maničre suivante : Je dis quil mest permis de 19a1 travailler le
jour du sabbat, car mon Pčre aussi ne cesse de travailler, et je ne peux
mopposer ŕ Lui en travaillant; et cela parce que LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE
LUI-MEME SI CE NEST CE QUIL A VU FAIRE AU PERE. En effet, on fait quelque
chose de soi-męme quand en le faisant on ne se conforme pas ŕ un autre. Or
quiconque est par un autre, sil se met en désaccord avec lui, pčche : Celui
qui parle de lui-męme cherche sa propre gloire 22. Tout ętre donc
qui, existant par un autre, agit de lui-męme, pčche. Or le Fils est par le
Pčre; si donc Il agit de Lui-męme, Il pčche ce qui est impossible. Par
conséquent, en disant LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE NEST CE
QUIL A VU FAIRE AU PERE, le Seigneur nentend rien dire dautre sinon que le
Fils ne peut pécher. Cest comme sIl disait : "Cest injustement que
vous me persécutez pour avoir violé le sabbat, car je ne puis pécher, puisque
je ne fais rien qui soppose ŕ mon Pčre."
Ces deux explications, celle dHilaire et celle de Chrysostome, on les trouve aussi chez Augustin en divers lieux 23.
21. In loannem hom., 38, ch. 4, PG 59,
col. 216-218.
22. In 7, 18.
23. Nous avons indiqué ci-dessus quelques-uns de ces lieux. Voir
aussi De Trin., II, I, 3, BA 15, pp. 189-191.
II
CAR
TOUT CE QUE CELUI-CI FAIT, CELA LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT.
752. LEvangile montre ici la grandeur de la puissance du Christ qui, par ces paroles, exclut de cette puissance la particularité, la diversité et limperfection.
Dabord la particularité : puisquil y a divers agents dans le monde, et que le premier agent a un pouvoir universel au-dessus de tous les agents, alors que les autres, qui sont par lui, ont un pouvoir dautant plus particulier quils sont inférieurs dans lordre de la causalité, on pourrait croire que le Fils, nétant pas par Lui-męme, a une puissance particuličre ŕ légard de certains effets seulement, et non pas une puissance universelle ŕ légard de tous, comme a le Pčre. Cest donc pour exclure cela quIl dit : CAR TOUT CE QUE CELUI CI, cest-ŕ-dire le Pčre, FAIT, LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT, cest-ŕ-dire que tout ce ŕ quoi sétend la puissance du Pčre, la puissance du Fils sy étend aussi : Tout a été fait par Lui, et sans Lui rien na été fait 24.
En second lieu est exclue de cette puissance la diversité. Il arrive en effet quun agent existant par un autre puisse faire tout ce que fait celui par qui il est, sans toutefois que ce quil fait soit la męme chose que ce que fait celui par qui il est. Ainsi, un feu existant par un autre peut faire tout ce que fait lautre, par exemple brűler, et cependant celui-ci brűle une chose, celui-lŕ une autre, bien que la combustion de lun et de lautre soit la męme spécifiquement. Afin donc que lon ne pense pas que lopération du Fils est différente de lopération du Pčre, de la maničre que lon vient de dire, le Christ souligne CELA, cest-ŕ-dire non pas des choses différentes, mais les męmes.
Enfin est exclue limperfection. Il arrive parfois quune seule et męme chose soit faite par deux agents par lun comme par lagent principal et parfait, et par lautre comme par un instrument et un agent imparfait , mais non pas de maničre semblable, car autre est la maničre dagir de lagent principal, autre celle de linstrument. Linstrument, en effet, agit imparfaitement, du fait quil agit par la puissance de lautre. Donc, pour quon ne pense pas que cest ainsi que le Fils fait tout ce que fait le Pčre, le Christ ajoute PAREILLEMENT, cest-ŕ-dire avec la męme puissance que celle par laquelle le Pčre agit; car le męme pouvoir et la męme perfection sont dans le Pčre et le Fils : Jétais avec Lui, disposant toutes choses 25, dit la Sagesse.
24. In 1, 3.
III
LE
PERE EN EFFET AIME LE FILS, ET IL LUI MON TRE TOUT CE QUIL FAIT.
753. LEvangéliste donne maintenant la raison de lorigine et de la grandeur de la puissance du Fils. Il rapporte cette raison ŕ lamour dont le Pčre aime le Fils : LE PERE EN EFFET AIME LE FILS.
Mais pour savoir de quelle maničre lamour du Pčre pour le Fils est la raison de lorigine ou de la communication de la puissance du Fils, il faut pręter attention au fait quon peut aimer une réalité de deux maničres. En effet, le bien seul étant aimable, un bien peut se rapporter ŕ lamour de deux maničres : soit comme cause de lamour, soit comme causé par lui. Or en nous cest le bien qui cause lamour, car la cause de notre amour pour quelquun est sa bonté. En effet, il nest pas bon parce que nous laimons, mais cest parce quil est bon que nous laimons; ainsi lamour, en nous, est causé par le bien. Mais en Dieu il en va autrement, puisque cest lamour męme de Dieu qui est cause de bonté dans les réalités aimées. Cest parce que Dieu nous aime que nous sommes bons. En effet, parce que aimer nest pas autre chose que vouloir du bien ŕ quelquun, et que la volonté de Dieu est cause des réalités tout ce que [le Seigneur] a voulu, Il la fait, au ciel et sur la terre 26 , il est manifeste que lamour de Dieu est cause de bonté dans les réalités. Voilŕ pourquoi Denys dit que lamour divin na pas permis ŕ Dieu de rester sans fécondité 27. Il nous faut donc considérer lorigine du Fils pour voir si lamour dont le Pčre aime le Fils est le principe de cette origine ou sil procčde de celle-ci.
Lamour en Dieu, sentend de deux maničres. Ou bien essentiellement, et il sagit de lamour dont saiment pareillement le Pčre, le Fils et le Saint Esprit ; ou bien notionnellement ou personnellement, et il sagit alors de lEsprit Saint qui procčde comme amour. Mais ce nest entendu daucune de ces deux maničres que lamour peut ętre principe de lorigine du Fils. En effet, pris essentiellement, lamour implique un acte de volonté; si donc il était principe de lorigine du Fils, il sensuivrait que le Pčre aurait engendré le Fils par volonté et non par nature, ce qui est erroné. Il ne sagit pas non plus de lamour pris notionnellement, qui sentend de lEsprit Saint, car il sensuivrait que lEsprit Saint serait le principe du Fils, ce qui est erroné; du reste, aucun hérétique na dit cela. Car bien que lamour pris notionnellement soit principe de tous les biens qui nous sont donnés par Dieu, il nest cependant pas principe du Fils, mais procčde plutôt lui-męme du Pčre et du Fils.
La raison de lorigine et de la grandeur de la puissance du Fils ne se prend donc pas de lamour comme principe, mais comme signe. En effet, puisque la similitude est cause de lamour (car tout vivant aime son semblable), lŕ oů se trouve une similitude parfaite de Dieu, se trouve aussi un amour parfait de Dieu. Or la similitude parfaite du Pčre est dans le Fils : Il est limage du Dieu invisible 28, le resplendissement de sa gloire et leffigie de sa substance 29. Le Fils est donc parfaitement de bonté dans les réalités. Voilŕ lamour divin na pas permis fécondité. Il nous faut donc Fils pour voir si lamour dont le principe de cette origine, ou Lamour, en Dieu, sentend bien essentiellement, et il sagit pareillement le Pčre, le Fils et pourquoi Denys dit que ŕ Dieu de rester sans considérer lorigine du le Pčre aime le Fils est sil procčde de celle-ci de deux maničres. Ou de lamour dont aiment lEsprit Saint; ou bien-aimé du Pčre; et sIl Laime parfaitement, cest donc le signe que le Pčre Lui a montré toutes choses et quIl Lui a communiqué sa puissance et sa nature. Cest de cet amour quil est dit plus haut : Le Pčre aime le Fils, et Il a tout remis dans sa main 30, et : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui jai mis ma complaisance 31.
25. Prov. 8, 30.
26. Ps 134, 6.
27. Voir Les Noms divins, ch. 6, § 2-3, PG 3, col. 856 C -857 B
(pp. 138-140 in uvres complčtes du Pseudo-Denys lAréopagite).
28. Col 1, 15.
29. He 1, 3.
754. A propos de ce qui suit : IL LUI MONTRE TOUT CE QUIL FAIT, il faut savoir quon peut montrer ses uvres ŕ quelquun de deux maničres. Ou bien par la vue, comme un artisan montre ŕ son disciple ce quil fait; ou bien par louďe, comme quand il linstruit par la parole. Toutefois, prendre "montrer" en lun ou lautre de ces deux sens peut entraîner un double man que de perfection qui cependant nexiste pas dans lacte par lequel le Pčre montre au Fils. En effet, si on dit que le Pčre montre au Fils par la vue, il sensuit ce qui a lieu dans les réalités de ce monde : montrer quelque chose par la vue implique quon lait réalisé auparavant et quon lait fait indépendamment de celui ŕ qui on le montre. Mais le Pčre ne montre pas au Fils ce quIl a fait auparavant, puisque le Fils Lui-męme [la Sagesse] dit : Le Seigneur ma possédée au commencement de ses voies, avant de faire quoi que ce Soit, dčs lorigine 32 ; et le Pčre ne montre pas non plus au Fils ce quIl a fait indépendamment de Lui : Tout a été fait par Lui, et sans Lui rien na été fait 33.
Si maintenant on prend "montrer" au sens de montrer par louďe, deux manques de perfection semblent en découler. En effet, dune part celui qui enseigne par la parole montre ŕ un ignorant, et dautre part la parole est intermédiaire entre lui et celui ŕ qui il montre.
Or rien de cela ne peut sappliquer ŕ lacte par lequel le Pčre montre au Fils ce quIl fait; en effet Il ne montre pas au Fils comme ŕ un ignorant, puisque le Fils est la Sagesse du Pčre Le Christ est puissance de Dieu et Sagesse de Dieu 34 , ni par aucun autre verbe [parole] intermédiaire, puisque le Fils Lui-męme est le Verbe du Pčre : Le Verbe était auprčs de Dieu 35.
On dit donc que le Pčre MONTRE AU FILS TOUT CE QUIL FAIT en tant quIl Lui communique la con naissance de toutes ses uvres, comme on dit que le maître montre ŕ son disciple en tant quil lui donne la connaissance de ce quil fait. Cest pourquoi, selon Augustin, pour le Pčre, montrer au Fils nest autre quengendrer le Fils, et pour le Fils, voir ce que fait le Pčre nest rien dautre que recevoir du Pčre son ętre et sa nature 36.
On peut cependant dire que cet acte de montrer est semblable ŕ lacte de montrer par la vue, en tant que le Fils Lui-męme est la splendeur de la vision du Pčre, comme le dit l'Epître aux Hébreux 37. En effet le Pčre, en se voyant et en se connaissant, conçoit le Fils qui est Lui-męme le fruit conçu par cette vision. On peut également dire que cet acte est semblable ŕ celui qui montre par louďe, en tant que le Fils procčde du Pčre comme Verbe. Ainsi, dire que le Pčre MONTRE AU FILS TOUT CE QUIL FAIT, cest dire quIl Le produit comme sa splendeur et le fruit conçu par sa Sagesse, et comme son Verbe. Donc, quand le Christ dit : IL LUI MONTRE TOUT CE QUIL FAIT, les paroles IL LUI MONTRE se rapportent ŕ ce quIl a dit plus haut : LE FILS NE PEUT RIEN FAIRE DE LUI-MEME SI CE NEST CE QUIL A VU FAIRE AU PERE; et TOUT CE QUIL FAIT se rapporte ŕ ce quIl a dit ensuite TOUT CE QUE CELUI-CI, cest-ŕ-dire le Pčre, FAIT, LE FILS AUSSI LE FAIT PAREILLEMENT, LE CHRIST, JUGE ET DONATEUR DE VIE
30. Jean 3, 35.
31. Mt 3, 17.
32. Prov 8, 22.
33. Jean 1, 3.
34. 1 Cor 1, 24.
35. Jean 1, 1.
36. Tract. in b. XX, 8, XXI, 4 et XXIII, 11, pp. 249, 277-279 et
391.
37. Cf. He 1, 3.
20b"
Et Il Lui montrera des uvres plus grandes que celles-ci, de sorte que vous
serez vous-męmes dans létonnement. 21 Car, comme le Pčre relčve les morts et
les fait vivre, ainsi le Fils fait vivre qui Il veut. Car le Pčre ne juge
personne, mais Il a remis tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils
comme ils honorent le Pčre. Qui nhonore pas le Fils nhonore pas le Pčre qui
La envoyé. 24 amen je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit ŕ Celui
qui ma envoyé a la vie éternelle et il ne vient pas en jugement, mais il est
passé de la mort ŕ la vie. Amen, amen je vous le dis, lheure vient, et cest
maintenant, oů les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui
lauront entendue vivront. "
755. Aprčs avoir montré la puissance du Fils en général [n° 744], le Seigneur va la montrer maintenant de maničre précise : en manifestant dabord la puissance quIl a de donner la vie [n° 755], puis en explicitant quelques paroles qui semblaient obscures [n° 781]. Concernant le premier point, le Seigneur montre dabord que le Fils a la puissance de donner la vie [n° 755], puis II enseigne la maničre de recevoir de Lui la vie [n° 770].
I
ET IL
LUI MONTRERA DES UVRES PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, DE SORTE QUE VOUS SEREZ
VOUS-MEMES DANS LETONNEMENT. CAR, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT
VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT. CAR LE PERE NE JUGE PERSONNE, MAIS
IL A RE MIS TOUT JUGEMENT AU FILS, AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS
HONORENT LE PERE. QUI NHONORE PAS LE FILS NHONORE PAS LE PERE QUI LA ENVOYE.
La puissance qua le Fils de donner la vie, le Seigneur la manifeste en la désignant dabord dune façon générale [n° 756], puis de maničre plus précise [n° 761]. Il sexplique ensuite [n° 762] et montre enfin leffet qui provient de cette puissance [n° 764].
ET IL
LUI MONTRERA DES UVRES PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, DE SORTE QUE VOUS SEREZ
VOUS-MEME5 DANS LETONNEMENT. CAR, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT
VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT.
756. Le Seigneur manifeste
la puissance quIl a de donner la vie dune façon générale en disant : IL LUI
MONTRERA DES UVRES PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, comme sIl disait Vous ętes
étonnés et trou blés par la puissance du Fils dans la guérison de linfirme,
mais le Pčre LUI MONTRERA DES UVRES encore PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, dans la
résurrection des morts, DE SORTE QUE VOUS SEREZ VOUS-MEMES DANS LETONNEMENT.
757. Cependant, ces paroles
du Christ soulčvent une double difficulté. En premier lieu ŕ propos du futur IL
MONTRERA 1. En effet, ce quon a dit plus haut que le Pčre MONTRE au Fils TOUT
CE QUIL FAIT se rapporte ŕ la génération éternelle. Comment dit-Il donc ici
IL MONTRERA, puisque le Fils est coéternel au Pčre et que, dans léternité, il
ny a pas de futur? En second lieu ŕ propos de ce qui suit : DE SORTE QUE VOUS
SEREZ VOUS-MEMES DANS LETONNEMENT. En effet, si cest pour que les Juifs
soient étonnés que le Pčre doit montrer toutes choses au Fils, Il les Lui
montrera alors en męme temps quŕ eux autrement, ne voyant pas, ils ne
seraient pas dans létonnement , alors que cependant le Fils aura vu toutes
choses de toute éternité auprčs du Pčre.
758. Il y a trois maničres de résoudre cette double difficulté : la premičre, indiquée par Augustin 2, est que cette manifestation ŕ venir concerne les disciples. Cest en effet une maničre de parler habituelle au Christ de parfois sattribuer, comme fait ŕ Lui-męme, ce qui est fait ŕ ses membres Chaque fois que vous lavez fait ŕ lun de ces plus petits de mes frčres, cest ŕ moi que vous lavez fait 3. Il faut alors comprendre ceci : Vous, vous avez vu le Fils accomplir de grandes choses dans la guérison de linfirme, et vous ętes dans létonnement; mais le Pčre LUI MONTRERA DES UVRES encore PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, dans ses membres, cest-ŕ-dire dans ses disciples : Celui qui croit en moi fera lui aussi les uvres que je fais; et il en fera męme de plus grandes 4. Le Christ ajoute donc : DE SORTE QUE VOUS SEREZ VOUS-MEMES DANS LETONNEMENT : car ŕ cause des miracles des disciples les Juifs furent dans un tel étonnement quun trčs grand nombre dentre eux se convertit ŕ la foi, ainsi que le rapportent les Actes des Apôtres 5.
1. Cf. SAINT AIJGUSTIN, Tract, in b. XIX,
4, BA 72, pp. 165-167. Voir aussi XXI, 5, pp. 279-281.
2. Op. cit., XXI, 7 et 9, pp. 285-291.
759. Une autre maničre de résoudre la difficulté est, toujours selon Augustin 6, de comprendre que la manifestation se rapporte au Christ selon la nature quIl assume. Dans le Christ, en effet, il y a la nature divine et la nature humaine, et selon lune et lautre Il tient du Pčre sa puissance de donner la vie, mais de deux maničres différentes; car selon la divinité, Il a la puissance de donner la vie aux âmes, mais selon la nature quIl assume Il donne la vie aux corps. Cest pour quoi Augustin dit que "le Verbe donne la vie aux âmes, mais le Verbe fait chair donne la vie aux corps" 7. En effet, la Résurrection du Christ et les mystčres quIl a accomplis dans la chair sont causes de la résurrection future des corps Dieu (...) nous a vivifiés dans le Christ (...) et nous a ressuscités avec Lui 8. Si le Christ est ressuscité, les morts aussi ressusciteront 9. Mais la premičre maničre de donner la vie, Il la possčde de toute éternité, et cest ce quIl a manifesté lorsquIl a dit précédemment : Et Il Lui montre tout ce quIl fait 10. Ces choses quIl Lui montre, Il les montre certes toutes ŕ la chair, mais [successivement] dans le temps, et cest ŕ ce sujet quIl dit : ET IL LUI MONTRERA DES UVRES PLUS GRANDES QUE CELLES-CI, cest-ŕ-dire que son pouvoir sera manifesté en ce quIl fera des uvres plus grandes en ressuscitant des morts : certains dčs maintenant, comme Lazare, la petite fille de Jaďre, le fils unique de la veuve 12, et tous enfin au jour du jugement.
3. Mt 25, 40.
4. Jean 14, 12.
5. Voir Ac 5, 14.
6. Op. cit., XXIII, 12, pp. 393-395.
7. Voir op. cit., XIX, 16, p. 209
"Cest maintenant lheure pour les
morts de ressusciter, ŕ la fin du sičcle ce sera'lheure pour les morts de
ressusciter; quils ressuscitent maintenant dans lesprit et alors dans la
chair; quils ressuscitent maintenant dans lesprit par le Verbe de Dieu Fils
de Dieu, quils ressuscitent alors dans la chair par le Verbe de Dieu fait
chair, le Fils de lhomme. "
8. Eph 2, 4-6.
9. Nous restituons ici, selon une correction de lédition
léonine, une phrase de saint Thomas qui exprime affirmativement ce que dit
saint Paul de maničre négative en 1 Corinthiens 15, 16 (lédition Marietti, au
lieu de cette phrase, cite 1 Corinthiens 15, 12).
10. in 5, 20.
11. Cf.
SAINT AUGU5TIN, op. cit., XXIII, 12, p. 393 "Il Lui montrera pour ainsi dire dans le temps, donc comme
ŕ un homme fait dans le temps, puisque, si le Verbe Dieu na pas été fait, Lui
par qui tous les temps ont été faits, le Christ homme, Lui, a été fait dans le
temps. "
12. Jean Il, 11-44; Mc 5, 21-43 (Luc 8, 40-46; Mt 9, 18-26); Luc
7, 12-17.
760. La troisičme maničre
de résoudre la difficulté est de comprendre que cette manifestation se rapporte
au Christ selon la nature divine, suivant cette maničre de dire, habituelle ŕ
l'Ecriture, quune chose saccomplit lorsquelle est connue, comme cest le cas
pour cette [n° 20h-parole : Tout pouvoir ma été donné au ciel et sur la terre 13. En effet, bien que le Christ
ait eu de toute éternité la plénitude de la puissance, parce que tout ce que
fait le Pčre, le Fils aussi le fait pareillement 14, Il dit
néanmoins que la puissance Lui a été donnée aprčs la Résurrection, non quIl
lait reçue seulement ŕ ce moment-lŕ, mais parce que, par la gloire de la
Résurrection, elle sest alors fait pleinement connaître. Daprčs cela, Il dit
donc que la puissance Lui a été donnée en ce sens quIl lexerce dans une uvre,
de telle sorte quIl dit : ET IL LUI MONTRERA DES UVRES PLUS GRANDES,
cest-ŕ-dire quIl manifestera, en lexerçant, la puissance qui Lui a été
donnée, et cela ŕ vous qui serez dans létonnement, quand Celui qui vous semble
nętre quun homme apparaîtra comme étant un homme revętu de la puissance
divine et Dieu Lui-męme. Le terme "montrer" doit ętre pris ici
comme un terme exprimant la vision, selon ce que nous avons expliqué plus haut [n° 750].
761. Ensuite par ces paroles : CAR, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT, le Seigneur montre de maničre plus précise la puissance quIl a de donner la vie, en faisant connaître ce que sont ces UVRES PLUS GRANDES que le Pčre montrera au Fils.
Il faut savoir ici que la puissance divine, dans lAncien Testament, se révčle principalement dans le fait que Dieu est lauteur de la vie : Cest le Seigneur qui fait mourir et qui fait vivre 15 Cest moi qui fais mourir et moi qui fais vivre 16. Et cette puissance, le Fils la comme le Pčre et cest pourquoi Il dit : COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT comme pour dire : Voici quelles sont les uvres plus grandes que le Pčre montrera au Fils : donner la vie aux morts. Il est clair que ce sont lŕ des uvres beaucoup plus grandes, car la résurrection dun mort est plus que la guérison dun malade Le Fils fait donc VIVRE QUI IL VEUT ŕ la fois en donnant aux vivants la premičre vie et en ressuscitant les morts. Toutefois ne pensons pas que certains soient ressuscités par le Pčre, dautres par le Fils : ceux-lŕ męmes que le Pčre ressuscite et fait vivre, le Fils les ressuscite et les fait vivre. Car, de męme que le Pčre opčre toutes choses par le Fils qui est sa puissance 18, de męme aussi Il fait vivre toutes choses par le Fils qui est la vie 19 Moi je suis le chemin, la vérité et la vie 20. Cependant, Il ne ressuscite pas les morts ni ne leur donne la vie par le Fils comme par un instrument, car alors le Fils nau rait pas été établi juge de lexercice de sa puissance. Aussi, afin dexclure cela, le Christ dit-Il : LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT, cest-ŕ-dire quil appartient au bon plaisir de sa puissance de faire vivre QUI IL VEUT. Car le Fils ne veut rien dautre que ce que veut le Pčre en effet, comme Ils nont quune substance, ainsi nont Ils quune volonté, et cest pourquoi le Christ peut dire Ne mest-il pas permis de faire ce que je veux? 21
13. Mt 28, 18.
14. in 5, 19.
15. 1 Sam 2, 6.
16. Deut 32, 39.
CAR
LE PERE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A RE MIS TOUT JUGEMENT AU FILS, AFIN QUE TOUS
HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. QUI NHONORE PAS LE FILS NHONORE
PAS LE PERE QUI LA ENVOYE.
762. Le Seigneur explique ici ses paroles en manifestant sa puissance. Mais il faut noter quon a donné de ce verset et du suivant deux interprétations : lune est dAugustin, lautre, dHilaire et de Chrysostome 22.
Voici celle dAugustin. Le Seigneur avait dit plus haut que, COMME LE PERE RELEVE LES MORTS..., AINSI LE FILS... Mais de peur que lon ne comprenne quil sagit ici de la résurrection des morts par laquelle Il en a ressuscité certains ŕ cette vie pour la manifestation dun miracle, et non pour la vie éternelle, Il les amčne ŕ la considération plus élevée de lautre résurrection, celle qui aura lieu lors du jugement ŕ venir. Cest pourquoi Il fait spécialement mention du jugement en disant : LE PERE NE JUGE PERSONNE 23.
Dans le męme sens, mais dune autre maničre, on peut, toujours daprčs Augustin 24, rattacher ce verset au précédent, de sorte que celui-ci : COMME LE PERE RELEVE LES MORTS..., AINSI LE FILS... se réfčre ŕ la résurrection des âmes que le Fils accomplit en tant quIl est le Verbe, tandis que le suivant : LE PERE NE JUGE PERSONNE se réfčre ŕ la résurrection des corps quIl accomplit en tant quIl est le Verbe fait chair. En effet, la résurrection des âmes est réalisée par la substance du Pčre et du Fils, et cest pourquoi Il nomme le Pčre et le Fils en disant : COMME LE PERE..., AINSI LE FILS...; tandis que la résurrection des corps sopčre grâce ŕ léconomie de son humanité, qui nest pas coéternelle au Pčre, et cest pourquoi Il attribue le jugement au seul Fils 26.
17. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XIX, 5, XXI, 6 et XXIII, 12,
pp. 167, 283 et 393-395. Cf. également
SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom., 38, ch. 4, PG 59, col. 218.
18. Cf. 1 Corinthiens 1, 24.
19. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XIX, 5, p. 167.
20. Jean 14, 6.
21. Mt 20, 15.
22. Voir n° 768.
23. Cf. SAINT ATJGUSTIN, op. cit., XXI, 11, p. 295 "de peur que nous nentendions cette parole de la
résurrection des morts opérée en vue dun miracle (ad miraculum) et non pour la
vie éternelle, Il poursuit : Car le Pčre ne juge personne... " En
disant ad ostensionem miraculi lŕ oů saint Augustin disait simplement ad
miraculum, saint Thomas semble vouloir insister sur laspect de manifestation
inhérent au miracle.
24. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XXIII,
12-13, p. 393-397. Voir aussi XIX, 15. 16, p. 207-209.
763. Mais remarquez
létonnant changement des expressions 27 en effet, lEvangile
nous montre dabord le Pčre agissant et le Fils se reposant, lorsquil est dit
Le Fils ne peut rien faire de Lui-męme si ce nest ce quIl a vu faire au Pčre 28; ici au
contraire il nous montre le Fils agissant et le Pčre se reposant : LE PERE NE
JUGE PERSONNE, MAIS IL A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS. Par lŕ nous est donné ŕ
entendre que le Christ parle ici dune maničre et lŕ dune autre. Lŕ Il parle
de lopération qui est commune au Pčre et au Fils, et cest pourquoi Il dit que
le Fils ne peut rien faire de Lui-męme si ce nest ce quIl a vu faire au Pčre;
tandis quici Il parle de lopération par laquelle, en tant quhomme, le Fils
juge, et non le Pčre, et cest pourquoi Il dit que le Pčre A REMIS TOUT
JUGEMENT AU FILS. En effet, le Pčre napparaîtra pas lors du jugement, parce
que, selon la justice, Dieu ne peut apparaître dans sa propre nature ŕ tous
ceux qui doivent ętre jugés : car, la vision de Dieu étant notre béatitude, si
les méchants Le voyaient dans sa propre nature, ils seraient de ce fait
bienheureux 29. Donc, le Fils seul apparaîtra, Lui qui seul a assumé notre nature. Il
jugera seul, Lui qui seul apparaîtra ŕ tous, et cependant par lautorité du
Pčre. Cest Lui qui a été établi par Dieu juge des vivants et des morts 30. Dieu, donne
au roi ton jugement, et ta justice au fils du roi 31.
764. En disant ensuite AFIN
QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. QUI NHONORE PAS LE FILS
NHONORE PAS LE PERE QUI LA ENVOYE, le Christ montre leffet qui provient de
la puissance du Fils. Pour cela Il dit dabord quel fruit découle de cette
puissance [n°
765], puis Il exclut la contradiction [n° 766].
765. Il dit donc : LE PERE A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS selon sa nature humaine, parce que dans son Incarnation le Fils sest anéanti, prenant la condition desclave 32 dans laquelle Il a été déshonoré par les hommes : Moi jhonore mon Pčre et vous, vous me déshonorez 33. Le jugement Lui a donc été remis dans la nature męme quIl a assumée, AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. En effet, ils verront alors le Fils de lhomme venir dans une nuée avec grande puissance et majesté 34. Tous les anges (...) tombčrent sur la lace devant le trône et adorčrent Dieu en disant : Amen, bénédiction, gloire, sagesse, action de grâce, honneur, puissance et force ŕ notre Dieu dans les sičcles des sičcles. Amen 35.
25. Jean 1, 14.
26. Cette derničre phrase est une citation presque textuelle de
saint Augustin : "La résurrection des âmes
est réalisée par la substance éternelle et immuable du Pčre et du Fils, tandis
que la résurrection des corps sopčre grâce ŕ léconomie de lhumanité du Fils,
qui est temporelle et non coéternelle au Pčre... " (op. cit., XXIII,
13, p. 395). "Grâce ŕ léconomie de lhumanité du Fils, [qui est
temporelle", traduit : per dispensationem humanitatis Fuji temporalem. Le
terme latin dispensatio traduit le terme grec oikonomia (cf. Ep 1, 10; 3, 2 et
9; Col 1, 25). Saint Thomas lui-męme définit la dispensatio comme la
distribution mesurée, ŕ chacun en particulier, de quelque chose de commun. Ainsi
le chef de famille, le maître de maison, qui répartit avec discernement et
mesure les tâches et ce qui est nécessaire ŕ la vie, est le "dispensateur"
(cf. Somme théol., I-II, q. 97, a. 4, e.). La "dispensation"
est donc soit le fruit de lacte du dispensateur, soit la puissance quil a de
dispenser, et cest ce que le terme signifie ici. Le Christ a en effet, dans
son humanité, la puissance de juger et de donner la vie éternelle, parce quIl
est la tęte de lEglise (cf. Somme théol., III, q. 59, a. 2, e.). La puissance
de donner la vie aux corps Lui est attribuée en propre parce quIl est la cause
immédiate de ce don (cf. III, q. 56, a. 1, c et ad 2; Suppl., q. 76, a. 1, e),
alors quIl en est la cause ultime en tant que Dieu (cette puissance revient
alors tant au Fils quau Pčre). Le Christ a donc la puissance de donner la vie
aux corps "par la dispensation de son humanité".
27. Ce numéro reprend partiellement le commentaire de saint
Augustin en le précisant : cf. Tract. in la. XXI, 12, pp. 297-301; XIX, 16, pp.
209-213.
28. Jean 5, 19.
29. Voir SAINT AUGUSTIN, Sermones de Scripturis, 127, ch. 7,
10, PL 38, col. 711, et ci-dessous, n° 789.
30. Ac 10, 42.
31. Ps 71, 1-2.
766. Quelquun pourrait peut-ętre dire : "Je veux honorer le Pčre et ne pas me soucier du Fils." Mais ce nest pas possible, car celui QUI NHONORE PAS LE FILS NHONORE PAS LE PERE QUI LA ENVOYE. En effet, autre chose est dhonorer Dieu parce quIl est Dieu, autre chose dhonorer le Pčre. Car on peut bien honorer Dieu en tant que Créateur, tout-puissant et immuable, sans honorer le Fils. Mais honorer Dieu comme Pčre, nul ne le peut sans honorer le Fils, car Il ne peut ętre appelé Pčre sIl na pas de Fils. Mais si tu déshonores le Fils en diminuant sa puissance, tu déshonores aussi le Pčre : en effet, quand tu diminues la puissance du Fils, tu supprimes la puissance du Pčre 36.
32. Phi 2, 7.
33. Jean 8, 49.
34. Le 21, 27.
35. Ap 7, 11-12.
36. Ce paragraphe continue ŕ exposer linterprétation de saint
Augustin : cf. op. cit., XIX, 6, pp. 171-173.
37. Op. cit., XXIII, 13, p. 397.
767. Saint Augustin donne
encore une autre interprétation, qui est la suivante 37. Un double
honneur est dű au Christ : lun Lui est dű en raison de sa divinité, ŕ cause de
laquelle on Lui doit un honneur égal ŕ celui qui est dű au Pčre, et cest
pourquoi Il dit : AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE. Un
autre Lui est dű en raison de son humanité, mais il nest pas égal ŕ celui qui
est dű au Pčre; et cest en parlant de cet honneur que le Christ dit QUI
NHONORE PAS LE FILS NHONORE PAS LE PERE QUI LA ENVOYE. Voilŕ pourquoi, dans
la premičre partie du verset, Il dit expressément COMME, de męme quIl dira :
Qui vous rejette me rejette, et qui me rejette, rejette Celui qui ma envoyé 38 ; tandis quici Il ne dit
pas COMME, mais Il dit, purement et simplement, que le Fils doit ętre honoré.
768. Hilaire 39 et Chrysostome 40 donnent une explication plus proche de la lettre, qui apporte peu de changement. Le Seigneur a dit plus haut : LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT. Quiconque fait quelque chose en vertu du libre arbitre de sa volonté agit par son propre jugement. Or il a été dit plus haut que tout ce que le Pčre fait, le Fils aussi le fait pareillement 41. Le Fils possčde donc ŕ légard de toutes choses le libre arbitre de la volonté, parce quIl procčde suivant son propre jugement. Cest pourquoi Il fait aussitôt mention du jugement en disant : LE PERE NE JUGE PERSONNE, cest-ŕ-dire indépendamment du Fils. Et cette maničre de parler, le Seigneur en a usé plus loin : Je ne le juge pas, moi, cest-ŕ-dire moi seul, mais la parole que jai dite, cest elle qui le jugera au dernier jour 42. MAIS LE PERE A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS, de męme quIl Lui a tout donné. En effet, comme Il Lui a donné la vie et La engendré vivant, ainsi Il Lui a donné tout jugement et La engendré juge : Comme jentends, je juge 43. Cest-ŕ-dire, comme je tiens lętre du Pčre, ainsi je tiens de Lui le jugement. La raison en est que le Fils nest autre, comme on la dit plus haut, que le fruit conçu par la Sagesse du Pčre 44. Or chacun juge par ce que conçoit sa sagesse. Cest pourquoi, comme le Pčre fait toutes choses par le Fils, ainsi juge-t-Il toutes choses par Lui; et en voici le fruit : AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE, cest-ŕ-dire quils Lui rendent un culte de latrie 45, comme au Pčre. Pour le reste, leurs explications ne diffčrent pas de celles dAugustin.
38. Le 10, 16.
39. Voir De Trin., VII, 20, VIII, 43 et IX, 50, CCL vol. LXII et
LXII A, pp. 281-282, 356 et 427.
40. In loannem hom., 38, eh. 4 et 39, eh. 1, col. 218 et 220.
41. Jean 5, 19.
42. Jean 12, 47-48.
769. Mais, selon Hilaire 46, il faut considérer ladmirable enchaînement des paroles afin de réfuter les erreurs concernant la génération éternelle. Deux hérésies, en effet, se sont élevées au sujet de la génération éternelle elle-męme. Lune, celle dArius 47 disait que le Fils est inférieur au Pčre, ce qui soppose ŕ légalité et ŕ lunité; lautre, celle de Sabellius 48, soutenait quil ny a pas de distinction des Personnes en Dieu, ce qui soppose ŕ lorigine. Et cest pourquoi, partout oů il fait mention de lunité et de légalité des Personnes, lEvangéliste affirme aussitôt la distinction de celles-ci selon lorigine, et inversement. Ainsi, parce quil indique lorigine des Personnes en disant : le Fils ne peut rien faire de Lui-męme si ce nest ce quIl a vu faire au Pčre, pour quon ne croie pas ŕ une inégalité, il ajoute aussi tôt : Tout ce que Celui-ci fait, cela le Fils aussi le fait pareillement 49. Et inversement, lorsquil indique légalité des Personnes en disant : COMME LE PERE RELEVE LES MORTS ET LES FAIT VIVRE, AINSI LE FILS FAIT VIVRE QUI IL VEUT, afin quon ne doute pas de lorigine du Fils et de sa génération, il ajoute : LE PERE NE JUGE PERSONNE, MAIS IL A REMIS TOUT JUGEMENT AU FILS. De męme, lorsquil exprime légalité des Personnes en disant : AFIN QUE TOUS HONORENT LE FILS COMME ILS HONORENT LE PERE, il parle aussitôt aprčs de la mission dans laquelle lorigine est manifestée, en disant : QUI NHONORE PAS LE FILS NHONORE PAS LE PERE QUI LA ENVOYE, sans se séparer de Lui. Entendez bien mission, et non pas séparation : Celui qui ma envoyé est avec moi, et Il ne ma pas laissé seul 50.
49. Jean 5, 19.
50. Jean 8, 29.
II
AMEN,
AMEN JE VOUS LE DIS, CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE ET CROIT A CELUI QUI MA ENVOYE
A LA VIE ETERNELLE ET IL NE VIENT PAS EN JUGEMENT, MAIS IL EST PASSE DE LA MORT
A LA VIE. AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, LHEURE VIENT, ET CEST MAINTENANT, OU LES
MORTS ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, ET CEUX QUI LAURONT ENTENDUE VIVRONT.
770. Plus haut, le Seigneur a montré quIl a la puissance de donner la vie [n° 755]; ici, Il montre la maničre dont on peut participer de Lui la vie. Il expose dabord la maničre dont, par Lui, on participe la vie [n° 771], puis Il annonce ŕ lavance la réalisation de cette participation [n° 778].
43. Jean 5, 30.
44. Cf. n° 754.
45. Le culte de latrie est celui qui est dű ŕ Dieu seul.
46. Voir De Trin., VII, 17-18 et 20, pp. 278-279 et 281-284.
47. Cf. ci-dessus, n° 742, note 73.
48. Cf. ci-dessus, n° 749, note 13.
AMEN,
AMEN JE VOUS LE DIS, CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE ET CROIT A CELUI QUI MA ENVOYE
A LA VIE ETERNELLE ET IL NE VIENT PAS EN JUGEMENT, MAIS IL EST PASSE DE LA MORT
A LA VIE.
771. Au sujet de la participation de la vie, il faut avoir présent ŕ lesprit quil y a quatre degrés de vie. Le premier se trouve dans les végétaux qui se nourrissent, croissent, sont engendrés et engendrent; le second dans les animaux qui nont que la sensation; le troisičme dans les animaux qui se meuvent et qui sont les animaux parfaits; le dernier, et cest vraiment un autre degré de vie, se trouve dans ceux qui sont doués dintelligence. Parmi tous ces degrés de vie, il est impossible que la vie premičre soit celle des végétaux, ou męme celle qui se caractérise par la sensation ou par le mouvement; la vie premičre, en effet, doit ętre vie par elle-męme, et non vie participée. Mais aucune vie ne peut ętre telle si ce nest la seule vie intellectuelle : dune part les trois autres sont communes ŕ toutes les créatures corporelles męme spirituelles, et dautre part le corps qui vit nest pas la vie elle-męme, mais participe la vie. La vie intellectuelle est donc la vie premičre; cest la vie de lesprit qui est reçue immédiatement du premier principe de vie, et cest pourquoi on lappelle vie de sagesse. Ainsi lEcriture attribue la vie ŕ la Sagesse : Celui qui maura trouvée trouvera la vie 51. Cest donc du Christ que nous participons la vie, Lui qui est la Sagesse de Dieu 52, dans la mesure oů notre âme reçoit de Lui la sagesse.
Cette vie de lintelligence
atteint sa perfection dans la vraie connaissance de la Sagesse divine, qui est
la vie éternelle La vie éternelle, cest quils te connaissent, toi le seul
vrai Dieu et Celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. Mais lhomme ne peut
parvenir ŕ aucune sagesse, si ce nest par la foi : ainsi, personne natteint
la sagesse dans les sciences sil na dabord cru aux dires dun maître. Si
donc nous voulons parvenir ŕ cette vie de la Sagesse, il nous faut croire, par
la foi, ce qui nous est révélé delle : Il faut que celui qui sapproche de
Dieu croie quIl est, et quIl récompense ceux qui Le cherchent 54. Et, daprčs
une version du texte dIsaďe : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 55.
772. Aussi est-ce trčs
justement que le Seigneur montre ici que cest par la foi que lon parvient ŕ
la vie. Il le fait dabord en affirmant le mérite de la foi [n° 773], puis en
montrant quelle est sa récompense [n°
774].
773. Au sujet du mérite de la foi, Il montre dabord ce qui conduit ŕ la foi, puis ce sur quoi elle sappuie. Ce qui conduit ŕ la foi, cest la parole de lhomme : La foi vient de ce quon entend, et on entend par une parole du Christ 56. Mais la foi ne sappuie pas sur la parole de lhomme, elle sappuie sur Dieu Lui-męme Abraham crut ŕ Dieu, et cela lui fut imputé ŕ justice 57. Vous qui craignez le Seigneur, croyez en Lui 58. Ainsi nous sommes amenés par la parole de lhomme ŕ croire, non ŕ lhomme qui parle, mais ŕ Dieu dont il dit les paroles Ayant reçu la parole de Dieu que vous avez entendue de nous, vous lavez reçue non comme la parole des hommes, mais (ainsi quelle lest vraiment) comme la parole de Dieu 59. Le Seigneur montre donc dabord ce qui conduit ŕ la foi, en disant : CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE, qui conduit ŕ la foi; puis ce sur quoi elle sappuie : ET CROIT A CELUI QUI MA ENVOYE, cest-ŕ-dire non ŕ moi, mais ŕ Celui par la puissance de qui je parle.
Ces paroles peuvent convenir au Christ en tant quhomme, puisque par sa parole humaine des hommes se convertirent ŕ la foi. Elles Lui conviennent aussi en tant que Dieu, puisque le Christ est le Verbe de Dieu. En effet, puisque le Christ est le Verbe de Dieu, il est manifeste que ceux qui Lécoutaient écoutaient le Verbe de Dieu et par conséquent croyaient ŕ Dieu. Cest bien ce quIl dit : CELUI QUI ECOUTE MA PAROLE, cest-ŕ-dire moi qui suis le Verbe de Dieu, ET CROIT A CELUI QUI MA ENVOYE, cest-ŕ-dire au Pčre dont je suis le Verbe.
51. Prov 8, 35.
52. 1 Corinthiens 1, 24.
53 Jean 17, 3.
54. He 11, 6.
55. Isaďe 7, 9 (cf. ci-dessus, n° 600, note 65).
56. Ro 10, 17.
57. Gn 15, 6.
58. Sir 2, 8.
774. Le Christ indique
ensuite quelle est la récompense de la foi, en disant que celui qui croit A LA
VIE ETERNELLE. Et Il montre les trois biens que nous posséderons dans la
gloire, mais Il les donne dans lordre inverse. En effet, nous obtiendrons
dabord la résurrection dentre les morts, puis nous serons libérés du jugement
ŕ venir, et enfin nous entrerons dans la vie éternelle; car, aprčs le jugement,
les justes sen iront ŕ la vie éternelle 60. Ces trois biens, le
Seigneur montre quils sont la récompense de la foi, et Il nomme le troisičme
en premier lieu, comme étant le plus désiré.
775. Cest pourquoi Il dit : CELUI QUI CROIT, cest-ŕ-dire par la foi, A LA VIE ETERNELLE qui consiste dans la pleine vision de Dieu. Il est juste en effet que celui qui, ŕ cause de Dieu, croit aux réalités quil ne voit pas, soit conduit ŕ leur pleine vision Cela a été écrit pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et quen croyant vous ayez la vie en son nom 61.
59. 1 Th 2, 13.
60. Mt 25, 46.
776. Le Seigneur mentionne ensuite le second bien en disant : ET IL NE VIENT PAS EN JUGEMENT. Mais ŕ cette parole semble sopposer celle de lApôtre : Il faut que nous comparaissions tous devant le tribunal du Christ 62, jusquaux Apôtres eux-męmes; il semble donc que celui qui croit viendra en jugement.
A cela il faut répondre quil
y a un double jugement. Lun est de condamnation, et ŕ celui-lŕ ne viendront
pas ceux qui croient en Dieu dune foi formée 63. Cest de ce
jugement que parle le psaume : Nentre pas en jugement avec ton serviteur, car
en ta présence nul vivant ne sera justifié 64. Celui qui
croit en Lui [le Fils de Dieu] nest pas jugé 65. Mais il y a aussi un jugement de discernement 66, pour lequel
nous devons tous comparaître devant le tribunal du Christ, comme le dit
lApôtre; et cest de ce jugement quil est dit : Juge-moi, Seigneur, et
discerne ma cause 67.
777. Le Seigneur mentionne enfin le troisičme bien quand Il dit : MAIS IL EST PASSE DE LA MORT A LA VIE, ou IL PASSERA, selon une autre version. Ce qui peut sexpliquer de deux maničres. Dabord en rapportant ces paroles ŕ la résurrection de lâme; le sens alors en est clair. Cela revient en effet ŕ dire : non seulement par la foi on obtient la vie éternelle et on est libéré du jugement, mais on obtient aussi la rémission des péchés. Cest pourquoi Il dit : IL EST PASSE de lincroyance ŕ la foi, de linjustice ŕ la justice Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort ŕ la vie 68. Si maintenant on les rapporte ŕ la résurrection des corps, ces paroles sont alors une explication de cette affirmation : IL A LA VIE ETERNELLE. On pourrait en effet, daprčs cette affirmation, se figurer que celui qui croit en Dieu ne mourrait jamais, mais vivrait éternellement; ce qui ne peut ętre, car il faut que tous les hommes sacquittent de la dette du premier péché Quel est lhomme qui vivra et ne verra pas la mort? 69 Il ne faut donc pas comprendre que celui qui croit A LA VIE ETERNELLE comme sil ne devait jamais mourir, mais que de cette vie IL PASSERA par la mort A LA VIE éternelle, cest-ŕ-dire que, ŕ travers la mort du corps, il sera renouvelé pour la vie éternelle. Ou bien IL PASSERA, quant ŕ la cause; car lorsque lhomme croit, il a déjŕ le mérite de la résurrection glorieuse Tes morts vivront, mes cadavres ressusciteront 70. Et, affranchis alors de la mort du vieil homme, nous recevrons la vie de lhomme nouveau, cest-ŕ-dire du Christ.
61. Jean 20, 31.
62. 2 Co 5, 10.
63. Cf. ci-dessus, n° 485. note 24.
64. Ps 142, 2.
65. Jean 3, 19.
66. En latin : judicium discretionis. Lédition Marietti ajoute
vel discussionis. Cf. ci-dessus, n° 483, n° 488 et note 40.
67. Ps 42, 1.
AMEN,
AMEN JE VOUS LE DIS, LHEURE VIENT, ET CEST MAINTENANT, OU LES MORTS
ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, ET CEUX QUI LAURONT ENTENDUE VIVRONT.
778. Parce que certains pourraient douter que lon puisse passer de la mort ŕ la vie, le Seigneur annonce la réalisation dun tel passage en disant : Je dis quIL PASSERA DE LA MORT A LA VIE, et ceci se réalise déjŕ par avance. Et cest ce quIl dit ici : AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, LHEURE VIENT, non pas soumise ŕ une nécessité fatale, mais déterminée ŕ lavance par Dieu Voici venue la derničre heure 71. Et pour que nous ne la croyions pas éloignée, Il ajoute ET CEST MAINTENANT Lheure est venue de nous réveiller de notre sommeil 72, cest-ŕ-dire CEST MAINTENANT lheure OU LES MORTS ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, ET CEUX QUI LAURONT ENTENDUE VIVRONT.
68. 1 Jean 3, 14.
69. Ps 88, 49.
70. Isaďe 26, 19.
779. Ces paroles peuvent sexpliquer de deux maničres. Dune premičre maničre en les rapportant ŕ la résurrection des corps. Elles signifient alors : il est vrai quau terme tous ressusciteront, mais il y a plus LHEURE VIENT ET CEST MAINTENANT, oů certains que le Seigneur allait ressusciter, ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU. Ainsi Lazare lentendit lorsquil lui fut dit : Viens dehors 73 et quil revint ŕ la vie; ainsi lentendirent la fille du chef de la synagogue et le fils de la veuve 74. Cest pourquoi Il dit expressément : ET CEST MAINTENANT en ce sens que, par moi, les morts commencent ŕ ętre rendus ŕ la vie.
On peut comprendre dune autre maničre, selon Augustin 75, en rapportant les paroles ET CEST MAINTENANT ŕ la résurrection de lâme. Il y a en effet, comme nous lavons dit plus haut, une double résurrection celle des corps, qui sera et qui nest pas encore, mais qui aura lieu lors du jugement ŕ venir; et celle des âmes qui passent de la mort de lincroyance ŕ la vie de la foi, et de linjustice ŕ la justice; et celle-lŕ se réalise déjŕ MAINTENANT. Aussi dit-Il : LHEURE VIENT, ET CEST MAINTENANT, OU LES MORTS, cest-ŕ-dire ceux qui ne croient pas et les pécheurs, ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, ET CEUX QUI LAU RONT ENTENDUE VIVRONT selon la vraie foi.
71. 1 Jean 2, 18.
72 Ro 13, 11.
73. Jean 11, 43.
74. Cf. ci-dessus, note 12. Voir ŕ ce sujet THEOPHYLACTUS
(archevęque de Bulgarie, XP sičcle), Enarratio in Evangelium S. bannis, ch. 5,
PG 123, col. 1271 D. Voir également ci-dessous, n° 787.
75. Tract, in b. XIX, 8-9 et XXII, 12, pp. 177-179 et 343-345.
780. Mais ces paroles impliquent deux choses étonnantes la premičre quand le Christ dit que les morts entendent, la seconde lorsquIl ajoute que par laudition ils reviennent ŕ la vie, comme si laudition précédait la vie, alors que pourtant elle est un acte de la vie 76.
Mais si nous rapportons cela ŕ la résurrection des corps, il est vrai que LES MORTS ENTENDRONT, cest-ŕ-dire obéiront A LA VOIX DU FILS DE DIEU 77. La voix, en effet, exprime ce que lon conçoit intérieurement. Or la nature tout entičre obéit radicalement ŕ ce que Dieu veut et conçoit Il appelle les choses qui ne sont pas comme celles qui sont 78. Ainsi ce sont les arbres et les pierres, et non pas seulement les os des séchés et les cendres des morts, qui ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU, en ce sens que tous obéiront radicalement ŕ son bon plaisir. Et cela ne convient pas au Christ en tant quIl est Fils de lhomme, mais en tant quIl est Fils de Dieu, parce que cest au Verbe de Dieu que toutes choses obéissent. Cest pourquoi Il dit expressément : DU FILS DE DIEU Quel est celui-ci, disaient-ils, pour que les vents et la mer lui obéissent ? 79
Męme si on rapporte ces paroles ŕ la résurrection des âmes, les difficultés sexpliquent en effet, la voix du Fils de Dieu, par laquelle Il meut le cur des croyants, intérieurement par inspiration, ou extérieurement par sa propre prédication ou celle des autres, a le pouvoir de donner la vie Les paroles que je vous ai dites son esprit et vie 80, et ainsi sa voix donne la vie aux morts lorsquelle justifie les impies. Ainsi, par ce que la voie qui mčne ŕ la vie est laudition, quelle soit celle de la nature qui, en obéissant, mčne ŕ la restauration de la nature, ou celle de la foi qui mčne ŕ la restauration de la vie et de la justice, Il dit : ET CEUX QUI LAURONT ENTENDUE, par lobéissance quant ŕ la résurrection des corps, ou par la foi quant ŕ la résurrection des âmes, VIVRONT dans leurs corps dans la vie éternelle, et dans la justice dans la vie de la grâce.
76. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XIX,
10, p. 183.
77. Loc. cit.
78. Ro 4, 17.
79. Mt 8, 27.
80. Jean 6, 64.
"Car,
comme le Pčre a la vie en Lui-męme, ainsi a-t-Il aussi donné au Fils davoir la
vie en Lui-męme. 27 Et Il Lui a donné le pouvoir dexercer le jugement, parce
quIl est le Fils de lhomme. Ne vous en étonnez pas, parce quelle vient,
lheure oů tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de
Dieu; et ils en sortiront, ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection
de vie; mais ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de jugement. Je
ne puis rien faire de moi-męme. Comme jentends, je juge; et mon jugement est
juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui ma
envoyé. "
781. Plus haut [n° 755] le Seigneur a montré quIl avait la puissance de donner la vie et celle de juger, et Il a manifesté lune et lautre par leurs effets. Ici, Il montre comment lune et lautre puissances Lui reviennent; II le montre dabord de la puissance de donner la vie [n° 782], puis de celle de juger [n° 784].
I
CAR,
COMME LE PERE A LA VIE EN LUI-MEME, AINSI A-T-IL AUSSI DONNE AU FILS DAVOIR LA
VIE EN LUI-MEME 1.
782. Il dit donc dabord ceci : "Je dis que, comme le Pčre relčve les morts, moi aussi je le fais, et celui qui écoute ma parole ŕ la vie éternelle" 2 ; et si jai ce pouvoir de donner la vie, cest parce que, COMME LE PERE A LA VIE EN LUI-MEME, AINSI A-T-IL AUSSI DONNE AU FILS DAVOIR LA VIE EN LUI-MEME.
A ce sujet il faut savoir que certains ętres vivent, mais nont pas la vie en eux-męmes, comme le dit Paul Ce que je vis maintenant dans la chair, cest dans la foi au Fils de Dieu que je le vis (...). Je vis, mais ce nest plus moi, cest le Christ qui vit en moi 3. Il vivait donc, non en lui-męme, mais en un autre par qui il vivait. De męme le corps vit, lui aussi, et cependant na pas la vie en lui-męme, mais en lâme par laquelle il vit. Celui-lŕ donc A LA VIE EN LUI-MEME, qui a la vie essentielle et non participée, cest-ŕ-dire qui est Lui-męme la vie. Or, en tout genre de réalités, celle qui est par essence est cause de celles qui sont par participation : par exemple, le feu est cause de tout ce qui est enflammé. Ce qui est par essence la vie est donc cause et principe de toute vie dans les vivants. Aussi, pour quune réalité soit le principe de la vie, faut-il quelle soit la vie par essence. Cest donc ŕ juste titre que le Seigneur manifeste quIl est le principe de toute vie en disant quIl a LA VIE EN LUI-MEME, cest-ŕ-dire par essence, quand Il dit que, COMME LE PERE A LA VIE EN LUI MEME, cest-ŕ-dire, comme Il est vivant par essence, de męme aussi le Fils. Donc, comme le Pčre est la cause premičre de la vie, ainsi son Fils lest aussi.
Le Christ montre aussi légalité du Fils avec le Pčre quand Il dit : COMME LE PERE A LA VIE EN LUI-MEME; et leur distinction quand Il dit AINSI A-T-IL AUSSI DONNE AU FILS DAVOIR LA VIE EN LUI MEME. En effet, le Pčre et le Fils sont égaux dans la vie, mais Ils se distinguent en ceci, que le Pčre donne et que le Fils reçoit. Mais il ne faut pas comprendre par lŕ que le Fils reçoive la vie du Pčre qui la Lui donnerait comme sIl avait dabord existé sans lavoir 4, de la męme maničre que, dans les réalités inférieures, la matičre premičre existant [en puissance] reçoit la forme, et le sujet est soumis ŕ laccident. Car il ny a rien dans le Fils qui préexiste au don de la vie. En effet, comme le dit Hilaire, "le Fils na rien qui ne soit né" 5, cest-ŕ-dire quIl nait reçu par sa naissance, et puisque la vie męme est en Lui, les paroles "le Pčre a donné au Fils la vie" doivent sentendre ainsi : Le Fils, Il la engendré ŕ la Vie 6. Comme si lon disait que "lesprit donne vie ŕ la parole", non en ce sens que la parole préexisterait et recevrait ensuite la vie, mais parce que lesprit a produit la parole dans la męme vie dont lui vit.
1. Notre traduction du sic dedit et Filio paraîtra sans doute un
peu lourde; mais elle veut rendre compte ŕ la fois du sic et du et (en grec
kai), qui est généralement passé sous silence (sauf par Le Maistre de Saci qui
traduit : "Il a aussi donné au Fils" et par E. Osty qui traduit :
"ainsi a-t-il donné pareillement au Fils").
2. Jean 5, 21 et 24.
3. Ga 2, 20. Saint Thomas inverse les deux parties du verset.
4. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in la. XIX, 11-13 et XXII, 9-10, BA 72, pp. 189-197 et 337-341; De Trinitate,
XV, XXvi, 47, BA 16, p. 553. Voir aussi SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom.,
39, ch. 1, PG 59, col. 220.
783. Par ces paroles, toujours selon Hilaire 7, sont réfutées trois erreurs. Dabord celle des Ariens 8. Ceux-ci, tout en soutenant que le Fils est inférieur au Pčre, ont été contraints, par ce qui a été dit plus haut Tout ce que [le Pčre] fait, cela le Fils aussi le fait pareillement 9, de reconnaître que le Fils est égal au Pčre en puissance; cependant ils niaient encore quIl Lui soit égal dans sa nature. Mais voici que męme sur ce point ils sont réfutés par ces paroles : COMME LE PERE A LA VIE EN LUI-MEME, AINSI A-T-IL AUSSI DONNE AU. FILS DAVOIR LA VIE EN LUI-MEME. En effet, puisque la vie appartient ŕ la nature, si le Fils a la vie en Lui-męme comme le Pčre, il est manifeste quIl a en Lui la nature de Celui qui est son origine, nature semblable et égale au Pčre.
En second lieu, lerreur des Ariens niant la coéternité du Fils avec le Pčre, et disant que le Fils avait commencé dans le temps, est réfutée par ces paroles LE FILS A LA VIE EN LUI-MEME. Car dans tous les vivants dont la génération a lieu dans le temps on peut toujours trouver quelque chose qui, ŕ un moment donné, fut non vivant. Mais dans le Fils, tout ce qui est est la vie elle-męme, et cest pourquoi Il reçoit la vie elle-męme de telle sorte quIl a la vie en Lui-męme, si bien quIl a toujours été vivant.
Enfin, par les paroles IL A DONNE est réfutée lerreur de Sabellius 10 qui niait la distinction des personnes. En effet, si le Pčre a donné au Fils la vie, il est manifeste quautre est le Pčre qui a donné, autre le Fils qui a reçu.
5. De Trin., IV, 10, CCL vol. LXII, p. 111.
6. En latin : Dedit Filio vitam, idest, produxit Filium vitam. Lattribut
qui se rapporte ŕ un complément est généralement précédé en français de
"comme" ou "en qualité de". Nous dirions donc que "le
Pčre a engendré le Fils comme vie" (comme vie et non pas seulement comme
vivant). Mais laffirmation na-t-elle pas plus de force encore sous la forme
abrupte quelle a en latin? Cf. Jérémie 15, 10 Quare genuisti me virum rixae?,
que J. -B. Glaire et F. Vigouroux, dans La sainte Bible polyglotte, traduisent
: "Pourquoi mavez-vous enfanté homme de querelle?" (La Bible de
Jérusalem traduit de maničre semblable, mais nous nous référons ŕ la Bible
polyglotte parce que la traduction française y est faite daprčs la Vulgate.)
Dans les passages parallčles des Tract. in b. saint Augustin dit : "Le
Pčre qui est la vie en Lui-męme a engendré un Fils qui serait la vie en
Lui-męme (genuit Filium qui esset vita in semetipso)", "Il La
engendré pour quIl soit la vie (genuit ut vita esset)" (op. cit., XIX,
13, pp. 195-197). "En disant : Il a donné au Fils, cest comme sil disait
Il a engendré le Fils, car cest en Lengendrant quIl Lui a donné. Comme Il
Lui a donné dętre, Il Lui a donné dętre la vie... " LXXII, 10, p. 341). Voir
aussi De Trin., I, xII, 26, BA 15, p. 161" Les paroles : "Il a donné
au Fils davoir la vie en Lui-męme ť signifient que le Pčre a engendré le
Fils pour ętre la vie immuable (genuit Filium esse incommutabIIem vitam). "
II, n° 4, p. 191 "Les paroles Il a donné au Fils la vie ne signifient
rien dautre que : Il a engendré le Fils qui est la vie (genuit Filium qui est
vita). "
7. Voir Liber de Synodis seu de Fide Orientalium, definit. II,
IV et VI, PL 10, col. 491, 492-493 et 495; De Trin., II, 11; V, 37; VI, 35; IX,
37, 53 et 69, CCL vol. LXII et LXII A, pp. 48. 49, 192, 238-239, 411, 431 et
450 (PL 10, ioc. parall.).
8. Cf. ci-dessus, n° 742, note 73.
9. Jean 5, 19.
10. Cf. ci-dessus, n° 749, note 13.
II
ET IL
LUI A DONNE LE POUVOIR DEXERCER LE JUGEMENT, PARCE QUIL EST LE FILS DE
LHOMME. NE VOUS EN ETONNEZ PAS, PARCE QUELLE VIENT, LHEURE OU TOUS CEUX QUI
SONT DANS LES TOMBEAUX ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU; ET ILS EN SORTIRONT,
CEUX QUI AU RONT FAIT LE BIEN, POUR UNE RESURRECTION DE VIE; MAIS CEUX QUI
AURONT FAIT LE MAL, POUR UNE RESURRECTĎON DE JUGEMENT. JE NE PUIS RIEN FAIRE DE
MOI-MEME. COMME JENTENDS, JE JUGE; ET MON JUGEMENT EST JUSTE, PARCE QUE JE NE
CHERCHE PAS MA VOLONTE, MAIS LA VOLONTE DE CELUI QUI MA ENVOYE.
784. Le Christ manifeste maintenant quIl a le pouvoir de juger. Il commence par manifester ce pouvoir de juger en indiquant son origine [n° 785], puis en montrant léquité du jugement [n° 792], aprčs quoi Il donnera lexplication de ce quIl vient de dire [n° 794].
ET IL
LUI A DONNE LE POUVOIR DEXERCER LE JUGEMENT, PARCE QUIL EST LE FILS DE LHOM
ME. NE VOUS EN ETONNEZ PAS, PARCE QUELLE VIENT, LHEURE OU TOUS CEUX QUI SONT
DANS LES TOMBEAUX ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU.
785. Ces paroles peuvent se
lire de deux maničres; lune est celle de Chrysostome, lautre celle
dAugustin.
786. Si on les lit comme le fait Chrysostome 11, elles se divisent en deux parties, le Christ montrant dabord doů Il tient son pouvoir de juger, puis excluant ensuite une difficulté [n° 787]. En effet, pour Chrysostome, le texte de Jean se ponctue ainsi IL LUI A DONNE LE POUVOIR DEXERCER LE JUGEMENT. PARCE QUIL EST LE FILS DE LHOMME, NE VOUS EN ETONNEZ PAS... La raison de cette ponctuation est que Paul de Samosate, un hérétique des premiers sičcles qui soutenait, comme Photin 12, que le Christ nétait quun homme et avait commencé dexister en la Vierge, ponctuait ainsi : IL LUI A DONNE LE POU VOIR DEXERCER LE JUGEMENT PARCE QUIL EST LE FILS DE LHOMME. NE VOUS EN ETONNEZ PAS, PARCE QUELLE VIENT, LHEURE OU TOUS CEUX QUI SONT DANS LES TOMBEAUX ENTEN DRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU. Comme sil en tendait par lŕ quil avait été nécessaire de donner le pouvoir de juger au Christ PARCE QUIL EST LE FILS DE LHOMME, cest-ŕ-dire un homme seulement, ŕ qui, de soi, il nappartient pas de juger les hommes, de sorte que sil juge il faut que le pouvoir de juger lui soit donné dailleurs.
Mais, pour Chrysostome, cela ne tient pas, parce que ce nest pas du tout en accord avec ce qui est affirmé. En effet, si cest parce quIl est homme que le Christ a reçu le pouvoir de juger, alors, pour la męme raison, ce pouvoir ne Lui revient pas plus quaux autres hommes, puisque tout homme a [dans cette hypothčse] le pouvoir de juger, du seul fait de sa nature humaine. Ce nest donc pas ainsi quil faut lire; on doit dire au contraire que cest parce quIl est le Fils du Dieu ineffable quIl est aussi juge. Cest du reste bien ce quIl dit : non seulement le Pčre Lui a donné le pouvoir de donner la vie, mais encore IL LUI A DONNE LE POUVOIR, par la génération éternelle, DEXERCER LE JUGEMENT, de męme que par elle Il LUI A DONNE DAVOIR LA VIE EN LUI-MEME Cest Lui qui a été établi par Dieu juge des vivants et des morts 13. Pour Chrysostome, le Christ écarte donc ici une difficulté. Il la soulčve en disant NE VOUS EN ETONNEZ PAS, puis Il lexclut en disant PARCE QUELLE VIENT, LHEURE...
12. Cf. n° 64, note 68 (vol. I, 2 éd.,
pp. 110-111).
11. In loannem hom., 39, ch. 3, col. 223-224.
787. Une difficulté, en effet, sélevait dans le cur des Juifs : estimant que le Christ nétait rien de plus quun homme, et constatant quIl disait de Lui-męme des choses qui surpassaient lhomme et męme lange 14, ils sétonnaient en Lentendant. Et cest pourquoi Il dit NE VOUS EN ETONNEZ PAS, cest-ŕ-dire ne vous étonnez pas que j'aie dit que le Fils fait vivre les morts et a le pouvoir de juger précisément parce quIL EST LE FILS DE LHOMME. Cest bien de cela quils sétonnaient, en effet : ne Le regardant que comme un homme, ils voyaient en Lui des uvres divines Ils étaient dans létonnement : "Quel est celui-ci, disaient-ils, pour que les vents et la mer Lui obéissent?" 15 . Le Christ donne alors la raison pour laquelle ils ne doivent pas sétonner : Lui-męme, qui est le FILS DE LHOMME, est identiquement le FILS DE DIEU.
Bien que la proposition "Lui-męme,
qui est le Fils de lhomme, est identiquement le Fils de Dieu" ne soit
pas exprimée, le Seigneur affirme cependant, comme le note Chrysostome 16, ce dont cette
proposition est la conséquence nécessaire. Cest ainsi que, fréquemment, ceux
qui procčdent par syllogismes dans leur enseignement nexpriment pas ce quils
ont principalement lintention de montrer, mais ce qui sensuit nécessairement.
Ainsi le Seigneur ne dit pas quIl est Lui-męme le Fils de Dieu, mais que le
Fils de lhomme est tel quŕ sa voix tous les morts ressuscitent; doů il suit
nécessairement quIl est le Fils de Dieu, car ressusciter les morts est luvre
propre de Dieu. Voilŕ pourquoi Il dit : NE VOUS EN ETONNEZ PAS, PARCE QUELLE
VIENT, LHEURE OU TOUS CEUX QUI SONT DANS LES TOMBEAUX ENTENDRONT LA VOIX DU
FILS DE DIEU. Cependant Il ne dit pas et cest maintenant 17, comme Il la dit plus haut, et
Il ne le dit pas parce que ce nest pas encore lheure 18. Notons aussi quIl dit ici
TOUS, ce quIl navait pas dit plus haut; parce que, dans la premičre
résurrection, Il en ressuscita seulement quelques-uns : Lazare, le fils de la
veuve et la jeune fille 19; tandis que, lors de la résurrection ŕ venir, celle qui aura lieu au
jour du jugement, TOUS CEUX QUI SONT DANS LES TOMBEAUX ENTENDRONT LA VOIX DU
FILS DE DIEU, et ils ressusciteront Ainsi parle le Seigneur Dieu : Voici que
moi jouvrirai vos tombeaux, et je vous tirerai de vos sépulcres 20.
788. Pour Augustin 21, il faut lire
en ponctuant ainsi : IL LUI A DONNE LE POUVOIR DEXERCER LE JUGEMENT PARCE
QUIL EST LE FILS DE LHOMME : NE VOUS EN ETONNEZ PAS... Selon cette lecture,
les paroles du Christ se divisent en deux parties dont la premičre affirme le
don fait au Fils de lhomme du pou voir de juger, et dont la seconde manifeste
ce don par le don dun pouvoir plus grand encore [n° 790].
789. Au sujet de la premičre partie il faut se rappeler que plus haut le Christ (selon linterprétation dAugustin) a parlé de la résurrection des âmes, qui est réalisée par le Fils de Dieu, tandis quici Il parle de la résurrection des corps qui est réalisée par le Fils de lhomme. Et parce que la résurrection universelle des corps doit avoir lieu au moment du jugement, Il commence ici par parler du jugement en disant : IL LUI A DONNE, ŕ Lui le Christ, LE POUVOIR DEXERCER LE JUGEMENT, et cela PARCE QUIL EST LE FILS DE LHOMME, cest-ŕ-dire selon sa nature humaine 22. Cest pourquoi également Il dit aprčs sa résurrection Tout pouvoir ma été donné au ciel et sur la terre 23.
Or le pouvoir de juger a été donné au Christ en tant quhomme, pour trois raisons. Dabord pour quIl soit vu de tous. Il est nécessaire, en effet, que le juge soit vu de ceux qui doivent ętre jugés. Or bons et méchants seront jugés; les bons, eux, verront le Christ selon sa divinité et son humanité; mais les méchants ne pourront pas le voir selon sa divinité, car cette vision est la béatitude des saints 24 et elle est réservée aux curs purs Bienheureux ceux qui ont le cur pur, car ils verront Dieu 25. Cest pourquoi, afin dętre vu lors du jugement, non seulement des bons, mais aussi des méchants, Il jugera dans sa forme humaine 26.
Tout il Le verra, et męme ceux qui Lont transpercé 27. Si le pouvoir de juger a été donné au Christ en tant quhomme, cest aussi parce quIl a, par lhumilité de sa Passion, mérité la gloire de son exaltation. Aussi, comme le dit Augustin 28, de męme que cest celui qui a été mort qui est ressuscité, de męme la forme qui jugera sera celle qui a été jugée, et siégera comme juge pour le jugement des hommes celui qui a comparu devant un juge homme. Il condamnera les vrais coupables, Lui qui fut faussement accusé Ta cause a été jugée comme celle de limpie; [mais] tu reprendras la cause et le jugement 29.
Enfin, le pouvoir de juger a été donné au Christ en tant quhomme pour nous faire comprendre la clémence du juge. En effet, que lhomme soit jugé par Dieu, cela nous apparaît trčs redoutable, car il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant 30 ; mais que lhomme ait pour juge un homme, voilŕ qui donne confiance. Aussi, pour que vous expérimentiez la clémence du juge, aurez-vous un homme pour juge Nous navons pas un grand prętre incapable de compatir ŕ nos faiblesses, Lui qui a été éprouvé en tout dune maničre semblable ŕ nous, hormis le péché 31.
Ainsi donc, le Pčre a donné au Christ LE POUVOIR DEXERCER LE JUGEMENT PARCE QUIL EST LE FILS DE LHOMME.
13. Ac 10, 42.
14. Voir SAINT JEAN CIIRYSOSTOME, loc. cit., col. 224.
15. Mt 8, 27.
16. Loc. cit. Saint Jean Chrysostome ajoute que si le Christ
laissa les Juifs inférer quIl était le Fils de Dieu, cétait pour que cette
affirmation leur fűt" moins odieuse".
17 Jean 5, 25.
18. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XIX, 16, p. 209; XXII, 12, p. 345.
19. Cf. ci-dessus, n° 759 et 779.
20. Ez 37, 12. Voir SAINT AUGUSTIN, op. cit., XIX, 9 et 17,
XXII,
12 et XXIII, 15, pp. 177-181, 213-215, 345 et 401. Mais pour
saint Augustin (cf. ci-dessus, n° 779), la résurrection qui a lieu maintenant
est avant tout spirituelle il sagit de la résurrection des âmes, plus que des
miracles opérés par le Christ ŕ légard de Lazare, de la fille de Jaďre ou du
fils de la veuve.
21. Op. cit., XIX, 16 et XXII, 12, pp. 209 et 345.
22. Cf. ci-dessus, n 762 et note 26. Voir aussi SAINT AUGUSTIN,
op. cit., XXIII, 15, P. 401 "La résurrection des âmes,
le Pčre laccomplit ŕ partir de (ex) sa propre substance par (per) la substance
du Fils, par laquelle (qua) Celui-ci Lui est égal (...); mais la résurrection
des corps, le Pčre laccomplit par le Fils de lhomme. "
23. Mt 28, 18.
24. Cf. ci-dessus, u" 763.
25. Mt 5, 8.
26. Judicabit in forma humana entendons : dans sa nature
humaine, instrument conjoint de sa divinité. Dans le passage parallčle de son
commentaire, saint Augustin ne parle pas de la forma humana, mais de la forma
servi (cf. Phi 2, 7 la nature ou condition de serviteur, desclave) : voir
Tract. in Ioann., XIX, 16, p. 211; XXIII, 15, p. 403.
27. Ap 1, 7. Cf. SAINT AUGUSTIN, loc. cit., pp. 211-213 et De
Trin., I, XI 29, BA 15, p. 171.
28. Sermones de Scripturis, 127 (ou Sermones de Verbis Domini,
64, selon les éditions antérieures), ch. 7, 10, PL 38, col. 711.
29. Jb 36, 17 (le "mais" ne figure ni dans la Vulgate,
ni dans la Vetus latina). Ce verset de Job, dont le texte original (hébreu)
est, selon E. Osty, "profondément corrompu et en partie
inintelligible", est également obscur dans la Vulgate, au moins dans sa
seconde partie : causam judicium que recipies. Mais la citation quen fait
saint Thomas ici séclaire si lon se reporte ŕ son Commentaire sur Job, qui
est probablement antérieur au Commentaire sur lEvangile de saint Jean :
"Parce quil [avait montré que "Dieu ne rejette pas les
puissants" [36, 5], et que dautre part Job, accablé par de multiples
adversités, semblait rejeté de Dieu, il ajoute : Ta cause a été jugée comme
celle de limpie autrement dit tu nes pas puni parce que tu étais puissant,
mais comme un impie. Et en revanche il promet la compensation qui lui sera
accordée sil fait pénitence, lorsquil ajoute : Tu reprendras la cause et le
jugement, cest-ŕ-dire que te seront restitués la cause et le jugement afin que
tu puisses [ton tour] examiner les causes des autres et porter sur elles un
jugement" (Expositio super bob ad litteram, XXVI, 17, p. 190).
30. He 10, 31.
790. Mais NE VOUS EN ETONNEZ PAS, car Il Lui a conféré un plus grand pouvoir, celui de ressusciter les morts. Cest pourquoi le Christ dit : PARCE QUELLE VIENT, LHEURE, la derničre qui sera celle de la fin du monde (Il vient le temps, il est proche le jour de la tuerie 32), LHEURE OU TOUS CEUX QUI SONT DANS LES TOMBEAUX ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU. Plus haut Il na pas dit TOUS, parce quIl parlait alors de la résurrection spirituelle, et que tous ne ressuscitčrent pas de cette résurrection-lŕ lors de son premier avčnement, car la foi nest pas le fait de tous 33 ; alors quici Il parle de la résurrection des corps, selon laquelle tous ressusciteront 34. Mais Il ajoute : CEUX QUI SONT DANS LES TOMBEAUX, ce quIl navait pas dit plus haut, car les âmes ne sont pas dans les tombeaux, mais seulement les corps, dont ce sera alors la résurrection 35. TOUS CEUX, donc, QUI SONT DANS LES TOM BEAUX, ENTENDRONT LA VOIX DU FILS DE DIEU.
Cette voix sera un signe
sensible du Fils de Dieu, signe auquel tous ressusciteront : Le Seigneur
Lui-męme, au commandement et ŕ la voix de larchange, et au son de la trompette
de Dieu, descendra du ciel; et ceux qui sont morts dans le Christ
ressusciteront les premiers... 36. En un instant, en un clin dil, au son de la trompette finale (...),
les morts ressusciteront incorruptibles 37 Au milieu de la nuit
séleva un cri Voici lépoux qui vient, sortez au-devant de lui 38. Et cette voix
tiendra sa puissance de la divinité du Christ : Il donnera ŕ sa voix dętre une
voix puissante 39.
791. Mais, comme on la noté plus haut [n° 762], Augustin dit que la résurrection des corps est réalisée par le Verbe fait chair, et la résurrection des âmes par le Verbe; il faut donc chercher comment comprendre cela. En effet, cela pourrait sentendre de la cause premičre ou de la cause méritoire. Sil sagit de la cause premičre, il est manifeste que la divinité du Christ est cause de la résurrection corporelle et spirituelle, cest-ŕ-dire de la résurrection des corps et des âmes Cest moi qui fais mourir et moi qui fais vivre 40. Mais sil sagit de la cause méritoire, alors lhumanité du Christ, elle aussi, est cause de lune et lautre résurrection; car, par les mystčres qui ont été accomplis dans la chair du Christ, nous sommes restaurés non seulement quant ŕ nos corps pour une vie incorruptible, mais aussi quant ŕ nos âmes pour une vie spirituelle Il a été livré pour nos fautes et Il est ressuscité pour notre justification 41. Ce que dit Augustin ne semble donc pas vrai.
A cela il faut répondre quAugustin parle de la cause exemplaire, celle par laquelle ce qui reçoit la vie est conformé ŕ celui qui la donne; car tout ce qui vit par un autre est conformé ŕ celui par qui il vit. Or la résurrection des âmes ne consiste pas dans le fait que les âmes soient conformées ŕ lhumanité du Christ, mais au Verbe, car cest par le Verbe seul que vit lâme. Voilŕ pourquoi Augustin dit que la résurrection des âmes est réalisée par le Verbe. Mais la résurrection des corps, elle, consistera en ce que nos corps seront conformés au corps du Christ par la vie de gloire, cest-ŕ-dire par la glorification des corps : Notre Seigneur Jésus-Christ transformera notre corps de misčre en le conformant ŕ son corps de gloire 42. Cest pour cela quAugustin dit que la résurrection des corps est réalisée par le Verbe fait chair.
31. He 4, 15.
32. Ez, 7, 7.
33. 2 Th 3, 2.
34. Cf. 1 Corinthiens 15, 20-23.
35. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in b. XIX,
17, pp. 213-215.
36. 1 Th 4, 16.
37. 1 Corinthiens 15, 52.
38. Mt 25, 6.
39. Ps 67, 34.
40. Deut 32, 39.
41. Ro 4, 25. Cf. Isaďe 53, 6.
ET
ILS EN SORTIRONT, CEUX QUI AURONT FAIT LE BIEN, POUR UNE RESURRECTION DE VIE;
MAIS CEUX QUI AURONT FAIT LE MAL, POUR UNE RESURRECTION DE JUGEMENT.
792. Le Christ montre ici
léquité du jugement. Les bons seront récompensés, et cest pourquoi Il dit :
ILS SORTIRONT, CEUX QUI AURONT FAIT LE BIEN, POUR UNE RESURRECTION DE VIE,
cest-ŕ-dire pour vivre dans la gloire éternelle. Quant aux méchants, ils
seront condamnés : CEUX QUI AURONT FAIT LE MAL sortiront de leur tombeau POUR
UNE RESURRECTION DE JUGEMENT, cest-ŕ-dire quils ressusciteront pour leur
condamnation Ceux-ci sen iront au châtiment éternel, et les justes ŕ la vie
éternelle 43. Beaucoup de ceux qui
dorment dans la poussičre de la terre se réveilleront : les uns pour la vie
éternelle, les autres pour lopprobre quils auront toujours devant les yeux 44.
793. Remarquons que plus haut, en parlant de la résurrection des âmes, le Christ dit que ceux qui auront entendu sa voix vivront 45, alors quici Il dit quils SORTIRONT. SIl sexprime ainsi, cest ŕ cause des méchants qui vont ŕ leur condamnation, car leur vie ne doit pas ętre appelée une vie, mais plutôt une mort éternelle.
De męme, plus haut, Il a fait mention de la foi seulement, en disant : Celui qui écoute ma parole et croit ŕ Celui qui ma envoyé a la vie éternelle et il ne vient pas en jugement 46 mais ici, pour quon ne croie pas que la foi seule, sans les uvres, suffise au salut, Il fait mention des uvres bonnes 47 en disant CEUX QUI AU RONT FAIT LE BIEN, POUR UNE RESURRECTION DE VIE, comme sIl disait Ce nest pas celui qui croit uniquement, mais celui qui, ayant la foi, agit bien, qui sortira POUR UNE RESURRECTION DE VIE; car la foi sans les uvres est morte 48.
42. Phi 3, 21.
43. Mt 25, 46.
44. Dan 12, 2.
45. Jean 5, 25.
46. Jean 5, 24.
47. Cf. SAINT JEAN CHRYs0sTOME, op. cit.,
39, ch. 3, col. 224.
48. Ja 2, 26.
JE NE
PUIS RIEN FAIRE DE MOl-MEME. COMME JENTENDS, LE JUGE; ET MON JUGEMENT EST
JUSTE, PARCE QUE JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTE, MAIS LA VOLONTE, DE CELUI QUI
MA ENVOYE.
794. Le Christ explique
maintenant ce quIl vient de dire. Or II vient daffirmer lorigine de son
pouvoir, puis léquité du jugement. Il donne donc ici successivement la
justification de la premičre affirmation [n° 795], puis celle de la
seconde [n°
796].
795. Au sujet de lorigine de son pouvoir, il faut savoir que ce quIl dit : JE NE PUIS RIEN FAIRE DE MOI-MEME. COMME JENTENDS, JE JUGE, peut lŕ encore, selon Augustin 49 se lire de deux maničres, suivant quon le rapporte au Fils de lhomme [n° 795-796] ou au Fils de Dieu [n° 797-798].
Rapportons-le dabord au Fils
de lhomme : "Tu dis que tu as le pouvoir de ressusciter les morts,
parce que tu es le Fils de lhomme; mais ce pouvoir tappartient-il en tant que
tu es le Fils de lhomme?" "Non, car JE NE PUIS RIEN FAIRE DE
MOI-MEME. SELON QUE JENTENDS, JE JUGE." Il ne dit pas "selon
que je vois", comme précédemment Le Fils ne peut rien f aire de
Lui-męme si ce nest ce quIl a vu faire au Pčre 50 mais COMME
JENTENDS. Car entendre est ici la męme chose quobéir; or obéir appartient ŕ
celui ŕ qui on donne un commandement, tandis que commander revient au
supérieur. Cest pourquoi, parce que le Christ en tant quhomme est inférieur
au Pčre, II dit COMME JENTENDS, cest-ŕ-dire selon ce qui est inspiré par Dieu
au plus intime de mon âme Jécouterai ce que dit en moi le Seigneur Dieu 51. Mais plus haut, parce quIl
parlait de Lui en tant quIl est le Verbe de Dieu, Il a dit ce quIl a vu.
796. En disant ensuite : MON JUGEMENT EST JUSTE, PARCE QUE JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTE, MAIS LA VOLONTE DE CELUI QUI MA ENVOYE, le Christ manifeste léquité de son jugement. Il avait dit en effet CEUX QUI AURONT FAIT LE BIEN sortiront de leurs tombeaux POUR UNE RESURRECTION DE VIE. Mais on pourrait dire : Ne fera-t-Il pas grâce ŕ certains en les punissant moins ou en les récompensant davantage? Aussi répond-Il que non, en disant : MON JUGEMENT EST JUSTE; et la raison en est que JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTE, MAIS LA VOLONTE DE CELUI QUI MA ENVOYE.
Il y a en effet dans le Seigneur Jésus-Christ deux volontés : lune, divine, qui ne fait quun avec celle du Pčre; lautre, humaine, qui Lui est propre, comme il Lui est propre dętre homme. La volonté humaine se porte vers son bien propre; mais, dans le Christ, elle était dirigée et réglée par la rectitude de sa raison, de sorte quelle se conformait toujours en tout ŕ la volonté divine. Cest pourquoi Il dit : JE NE CHERCHE PAS ŕ accomplir MA VOLONTE propre, qui delle-męme est inclinée vers son bien propre, MAIS LA VOLONTE DE CE LUI QUI MA ENVOYE, le Pčre En tęte du livre il a été écrit de moi que jaccomplisse ta volonté; mon Dieu, je lai voulu 52. Non pas comme je veux, mais comme tu veux 53.
Si lon considčre attentivement ces paroles du Seigneur, on voit quIl donne ici la raison vraie du jugement juste en disant : PARCE QUE JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTE 54. Car le jugement de quelquun nest pas injuste quand il sexerce selon la rčgle de la loi. Or la volonté divine est la rčgle et la loi de la volonté créée; cest pourquoi la volonté créée et la raison qui sont réglées selon la rčgle de la volonté divine sont justes, et leur jugement est juste 55.
49. Tract. in b. XIX, 19, XXII 14-15 et XXIII 15 pp. 221-223,
347-35 1 et 401-403.
50. Jean 5, 19.
51. Ps 84, 9.
52. Ps 39, 9; cf. He 10, 7-9.
53. Mt 26, 39.
54. Cf. SAINT ATJGUSTIN, op. cit., XXIII, 15, P. 402 "Doů
vient que le jugement de lhomme est juste? (Unde est iudicium iustum hominis?)"
Mes frčres, soyez attentifs : Cest que je ne cherche pas ma volonté, mais la
volonté de Celui qui ma envoyé. "Nous renvoyons ici ŕ la page du texte
latin de saint Augustin, car nous nous sommes permis de corriger la traduction
suivante" Doů provient la justice de ce jugement dhomme?" Il est
évident que la raison que donne saint Augustin est la raison propre de ce
jugement dhomme; mais il nous semble quil veut donner ici la raison propre du
jugement juste de lhomme. Saint Thomas reprend le attendite ("soyez
attentifs") de saint Augustin, mais il y joint un diligenter qui le fait
aller jusquau bout de lexplication (que ne donnait pas saint Augustin).
797. On peut aussi entendre ce que dit ici le Christ en le rapportant au Fils de Dieu [n° 795], sans changer la division donnée préalablement [n° 794]. Le Christ, parlant en tant que Verbe et manifestant lorigine de son pouvoir, a donc dit JE NE PUIS RIEN FAIRE DE MOI-MEME, de la męme maničre quIl a déclaré plus haut : Le Fils ne peut rien faire de Lui-męme si ce nest ce quil a vu faire au Pčre 56. En effet, son agir et son pouvoir sont son ętre; or son ętre, Il le tient dun autre, cest-ŕ-dire du Pčre; et cest pourquoi, de męme quIl nest pas par Lui-męme, ainsi Il ne peut rien faire de Lui-męme : Je ne fais rien de moi-męme 57.
Quant ŕ la parole : COMME JENTENDS, JE JUGE, elle doit sexpliquer de la męme maničre que celle qui a été dite plus haut : Si ce nest ce quIl a vu faire au Pčre. En effet, en ce qui nous concerne, nous acquérons la science ou la connaissance par la vue et par louďe (car ce sont ces deux sens qui servent le plus ŕ lenseignement); mais parce quen nous, autre est la vue, autre louďe, nous acquérons la science dune maničre par la vue, en découvrant, et dune autre par louďe, en apprenant dun autre. Mais dans le Fils de Dieu, la vue et louďe ne font quun 58. Cest pourquoi, que lon dise : "Il entend" ou "Il voit", le sens est le męme en ce qui concerne lacquisition de la science. Et parce quen toute nature douée dintelligence, le jugement procčde de la science, Il dit dune maničre expressive : COMME JENTENDS, JE JUGE, cest-ŕ-dire : comme jai reçu du Pčre la connaissance avec lętre, simultanément [dans léternité], ainsi JE JUGE Tout ce que jai entendu de mon Pčre, je vous lai fait connaître 59.
55. Cf. Somme théol., I, q. 107, a. 2 "La volonté de Dieu étant la rčgle de la vérité, lesprit
créé se perfectionne et séclaire en sachant ce que Dieu veut. "
56. Jean 5, 19.
57. Jean 8, 28.
58. Cf. ci-dessus, n° 534 et note 66.
59. Jean 15, 15.
60. Voir SAINT AUGUSTIN, op. cit., XXII, 15, p. 351.
798. Enfin, manifestant léquité de son jugement, Il dit : MON JUGEMENT EST JUSTE; et la raison en est que JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTE.
Mais le Pčre et le Fils nont-Ils pas la męme volonté? A cela il faut répondre quIls ont certes la męme volonté, mais que le Pčre ne tient pas sa volonté dun autre, tandis que le Fils la tient dun autre, le Pčre 60. Ainsi donc le Fils accomplit sa volonté comme celle dun autre, cest-ŕ-dire comme la tenant dun autre, tandis que le Pčre laccomplit comme la sienne propre en ce sens quIl ne la tient pas dun autre. Cest pourquoi le Christ dit : JE NE CHERCHE PAS MA VOLONTE, celle qui serait mienne parce quelle aurait son origine en moi-męme, mais celle qui me vient dun autre, le Pčre.
31"
Si cest moi qui rends témoignage de moi-męme, mon témoignage nest pas vrai. Il
y en a un autre qui rend témoignage de moi, et je sais quil est vrai, le
témoignage quil rend de moi. Vous, vous avez envoyé vers Jean, et il a rendu
témoignage ŕ la vérité. Pour moi, ce nest pas dun homme que je reçois le
témoignage; mais je dis cela pour que vous soyez sauvés. Celui-lŕ était la
lampe qui brűle et qui brille, et vous avez voulu exulter un moment ŕ sa
lumičre. Pour moi, jai un témoignage plus grand que Jean; car les uvres que
le Pčre ma données pour que je les accomplisse, ces uvres męmes que je fais,
rendent témoignage de moi, que cest le Pčre qui ma envoyé. Et le Pčre qui ma
envoyé a rendu Lui-męme témoignage de moi. Vous navez jamais entendu sa voix,
ni vu son visage, et vous navez pas sa parole demeurant en vous, parce que
vous ne croyez pas ŕ Celui quIl a envoyé. Vous scrutez les Ecritures parce que
vous pensez, vous, quen elles vous avez la vie éternelle; et ce sont elles qui
rendent témoignage de moi. 40 Et vous ne voulez pas venir ŕ moi pour avoir la
vie. "
799. Aprčs avoir donné son enseignement sur la puissance qua le Fils de donner la vie, le Christ confirme maintenant cet enseignement. Il commence par confirmer, en faisant appel ŕ plusieurs témoignages, ce quIl avait dit de léminence de sa puissance [n° 800], puis Il reproche aux Juifs leur lenteur ŕ croire [n° 825].
Pour confirmer son enseignement, Il montre dabord la nécessité de faire intervenir un témoignage [n° 800], puis Il produit les témoignages eux-męmes [n° 801].
I
SI
CEST MOI QUI RENDS TEMOIGNAGE DE MOI MEME, MON TEMOIGNAGE NEST PAS VRAI
800. Si le Christ montre ainsi la nécessité de produi re un témoignage, cest ŕ cause des Juifs, qui ne croyaient pas en Lui. Mais ce quIl dit ici a quelque chose de sur prenant. En effet, puisque le Seigneur dit plus loin quIl est Lui-męme la vérité 1, comment donc son témoignage ne serait-il pas vrai, sIl est la vérité? Ou ŕ qui croira-t on, si on ne croit pas ŕ la vérité? Cest pourquoi il faut répondre, selon Chrysostome, que le Seigneur parle ici de Lui en fonction de lopinion des autres, de sorte que ses paroles signifient SI CEST MOI QUI RENDS TEMOIGNAGE DE MOI-MEME, MON TEMOIGNAGE NEST PAS VRAI de votre point de vue, puisque vous nacceptez ce que je dis de moi-męme que si cela est confirmé par un autre témoignage : Cest toi qui te rends témoignage; ton témoignage nest pas vrai 2.
1. Jean 14, 6.
2. Jean 8, 13. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom., 40,
ch. 1, PG 59, col. 229.
II
IL Y
EN A UN AUTRE QUI REND TEMOIGNAGE DE MOI, ET JE SAIS QUIL EST VRAI, LE
TEMOIGNAGE QUIL REND DE MOI VOUS, VOUS AVEZ ENVOYE VERS JEAN, ET IL A RENDU
TEMOIGNAGE A LA VERITE. POUR MOI, CE NEST PAS DUN HOMME QUE JE REÇOIS LE
TEMOIGNAGE; MAIS JE DIS CELA POUR QUE VOUS SOYEZ SAUVES. CELUI-LA ETAIT LA
LAMPE QUI BRULE ET QUI BRILLE, ET VOUS AVEZ VOULU EXULTER UN MOMENT A SA LUMIERE.
POUR MOI, JAI UN TEMOIGNAGE PLUS GRAND QUE JEAN; CAR LES UVRES QUE LE PE RE
MA DONNEES POUR QUE JE LES ACCOMPLISSE, CES UVRES MEMES QUE JE FAIS, RENDENT
TE MOIGNAGE DE MOI, QUE CEST LE PERE QUI MA ENVOYE. ET LE PERE QUI MA ENVOYE
A RENDU LUI-MEME TEMOIGNAGE DE MOI VOUS NAVEZ JA MAIS ENTENDU SA VOIX, NI VU
SON VISAGE, ET VOUS NAVEZ PAS SA PAROLE DEMEURANT EN VOUS, PARCE QUE VOUS NE
CROYEZ PAS A CELUI QUIL A ENVOYE. VOUS SCRUTEZ LES ECRITURES PARCE QUE VOUS
PENSEZ, VOUS, QUEN ELLES VOUS AVEZ LA VIE ETERNELLE; ET CE SONT ELLES QUI
RENDENT TEMOIGNAGE DE MOI ET VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI POUR AVOIR LA VIE.
801. Le Christ produit maintenant les témoignages eux-męmes : un témoignage humain [n° 801] et un témoignage divin [n° 814] 3. En ce qui concerne le témoignage de Jean, dont II dira plus loin pourquoi Il linvoque [n° 807], le Christ présente dabord le témoin [n° 800], puis attire lattention des Juifs sur la valeur de son témoignage [n° 803].
IL Y
EN A UN AUTRE QUI ME REND TEMOIGNAGE.
802. Le Christ présente donc ici le témoin. Cet autre, selon Chrysostome 4, cest Jean-Baptiste, dont il est dit plus haut : il y eut un homme envoyé de Dieu; son nom était Jean. Il vint comme témoin pour rendre témoignage ŕ la lumičre, afin que tous crussent par lui 5.
ET JE
SAIS QUIL EST VRAI, LE TEMOIGNAGE QUIL REND DE MOI VOUS, VOUS AVEZ ENVOYE
VERS JEAN, ET IL A RENDU TEMOIGNAGE A LA VERITE.
803. Le Christ attire
maintenant lattention des Juifs sur la valeur du témoignage de Jean; dabord
en soulignant la vérité de ce témoignage [n° 804], puis en rappelant
lautorité de Jean : les Juifs, en effet, avaient fait appel ŕ lui [n° 806].
804. Le Christ souligne la
vérité du témoignage de Jean en disant : ET JE SAIS, cest-ŕ-dire je tiens pour
certain, QUIL EST VRAI LE TEMOIGNAGE que me rend Jean. Son pčre Zacharie avait
en effet prophétisé ainsi ŕ son sujet : Tu marcheras devant la face du Seigneur
pour préparer ses voies, pour donner ŕ son peuple la connaissance du salut 6. Or il est manifeste quun
témoignage menteur nest pas porteur de salut, mais de mort; car le mensonge
est une cause de mort : La bouche qui ment tue lâme 7. Si donc le
témoignage de Jean doit donner la connaissance du salut, son témoignage est
vrai.
805. La Glose 8 explique ces paroles autrement. Plus haut, le Christ a parlé de Lui en tant que Dieu, mais ici Il parle en tant quhomme; le sens de ses paroles est alors : SI MOI, en tant quhomme, JE ME RENDS TE MOIGNAGE sans Dieu, cest-ŕ-dire si Dieu le Pčre ne témoigne pas, alors MON TEMOIGNAGE NEST PAS VRAI; en effet, la parole humaine, si elle nest pas sou tenue par Dieu, na aucune vérité, car Dieu est vrai, mais tout homme est menteur 9. Cest pourquoi, si nous concevons le Christ comme un homme séparé de la divinité et non conforme ŕ elle, alors il y a mensonge ŕ la fois dans son essence et dans ses paroles 10. Męme si je rends témoignage de moi-męme, mon témoignage est vrai 11; parce que je ne suis pas seul, mais il y a moi et le Pčre qui ma envoyé 12. Ainsi, parce quIl nétait pas seul, mais avec le Pčre, son témoignage est vrai.
Cest pourquoi, afin de montrer que son témoignage tient sa vérité, non de son humanité comme telle, mais de son humanité en tant quelle est conjointe ŕ la divinité et au Verbe de Dieu, Il dit : IL Y EN A UN AUTRE QUI REND TEMOIGNAGE DE MOI Et cet autre, selon cette interprétation, nest pas Jean; car si le témoignage que le Christ homme se rend ŕ Lui-męme nest ni vrai ni efficace, le témoignage de Jean le sera encore bien moins. Ce nest donc pas le témoignage de Jean qui attes te la vérité de ce que dit le Christ, mais celui du Pčre. Il faut donc entendre que cet AUTRE qui rend témoignage au Christ est le Pčre. ET JE SAIS QUIL EST VRAI, LE TEMOIGNAGE QUIL REND DE MOI, car Il est Lui-męme la Vérité; Dieu est lumičre, cest-ŕ-dire vérité, et il ny a pas en Lui de ténčbres 13, cest-ŕ-dire de mensonges. Cependant la premičre interprétation; celle de Chrysostome, est plus littérale.
3. Voir loc. cit., col. 230 le Christ présente" trois
témoins ses uvres, le témoignage du Pčre et la prédication de
Jean-Baptiste". De plus, Il renvoie les Juifs aux Ecritures (Jean 5, 39),
leur montrant quils y trouveront le témoignage du Pčre (op. cit., 40, ch. 3,
col. 233). Cf. ci-dessous, n" 816.
4. Op. cit., 40, eh. 1, col. 230.
5. Jean 1, 6.
6. Luc 1, 76-77.
7. Sag 1, 11.
8. Voir ALCUIN, Comm. in S. bannis Evang. (Glossa), 3, eh. 10,
PL 100, col. 815-816, et BČDE, In S. bannis Evang. expos., ch. 5, PL 92, col. 700
D-701 C.
9. Ro 3, 4; cf. Ps 115, 11.
10. Par le mystčre de lunion hypostatique, la nature humaine du
Christ est unie ŕ la divinité; et par la grâce personnelle de son âme, le
Christ en tant quhomme est conformé ŕ Dieu. Il y aurait donc mensonge dans son
essence sIl était séparé, et dans ses paroles sil nétait pas conforme.
11. Jean 8, 14.
806. Le Christ attire maintenant lattention des Juifs sur la valeur du témoignage de Jean en rappelant son autorité ils avaient fait eux-męmes appel ŕ lui. VO US, dit-Il, VOUS AVEZ ENVOYE VERS JEAN comme pour dire : Moi, JE SAIS QUIL EST VRAI, son témoignage, mais vous non plus ne devez pas le rejeter, car cest ŕ cause de la grande autorité dont il jouissait par mi vous que vous ętes allés chercher auprčs de Jean un témoignage sur moi, ce que vous nauriez pas fait si vous ne laviez pas jugé digne de foi 14 De Jérusalem, les Juifs lui envoyčrent des prętres et des lévites pour linterroger 15 Et Jean A RENDU alors TEMOIGNAGE non ŕ lui-męme, mais A LA VERITE, cest-ŕ-dire ŕ moi. Comme un ami de la vérité, il a rendu témoignage ŕ la vérité qui est le Christ. Il confessa, il ne nia pas, il confessa : "Je ne suis pas le Christ" 16
POUR
MOI, CE NEST PAS DUN HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE, MAIS JE DIS CELA POUR
QUE VOUS SOYEZ SAUVES. CELUI-LA ETAIT LA LAMPE QUI BRULE ET QUI BRILLE, ET VOUS
AVEZ VOULU EXULTER UN MOMENT A SA LUMIERE.
807. Le Christ donne ici la vraie raison pour la quelle Il invoque le témoignage de Jean. Il exclut dabord une raison que lon pourrait conjecturer [n° 808], puis Il donne la vraie raison [n° 810].
POUR
MOI, CE NEST PAS DUN HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE.
808. On pourrait croire en effet quen invoquant le témoignage de Jean, le Christ cherchait une garantie ŕ son propre témoignage en raison de son insuffisance. Aussi exclut-Il cette conjecture en disant : POUR MOI, CE NEST PAS DUN HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE.
Notons ici que, dans les sciences, on prouve une chose tantôt par quelque chose qui est moins intelligible en soi mais plus intelligible pour nous, tantôt par quel que chose qui est plus intelligible en soi et absolument. Dans le cas présent, il fallait prouver que le Christ était Dieu. Et bien que la vérité du Christ soit, en elle-męme et absolument, plus intelligible, elle est néanmoins prouvée par le témoignage de Jean qui, pour les Juifs, était plus intelligible. Le Christ, en Lui-męme, navait donc pas besoin du témoignage de Jean. Voilŕ pourquoi Il dit : POUR MOI, CE NEST PAS DUN HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE.
12. in 8, 16; cf. 16, 32.
13. 1 in 1, 5.
14. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME op. cit.,
40, ch. 2 col. 230-231. Voir ci-dessous, n" 811 et
813.
15. Jean 1, 19.
16. In 1, 20.
809. Mais cette parole du Christ semble ętre contre dite par ce que dit lEcriture : Vous ętes mes témoins, dit le Seigneur 17; et : Vous serez mes témoins ŕ Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusquaux extrémités de la terre 18. Comment donc dit-Il ici : POUR MOI, CE NEST PAS DUN HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE?
Il faut répondre que ces paroles peuvent sentendre de plusieurs maničres. On peut dabord les comprendre de la maničre suivante : CE NEST PAS DUN HOMME QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE, comme si je me contentais de lui seul, mais jai un témoignage plus grand, qui est divin Pour moi, il mimporte fort peu dętre jugé par vous 19, dit Paul; et Jérémie : Seigneur, Tu le saisi je nai pas désiré le jour de lhomme 20, cest-ŕ-dire ętre glorifié par les hommes. Ou encore : Je ne reçois pas le témoignage DUN HOMME, cest-ŕ-dire : en tant que celui qui témoigne est un homme, mais en tant quil est éclairé par Dieu pour témoigner Il y eut un homme envoyé de Dieu; son nom était Jean. Il vint comme témoin, pour rendre témoignage ŕ la lumičre 21. Nous navons pas, dit Paul, cherché la gloire qui vient des hommes 22. Et plus loin le Christ dira : Pour moi, je ne cherche pas ma gloire 23. Ainsi, dit-Il ici, je reçois le témoignage de Jean, non en tant quil fut un homme, mais en tant quil fut envoyé de Dieu et éclairé par Lui pour témoigner 24.
Enfin, et cest la meilleure interprétation : POUR MOI, CE NEST PAS DUN HOMME, cest-ŕ-dire dun témoignage humain, QUE JE REÇOIS LE TEMOIGNAGE; car je nadmets aucune autorité si ce nest celle de Dieu, qui manifeste ma gloire 25.
17. Isaďe 43, 10.
18. Ac 1, 8.
19. 1 Corinthiens 4, 3.
20. Jérémie 17, 16.
21. Jean 1, 6-7.
22. 1 Th 2, 6.
23. Jean 8, 50.
24. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, loc. cit., col. 231.
25. En latin : qui demonstrat me clarum. Cf. Jean 17, 1 "Pčre,
glorifie ton Fils" (clarifica Filium tuum); 8, 54 "Cest mon Pčre
qui me glorifie. " Le Christ, comme Fils bien-aimé du Pčre, ne peut ętre
glorifié que par le Pčre.
26. 1 Tm 2, 4.
27. 1 Tm 1, 15.
MAIS
JE DIS CELA POUR QUE VOUS SOYEZ SAUVES.
810. Le Christ donne maintenant aux Juifs la vraie raison pour laquelle Il se réfčre au témoignage de Jean leur salut. Il commence par donner la raison [n° 810], puis Il lexplicite [n° 811].
Cette vraie raison de faire appel au témoignage de Jean était que, grâce ŕ ce témoignage, les Juifs seraient sauvés en croyant au Christ. Cest pourquoi Il dit : Je ne reçois pas le témoignage de Jean pour moi, MAIS JE DIS CELA POUR QUE VOUS SOYEZ SAUVES. Dieu (...) veut que tous les hommes soient sauvés 26 ; et le Christ Jésus est venu en ce monde pour sauver les pécheurs 27.
CELUI-LA
ETAIT LA LAMPE QUI BRULE ET QUI BRILLE, ET VOUS AVEZ VOULU EXULTER UN MOMENT A
SA LUMIERE.
811. Le Seigneur explique
ici les paroles POUR QUE VOUS SOYEZ SAUVES : Vous serez sauvés parce que je
fais intervenir un témoignage que vous avez accepté. En disant : CELUI-LA ETAIT
LA LAMPE QUI BRULE ET QUI BRILLE, Il souligne que Jean jouissait de la
considération des Juifs 28. Il montre dabord que Jean fut un témoin digne en lui-męme de
confiance [n°
812], et montre ensuite comment il fut jugé tel par
les Juifs [n°
813].
812. Que Jean ait été un témoin digne en lui-męme de confiance, le Christ le montre en mentionnant trois qualités qui faisaient de lui un témoin accompli. La premičre relčve de la condition de sa nature : Il ETAIT LA LAMPE; la seconde concerne la perfection de son amour : QUI BRULE; et la troisičme, la perfection de son intelligence ET QUI BRILLE.
Jean était parfait dans sa nature parce quil ETAIT LA LAMPE, cest-ŕ-dire quil était illuminé de la vraie lumičre du Verbe de Dieu. La lampe, en effet, diffčre de la lumičre, car la lumičre est ce qui éclaire par soi-męme, tandis que la lampe néclaire pas par elle-męme, mais par participation ŕ la lumičre 29. Or la vraie lumičre est le Christ, comme il est dit plus haut Il était la lumičre, la vraie 30. Jean, lui, nétait pas la lumičre 31, mais une LAMPE, car il était éclairé pour rendre témoignage ŕ la lumičre 32 en conduisant au Christ. Cest de cette lampe quil est dit : Jai préparé une lampe pour mon Christ 33.
Jean était aussi brűlant et fervent dans son amour, et cest pourquoi le Seigneur dit QUI BRULE. Certains, en effet, sont lampes seulement quant ŕ leur fonction, et sont des lampes éteintes quant ŕ leur amour. Car de męme quune lampe ne peut éclairer si elle ne brűle, de męme une lampe spirituelle néclaire que si dabord elle est ardente 34 et enflammée du feu de la charité. Aussi lardeur est-elle mentionnée ici avant lillumination, car cest par lardeur de la charité quest donnée la connaissance de la vérité : Si quelquun maime, il gardera ma parole, et mon Pčre laimera, et nous viendrons ŕ lui et nous ferons chez lui notre demeure 35. Je vous ai appelés amis, parce que tout ce que jai entendu de mon Pčre, je vous lai fait connaître 36. Vous qui craignez le Seigneur, aimez-Le, et vos curs seront illuminés 37.
Le feu a en effet deux propriétés : il brűle et il brille; et lardeur du feu signifie lamour pour trois raisons. Dabord parce que, de tous les corps, le feu est le plus actif, et que telle est aussi lardeur de la charité, au point que rien ne peut arręter son élan, comme le dit lApôtre La charité du Christ nous presse 38. Ensuite parce que, comme le feu, étant ce qui affecte le plus nos sens, est cause dun trčs grand échauffement, ainsi la charité est cause dardeur en lhomme jusquŕ ce quil obtienne ce vers quoi il tend. Les lampes [de lamour] sont des lampes de feu et de flammes 39. Enfin, comme le feu sélčve, de męme la charité, au point quelle nous unit ŕ Dieu : Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui 40.
Jean, enfin, BRILLE dans son intelligence. Il brille intérieurement par la connaissance de la vérité Le Seigneur (...) remplira ton âme dune lumičre éclatante 41, cest-ŕ-dire quIl illuminera intérieurement ton âme. Et il brille intérieurement par la prédication Au milieu dune nation dépravée et perverse, parmi laquelle vous brillez comme des astres dans le monde, gardant la parole de vie 42 et par la manifestation des uvres bonnes : Que votre lumičre brille devant les hommes, en sorte quils voient vos uvres bonnes et glorifient votre Pčre qui est dans les cieux 43.
28. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, loc. cit.
29. Ibid. Saint Jean Chrysostome ne dit pas que Jean-Baptiste
était illuminé par le Verbe, mais par le Saint-Esprit.
30. Jean 1, 9.
31. Jean 1, 8.
32. Jean 1, 7.
33. Ps 131, 17. 34. "Etre ardent" et
"brűler" traduisent dans cette phrase un seul verbe latin : ardere.
35. Jean 14, 23.
36. Jean 15, 15.
37. Sir 2, 10.
38. 2 Co 5, 14.
39. Cant 8, 6.
40. 1 Jean 4, 16.
813. Ainsi, parce que Jean était en lui-męme digne destime, car il E TAIT LA LAMPE non éteinte, mais QUI BRULE, non obscure, mais QUI BRILLE, il est juste quil soit aussi estimé de vous. Et il en fut certes ainsi, puisque VOUS AVEZ VOULU EXULTER UN MOMENT A SA LUMIERE. Cest trčs justement que le Christ unit ici lexultation ŕ la lumičre, car ce qui fait exulter lhomme, cest ce en quoi il trouve le plus de joie; or rien, dans les réalités physiques, nest plus agréable que la lumičre : Douce est la lumičre, et il est agréable aux yeux de voir le soleil 44.
Et le Seigneur dit : VOUS AVEZ VOULU EXULTER en vous reposant en lui et en mettant en lui votre fin, croyant quil était le Christ; mais seulement UN MOMENT, car vous avez été instables 45 voyant Jean conduire les hommes ŕ un autre et non ŕ lui-męme, vous vous ętes détournés de lui. Cest pourquoi Lui-męme dit ailleurs que les Juifs nont pas cru en Jean 46. Ils sont en effet de ceux dont il est dit quils croient pour un temps 47.
41. Isaďe 58, 11.
42. Phi 2, 15-16.
43. Mt 5, 16.
44. Qo 11, 7.
45. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, loc. cit.
46. Mt 21, 32.
47. Luc 8, 13.
814. Le Christ apporte maintenant le témoignage divin [n° 816], en commençant par montrer sa grandeur [n° 815].
POUR
MOI, JAI UN TEMOIGNAGE PLUS GRAND QUE JEAN.
815. Il dit donc dabord
ceci : Ce nest pas pour moi que je reçois LE TEMOIGNAGE DUN HOMME, mais pour
vous. En effet, POUR MOI JAI UN TEMOIGNAGE PLUS GRAND QUE JEAN, cest-ŕ-dire
plus grand que le témoignage de Jean : celui de Dieu Si nous recevons le
témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand 48 , plus grand,
dis-je, ŕ cause de sa plus grande autorité, de sa connaissance plus élevée et
de sa vérité plus infaillible, car Dieu ne peut mentir : Dieu nest pas comme
un homme, pour quIl mente 49.
816. Le Christ expose ensuite le témoignage de Dieu : CAR LES UVRES QUE LE PERE MA DONNEES POUR QUE JE LES ACCOMPLISSE, CES UVRES MEMES QUE JE FAIS, RENDENT TEMOIGNAGE DE MOI, QUE CEST LE PERE QUI MA ENVOYE.
Dieu a rendu témoignage au
Christ de trois maničres : par les uvres, par Lui-męme et par les Ecritures.
Cest pourquoi le Christ expose successivement comment Dieu Lui rend témoignage
par les uvres miraculeuses [n°
817], puis par Lui-męme [n° 818], enfin par les
Ecritures [n°
822].
817. Il dit donc dabord : POUR MOI, JAI UN TEMOIGNAGE PLUS GRAND QUE JEAN quant aux uvres, car ce sont des uvres miraculeuses QUE LE PERE MA DONNEES POUR QUE JE LES ACCOMPLISSE.
Notons ici quil est naturel ŕ lhomme de connaître la puissance et la nature des réalités par leurs opérations; cest donc ŕ juste titre que le Seigneur dit quIl peut ętre connu tel quIl est par les uvres quIl accomplit. Ainsi, puisquIl accomplissait par sa propre puissance des uvres divines, on devait croire quil y avait en Lui une puissance divine Si je navais fait parmi eux les uvres que nul autre na faites, ils nauraient pas de péché 50, qui est ici le refus de croire. Ainsi le Christ nous amčne ŕ la connaissance de Lui-męme par les uvres dont Il dit LES UVRES QUE LE PERE MA DONNEES, ŕ moi le Verbe, en me donnant par la génération éternelle une puissance égale ŕ la sienne; ou bien QUE LE PERE MA DONNEES, dans la conception [de mon humanité], en me donnant dętre une unique personne divine et humaine, POUR QUE JE LES ACCOMPLISSE, cest-ŕ-dire pour que je les réalise par ma propre puissance 51. Et sIl dit cela, cest pour se distinguer de ceux qui font des miracles non par leur propre puissance, mais en les obtenant de Dieu par la pričre Au nom de Jésus-Christ le Nazaréen, disait Pierre, lčve-toi et marche 52. Ce ne sont pas eux qui les accomplis sent, mais Dieu; le Christ, au contraire, les accomplis sait par sa propre puissance : Lazare, sors ! 53 Cest pour quoi Il dit : CES UVRES MEMES QUE JE FAIS RENDENT TEMOIGNAGE DE MOI; et plus loin : Si je ne fais pas les uvres de mon Pčre, ne me croyez pas. Mais si je les fais, quand vous ne voudriez pas me croire, croyez aux uvres 54. Que les uvres miraculeuses soient des témoignages de Dieu, lEcriture le dit : [les Apôtres] pręchčrent partout, le Seigneur uvrant avec eux et confirmant leur parole par les signes qui laccompagnaient 55.
48. 1 Jean 5, 9.
49. Nomb 23, 19.
50. Jean 15, 24.
51. Cf. Somme théol., III, q. 13, a. 1, ad 1.
52. Ac 3, 6.
53. Jean 11, 43.
54. Jean 10, 37-38.
ET LE
PERE QUI MA ENVOYE A RENDU LUI-MEME TEMOIGNAGE DE MOI VOUS NAVEZ JAMAIS ŁN
TENDU SA VOIX, NI VU SON VISAGE, ET VOUS NAVEZ PAS SA PAROLE DEMEURANT EN
VOUS, PARCE QUE VOUS NE CROYEZ PAS A CELUI QUIL A ENVOYE.
818. Le Christ montre
maintenant comment Dieu Lui-męme Lui a rendu témoignage; et Il expose dabord
le mode de ce témoignage [n°
819], puis Il montre que les Juifs ne sont pas
capables de recevoir un tel témoignage [n° 820].
819. Le Seigneur dit donc : non seulement LES U VRES QUE LE PERE MA DONNEES RENDENT TE MOIGNAGE DE MOI, mais le PERE QUI MA ENVOYE A RENDU LUI-MEME TEMOIGNAGE DE MOI au Jourdain quand le Christ fut baptisé, et sur la montagne lors quIl fut transfiguré. En ces deux circonstances, en effet, la voix du Pčre se fit entendre : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui jai mis ma complaisance 56. Voilŕ pourquoi il faut croire en Lui, comme au vrai Fils de Dieu par nature 57. Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand; car tel est le témoignage de Dieu, qui est plus grand : Il a témoigné au sujet de son Fils. Ainsi, celui qui ne croit pas quIl est le Fils de Dieu ne croit pas au témoignage de Dieu.
55. Mc 16, 20.
56. Mt 3, 17 et 17, 5.
57. Naturali Filio Dei. Cette expression se trouvait déjŕ au n°
547 (voir aussi n° 544 et note 18). Voir également ci dessous, n 820 et note
68.
820. Mais on pourrait dire quŕ dautres aussi Dieu a rendu Lui-męme témoignage : par exemple ŕ Moďse sur la montagne. Lŕ, cependant, tous Lentendaient; tan dis que nous, nous navons pas entendu son témoignage, et cest pourquoi le Seigneur dit : VOUS NAVEZ JAMAIS ENTENDU SA VOIX, NI VU SON VISAGE.
Il est dit cependant : Y a-t-il jamais eu chose semblable, ou a-t-il jamais été connu quun peuple ait entendu la voix de Dieu parlant du milieu du feu, comme tu las entendue, et soit resté vivant? 59 Pourquoi donc le Christ dit-Il maintenant : VOUS NAVEZ JAMAIS ENTENDU SA VOIX? Je réponds, avec Chrysostome, que le Seigneur, les amenant ŕ une considération philosophique, veut leur montrer que Dieu peut témoigner en faveur de quelquun de deux maničres : dune maničre sensible et dune maničre spirituelle 60.
Dune maničre sensible, comme par une voix seulement sensible; cest ainsi quIl a témoigné par Moďse au mont Sinaď : Le Seigneur vous parla du milieu du f eu. Vous avez entendu la voix de ses paroles, mais de forme, vous nen avez vu aucune 61 ; ou par une forme sensible, comme lorsquIl apparut ŕ Abraham 62 ; et ŕ Isaďe : Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé 63. Toutefois, dans ces visions, ni la voix corporelle, ni la figure de Dieu nexistent comme celles dun vivant, mais elles agissent en tant que formées par Dieu; en effet, puisquIl est esprit, Dieu német pas de voix sensible et Il ne peut ętre représenté.
Dune maničre spirituelle, Il témoigne en inspirant au cur de certains ce quils doivent croire et ŕ quoi ils doivent sattacher : Jécouterai ce que dit en moi le Seigneur Dieu 64. Je la conduirai au désert, et lŕ je parlerai ŕ son cur 65.
Vous avez donc été capables de recevoir le premier mode de témoignage, et ce nest pas étonnant, car ces voix et ces formes ne furent de Dieu que selon lordre de lefficience, comme on la dit. Mais vous navez pas reçu le témoignage de sa voix spirituelle : VOUS NAVEZ JAMAIS ENTENDU SA VOIX, cest-ŕ-dire : vous ny avez pas eu part. Quiconque écoute le Pčre et se laisse instruire vient ŕ moi 66, mais vous, vous nętes pas venus ŕ moi, vous navez donc JAMAIS ENTENDU SA VOIX, NI VU SON VISAGE, cest-ŕ-dire : vous navez pas reçu ce témoignage spirituel. Cest pourquoi le Seigneur ajoute : VOUS NAVEZ PAS SA PAROLE DEMEURANT EN VOUS, cest-ŕ-dire : vous navez pas en vous cette parole inspirée intérieurement. Et la raison en est que VOUS NE CROYEZ PAS au Fils que le Pčre A ENVOYE. En effet, la parole (verbum) de Dieu conduit au Christ, car le Christ Lui-męme est par nature la Parole, le Verbe de Dieu. Or toute parole inspirée par Dieu est une certaine similitude participée du Verbe de Dieu. Donc, puisque toute similitude participée conduit ŕ son principe, il est manifeste que toute parole inspirée par Dieu conduit au Christ. Ainsi, puisque vous nętes pas conduits ŕ moi, VOUS NAVEZ PAS LA PAROLE de Dieu, inspirée par Lui, DEMEURANT EN VOUS. Quiconque ne croit pas en le Fils de Dieu na pas la vie demeurant en lui 67. SIl dit DEMEURANT, cest parce que, bien quil ny ait personne qui ne possčde quelque vérité venant de Dieu, seuls ont la vérité et la parole de Dieu DEMEURANT en eux ceux en qui la connaissance progresse au point de les conduire ŕ la connaissance du Verbe véritable et substantiel 68.
58. 1 Jean 5, 9.
59. Deut 4, 33.
60. Voir In loannem hom., 40, ch. 3, col. 232-233 "Il les amčne ŕ un enseignement philosophique en leur
montrant peu ŕ peu quen Dieu il ny a ni voix ni visage, mais quIl est
au-dessus des sons et des figures. "
61. Deut 4, 12.
62. Gn 18.
63. Isaďe 6, 1.
64. Ps 84, 9.
65. Os 2, 14.
66. Jean 6, 45.
821. Ou bien, en disant quils nont JAMAIS ENTENDU SA VOIX, le Christ fait allusion aux trois maničres dont Dieu révčle quelque chose ŕ quelquun. Ce peut ętre par une voix sensible : ainsi le Pčre a rendu témoignage au Christ au Jourdain et sur la montagne, comme le dit Pierre : [nous avons été] témoins oculaires de sa grandeur. Car Il reçut de Dieu le Pčre honneur et gloire, lorsque de la gloire majestueuse Lui parvint cette voix : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui jai mis ma complaisance : écoutez-Le" 69. Et cette voix, les Juifs ne lont pas entendue. Ou bien par la vision de son essence quIl révčle aux bienheureux; et cette vision, les Juifs ne lont pas; en effet, tant que nous sommes dans ce corps, nous pérégrinons loin du Seigneur; car cest par la foi que nous marchons, et non par une claire vision 70. Ou bien le Seigneur se révčle en inspirant intérieurement une parole; et męme cela, ils ne lavaient pas.
VOUS
SCRUTEZ LES ECRITURES, PARCE QUE VOUS PENSEZ AVOIR EN ELLES LA VIE ETERNELLE;
ET CE SONT ELLES QUI ME RENDENT TEMOIGNAGE. ET VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI
POUR AVOIR LA VIE.
822. Le Christ expose ici
la troisičme maničre dont Dieu Lui a rendu témoignage par les Ecritures. Il
introduit dabord le témoignage des Ecritures [n° 823], pour montrer
ensuite que les Juifs sont incapables de recevoir le fruit de ce témoignage [n° 824].
823. Il leur dit donc : VOUS SCRUTEZ LES ECRI TURES, comme pour dire : cest dans les Ecritures et non pas dans votre cur que vous avez la parole de Dieu, et cest pourquoi il vous faut chercher ailleurs : VOUS SCRUTEZ donc LES ECRITURES, cest-ŕ-dire lAncien Testament. En effet, la foi au Christ était contenue dans lAncien Testament, mais elle ny était pas en surface : elle était dans ses profondeurs, cachée sous le voile des figures 71 Jusquŕ ce jour, lorsquils lisent Moise, un voile est posé sur leur cur. Cest pourquoi le Seigneur emploie lexpression VOUS SCRUTEZ, qui signifie "vous cherchez en profondeur" Si tu cherches [la Sagesse] comme largent, et que tu creuses pour la trouver, comme les trésors, alors tu comprendras la crainte du Seigneur et tu trouveras la science de Dieu 73. Donne-moi lintelligence et je scruterai ta loi, et je la garderai de tout mon cur 74.
Et pour quelle raison scrutez-vous les Ecritures? A cause de cette opinion que vous avez : VOUS PENSEZ AVOIR EN ELLES LA VIE ETERNELLE, daprčs ce que dit Ezéchiel Parce quil a gardé tous mes préceptes et les a pratiqués, il vivra 75. Mais vous avez été trompés; car, bien quils donnent la vie, les préceptes de lancien ne Loi nont cependant pas la vie en eux-męmes on ne dit quils donnent la vie que dans la mesure oů ils conduisent ŕ moi, le Christ. Vous, pourtant, vous en usez comme sils avaient la vie en eux-męmes, et cest ce qui vous a trompés. En effet, ces Ecritures, CE SONT ELLES QUI RENDENT TEMOIGNAGE DE MOI, cest-ŕ-dire quelles donnent la vie dans la mesure oů elles conduisent ŕ me connaître. Soit par des prophéties manifestes, comme celles-ci : Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils, et on lui donnera pour nom Emmanuel 76; et Le Seigneur ton Dieu te suscitera, de ta nation et dentre tes frčres, un prophčte comme moi cest lui que tu écouteras 77. Et cest pourquoi il est dit que cest ŕ Lui que tous les prophčtes rendent témoignage 78. Soit par les actions mystérieuses des prophčtes, et cest pourquoi il est dit Par la main des prophčtes jai été représenté 79. Soit par des sacrements et des figures, comme limmolation de lagneau et les autres sacrifices figuratifs de lancienne Loi : La Loi a lombre des biens ŕ venir, non limage męme des réalités 80. Les Ecritures de lAncien Testament rendent donc témoignage au Christ de multiples maničres, et cest pourquoi lApôtre dit : Dieu avait promis auparavant [lEvangile] par ses prophčtes dans les saintes Ecritures, au sujet de son Fils, issu de la race de David selon la chair 81.
67. Jean 3, 36.
68. Lŕ encore, saint Thomas parle du "Verbe naturel"
de Dieu (comme il parlait plus haut du" Fils naturel" de Dieu : cf. ci-dessus,
n 819), mais nous avons préféré traduire par "substantiel" (cf. ci-dessous,
n° 830 et note 11). En employant ladjectif "naturel", saint Thomas
veut qualifier le Verbe qui procčde naturellement du Pčre, cest-ŕ-dire qui a
la męme nature que le Pčre (ŕ la différence de ce qui procčde de la volonté
libre : cf. ci-dessus, n" 753).
69. 2 Pe 1, 16-17.
70. 2 Co 5, 6-7.
71. Cf. SAINT JE CHRYSOSTOME, op. cit.,
41, ch. 1, col. 235.
72. 2 Co 3, 15.
73. Prov 2, 4.
74. Ps 118, 34.
75. Ez 18, 19.
76. Isaďe 7, 14.
77. Deut 18, 15.
78. Ac 10, 43.
79. Os 12, 10.
80. He 10, 1.
81. Ro 1, 2.
ET
VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI POUR AVOIR LA VIE
824. Mais ce fruit que vous pensez trouver dans les Ecritures, cest-ŕ-dire LA VIE ETERNELLE, vous ne pourrez lobtenir; parce que, ne croyant pas aux témoignages de lEcriture ŕ mon sujet, VOUS NE VOULEZ PAS VENIR A MOI, cest-ŕ-dire : vous ne voulez pas croire en moi, en qui se trouve le fruit de ces Ecritures, POUR AVOIR en moi LA VIE que moi je donne ŕ ceux qui croient en moi : Mes brebis écoutent ma voix (...) et elles me suivent; et moi je leur donne la vie éternelle 82. La Sagesse insuffle la vie ŕ ses fils 83. Celui qui maura trouvée trouvera la vie et puisera le salut dans le Seigneur 84.
82. Jean 10, 27-28.
83. Sir 4, 12.
84. Prov 8, 35.
41"
Je ne reçois pas de gloire venant des hommes; mais jai reconnu que vous navez
pas en vous lamour de Dieu. Moi, je suis venu au nom de mon Pčre, et vous ne
me recevez pas; quun autre vienne en son nom propre, celui-lŕ vous le recevrez.
Comment pouvez-vous croire, vous qui tirez votre gloire les uns des autres, et
qui ne cherchez pas la gloire qui vient de Dieu seul? Ne pensez pas que cest
moi qui vous accuserai auprčs du Pčre celui qui vous accuse, cest Moďse, en
qui vous espérez. En effet, si vous croyiez ŕ Moďse, vous croiriez peut-ętre ŕ
moi aussi, car cest moi quil a écrit. Mais si vous ne croyez pas ŕ ses
écrits, comment croirez-vous ŕ mes paroles?"
825. Aprčs avoir confirmé léminence de sa puissance par les témoignages des hommes, de Dieu et des Ecritures [n° 799], le Seigneur reproche maintenant aux Juifs leur lenteur ŕ croire.
Les Juifs Le persécutaient pour deux motifs parce quIl avait rompu le sabbat, en quoi Il semblait sopposer ŕ la Loi, et parce quIl se disait Fils de Dieu, en quoi Il semblait sopposer ŕ Dieu. Ainsi les Juifs paraissaient poursuivre le Christ en raison de leur respect religieux pour Dieu et du zčle quils avaient pour la Loi de Moďse. Aussi le Seigneur veut-Il montrer que ce nest pas pour ces raisons quils Le persécutaient, mais pour des raisons contraires. Il montre donc que ce qui est la cause de leur incrédulité, cest dabord leur manque de respect religieux ŕ légard de Dieu [n° 825], puis leur manque de respect pour Moďse [n° 833].
I
JE NE
REÇOIS PAS DE GLOIRE VENANT DES HOM 441 MES; MAIS JAI RECONNU QUE VOUS NAVEZ
PAS EN VOUS LAMOUR DE DIEU. MOI, JE SUIS VENU AU NOM DE MON PERE, ET VOUS NE
ME RECEVEZ PAS; QUUN AUTRE VIENNE EN SON NOM PROPRE, CELUI-LA VOUS LE RECEVREZ.
COMMENT POUVEZ-VOUS CROIRE, VOUS QUI TIREZ VOTRE GLOIRE LES UNS DES AUTRES, ET
QUI NE CHERCHEZ PAS LA GLOIRE QUI VIENT DE DIEU SEUL?
Avant de montrer que cest leur manque de respect religieux pour Dieu qui est cause de leur incrédulité [n° 832], le Christ commence par souligner lirréligion des Juifs [n° 825], puis Il la manifeste par un signe [n° 829].
JE NE
REÇOIS PAS DE GLOIRE VENANT DES HOMMES; MAIS JAI RECONNU QUE VOUS NAVEZ PAS
EN VOUS LAMOUR DE DIEU.
Pour montrer lirréligion des
Juifs, Il commence par refuser lintention que ceux-ci Lui ont prętée et que
les paroles quIl venait de dire pouvaient laisser entendre [n° 826]; puis Il dit
quelle est sa véritable intention [n° 827].
826. Parce que le Seigneur venait de rappeler tant de témoignages en sa faveur ceux de Jean, de Dieu, de ses propres uvres et des Ecritures , les Juifs pouvaient penser quIl avait fait cela comme sIl cherchait une gloire humaine. Cela Il le refuse en disant : JE NE REÇOIS PAS DE GLOIRE VENANT DES HOMMES, cest-ŕ-dire Je ne cherche pas de louange humaine, car je ne suis pas venu pour donner lexemple de la recherche dune telle gloire Dieu en est témoin, nous navons pas cherché la gloire qui vient des hommes 1. Ou bien : JE NE CHERCHE PAS DE GLOIRE VENANT DES HOMMES, cest-ŕ-dire, je nai pas besoin de la gloire humaine, moi qui de toute éternité ai la gloire auprčs du Pčre Glorifie-moi, Pčre auprčs de toi, de la gloire que javais auprčs de toi avant que le monde fűt 2. En effet, je ne suis pas venu pour ętre glorifié par les hommes, mais plutôt pour les glorifier, puisque cest de moi que procčde toute gloire Jaurai par elle [la Sagesse] la gloire dans les assemblées 3. Lorsquon dit que Dieu est honoré et glorifié par les hommes Glorifiez le Seigneur autant que vous le pourrez : Il sera encore au-dessus 4, ce nest pas que par lŕ le Seigneur devienne plus glorieux, mais que sa gloire est manifestée en nous.
1. 1 Th 2, 5-6.
2. Jean 17, 5.
827. Ce nest donc pas pour
chercher une gloire humaine que le Seigneur a apporté ces témoignages mais pour
une autre raison : JAI RECONNU, dit-Il, cest-ŕ-dire jai fait connaître, QUE
VOUS NAVEZ PAS EN VOUS LAMOUR DE DIEU que vous feignez davoir. Aussi
nest-ce pas pour lamour de Dieu que vous me persécutez. Si Dieu ou lEcriture
ne me rendait pas témoignage, alors ce serait pour Dieu que vous me
persécuteriez. Mais Dieu Lui-męme témoigne pour moi, et par les uvres que je
fais, et par les Ecritures, et par Lui-męme, comme on la dit [n° 816]. Cest
pourquoi, si vous aimiez Dieu, ce au nom de quoi vous me rejetez devrait vous
faire venir ŕ moi 5. Vous naimez donc pas Dieu. JAI RECONNU QUE VOUS NAVEZ PAS EN VOUS
LAMOUR DE DIEU peut encore vouloir dire : Je nai pas fait appel ŕ ces
témoignages comme si javais besoin dętre glorifié par vous, mais je sais que
vous naimez pas Dieu et je souffre de ce que vous errez, et je veux vous
ramener ŕ la voie de la vérité 6
Si je navais pas fait parmi eux des uvres que
nul autre na faites, ils nauraient pas de péché; mais maintenant ils ont vu
et ils ont haď et moi et mon Pčre 7 Lorgueil de ceux qui te haďssent monte toujours 8.
828. Il faut cependant savoir que Dieu ne peut ętre haď par personne, ni en Lui-męme, ni dans tous ses effets, puisque tout bien qui existe dans les réalités vient de Dieu, et quil est impossible que lon haďsse tout bien, sans aimer au moins ętre et vivre. Cependant, un homme peut haďr un effet de Dieu en tant quil soppose ŕ son appétit, comme la peine ou quelque chose de ce genre. Cest en ce sens quon dit avoir Dieu en haine.
MOI,
JE SUIS VENU AU NOM DE MON PERE, ET VOUS NE ME RECEVEZ PAS; QUUN AUTRE VIEN NE
EN SON NOM PROPRE, CELUI-LA VOUS LE RECEVREZ.
829. Le Seigneur donne
maintenant un signe manifestant que les Juifs nont pas en eux lamour de Dieu
dabord un signe concernant le présent [n° 830], puis un autre
concernant lavenir [n°
831].
830. Pour le signe concernant le présent, Il se réfčre ŕ sa venue : MOI, JE SUIS VENU AU NOM DE MON PERE ce qui revient ŕ dire : Que vous naimiez pas Dieu, cela est manifeste; car si quelquun aime son Seigneur, il va de soi quil honore et reçoit celui qui vient de sa part, et quil cherche ŕ lhonorer. Or MOI, JE SUIS VENU AU NOM DE MON PERE, en manifestant son nom au monde Pčre, jai manifesté ton nom aux hommes que tu mas donnés du milieu du monde 9 et vous, VOUS NE ME RECEVEZ PAS : donc vous ne Laimez pas.
On dit que le Fils manifeste son Pčre aux hommes, car, bien que le Pčre fűt connu en tant que Dieu Dieu est connu en Juda 10, toutefois, en tant quIl est Pčre communiquant ŕ un Fils sa propre nature 11, Il nétait pas connu avant la venue du Christ; cest pourquoi Salomon interrogeait : Quel est son nom et quel est le nom de son fils, si tu le sais? 12.
3. Sag 8, 10.
4. Sir 43, 32.
5. Littéralement : "De la męme façon que vous me rejetez, vous devriez venir ŕ
moi. "
6. Cf. Sag 5, 6 "Nous
avons erré hors de la voie de la vérité. " Cf. aussi Ps 118, 30; Sir 34, 22.
7. Jean 15, 24.
8. Ps 73, 23.
9. Jean 17, 6.
10. Ps 75, 1.
11. En latin : inquantum est naturalis Pater Fuji. ce que le
Symbole de Nicée exprime en disant que le Fils est "consubstantiel au
Pčre". Cf. ci-dessus, n° 820, note 68.
831. Pour le signe concernant lavenir, le Christ se réfčre ŕ la venue de l'Antéchrist. Les Juifs, en effet, au raient pu objecter : Bien que tu viennes au nom de Dieu nous ne tavons cependant pas reçu, et cela parce que nous ne voulons recevoir personne dautre que Dieu le Pčre Lui-męme. Mais le Seigneur prévient une telle objection en montrant quil ne peut en ętre ainsi puis que, dit-Il, vous en recevrez un autre qui ne viendra pas au nom du Pčre, mais en son nom propre. Qui plus est, il viendra contre Lui : QUUN AUTRE, cest-ŕ-dire lAntichrist, VIENNE, non pas au nom du Pčre, mais EN SON NOM PROPRE, car il ne cherchera pas la gloire du Pčre, mais la sienne 13, et ce quil fera, il ne lattribuera pas au Pčre, mais ŕ lui-męme. Ainsi lApôtre [annonce la venue de] ladversaire, celui qui se dressera contre tout ce qui est appelé Dieu ou est objet de culte 14. CELUI-LA, dit le Christ, VOUS LE RECEVREZ. Aussi lApôtre ajoute-t-il : Cest pourquoi Dieu leur enverra une puissance derreur qui les fera croire au mensonge 15, et cela parce quils nont pas reçu lenseignement de la vérité grâce auquel ils auraient été sauvés. Aussi la Glose dit-elle : "Parce que les Juifs nont pas voulu recevoir le Christ, il convient que, pour châtiment de ce péché, ils reçoivent l'Antéchrist, en sorte que ceux qui nont pas voulu croire ŕ la vérité croient au mensonge" 16 Mais, selon Augustin 17, cela peut sentendre des hérétiques et des faux docteurs qui tirent leur enseignement de leur propre cur et non de la bouche de Dieu, qui louent leur propre nom et méprisent le nom de Dieu, et dont il est dit : Comme vous avez entendu que lAntéchrist vient, ainsi maintenant, beaucoup dantéchrists sont apparus 18. Il est donc manifeste [le Christ] que la persécution dont vous me poursuivez ne procčde pas de lamour de Dieu. Elle procédait de la haine et de la malignité des Juifs ŕ son égard 19; et cest cela qui était la cause de leur incrédulité.
COMMENT
POUVEZ-VOUS CROIRE, VOUS QUI TIREZ VOTRE GLOIRE LES UNS DES AUTRES, ET QUI NE
CHERCHEZ PAS LA GLOIRE QUI VIENT DE DIEU SEUL?
832. Cest pourquoi Il conclut : COMMENT POUVEZ-VOUS CROIRE, VOUS QUI TIREZ VOTRE GLOIRE LES UNS DES AUTRES, cest-ŕ-dire une gloire tout humaine, ET QUI NE CHERCHEZ PAS LA GLOIRE QUI VIENT DE DIEU SEUL, celle qui est la vraie gloire? Si les Juifs ne pouvaient pas croire au Christ, cest que, leur esprit orgueilleux étant avide de gloire et de louange, ils se considéraient comme plus élevés que les autres en gloire, et tenaient pour un déshonneur de croire en le Christ, qui paraissait pauvre et méprisable. Mais celui-lŕ peut croire en Lui, qui, ayant un cur humble 20, cherche la gloire de Dieu seul et désire Lui plaire. Cest pourquoi il est dit plus loin : Cependant, męme parmi les notables, beaucoup crurent en Lui; mais ŕ cause des Pharisiens ils ne lavouaient pas, de peur dętre chassés de la synagogue, et cela parce quils préféraient la gloire des hommes ŕ la gloire de Dieu 21. Ceci montre bien que la vaine gloire 22 est trčs dangereuse, ce qui fait dire ŕ Cicéron : "Lhomme doit se garder de la gloire qui prive lâme de la liberté, sur laquelle les hommes magnanimes doivent faire porter tout leur effort" 23.
12. Prov 30, 4.
13. Cf. ALcun. i, Comm. in S. Ioannis
Evang. (Glossa), 3, ch. 11, PL 100, col. 818 B.
Selon saint Augustin : "antéchrist" signifie "qui est contre le
Christ" et non, comme quelques-uns lont pensé, "celui qui doit venir
avant (ante) le Christ" (commentaire de la premičre épître de S. Jean, SC
75, p. 190).
14. 2 Th 2, 4.
15. 2 Th 2, 11.
16. Cette citation nest pas littérale. Voici le texte exact : "Qui est celui que les Juifs reçurent, si ce nest
lAntéchrist, qui doit venir chercher sa propre gloire? Et le châtiment de leur
péché, qui fut de navoir pas voulu croire ŕ la vérité, sera de croire au
mensonge" (ALCUIN [loc. cit. ; męme texte chez BČDE, In S. bannis Evang.
expos. (Glossa), ch. 5, PL 92, col. 703 C-D).
17. cf. Serm. de Script., 129 (ou Serm. de Verbum Dom., 45,
selon les éditions antérieures), ch. 6, 7, PL 38, col. 723. Voir aussi
Commentaire de la premičre épître de S. Jean, III, 4, SC 75, p. 191.
18. 1 Jean 2, 18.
19. Cf. SAINT JEAN CRHYSOSTOME, In
Ioannem hom., 41, ch. 1, PG 59, col. 236.
Et cest pourquoi la Glose dit : "Cest un grand vice que la vantardise et lambition de la louange humaine, qui veulent quon pense delles ce que delles-męmes elles nont pas" 24.
II
NE
PENSEZ PAS QUE CEST MOI QUI VOUS ACCU SERAI AUPRES DU PERE : CELUI QUI VOUS
ACCUSE, CEST MOISE, EN QUI VOUS ESPEREZ. EN EFFET, SI VOUS CROYIEZ A MOĎSE,
VOUS CROIRIEZ PEUT-ETRE A MOI AUSSI, CAR CEST DE MOI QUIL A ECRIT. MAIS SI
VOUS NE CROYEZ PAS A SES ECRITS, COMMENT CROIREZ-VOUS A MES PA ROLES?
833. Le Seigneur montre maintenant que les Juifs nont pas de zčle pour Moďse. Pour cela Il montre dabord, en écartant une opinion [n° 834] et en affirmant la vérité [n° 835], comment Moďse leur était contraire, puis Il en donne la raison [n° 836].
NE
PENSEZ PAS QUE CEST MOI QUI VOUS ACCUSERAI AUPRES DU PERE : CELUI QUI VOUS
ACCU SE, CEST MOISE, EN QUI VOUS ESPEREZ.
834. Ces paroles ont un triple sens. Le premier, cest que le Fils de Dieu nest pas venu dans le monde pour condamner le monde, mais pour le sauver; voilŕ pourquoi Il dit : NE PENSEZ PAS que je sois venu pour condamner : je suis venu pour délivrer : Dieu na pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par Lui. Aussi le sang du Christ ne crie-t-il pas laccusation, mais la rémission Vous vous ętes approchés (...) du médiateur de la nouvelle alliance, Jésus, et dun sang daspersion plus éloquent que celui dAbel 26, qui criait 27 en accusant. Qui accusera les élus de Dieu? Cest Dieu qui justifie. Quel est celui qui condamnera? Le Christ Jésus, qui est mort, bien plus qui est aussi ressuscité dentre les morts, qui est ŕ la droite de Dieu et qui męme intercčde pour nous? 28
On peut comprendre les paroles du Christ dune autre maničre : NE PENSEZ PAS QUE CEST MOI QUI VOUS ACCUSERAI AUPRES DU PERE, parce que je ne serai pas accusateur, mais juge. Le Pčre, en effet, a remis tout jugement au Fils 29.
Enfin, cette phrase peut sentendre ainsi : NE PENSEZ PAS QUE CEST MOI, cest-ŕ-dire moi seulement, QUI VOUS ACCUSERAI AUPRES DU PERE de ce que vous me faites; mais Moďse aussi vous accusera de ne pas le croire dans ce quil a dit de moi.
20. Voir Alcuin, loc. cit., col. 818 C, et BČDE, loc. cit., col.
703 D.
21. Jean 12, 42-43.
22. Ga 5, 26 "Ne devenons pas avides
dune vaine gloire...".
Cf. Phi 2, 3. La "vaine gloire", explique saint Thomas
en commentant lEpître aux Galates, est la gloire du monde, du
"sičcle" (gloria saecularis). Est vain, précise-t-il, "ce qui
nest fondé sur rien de solide, ni ne sappuie sur la vérité, ni nest aimé en
vue du bien. Cest pourquoi la gloire de ce monde est vaine, parce quelle est
caduque et non solide Toute chair est de lherbe, et toute sa gloire est
comme la fleur des champs (Isaďe 40, 6) et parce quelle est fausse La
gloire [lhomme pécheur] nest que fumier et vers (1 Mac 2, 62) .), et encore
parce quelle est inutile et infructueuse : en effet, si grande que soit la
gloire quun homme tire du témoignage du sičcle, il ne peut pas pour autant
atteindre par lŕ sa fin, quil natteint que grâce au témoignage de Dieu Celui
qui se glorifie, quil se glorifie dans le Seigneur (1 Corinthiens 1, 31)"
(Super Epistolam ad Galatas lectura, V, leç. 7, n° 341).
23. Saint Thomas modifie légčrement le texte de Cicéron : "Il faut se garder (...) de lavidité de la gloire (...);
en effet, elle supprime la liberté, sur laquelle les hommes magnanimes doivent
faire porter tout leur effort" (Les devoirs, livre I, XX, § 68, p. 138).
24. Voici le texte exact : "Il faut considérer avec plus dattention quel grand mal
sont la vanité et lambition de la louange humaine (...). Lhomme veut quon
pense de lui ce quen lui-męme il ne sefforce pas de posséder"
(ALCUIN, loc. cit. ; męme texte chez BČDE, loc. cit.).
835. Cest pourquoi le Christ ajoute CELUI QUI VOUS ACCUSE, CEST MOĎSE, EN QUI VOUS ESPEREZ, car vous croyez ętre sauvés par ses préceptes. Et Moďse les accuse doublement. Il les accuse matériellement, car du fait quils ont transgressé ses commandements, ils doivent ętre accusés Tous ceux qui ont péché sous la Loi seront jugés par la Loi 30. Moďse les accuse aussi en ce sens que lui-męme et les autres saints exerceront un pouvoir dans le jugement : [ils auront] dans leurs mains des glaives ŕ deux tranchants pour tirer vengeance des nations, pour châtier les peuples, afin dexercer sur eux le jugement prescrit 31.
25. Jean 3, 17.
26. He 12, 24.
27. Gn 4, 10.
28. Ro 8, 33-34.
29. Jean 5, 22.
30. Ro 2, 12.
EN
EFFET, SI VOUS CROYIEZ A MOĎSE, VOUS CR0IRIEZ PEUT-ĘTRE A MOI AUSSI, CAR CEST
DE MOI QUIL A ECRIT.
836. Le Seigneur donne ici la raison pour laquelle Moďse leur était contraire : CEST DE MOI QUIL A ECRIT, en disant notamment : Le Seigneur ton Dieu suscitera de ta nation et dentre tes frčres un prophčte comme moi cest lui que tu écouteras 32, et en rapportant tous les sacrifices qui étaient des figures du Christ. Et si le Seigneur dit PEUT-ETRE, ce nest pas quil y ait en Dieu le moindre doute, mais pour attirer lattention sur la volonté libre de lhomme 33.
MAIS
SI VOUS NE CROYEZ PAS A SES ECRITS, COMMENT CROIREZ-VOUS A MES PAROLES?
837. Aprčs avoir donné la raison pour laquelle Moďse était contraire aux Juifs, le Seigneur en donne main tenant un signe, pris a fortiori et négativement, dans une double comparaison. Dabord une comparaison de personne ŕ personne : en effet, bien que le Christ, absolument parlant, fűt plus grand que Moďse, celui-ci cependant, aux yeux des Juifs, était plus grand; aussi le Seigneur dit-Il si vous ne croyez pas Moďse, vous ne croirez pas non plus ŕ moi. Ensuite, Il compare leurs maničres de transmettre : Moďse donna les commandements dans des écrits, qui peuvent ętre plus longuement médités et ne tombent pas facilement dans loubli, si bien quils obligent davantage ŕ croire. Mais le Christ, Lui, enseigna par la parole, et cest pourquoi Il dit : SI VOUS NE CROYEZ PAS A SES ECRITS dont vous avez chez vous les livres, COMMENT CROIREZ-VOUS A MES PAROLES?
31. Ps 149, 6.
32. Deut 18, 15.
33. Cf. ci-dessus, n° 578.
838. Une fois exposé lenseignement sur la vie spirituelle par laquelle le Christ vivifie ceux qui ont été régénérés, lEvangéliste traite maintenant de la nourriture par laquelle le Christ soutient ceux quil a vivifiés; il regarde dabord la production miraculeuse par le Christ dune nourriture corporelle, puis il traite de la nourriture spirituelle [n° 892].
Du miracle visible il considčre dabord laccomplissement, puis leffet [n° 866].
1 Or
Aprčs cela, Jésus sen alla de lautre côté de la mer de Galilée, cest-ŕ-dire
de Tibériade 2 et une grande multitude le suivait, parce quils voyaient les
signes quil faisait sur ceux qui étaient malades. Jésus gravit donc
discrčtement la montagne; et lŕ, il était assis avec ses disciples. Or proche
était la Pâque, jour de la fęte des Juifs. Jésus, donc, ayant levé les yeux et
vu quune trčs grande multitude était venue ŕ lui, dit ŕ Philippe : "Oů
achčterons-nous des pains pour que ceux-ci mangent?" Or il disait cela
pour le tenter, car lui savait ce quil devait faire. 7 lui répondit :
"Deux cents deniers de pain ne leur suffiraient pas pour que chacun deux
en ait męme un petit morceau. "8 Un de ses disciples, André, frčre de
Simon-Pierre, lui dit : "Il y a ici un petit garçon qui a cinq pains
dorge et deux poissons; mais quest-ce que cela pour tant de monde?" 10
Jésus dit donc : "Faites sallonger ces hommes. " Or il y avait
beaucoup dherbe en ce lieu. Les hommes sallongčrent donc au nombre denviron
cinq mille. "Jésus prit donc les pains, et quand il eut rendu grâces, il
les distribua ŕ ceux qui étaient allongés; et de męme des poissons, autant
quils en vou laient. 12 Lorsquils furent rassasies, il dit ŕ ses disciples :
"Recueillez les morceaux qui sont restés, afin que rien ne se perde. "
Ils les recueillirent donc, et remplirent douze couffins avec les morceaux des
cinq pains dorge et des deux poissons qui restčrent en surplus ŕ ceux qui
avaient mangé.
I
APRČS
CELA, JÉSUS SEN ALLA DE LAUTRE CÔTÉ DE LA MER DE GAULÉE, C'EST-Ŕ-DIRE DE
TIBÉRIADE; ET UNE GRANDE MULTITUDE LE SUIVAIT, PARCE QU1LS VOYAIENT LES SIGNES
QUIL FAISAIT SUR CEUX QUI ÉTAIENT MALADES. JÉSUS GRA VIT DONC DI$CRČTEMENT LA
MONTAGNE; ETLŔ, IL ÉTAITASSIS AVEC SES DISCIPLES. OR PROCHE ÉTAIT LA PÂQUE,
JOUR DE LA FĘTE DES JUIFS.
Quant ŕ laccomplissement du miracle [n° 847], il en considčre dabord les circonstances : la multitude que le Christ a nourrie avec largesse, le lieu [n° 845] puis le temps oů cela se passe [n° 846]. A propos de la multitude, il détermine dabord le lieu oů elle le suit [n° 839] puis la foule elle-męme [n° 842] et enfin la cause pour laquelle elle le suit [n° 843].
APRČS
CELA, JÉSUS S'EN ALLA DE L'AUTRE CÔTÉ DE [LA MER DE GALILÉE, C'EST-Ŕ-DIRE DE
TIBÉRIADE.
839. Cest lendroit oů la foule suivit le Seigneur que l'Evangéliste suggčre ici. Il situe donc cet épisode aprčs les paroles mystiques que le Seigneur avait prononcées sur sa puissance.
La mer de Galilée est souvent nommée dans lÉcriture, et de multiples maničres 2. En effet, puisquelle nest pas salée, mais quelle est formée dune accumulation des eaux du cours du Jourdain, Luc lappelle lac 3, mais parce que, selon une particularité de la langue hébraďque, le vocable "mer" désigne toute accumulation deau, daprčs ce passage : Dieu (...) appela mers laccumulation des eaux 4, elle est appelée mer.
Le nom "lac de
Génésareth" lui vient de la nature du lieu. En effet, elle est trčs
agitée du fait de lemprise des vents qui naissent de lévaporation de ses
propres eaux, doů cette dénomination de Génésareth, qui en grec signifie "qui
engendre le vent". Elle est appelée mer de Galilée parce quelle se
trouve dans cette province, et aussi lac de Tibériade, du nom de la ville
située sur lun des bords de cette mer, ŕ lopposé de la ville de Capharnaüm.
Cette ville était autrefois appelée Zénéreth, mais aprčs sa rénovation par le
tétrarque Hérode elle fut baptisée Tibériade 5, en lhonneur de
lempereur Tibčre.
840. Au sens littéral, la raison pour laquelle Jésus partit par la mer, selon Chrysostome 6, est que le Christ se serait soustrait ŕ la fureur et ŕ lagitation que les Juifs avaient conçues contre lui ŕ cause de ce quil avait dit auparavant sur lui-męme.
Doů, selon le męme auteur 7, de męme que les javelots lorsquils se heurtent ŕ quelque chose de dur blessent durement, mais lorsque rien ne leur fait obstacle, perdent leur force aussitôt envoyés et retombent, de męme, si nous nous opposons ŕ ceux qui ne respectent rien en leur résistant vivement, leur fureur ne fait alors quaugmenter, mais si nous leur cédons, nous apaisons sans peine leur folie.
Pour cette raison le Christ, en prenant le large, a apaisé la fureur des Juifs née des paroles précédentes, nous don nant ainsi un exemple ŕ suivre Ne tiens pas tęte ŕ leffronté 8.
2. Sur tout ce passage, voir ISIDORE, Etymologiarum sive
originum lzbn, XIII, xiv, 1; XIX, 1-2; 5-9; transmis par BČDE, In S. Lucae
Evangelium expositio, L. II, ch. 5, PL 92, col. 381 D; et ALCUIN, Commentarium
in S. bannis Evangelium (Glossa), 3, ch. 12, PL 100, col. 819.
3. Luc 5, 1 Or donc, comme la foule le serrait de prčs et
écoutait la parole de Dieu, tandis que lui se tenait sur le bord du lac de
Génésareth
4. Gn 1, 10.
5. Cf. SAINTJÉRÔME, Liber de situ et nominibus locorum
hebraicorum, PL 23, col. 888 A-B et 889 A-B.
6. In boannem homiliae, 42, ch. 1, PG
59, col. 239.
7. Loc. cit.
841. Au sens mystique, la mer désigne le sičcle présent et son agitation Voici la grande mer aux vastes bras 9. Cest cette mer que le Seigneur a passée lorsquil a affronté, en naissant, la mer de notre mortalité et de notre souffrance. Il la foulée aux pieds en mourant; puis, la passant en se relevant, il est parvenu ŕ la gloire de la Résurrection. De ce passage il est dit plus loin : Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde ŕ son Pčre... 10.
Dans son passage pris en ce sens, des foules nombreuses rassemblées de chacun des deux peuples 11 lont suivi en croyant en lui et en limitant Ton cur sera dans ladmiration et se dilatera quand se sera tournée vers toi la multitude de la mer et que la force des nations sera venue ŕ toi 12. Lčve-toi, Seigneur, selon lordre que tu as donné, et lassemblée des peuples t'environnera 13.
8. Sir 8, 14.
9. Ps 103, 25.
10. Jean 13, 1.
11. Lexpression est ŕ rapprocher de ce passage de lépître aux
Ephésiens : Car lui [Christ] est notre paix, lui qui des deux peuples en a fait
un, et a détruit le mur de la séparation l'inimitié dans sa chair,
abrogeant la loi des commandements avec ses prescriptions, afin de rassembler
en lui les deux en un unique et nouvel homme, en faisant la paix (Eph 2, 14-15).
Saint Thomas commente ainsi : "Qui des deux peuples en a fait un, parce
que le Christ a uni chacun des deux peuples, celui des Juifs honorant le vrai
Dieu et celui des Gentils devenus étrangers au culte dun tel Dieu : Jai
dautres brebis qui ne sont point de cette bergerie; et il faut que je les
amčne, et elles entendront ma voix, et il n aura qu'un bercail et qu'un pasteur
(Jean 10, 16)" (Ad Eph. lect., II, leç. 5, n° 111).
12. Isaďe 60. 5.
13. Ps 7, 7-8.
ET
UNE GRANDE MULTITUDE LE SUIVAIT. [2a]
842. LÉvangéliste souligne ensuite limportance de la foule qui suivait Jésus, parce quUNE GRANDE MULTITUDE LE SUIVAIT
PARCE
QUILS VOYAIENT LES SIGNES QUIL FAISAIT SUR CEUX QUIÉTAIENT MALADES.
843. Telle est la cause pour laquelle ils le suivaient : laccomplissement des miracles.
A ce propos, il faut savoir
que certains les mieux disposés le suivaient ŕ cause de son enseignement.
Tandis que dautres, moins parfaits, le suivaient ŕ cause de leur admiration
pour les signes visibles; ceux-ci étaient desprit plus grossier 14 Ainsi donc,
les langues servent de signe non pour ceux qui croient, mais pour les
non-croyants; la prophétie, elle, n'est pas pour les non-croyants, mais pour
ceux qui croient 15. Cest encore ŕ cause
de leur dévotion 16 et de leur foi que dautres le suivaient, ceux-lŕ męmes quil avait
guéris par leur corps : en effet, le Seigneur les avait guéris dans leur corps
afin que jusque dans leur âme, ils soient parfaitement guéris Les uvres de
Dieu sont parfaites 17. Ceci est corroboré par ce quil dit explicitement au paralytique : "Désormais,
ne pčche plus" et "Mon fils, tes péchés te sont remis"
19, paroles qui concernent
plus la santé de lâme que celle du corps.
844. Remarquons que, bien que lÉvangéliste nait fait jusque-lŕ mention que de trois miracles, celui des noces, celui du fils du fonctionnaire royal et celui du paralytique, il parle ici sans préciser des SIGNES QUIL FAISAIT, pour que nous comprenions que le Christ a fait beaucoup dautres signes, comme il est dit plus loin 20, dont il ne fait pas mention dans ce livre. En rédigeant son Evangile, en effet, il se proposait dabord de nous introduire dans lenseignement du Christ.
14. Cf. CHRYSOSTOME, op. cit., 42, ch. 1,
col. 239.
15. 1 Corinthiens 14, 22.
16. Le terme latin devotio exprime le ferme désir daccomplir avec
cur tout ce qui a trait au culte dű ŕ Dieu, de maničre ŕ nous établir dans un
rapport vrai de dépendance ŕ son égard. La "dévotion", au sens oů
lentend saint Thomas, est donc comme un acte de justice envers Dieu et en ce
sens elle découle de la vertu de religion. Mais vouloir rendre un culte ŕ Dieu
est lexpression dun amour pour lui. Cet amour, antérieur au culte, est soit
naturel cest lamour dadoration soit surnaturel cest lamour de
charité. Cest pour quoi on peut traduire le terme devotio par "soumission
aimante". Ainsi la devotio est lacte par lequel notre lien personnel avec
Dieu va rejaillir sur toutes nos activités qui deviennent, par la grâce,
matičre du culte : Que vous mangiez ou que vous buviez, quoi que vous fassiez,
fai tes tout ŕ la gloire de Dieu (1 Corinthiens 10, 31). Cf. Somme théologique,
II-II, qq. 8 1-82.
17. Deut 32, 4.
18. Jean 5, 14.
19. Mt 9, 2.
JÉSUS
GRAVIT DONC DISCRČTEMENT LA MONTAGNE; ET LŔ, IL ÉTAIT ASSIS A VEC SES DISCIPLES.
845. LÉvangéliste indique ensuite le lieu du miracle : une montagne. Il dit pour cette raison que jésus la GRAVIT DISCRETEMENT cest-ŕ-dire y monta en secret. La montagne est certes un lieu assez propice ŕ la réparation des for ces; elle symbolise en effet la perfection de la justice Ta justice est comme les montagnes de Dieu 22. Parce que les nourritures terrestres ne rassasient pas au contraire quiconque boit de cette eau aura encore soif 23 alors que les nourritures spirituelles rassasient, le Seigneur monte sur les hauteurs avec ses disciples pour montrer que les nourritures spirituelles rassasient et donnent la perfection de la justice. Cest de cette montagne quil est dit : La montagne de Dieu est une montagne fertile 24. Cest pourquoi le Christ, siégeant entouré de ses disciples, y dispensait son enseignement. Cest lui en effet qui enseigne la science ŕ lhomme 25.
OR
PROCHE ÉTAIT LA PÂQUE, JOUR DE LA FĘTE DES JUIFS.
846. Maintenant lÉvangéliste indique la période, qui elle-męme convient au rétablissement des forces. Pâque signifie en effet passage Cest la Pâque, cest-ŕ-dire le passage du Seigneur 26. Il nous fait comprendre par lŕ que tout homme qui désire ętre restauré par le pain de la parole divine et par le corps et le sang du Seigneur doit passer des vices aux vertus Notre Pâque, le Christ, a été immolée, célébrons-la dans un repas avec des azymes de pureté et de vérité 27 ; et la Sagesse divine dit elle-męme : Passez ŕ moi, vous tous qui me désirez 28.
Cette Pâque est la seconde dont lÉvangéliste fait mention; pour celle-ci, le Seigneur ne monta pas ŕ Jérusalem, contrairement au précepte de la Loi 29. La raison en est que le Christ était Dieu et homme : en tant quhomme, il était certes soumis ŕ la Loi, mais en tant que Dieu, il était au-dessus. Afin donc de se montrer homme, il observait parfois la Loi, et, comme Dieu, il sen affranchissait. Du męme coup, il faisait comprendre que sous peu les observances légales cesseraient progressivement 30.
20. Cf. Jean 20, 30; 21, 25.
21. Le terme latin subire a deux significations, selon que sub
exprime le mode du déplacement (se déplacer en cachette) ou son origine : aller
de bas (sous-entendu : en haut), cest-ŕ-dire monter. Le déplacement du Christ
correspond aux deux sens.
22. Ps 35, 7.
23. Jean 4, 13.
24. Ps 67, 16.
25. Ps 93, 10.
II
847. LÉvangéliste traite ensuite de la réalisation du miracle. Cest en premier lieu la nécessité dopérer le miracle quil expose; puis il poursuit en rapportant la réalisation elle-męme [n° 855].
JÉSUS,
DONC, AYANT LEVÉ LES YEUX ET VU QUUNE TRČS GRANDE MULTITUDE ÉTAIT VENUE Ŕ LUI,
DIT Ŕ PHILIPPE : "OŮ ACHČTERONS-NOUS DES PAINS POUR QUE CEUX-CI
MANGENT?" OR IL DISAIT CELA POUR LE TENTER, CAR LUI SAVAIT CE QUIL DE
VAIT FAIRE. PHILIPPE LUI RÉPONDIT : "DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR
SUFFIRAIENT PAS POUR QUE CHACUN DEUX EN AIT MĘME UN PETIT MORCEAU. " UN
DE SES DISCIPLES, ANDRÉ, FRČRE DE SIMON-PIERRE, LUI DIT "IL Y A ICI UN
PETIT GARÇON QUI A CINQ PAINS DORGE ET DEUX POISSONS; MAIS QUEST-CE QUE CELA
POUR TANT DE MONDE?"
La nécessité que le miracle se produise vient de linterrogation du Seigneur et de la réponse des disciples [n° 851].
A propos de linterrogation, lEvangéliste relate loccasion saisie par le Christ dinterroger les disciples [n° 848], puis linterrogation elle-męme [n° 849], et il dévoile en der nier lieu lintention du Christ interrogeant [n° 850].
26. Ex 12, 11.
27. 1 Corinthiens 5, 7-8.
28. Sir 24, 26 (LXX 24, 19).
29. Trois fois dans lannée, toute la population mâle paraîtra
devant Yahvé, ton Dieu, dans le lieu qu'il aura choisi : ŕ la fęte des Azymes,
ŕ la fęte des Semaines et ŕ la fęte des Tentes (Deut 16, 16); et le lieu que le
Seigneur a choisi est bien le Temple de Jérusalem, suivant ce passage du
premier livre des Rois (8, 10-13) : Or, quand les prętres sortirent du Saint,
la nuée remplit la Maison de Yahvé, et les prętres ne purent s tenir pour leur
service, ŕ cause de la nuée; car la gloire de Yahvé remplissait la Maison de
Yahvé. Alors Salomon dit : "Yahvé a décidé de demeurer dans la sombre nuée.
Oui, je t'ai bâti une Maison pour résidence, un lieu oů tu habites ŕ tout
jamais!
30. Cf. CHRYSOSTOME, op. cit., col. 239.
JÉSUS,
DONC, AYANT LEVÉ LES YEUX ET VU QUUNE TRČS GRANDE MULTITUDE ÉTAIT VENUE Ŕ LUI
848. Cest la vision de la multitude venant au Christ qui suscita linterrogation. Pour cette raison, lEvangéliste dit : Jésus, étant dans la montagne avec ses disciples, cest-ŕ-dire avec les plus avancés, AYANT LEVE LES YEUX ET VU...
En cela, deux traits concernant le Seigneur sont ŕ relever.
Dabord, la perfection pleine de gravité du Christ, qui ne promčne pas ses regards de tous côtés, mais est assis en compagnie de ses disciples, avec réserve et attention; cest le contraire de ce qui est dit dans les Proverbes : Génération dont les yeux sont altiers et les paupičres hautaines 31 ; et selon lEcclésiastique, ŕ son regard, on connaît lhomme 32.
Ensuite, pour que nous apprenions que le Christ nétait pas assis oisif avec ses disciples, mais quil était tout occupé ŕ les enseigner et que, attirant leurs curs ŕ lui, il regardait ceux quil enseignait 33 Et lui, levant les yeux sur ses disciples 34, il est dit ici : AYANT LEVE LES YEUX, cest-ŕ-dire les détournant de ses disciples, il vit la multitude.
Au sens mystique, les yeux du Seigneur sont les dons spirituels que, dans sa miséricorde, il accorde ŕ ses élus lors quil lčve les yeux vers eux, cest-ŕ-dire lorsquil leur accorde un regard de bienveillance 35.
31. Prov 30, 13. Cf. ALCUIN, Comm. in S.
bannis Evang., 3, ch. 12, col. 821.
32. Sir 19, 26.
OŮ
ACHČTERONS-NOUS DES PAINS POUR QUE CEUX CI MANGENT?
849. Linterrogation porte sur la réfection de la multitude. Le Seigneur suppose un fait et cherche autre chose. Il suppose quelque indigence parce quil navait pas de quoi donner la nourriture ŕ une telle multitude. Il cherche alors comment la trouver lorsquil dit : OUACHETERONS-NOUS DES PAINS POUR QUE CEUX-CI MANGENT?
Il faut remarquer ici que tout docteur a le devoir de faire paître spirituellement la foule qui vient ŕ lui. Et puisquaucun homme ne possčde de son propre fonds de quoi la faire paître, ainsi il doit acquérir auprčs dun autre par le labeur de létude et lassiduité ŕ la pričre. Vous qui navez pas dargent, dit le Seigneur en Isaďe, venez. Et il continue : Pourquoi dépensez-vous votre argent, cest-ŕ-dire votre éloquence, non pas pour des pains cest-ŕ-dire la Sagesse véritable qui restaure Sagesse dont lEcclésiastique dit : Il la nourri du pain de la vie et de lintelligence , non pas pour des pains donc, et pourquoi dilapidez-vous votre travail pour ce qui ne rassasie pas 36 en apprenant ce qui ne rassasie pas mais vide plutôt?
33. Cf. CHRYSOSTOME, in Ioannem hom.,
42, ch. 1, col. 240.
34. Luc 6, 20. On ne sait pas avec certitude si saint Thomas a
cité ce pas sage de saint Luc ou Mt 5, 1. On remarque en effet un trouble dans
le texte des manuscrits et des premičres éditions. La citation de saint Luc
semble préférable. Lui seul, en effet, parle du regard de Jésus posé sur ses
disciples pendant quil les enseigne.
35. Pour le rapprochement entre les yeux du Seigneur et les dons
spirituels, tiré de la vision de lAgneau en Ap 5, 6 voir ALCUIN, loc. cit.
36. Isaďe 55, 1-2; Sir 15, 3.
OR IL
DISAIT CELA POUR LE TENTER, CAR LUI SAVAIT CE QUIL DEVAIT FAIRE.
850. L'Evangéliste dévoile par lŕ lintention de celui qui interroge; et, supprimant une incertitude, il en fait apparaître une autre.
Il était en effet possible de penser que le Seigneur avait interrogé Philippe par ignorance; cependant lEvangéliste exclut cela en disant CAR LUI SAVAIT CE QUIL DEVAIT FAIRE. Mais puisque tenter semble ętre aussi le fait dun ignorant cest en effet provoquer ce dont on tirera expérience il apparaît que lEvangéliste conduit ŕ une autre incertitude lorsquil dit : POUR LE TENTER
Mais il faut préciser que
cest de diverses maničres quune personne en tente une autre, au sens de la
connaître par expérience. Lhomme tente dune certaine maničre, pour apprendre;
le diable dune autre, pour tromper Votre adversaire le diable, comme un lion
rugissant, rôde, cher chant qui dévorer 37. Mais Dieu et le Christ ne tente ni pour apprendre, parce quil est
celui qui scrute les curs et les reins 38 ni pour tromper Dieu
(...) ne tente personne 39; sil tente, cest pour donner aux autres une connaissance
dexpérience sur celui qui est tenté. Cest ainsi que Dieu a tenté Abraham :
Dieu tenta Abraham 40; et plus loin : Je sais maintenant que tu crains le Seigneur 41, cest-ŕ-dire jai fait
connaître que tu crains le Seigneur. Cest ainsi quŕ cet endroit il a tenté
Philippe afin de dévoiler sa réponse aux autres, les conduisant par lŕ ŕ une
connaissance plus certaine de lévénement ŕ venir.
851. LÉvangéliste poursuit avec la réponse des disciples, dabord celle de Philippe, puis celle dAndré [n° 853].
PHILIPPE
LUI RÉPONDIT : "DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS POUR
QUE CHACUN DEUX EN AIT MĘME UN PETIT MORCEAU".
852. A propos de la réponse de Philippe, il faut savoir que Philippe était, par rapport aux autres, plus lent et moins subtil, et que de ce fait il interrogeait le Seigneur plus souvent que les autres Seigneur, montre-nous le Pčre et cela nous suffit 42. Mais dans linterrogation de ces deux disciples prise au sens littéral, André était mieux disposé que Philippe, qui semble navoir aucune ouverture ou disposition ŕ laccomplissement du miracle. Cest pour cela quil envisage cette maničre dont tous les hommes auraient pu en nourrir dautres, cest-ŕ-dire par largent, lorsquil dit : DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS; or nous ne les possédons pas, et ŕ cause de cela nous ne pourrons pas leur donner ŕ manger. Cela nous dévoile la pauvreté du Christ : il navait męme pas deux cents deniers.
37. 1 Pe 5, 8.
38. Cf. Ps 7, 10; Jérémie 11, 20; Ap 2, 23.
39. Ja 1, 13.
40. Gn 22, 1.
41. Gn 22, 12.
UN DE
SES DISCIPLES, ANDRI FRČRE DE SIMON PIERRE, LUI DIT : "IL YA ICI UN PETIT
GARÇON QUI A CINQ PAINS DORGE ET DEUX POISSONS; MAIS QUEST-CE QUE CELA POUR
TANT DE MONDE?"
853. André, par contre,
semble envisager la réalisation du miracle. Peut-ętre en effet avait-il en
mémoire le signe quElisée avait accompli avec des pains dorge, lorsquavec
vingt pains il nourrit cent hommes, comme on le lit au livre des Rois 43. Et cest pour cela quil dit :
IL YA ICI UNFETIT GARÇON QUI A CINQ PAINS DORGE ET DEUX POIS SONS. Cependant,
il présumait que le Christ nallait pas accomplir un plus grand miracle
quElisée. Il estimait en effet quŕ partir dun nombre moindre sortirait miraculeusement
un nombre moindre, et ŕ partir dun plus grand nombre, un nombre plus grand
(bien quŕ celui qui na pas besoin de la matičre, celle-ci lui étant soumise,
il soit aussi facile de nourrir les foules ŕ partir dun nombre plus grand [ou plus petit]; et cest pour cela quAndré ajoute : MAIS QUEST-CE QUE CELA POURTANT
DE MONDE? comme sil disait : męme sils sont multipliés comme Elisée les
multiplia, ce nest pas suffisant 44.
854. Au sens mystique, refaire les forces spirituelles renvoie ŕ la sagesse. Et la vraie sagesse est celle qua enseignée le Christ, qui est lui-męme la vraie Sagesse Le Christ est Puissance de Dieu et Sagesse de Dieu 45. Mais, avant celui du Christ, deux enseignements avaient cours : lun humain, celui des philosophes; et lautre, celui de la Loi écrite.
Cest du premier que Philippe fait mention et cest pourquoi il parle dacheter du pain : DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS. Effectivement, la sagesse humaine sobtient par acquisition. Le nombre cent dénote la perfection. Pour cette raison, les DEUX CENTS dévoilent la double perfection nécessaire ŕ cette sagesse; en effet, on en atteint la perfection dune double maničre : par lexpérience et parla contemplation. Il dit donc : DEUX CENTS DENIERS DE PAIN NE LEUR SUFFIRAIENT PAS, parce que rien de ce que lintelligence humaine peut atteindre de la vérité par expérience ou raisonnement ne suffit ŕ épuiser sa faim de sagesse Que le sage ne tire pas gloire de sa sagesse, que le fort ne se glorifie pas dans sa force, que le riche ne se glorifie pas dans ses richesses; mais que celui qui se glorifie se glorifie en ceci, de connaître et de savoir que cest moi qui suis le Seigneur 46. En effet, il nest aucun philosophe dont la sagesse fut telle que par elle les hommes aient pu ętre tirés de lerreur; au contraire, nombreux sont ceux que les philosophes entraînent ŕ errer.
André, lui, fait mention du second enseignement, et pour cette raison, il ne voulait pas que lon achetât dautres pains, mais que la foule fűt restaurée avec ceux que lon possédait, cest-ŕ-dire avec ceux que contenait la Loi : par lŕ, il était mieux disposé que Philippe et cest pourquoi il dit : IL Y A ICI UN PETIT GARÇON QUI A CINQ PAINS D'ORGE. Cet enfant peut désigner Moďse ŕ cause de limperfection du statut de la Loi 47 La Loi na conduit personne ŕ la perfection 48-- ou le peuple des Juifs qui était asservi aux éléments du monde 49. Cet enfant possčde donc CINQ pains, cest-ŕ-dire lenseignement de la Loi : soit parce quelle a été renfermée dans les cinq livres de Moďse 50 La Loi a été donnée par Moďse soit parce quelle a été donnée ŕ des hommes tout entiers pris par les réalités sensibles, dont on fait lexpérience au moyen des cinq sens 51. Ce sont des pains DORGE, parce que la Loi avait été donnée de telle sorte quen elle laliment vital était caché dans les réalités sensibles des sacrements de lAncienne Alliance 52 le grain dorge est en effet caché par une balle extręmement dure; ou encore parce que le peuple des Juifs navait pas encore été détaché du désir charnel, mais que celui-ci, comme une balle, lui col lait au cur. En effet, dans lAncien Testament, les Juifs avaient fait lexpérience de la dureté de la Loi ŕ cause des observances liturgiques joug (...) que ni nos pčres ni nous navons pu porter 53 ; et les Juifs, étant eux-męmes livrés aux choses corporelles, ne saisissaient pas le sens spirituel de la Loi Jusqu'ŕ ce jour, lorsqu'ils lisent Moďse, un voile est posé sur leur cur 54.
Par les DEUX POISSONS qui donnaient bon goűt au pain, on entend lenseignement des Psaumes et des Prophčtes, pour dire ainsi que lancienne Loi ne comportait pas seulement cinq pains, cest-ŕ-dire les livres de Moďse, mais aussi deux poissons, cest-ŕ-dire les Prophčtes et les Psaumes 55, doů la division tripartite des écrits de lAncien Testament Ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moďse, les Prophčtes et les Psaumes 56. Ou bien les DEUX POISSONS, selon Augustin 57, signifient deux autorités, celle du roi et celle du prętre, par les quels ce peuple était gouverné; ils préfiguraient le Christ qui fut le roi et le prętre véritable. MAIS QUEST-CE QUE CELA POUR TANT DE MONDE? Ce triple enseignement (celui des Psaumes, des Prophčtes et de la Loi), en effet, na pas pu conduire le genre humain ŕ la connaissance parfaite de la vérité : męme si, de fait, Dieu fut connu en Judée 58, les nations cependant le méconnaissaient.
42. Jean 14, 8.
43. Cf. 2 Rs 4, 42 "Un
homme arriva de Baal-Chalicha, apportant ŕ lhomme de Dieu du pain de premiers
fruits, vingt pains dorge et du grain frais dans sa besace. Elisée dit :
"Donne aux gens et quils mangent. "Son serviteur dit : "Comment
servirai-je cela ŕ cent personnes?" "Donne aux gens, dit-il, et
qu'ils mangent, car ainsi parle le Seigneur : On mangera et on en aura de reste.
"Il les servit; ils mangčrent et en eurent de reste, selon la parole du
Seigneur. "
44. Cf. CHRYSOSTOME In Ioannem hom., 42,
ch. 2, coI 240-24 1.
45. 1 Corinthiens 1, 24.
46. Jérémie 9, 23.
49. Cf. Ga 4, 3.
50. Jean 1, 17.
51. Cf. ORIGČNE, Homélies sur la Genčse, XVI, 6, SC 7, p. 257.
52. Saint Thomas se demande, au début du traité des sacrements,
sil existait des sacrements avant la venue du Christ (Somme théol., III, q. 61,
a. 3). Il rappelle dabord "que les sacrements sont les signes sensibles
des réalités invisibles par lesquelles lhomme est sanctifié". Or le
Christ est le Sauveur de tout homme. "Cest pourquoi il fallait que, avant
la venue du Christ, des signes sensibles fussent donnés aux hommes, par lesquels
ils témoigneraient de leur foi en lavčnement futur du Sauveur. " Les
signes sensibles de ces sacrements sont les observances légales, qui ont été
données dune part ŕ cause de lobscurcissement de la loi naturelle dans
lesprit des hommes, et dautre part, la venue du Christ approchant, pour
signifier la foi plus explicitement (cf. note 48).
53. Ac 15, 10.
54. 2 Co 3, 15.
55. Cf. ALCUIN, Comm. in S. Ioannis
Evang., 3, ch. 12, col. 821.
56. Luc 24, 24.
57. Tract, in Ioann., XXIV, 5, BA 72, pp.
415-417.
58. Cf. Ps 76, 2.
III
855. A partir du verset 10, lÉvangéliste traite de laccomplissement du miracle : la disposition des hommes [n° 856], la réfection de leurs forces [n° 859], puis le recueil des fragments [n° 863].
JÉSUS
DIT DONC : "FAITES SALLONGER CES HOMMES. "OR IL Y AVAIT BEAUCOUP
DHERBE EN CE LIEU LES HOMMES SALLONGČRENT DONC AU NOMBRE D'ENVIRON CINQ MILLE.
JÉSUS PRIT DONC LES PAINS, ET QUAND IL EUT RENDU GRÂCES, IL LES DISTRIBUA Ŕ
CEUX QUIÉTAIENT ALLONGÉS; ET DE MĘME DES POISSONS, AUTANT QUILS EN VOULAIENT
LORSQUILS FURENT RASSASIÉS, IL DIT Ŕ SES DISCIPLES : "RECUEILLEZ LES
MORCEAUX QUI SONT RES TÉS, AFIN QUE RIEN NE SE PERDE. "ILS LES
RECUEILLIRENT DONC, ET REMPLIRENT DOUZE COUFFINS DE MORCEAUX DES CINQ PAINS
D'ORGE ET DES DEUX POISSONS QUI RESTČRENT EN SURPLUS Ŕ CEUX QUI AVAlENT MANGÉ.
LÉvangéliste nous rapporte lordre donné pour que les foules sinstallent [n° 856], lopportunité de cette disposition [n° 857] et le nombre de ceux qui étaient concernés [n° 858].
JÉSUS
DIT DONC : "FAITES S'ALLONGER CES HOMMES. "OR IL Y AVAIT BEAUCOUP
DHERBE EN CE LIEU LES HOMMES SALLONGČRENT DONC AU NOMBRE D'ENVIRON CINQ MILLE.
856. Lordre donné par le
Seigneur aux disciples était que la foule se dispose ŕ manger. Cest pourquoi
Jésus dit : FAITES SALLONGER CES HOMMES, cest-ŕ-dire sasseoir pour manger.
Car, comme nous lavons dit plus haut [n° 360], les gens, dans
lAntiquité, prenaient leurs repas allongés sur des lits. Aussi lhabitude se
répandit de dire que sallongent ceux qui sasseyent pour manger. Ce terme, au
sens mystique, exprime le repos nécessaire ŕ la perfection de la sagesse
Celui qui donne peu ŕ laction acquerra la sagesse 59. Cette disposition se fait par
lintermédiaire des disciples, car cest par eux quil nous a été fait part de
la connaissance de la vérité Que les montagnes reçoivent la paix pour le
peuple 60.
857. La convenance de la disposition est fondée sur le lieu. OR IL Y AVAIT BEAUCOUP DHERBE EN CE LIEU, ce qui, au sens littéral, est agréable pour les convives allongés sur le sol.
Au sens mystique, lherbe signifie la chair toute chair est comme lherbe 61; elle peut en ce sens se rapporter ŕ deux choses. Elle sapplique en effet ŕ lenseignement de lAncien Testament qui était donné ŕ lhomme cherchant son repos dans la chair et ŕ un peuple sage selon la chair Si vous le voulez et si vous mécoutez, vous mangerez les biens de la terre 62. Elle sapplique aussi ŕ celui qui embrasse la vraie sagesse ŕ laquelle on ne peut parvenir ŕ moins davoir foulé aux pieds les choses de la chair Ne vous conformez pas ŕ ce sičcle 63.
59. Sir 38, 25 (Vulgate).
60. Ps 71, 3.
61. Isaďe 40, 6.
62. Isaďe 1, 19.
858. Le nombre de ceux qui étaient lŕ était considérable : LES HOMMES SALLONGERENT DONC AU NOMBRE DENVIRON CINQ MILLE. LÉvangéliste prend uniquement les hommes en compte, conformément ŕ la coutume légale, selon laquelle Moďse fit recenser le peuple en comptant tous les enfants dIsraël qui avaient vingt ans et au-dessus 64, ŕ lexclusion des femmes. LEvangéliste ne compte que les hommes parce quils sont seuls capables dętre enseignés parfaitement C'est une sagesse que nous pręchons parmi les parfaits 65 C'est pour les parfaits quest la nourriture solide 66.
JÉSUS
PRIT DONC LES PAINS, ET QUAND IL EUT RENDU GRÂCES, IL LES DISTRIBUA Ŕ CEUX QUI
ÉTAIENT ALLONGÉS; ET DE MĘME DES POISSONS, AUTANT QUILS EN VOULAIENT.
859. Il traite maintenant du repas qui refait les forces, en commençant par dévoiler ce qui anime Jésus lorsquil donne le repas [n° 860], puis en disant quelle est la matičre du repas [n°861] et en montrant quil rassasie parfaitement [ibid.].
Ce qui anime jésus lorsquil
donne ce repas, cest dune part lhumilité [n° 860], dautre part
laction de grâces [n°
861].
860. Lhumilité parce que
ce sont des pains reçus quil distribua. Certes le Christ, au moment de faire
le miracle, pouvait nourrir les foules avec des pains créés ŕ partir de rien.
Mais cest ŕ dessein que, pour refaire les forces des fou les, il multiplia des
pains déjŕ existants. Dabord pour mettre en évidence que les réalités
sensibles ne doivent pas leur existence au diable comme le disent les
Manichéens dans leur égarement; car si cétait vrai, le Seigneur naurait pas
fait servir les réalités sensibles ŕ luvre de la louange divine, dautant que
le Fils de Dieu est venu dans ce monde pour détruire les uvres du diable
Ensuite, il agit ainsi pour mon trer quil est faux de dire, comme ils le font,
que lenseignement, de lAncien Testament nest pas de Dieu mais du diable 67. Cest donc
pour montrer que lenseignement du Nouveau Testament nest pas autre que celui
qui était préfiguré et contenu dans lenseignement de lAncien Testament, quil
a multiplié des pains déjŕ existants, indiquant par lŕ quil est lui-męme celui
qui a mené la Loi ŕ sa perfection et la accomplie Je ne suis pas venu abolir
mais accomplir 68.
861. Lâme du Christ est aussi dans laction de grâces : il rendit GRACES pour montrer quil tient dun autre, cest-ŕ-dire du Pčre, tout ce quil a; en cela il nous donne lexemple, pour que nous fassions de męme. Son action de grâces a cependant ici un caractčre particulier : il nous montre que nous devons, en commençant un repas, rendre grâces ŕ Dieu : Rien nest ŕ proscrire de ce quon prend avec action de grâces 69 Les pauvres mangeront et seront rassasiés, et ils loueront le Seigneur 70. Il nous montre également que sa pričre daction de grâces ne le concernait pas : elle était pour la foule, et il devait la persuader quil était venu de Dieu. Et si, au moment oů il accomplit un miracle devant la multitude, il prie, cest pour montrer que, loin de sopposer ŕ Dieu, il agit selon sa volonté 71. Il est dit en Marc que le Christ fit distribuer le pain aux foules par les Apôtres 72. Mais ici on dit quil les a distribués lui-męme parce quil est évident quil faisait lui-męme ce quil faisait faire par dautres. A la lumičre du mystčre, lun et lautre sont vrais, parce que si lui seul refait les forces intérieurement, les autres les refont extérieurement et comme des serviteurs.
63. Ro 12, 2. "Ne vous conformez pas ŕ ce sičcle,"
cest-ŕ-dire aux choses qui passent avec le temps. En effet, le sičcle présent
est une certaine mesure des choses qui sécoulent dans le temps. Et lhomme se
rend conforme aux réalités temporelles par son affection, du fait quil sy
plonge en les aimant : Ils sont de abominables, semblables ŕ ce quils ont
aimés (Os 9, 10). La religion pure et immaculée auprčs de Dieu le Pčre, cest
de se garder immaculé de ce sičcle (Ja 1, 27). Il se conforme aussi ŕ ce
sičcle, celui qui imite les murs du monde : Je témoigne dans le Seigneur que
déjŕ vous ne marchez plus comme les paďens marchent (Eph 4, 17)" (Ad
Romanos lect., XII, leç. 1, n° 965).
64. Nomb 1, 3 Depuis lâge de vingt ans et au-dessus, tous
ceux qui en Israël sont aptes ŕ faire la campagne, vous les recenserez selon
leurs armées, toi et Aaron.
65. 1 Corinthiens 2, 6.
66. He 5, 14.
67. 1 Jean 3, 8.
68. Mt 5, 17.
69. 1 Tm 4, 4.
70. Ps 21, 27.
71. Cf. CHRYSOSTOME, In loannem hom.,
42, ch. 3, col. 242.
862. La matičre du repas fut les pains et les poissons, dont on a suffisamment parlé plus haut [n° 854].
Quant au rassasiement procuré par le repas, il fut par fait : AUTANT QUILS EN VOULAIENT En effet, seul le Christ rassasie lâme indigente et comble de biens lâme affamée 73. Les autres, selon la mesure de la grâce quils possčdent, font des miracles. Mais le Christ, agissant selon sa puissance absolue, faisait toutes choses avec une extręme surabondance; cest pourquoi il est dit quILS FURENT RASSASIES 74.
LORSQUILS
FURENT RASSASIÉS, IL DIT Ŕ SES DISCIPLES : "RECUEILLEZ LES MORCEAUX QUI
SONT RESTÉS, AFIN QUE RIEN NE SE PERDE. "
863. Les disciples
recueillent les morceaux : lÉvangéliste rapporte dabord lordre du Seigneur [n° 864], puis son
exécution par les disciples [n°
865].
864. Si le Seigneur demande que lon recueille les morceaux, ce nest pas par ostentation, mais pour montrer que lévénement nétait pas irréel, puisque les restes recueillis ont été conservés un certain temps et ont profité ŕ dautres.
Il voulut aussi par lŕ graver plus profondément lévénement miraculeux dans le cur des disciples ŕ qui il donna lordre demporter les morceaux, parce quil ne voulait rien négliger pour former ceux qui devaient enseigner le monde 75.
72. Mc 6, 41 Ayant pris les cinq pains et les deux poissons,
et levé les yeux au ciel, il dit la bénédiction et rompit les pains, et il les
donnait aux disciples pour les leur servir; et les deux poissons, il les partagea
entre tous.
73. Cf. Luc 1, 53 Il comble de biens les affamés. Ps 16, 15 Je
serai rassasié quand sera apparue ta gloire.
74. Cf. CHRYSOSTOME, loc. cit.
865. Et les disciples se sont exécutés fidčlement. En effet, ILS LES RECUEILLIRENT DONC, ET REMPLIRENT DOUZE COUFFINS DE MORCEAUX DES CINQ PAINS DORGE ET DES DEUX POISSONS QUI RESTČRENT EN SURPL US Ŕ CEUX QUI AVAlENT MANGÉ.
Notons que le nombre des morceaux restés en surabondance nétait ni indéterminé ni laissé au hasard; mais il relevait dune détermination, parce que ce nest pas plus ou moins mais exactement comme il le voulait, que le Seigneur a produit cette surabondance. En voici le signe : le couffin de chaque Apôtre était plein (un couffin est un récipient utilisé pour les travaux de la campagne 76). Les douze couffins signifient donc les douze Apôtres et leurs imitateurs 77 qui, męme sils sont comptés pour rien dans limmédiat, nen sont pas moins intimement comblés par les richesses des sacrements spirituels 78. On dit quils sont douze parce quils devaient proclamer la foi en la Sainte Trinité aux quatre parties du monde.
75. Cf. Sag 1, 7; Cf. CHRYSOSTOME, loc. cit.
76. Cf. CHRYSOSTOME, loc. cit.
Ces
hommes donc, ayant vu le signe que Jésus avait fait, disaient : "Celui-ci
est vraiment le Prophčte qui doit venir dans le monde. " 5 Jésus donc,
ayant connu quils devaient venir pour lenlever et le faire roi, senfuit de
nouveau dans la montagne, tout seul. Lorsque le soir fut venu, ses disciples descendirent
ŕ la mer. Et quand ils furent montés dans la barque, ils vinrent de lautre
côté de la mer, vers Capharnaüm. Or les ténčbres sétaient déjŕ faites et Jésus
nétait pas venu ŕ eux. 18 Cependant, au souffle dun grand vent, la mer
senflait. 19a Aprčs donc quils eurent ramé vingt-cinq ou trente stades, ils
voient Jésus marchant sur la mer et sapprochant de la barque; 19b et ils
craignirent. 20 il leur dit : "Cest moi, ne craignez pas. " 21a Ils
voulurent donc le prendre dans la barque, "et aussitôt la barque toucha la
terre ŕ laquelle ils allaient. 22 Le jour suivant, la foule qui se tenait de
lautre côté de la mer observa quil ny avait eu lŕ quune seule barque, que
jésus nétait pas monté avec ses disciples dans cette barque, mais que ses
disciples seuls étaient partis 23 cependant, dautres barques vinrent de
Tibériade, prčs du lieu oů ils avaient mangé le pain, le Seigneur ayant rendu
grâces. 24 Quand donc la foule eut vu que Jésus nétait pas lŕ, ni ses
disciples non plus, ils montčrent dans les barques et vinrent ŕ Capharnaüm,
cherchant Jésus. Et layant trouvé de lautre côté de la mer, ils lui dirent :
"Rabbi, quand es-tu venu ici?"
866. Aprčs le signe visible le don dune nourriture corporelle , lEvangéliste rapporte les trois effets que ce signe a opérés sur les foules. Celles-ci confessent leur foi et tentent ensuite de manifester au Christ ladmiration quil a suscitée en elles [n° 869]; aprčs quil a fui, elles se mettent avec empressement ŕ sa recherche [n° 873].
I
[6, 14]
CES HOMMES DONC, AYANT VU LE SIGNE QUE JÉSUS AVAIT FAIT, DISAIENT : "CELUI-CI
EST VRAIMENT LE PROPHČTE QUI DOIT VENIR DANS LE MONDE. "
867. A propos de la confession de foi, il faut savoir que cest comme de la bouche męme des Juifs quil est dit dans le psaume : Nous navons plus vu de signes : il n'a plus de prophčtes 79. Il était habituel, autrefois, que les prophčtes fassent de nombreux signes; pour cette raison, les signes venant ŕ manquer, il semblait que la prophétie devînt lettre morte; mais lorsquils voient les signes, ils confessent que la prophétie leur est rendue. Voilŕ pourquoi déjŕ, ŕ la seule vue du miracle, ils en étaient venus ŕ tenir le Seigneur pour un prophčte. Donc, il est dit : CES HOMMES qui avaient été rassasiés avec cinq pains, A YANT VU LE MIRACLE QUE JESUS AVAIT FAIT, DISAIENT : "CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHETE."
Cependant ils nétaient pas
encore parvenus ŕ une foi parfaite, parce quils tenaient pour un simple
prophčte celui qui, bien plus, est Seigneur des prophčtes. Ils ne sont
cependant pas complčtement dans lerreur, puisque le Seigneur lui-męme se donne
aussi le titre de prophčte 80.
868. Sachons que le prophčte est appelé voyant 81 Celui quon appelle aujourdhui prophčte s'appelait autrefois voyant 82. Or la vision se rapporte ŕ la capacité de connaître; et le Christ possédait trois degrés de connaissance. Il possédait une connaissance sensible, et avait par lŕ une certaine ressemblance avec les prophčtes en ce sens que, dans limagination du Christ, pouvaient naître certaines formes sensibles qui représentaient des événements futurs ou cachés, ceci principalement ŕ cause de la capacité de pâtir qui lui convenait selon son statut de pčlerin 83. Il possédait en outre la connaissance intellectuelle et, en celle-ci, il ne ressemblait pas aux prophčtes, mais il est męme au-dessus des anges parce quil avait une connaissance plus pénétrante que toute créature Enfin, il possédait la connaissance divine : par celle-ci il a été source de linspiration des prophčtes et des anges, puisque toute connaissance a pour cause une participation au Verbe divin.
Nous voyons cependant les Juifs reconnaître dans le Christ lexcellence du prophčte CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHETE. Męme si, en effet, il y a eu de nombreux prophčtes chez les Juifs, un cependant était attendu, supérieur ŕ tous les autres, daprčs cette parole : Le Seigneur ton Dieu te suscitera du milieu dentre tes frčres un prophčte et cest bien de lui quils parlaient; cest pour cette raison quils disent explicitement : QUI DOIT VENIR DANS LE MONDE.
78. Cf. ALCUIN, Comm. in S. Ioannis
Evang., 3, ch. 12, col. 823.
79. Ps 73, 9.
80. Voir Mt 13, 57; Mc 6, 4; Luc 4, 24;Jean 4, 44. Cf. ALCUIN, Comm. in S. bannis Evang. 3, ch. 12, col. 823.
81. Cf. SAINT ISIDORE, Etymologiarum
sive originu n libri, VII, VIII, 1.
82. 1 Sam 9, 9.
83. "Pčlerin" traduit le mot latin viator,
littéralement : celui qui est en chemin. La tradition loppose ŕ comprehensor
qui signifie, ŕ propos dune compétition, le vainqueur, celui qui lemporte.
84. Cf. Somme théologique, III, q. 11, a. 4.
85. Cf. ch. I, leç. 5, n° 129-132, vol. 1,
pp. 163-166.
86. Cf. ch. IV, leç. 6, n° 667, vol. II, pp. 219-220.
87. Deut 18, 15.
II
JÉSUS
DONC, A YANT CONNU QUILS DEVAlENT VENIR POUR L'ENLEVER ET LE FAIRE ROI,
S'ENFUIT DE NOUVEAU DANS LA MONTAGNE, TOUT SEUL.
869. On rapporte ici le deuxičme effet du signe sur les foules, lorsquelles entreprennent de manifester au Christ leur admiration et que cependant le Christ sy soustrait. Ainsi, aprčs la tentative de la foule, est rapportée la fuite du Christ [n° 871].
JÉSUS
DONC, A YANT CONNU QUILS DEVAIENT VENIR POUR LENLEVER ET LE FAIRE ROI
870. LÉvangéliste mentionne la tentative des foules par ces mots : POUR LENLEVER ET LE FAIRE ROI En effet, est enlevé celui qui est pris contre sa volonté et sans motifs véritables. Il était vrai que Dieu le Pčre, de toute éternité, avait tout disposé en vue de la manifestation du rčgne du Christ, mais cette manifestation nétait pas encore opportune. Le Christ était venu, certes, mais pas pour régner comme il le fera lorsque saccomplira notre demande : que ton rčgne vienne 88; alors le Christ régnera aussi selon quil a été fait homme. Et ŕ cause de cela, un autre moment a été disposé pour cette manifestation, cest-ŕ-dire lorsque la gloire de ses saints aura été dévoilée aprčs le jugement quil aura lui-męme rendu. Au sujet de cette manifestation, les disciples demandaient : Seigneur, est-ce le temps oů tu vas rétablir la royauté en Israël 89.
Les foules donc, croyant quil était venu pour régner, voulaient le faire roi. La raison en est que, la plupart du temps, les hommes veulent pour maître quelquun qui soit capable de leur assurer les biens temporels. Cest pourquoi, le Christ les ayant nourris, ils voulaient le faire roi Tu as un manteau : sois notre roi 90. Ainsi séclaire ce que dit Chrysostome : "Vois la force de la gourmandise. Il nest plus pour eux aucun souci de la transgression du sabbat, ils ne font plus preuve de zčle pour Dieu, mais toutes ces choses se sont évanouies, parce quils se sont rempli le ventre. Mais aussi, le Prophčte était enfin parmi eux et ils voulaient le faire roi" 91.
JÉSUS
SENFUIT DE NOUVEAU DANS LA MONTAGNE, TOUT SEUL.
871. LÉvangéliste en vient ŕ la fuite du Christ. En disant DE NOUVEAU, il laisse entendre que le Seigneur, voyant les foules, était descendu de la montagne et quil les avait nourries en un lieu moins élevé : sien effet il nétait pas descendu de la montagne, on ne dirait pas quil y fuit de nouveau 92.
Mais puisquil est vraiment roi, pourquoi fuit-il? Il y a ŕ cela trois raisons. Lune parce quil aurait dérogé ŕ son rang sil avait reçu sa royauté de lhomme, lui qui était roi de telle sorte que tous les rois le sont par participation ŕ sa royauté par moi rčgnent les rois 93. La seconde raison est quil aurait porté préjudice ŕ son enseignement sil avait reçu gloire et soutien des hommes. Par ses actes et son enseignement, il était tout relatif ŕ la puissance divine et non ŕ la faveur humaine Je ne reçois pas de gloire venant des hommes 94. Il y a une troisičme raison, et puisse-t-elle nous apprendre ŕ mépriser lestime du monde Car je vous ai donné lexemple, afin que, comme je vous ai fait, vous fassiez aussi vous-męmes 95 Ne recherche pas le pouvoir auprčs des hommes 96. Ainsi donc, il a rejeté la gloire du monde pour se soumettre de lui-męme au châtiment, daprčs ce passage de lépître aux Hébreux : Au lieu de la joie qui lui était proposée, il endura la croix, ayant méprisé son infamie 97.
88. Mt 6, 10.
89. Ac 1, 6. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in
Ioann., XXV, 2, p. 427.
90. Isaďe 3, 6.
91. In boannem hom., 42, ch. 3, col. 243.
872. Nous voyons cependant en Matthieu un récit con traire : Il monta sur la montagne prier seul 98. Mais daprčs Augustin 99, les deux passages ne sont pas contraires, parce que sil y a cause de fuite, alors il y a nécessairement motif de pričre. Le Seigneur nous enseigne ainsi que limminence de ce qui cause la fuite est un puissant appel ŕ prier.
Au sens mystique, il gravit la montagne lorsque les foules, restaurées, eurent été préparées ŕ sattacher ŕ lui, parce quil monta au ciel une fois que les peuples eurent été pré parés ŕ se soumettre ŕ la vérité de la foi : L'assemblée des peuples tenvironnera; au-dessus delle, regagne la hauteur 100, cest-ŕ-dire lorsquelle tenvironnera, regagne la hauteur.
Mais lEvangéliste a dit SENFUIT, autrement dit, séchappa, pour souligner que son élévation ne nous est pas compréhensible : en effet, ce que nous ne comprenons pas, nous disons que cela nous échappe.
92. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cil., XXV,
1, p. 425.
93. Prov 8, 15. Cf. loc. cit., XXV, 2, p.
427.
94. Jean 5, 41.
95. Jean 13, 15.
96. Nous avons gardé pour cette citation de Sir 7, 4 la version
donnée par lédition Marietti, attestée par de nombreux mAriuscrits de la Bible.
Selon la correction proposée par lédition léonine, saint Thomas aurait cité
daprčs une autre version, conforme au texte grec : Ne recherche pas le pouvoir
auprčs du Seigneur. La divergence de sens davec le contexte nous incline ŕ ne
pas garder une telle correction.
97. He 12, 2. Les deux derničres raisons sont empruntées dune
maničre éloignée ŕ Chrysostome (In loannem hom., 42, ch. 3, col. 243).
98. Mt 14, 23.
99. De consensu evangelistarum, II, 47, 100, PL 34, col. 1127-28.
Les deux interprétations qui suivent sur la fuite de Jésus, en référence ŕ son
Ascension et ŕ sa transcendance, lui sont reprises aussi (voir Tract, in Ioann.,
XXV, 3, p. 431; 4, p. 433).
100. Ps 7, 8.
III
873. Il sagit ici du
troisičme effet du signe : la recherche empressée du Seigneur, de la part des
disciples, mais aussi des foules [n°
885].
DČS
QUE LE SOIR FUT VENU, SES DISCIPLES DES DIRENT Ŕ LA MER. ET QUAND ILS FURENT
MONTÉS DANS LA BARQUE, ILS VINRENT DE LAUTRE CÔTE DE LA MER, VERS CAPHARNAÜM. OR
LES TÉNČBRES SÉTAlENT DÉJŔ FAITES ET JÉSUS NÉTAIT PAS VENUŔ EUX. CEPENDANT,
AU SOUFFLE DUN GRAND VENT, LA MER SENFLAIT APRČS DONC QUILS EURENT RAMÉ
VINGT-CINQ OU TRENTE STADES, ILS VOIENT JÉSUS MARCHANT SUR LA MER ET
SAPPROCHANT DE LA BARQUE; ET ILS CRAIGNIRENT. MAIS IL LEUR DIT : "CEST
MOI, NE CRAIGNEZ PAS. " ILS VOULURENT DONC LE PRENDRE DANS LA BARQUE, ET
AUSSITÔT LA BARQUE TOUCHA LA TERRE Ŕ LAQUELLE ILS ALLAIENT
Au sujet des disciples, lÉvangéliste souligne avec quelle insistance ils cherchent le Christ [n° 874]; ensuite il y revient plus longuement [n° 876], aprčs avoir seulement mentionné la descente des disciples vers la mer et la traversée [n° 875].
DČS
QUE LE SOIR FUT VENU, SES DISCIPLES DESCEN DIRENT Ŕ LA MER.
874. A propos de la recherche des disciples, il faut savoir que le Christ gravit la montagne ŕ linsu de ses disciples. Ils attendirent pour cette raison jusquau soir, pensant quil allait les rejoindre. Le soir tombé, ils ny tiennent plus et se mettent ŕ sa recherche, tant lamour les possédait. Et cest pourquoi lEvangéliste dit : DES QUE LE SOIR FUT VENU, SES DISCIPLES DESCENDIRENT A LA MER en le cherchant.
Au sens mystique, le SOIR désigne la Passion du Seigneur ou son Ascension : aussi longtemps que Jésus fut pré sent ŕ ses disciples avec son corps, aucun trouble ne les arrętait, aucune amertume ne les tourmentait : Les fils de lépoux peuvent-ils sattrister tant que lépoux est avec eux? 101 Mais le Christ sétant séparé deux, ils descendent vers la mer, cest-ŕ-dire vers les troubles du sičcles : Voici la grande mer... 102
ET
QUAND ILS FURENTMONTÉS DANS LA BARQUE, ILS VINRENT DE L'AUTRE CÔTÉ DE LA MER,
VERS CAPHARNAÜM.
875. Mais, ŕ cause de
lamour dont ils étaient enflammés, ils ne pouvaient supporter plus longtemps
que man que la présence du Seigneur; cest pourquoi ils en viennent ŕ traverser
la mer : ET QUAND ILS FURENT MONTES DANS LA BARQUE, ILS VINRENT DE LAUTRE COTE
DE LA MER 103. OR LES TÉNČBRES SÉTAIENT DÉJŔ FAITES ET JÉSUS NÉTAIT PAS VENU Ŕ
EUX. CEPENDANT, AU SOUFFLE DUN GRAND VENT, LA MER SENFLAIT.
876. LÉvangéliste explicite ici ce quil avait sommairement noté : le trajet jusquŕ lamer, puis la traversée [n° 878].
OR
LES TÉNČBRES SÉTAIENT DEJŔ FAITES ET JÉSUS NÉTAIT PAS VENU Ŕ EUX.
877. Ce nest pas sans raison que les ténčbres sont mentionnées, mais pour manifester par lŕ la ferveur de leur amour. En effet, ni le soir ni la nuit nont arręté les disciples 104.
Au sens mystique, les ténčbres désignent le manque de charité. La charité est en effet la lumičre, daprčs ce passage : Celui qui aime son frčre demeure dans la lumičre 105. Les ténčbres sont donc en nous tant que Jésus, la lumičre véritable, nest pas parvenu jusquŕ nous, comme il est dit plus haut 106, lui dont la présence chasse toutes les ténčbres 107.
Si le Christ sest soustrait
aussi longtemps ŕ ses Apôtres, cest dabord pour quils éprouvent ce quétait
son absence, ce dont ils ont fait lexpérience en mer, lors de la tempęte
Pour en avoir fait lexpérience, vois combien il est mauvais et amer
dabandonner le Seigneur 108 , mais aussi pour quils le recherchent avec encore plus de diligence
Oů est parti ton bien-aimé, ô la plus belle des femmes, (...) et nous le
chercherons avec toi 109.
878. De la traversée,
lÉvangéliste dit : CEPENDANT, AU SOUFFLE D'UN GRAND VENT, LA MER S'ENFLAIT. Il
note dabord la tempęte de mer [n°
879], puis lapparition du Christ et le moment de son
apparition [n°
880], et enfin leffet de lapparition [n° 881].
101. Mt 9, 15. Lexpression "les fils de lépoux" est
un hébraďsme qui désigne ses compagnons et amis qui préparent la noce et y
participent ensuite; elle durait ordinairement sept jours.
102. Ps 103, 25.
103. Cette explication est trčs proche de celle de saint Jean
Chrysostome, In loannem hom., 43, ch. 1, col. 245.
104. Cf. CHRYSOSTOME loc. cit.
105. 1Jn2, 10.
106. Cf. Jean 1, 9 Il était la lumičre, la vraie, qui illumine
tout homme venant en ce monde et les numéros 102 ŕ 107 et 124 ŕ 132 du
commentaire de saint Thomas, vol. I, pp. 139 ŕ 145 et 159 ŕ 166.
107. Cf. 1 Jean 2, 8 Les ténčbres s'en vont et la lumičre
véritable brille d Voir SAINT AUGU5TIN, Tract. in Ioann., XXV, 5, p. 435.
108. Jérémie 2, 19.
109. Gant 6, 1. Voir CHRYSOSTOME, loc. cit.
CEPENDANT,
AU SOUFFLE D'UN GRAND VENT, LA MER S'ENFLAIT
879. Sur la mer, la tempęte était provoquée par le souffle du vent qui sétait levé, et cest pourquoi il dit :
CEPENDANT, AU SOUFFLE D'UN
GRAND VENT, LA MER S'ENFLAIT, au large. Parce vent on désigne la tentation et
la persécution par lesquelles passera lEglise ŕ cause du man que de charité.
En effet, comme le dit Augustin, lŕ oů la charité se refroidit, les vagues
grandissent et la barque est secouée. Et cependant, ni ces vents, ni la
tempęte, ni les vagues, ni les ténčbres, ne réussissent ŕ lempęcher davancer
ni ŕ la disloquer et finalement ŕ la submerger : Celui qui persévérera jusqu'ŕ
la fin sera sauvé. Les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette
maison et elle na pas été renversée 110.
880. Lapparition du Christ neut pas lieu dčs le début de la tempęte, mais aprčs un certain temps; cest pour cela que l'Evangéliste dit : APRES DONC QUILS EURENT RAME VINGT-CINQ OU TRENTE STADES, ILS VOIENT JESUS. Et cela pour nous faire comprendre que le Seigneur permet que nous soyons tourmentés pour un temps afin déprouver notre force. Au terme cependant, lorsque lépreuve est sur le point de nous écraser, il ne nous abandonne pas, il se fait proche de nous : Dieu est fidčle, qui ne permettra pas que vous soyez tentés au-delŕ de vos forces, mais qui ménagera, avec la tentation, la voie par laquelle vous pourrez la supporter 111.
Daprčs Augustin, les vingt-cinq stades quils franchissent en ramant sont les cinq livres de Moďse. En effet, un tel nombre est un carré, obtenu par la multiplication du nombre cinq par lui-męme : cinq fois cinq en effet font vingt-cinq. Or le nombre multiplié conserve la signification de sa racine : pour cette raison, de męme que lon désigne par cinq lancienne Loi, de męme aussi par vingt-cinq. Par trente, on désigne la perfection du Nouveau Testament qui manquait ŕ la Loi. En effet, si ces męmes cinq sont multipliés par six, qui est un nombre parfait, apparaît le nombre trente 112.
A ceux qui parcourent en ramant les vingt-cinq ou trente stades, cest-ŕ-dire qui accomplissent la Loi ou la perfection évangélique, ŕ ceux-lŕ Jésus vient, foulant aux pieds toutes les agitations du monde et toutes les prétentions du sičcle Cest toi qui domines la puissance de la mer, et le mouvement de ses flots, cest toi qui lapaises 113. Ils voient alors le Christ approcher de la barque, cest-ŕ-dire quils voient approcher le secours divin Le Seigneur est proche de tous ceux qui linvoquent 114.
Il apparaît donc que, ŕ ceux
qui le recherchent avec droiture, le Christ accorde sa présence. Or les Apôtres
le désiraient avec une extręme ferveur; ce que prouvent lobscurité du moment,
la tempęte de la mer et léloignement du port, obstacles malgré lesquels ils sefforçaient
de le rejoindre. Et cest pourquoi le Christ se rendit présent ŕ eux.
110. Mt 24, 13 et 7, 25. Tract. in Ioann., XXV, 5-6, p. 437.
111. 1 Corinthiens 10, 13.
112. Op. cit., XXV, 6, p. 439. Six est un nombre parfait car il
est la somme exacte de ses parties : le sixičme, le tiers et la moitié. Cf. De
div. quaest. 83, q. 57, 3, BA 10, p. 169; et De Trinitate, IV, Iv, 7, BA 15, p.
356. Linterprétation allégorique du Christ écrasant les agitations du monde et
venant ŕ ceux qui accomplissent la Loi est reprise aussi au męme passage du
commentaire de saint Augustin.
113. Ps 88, 10.
114. Ps 144, 18.
ET
ILS CRAIGNIRENT. MAIS IL LEUR DIT : "CEST MOI, NE CRAIGNEZ PAS. "
ILS VOULURENT DONC LE PRENDRE DANS LA BARQUE, ET AUSSITÔTLA BARQUE TOUCHA LA
TERRE Ŕ LAQUELLE ILS ALLAIENT
881. LÉvangéliste expose
ici leffet de lapparition; dabord leffet intérieur [n° 882], puis leffet
extérieur.
882. Leffet intérieur fut la crainte. Et cest pourquoi on rapporte en premier lieu la crainte des disciples conçue ŕ lapparition soudaine du Christ : ET ILS CRAIGNIRENT, dune crainte bonne qui est causée par lhumilité Ne conçois pas dorgueilleux desseins, mais crains 115 ou dune crainte mauvaise parce que, selon le récit de Matthieu, les disciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés et se disaient : "cest un fantôme" et sous leffet de la crainte, ils poussaient des cris 116 Ils ont tremblé de crainte lŕ oů il n'y avait pas ŕ craindre 117. Cette crainte se rencontre principalement chez les gens soumis ŕ la chair, parce quils redoutent les réalités spirituelles.
En second lieu, lEvangéliste nous dit laide apportée par le Christ face ŕ un double péril : le péril de la foi dans lintelligence, et quant ŕ cela il dit : C'EST MOI, comme chassant toute incertitude Voyez mes mains et mes pieds, cest bien moi" et le péril de la crainte dans la volonté; quant ŕ celui-ci, il dit : NE CRAIGNEZ PAS A la face des peuples, sois sans crainte Le Seigneur est ma lumičre et mon salut, de qui aurais-je crainte? 120
En troisičme lieu est rapportée larrivée des disciples ŕ hauteur du Christ : ILS VOULURENT LE PRENDRE DANS LA BARQUE, ce qui signifie que lorsque la crainte servile est chassée de nos curs, alors nous recevons le Christ en laimant et en le contemplant : Voici que je me tiens ŕ la porte et je frappe; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, jentrerai chez lui 121.
ET
AUSSITÔT LA BARQUE TOUCHA LA TERRE Ŕ LAQUELLE ILS ALLAIENT
883. Leffet extérieur concerna la barque qui, une fois la tempęte apaisée, toucha aussitôt terre, alors que, daprčs la distance parcourue, elle en était encore trčs éloignée. Le Christ ne leur a pas assuré une navigation fictive, mais tranquille. Et voulant accomplir un plus grand miracle, il ne monta pas dans la barque.
Ainsi donc, trois miracles se
rejoignent ici : la marche sur la mer, larręt soudain de la tempęte,
lacheminement de la barque au port encore éloigné. Pour que nous apprenions
que les croyants en qui le Christ demeure répriment lagitation du monde,
foulent aux pieds le flot des tribulations et accomplissent rapidement leur
traversée vers la terre des vivants 122, daprčs le psaume : Ton esprit
de bonté me conduira dans une terre sans embűches 123.
115. Ro 11, 20.
116. Mt 14, 26.
117. Ps 13, 5. Cf. SAINT THOMAS, Ad Rom.
lect., VIII, Ieç. 3 nos 638-643. Voir aussi n° 969, note 112.
118. Luc 24, 39.
119. Jérémie 1, 8.
120. Ps 26, 1.
121. Ap 3, 20.
884. Mais ici, trois questions se posent. Lune concerne la lettre, ŕ propos de laquelle jean affirme manifestement le contraire de Matthieu : en effet, Matthieu dit que les disciples gagnčrent la mer sur lordre du Seigneur 124, or ici, ils y descendent en le cherchant. Une autre question se pose : Matthieu dit au męme endroit que cest en passant par la mer que les disciples parviennent en terre de Génésareth 125. Or ici, il est dit quils arrivčrent ŕ Capharnaüm. Troisičme question : Matthieu dit que le Christ monta dans la barque, et jean quil ny monta pas.
Chrysostome 126 affirme, se débarrassant du męme coup des trois questions, que ce miracle ne fut pas le męme que celui rapporté par Matthieu. En effet, comme il le dit lui-męme, le Christ accomplit fréquemment des miracles tels que marcher sur les eaux, non pas devant les foules, mais devant ses seuls disciples pour éviter que les foules croient quil navait pas un vrai corps.
Mais daprčs Augustin 127, il est dit, et cest plus juste, que ce fut le męme miracle, rapporté ici par Jean, lŕ par Matthieu. Et cest pourquoi, répondant ŕ la premičre question, il dit quil importe peu que Matthieu dise que ceux-ci étaient descendus ŕ la mer sur lordre du Christ. Il a pu se faire en effet que le Seigneur le leur ait ordonné et queux soient descendus, croyant que le Christ allait naviguer avec eux. Voilŕ pourquoi ils lattendirent jusquŕ la nuit; et parce que le Christ ne venait pas, alors ils franchirent la mer.
A la seconde question, il y a
deux réponses. La premičre tient au fait que Capharnaüm et Génésareth sont sur
la męme rive et voisines. Et les disciples, peut-ętre, parvinrent par la mer
aux confins des deux; Cest pour cela que Matthieu nomme lune, Jean lautre.
On peut aussi dire que Matthieu ne précise pas quils vinrent tout de suite ŕ
Génésareth; cest pourquoi, peut-ętre, ils vinrent dabord ŕ Capharnaüm, puis
de lŕ ŕ Génésareth 128.
122. Ps 26, 13.
123. P 142, 10. Saint Thomas applique au croyant ce que saint
Augustin disait du Christ; voir note 112 in fine.
124. Cf. Mt 14, 22.
125. Cf. Mt 14, 34.
126. In loannem hom., 43, ch. 1, col. 245-6.
Chrysostome remarque dans les deux
récits plusieurs divergences qui permettent daffirmer quil sagit de deux
miracles différents. Cependant, lorsquil commente le récit de saint Matthieu,
il fait intervenir celui de saint Jean (verset. 21), ce qui suppose quil les
considčre comme nous rapportant tous les deux le męme miracle (In Matthaeum
homiliae, 50, ch. 2, PG 58, col. 506).
127. De consensu evangelistarum, II, 46, PL
34, col. 1125-27.
128. Saint Thomas ne répond pas ŕ la troisičme question, quil
avait lui-męme soulevée indépendamment (comme ce fut le cas pour la deuxičme)
de saint Augustin et de saint Jean Chrysostome.
LE
JOUR SUIVANT, LA FOULE QUI SE TENAIT DE LAUTRE CÔTÉ DE LA MER OBSERVA QUIL NY
AVAIT EU LŔ QUUNE SEULE BARQUE, QUE JÉSUS NÉTAIT PAS MONTÉ AVEC SES DISCIPLES
DANS CETTE BARQUE MAIS QUE SES DISCIPLES SEULS ÉTAIENT PARTIS; CEPENDANT,
DAUTRES BARQUES VINRENT DE TIBÉRIADE, PRČS DU LIEU OŮ ILS AVAIENT MANGÉ LE
PAIN, LE SEIGNEUR AYANT RENDU GRÂCES. QUAND DONC LA FOULE EUT VU QUE JÉSUS
NÉTAIT PAS LŔ, NI SES DISCIPLES NON PLUS, ILS MONTČRENT DANS LES BARQUES ET
VINRENTŔ CAPHARNAUM, CHERCHANT JÉSUS. ET LAYANT TROUVÉ DE LAUTRE CÔTÉ DE LA
MER, ILS LUI DIRENT : "RABBI, QUAND ES-TU VENU ICI?"
885. Aprčs avoir rapporté la maničre dont les disciples cherchčrent le Christ, lEvangéliste considčre maintenant les foules qui le cherchaient.
Il expose dabord ce qui les a poussées ŕ le chercher [n° 886] et loccasion quelles ont saisie pour mettre ce dessein ŕ exécution [n° 887]. Vient enfin le récit de la recherche elle-męme [n° 888].
LE
JOUR SUIVANT, LA FOULE QUI SE TENAIT DE LAUTRE CÔTÉ DE LA MER OBSER VA QU1L
NY AVAIT EU LŔ QUUNE SEULE BARQUE, QUE JÉSUS NÉTAIT PAS MONTÉ AVEC SES
DISCIPLES DANS CETTE BARQUE, MAIS QUE SES DISCIPLES SEULS ÉTAIENT PARTIS.
886. Ce qui a poussé les foules ŕ chercher le Christ, cest le miracle quil vient daccomplir : franchir la mer sans embarcation. Le miracle leur apparaît du fait que depuis le crépuscule il nétait pas sur le rivage, proche du lieu oů il avait accompli le miracle des pains; la seule barque qui avait été sur ce rivage était passée avec les disciples sur lautre bord, sans le Christ. Cest pourquoi, lorsquau matin ils ne trouvčrent pas le Christ sur le bord oů ils étaient la veille, mais constatčrent quil était déjŕ de lautre côté sans avoir eu aucune embarcation pour traverser, ils se doutčrent quil avait accompli la traversée en marchant sur la mer. Cest ce quexprime lEvangéliste en disant : LE JOUR SUIVANT celui du miracle des pains, LA FOULE QUI SE TENAIT DE LAUTRE CÔTE DE LA MER oů il avait accompli le miracle OBSERVA QUIL NY AVAIT EU LA QUUNE SEULE BARQUE, parce que la veille il ny en avait pas eu dautres que celle-lŕ, et vit QUE JESUS NETAIT PAS MONTE AVEC SES DISCIPLES DANS CETTE BARQUE 129.
Cette unique barque signifie lEglise qui est une par lunité de la foi et des sacrements : Une seule foi, un seul baptęme 130. Quant au fait que Jésus nest pas avec ses disciples, il signifie la séparation physique que lAscension réalise entre le Christ et ses disciples : Le Seigneur, aprčs leur avoir parlé, fut emporté au ciel 131.
129. Saint Thomas suppose ce raisonnement de la part des Juifs ŕ
la suite de saint Jean Chrysostome, In loannem hom., 43, ch. 1, col. 246.
130. Eph 4, 5.
CEPENDANT,
D'AUTRES BARQUES VINRENT DE TIBÉRIADE, PRČS DU LIEU OŮ ILS AVAIENT MANGÉ LE
PAIN, LE SEIGNEUR AYANT RENDU GRÂCES.
887. Loccasion de la recherche est donnée par larrivée dautres barques, dun autre endroit de la mer, avec lesquelles ils pouvaient la traverser pour chercher le Christ; et cest pourquoi lEvangéliste dit : DAUTRES BARQUES SURVINRENT, dun autre endroit, cest-ŕ-dire DE TIBERIADE, PRES DU LIEU OŮ ILS AVAIENT MANGÉ LE PAIN.
Ces autres barques qui
surviennent signifient les groupes dhérétiques et ceux qui cherchent leurs
intéręts et non pas ceux du Christ : Vous me cherchez (...) parce que vous avez
mangé des pains 132. Sil y a dautres
barques, cest quelles sont séparées de lEglise, du point de vue soit de la
foi pour les hérétiques, soit de la charité pour les hommes charnels; de
lextérieur cependant, ils semblent en ętre proches dans la mesure oů ils font
état dune foi simulée et ont une apparence de sainteté : Ceux qui ont
lapparence de la piété, mais qui en rejettent la source... 133 Il n'est pas
étonnant que les serviteurs de Satan prennent lapparence de serviteurs de
justice 134.
131. Mc 16, 19.
132. Jean 6, 26. Cf. ALCUIN, Comm. in S.
Ioannis Evang., 3, ch. 13, col. 827 D.
133. 2 Tm 3, 5.
134. 2 Co 11, 15.
888. La recherche fut empressée. LÉvangéliste rap porte dabord comment la foule se met ŕ la recherche du Christ [n° 889], puis comment, layant trouvé, elle linterroge [n° 890].
QUAND
DONC LA FOULE EUT VU QUE JÉSUS NÉTAIT PAS LA, NI SES DISCIPLES NON PLUS, ILS
MONTERENT DANS LES BARQUES ET VINRENT A CAPHARNAUM, CHERCHANT JÉSUS.
889. Il dit donc dabord que QUAND LA FOULE EUT VU QUE JESUS NETAIT PAS LA, NI SES DISCIPLES NON PLUS, ILS MONTERENT DANS LES BARQUES qui étaient arrivées de Tibériade, le CHERCHANT, ce qui est louable : Cherchez le Seigneur tant quil se laisse trouver 135. Cherchez le Seigneur et votre âme vivra 136.
ET
LAYANT TROUVÉ DE LAUTRE CÔTÉ DE LA MER, ILS LUI DIRENT : "RABBI,
QUAND ES-TU VENU ICI?"
890. Mais layant trouvé,
ils linterrogent : les Juifs, AYANT TROUVE le Christ DE LAUTRE COTE DE LA
MER, LUI DIRENT : "RABBI, QUAND ES-TU VENU ICI?"
On peut comprendre cette question de deux maničres : ou bien ils cherchent seulement ŕ savoir quand il est arrivé, et alors, selon Chrysostome 137 il faut blâmer les rustres qui, aprčs un si grand miracle, ne cherchent pas ŕ savoir comment sest accomplie la traversée cest-ŕ-dire de quelle maničre il la accomplie sans embarcation , mais seulement ŕ quel moment elle sest accomplie.
Ou bien on peut dire que leur
interrogation ne porte pas seulement sur le temps, mais aussi sur les autres
circonstances de la traversée miraculeuse.
891. Mais remarquons que,
plus haut, aprčs quil eut refait leurs forces, ils voulaient le faire roi,
alors que maintenant quil est présent et quils le tiennent, ils ne veulent
plus le faire roi. En voici la raison : ils voulaient le faire roi sous leffet
de la joie causée par le repas. Or les passions de cette sorte sont fugitives,
et cest pour cela que tout ce qui est fondé sur elles est passager; ce qui, au
contraire, est fondé sur lintelligence, est plus stable : L'homme de Dieu,
semblable au soleil, demeure dans sa sagesse, mais linsensé est changeant
comme la lune 138 Limpie fait une uvre instable 139.
135. Isaďe 55, 6.
136. Ps 68, 33.
137. CHRYSOSTOME op. cit., 43, ch. 1,
col. 246.
138. Sir 27, 11.
139. Prov 11, 18.
892. Aprčs cela, [on voit] le Seigneur traiter de la nourriture spirituelle, dont il met la vérité en lumičre, pour écarter ensuite les opinions qui viennent la contredire.
26
leur répondit et dit : "Amen, amen, je vous le dis, vous me cherchez, non
parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé des pains et
avez été rassasiés. 27a Travaillez non pas en vue de la nourriture qui périt,
mais en vue de celle qui demeure pour la vie éternelle, 27b et que le Fils de
lhomme vous donnera; car Dieu le Pčre la marqué. " Ils lui dirent donc :
"Que ferons-nous pour travailler aux uvres de Dieu?" 29 répondit et
leur dit : "Luvre de Dieu, cest que vous croyiez en celui quil a
envoyé. " 30 Ils lui dirent donc : "Quel signe fais-tu donc pour que
nous voyions et croyions en toi? Quelle uvre fais-tu?" Nos pčres ont
mangé la manne dans le désert, comme il est écrit : Il leur a donné ŕ manger un
pain du ciel. " 32 leur dit donc : "Amen, amen, je vous le dis, ce
nest pas Moďse qui vous a donné le pain du ciel, mais cest mon Pčre qui vous
donne le vrai pain du ciel. 33 Car le vrai pain [Dieu] est celui qui descend du
ciel et donne la vie au monde. " 34 lui dirent donc : "Seigneur,
donne-nous toujours ce pain. " 3 leur dit : "Cest moi qui suis le
pain de vie qui vient ŕ moi naura pas faim, et qui croit en moi naura jamais
soif. Mais je vous lai dit, vous mavez vu, et vous ne croyez pas. Tout ce que
me donne le Pčre viendra ŕ moi, et celui qui vient ŕ moi, je ne le jetterai pas
dehors, parce que je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la
volonté de celui qui ma envoyé. Or cest la volonté de celui qui ma envoyé
le Pčre que de tout ce quil ma donné, je ne perde rien, mais que je le
ressuscite au dernier jour. 40a Car cest la volonté de mon Pčre qui ma
envoyé, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle 40b et
moi je le ressusciterai au dernier jour. "
Le Seigneur nous enseigne la vérité sur la nourriture spirituelle en nous en découvrant la puissance [n° 895], puis lorigine [n° 903], et enfin en enseignant la maničre de la prendre.
JÉSUS
LEUR RÉPONDIT ET DIT : "AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, VOUS ME CHERCHEZ, NON
PARCE QUE VOUS A VEZ VU DES SIGNES, MAIS PARCE QUE VOUS AVEZ MANGÉ DES PAINS ET
A VEZ ÉTÉ RASSASIÉS. TRAVAILLEZ NON PAS EN VUE DE LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS
EN VUE DE CELLE QUI DEMEURE POUR LA VIE ÉTERNELLE, ET QUE LE FILS DE L'HOMME
VOUS DONNERA; CAR DIEU LE PČRE L'A MARQUÉ. " ILS LUI DIRENT DONC :
"QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX UVRES DE DIEU?" JÉSUS RÉPONDIT
ET LEUR DIT : "LUVRE DE DIEU, CEST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QUIL A
ENVOYÉ. "
Avant de parler de la puissance de cette nourriture, le Seigneur en révčle lexistence. Aprčs cela, il manifeste ce quelle est [n° 899]. A propos de son existence, il dénonce la cupidité perverse des Juifs, puis il les exhorte ŕ se soumettre ŕ la vérité [n° 894].
893. Le Seigneur dit donc : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, bien que vous vous comportiez comme si vous métiez dévoués, cependant VOUS ME CHERCHEZ NON PARCE QUE VOUS AVEZ VU DES SIGNES, MAIS PARCE QUE VOUS AVEZ MANGÉ DES PAINS ET A VEZ ÉTÉ RASSASIÉS, comme pour dire : cest ŕ cause de la chair et non de lesprit que vous me cherchez; en effet, cest pour ętre ŕ nouveau rassasiés.
Et comme le dit Augustin 1, ils se trouvent dans cette męme situation, ceux qui cherchent Jésus non pas pour lui-męme mais pour en obtenir certains avantages profanes : ainsi ceux qui, engagés dans les choses du monde, sadressent aux dignitaires de lEglise et aux clercs, non pas ŕ cause du Christ, mais pour que, par leur intercession, ils soient introduits auprčs des grands. Tels sont aussi ceux qui se réfugient auprčs des Eglises non pas ŕ cause de Jésus mais parce quils sont opprimés par de plus forts queux, comme dailleurs ceux qui, sapprochant du Seigneur par les ordres sacrés, y recherchent non pas le mérite de la vertu mais des ressources pour la vie présente, les richesses et les honneurs, comme le dit Grégoire 2. Et cela est vérifié ici : en effet, accomplir des signes revient ŕ la puissance divine, mais manger le pain multiplié nest que temporel. Ceux qui ne viennent pas au Christ ŕ cause de la puissance quils voient en lui, mais parce quils se nourrissent de pain, ne servent donc pas le Christ mais leur ventre, comme il est dit dans lépître aux Philippiens 3 Il te reconnaîtra lorsque tu lui auras fait du bien 4.
1. Tract, in Ioann., XXV, 10; BA 72, pp.
445-447.
2. Moralium libri, 23, ch. 24, PL 76, col. 282.
3. Phi 3, 19 11 en est (...) qui se conduisent en ennemis de
la Croix du Christ. Leur fin, cest la perdition; leur dieu, cest leur ventre.
4. Ps 48, 19. Saint Thomas commente ainsi ce verset : "Il
arrive parfois que les pécheurs louent Dieu ou accomplissent des uvres qui en
soi sont bonnes; mais que survienne ladversité, et leur louange cesse, ou bien
leurs bonnes uvres. Voilŕ pourquoi le psalmiste se tourne vers Dieu en disant
: O Dieu, celui-ci, cest-ŕ-dire le pécheur ou quiconque est dans labondance,
te confessera, cest-ŕ-dire te louera, parce que tu lui auras fait du bien,
parce que tu lui auras donné les biens temporels quil aime : La bénédiction du
Seigneur enrichit (Prov 10, 22). Jérôme dit :Ils te loueront lorsque tout aura
bien été pour eux*, cest-ŕ-dire : les hommes louent les riches et en sont les
esclaves aussi longtemps quils subviennent ŕ leurs besoins et quils sont
favorisés dans leurs richesses. Mais si la fortune change, ils changent; ils ne
les louent plus, mais les dénigrent" (Expositio in Psalmos, 48, n° 10).
894. Il les ramčne ŕ la vérité en leur donnant connaissance dune nourriture spirituelle; il parle dabord de sa puissance, puis de son auteur [n° 897].
TRAVAILLEZ
NON PAS EN VUE DE LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS EN VUE DE CELLE QUI DEMEURE
POUR LA VIE ÉTERNELLE.
895. La puissance de cette nourriture ressort du fait quelle ne périt pas. Sachons ŕ ce propos que les réalités corporelles ont une certaine ressemblance avec les réalités spi rituelles dans la mesure oů celles-ci en sont cause et source; et cest pourquoi elles imitent en quelque maničre les réalités spirituelles. Or le corps est soutenu par la nourriture; cela donc qui soutient lesprit, quoi que ce soit, en est appelé la nourriture. Et ce qui soutient le corps, puisquil passe dans la nature de ce corps, est corruptible; mais la nourriture qui soutient lesprit est incorruptible parce quelle nest pas changée en lesprit lui-męme, mais cest au contraire lesprit qui est changé en la nourriture. Voilŕ pourquoi Augustin dit : "Je suis la nourriture des grands; grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair; mais cest toi qui seras changé en moi 5.
Cest pour cela que le
Seigneur dit : TRAVAILLEZ, cest-ŕ-dire, recherchez en travaillant autrement
dit, méritez par vos travaux non pas LA NOURRITURE QUI PERIT, celle qui est
corporelle Les aliments sont pour le ventre et le ventre pour les aliments,
et Dieu abolira lun comme l'autre 6, les autres parce quon ne fera pas toujours usage des aliments, mais
TRAVAILLEZ en vue de cette nourriture, celle de lesprit, QUI DEMEURE POUR LA
VIE ÉTERNELLE. Cette nourriture est Dieu lui-męme en tant quil est la vérité ŕ
contempler et la bonté ŕ aimer qui nourrissent lesprit Mangez mon pain 7 Elle la
nourri dun pain de vie et dintelligence 8. Cette nourriture est aussi lobéissance aux commandements divins Ma
nourriture est de faire la volonté de celui qui ma envoyé 9; et encore le Christ lui-męme
Cest moi qui suis le pain de vie 10. Ma chair est vraiment
une nourriture et mon sang vraiment une boisson 11, cela en tant que [sa chair est] conjointe au Verbe de
Dieu qui est la nourriture dont vivent les anges. Plus haut, ŕ propos de la
boisson corporelle et de la boisson spirituelle, il avait mis en lumičre une
différence semblable ŕ celle quil établit ici entre la nourriture corporelle
et la nourriture spirituelle : Quiconque boit de cette eau aura encore soif
mais celui qui boit de leau que moi je lui donnerai naura plus jamais soif 12. La raison en est que les
réalités corporelles sont corruptibles, tandis que les réalités spirituel les,
et Dieu plus que tout, demeurent éternellement.
896. Mais il faut savoir, selon Augustin (dans son livre sur Le travail des moines 13), que sur cette parole TRAVAILLEZ NON PAS EN VUE DE LA NOURRITURE QUI PÉRIT, MAIS EN VUE DE CELLE QUI DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE, certains moines trouvčrent le moyen derrer en disant que les hommes spirituels ne devaient pas travailler de leurs mains, ŕ quelque uvre que ce soit. Mais cette interprétation est fausse, puisque Paul, qui fut éminemment spirituel, a travaillé de ses propres mains, comme lui-męme le rapporte dans sa deuxičme épître aux Thessaloniciens : Nous n'avons pas mangé gratuitement le pain de qui conque, mais dans le labeur et la fatigue, uvrant jour et nuit, afin de nętre un poids pour personne 14. La véritable intelligence du passage est donc que nous orientions notre uvre, cest-ŕ-dire notre principal effort et notre intention, vers la recherche de la nourriture qui conduit ŕ la vie éternelle, cest-ŕ-dire vers les biens spirituels. Sur les choses temporel les, nous ne devons pas porter en premier lieu notre attention, mais seulement dune maničre relative : nous les procurer uniquement en raison de notre corps corruptible quil faut soutenir aussi longtemps que nous vivons ici-bas. Pour cette raison, et ŕ lencontre de ces moines, lApôtre dit explicitement : Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus 15, comme sil disait : ceux qui disent quil ne faut travailler ŕ aucune uvre corporelle et manger en est bien une , ceux-lŕ doivent aussi ne pas manger.
5. Confessions, VII, X, 16; BA 13, p. 617.
6. 1 Corinthiens 6, 13.
7. Prov 9, 5.
8. Sir 15, 3.
9. Jean 4, 34.
10. Jean 6, 48.
11. Jean 6, 56.
12. Jean 4, 13-14; cf. vol. II, n" 586, pp. 156-158. Ce
rapprochement entre la nourriture et la boisson spirituelles est fait par saint
Augustin (Tract, in Ioann., XXV, 10, pp. 447-449; 13, p. 459).
13. Le rejet de linterprétation de ce verset pris ŕ la lettre
est le thčme central du De Operibus Monachorum de saint Augustin; mais il ny
est fait aucune allusion ŕJn 6, 27. Chrysostome au contraire commente
explicitement ce verset contre ceux qui, pour vivre mollement dans loisiveté,
abusent de ces paroles, comme si Jésus-Christ avait interdit le travail des
mains" (op. cit., 44, ch. 1, col. 248; trad. Jeanniri, p. 312).
ET
QUE LE FILS DE LHOMME VOUS DONNERA; CAR DIEU LE PČRE LA MARQUÉ.
897. LÉvangéliste considčre ici lauteur du don de la nourriture spirituelle. Il mentionne dabord de qui il sagit, puis montre doů lui vient lautorité de la donner [n° 898].
Lauteur et le donateur de la nourriture spirituelle est le Christ. Et cest pourquoi il dit CELLE, cest-ŕ-dire la nourriture qui ne périt pas, QUE LE FILS DE LHOMME VOUS DONNERA. Sil avait dit "le Fils de Dieu", on ny aurait rien vu détonnant. Mais que ce soit le Fils de lhomme qui la donne est plus propre ŕ éveiller lattention. La raison pour laquelle il revient proprement au Fils de lhomme de don ner est que la nature humaine blessée par le péché se dégoűtait de la nourriture spirituelle, et nétait pas capable de la prendre dans ce quelle a de spirituel : pour cette rai son, il a été nécessaire que le Fils de Dieu prît chair et que, par sa chair, il nous redonnât vigueur Tu as préparé devant moi une table 16.
14. 2 Th 3, 8. Voir aussi Eph 4, 28.
15. 2 Th 3, 10.
16. Ps 22, 5. Saint Thomas commente : "Tu as préparé devant
moi une table : celle des deux enseignements La Sagesse a dressé sa table,
elle a envoyé ses servants sur la hauteur pour inviter (Prov 9, 2-3) ---, table
sur laquelle se trouvent divers mets, cest-ŕ-dire les divers enseignements
spirituels; et cela devant moi : Il médite sa Loi jour et nuit (Ps 1, 2). Ou
bien la table sacramentelle, cest-ŕ-dire lautel. LEcriture Sainte parle en
effet de trois tables. La premičre est celle de la Loi ancienne : Tu feras une
table en bois de Setim (...) tu placeras sur la table les pains de proposition
(Ex 25, 23 et 30). La seconde est celle du Nouveau Testament : Vous ne pouvez
participer ŕ la table du Seigneur et ŕ la table des démons (1 Corinthiens 10,
21) il sagissait ici de la réalité et de la figure. La troisičme table est
dressée dans la patrie : Moi, je dispose pour vous du royaume (...) pour que
vous mangiez et buviez ŕ ma table dans mon royaume (Luc 22, 29-30). Et par
chacune des deux premičres tables, nous luttons contre nos ennemis; cest pour
cela quil est dit : contre ceux qui tourmentent (Ps 22, 5), puisque par la
table quest lEcriture Sainte, nous expulsons les tentations : En toutes
circonstances, vous armant du bouclier de la foi par lequel vous pouvez
éteindre tous les traits embrasés du Mauvais... (Eph 6, 16). De męme, le corps
du Christ nous garde contre les ennemis, comme le dit Chrysostome dans son
commentaire sur lEvangile de Jean" (Expositio in Psalmos, 22, n° 2).
898. Doů lui vient lautorité de donner? LÉvangéliste le dit : DIEU LE PERE LA MARQUE 17, comme sil disait : si le Fils donne, cela ne lui revient quŕ cause du caractčre uni que et éminent de sa plénitude de grâce, par laquelle il sur passe tous les fils des hommes. Il la MARQUE, cest-ŕ-dire choisi explicitement parmi les autres : Dieu, ton Dieu, ta oint dune huile dallégresse de préférence ŕ tous tes compagnons 18.
Ou, selon Hilaire 19, il la MARQUÉ, cest-ŕ-dire marqué de son sceau. Quand on a imprimé un sceau dans de la cire, celle-ci conserve toute la figure du sceau. De męme, le Fils reçoit toute la forme du Pčre. Et cest de deux maničres que le Fils reçoit du Pčre : lune est éternelle et ce qui est dit ici ne la signifie pas, parce que dans lapposition dun sceau, autre est la nature de ce qui reçoit, autre celle de ce qui imprime. Mais il faut le comprendre du mystčre de lIncarnation, parce que Dieu le Pčre a imprimé dans la nature humaine le Verbe qui, par son Incarnation, est le resplendissement de sa gloire et leffigie de sa substance 20.
Ou, selon Chrysostome 21, il la MARQUE,
cest-ŕ-dire Dieu le Pčre la établi spécialement pour donner la vie éternelle
au monde : Moi, je suis venu pour que mes brebis aient la vie et quelles
laient plus abondamment 22. Ainsi en effet, quand
quelquun est choisi pour assumer une fonction importante, on dit quil est
détaché 23 en vue dexercer cette fonction : Aprčs cela, le Seigneur détacha
encore soixante-douze autres disciples 24. Ou encore, il l'a
MARQUE, c'est-ŕ-dire l'a manifesté par la voix lors du baptęme, et par les uvres,
comme on la dit plus haut.
899. Ensuite, en disant : ILS LUI DIRENT DONC : "QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX UVRES DE DIEU?", lEvangéliste manifeste ce quest la nourriture spirituelle; il note dabord la question des Juifs, puis la réponse de Jésus-Christ.
17. Hunc enim Pater signavit Deus. Signare possčde de multiples
significations, mais on peut le traduire par marquer ou distinguer. II signifie
premičrement conférer une qualité ou une détermination (par son travail,
lartiste distingue la matičre, il lui confčre une certaine qualité et une
certaine noblesse). Mais puisque, dune part, lacte suit la détermination,
distinguer signifie choisir quelque chose en vue dune action que sa
détermination rend apte ŕ accomplir (cest en ce sens quune personne est
détachée en vue de telle activité); et puisque, dautre part, nous distinguons
une réalité dune autre, distinguer signifie faire ressortir du tout. Et enfin,
parce que, selon notre maničre de connaître, lacte manifeste la forme,
celui-ci distingue une personne au sens oů il manifeste ses qualités (se
distinguer par son comportement).
18. Ps 44, 8. Saint Thomas commente : "Dans lAncien
Testament, les prętres et les rois étaient oints, comme on le voit pour David
(cf. 1 Sam 16, 13) et pour Salomon (cf. 1 Rs 1, 39). Les prophčtes aussi
étaient oints, comme on le voit pour Elisée qui fut oint par Elie (cf. 1 Rs 19,
16). Cela convient au Christ qui fut roi : Il rčgnera sur la maison de Jacob
pour léternité (Luc 1, 33). Il fut aussi prętre, lui qui sest offert lui-męme
en sacrifice ŕ Dieu (cf Eph 5, 2). Et il fut prophčte, lui qui annonça ŕ
lavance la voie du salut : Le Seigneur suscitera un prophčte parmi les fils
dIsraël (Deut 18, 15)" (Expos. in Ps., 44, n°5).
19. De Trinitate, VIII, 44, CCL vol. LXII A, p. 357. Saint Thomas résume ce passage en le précisant
et en lexplicitant. Cf. aussi
SAINT AUGUS TIN, Tract. in Ioann., XXV, 5, p. 435.
20. He 1, 3.
21. Nous navons pas, jusquŕ ce jour, retrouvé cette référence.
22. Jean 10, 10.
23. Cf note 17.
ILS
LUI DIRENT DONC : "QUE FERONS-NOUS POUR [TRAVAILLER AUX UVRES DE
DIEU?"
900. Sur cette question, sachons que les Juifs, instruits par la Loi, croyaient que rien nest éternel, si ce nest Dieu. Ainsi, lorsque le Seigneur eut dit que la nourriture spirituelle DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE, ils comprirent que cette nourriture est quelque chose de divin. Et voilŕ pourquoi, en interrogeant, ils mentionnent non pas la nourriture mais luvre de Dieu : QUE FERONS-NOUS POUR TRAVAILLER AUX UVRES DE DIEU? En cela, ils nétaient pas loin de la vérité puisque la nourriture spirituelle nest rien dautre que de travailler aux uvres de Dieu Que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle? 25
JÉSUS
RÉPONDIT ET LEUR DIT : "LUVRE DE DIEU, CEST QUE VOUS CROYIEZ EN
CELUI QUIL A ENVOYÉ. "
901. Dans cette réponse du Seigneur, il faut avoir pré sent ŕ lesprit que lApôtre distingue la foi des uvres 26, en disant quAbraham na pas été justifié par les uvres mais par la foi. Quest-ce donc que le Seigneur affirme lŕ, que la foi elle-męme, cest-ŕ-dire croire, est luvre de Dieu?
A cela il y a deux réponses. Lune consiste ŕ dire que lApôtre ne distingue pas la foi des uvres prises au sens absolu, mais des uvres extérieures. Certaines uvres en effet sont extérieures, celles que produisent les membres du corps, et parce quelles sont plus manifestes, elles sont communément appelées uvres. Dautres au contraire sont intérieures, celles qui sexercent dans lâme elle-męme, qui ne sont connues que des sages et de ceux qui se recueillent en leur cur 27. En un autre sens, on dit que croire peut ętre compté parmi les uvres extérieures, non que la foi soit les uvres elles-męmes, mais au sens oů elle en est le principe. Cest pour cela quil dit expressément : CEST QUE VOUS CROYIEZ EN CELUI QUIL A ENVOYE. Ce nest pas en effet la męme chose de dire croire ŕ Dieu ainsi en effet je désigne lobjet , croire Dieu parce quainsi je désigne le témoin, et croire en Dieu parce quainsi je désigne la fin 28; de sorte que Dieu se rapporte ŕ la foi comme son objet, son témoin et sa fin, mais autrement ici ou lŕ, parce que lobjet de la foi peut ętre une créature [comme créée] je crois en effet que le ciel a été créé et quune créature peut aussi ętre témoin de la foi je crois en effet Paul ou nimporte lequel des saints mais la fin de la foi ne peut ętre que Dieu : de fait, cest vers Dieu seul que notre esprit peut ętre tourné comme vers sa fin. Or la fin, qui comme telle est bonne, est lobjet de lamour : voilŕ pourquoi croire en Dieu comme ŕ une fin est propre ŕ la foi formée 29 par la charité. Cette foi ainsi formée est principe de toutes les bonnes uvres et, dans cette mesure, le fait męme de croire est appelé UVRE DE DIEU.
25. Mt 19, 16.
26. Cf. Ro 4, 2.
27. Ps 84, 9.
24. Luc 10, 1.
902. Mais si la foi est LUVRE DE DIEU, comment les hommes accomplissent-ils les uvres de Dieu?
Cette difficulté est dénouée par Isaďe lorsquil dit : Toutes nos uvres, c'est toi qui les fais pour nous, Seigneur 30. En effet, le fait męme que nous croyions et tout ce que nous accomplissons de bien nous vient de Dieu : Dieu lui-męme est celui qui opčre en vous le vouloir et son accomplissement 31. Et sil dit explicitement que croire est luvre de Dieu, cest pour manifester que la foi est un don de Dieu, comme il est dit dans lépître aux Ephésiens 32.
28. Cf. Somme théol., II-II, q. 2, a. 2; dans cet article, saint
Thomas sappuie sur lautorité de saint Augustin (Tract, in Ioann., XXIX, 6, pp.
606-609). Voir aussi vol. II, pp. 69-70, note 24.
29. Cf. vol. I, pp. 182-183, note 35.
30. Isaďe 26, 12.
31. Phi 2, 13.
32. Eph 2, 8 Cest par gré ce que vous ętes sauvés, ŕ cause de
la foi, et ceci nest pas de vous, cest un don de Dieu. Cf. vol. II, p. 109,
n°537 "Nul ne peut croire en Dieu par lui-męme : on ne le peut que par
Dieu. "
II
ILS
LUI DIRENT DONC : "QUEL SIGNE FAIS-TU DONC POUR QUE NOUS VOYIONS ET
CROYIONS EN TOI? QUELLE UVRE FAIS-TU? NOS PČRES ONT MANGÉ LA MANNE DANS LE
DÉSERT, COMME IL EST ÉCRIT : IL LEUR A DONNÉ Ŕ MANGER UN PAIN DU CIEL. "JÉSUS
LEUR DIT DONC : "AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, CE NEST PAS MOĎSE QUI
VOUS A DONNÉ LE PAIN DU CIEL, MAIS CEST MON PERE QUI VOUS DONNE LE VRAI PAIN
DU CIEL. CAR LE VRAI PAIN [DIEU] EST GELUI QUI DESCEND DU CIEL ET DONNE LA VIE
AU MONDE. "
903. Ce passage traite de
lorigine de cette nourriture, que Jésus révčle [n° 906] en réponse ŕ
une question des Juifs qui réclament un signe [n° 904] et qui
précisent lequel en mettant en avant le témoignage de lEcriture [n° 905].
904. Ils demandent un signe
en posant une question : ILS LUI DIRENT : "QUEL SIGNE FAIS-TU DONC POUR
QUE NOUS VOYIONS ET CROYIONS EN TOI?"
Cette question est éclaircie par Chrysostome 33, et dune autre maničre par Augustin. Chrysostome dit en effet que le Seigneur les avait invités ŕ la foi 34. Or, parmi ce qui nous conduit ŕ embrasser la foi, il y a les miracles : Des signes sont donnés pour ceux qui n'ont pas la foi; et pour cette raison, ils demandent encore un signe grâce auquel ils puissent croire; cest en effet une habitude chez les Juifs que de demander des signes : Les Juifs réclament des signes 35. Cest pour cette raison quils disent : QUEL SIGNE FAIS-TU DONC?
Mais il est ridicule, de la part des Juifs, de réclamer un miracle pour croire, quel que soit ce miracle, puisque le Christ venait den accomplir en multipliant les pains et en marchant sur le mer et que ces miracles, grâce auxquels ils auraient pu croire, sétaient produits sous leurs yeux. Mais sils disent cela, cest pour provoquer le Seigneur et lamener ŕ leur procurer toujours la nourriture. Cela est évident, puisquils ne font mention daucun autre signe que celui accompli par Moďse pour leurs pčres pendant quarante années, comme si par lŕ ils lui demandaient de toujours les nourrir : NOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT, et non pas : Dieu a nourri nos pčres de la manne, pour ne pas laisser croire quils voulaient en faire légal de Dieu. Ils ne disent pas non plus que Moďse les a nourris, pour ne pas laisser penser quils préféraient Moďse au Christ : ne voulaient-ils pas lamadouer, pour que sans cesse il les nourrisse? De cette nourriture il est dit : Voici que moi je vais faire pleuvoir pour vous un pain du ciel 36, et dans les Psaumes : Lhomme a mangé le pain des anges 37.
33. In loannem hum., 45, ch. 1, col. 251-252.
En fait, lexpression "invitaverat
eus ad fid. em" se trouve chez saint Augustin (XXV, 12), et la citation de
Chrysostome ne commence quŕ partir de "sed hoc ridiculosum videtur
34. 1 Corinthiens 14, 22.
35. 1 Corinthiens 1, 22.
NOS
PČRES ONTMANGÉ LA MANNE DANS LE DÉSERT, COMME IL EST ÉCRIT : IL LEUR A DONNÉ Ŕ
MANGER UN PAIN DU CIEL.
905. Augustin 38, lui, dit que le Seigneur a affirmé quil allait leur donner LA NOURRITURE QUI DEMEURE POUR LA VIE ETERNELLE comme pour faire apparaître sa prééminence sur Moďse. Les Juifs, eux, estimaient Moďse plus grand que le Christ. Pour cette raison ils affirmaient :
Dieu a parlé ŕ Moďse, mais celui-ci, nous ne savons doů il est 39. Et cest pour cela quils réclamaient du Christ quil accomplisse des actions plus grandes que celles de Moďse. Et ŕ cause de cela, ils évoquent ce que fit Moďse en disant : NOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT, comme sils voulaient dire : laction que tu tattribues est plus grande que ce que Moďse a accompli, parce que toi tu promets la nourriture qui ne périt pas, tandis que la manne donnée par Moďse, si elle était gardée pour le lendemain, grouillait de vers. Si donc tu veux que nous croyions en toi, accomplis quelque chose de plus grand que Moďse; ce que tu as accompli, en effet, nest pas plus grand, parce que tu as rassasié cinq mille hommes, mais avec des pains dorge et une seule fois, alors que lui, cest tout le peuple quil a rassasié avec la manne, et pendant quarante années, et cela dans le désert, ainsi quil est écrit dans le psaume : Il leur a donné ŕ manger un pain du ciel 40.
36. Ex 16, 4.
37. Ps 77, 25.
38. Op. cit., XXV, 12; BA 72. p. 455.
39. Jean 9, 29.
JÉSUS
LEUR DIT DONC : "AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, CE NEST PAS MOĎSE QUI
VOUS A DONNÉ LE PAIN DU CIEL, MAIS CEST MON PČRE QUI VOUS DONNE LE VRAI PAIN
DU CIEL. CAR LE VRAI PAIN [DE DIEU] EST CEL UI QUI DESCEND DU CIEL ET DONNE LA
VIE AU MONDE. "
906. Aprčs avoir relevé
linterrogation des Juifs, on donne la réponse du Christ oů est dabord montrée
[n° 907],
puis prouvée [n°
910], lorigine de la nourriture spirituelle.
907. Au sujet de lorigine
de la nourriture spirituelle, sachons que les Juifs, face au Christ, avaient
souligné deux aspects de lorigine de la nourriture corporelle dont leurs pčres
avaient usé : que Moďse en fut le donateur, et le ciel le lieu doů elle leur
vint. A cause de cela, le Seigneur, considérant lorigine de la nourriture
spirituelle, écarte ces deux données et affirme que le donateur et le lieu de
cette nourriture sont autres que ceux de la nourriture corporelle. Niant ce que
les Juifs disaient, il déclare : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, CE NEST PAS MOISE
QUI VOUS A DONNE LE PAIN DU CIEL; mais il est autre, celui qui donne, non le
pain du corps mais le vrai pain du ciel, parce que cest mon Pčre.
908. Objection : nétait-ce pas vraiment du pain que les pčres eurent dans le désert?
Réponse : si lon comprend "vrai" par opposition ŕ "faux", alors ce pain était véritable. Ce nétait pas en effet un faux miracle que celui de la manne. Mais si lon comprend "vrai" au sens oů la vérité soppose ŕ la figure, alors il ne sagissait pas du pain véritable, mais de la figure du pain spirituel, cest-ŕ-dire du Seigneur Jésus-Christ que la manne signifiait, comme le dit lApôtre : Tous ont mangé la męme nourriture spirituelle 41.
40. Ps 77, 24.
909. Une autre objection apparaît dans ce que nous dit le psaume : Il leur a donné ŕ manger un pain du ciel 42.
Réponse : "ciel" peut se prendre en trois sens. Il désigne soit les airs Les oiseaux du ciel lont mangé 43, ou encore : Du ciel, Dieu tonna 44, soit le ciel des astres Au Seigneur appartient le ciel des cieux 45, et les étoiles tomberont du ciel 46, soit les biens spirituels Réjouissez-vous et exultez, car au ciel grande est votre récompense 47. La manne était donc bien venue du ciel, mais non pas du ciel des étoiles ou du ciel spirituel : elle est venue des airs. Ou bien on dit DU CIEL en tant quelle était la figure du véritable pain céleste, le Seigneur Jésus-Christ 48.
41. 1 Co 10, 3. CL SAINT AUGUSTIN, Tract.
mb., XXV, 13, pp. 457-459; et surtout SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom.,
45, ch. 1, col. 252.
42. Ps 77, 24.
43. Mt 13, 4.
44. Ps 17, 14.
45. Ps 113, 24.
46. Mt 24, 29.
47. Mt 5, 12.
48. Saint Jean Chrysostome avait posé le problčme (loc. cit.);
saint Thomas le reprend en le complétant.
[33]
CAR LE VRAI PAIN DIEU EST CELUI QUIDESCEND DU CIEL ET DONNE LA VIE AU MONDE.
910. Le Christ prouve ici que lorigine du vrai pain est céleste, et cela par son effet. Le vrai ciel est en effet une nature spirituelle qui par elle-męme implique la vie et qui, pour cette raison, est source de vie : Cest lesprit qui vivifie 49. Or Dieu lui-męme est lauteur de la vie. A ceci donc ŕ son effet propre on reconnaît que le pain spirituel est dorigine céleste : sil donne la vie. En effet, le pain du corps ne donnait pas la vie puisque tous ceux qui avaient mangé la manne sont morts; mais celui-ci donne la vie et cest ainsi quil dit : LE VRAI PAIN et non pas sa préfiguration EST CELUI QUI DESCEND DU CIEL, ce qui se vérifie puisquil DONNE LA VIE AU MONDE. En effet, le Christ qui est le vrai pain fait vivre qui il veut 50. Moi je suis venu pour que mes brebis aient la vie et quelles laient plus abondamment 51; de plus, lui-męme est descendu du ciel : Personne n'est monté au ciel si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme qui est au ciel 52.
Ainsi donc, le Christ, vrai pain, donne la vie au monde en raison de sa divinité; et il est descendu du ciel en raison de sa nature humaine. En effet, comme nous lavons vu précédemment 53 ętre descendu du ciel traduit le fait dassumer la nature humaine Il sest anéanti lui-męme, prenant forme desclave 54.
III
ILS
LUI DIRENT DONC : "SEIGNEUR, DONNE-NOUS TOUJOURS CE PAIN "JÉSUS LEUR
DIT : "CEST MOI QUI SUIS LE PAIN DE VIE; QUI VIENT Ŕ MOI N'AURA PAS FAIM,
ET QUI CROIT EN MOI NAURA JAMAIS SOIF. MAIS JE VOUS L'AI DIT, VOUS MAVEZ VU,
ET VOUS NE CROYEZ PAS. TOUT CE QUE ME DONNE LE PČRE VIENDRA Ŕ MOI, ET CELUI QUI
VIENT Ŕ MOI, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL,
NON POUR FAIRE MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI MA ENVOYÉ. OR CEST LA
VOLONTÉ DE CELUI QUI MA ENVOYÉ -LE PČRE- QUE DE TOUT CE QUIL MA DONNE, JE NE
PERDE RIEN, MAIS QUE JE LE RESSUSCITE AU DERNIER JOUR. CAR CEST LA VOLONTÉ DE
MON PČRE QUI MA ENVOYÉ, QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI AIT LA VIE
ÉTERNELLE; ET MOI, JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR. "
49. Jean 6, 54.
50. Jean 5, 21.
51. Jean 10, 10.
52. Jean 3, 13.
53. Cf. n° 467 ss., vol. II, p. 57 ss.
54. Phi 2, 7.
911. L'Evangéliste regarde ensuite comment se procurer la nourriture spirituelle; il note dabord la demande de cette nourriture [n° 912], puis la réponse oů Jésus montre comment se la procurer [n° 913].
[34]
ILS LUI DIRENT DONC : "SEIGNEUR, DONNE-NOUS TOUJOURS CE PAIN. "
912. Sachons, ŕ propos de la demande des Juifs, quils avaient des paroles du Seigneur une intelligence charnelle; et cest parce que leurs désirs étaient ceux de la chair quils demandent au Christ une nourriture pour la chair. Ainsi, ils lui disent : SEIGNEUR, DONNE-NOUS TOUJOURS CE PAIN qui restaure de cette maničre et ne fasse pas défaut. La Samaritaine elle aussi, ayant du discours sur leau spirituelle une intelligence charnelle elle voulait ętre affranchie dun besoin disait : Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n'aie plus soif et que je ne vienne plus ici pour puiser 55. Mais, męme si les Juifs ramčnent ŕ un sens charnel les paroles du Seigneur sur la nourriture et quils la demandent dans cette perspective, nous pouvons cependant faire nôtre leur demande, comprise spirituellement : Donne-nous aujourdhui notre pain quotidien 56 parce que, sans ce pain spirituel, nous ne pouvons pas vivre.
913. Lorsquensuite lÉvangéliste dit : JÉSUS LEUR DIT : CEST MOI..., il expose la maničre de se procurer la nourriture spirituelle en montrant dabord ce quest ce pain et ensuite comment on peut lacquérir [n° 917].
Quest ce pain? LEvangéliste en relate dabord la révélation [n° 914] puis il donne la raison de la révélation [n° 915] et en montre enfin la nécessité [n° 916].
JÉSUS
LEUR DIT : "CEST MOI QUI SUIS LE PAIN DE VIE. "
914. En effet, comme nous lavons dit 57, toute pensée (verbum) de sagesse est la nourriture propre de lesprit parce que cest elle qui le soutient : La Sagesse la nourri dun pain de vie et dintelligence 58.
Et lon dit que le pain de la Sagesse est un pain de vie ŕ la différence du pain corporel, qui est un pain de mort puis quil ne sert quŕ réparer les défaillances de notre condition mortelle et, pour cette raison, nest nécessaire quen cette seule vie mortelle. Mais le pain de la Sagesse divine est source de vie et na pas la mort pour contraire. En outre, le pain corporel ne donne pas la vie : il ne fait que soutenir pour un temps une vie déjŕ existante. Mais le pain spirituel vivifie de telle maničre quil donne lui-męme la vie : lâme ne commence ŕ vivre quen adhérant au Verbe de Dieu : Auprčs de toi est la source de vie 59. Donc, puisque toute pensée (verbum) de sagesse dérive du Verbe, lunique engendré de Dieu La source de la sagesse, cest lunique engendré de Dieu qui demeure dans les cieux 60, cest le Verbe de Dieu qui est principalement dit pain de vie; cest pour cela que le Christ dit : CEST MOI QUI SUIS LE PAINDE VIE. Et puisque la chair du Christ a été unie au Verbe de Dieu lui-męme, il lui appartient aussi de vivifier; et pour cette raison le corps, consommé sacramentellement, donne la vie : en effet, par les mystčres quil a accomplis dans sa chair, le Christ donne la vie au monde. Et ainsi la chair du Christ, ŕ cause de la parole du Seigneur, est le pain, non pas pour cette vie, mais pour celle ŕ laquelle la mort ne vient pas mettre de terme. Cest en ce sens-lŕ que la chair du Christ est dite pain : Aser, son pain est riche 61. Elle est aussi signifiée par la manne. Ce mot en effet veut dire : Quest-ce? 62 parce que les Juifs, en la voyant, furent saisis détonnement, se disant entre eux : Quest-ce? Mais rien nest plus admirable que le Fils de Dieu fait homme, de telle sorte que tout homme en vient ŕ demander : Quest-ce? Cest-ŕ-dire, comment le Fils de Dieu est-il Fils de lhomme, comment deux natures ne font-elles quune seule personne? Il sera nommé Admirable 63. Elle est aussi admirable, la maničre dont le Christ est sous les espčces sacramentelles 64.
55. Jean 4, 15. Ce rapprochement si manifeste des deux demandes,
celle des Juifs en quęte de pain impérissable et celle de la Samaritaine en
quęte deau inépuisable, se trouve déjŕ chez saint Jean Chrysostome (op. cit.,
col. 252) et saint Augustin (Tract. in Ioann., XXV, 13, p. 459).
56. Mt 6, 11.
57. CL n° 895; voir aussi n° 584 ss., vol. II, p. 156.
58. Sir 15, 3.
59. Ps 35, 10. Saint Thomas commente : "Auprčs de toi est
la source de la vie. Rapportée au Christ, le sens de cette parole est : Tu es
la source de la vie. Mais référée au Pčre, le sens est celui-ci Auprčs de toi
est la source de la vie, cest-ŕ-dire ton Verbe qui vivifie toute chose. Auprčs
de toi : Le Verbe était auprčs de Dieu Un 1, 1); et Ils mont abandonné, moi,
la source deau vive (Jér 2, 13), lui qui est en vérité la source de la vie,
cest-ŕ-dire des biens spirituels par lesquels toutes choses sont
vivifiées" (Expos. in Ps., 35, n" 4).
60. Sir 1, 5; la Vulgate dit en réalité : cest le Verbe de Dieu
au plus haut des cieux.
QUI
VIENT Ŕ MOI NAURA PAS FAIM, ET QUI CROIT EN MOI NAURA JAMAIS SOIF.
915. Jésus rend ici raison de laffirmation CEST MOI QUI SUIS LE PAIN DE VIE en partant de leffet propre de ce pain. Le pain corporel en effet, une fois consommé, ne supprime pas la faim pour toujours puisquil se corrompt et vient alors ŕ manquer. Pour cette raison, on est obligé den reprendre. Le pain spirituel, au contraire, donnant la vie par lui-męme, ne se corrompt jamais. Et pour cette raison, lhomme qui le consomme une seule fois na plus jamais faim. Cest pour cela quil dit : QUI VIENTA MOI NAURA PAS FAIM, ET QUI CROIT EN MOI N'AURA JAMAIS SOIF.
Ici, venir et croire ne diffčrent pas plus, selon Augustin 65, quavoir faim et avoir soif. Il revient au męme de venir au Christ et de croire en lui, car nous allons vers Dieu non par les pas du corps mais par ceux de lesprit, dont le premier est la foi. Il revient aussi au męme de manger et de boire car on désigne par lun et lautre le rassasiement éternel oů il ny a aucune indigence : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés 66. Ainsi, la nourriture qui soutient et la boisson qui rafraîchit ne font quun.
Quant ŕ savoir pourquoi les réalités temporelles ne suppriment pas la soif pour toujours, une premičre cause en est quelles ne sont pas prises en une seule fois, mais peu ŕ peu et comme dans un mouvement, et quainsi il en reste toujours ŕ prendre. A cause de cela, de męme que la délectation et le rassasiement naissent de ce qui a été déjŕ pris, de męme le désir demeure pour ce qui reste ŕ prendre. Lautre cause est quelles se corrompent. Cest pour cela que, la mémoire de ce qui sest corrompu demeurant, le désir renaît ŕ son égard. Les réalités spirituelles, au contraire, dune part sont reçues tout entičres en une fois, dautre part ne se corrompent pas et ne viennent pas ŕ manquer. Et pour cette raison, le rassasiement dont elles sont cause demeure pour toujours : ils nauront plus ni faim ni soif 67 Tu me combleras de joie par ton visage; dans ta droite, cest-ŕ-dire dans les biens spirituels, délices pour toujours 68.
61. Gn 49. 20.
62. Cf. Ex 16, 15.
63. Isaďe 9, 5.
64. Cf. THEOPHYLACTUS, Enarratio in
Evangelium S. bannis, col. 1299
65. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XXV, 14, pp. 459-461; voir
ci-des sous. ch. VII, n° 1089, note 20.
66. Mt 5, 6.
67. Ap 7, 16.
68. Ps 15, 11.
MAIS
JE VOUS LAI DIT, VOUS MAVEZ VU, ET VOUS NE CROYEZ PAS.
916. Jésus montre ici la nécessité de se révéler comme pain. On pourrait en effet dire : Nous, nous avons demandé le pain; or tu ne nous réponds pas : "Je vous le donnerai" ou "Je ne vous le donnerai pas", mais tu dis plutôt : CEST MOI JE QUI SUIS LE PAIN DE VIE; cette réponse nest donc pas bonne. Mais quelle le soit, le Seigneur le montre en disant : JE VOUS L'AI DIT, VOUS MAVEZ VU ET VOUS NE CROYEZ PAS. Ils sont dans la situation de celui qui ignore quil a du pain devant lui et auquel on dit : vois, le pain est devant toi; et cest ainsi quil dit JE VOUS LAI DIT (que MOI JE SUIS LE PAIN), VOUS MAVEZ VU ET VOUS NE CROYEZ PAS, cest-ŕ-dire, vous désirez le pain, et vous lavez devant vous, et cependant vous nen prenez pas 69, parce que vous ne croyez pas h1 leur reproche ici leur incrédulité Ils ont vu et ils ont haď et moi et mon Pčre 70.
COMMENT
ACQUÉRIR CE PAIN? TOUT CE QUE ME DONNE LE PČRE VIENDRA Ŕ MOI, ET CELUI QUI
VIENT Ŕ MOI, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL,
NON POUR FAIRE MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI MA ENVOYÉ. OR CEST LA
VOLONTÉ DE CELUI QUI MA ENVOYÉ - LE PČRE- QUE DE TOUT CE QUIL MA DONNÉ, JE
NE PERDE RIEN, MAIS QUE JE LE RESSUSCITE AU DERNIER JOUR. CAR CEST LA VOLONTÉ
DE MON PČRE QUIMA ENVOYÉ, QUE QUI CONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI AIT LA
VIE ÉTERNELLE, ET MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR. "
917. Ici, le Seigneur montre comment on peut obtenir le pain de vie. Il traite dabord de la maničre de lobtenir [n° 918], puis de la fin pour laquelle il est possédé [n° 921] et de la raison pour laquelle il peut lętre [n° 922].
TOUT
CE QUE ME DONNE LE PČRE VIENDRA Ŕ MOI
918. Au sujet de la maničre dobtenir ce pain, sachons que le fait męme de croire est en nous par un don de Dieu : C'est par grâce que vous ętes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu 71 Il vous a été donné, ŕ légard du Christ, non seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui. Or il est dit parfois que Dieu le Pčre donne au Fils les hommes qui croient en lui, comme ici : TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI; parfois que le Fils les donne au Pčre : Lorsqu'il aura remis la royauté ŕ Dieu le Pčre 73. A partir de lŕ nous comprenons que le Pčre, en don nant, ne se dépossčde pas de la royauté, pas plus que le Fils 74. Mais le Pčre donne au Fils en tant quil donne aux hommes dadhérer ŕ la parole de jésus; cest par le Pčre, en effet, que vous avez été appelés ŕ la communion de son Fils 75. Le Fils, en retour, donne au Pčre en tant que le Verbe est manifestation du Pčre : Pčre, jai manifesté ton nom aux hommes 76. Ainsi donc, Jésus dit TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI, cest-ŕ-dire ceux qui croient en moi, aux quels le Pčre donne de sattacher ŕ moi.
69. Cf. SAINT AUGUSTIN, loc. Cit.
70. Jean 15, 24.
919. Mais on pourrait dire quon nuse pas nécessairement du don de Dieu. Nombreux en effet sont ceux qui le reçoivent sans en user. Comment donc peut-il dire : TOUT CE QUE ME DONNE LE PERE VIENDRA A MOI?
Il faut dire que par ce don,
on nentend pas seulement lhabitus quest la foi et ce qui est du męme ordre,
mais encore lappel intérieur ŕ croire. Quoi que lhomme fasse en vue du salut,
cela relčve totalement dun don de Dieu.
920. Mais une question demeure : si tout homme que le Pčre donne au Christ va vers lui, ainsi quil le dit lui-męme, ceux-lŕ seuls vont vers Dieu que le Pčre lui donne. On ne doit donc pas accuser ceux qui ne vont pas vers lui, puis quils ne lui sont pas donnés.
Il faut répondre que si, sans le secours de Dieu, ils ne peuvent parvenir ŕ la foi, cela ne leur est pas compté. Mais ce qui est compté ŕ celui qui ny parvient pas, cest lobstacle quil met pour ne pas y parvenir, en se détournant du salut dont la voie, en elle-męme, est ouverte ŕ tous
71. Eph 2, 8. CL Ad Eph. lect., II, leç. 3, n" 93 linfusion
de la grâce ne se réalise pas sans notre concours, qui se traduit par un acte
de foi.
72. Phi 1. 29.
73. 1 Corinthiens 15, 24.
74. Cf. CHRYSOSTOME, In loannem 110m.,
45, ch. 2, col. 254.
75. 1 Corinthiens 1, 9.
76. Jean 17, 6.
[7b]
ET CELUI QUI VIENT Ŕ MOI, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS.
921. Ici, le Christ montre la fin pour laquelle le pain est possédé. En effet, quelquun pourrait dire : nous viendrons ŕ toi, mais tu ne nous recevras pas. Et pour exclure cette objection, il dit : GEL UI QUI VIENT A MOI par le cheminement de la foi et par les bonnes uvres 78, NE LE JETTERAI PAS DEHORS, oů il laisse entendre quil est ŕ lintérieur. Cest en effet de lintérieur quon sort au dehors.
Portons donc notre attention sur ce quest cet intérieur et sur la maničre dont on en est rejeté.
Puisque nous disons que toutes les réalités visibles sont en quelque sorte extérieures aux réalités spirituelles, plus une réalité est spirituelle, plus elle est intérieure. Il y a donc pour lâme deux degrés dintériorité. Lun est le plus profond, et cest la joie de la vie éternelle qui, selon Augustin 79, est le grand sanctuaire et la douce retraite doů sont absents la tiédeur, lamertume des mauvaises pensées et les obstacles des tentations et des douleurs. Joie dont il est dit en Matthieu : Entre dans la joie de ton maître 80, et dans le psaume : Tu les cacheras dans le secret de ton visage 81, cest-ŕ-dire dans la pleine vision de ton essence. Et de cet intérieur, nul ne sera rejeté : Le vainqueur, jen ferai une colonne dans le temple de mon Dieu, et il ne sortira plus au dehors 82, parce que, ainsi que le rapporte Matthieu, les justes s'en iront ŕ la vie éternelle 83.
Lautre degré dintériorité est la rectitude de la conscience, qui est la joie spirituelle 84. Il en est dit : Entrant dans ma maison, je me reposerai prčs delle; et : Le roi ma introduite dans ses appartements 85. Et de cette intériorité, certains sont rejetés.
Daprčs cela, la parole du
Seigneur JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS peut ętre comprise de deux maničres. Soit
dans le sens oů lon dit que viennent ŕ lui ceux qui lui ont été donnés par le
Pčre selon une prédestination éternelle, et de ceux-ci il dit CELUI QUI VIENT A
MOI, prédestiné par le Pčre, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS Dieu na pas rejeté
son peuple que davance il a connu 86. Soit dans le sens oů
ceux qui sortent ne sortent pas comme sils étaient rejetés par le Christ; mais
la cause du rejet leur revient en tant que, par linfidélité et les péchés, ils
séloignent de cette intériorité que donne la conscience droite. Ainsi, il est
dit : en ce qui me concerne, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, mais eux-męmes se
rejettent Vous mętes un fardeau, et je vous rejette rai, dit le Seigneur 87. Cest de cette maničre qua
été jeté dehors celui qui était entré dans la salle des noces sans avoir
lhabit nuptial, comme il est dit en Matthieu 88.
922. Le Seigneur donne ensuite la raison pour laquelle le pain spirituel peut ętre possédé : son dessein daccomplir la volonté du Pčre [n° 923]. Puis il montre quelle est cette volonté [n° 9241 et quel en est laccomplissement final [n° 928].
77. Cf. CHRYSOSTOME, op. cit., 45, ch. 3,
coI 254.
78. Cf. n 292 (vol. I, p. 293).
79. Tract. in Ioann., XXV, 14, pp. 459-46
1.
80. Mt 25, 21.
81. Ps 30, 21. "Les impies persécutent les saints, commente
saint Thomas, mais Dieu les cache dans le secret, cest-ŕ-dire quil les
conduitjus quŕ ce lieu caché de sa propre douceur. Votre vie est cachée avec
le Christ en Dieu (Col 3, 3). Cela se réalisera pleinement dans lavenir, quand
ils le verront face ŕ face : Mais alors nous le verrons face ůface, tel qu'zI
est (1 Corinthiens 13, 12 et 1 Jean 3, 2); voilŕ pourquoi il dit : de taface. Mais
déjŕ dans le présent Il cache, dans la mesure oů nous voyons quelque chose de
la douceur de sa gloire lorsque nous contemplons. Et sIl cache, dans cette
męme mesure les hommes nont plus la possibilité de troubler ceux qui sont
enracinés dans lamour de Dieu : Les âmes des justes sont dans la main de Dieu
(Sag 3, 1). Ou bien encore ils ne res sentent pas les tourments que souffrent
les hommes lors du jugement : Ils seront troublés par une peur terrible (Sag 5,
2). De męme, dans la mesure oů lhomme est caché dans la contemplation, il ne
ressent plus les agitations du monde : Entré dans ma maison, je me reposerai
prčs delle (Sag 8, 16)" (Expos. in Ps., 30, n° 17).
82. Ap 3, 12.
83. Mt 25, 46.
84. Cf. n° 1090, note 25.
85. Sag 8, 16 et Cant 1, 4.
86. Ro 11, 2.
87. Jérémie 23, 33.
88. Cf. Mt 22, 11 ss.
89. Op. cit., XXV, 15-17, pp. 441-465.
90. Mt 11, 28-29.
91. Ps 39, 9. Cf SAINT HILAIRE, De Trinitate, III, 9, CCL vol. LXII,
p. 80.
PARCE
QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL, NON POUR FAIRE MA VOLONTÉ, MAIS LA VOLONTÉ DE
CELUI QUI MA ENVOYÉ.
923. Quant au dessein daccomplir la volonté du Pčre, sachons que la lettre ici donne lieu ŕ deux interprétations : celle dAugustin et celle de Chrysostome.
Voici celle dAugustin 89 CELUI QUI VIENT A MOI, JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, et cela parce que vient ŕ moi celui qui imite mon humilité. En effet, aprčs avoir dit : Venez ŕ moi, vous tous qui peinez, le Seigneur a ajouté : Mettez vous ŕ mon école parce que je suis doux et humble de cur 90. Or voici la véritable douceur du Fils de Dieu : il a soumis sa volonté ŕ celle du Pčre. Et voilŕ pourquoi il dit : JE NE LE JETTERAI PAS DEHORS, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL, NON POUR FAIRE MA VOLONTE MAIS LA VOLONTÉ DE CELUI QUI MA ENVOYÉ. Cest parce quelle était orgueilleuse que lâme est sortie de Dieu, et cest pourquoi il est nécessaire quelle revienne par lhumilité, en venant au Christ par limitation de son humilité, qui consiste en ceci : faire non pas sa volonté propre, mais celle de Dieu.
Précisons quil y a dans le Christ deux volontés. Lune relčve de la nature humaine; elle lui appartient par nature et par la volonté du Pčre. Lautre relčve de la nature divine et cette volonté est la męme que celle du Pčre. Sa volonté, donc je veux dire sa volonté humaine , il la soumise ŕ la volonté divine parce que, sous la motion de la volonté qui est la męme que celle du Pčre, il sest montré lui-męme obéissant en voulant accomplir pleinement la volonté du Pčre : Accomplir ta volonté, ô mon Dieu, voilŕ ce que jai voulu 91. Que cette volonté se fasse en nous, nous le demandons lorsque nous disons : que ta volonté soit faite 92. Ils ne sont donc pas rejetés au dehors, ceux qui ne font pas leur volonté mais celle de Dieu. Le diable, en effet, voulant faire sa volonté, qui est celle de lorgueil, a été rejeté du ciel 93. et le premier homme, du paradis.
Chrysostome 94 interprčte de la maničre suivante : la rai son pour laquelle je ne rejette pas au dehors celui qui vient ŕ moi, cest que je suis venu pour ceci : accomplir la volonté du Pčre en ce qui concerne le salut des hommes. Si donc je me suis incarné ŕ cause du salut des hommes, comment devrais-je les rejeter? Et cest ce quil dit : je ne rejette pas, PARCE QUE JE SUIS DESCENDU DU CIEL, NON POUR FAIRE MA VOLONTE, cest-ŕ-dire ma volonté humaine en vue de mon propre bien, MAIS LA VOLONTE DE CELUI QUI MA ENVOYE la volonté du Pčre , qui veut que tous les hommes soient sauvés 95. Et cest pour cela que, quant ŕ moi, je ne rejette personne Si, en effet, étant ennemis, nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils, ŕ bien plus forte rai son, une fois réconciliés, serons-nous sauvés dans sa propre vie 96.
924. Le Christ considčre ensuite quelle est la volonté du Pčre. Il lexpose dabord [n° 925]; puis il en donne la rai son [n° 927].
OR
CEST LA VOLONTÉ DE CELUI QUI MA ENVOYÉ LE PČRE QUE DE TOUT CE QUIL MA
DONNÉ, JE NE PERDE RIEN, MAIS QUE JE LE RESSUSCITE AU DERNIER JOUR.
925. Jésus a donc dit : JE NE JETTERAI PAS DEHORS ceux qui viennent ŕ moi, parce que jai pris chair pour faire la volonté du Pčre. OR LA VOLONTE DE CELUI QUI MA EN VOYE LE PERE CEST QUE, précisément, celui qui vient ŕ moi, je ne le jette pas dehors; et cest pour cela que jagis effectivement ainsi Telle est la volonté de Dieu : votre sanctification 97. Et pour cette raison il dit : QUE DE TOUT CE QUIL MA DONNE, JE NE PERDE RIEN, autrement dit : Pčre, que je nen perde aucun jusquŕ ce quil parvienne ŕ la résurrection ŕ venir; dans cette résurrection, certains seront perdus, non pas de ceux qui lui ont été donnés par prédestination éternelle, mais les impies : le chemin des impies se perdra 98. Quant ŕ ceux qui seront gardés jusque-lŕ, ils ne seront pas perdus.
Cette expression, QUE JE NE PERDE, ne doit pas nous laisser penser quil ait besoin de la sollicitude de ses proches ou que la perte de quiconque soit pour lui un dommage. Mais il dit cela ŕ cause de son désir de leur salut et de leur bien, quil considčre comme sien 99.
92. Mt 6. 10.
93. Cf. Ap 12, 9.
94. In loannem hom., 45, ch. 2-3, col. 253-255.
95. 1 Tm 2, 4.
96. Ro 5, 10.
926. Mais cela est contredit plus loin : Pas un deux, cest-ŕ-dire de ceux que tu mas donnés, na péri, hors le fils de perdition 100. Donc, certains de ceux qui lui ont été donnés sont perdus. Ce quil dit ici : QUE JE NE PERDE RIEN ne semble donc pas juste. Mais il faut dire que parmi ceux qui lui ont été donnés selon la justice présente, certains sont perdus, mais pas parmi ceux qui lui ont été donnés par prédestination éternelle.
CAR
CEST LA VOLONTÉ DE MON PČRE QUI MA ENVOYÉ, QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET
CROIT EN LUI AIT LA VIE ÉTERNELLE.
927. Il donne ici la raison de cette volonté divine. Pour quoi le Pčre veut-il que je ne perde rien de ce quil ma donné? Cest que la volonté du Pčre est de communiquer la vie spirituelle aux hommes, parce quil est lui-męme source de vie 101. Et quant ŕ lui, puisquil est éternel, sa volonté est que quiconque vient ŕ lui ait la vie éternelle. Et cest ce quil dit : CEST LA VOLONTE DE MON PERE QUI MA ENVOYE, QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI AIT LA VIE ÉTERNELLE.
Mais il faut noter quil avait
dit plus haut : Celui qui écoute ma parole et croit ŕ celui qui ma envoyé 102, tandis quici il dit :
QUE QUICONQUE VOIT LE FILS ET CROIT EN LUI, de maničre ŕ nous faire comprendre
que la divinité du Pčre et du Fils est la męme, elle dont la vision par essence
est notre fin ultime et lobjet de la foi. Cette parole VOIT ne signifie pas la
vision par essence, que la foi précčde, mais la vision corporelle du Christ qui
conduit ŕ la foi. Et cest pour cela quil dit explicitement QUICONQUE VOIT LE
FILS ET CROITENLUI; et plus haut : Celui qui écoute ma parole et croit ŕ celui
qui ma envoyé (...) est passé de la mort ŕ la vie 103, et plus bas : Ceux-ci
(les signes opérés par Jésus) ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus
est le Christ, le Fils de Dieu, et afin que, croyant, vous ayez la vie en son
nom 104.
97. 1 Th 4, 3.
98. Ps 1, 6. Cf. vol. II, n 476 ss.
99. Cf. CHRYSOSTOME, op. cit., 45, ch. 3,
col. 255.
100. Jean 17. 12.
101. Ps 35, 10.
ET
MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR.
928. Laccomplissement
plénier de cette volonté du Pčre viendra au terme, et cest pour cela quil
ajoute : ET MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR, parce que le Pčre veut
quil ait la vie éternelle non seulement en son âme mais aussi en son corps :
ils se réveilleront 105 de la męme maničre que le Christ est ressuscité : Le Christ,
ressuscitant dentre les morts, désormais ne meurt plus 106.
102. Jean 5, 24.
103. Jean 5, 24.
104. Jean 20, 31.
105. Dan 12, 2.
106. Ro 6, 9.
41
Cependant les Juifs murmuraient contre lui, parce quil avait dit : "Moi,
je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel" et ils disaient :
"Nest-ce pas lŕ le fils de Joseph, dont nous connaissons le pčre et la
mčre? Comment donc dit-il : "Je suis descendu du ciel?" 43 répondit
donc et leur dit : "Ne murmurez pas entre vous 44a nul ne peut venir ŕ moi
si le Pčre qui ma envoyé ne lattire et moi je le ressusciterai au dernier
jour. 45a Il est écrit dans les Prophčtes : Tous seront enseignés par Dieu. 45b
Quiconque sest mis ŕ lécoute du Pčre et ŕ son école vient ŕ moi. 46 Non que
personne ait vu le Pčre, si ce nest celui qui est de Dieu : celui-lŕ a vu le
Pčre. Amen, amen, je vous le dis : Qui croit en moi a la vie éternelle. Moi je
suis le pain de vie. Vos pčres ont mangé la manne dans le désert et ils sont
morts. ° Tel est le pain qui descend du ciel : Si quelquun en mange, il ne
meurt pas. Moi je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel. 52 Si
quelquun mange de ce pain, il vivra éternellement; et le pain que moi je
donnerai, cest ma chair pour la vie du monde. " Les Juifs donc
disputaient entre eux, disant : "Comment celui-ci peut-il nous donner sa
chair ŕ manger?"
Il
leur dit donc : "Amen, amen, je vous le dis : Si vous ne mangez la chair
du Fils de lhomme et ne buvez son sang, vous naurez pas la vie en vous. Qui
mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle; et moi je le ressusciterai
au dernier jour. 36 Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est
vraiment une boisson;' qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et
moi en lui. Comme le Pčre qui est vivant ma envoyé, et que moi je vis ŕ cause
du Pčre, ainsi celui qui me mange vivra ŕ cause de moi. Tel est le pain qui est
descendu du ciel. Ce nest pas comme vos pčres qui ont mangé la manne et sont
morts. Celui qui mange ce pain vivra éternellement. " Il dit ces choses
dans la synagogue, au cours de son enseignement ŕ Capharnaüm.
929. Aprčs avoir exposé son enseignement, le Christ exclut ici les objections qui lui sont faites : dune part celles des foules qui murmurent, dautre part celles des disciples qui doutent [n° 983].
En premier lieu, il fait cesser le murmure des foules ŕ propos de lorigine de la nourriture spirituelle; en second lieu, il apaise leur dispute sur la manducation de la nourriture spirituelle [n° 965].
CEPENDANT
LES JUIFS MURMURAIENT CONTRE LUI, PARCE QUIL A VAITDIT : "MOI, JE SUIS
LE PAIN VIVANT QUI SUIS DESCENDU DU CIEL "; ET ILS DISAIENT : "NEST-CE
PAS LŔ LE FILS DE JOSEPH, DONT NOUS CONNAISSONS LE PČRE ET LA MČRE? COMMENT
DONC DIT-IL :JE SUIS DESCENDU DU CIEL?"
LÉvangéliste rapporte dabord le murmure des foules, puis lintervention du Christ qui y met fin [n° 932]. Pour cela, il expose dabord loccasion du murmure [n° 930], puis les paroles męmes de ceux qui murmurent [n° 931].
CEPENDANT
LES JUIFS MURMURAIENT CONTRE LUI, PARCE QUIL AVAIT DIT : "MOI, JE SUIS
LE PAIN VIVANT QUI SUIS DESCENDU DU CIEL"
930. LÉvangéliste ajoute ici que quelques-uns murmuraient au sujet de certaines paroles du Christ, notamment celles-ci : Le vrai pain de Dieu est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde 1, et plus loin : Cest moi qui suis le pain de vie 2 ce pain spirituel quils ne prenaient pas ni ne désiraient. Et sils murmuraient, cest parce quils étaient dans un état desprit étranger aux choses spirituelles, et cela depuis bien longtemps : Ils murmuraient sous leurs tentes 3 Ne murmurez pas comme certains dentre eux murmurčrent 4.
Si jusque-lŕ, ainsi que le dit Chrysostome ils ne murmuraient pas, cest parce quils espéraient encore obtenir une nourriture terrestre : cet espoir évanoui, ils commencent aussitôt ŕ murmurer, męme sils allčguent une autre cause. En effet, ils ne le contredisent pas ouvertement, ŕ cause de la déférence quils avaient encore ŕ son égard, au souvenir du miracle précédent.
ET
ILS DISAIENT : "NEST-CE PAS LŔ LE FILS DE JOSEPH, DONT NOUS CONNAISSONS
LE PČRE ET LA MČRE? COMMENT DONC DIT-IL :JE SUIS DESCENDU DU CIEL?"
931. Ainsi murmuraient les Juifs. Parce quils étaient soumis ŕ la chair, ils ne considéraient que la génération charnelle du Christ, ce qui les empęchait de connaître sa génération spirituelle et éternelle; cest pourquoi ils ne par lent que de celle de la chair, daprčs ce précédent passage : Celui qui est issu de la terre (...) parle de la terre 6, et la génération spirituelle leur échappe. Cest pour cela quils ajoutent : COMMENT DONC DIT-IL :JE SUIS DESCENDU DU CIEL'? Et ils lappellent fils de Joseph ŕ cause de lopinion établie : Joseph était en effet son pčre nourricier, daprčs ce passage de Luc : II était, ŕ ce quon croyait, fils de Joseph 7.
1. Jean 6, 33.
2. Jean 6, 35.
3. Ps 105, 25.
4. 1 Corinthiens 10, 10.
5. Op. cit., 46, ch. 1, col. 257.
6. Jean 3, 31.
7. Luc 3, 23.
932. La réponse NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS, met un terme au murmure. Le Seigneur en effet y coupe court, mais lčve ensuite lincertitude qui lavait suscité [n° 949].
I
JÉSUS
RÉPONDIT DONC ET LEUR DIT : "NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS; NUL NE PEUT
VENIR Ŕ MOI SI LE PČRE QUI MA ENVOYÉ NE LA TTIRE ET MOI JE LE RESSUSCITERAI
AU DERNIER JOUR. IL EST ECRIT DANS LES PROPHČTES : TOUS SERONT ENSEIGNÉS PAR DIEU
QUICONQUE SEST MIS Ŕ LÉCOUTE DU PČRE ET Ŕ SON ÉCOLE VIENT Ŕ MOI NON QUE
PERSONNE AIT VU LE PČRE, SI CE NEST CELUI QUI EST DE DIEU : CELUI-LŔ A VU LE
PČRE. "
Aprčs avoir mis un terme au murmure [n° 933], le Christ en dévoile la cause [n° 934].
JÉSUS
RÉPONDIT DONC ET LEUR DIT : "NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS. "
933. Jésus, connaissant
leur murmure, leur répond en y mettant fin : NE MURMUREZ PAS ENTRE VOUS. Cest
lŕ, assurément, un avertissement salutaire : en effet, celui qui murmure révčle
que son esprit nétait pas établi en Dieu, et pour cette raison il est dit dans
le livre de la Sagesse : Gardez vous donc du murmure, car il ne sert ŕ rien 8.
934. Cest parce quils nont pas la foi que les Juifs murmurent, et le Seigneur le dévoile par ces mots : NUL NE PEUT VENIR A MOI... Le Christ montre dabord que lattraction du Pčre est nécessaire pour venir ŕ lui, puis comment elle saccomplit [n° 941]. Si lattraction du Pčre est nécessaire, cest parce que lhomme na pas, par lui-męme, le pouvoir de venir au Christ par la foi; il a besoin dun secours divin, qui est efficace [n° 935]; quant ŕ laccomplissement ultime, ou au fruit de cette attraction, il est excellent [n° 939].
8. Sag 1, 11.
NUL
NE PEUT VENIR Ŕ MOI SI LE PČRE QUI M'A ENVOYÉ NE LATTIRE.
935. Jésus, donc, dit dabord : il nest pas étonnant que vous murmuriez, parce que vous navez pas encore été attirés ŕ moi par le Pčre. En effet, NUL NE PEUT VENIR A MOI, en croyant en moi, SILE PERE QUI MA EN VOYE NE L'ATTIRE.
Mais ici trois questions se posent. La premičre dentre elles concerne cette parole du Christ SI LE PERE NE LATTIRE. En effet, nous venons au Christ par la foi, puisque, ainsi que nous lavons déjŕ dit, cest une męme chose de venir ŕ lui et de croire en lui 9. Or on ne peut croire quen le voulant. Mais le terme "attraction" exprime une certaine violence; celui qui vient au Christ en étant attiré vient donc ŕ lui contraint et forcé.
Je réponds en disant que ce qui est affirmé ici de lattraction du Pčre nimplique pas de contrainte, car tout ce qui attire ne fait pas nécessairement violence. Ainsi donc, le Pčre a de multiples maničres dattirer au Fils sans exercer de violence sur les hommes. En effet, on peut attirer quelquun en le persuadant par une démarche de lintelligence. Et de cette maničre, le Pčre attire les hommes au Fils en leur démontrant quil est son Fils, soit par une révélation intérieure Heureux es-tu, Simon fils de Jonas, parce que ce ne sont pas la chair et le sang qui tont révélé cela, ŕ savoir que le Christ est le Fils du Dieu vivant, mais mon Pčre qui est dans les cieux 10 , soit par des miracles accomplis par la puissance quil tient du Pčre : Les uvres que le Pčre ma données pour que je les accomplisse (...) rendent témoignage de moi 11.
Dautre part, certains attirent par leur charme : Par la douceur de ses lčvres, elle la entraîné 12. Ainsi, ceux qui sapprochent du Christ ŕ cause de lautorité 13 de la majesté du Pčre sont-ils attirés par le Pčre. Quiconque en effet met sa foi dans le Christ parce quil le croit Fils de Dieu, celui-lŕ, le Pčre lattire au Fils par sa majesté. Arius na pas subi cette attraction, lui qui ne croyait pas que le Christ est le vrai Fils de Dieu ni quil est engendré de la substance du Pčre; Photin non plus, lorsquil a affirmé comme étant de foi que le Christ nest quun homme. Ainsi, ils sont attirés par le Pčre, ceux qui sont saisis par sa majesté; mais le Fils aussi les attire par lamour de la vérité et le fait dy trouver une joie prodigieuse; car la vérité est finalement le Fils de Dieu lui-męme. Si en effet, ainsi que le dit Augustin 14, chacun est entraîné par ce qui lui donne de la joie, combien plus lhomme doit-il ętre entraîné vers le Christ sil trouve sa joie dans la vérité, la béatitude, la justice, la vie éternelle, et si le Christ est tout cela? Si donc cest par lui que nous devons ętre entraînés, laissons-nous entraîner par la joie que procure la vérité : Mets ta joie dans le Seigneur, et il te donnera ce que demande ton cur 15; cest pourquoi lépouse disait : Entraîne-moi ŕ ta suite, nous courrons ŕ lodeur de tes parfums 16.
9. Cf. n° 915.
10. Mt 16, 17.
11. Jean 5, 36.
12. Prov 7, 21.
13. En latin : propter auctoritatem paternae majestatis. Soulignons
le sens étymologique de auctoritas : ce mot vient de augere, faire croître. Lauctor
est donc comme la source, capable de faire vivre et croître celui qui dépend de
lui. Sur lauctoritas attribuée au Pčre, voir SAINT AUGUSTIN, Tract. in Ioann.,
XXXI, 4 (et note 16), BA 72, pp. 642-643.
14. Tract. in Ioann., XXVI, 4, pp. 491-493;
5, p. 497. Saint Augustin reprend dans ce
passage une expression de Virgile (Bucoliques, 2, 65), puis fait un jeu de mots
sur voluntas et voluptas (volonté et volupté), celle-ci étant considérée comme
le signe de ce que ladhésion de foi est libre et volontaire. Saint Thomas
reprend aussi ŕ saint Augustin lallusion ŕ Arius et ŕ Photin (pour une brčve
présentation de ces deux hérésies, voir vol. I, 3 éd., p. 108, note 62, et p. 110,
note 68).
15. Ps 36, 4. Saint Thomas commente : "Le désir, s'il est
comblé, réjouit lâme (Prov 13, 19). Si tu inhčres ŕ Dieu, ton désir est
comblé; mais pour cela, il faut que ce soit un juste désir, parce que Dieu
nest pas lauteur de linjustice. Cest pourquoi le psalmiste commence par
montrer quelle est la racine dun juste désir, en disant Mets ta joie dans le
Seigneur, cest-ŕ-dire : que tout ton amour soit en Dieu Réjouissez-vous
toujours dans le Seigneur (Phi 4, 4). Dans le texte grec de ce psaume, on lit :
Goűtez avec délices, autrement dit : ne sois pas satisfait de ce qui est
nécessaire au salut, mais recherche une surabondance de choses exquises, de
męme que les gourmets ne se satisfont pas dune nourriture ordinaire Alors tu
mettras tes délices dans le Tout -Puissant (Jb 22, 26); et lui te donnera ce
que demande ton cur et non ta chair. Selon Origčne, les demandes du cur sont
ce que le cur désire; selon lui, par exemple, si lil pouvait demander
quelque chose, il désirerait de belles couleurs, et loreille des sons agréables;
ainsi, lobjet du cur étant la vérité et la justice, cest cela quil
désire" (Expos. in Ps., 36, n°3).
Mais puisque la révélation
extérieure et lobjet nont pas seuls la puissance dattirer, puisque
linstinct intérieur qui pousse et meut ŕ croire la possčde aussi, le Pčre en
attire beaucoup au Fils par cet instinct, effet de lopération divine qui meut
intérieurement le cur de lhomme ŕ croire : Dieu lui-męme est celui qui opčre
en nous le vouloir et son accomplissement 17. Avec des liens humains,
je les attirerai dans les liens de la charité 18 Le cur du
roi est dans la main du Seigneur : il lincline partout oů il veut 19.
936. La deuxičme question est la suivante : puisquil est dit que le Fils attire au Pčre Nul ne connaît le Pčre si ce n'est le Fils et celui auquel le Fils aura voulu le révéler 20 et plus bas jai man ton nom aux hommes que tu mas donnés 21 , comment affirme-t-on ici que le Pčre attire au Fils?
Disons quon peut répondre ŕ cela de deux maničres. En effet, nous pouvons parler du Christ soit selon quil est homme, soit selon quil est Dieu. En tant quhomme, le Christ est la voie : Moi, je suis la voie 22. Ainsi considéré, le Christ conduit au Pčre comme la voie conduit au terme ou au but. Le Pčre nous attire au Christ-homme en tant quil nous donne par sa puissance de croire dans le Christ : Cest par grâce que vous ętes sauvés, par le moyen de la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu 23. En tant que le Christ est Verbe de Dieu et manifestation du Pčre, ainsi le Fils attire au Pčre. Le Pčre, lui, attire au Fils en tant quil le manifeste.
16. Cant 1, 4.
17. Phi 2, 13.
18. Os 11, 4.
19. Prov 21, 1.
20. Mt 11, 27.
21. Jean 17, 6.
22. Jean 14, 6.
23. Eph 2, 8.
937. La troisičme question concerne laffirmation daprčs laquelle personne ne peut venir sil nest attiré par le Pčre; parce qualors, si quelquun ne vient pas au Christ, ce nest pas ŕ lui quil faut limputer, mais ŕ celui qui ne la pas attiré.
Je réponds en disant que, en vérité, personne ne peut venir sil nest attiré par le Pčre. En effet, de męme que ce qui est pesant par nature ne peut par lui-męme se porter vers le haut sil ny est pas attiré par un autre, de męme le cur de lhomme, se portant de lui-męme vers les réalités inférieures, ne peut sélever sil nest pas attiré vers le haut. Mais sil nest pas élevé, la défection nest pas du côté de celui qui attire, parce que, quant ŕ lui, il ne fait défaut ŕ personne; cest parce quil y a un obstacle en celui qui nest pas attiré.
Mais ŕ ce sujet, il faut distinguer lhomme qui est dans létat de nature intčgre de celui qui est dans létat de nature corrompue. En effet, dans la nature intčgre, il ny avait aucun empęchement capable de nous soustraire ŕ cette attraction, et dans cet état, tous les hommes auraient pu avoir part ŕ cette attraction. Mais dans la nature corrompue, tous y sont également soustraits par lobstacle du péché et, pour cette raison, ont besoin dętre entraînés.
Quant ŕ Dieu, il tend la main
ŕ chacun pour lattirer et, qui plus est, non seulement il attire celui qui la
saisit, mais il fait revenir aussi ceux qui se sont détournés de lui :
Fais-nous revenir ŕ toi, Seigneur, et nous reviendrons 24; et dans le psaume 84, selon la
version des Septante : Reviens, toi ô Dieu, et tu nous donneras la vie 25. Du fait que Dieu est pręt ŕ
donner sa grâce ŕ tous et ŕ attirer ŕ lui, si quelquun ne le reçoit pas, ce
nest pas imputable ŕ Dieu, mais ŕ celui qui ne le reçoit pas.
938. Mais pourquoi, de tous ceux qui se sont détournés, nen attire-t-il que certains, bien que tous se soient également détournés? On peut, dune maničre générale, donner pour raison quen ceux qui ne sont pas attirés apparaît et resplendit lordre de la justice divine, et en ceux qui le sont limmensité de la miséricorde divine. Mais pourquoi attire-t-il précisément celui-ci et pas celui-lŕ? Il ny a ŕ cela aucune autre raison que le bon plaisir de la volonté 26 divine. Cest pourquoi Augustin dit : "Quel est celui quil tire et celui quil ne tire pas, pourquoi il tire celui-ci et ne tire pas celui-lŕ, questions dont tu ne dois pas te faire juge si tu ne veux pas te tromper. Saisis-le bien une fois pour toutes et comprends-le : tu nes pas encore tiré. Prie pour ętre tiré" 27.
On peut montrer cela par un exemple : pourquoi lartisan place-t-il certaines pierres en bas, dautres en haut, et dautres sur les côtés? La raison en est le bon arrangement de la maison dont la perfection exige cet ordre. Mais pour quoi place-t-il ces pierres ŕ cet endroit, celles-lŕ ŕ cet autre endroit? Cela dépend de son seul vouloir. De lŕ vient que la raison premičre de larrangement se rapporte au vouloir de lartisan. Ainsi donc, pour la perfection de lunivers, Dieu en attire certains pour quen eux apparaisse sa miséricorde, mais il en est dautres quil nattire pas, pour quen eux sa justice soit manifestée. Mais quil attire ceux-ci et non pas ceux-lŕ, cela relčve du bon plaisir de sa volonté 28. De męme aussi, pourquoi dans lÉglise fait-il de certains des apôtres, dautres des confesseurs, dautres des martyrs? 29 La raison en est la beauté de lEglise et sa perfection. Mais pourquoi a t-il fait de Pierre un Apôtre, dEtienne un martyr et de Nicolas un confesseur? Il ny a pas ŕ cela dautre raison que sa volonté.
Ainsi donc sont manifestes la déficience de la capacité humaine et lassistance que lui porte le secours divin.
24. Lam 5, 21.
25. Ps 84, 7.
26. Eph 1, 5.
27. Tract. in Ioann., XXVI, 2, p. 487.
28. Eph 1, 5. Saint Thomas touche ici le mystčre de la
prédestination et de la réprobation. Nous attribuons ŕ Dieu la Providence,
comme nous attribuons ŕ lhomme la vertu de prudence pour exprimer comment
lintelligence pratique ordonne les moyens ŕ la fin que nous poursuivons. Quand
il sagit dordonner lhomme ŕ sa fin surnaturelle, la vision béatifique, nous
parlons de prédestination : celle-ci ordonne lhomme avec toutes ses capacités,
ses virtualités, en vue de cette fin surnaturelle. En traitant de la
prédestination, saint Thomas regarde aussi le mystčre de la réprobation (Comm. des
Sentences, I, dist. XL; Contra Gentiles, III, ch. 163; Somme théol., I, q. 23,
a. 3); et cela parce que lEcriture elle-męme affirme ŕ la fois la
prédestination et la réprobation (voir Eph 1, 5 et Ro 1, 28). Si Dieu aime
certains dun amour de prédilection, il semble par contre en rejeter dautres,
comme en témoigne ce fameux passage de Malachie, qui a reçu de multiples
interprétations Jai aimé Jacob, et jai eu de laversion (ou de la haine :
odio habui) pour Esaů (Mal 1, 2-3). Saint Thomas cite ce texte de Malachie en
sed contra de larticle de la Somme oů il se demande si la réprobation de
certains hommes appartient ŕ Dieu (I, q. 23, a. 3). "Devant le mystčre du
mal, et du mal qui atteint la personne humaine en ce quelle a de plus
elle-męme, du mal qui est comme son antidestin, le théologien est bien en
présence de la profondeur inson dable des décrets et des intentions de Dieu et
de la liberté de lhomme. Il doit en effet affirmer ŕ la fois, dune part, que
tout relčve non seulement de la prescience de Dieu mais aussi de sa volonté
libre, et, dautre part, que lhomme pčche librement, quil nest pas obligé de
se détourner de Dieu. Le théologien doit affirmer, dune part, que Dieu aime
tous les hommes, quil veut le salut de tous et, dautre part, que certains
hommes, par orgueil, refusent de regarder cet amour. En tant que théologien, il
ne peut opter pour lune de ces affirmations au détriment de lautre. Il doit
les maintenir simultanément dans son intelligence et dans son cur, męme si,
apparemment, elles semblent contradictoires : car sil optait, il ne pourrait
plus contempler le mystčre de Dieu dans sa toute-puissance et son amour, et il
ne pourrait plus regarder lhomme comme limage de Dieu si lhomme navait plus
la liberté daimer. Ce mystčre, si on le considčre dans toute sa profondeur,
est certainement lun des mystčres les plusterribles (au sens étymologique),
celui qui nous met le plus immé diatement dans leffroi, la crainte de Dieu;
mais il est aussi celui qui doit nous établir le plus radicalement dans une
confiance absolue (...). Ce que nous devons dire, cest que Dieu aime tous les
hommes, et que son amour pour les hommes se traduit de diverses maničres : il
aime certains en les prédestinant et en leur donnant la grâce; il en aime
dautres en les laissant libres et en permettant quils sécartent de lui. Le
potier n'est-il pas maître de son argile pour fabriquer de la męme pâte un vase
de luxe et un vase ordinaire?... (voir Ro 9, 21-23). (...) Cet amour de Dieu ŕ
légard de tous les hommes est du reste un amour (...) efficace : ce nest pas
un amour velléitaire. Il sest manifesté ŕ la Croix. Lŕ nous avons compris
combien Dieu aime les hommes, puisquil sest offert pour tous, et sest donné
ŕ tous. Cet amour du Christ crucifié pour tous les hommes est toujours actuel;
il est éternel, il enveloppe tous les hommes; et cest dans la lumičre de cet
amour que nous devons com prendre ce que nous disions précédemment : lamour de
Dieu se tra duit de diverses maničres; il laisse toujours lhomme libre de
répondre et de coopérer, et libre de refuser. Quand lhomme refuse, nous
pouvons dire : Dieu a permis quil pčche; et la conséquence du péché, si le
pécheur demeure enfermé dans son péché, cest la dam nation. Nous ne pouvons
parler de'permission ŕ légard du péché quŕ partir de lexistence męme du
péché; tandis que lorsquil sagit daffirmer la prédestination, il suffit
daffirmer que lamour de Dieu est premier. On ne peut donc pas établir un
parallélisme rigoureux entre les deux affirmations, puisque nous ne pouvons
parler de'per mission de Dieu quŕ partir du péché commis librement par le
pécheur, alors que nous affirmons la prédestination immédiatement ŕ partir de
lamour de Dieu. Cette derničre affirmation nous fait pénétrer dans labîme
infini de lamour de Dieu pour nous, tandis que la premičre doit nous aider ŕ
comprendre le respect infini de Dieu ŕ notre égard, et la dureté de la volonté
pécheresse qui soppose ŕ lamour divin" (M. -D. PHILIPPE, Dieu
réprouve-t-il certains hommes? ; pour les références complčtes de cet article,
voir la bibliographie ŕ la fin de ce volume).
ET
MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR.
939. Il sagit ici de laccomplissement et du fruit du secours divin : la résurrection opérée aussi par le Christ en tant quil est homme. En effet, ŕ cause de ce quil a accompli dans sa chair, nous obtenons le fruit de la résurrection : Ainsi donc, comme par la faute d'un seul ce fut pour tous les hommes la condamnation, de męme, par luvre de justice dun seul, c'est pour tous les hommes la justification qui donne la vie 30. MOI donc, en tant quhomme, JE LE RESSUSCITERAI non seulement pour une vie conforme ŕ notre nature, mais pour une vie de gloire, et cela AU DERNIER JOUR.
La foi catholique, en effet, affirme que le monde existera dune maničre nouvelle : Je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle 31. Et parmi ce qui concourt au renouvellement du monde, nous croyons ŕ larręt du mouvement céleste et par conséquent du temps : Et lange que javais vu debout sur la mer et sur la terre leva sa main droite vers le ciel et jura (...) quil n'aurait plus de temps 32. Parce que, le temps ayant cessé ŕ la résurrection, le jour et la nuit cesseront ŕ leur tour, daprčs ce passage de Zacharie : Ce sera un jour unique il est connu de Yahvé il n'y aura ni jour ni nuit 33, il dit : JE LE RESSUSRAI AU DERNIER JOUR.
29. Cf. 1 Corinthiens 12, 28-30.
30. Ro 5, 18. Cf. aussi I Co 15, 21 plus ŕ propos : Puzsqu'en
effet cest par un homme que vient la mort, cest aussI par un homme que ment
la résurrec tion des morts.
31. Ap 21, 1.
32. Ap 10, 5-6.
33. Zach 14, 7.
940. Mais pourquoi le mouvement du ciel durera-t-il jusquŕ ce moment, ainsi que le temps, au lieu de cesser avant ou de se prolonger au delŕ? Il faut savoir que ce qui est ŕ cause dun autre est disposé de différentes façons, suivant la maničre dont est disposé ce ŕ cause de quoi il est. Or toutes les réalités corporelles ont été faites pour lhomme et, pour cette raison, selon que diffčre la disposition de lhomme ces réalités doivent ętre disposées différemment. Donc, puisquau moment de leur résurrection commencera pour les hommes un état dincorruptibilité Lors donc que cet ętre corruptible aura revętu lincorruptibilité et que cet ętre mortel aura revętu limmortalité... 34 alors la corruption cessera męme dans les réalités du monde, et donc le mouvement du ciel cessera, lui qui est cause de génération et de corruption pour les réalités corporelles : La création, elle aussi, sera libérée de lesclavage de la corruption en vue de la liberté de la gloire des enfants de Dieu 35. Il savčre donc ainsi que lattraction du Pčre nous est nécessaire pour croire.
IL
EST ÉCRIT DANS LES PROPHČTES : TOUS SERONT ENSEIGNÉS PAR DIEU QUICONQUE SEST
MIS Ŕ LÉCOUTE DU PČRE ET Ŕ SON ÉCOLE VIENT Ŕ MOI NON QUE PERSONNE AIT VU LE
PČRE, SI CE NEST CELUI QUI EST DE DIEU : CELUI-LŔ A VU LE PČRE.
941. Par ces paroles, le Seigneur détermine dune part le mode selon lequel lattraction sexerce, dautre part son efficacité [n° 946]. Et il exclut quelle puisse sexercer par la vision, ce que lon aurait pu concevoir [n° 947].
IL
EST ÉCRIT DANS LES PROPHČTES : TOUS SERONT ENSEIGNÉS PAR DIEU
942. Par ces mots lÉvangéliste exprime le mode selon lequel lattraction sexerce. Ce mode concorde avec ce qui a été révélé précédemment de lattraction, puisque le Pčre attire en révélant et en enseignant.. Daprčs Bčde 36 cela a été écrit dans Joël, mais cela ne semble pas y ętre dit expressément, bien quon y trouve quelque chose davoisinant : Et vous, fils de Sion, exultez et réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, car il vous a donné un maître de justice 37. Et pour cette rai son, selon Bčde, le Christ dit DANS LES PROPHETES pour faire comprendre que ce sens peut ętre conclu de diverses paroles des Prophčtes. Mais nous le remarquons de la maničre la plus frappante dans Isaďe : Tous tes fils seront enseignés par le Seigneur 38. Il est dit aussi dans Jérémie : Je vous donnerai des pasteurs selon mon cur, qui vous feront paître avec science et intelligence 39.
34. 1 Corinthiens 15, 54.
35. Ro 8, 21.
943. Le mot TOUS peut se comprendre de trois maničres : il peut désigner soit tous les hommes du monde, soit tous ceux qui sont dans lEglise du Christ, soit tous ceux qui seront dans le Royaume des cieux.
Si TOUS est pris dans le premier sens, il apparaît clairement que laffirmation nest pas vraie. En effet, le Christ ajoute aussitôt : QUICONQUE SEST MIS A LECOUTE DU PERE ET A SON ECOLE VIENT A MOI Si donc tous les hommes du monde étaient enseignés par Dieu, tous viendraient au Christ. Mais cela est faux, car tous nont pas la foi.
A cela il y a trois réponses. En effet, selon Chrysostome 40 il faut dire que cela concerne la plupart des hommes. Ils seront, dit-il, TOUS, cest-ŕ-dire le plus grand nombre... Cest en ce sens quil est dit en Matthieu : Beau coup viendront de lOrient et de lOccident 41.
La deuxičme réponse est que TOUS, pour autant que cela dépend de Dieu, SERONT ENSEIGNES. Mais si certains ne le sont pas, et cest un fait, cela dépend deux. Le soleil en effet, quant ŕ lui, illumine tout, mais il se peut que certains ne le voient pas sils ferment les yeux ou sils sont aveugles. Cest en ce sens que lApôtre dit : Dieu (...) veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent ŕ la connaissance de la vérité 42.
La troisičme réponse est dAugustin 43 il sagit ici dun universel restreint par son contexte, de telle sorte quon dit : TOUS SERONT ENSEIGNES PAR DIEU, cest-ŕ-dire tous ceux qui sont enseignés sont enseignés par Dieu. Ainsi, parlant de quelquun qui enseigne les lettres, nous disons, sil enseigne dans la cité : lui seul enseigne tous les enfants de la cité, parce quaucun ny est enseigné si ce nest par lui. En ce sens, il est dit plus haut : Il était la lumičre, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde 44.
36. Il ne nous a pas été possible de trouver cette affirmation
dans Bčde, ni dans la Glose ordinaire.
37. Jo 2, 23 selon la Vulgate.
38. Isaďe 54, 13.
39. Jérémie 3, 15.
40. In Ioannein hom., 46, ch. 1, col. 258.
41. Mt 8, 11.
944. Si maintenant sont visés ceux qui sont dans lEglise, il est dit proprement quILS SERONT TOUS, cest-ŕ-dire ceux qui sont dans lEglise, ENSEIGNES PAR DIEU En effet, il est dit dans Isaďe : Tous tes fils seront enseignés par le Seigneur 45 ce qui montre la transcendance de la foi chrétienne qui nest pas liée ŕ un enseignement humain, mais ŕ celui de Dieu 46.
En effet, lenseignement de lAncien Testament avait été donné par les Prophčtes, mais celui du Nouveau Testament a été donné par le Fils de Dieu lui-męme : Aprčs avoir ŕ bien des reprises et de bien des maničres, cest-ŕ-dire dans lAncien Testament, parlé jadis ŕ nos pčres par les Prophčtes, Dieu, en cette fin des jours, nous a parlé par le Fils; et dans la męme épître : Le salut annoncé dabord par Notre Seigneur nous a été confirmé par ceux qui lont entendu 47. Ainsi donc, tous ceux qui sont dans lEglise sont enseignés non pas par les Apôtres ou les Prophčtes, mais par Dieu lui-męme. Et selon Augustin 48, cela męme qui est enseigné par lintermédiaire dun homme lest par Dieu qui enseigne de lintérieur : Vous navez quun seul maître : le Christ 49. En effet lintelligence, qui nous est tout particuličrement nécessaire pour recevoir lenseignement, nous vient de Dieu.
42. 1 Tm 2, 4.
43. Depraedestinatione sanctorum, 8, 14; BA 24, p. 508.
44. Jean 1, 9.
45. Isaďe 54, 13.
46. Cf. CHRYSOSTOME, op. cII 46, ch. 1,
col. 258.
47. He 1, 1 et 2, 3.
48. Tract, in Ioann., XXVI, 7, pp. 499-50
1.
945. Si enfin lon considčre ceux qui sont dans le Royaume des cieux, alors TOUS SERONT ENSEIGNES PAR DIEU parce quils verront immédiatement son essence : Nous le verrons tel qu'il est 50.
QUICONQUE
SEST MIS Ŕ LÉCOUTE DU PČRE ET Ŕ SON ECOLE VIENT Ŕ MOI
946. Ces mots nous révčlent que lattraction du Pčre est souverainement efficace. LEvangéliste la considčre de deux maničres : en tant quelle relčve du don de Dieu lors quil dit : QUICONQUE SEST MIS A LECOUTE, ŕ savoir de Dieu qui révčle; en tant quelle relčve du libre arbitre lors quil dit : ETA SON ECOLE, par ladhésion de lintelligence. Et écouter celui qui enseigne, puis saisir ce quon a écouté, est bien nécessaire ŕ tout enseignement! Cela lest donc aussi ŕ lenseignement de la foi.
QUICONQUE SEST MIS Ŕ L'ECOUTE DU PČRE qui enseigne et manifeste, ET A SON ECOLE en donnant son adhésion, VIENT A MOI Il VIENT, dis-je, de trois maničres : par la connaissance de la vérité, par lélan de lamour et par limitation de luvre. Et en chacune de ces maničres, il lui faut écouter et apprendre.
En effet, celui qui vient par la connaissance de la vérité doit écouter, puisque Dieu linspire Jécouterai ce que dit en moi le Seigneur Dieu 51, et apprendre en donnant son adhésion, comme on la dit. Celui qui vient au Christ par lamour et le désir selon quil est dit plus loin : Si quelqu'un a soif, cest-ŕ-dire désire, qu'il vienne ŕ moi et qu'il boive 52 doit aussi écouter la parole du Pčre et la faire sienne, afin den pénétrer le sens et pour quelle enflamme en lui le désir. Celui-lŕ, en effet, apprend une parole, qui la saisit selon le sens quelle a pour celui qui la dit; or la Parole, le Verbe de Dieu le Pčre, est celui qui spire lAmour; donc, celui qui le reçoit avec la ferveur de lAmour apprend : La Sagesse (...) se répand dans les âmes saintes, elle en fait des amis de Dieu et des prophčtes 53. Enfin, on va au Christ par limitation de son uvre : Venez ŕ moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous donnerai le repos 54. Et cest encore de cette maničre que quiconque apprend vient au Christ : en effet, la conclusion est au savoir ce que laction est ŕ lagir. Or, dans les sciences, celui qui apprend parfaitement parvient ŕ la conclusion; et donc, dans lagir, celui qui apprend parfaitement les paroles en vient ŕ laction droite : Le Seigneur ma ouvert loreille, et moi je ne me suis pas rebellé 55.
49. Mt 23, 10.
50. 1 Jean 3, 2.
51. Ps 84, 9.
52. Jean 7, 37.
[3,
46] NON QUE PERSONNE AIT VU LE PČRE, SI CE NEST CELUI QUI EST DE DIEU :
CELUI-LŔ A VU LE PČRE.
947. Mais parce que certains pourraient penser que les hommes entendraient sensiblement la voix du Pčre et apprendraient ainsi de lui, le Seigneur ajoute, afin dexclure cette opinion : NON QUE PERSONNE AIT VU LE PERE, cest-ŕ-dire aucun homme en cette vie na vu le Pčre dans son essence L'homme ne peut me voir et vivre 56, SI CE NEST CELUI, cest le Fils, QUI EST DE DIEU; CELUI-LA A VU LE PERE, son Pčre, dans son essence. Ou bien : PERSONNE na vu le Pčre de la vision de compréhension 57, vision que ni lhomme ni lange nont jamais eue, ni ne peuvent avoir, SI CE NEST CELUI QUI EST DE DIEU, cest-ŕ-dire le Fils : Nul ne connaît le Pčre si ce nest le Fils 58.
En voici la raison : puisque
toute vision et connaissance se font par une certaine similitude, la
connaissance que les créatures ont de Dieu découle du mode de similitude quel
les ont par rapport ŕ Dieu. A cause de cela, les philosophes disent que les
intelligences connaissent la cause premičre dans la mesure oů elles en ont la
similitude. Et toute créature a en participation une certaine similitude de
Dieu, mais infiniment distante de la similitude de sa nature; et, ŕ cause de
cela, aucune créature ne peut connaître Dieu lui-męme parfaitement et
totalement, selon ce quil est dans sa nature. Le Fils, lui, parce quil a reçu
parfaitement toute la nature du Pčre par la génération éternelle, le voit
totalement et le comprend.
948. Notons bien la pertinence de lordre du discours. En effet, lorsquil parlait plus haut de la connaissance des autres, le Christ a parlé en terme daudition; mais ici, lors quil parle de la connaissance du Fils, il parle de vision. En effet, la connaissance par la vue est immédiate et évidente, alors que, par louďe, nous connaissons par lintermédiaire de celui qui voit 59. Ainsi, la connaissance que nous avons du Pčre, nous lavons reçue du Fils qui voit; de telle sorte que nul ne connaît le Pčre si ce nest par le Christ qui le manifeste, et nul ne vient au Fils sil na entendu le Pčre qui le manifeste.
53. Sag 7, 27.
54. Mt 11, 28.
55. Isaďe 50, 5.
56. Ex 33, 20.
57. C n° 868, note 83.
58. Mt II, 27.
II
949. Le murmure des Juifs réprimé 60, le Seigneur prend en compte la difficulté née dans le cur des Juifs au sujet de la parole quil avait dite : Moi, je suis le pain (...) qui suis descendu du ciel 61; il a lintention de prouver que cest ŕ son sujet quelle est vraie, et il argumente ainsi : Ce pain descend du ciel qui donne la vie au monde; mais MOI JE SUIS LE PAIN qui donne la vie au monde; je suis donc LE PAIN QUI SUIS DESCENDU DU CIEL.
Il répond en trois temps : En posant dabord ce qui est comme la mineure de son raisonnement [n° 950], puis la majeure, cest-ŕ-dire que le pain descendu du ciel doit don ner la vie [n° 952]; enfin il conclut [n° 956]. Dans le premier temps, il manifeste son propos, puis il infčre ce quil voulait montrer comme étant prouvé.
59. Cf. vol. II, n° 534 et note 66, p. 107.
60. Cf. n° 932.
61. Cf. Jean 6, 41.
AMEN,
AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI CROIT ENMOI A LA VIE ÉTERNELLE.
950. Son propos est de montrer quil est le pain de vie. Or, pour que le pain vivifie, il faut en prendre; et il est évident que celui qui croit en le Christ le prend au-dedans de lui-męme : Que le Christ habite en vos curs par la foi 62. Si donc celui qui croit en le Christ a la vie, il est manifeste que cest en mangeant ce pain quil est vivifié : Ce pain est donc le pain de vie. Et cest ce quil dit : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI CROIT EN MOI, ŕ savoir dune foi formée 63, qui rend parfaite non seulement lintelligence, mais aussi la volonté aimante (en effet, on ne tend vers la réalité en laquelle on croit que si on laime), A LA VIE ETERNELLE.
Or le Christ est en nous de deux maničres : dans lintelligence par la foi, dans la mesure oů il y a foi, et dans la volonté par la charité qui informe la foi : Celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui 64. Qui donc croit dans le Christ de telle sorte quil tende vers lui, le possčde dans la volonté et lintelligence. Et si nous ajoutons que le Christ est la vie éternelle 65, ainsi quil est dit : (...) afin que nous soyons dans le véritable, dans son Fils Jésus-Christ; celui-ci est le Dieu véritable et la vie éternelle; et plus haut : En lui était la vie 66, nous pouvons inférer que quiconque croit en le Christ a la vie éternelle. Il la, dis-je, dčs ici-bas, dans sa cause et en espérance; et un jour il laura dans sa réalité pléničre.
62. Eph 3, 17.
63. Cf. vol. II, n° 485. note 24, pp. 69-70.
64. 1Jn4, 16.
65. 1 Jean 5, 20.
66. Jean 1, 4.
JE
SUIS LE PAIN DE VIE.
951. Une fois son propos manifesté, il infčre ce quil veut montrer en disant : MOI JE SUIS LE PAIN DE VIE, cest-ŕ-dire qui donne la vie, ainsi quil découle clairement des prémisses. De ce pain, il est dit : Aser, son pain est riche; il donnera leurs délices, cest-ŕ-dire celles de la vie éternelle, aux rois 67.
VOS
PČRES ONT MANGÉ LA MANNE DANS LE DÉSERT ET ILS SONT MORTS. TEL EST LE PAIN QUI
DESCEND DU CIEL : SI QUELQUUN EN MANGE, IL NE MEURT PAS.
952. En disant ces paroles, le Christ pose la majeure, cest-ŕ-dire que donner la vie est leffet du pain qui descend du ciel. Il met dabord son propos en lumičre [n° 953] avant de lexposer [n° 955].
VOS
PČRES ONT MANGÉ LA MANNE DANS LE DÉSERT ET ILS SONT MORTS.
953. Il met son propos en lumičre par son contraire. On a dit en effet plus haut que Moďse na pas donné aux Juifs le pain du ciel, sauf si par ciel on entend les airs 68; or tout pain qui nest pas du ciel véritable ne peut donner une vie suffisante : il est donc propre au pain du ciel de donner la vie. Et cest pourquoi le pain de Moďse dont vous vous enorgueillissez ne donne pas la vie. Il le prouve en disant : VOS PERES ONT MANGE LA MANNE DANS LE DESERT ET ILS SONT MORTS.
Ici, il leur reproche dabord leur vice en disant : VOS PERES. En effet, vous en ętes les fils non seulement selon lorigine de la chair, mais aussi par limitation des uvres, puisque vous ętes de la race de ceux qui murmurent, comme eux-męmes murmurčrent sous leurs tentes 69 et cest pourquoi il leur disait : Vous mettez un comble ŕ la mesure de vos pčres Aussi saint Augustin dit-il quen aucune chose le peuple na plus offensé Dieu quen murmurant contre lui 71.
En second lieu, il laisse entendre que le laps de temps fut bref, lorsquil dit DANS LE DESERT En effet il ne dura pas, le temps pendant lequel la manne leur fut donnée : pro diguée au désert, elle ne leur fut plus donnée aprčs leur entrée en terre promise, comme le dit le livre de Josué 72. Ce pain-lŕ, par contre, maintient en vie et restaure pour léternité ceux qui le mangent 73.
Il manifeste enfin les limites de cette nourriture : elle ne maintient pas la vie indéfiniment. Cest pour cela quil dit : ET ILS SONT MORTS. De fait, selon le livre de Josué, tous ceux qui, ŕ lexception de Josué et de Caleb, avaient murmuré 74, moururent au désert. Telle fut la cause de la seconde circoncision : tout le peuple qui était sorti dEgypte était mort au désert, comme le dit le livre de Josué 75.
67. Gn 49, 20.
68. Cf. n° 909 et Somme théologique, I, q. 68, a. 4.
69. Ps 105, 25.
954. Mais on peut se demander de quelle mort Dieu parle ici. En effet, sil parle de la mort corporelle, il ny aura aucune différence entre le pain du désert et notre pain 76 qui descend du ciel, parce que męme les chrétiens qui prennent ce pain connaissent la mort physique. Mais sil parle de la mort spirituelle, il est clair que dans les deux cas, certains meurent spirituellement, dautres pas. En effet, Moďse et la foule de ceux qui plurent au Seigneur échappčrent ŕ la mort, alors que dautres la connurent. De męme, ceux qui prennent ce pain indignement meurent spirituellement : Quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement (...), cest sa propre condamnation quil mange et boit 77.
A cela il faut répondre que la nourriture prodiguée au désert possčde un point commun avec notre nourriture spirituelle, en tant que les deux signifient la męme réalité : en effet lune et lautre signifient le Christ. Cest pour cela quon dit quelles sont la męme nourriture : Tous ont mangé la męme nourriture spirituelle et tous ont bu la męme boisson spirituelle ils buvaient en effet ŕ un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était le Christ 78. Il dit la męme parce que lune et lautre sont la figure de la nourriture spirituelle. Mais elles diffčrent parce que la manne la figurait seulement, tandis que ce pain con tient ce quil figure, cest-ŕ-dire le Christ lui-męme 79.
Il faut donc dire que dans lun et lautre cas, on peut se nourrir de deux maničres. Ou bien on prend la nourriture en regardant matériellement le signe, cest-ŕ-dire quon en use comme dune simple nourriture terrestre sans en saisir la signification, et prise ainsi elle ne supprime ni la mort spi rituelle, ni la mort physique. Ou bien on la prend sous ses deux aspects de signe et de signifié, cest-ŕ-dire que lon prend la nourriture visible de telle sorte que lon saisisse la nourriture spirituelle, quon la goűte spirituellement pour ętre spirituellement rassasié. Ainsi ceux qui ont mangé la manne spirituellement ne sont pas morts spirituellement. Mais ceux qui mangent lEucharistie spirituellement, cest-ŕ-dire sans péché, vivent spirituellement maintenant, et vivront avec leurs corps pour léternité. Notre nourriture a donc ceci de plus que la leur : elle contient en elle ce quelle figure.
70. Mt 23, 32.
71. Tract. inlo., XXVI, 11, p. 511.
72. Cf. Jos 5, 12.
73. Cf. CHRYSOSTOME, In Ioannem hom.,
46, ch. 2, col. 259.
74. Cf. Nomb 14, 6-9 Josué, fils de Noun, et Caleb, fils de
Yephounnč (...) dirent ŕ toute la communauté des fils d'Israël : "(...) Ne
vous révoltez pas contre Yahvé le Seigneur. " Et aussi Sir 46, 7-8 [Josué]
(...) avait montré sa fidélité, lui et Caleb (...), tenant ferme face ŕ
lassemblée, détournant le peuple du péché et apaisant les murmures mauvais. Aussi
eux deux furent-ils seuls sauvés sur six cent mille hommes de pie4 pour ętre
introduits dans l'héritage, dans un pays ruisselant de lait et de miel.
75. Cf. Jos 5, 3-9.
76. Mt 6, 11.
TEL
EST LE PAIN QUI DESCEND DU CIEL : SI QUELQUUN EN MANGE, IL NE MEURT PAS.
955. Son propos étant manifesté, le Christ infčre ici ce quil veut montrer. Et selon la Glose, il dit TEL en se désignant lui-męme 80. Mais ce nest pas lŕ la pensée du Seigneur, car en ajoutant aussitôt : MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT QUI SUIS DESCENDU DU CIEL, il ne ferait que se répéter.
Il faut donc dire que lintention du Seigneur est la suivante : descend du ciel le pain qui peut donner la vie; or moi, je suis tel; donc, je suis LE PAIN QUI DESCEND DU CIEL. Et si LE PAIN QUI DESCEND DU CIEL donne la vie sans fin, cest parce que tout aliment nourrit selon la propriété de sa nature. Or les réalités célestes sont incorruptibles; donc cette nourriture, étant céleste, ne se corrompt pas, et par conséquent vivifie aussi longtemps quelle demeure. Celui donc qui en aura mangé ne mourra pas. De męme que si une nourriture corporelle ne se corrompait jamais, en nourrissant elle ne cesserait de vivifier. Voilŕ pourquoi ce pain a été signifié par larbre de vie qui, au milieu du paradis, donnait dune certaine maničre la vie pour toujours : Et maintenant, il ne faudrait pas quAdam avance la main et quil prenne aussi de larbre de vie, qu'il en mange et vive ŕ jamais 81. Si leffet de ce pain est que celui qui en mange ne meure pas, moi aussi je suis tel, et donc
77. 1 Corinthiens 11, 27 et 29.
78. 1 Corinthiens 10, 3-4.
79. Tout le paragraphe 954, jusquici, est inspiré directement
de saint Augustin (op. cit., XXVI, 12, pp. 513-515).
956. A propos du verset suivant, il développe deux aspects. Il parle dabord de lui-męme dune maničre générale [n° 957] puis de maničre précise ŕ propos de son corps [n° 959]. A son sujet, il souligne deux aspects : il conclut dabord quant ŕ sa propre origine [n° 957] puis il dévoile sa puissance [n° 958].
MOI
JE SUIS LE PAIN VIVANT QUI SUIS DESCENDU DU CIEL.
957. Il dit donc, MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT, et cest pourquoi je peux donner la vie. Le pain corporel en effet ne vivifie pas pour léternité, parce quil na pas la vie en lui-męme. Mais sil vivifie, cest en étant altéré et transformé en nourriture par la puissance du vivant.
QUI SUIS DESCENDU DU CIEL : on a exposé plus haut comment il en était descendu 82. Par lŕ sont exclues les hérésies de ceux qui disent que le Christ nest quun homme, parce que sil en était ainsi, il ne serait pas descendu du ciel.
80. Glossa ordinaria (attribuée ŕ WALAFRID STRABON), Evangelium
bannis, PL 114, col. 384 C.
81. Gn 3, 22.
SI
QUELQUUN MANGE DE CE PAIN, IL VIVRA ÉTERNELLEMENT; ET LE PAIN QUE MOI JE
DONNERAI, CEST MA CHAIR POUR LA VIE DU MONDE.
958. Sa puissance est de
donner la vie éternelle, et cest pourquoi il dit : SI QUELQUUN MANGE DE CE
PAIN, cest-ŕ-dire spirituellement, IL VIVRA non seulement dans le présent par
la foi et la justice, mais ETERNELLEMENT : Quiconque vit et croit en moi ne
mourra pas pour léternité 83.
959. Ensuite, il parle
dune maničre particuličre de son corps lorsquil dit : ET LE PAIN QUE MOI JE
DONNERAI, CEST MA CHAIR. Il avait dit en effet quil était LE PAIN VIVANT, et
pour quon ne comprenne pas que cela lui appartient seulement en tant que
Verbe, ou en raison de son âme, il montre que sa chair elle-męme est
vivifiante; elle est en effet lorgane de sa divinité. Cest pourquoi, puisque
linstrument agit par la vertu de lagent, de męme que la divinité du Christ
est vivifiante, ainsi, comme le dit Damascčne 84 sa chair aussi
vivifie par la puissance du Verbe auquel elle est liée. De lŕ vient que le
Christ, par son toucher, guérissait les infirmes. Ainsi donc, ce quil a dit
plus haut, MOI JE SUIS LE PAIN VIVANT, relčve de la puissance du Verbe, mais ce
quil ajoute ici relčve de la communion ŕ son corps, cest-ŕ-dire au sacrement
de lEucharistie.
960. Nous pouvons ici, ŕ propos de ce sacrement, prendre quatre points en considération : lespčce, lautorité de celui qui linstitue, la vérité du sacrement et son utilité.
Lespčce de ce sacrement est le pain : Venez et mangez mon pain 85. La raison en est que cest le sacrement du corps du Christ. Et le corps du Christ est lEglise qui, ŕ partir de la multitude des fidčles, sérige dans lunité dun corps. Cest donc le sacrement de lunité de lEglise : Nous sommes un seul corps dans le Christ 86. Ainsi, parce que le pain est fait de grains multiples et divers, il est lespčce convenant ŕ ce sacrement : ET LE PAIN QUE MOI JE DONNERAI, CEST MA CHAIR 87.
82. Cf. vol. II, n" 467 ss.
83. Jean 11, 26.
84. Il sagit trčs probablement des ch. 59-6 1 du De Fďde
orthodoxa (III, 15-17, PG 94, col. 1047-1072) oů saint Jean Damascčne
étudie les rap ports entre la nature humaine et la nature divine dans le Christ.
961. Lauteur de ce sacrement est le Christ. De fait, bien que le prętre consacre, cest le Christ lui-męme qui confčre au sacrement sa vertu parce que le prętre consacre en la personne du Christ (in persona Christi). Aussi, dans les autres sacrements, le prętre fait usage de ses propres paroles cest-ŕ-dire celles de l'Eglise , mais dans celui-ci, il reprend les paroles du Christ, parce que, de męme que le Christ a livré son corps ŕ la mort de sa propre volonté, de męme cest par sa puissance quil se donne en nourriture : Prenant le pain, il le bénit et le rompit, le donna ŕ ses disciples et dit : Prenez et mangez, ceci est mon corps 88. Et cest pour cela quil dit QUE MOI JE DONNERAI; et il dit DONNERAI parce que ce sacrement navait pas encore été institué.
85. Prov 9, 5.
86. Ro 12, 5. Saint Thomas commente : "Lunité du corps
mystique est spirituelle; par elle, nous sommes unis mutuellement ŕ Dieu (per
quam invzcem unimur Deo) par la foi et lamour de charité, selon cette parole
Un seul corps et un seul esprit (Eph 4, 4). Et parce que lesprit dunité en
nous est dérivé du Christ, Si quelquun na pas lesprit du Christ, il ne lui
appartient pas (Ro 8, 9) , lApôtre ajoute : dans le Christ qui, par son
esprit quil nous donne, nous unit les uns aux autres, et ŕ Dieu Quils
soient un en nous, comme nous sommes un (Jean 17, 22)" (Ad Rom. lect.,
XII, leç. 2, n° 974).
87. Ce symbolisme a souvent été relevé par les Pčres, et saint
Thomas sen fait lécho, reprenant sans doute la parole de saint Augustin ŕ
propos du męme passage : "Comme des hommes de Dieu lont déjŕ compris
avant nous, notre Seigneur Jésus-Christ a présenté son corps et son sang sous
des réalités dont lunité provient déléments multiples, car il faut de
multiples grains pour que soit fait un seul pain" (op. cit., XXVI, 17, p. 525;
sans aucun doute, saint Augustin se réfčre ŕ SAINT CYPRIEN, Epist. 63, 13, 4;
cf. note complémentaire au texte de saint Augustin, p. 823).
88. Mt 26, 26.
962. Quant ŕ la vérité de ce sacrement, il la laisse entendre en disant CEST MA CHAIR. Il ne dit pas "signifie ma chair" mais EST MA CHAIR, parce que selon la vérité de la réalité, la nourriture prise est vraiment le corps du Christ : Les hommes de sa maison n'ont-ils pas dit : Qui a donné de sa chair pour que nous soyons rassasiés? 89 Mais puisque dans ce sacrement est contenu le Christ tout entier, pourquoi a-t-il dit seulement : CEST MA CHAIR? Sur ce point, il faut savoir que dans ce sacrement damour 90, le Christ tout entier est vraiment contenu, mais alors que le corps y est contenu en vertu de la conversion [des espčces] 91, la divinité et lâme, elles, y sont par concomitance naturelle. En effet, si par impossible la divinité était séparée du corps du Christ, elle ne serait plus dans le sacrement. De męme si, au cours des trois jours de sa mort, quelquun avait consacré, lâme du Christ naurait pas été présente, mais son corps, tel quil était en croix ou au sépulcre. Et il dit CHAIR aussi pour une autre raison : puisque ce sacrement est le mémorial de la Passion du Seigneur Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur 92-, et que la Passion du Seigneur fut possible grâce ŕ la faiblesse du corps Il a été crucifié ŕ cause de sa faiblesse 93-, pour signifier cette faiblesse ŕ cause de laquelle il est mort, il préfčre dire CHAIR; ce nom, en effet, signifie la faiblesse.
89. Jb 31, 31.
90. In illo mystico sacramento.
91. Corpus est ibi ex vi conversione. Conversio substantiae est lexpression théologique qui exprime
le changement de la substance du pain et de la substance du vin dans la
substance du corps et du sang de Notre Seigneur. En fait, le terme
"conversion" désigne dune maničre commune tout mouvement naturel. Le
théologien sen sert analogiquement pour exprimer le changement qui se réalise
dans la consécration du pain et du vin. On passe du devenir ŕ lętre; en effet,
tout mouvement naturel se réalise dans un sujet qui demeure, alors quici ce
changement se réalise au niveau de la substance. Cest ŕ cause de cela quil
fait appel ŕ la toute-puissance de Dieu qui peut seule agir sur lętre. La
substance du pain et la substance du vin sont transformées dans la substance du
corps et du sang du Christ : les espčces demeurent, mais ce quil y a dętre
radical et premier est converti dans la substance du corps et du sang du Christ.
Dčs le onzičme sičcle, les théologiens ont utilisé le terme de
"transsubstantiation" pour désigner ce changement. Saint Thomas
précise en parlant de "conversion de substance" (voir Somme théol.,
III, q. 75, a. 2 et a. 4).
92. 1 Corinthiens 11, 26.
963. Enfin, lutilité de ce
sacrement est grande et universelle. Elle est grande parce quelle produit en
nous dčs maintenant la vie spirituelle, et finalement la vie éternelle, ainsi
quon la dit 94. En effet, comme la
fait apparaître lex posé, puisque ce sacrement est celui de la Passion du
Seigneur, il contient en lui le Christ souffrant; donc, tout ce qui est effet
de la Passion du Seigneur lest aussi en plénitude de ce sacrement. Ce
sacrement nest en effet rien dautre que la Passion du Seigneur qui nous est
communiquée. En effet, il ne convenait pas que le Christ soit toujours avec
nous selon [le mode de] sa présence physique. Pour cette raison, il a voulu y suppléer par le moyen de ce sacrement.
Il est ainsi évident que la destruction de la mort que le Christ a opérée en
mourant et le renouvellement de la vie quil a réalisé en ressuscitant sont
leffet de ce sacrement.
964. Son utilité est aussi universelle, parce que la vie quil confčre nest pas seulement la vie pour un homme, mais, quant au sacrement, pour le monde entier, vie ŕ laquelle la mort du Christ suffit : Il est lui-męme expiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux du monde entier 95.
Il faut remarquer quautre est la maničre dont le Christ est dans ce sacrement, autre celle dont il est dans les autres. En effet, les autres sacrements ont des effets sur un individu; dans le baptęme par exemple, seul le baptisé reçoit la grâce. Mais dans limmolation de ce sacrement, leffet est universel, puisque non seulement le prętre en bénéficie, mais aussi ceux pour lesquels il prie et toute lEglise, tant celle des vivants que celle des morts, et cela parce quen lui est contenue la cause universelle de tous les sacrements, cest-ŕ-dire le Christ 96. Cependant, si un laďc consomme ce sacrement 97, celui-ci nest pas utile aux autres sil est considéré dans sa puissance propre de sacrement en tant quil est consommé; mais en vertu de lintention du célébrant et du communiant, il peut ętre communiqué ŕ tous ceux vers qui ils dirigent leur intention. Il ressort de lŕ que les laďcs qui consomment lEucharistie pour le salut de ceux qui sont dans le purgatoire sont dans lerreur.
94. Voir n 950, 954-955 et 958.
95. lJn 2, 2.
96. Voir Somme théol., III, q. 64, a. 3 et q. 79, a. 7.
965. Plus haut, le Seigneur a réprimé le murmure des Juifs né au sujet de lorigine de la nourriture spirituelle. Ici, il met fin au litige qui les opposait sur la consommation de cette nourriture. LEvangéliste expose dabord le litige [n° 966] que le Seigneur fait cesser [n° 967], puis il indique le lieu oů cela se passa [n° 982].
LES
JUIFS DONC DISPUTAIENT ENTRE EUX, DISANT : COMMENT CELUI-CI PEUT-IL NOUS DONNER
SA CHAIR Ŕ MANGER?"
966. LÉvangéliste introduit le litige par mode de conclusion en disant : LES JUIFS DONC DISPUTAIENT ENTRE EUX; et cest ŕ juste titre. En effet, daprčs Augustin 98, le Seigneur leur avait parlé de la nourriture de lunité par laquelle ceux qui sont restaurés sont rassemblés en un męme esprit : Les justes festoieront et ils exulteront en présence de Dieu, et ils se réjouiront dune grande joie 99, ce qui continue ainsi, daprčs une autre version : Lui qui fait habiter ceux qui sont d'un męme esprit dans sa maison 100. Les Juifs, puisquils navaient pas con sommé la nourriture qui unit les curs, étaient donc en conflit : Voici, vous ne vivez que pour vos querelles et vos rivalités 101. Du fait quils étaient en conflit, ils montraient quils se comportaient selon la chair : Puisque lenvie et la rivalité sont entre vous, n'ętes-vous pas de la chair 102. Et pour cette raison, ils comprenaient ces paroles du Seigneur selon la chair, cest-ŕ-dire quon mangerait la chair du Christ comme une nourriture terrestre. Ainsi, ils disent : COMMENT CELUI-CI PEUT-IL NOUS DONNER SA CHAIR A MANGER? comme sils disaient : cest impossible; cest ainsi que leurs pčres aussi avaient parlé contre le Seigneur : Notre âme est dégoűtée de cette nourriture sans consistance 103.
97. Ex opere operato.
98. Tract, in Ioann., XXVI, 14, p. 519,
cité librement. Saint Thomas se réfčre comme
saint Augustin au psaume 67, 7 (LXX) et, pour mieux mettre en valeur la notion
dunité spirituelle, reprend lexpression de la Rčgle de saint Augustin qui
porte unanimes.
99. Ps 67, 4.
100. Ps 67, 7.
JÉSUS
LEUR DIT DONC : "AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : SI VOUS NE MANGEZ LA
CHAIR DU FILS DE LHOMME ETNEBUVEZ SON SANG, VOUS NAUREZ PAS LA VIE EN VOUS. QUI
MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG A LA VIE ÉTERNELLE; ET MOI JE LE RESSUSCITERAI
AU DERNIER JOUR. CAR MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE ET MON SANG EST
VRAIMENT UNE BOISSON. "
967. Mais le Seigneur met
fin ŕ ce litige. Il expose dabord quelle vertu est liée ŕ la consommation de
cette nourriture [n°
967] avant den donner lévidence [n° 975]. Il met fin au
litige en montrant la nécessité de manger sa chair [n° 968], lutilité de
cet acte [n°
971] et la vérité de cet aliment [n° 974].
101. Isaďe 58, 4.
102. 1 Corinthiens 3, 3. Saint Thomas commente : "Il faut remarquer ici que lApôtre unit ŕ juste titre
lenvie et la rivalité, parce que lenvie, cest-ŕ-dire la jalousie, est
matičre ŕ rivalité. Celui qui est jaloux, en effet, sattriste de voir un autre
posséder le bien que lui-męme sefforce de développer; et cela a pour
conséquence la rivalité. Cest pourquoi il est dit : Lŕ oů se trouvent la
jalousie et la rivalité, lŕ se trouvent linconstance et toute uvre dépravée
(Ja 3, 16). A linverse, la charité, par laquelle on aime (diligit) le bien de
lautre, est la matičre de la paix. Il faut ensuite remarquer que la jalousie
et la rivalité nont leur place que chez les hommes charnels, parce quils sont
touchés par les biens sensibles, qui ne peuvent ętre possédés intégralement par
plusieurs ŕ la fois. Du fait que quelquun possčde un bien sensible, lautre
est empęché de le posséder pleinement, et cela a pour conséquence la jalousie,
et donc la rivalité. Mais les biens spirituels, qui touchent les hommes
spirituels, peuvent ętre possédés par plusieurs ŕ la fois; et cest pourquoi le
bien de lun nest pas lobstacle de lautre; ŕ cause de cela, ni la jalousie
ni la rivalité nont de place chez ces hommes-lŕ Je la communique [sagesse]
sans envie (Sag 7, 13)", (Ad I Cor. lect., III, leç. 1, n° 128-129).
103. Nomb 21, 5.
JÉSUS
LEUR DITDONC : "AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : SI VOUS NE MANGEZ LA CHAIR
DU FILS DE L'HOMME ET NEBUVEZ SON SANG, VOUS NAUREZ PAS LA VIE EN VOUS. "
968. Jésus leur dit ces
mots comme pour exprimer ceci : vous tenez pour impossible et inconvenant de
manger ma chair; or non seulement ce nest pas impossible, mais cest męme tout
ŕ fait nécessaire dans la mesure oů, SI VOUS NE MANGEZ LA CHAIR DU FILS DE
LHOMME ET NE BUVEZ SON SANG, VOUS NAUREZ PAS, cest-ŕ-dire que vous ne
pourrez pas avoir EN VOUS LA VIE, sous-entendu spirituelle. En effet, de męme
que la nourriture corporelle est si nécessaire ŕ la vie corporelle que, sans
elle, la vie corporelle ne peut pas ętre Ils donnent leurs objets précieux
pour de la nourriture qui leur rendrait la vie 104 et dans le
psaume : Le pain fort le cur de lhomme 105, ainsi la nourriture
spirituelle est nécessaire ŕ la vie spirituelle ŕ tel point que, sans elle, la
vie spirituelle ne peut ętre maintenue : L'homme ne vit pas seulement de pain,
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu 106.
969. Notons aussi que cette affirmation peut se rapporter soit ŕ la manducation spirituelle soit ŕ la manducation sacramentelle. Si elle se rapporte ŕ la manducation spirituelle, elle noffre aucune difficulté. En effet, mange spirituellement la chair du Christ et boit son sang celui qui est fait participant de lunité de lEglise réalisée par la charité : Parce quil n a quun pain, plusieurs nous ne sommes quun corps, car tous, nous participons ŕ ce pain unique 107. Donc celui qui ne mange pas ainsi est hors de lÉglise et par conséquent hors de la charité; cest pourquoi il na pas la vie en lui : Celui qui naime pas demeure dans la mort 108.
Mais si elle se rapporte ŕ la manducation sacramentelle, ce qui est dit pose un problčme. De fait, il est dit plus haut : Personne, ŕ moins de renaître de leau et de lEsprit, ne peut entrer dans le Royaume des cieux 109. Et on retrouve ici une formulation semblable : SI VOUS NE MANGEZ PAS LA CHAIR DU FILS DE LHOMME... Donc, puisque le baptęme est un sacrement nécessaire, il apparaît que lEucharistie lest aussi. Cela, les Grecs le reconnaissent 110; de lŕ vient quils donnent lEucharistie aux enfants immédiatement aprčs leur baptęme, et lŕ ils ont pour eux le rite de Denys 111 qui dit que la réception de nimporte quel sacrement doit sachever dans la communion ŕ lEucharistie, qui est la consommation de tous les sacrements. Mais cela est vrai pour les adultes, non pour les enfants, puisque de celui qui reçoit lEucharistie est exigée en acte une attitude de crainte respectueuse 112 et une soumission aimante; ceux qui nont pas lusage de leur libre arbitre, comme les enfants ou ceux qui ont perdu la raison, ne peuvent avoir [cette disposition] et cest pour quoi en aucune maničre il ne faut leur donner lEucharistie.
Il faut donc dire que le
baptęme, dans sa forme sacramentelle, est nécessaire ŕ tous pour que la grâce
sacramentelle soit réellement reçue : sans lui, nul nest régénéré ŕ la vie.
Cest pour cela quil faut quon lait sensiblement, ou par le désir pour ceux
qui sy disposent. En effet, si quelquun rejette par mépris le baptęme de
leau, ni celui du feu, ni celui du sang ne lui serviraient pour la vie
éternelle. Le sacrement de lEucharistie, lui, est nécessaire pour les adultes
seulement, quil soit reçu sensiblement ou par le désir selon les normes fixées
par lEglise.
104. Lam 1, 11.
105. Ps 103, 15.
106. Deut 8, 3. Sur tout ce passage, voir CHRYSOSTOME, In
loannem hom., 47, ch. 1, col. 263.
107. 1 Corinthiens 10, 17.
108. 1Jn3, 14.
109. Jean 3, 5.
110. Cette tradition, qui est encore celle des orthodoxes, était
universelle aux premiers sičcles de lEglise, et saint Augustin y adhérait.
111. PSEUDO-DENYS LARÉOPAGITE, La hiérarchie ecclésiastique,
III, 1, PG 3, col. 424 B-425 A; uvres complčtes, pp. 262-263.
112. "Crainte respectueuse" traduit le latin
reverentia; la révérence ŕ légard de Dieu (qui nous fera donc fuir ce qui nous
empęche de latteindre et dętre soumis ŕ sa volonté aimante) appartient en
effet ŕ la crainte filiale ou chaste, qui relčve du don de crainte : "La
crainte qui est comptée parmi les sept dons du Saint-Esprit est la crainte
filiale ou chaste. Les dons du Saint-Esprit sont en effet des perfections
habituelles des puissances de lâme, par lesquelles celles-ci sont rendues bien
mobiles ŕ légard de lEsprit Saint (...). Or, pour que quelque chose soit bien
mobile par rapport ŕ un moteur, il faut (requiritur) en premier lieu quil lui
soit soumis, sans opposition, parce que lopposition du mobile au moteur
empęche le mouvement. Or cela, cest la crainte filiale ou chaste qui le
réalise, en tant que par elle nous révérons Dieu et nous évitons de nous
soustraire ŕ lui" (Somme théol., II-II, q. 19, a. 9, c.). La crainte
filiale, distincte de la crainte mondaine, qui nous fait nous éloigner de Dieu
ŕ cause des maux que nous craignons, et de la crainte servile, qui nous fait
nous attacher ŕ Dieu par crainte de la peine, tient une grande place chez saint
Augustin; cf. De sancta virginitate, XXXWII, 39-40; BA 3, pp. 273-279; et
surtout Commentaire de la premičre Epître de saint Jean, tract. IX, 2-9; SC 75,
pp. 377-397. Sur la devotio, traduite ici par "soumission aimante",
voir n° 843, note 16.
970. Mais sur ce point, une autre difficulté sélčve, parce que, daprčs ces paroles du Seigneur, non seulement manger son corps, mais aussi boire son sang est nécessaire au salut, étant donné que la nourriture ne restaure pas parfaitement sans la boisson. Or la coutume de certaines Eglises est que le prętre seul communie au sang et que les autres communient seulement au corps : ce fait paraît sopposer ŕ cette affirmation du Christ.
Je réponds en disant que, selon une antique coutume de lEglise, tous communiaient au sang comme au corps, ce qui, maintenant encore, est conservé dans certaines Eglises oů toujours ceux qui servent ŕ lautel communient aussi au corps et au sang. Mais ŕ cause du risque de le renverser, dans certaines Eglises on a retenu que le prętre seul communiait au sang, les autres au corps. Cependant, ce nest pas con traire ŕ la sentence du Seigneur : celui qui communie au corps communie aussi au sang puisque, sous chacune des deux espčces, est contenu tout le Christ avec son corps et son sang. Mais sous les espčces du pain, le corps du Christ est contenu en vertu de la conversion, le sang ŕ cause de la concomitance naturelle; et sous les espčces du vin, le sang du Christ est contenu en vertu de la conversion, le corps ŕ cause de la concomitance naturelle.
On voit ainsi la nécessité de prendre cette nourriture spirituelle.
971. Les paroles qui suivent montrent lutilité de ce sacrement dabord quant ŕ lesprit ou lâme [n° 9721 ensuite quant au corps [n° 973].
QUI
MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG A LA VIE ETERNELLE.
972. Lutilité de cette manducation est donc grande puisquelle donne la vie éternelle, ce qui fonde laffirmation du Seigneur. Cette nourriture spirituelle, en effet, est semblable en quelque sorte ŕ la nourriture corporelle en ce sens que, sans elle, il ne peut y avoir de vie spirituelle, pas plus quil ne peut y avoir de vie corporelle sans nourriture corporelle, comme on la dit. Mais en outre, il lui appartient de causer une vie sans fin en celui qui la prend, ce que la nourriture corporelle ne réalise pas. En effet, ce nest pas pour lavoir prise quon vivra, car, comme le dit Augustin, "il peut se faire que, par la vieillesse, la maladie ou quelque autre cause, ceux qui lont prise meurent" 113. Au contraire, celui qui prend cette nourriture et cette boisson, cest-ŕ-dire celle du corps et du sang du Seigneur, A LA VIE ETERNELLE. Cest pour cela quelle est comparée ŕ larbre de vie : Cest un arbre de vie pour celui qui laura saisie 114, et de lŕ vient quelle est appelée pain de vie : La Sagesse la nourri dun pain de vie et dintelligence 115. Il dit donc LA VIE ETERNELLE, parce que celui qui mange ce pain a en lui le Christ qui est le Dieu véridique et la vie éternelle 116. Mais celui-ci a la vie éternelle qui mange et boit comme il le faut : non seulement sacramentellement, mais aussi spirituellement. En effet, celui-ci mange et boit sacramentellement qui se limite ŕ consommer ce sacrement; mais il mange et boit spirituellement, celui qui atteint la réalité du sacrement dans ses deux dimensions : lune signifiée et contenue, qui est le Christ dans son intégrité, caché sous les espčces du pain et du vin; lautre signifiée mais non pas contenue : le corps mystique du Christ, qui est dans les prédestinés, les appelés, les justifiés 117.
Ainsi donc, il mange la chair et boit le sang spirituellement en référence au Christ contenu et signifié, celui qui lui est uni par la foi et la charité, de telle sorte quil est transformé en lui et en devient membre. En effet, cette nourriture ne se change pas en celui qui la prend; elle le change en elle, daprčs ce passage dAugustin : "Je suis la nourriture des grands; grandis et tu me mangeras. Et tu ne me changeras pas en toi, comme la nourriture de ta chair; mais cest toi qui seras changé en moi" 118. Et cest pourquoi elle est la nourriture qui a le pouvoir de diviniser lhomme et de lenivrer de la divinité.
Il en va de męme en référence
au corps mystique seulement signifié si celui qui communie devient participant
de lunité de lEglise. Donc, celui qui mange ainsi A LA VIE ETERNELLE. En
référence au Christ, on la suffisamment montré. De męme en référence au corps
mystique, il aura nécessairement la vie éternelle sil persévčre. En effet,
lunité de lEglise est réalisée par lEsprit Saint Il n a quun corps et un
Esprit 118 , qui daprčs le début de lépître est le gage de notre héritage 120. Elle est donc grande,
lutilité de cette nourriture, puisquelle donne la vie éternelle ŕ lâme. Mais
elle est grande encore parce quelle donne la vie éternelle au corps.
113. Tract, in Ioann., XXVI, 15, p. 521.
Saint Augustin venait détablir
lanalogie entre la nécessité du pain corporel pour la vie du corps et celle du
pain spirituel pour la vie de lesprit, que nous venons de retrouver ci-dessus.
114. Prov. 3, 18.
115. Sir 15, 3.
116. l Jn 5, 20.
ET
MOI JE LE RESSUSCITERAI AU DERNIER JOUR.
973. En effet, ainsi quon la dit, celui qui mange et boit spirituellement devient participant de lEsprit Saint par qui nous sommes unis au Christ dans lunion de la foi et de la charité, et par qui nous sommes faits membres de lEglise. Et la résurrection, lEsprit Saint nous donne de la mériter : Si lEsprit de celui qui a ressuscité Jésus dentre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité dentre les morts le Christ Jésus fera vivre aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous 121. Et cest pourquoi le Seigneur dit que celui qui mange et boit ressuscitera pour la gloire et non pour la condamnation, parce quil ne vaut pas la peine de ressusciter ainsi.
Et cest assez justement que lon attribue un tel effet au sacrement de lEucharistie parce que, comme le dit Augustin on la dailleurs mentionné plus haut 122, le Verbe ressuscite les âmes, mais le Verbe fait chair vivifie les corps. Or, dans ce sacrement, le Verbe nest pas seulement selon sa divinité, mais aussi selon la vérité de sa chair, et cest pour quoi il nest pas seulement cause de la résurrection spirituelle, mais aussi de la résurrection des corps : Par un homme vient la mort, par un homme aussi la résurrection des morts 123. Lutilité de cette manducation est donc manifeste.
CAR
MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE ET MON SANG EST VRAIMENT UNE BOISSON
974. Le Seigneur montre par lŕ la vérité de la manducation. On pourrait en effet croire que tout ce qui a été dit de sa chair et de son sang est allégorie et parabole 124. Et cest pourquoi, excluant cette interprétation, il dit : MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE, comme sil disait : Ne pensez pas que je parle en figure, mais cest en vérité que MA CHAIR est contenue dans la nourriture des croyants ET MON SANG dans le sacrement de lautel : Ceci est mon corps (...) et ceci est mon sang, le sang de la Nouvelle Alliance 125.
Cette vérité peut ętre comprise différemment, daprčs Chrysostome. La nourriture et la boisson sont prises pour restaurer lhomme. Or il y a dans lhomme deux parties : lune principale qui est lâme, lautre secondaire qui est le corps. Et lhomme est ce quil est par son âme et non par son corps. Est donc vraiment la nourriture de lhomme ce qui est la nourriture de l'âme 126. Et cest ce que dit le Seigneur : MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE parce quelle nest pas seulement la nourriture du corps mais aussi de lâme. De męme pour le sang : Vers les eaux du repos il me mčne, il convertit mon âme 127, comme sil disait : cette réfection est spécialement ordonnée ŕ lâme.
Ou encore, daprčs Augustin 128, on dit en vérité que quelque chose est telle réalité si cela en produit leffet; or leffet de la nourriture est de rassasier. Donc ce qui rassasie vraiment est vraiment une nourriture et une boisson. Cest bien ce que réalisent le corps et le sang du Christ, parce quils conduisent ŕ létat de gloire oů il ny a ni faim ni soif 129 ils nauront plus ni faim ni soif; et cest pour cela quil dit : MA CHAIR EST VRAIMENT UNE NOURRITURE ET MON SANG EST VRAIMENT UNE BOISSON.
QUI
MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG DEMEURE EN MOI ET MOI EN LUI COMME LE PČRE
QUI EST VIVANT MA ENVOYÉ, ET QUE MOI JE VIS Ŕ CAUSE DU PČRE, AINSI CELUI QUI
ME MANGE VIVRA Ŕ CAUSE DE MOI TEL EST LE PAIN QUI EST DESCENDU DU CIEL. CE
N'EST PAS COMME VOS PČRES QUI ONT MANGÉ LA MANNE ET SONT MORTS. CELUI QUI MANGE
CE PAIN VIVRA ÉTERNELLEMENT"
975. Le Seigneur prouve ensuite la vertu de la nourriture spirituelle mentionnée plus haut, ŕ savoir quelle donne la vie éternelle, et il argumente ainsi : QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG mest uni; mais qui mest uni A LA VIE ETERNELLE; donc QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG A LA VIE ETERNELLE. Il pose donc dabord la majeure [n° 976], puis la mineure, quil prouve [n° 977]; enfin, il infčre la conclusion [n° 979].
121. Ro 8, 11.
122. Tract. inlo., XIX, 16, p. 209, et XXIII, l p. 395. Voir n°
959 et, pour davantage dindications, n° 762. Cette explication se retrouve
encore aux n° 169 et 791.
123. 1 Corinthiens 15, 21.
124. Cf. CHRYSOSTOME, In Ioannen, hom.,
47, ch. 1, col. 263.
125. Mt 26, 26 et 28.
126. Cette derničre phrase seule provient de Chrysostome (loc. c
tout ce passage en est un développement.
127. Ps 22, 2. En commentant ce psaume, saint Thomas ne le
rapporte pas ŕ lEucharistie, mais ŕ la doctrine sacrée "La sagesse de la
doctrine sacrée est une nourriture, parce quelle réconforte; et elle est une
eau, parce quelle rafraîchit. Leau de la sagesse du salut la désaltéré (Qo
15, 3)" (Expos. in Ps., 22, n° 1).
128. Tract, in Ioann., XXVI, 17, p. 525.
129. Ap 7, 16.
QUI
MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG DEMEURE EN MOI ET MOI EN LUI
976. Il faut savoir, quant au premier point, que si ce que le Seigneur dit se rapporte ŕ la chair et au sang mystiquement parlant, il ny a aucune difficulté dans cette parole. En effet, comme on la dit, il mange spirituellement en référence seulement ŕ la réalité signifiée, celui qui est incorporé au corps mystique par lunion de foi et de charité : la charité fait que Dieu est dans lhomme et réciproquement Qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui 130; et cela, lEsprit Saint aussi le réalise : En cela nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : ŕ ce quil nous adonné de son Esprit 131.
Mais si lon réfčre cette
affirmation ŕ la consommation sacramentelle, alors, de ceux qui mangent la
chair et boivent le sang, tous ne demeurent pas en Dieu. Parce que, comme le
dit Augustin 132, il y aune maničre de
manger cette chair et de boire ce sang telle que celui qui mange et boit
demeure dans le Christ et le Christ en lui, sil mange son corps et boit son
sang non pas simplement sacramentellement, mais aussi selon la vérité de la
réalité contenue dans le sacrement. Et il est une autre maničre de manger telle
quon ne demeure pas dans le Christ ni le Christ en soi. Cest le cas de ceux
qui sapprochent de ce sacrement avec un cur mensonger; car dans un tel cur,
le sacrement na aucun effet. Il y a mensonge, en effet, quand ce qui est
signifié ŕ lextérieur na pas de correspondance intérieure. Mais dans le
sacrement de lEucharistie, il est signifié extérieurement que le Christ est
incorporé ŕ celui qui le reçoit, et lui au Christ. Donc, celui qui na pas dans
son cur le désir de cette union et qui ne sefforce pas décarter tout ce qui
y fait obstacle, est mensonger. Cest pourquoi le Christ ne demeure pas en lui,
ni lui dans le Christ 133.
130. 1 Jn4, 16.
131. 1 Jn4, 13.
132. Sernones de Scripturis, 71, ch. 1, 17, PL 38, coI 453; La
cité de Dieu, XXI, XXv, 4, BA 37, p. 489.
COMME
LE PČRE QUI EST VIVANT MA ENVOYE ET QUE MOI JE VIS Ŕ CAUSE DU PČRE, AINSI
CELUI QUI ME MANGE VIVRA A CAUSE DE MOI 134.
977. Le Christ pose ici la mineure, ŕ savoir que celui qui lui est uni a la vie; et il linduit en révélant la similitude sui vante : le Fils, ŕ cause de son unité avec le Pčre, reçoit la vie du Pčre; donc, celui qui est uni au Christ reçoit la vie du Christ : COMME LE PERE QUI EST VIVANT MA ENVOYE, ET QUE MOI JE VIS A CAUSE DUPERE... Ces paroles peu vent ętre explicitées de deux maničres au sujet du Christ : selon sa nature humaine ou selon sa nature divine. Si elles se rapportent au Christ Fils de Dieu, alors le COMME implique une similitude du Christ avec la créature sur un point (mais non pas sur tous) : le fait dętre dun autre. Il est en effet commun au Christ Fils de Dieu et ŕ la créature dętre dun autre. Mais dun autre point de vue, il y a dissimilitude, parce que le Fils a ceci de propre quil est du Pčre de telle sorte quil reçoit cependant toute la plénitude de la nature divine 135, en tant que tout ce qui par nature est au Pčre est aussi par nature au Fils (alors que la créature, elle, reçoit une certaine perfection et une nature particuličre) : Comme le Pčre a la vie en lui-męme, ainsi a-t-il donné au Fils davoir la vie en lui-męme 136. Il le montre en ne disant pas : "Comme je mange le Pčre et que moi je vis ŕ cause du Pčre", puisquil parle ici de sa procession, alors quŕ notre sujet il dit : CELUI QUI ME MANGE VIVRA A CAUSE DE MOI, puisquil parle de la participation ŕ son corps et ŕ son sang, qui nous rend meilleurs (la manducation exprime, de fait, une certaine participation). Mais le Christ affirme quil vit A CAUSE DU PERE non pas en le mangeant, mais en étant engendré par lui sans que cela supprime légalité.
Mais si ces paroles
sentendent du Christ-homme, COMME implique alors, sur un point, une similitude
entre le Christ-homme et nous, en ceci que, comme le Christ-homme reçoit la vie
spirituelle par lunion ŕ Dieu, de męme nous aussi recevons la vie spirituelle
par la communion au sacrement. Mais il y a dissimilitude du fait que le
Christ-homme reçoit la vie par union au Verbe avec lequel il est une unique
personne, alors que nous sommes unis au Christ par le sacrement de la foi. Et
cest pourquoi il affirme ŕ la fois : MA ENVOYE, et PERE. Si donc on réfčre le
pas sage au Fils de Dieu, alors il affirme : MOI JE VIS A CAUSE DU PERE parce
que le Pčre est vivant. Mais si on le réfčre au Fils de lhomme, alors il
affirme : MOI JE VIS A CAUSE DU PERE parce quil MA ENVOYE, cest-ŕ-dire, il a
fait que je mincarne. En effet, la mission du Fils de Dieu est son Incarnation
: Dieu a envoyé son Fils, engendré dune femme, engendré sous la Loi 137.
133. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XXVI, 19, pp. 527-529.
134. Ego vivo propter Patrem (...) et ipse vivet propter me. Le
latin propter (ŕ cause de) traduit le grec, qui signifie ŕ la fois
"par" et "pour".
135. Cf. Col 2, 9.
136. Jean 5, 26.
978. Par ces paroles, selon
Hilaire 138, est exclue lerreur dArius. Si en effet nous vivons ŕ cause du
Christ, parce que nous possédons quelque chose de sa nature, comme il le dit
lui-męme : QUI MANGE MA CHAIR ET BOIT MON SANG A LA VIE ETERNELLE, le Christ
vit donc aussi ŕ cause du Pčre parce quil possčde en lui la nature du Pčre,
non pas une partie de celle-ci elle est simple et indivisible mais toute la
nature du Pčre. Ainsi le Fils vit ŕ cause du Pčre, la naissance ne lui
apportant pas une nature autre, ni numériquement ni spécifiquement.
137. Ga 4, 4.
138. De Trinitate, LVIII, 15-16; CCL vol.
LXII A, pp. 327-328.
TEL
EST LE PAIN QUI EST DESCENDU DU CIEL. CE NEST PAS COMME VOS PČRES QUI ONT
MANGÉ LA MANNE ET SONT MORTS. CELUI QUI MANGE CE PAIN VIVRA ÉTERNELLEMENT"
979. Le Seigneur tire ici deux conclusions. En effet, les Juifs controversaient sur deux points : lorigine de la nourriture spirituelle et sa vertu. La premičre conclusion porte sur lorigine [n° 980]; et la seconde, quil a principalement en vue, sur la vertu [n° 981].
980. Au sujet de lorigine, rappelons que les Juifs avaient été troublés par ce quil avait dit : Moi je suis le pain vivant qui suis descendu du ciel 139; et cest pourquoi, contre eux, il le conclut ŕ nouveau du fait de son affirmation : JE VIS A CAUSE DE MON PERE lorsquil dit : TEL EST LE PAIN. En effet, descendre du ciel, cest tenir son origine du ciel; or le Fils tire son origine du ciel parce quil vit par le Pčre. Donc le Christ est celui qui descend du ciel. Et cest pourquoi il dit : TEL EST LE PAIN QUI EST DESCENDU, quant ŕ la divinité, DU CIEL, cest-ŕ-dire de la vie paternelle; ou bien EST DESCENDU aussi quant ŕ son corps, en tant que la puissance qui la formé, lEsprit Saint, puisquelle vint du ciel, est une puissance céleste. Voilŕ pourquoi ceux qui mangent ce pain ne meurent pas ŕ la maničre dont sont morts nos pčres qui ont mangé la manne, et cela parce que la manne ne descendit pas du ciel véritable et nétait pas le pain vivant, comme on la dit plus haut 140. Quant ŕ la maničre dont sont morts ceux qui ont mangé la manne, elle est manifeste en raison de ce qui a été dit.
981. Il tire la seconde
conclusion, au sujet de la vertu du pain, en disant : CELUI QUI MANGE CE PAIN
VIVRA ETERNELLEMENT, conclusion qui découle de ceci : QUI MANGE MA CHAIR141. En effet, celui qui
mange ce pain demeure en moi et moi en lui; or moi je suis la vie éternelle,
donc CELUI QUI MANGE CE PAIN comme il le faut VIVRA ETERNELLEMENT. IL DIT CES
CHOSES DANS LA SYNAGOGUE, AU COURS DE SON ENSEIGNEMENT Ŕ CAPHARNAÜM.
139. Jean 6, 51.
140. Voir n" 954.
141. Jean 6, 57.
982. Le Christ enseignait ŕ Capharnaüm. On précise ici le lieu dans lequel Jésus tint ces propos. Voulant en effet attirer la multitude, il enseignait dans le Temple et ŕ la synagogue 143, cela pour que, parmi la multitude, au moins quelques-uns en profitent Jai annoncé ta justice dans la grande assemblée 143.
142. Cf. CHRYSOSTOME, In loannem hom.,
47, ch. 2, col. 264.
143. Ps 39, 10.
144. En latin devotio. Cf n° 843, note 16.
61
Mais beaucoup de ses disciples, layant entendu, dirent : "Cette parole
est dure; qui peut lentendre?" 62 Or Jésus, sachant en lui-męme que
ses disciples murmuraient ŕ ce sujet, leur dit : "Cela vous scandalise? 63
Si donc vous voyiez le Fils de lhomme montant oů il était auparavant! Cest
lesprit qui vivifie, la chair ne sert de rien; les paroles que je vous ai
dites sont esprit et vie. 65a Mais il en est quelques-uns parmi vous qui ne
croient pas. "65b Jésus en effet connaissait dčs le commencement ceux qui
croyaient, et qui devait le trahir. 66 Et il disait : "Cest pourquoi je
vous ai dit que nul ne veut venir ŕ moi si cela ne lui a été donné par mon Pčre.
" Dčs lors, beaucoup de ses disciples se retirčrent et ils nallaient plus
avec lui. 68 Jésus donc dit aux Douze : "Et vous, voulez-vous aussi vous
en aller?" Simon-Pierre lui répondit : "Seigneur, ŕ qui irons-nous?
Tu as les paroles de la vie éternelle; nous, nous croyons et nous connaissons
que tu es le Christ, le Fils de Dieu. " Jésus répondit : "Nest-ce
pas moi qui vous ai choisis, vous les Douze? Cependant, lun de vous est un
diable. " Il par lait de Judas Iscariote, fils de Simon; car cétait lui
qui devait le trahir, bien quil fűt lun des Douze.
983. Aprčs avoir mis fin au litige des Juifs et ŕ leur mur mure [n° 929], le Seigneur apaise le scandale des disciples. LEvangéliste expose le scandale des disciples qui se retirčrent [n° 983], puis il porte son attention sur lattachement sans réserve des disciples qui demeurent [n° 999].
I
MAIS
BEAUCOUP DE SES DISCIPLES, LAYANT ENTENDU, DIRENT : "CETTE PAROLE EST
DURE; QUI PEUT LENTENDRE?" OR JÉSUS, SACHANT EN LUI-MĘME QUE SES
DISCIPLES MURMURAIENT Ŕ CE SUJET, LEUR DIT : "CELA VO US SCANDALISE? SI
DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE LHOMME MONTANT OŮ IL ÉTAITAUPARAVANT? CEST
LESPRIT QUI VIVIFIE, LA CHAIR NE SERT DE RIEN; LES PAROLES QUE JE VOUS AI
DITES SONT ESPRIT ET VIE. MAIS IL EN EST QUELQUES-UNS PARMI VOUS QUI NE CROIENT
PAS. "JÉSUS EN EFFET CONNAISSAIT DČS LE COMMENCEMENT CEUX QUI CROYAIENT,
ET QUI DE VAIT LE TRAHIR ET IL DISAIT : "CEST POURQUOIJE VOUS AIDIT QUE
NUL NE PEUT VENIR Ŕ MOI SI CELA NE LUI A ÉTE DONNÉ PAR MON PČRE. "DČS
LORS, BEA UCOUP DE SES DISCI PLES SE RETIRČRENT ET ILS NALLAIENT PLUS AVEC LUI
A propos de ceux qui se retirent, lÉvangéliste expose leur scandale [n° 984], puis la bienveillance avec laquelle le Christ le fait cesser [n° 985], enfin leur obstination dans lincrédulité [n° 998].
MAIS
BEAUCOUP DE SES DISCIPLES, LAYANT ENTENDU, DIRENT : "CETTE PAROLE EST DURE;
QUI PEUT LENTENDRE?"
984. A propos du scandale des disciples, il faut savoir que nombreux étaient ceux qui, dans le peuple juif, adhéraient au Christ en croyant ŕ lui et le suivaient, sans avoir cependant tout quitté comme les Douze, et tous étaient appelés disciples. Cest deux que lEvangéliste dit : BEAUCOUP [de ceux] qui, dans le peuple, croyaient ŕ lui, LAYANT ENTENDU sur ce quil avait dit plus haut, DIRENT : "CETTE PAROLE EST DURE." Cest deux quil est dit : Ils croient pour un temps, mais au temps de la tentation ils se retirent 145 et il dit BEAUCOUP parce que le nombre des insensés est infini, et que beaucoup sont appelés, mais peu sont élus 146.
Ils dirent donc : CETTE PAROLE
EST DURE. On appelle dur ce qui ne se divise pas facilement et qui oppose une
résistance. Une parole est donc dure parce quelle résiste soit ŕ
lintelligence, soit ŕ la volonté, lorsque nous narrivons pas ŕ la saisir par
lintelligence ou quelle ne plaît pas ŕ la volonté. Et de ces deux maničres,
cette parole leur était dure. Dune part pour lintelligence, parce quelle
excédait de beaucoup la faiblesse de leur intelligence 147. Comme ils étaient
soumis ŕ la chair, ils ne pouvaient saisir ce que le Christ avait affirmé :
quil leur donnerait sa chair ŕ manger. Dure dautre part pour la volonté parce
quil a dit beaucoup sur la puissance de sa divinité. Et męme si dans leur foi
ils le tenaient pour un prophčte, ils ne le croyaient pas Dieu. Et cest
pourquoi il leur semblait quil parlait de lui-męme avec exagération : Les
lettres sont sévčres et fortes, dit-on ŕ propos des épîtres de saint Paul 148; et la sagesse est
extręmement amčre aux hommes ignorants 149. Doů leur réaction : QUI PEUT
L'ENTENDRE? Ils disent cela pour sexcuser. En effet, du fait quils sétaient
donnés ŕ lui, ils devaient lécouter; mais parce quil ne leur enseignait pas
des choses qui leur plaisaient, ils voulaient susciter une occasion de partir :
Le sot ne recevra pas les paroles de prudence, ŕ moins que tu ne lui dises
celles qui suivent la pente de son cur 150.
145. Luc 8, 13. Sur lexpression "croyaient ŕ lui"
(credentes ei), voir n° 901 et note 28. I Qo 1, 5etMt2O, 16;22, 14.
147. Saint Thomas reprend cette explication, ainsi que le
développement de ce paragraphe, ŕ saint Jean Chrysostome : In Ioannem hom., 47,
ch. 2, col. 264.
985. LÉvangéliste expose ensuite la bienveillance avec laquelle le Christ apaise le scandale, quil dénonce et manifeste [n° 986] et dont il écarte ensuite la cause invoquée [n° 988] pour en indiquer la véritable cause [n° 994].
OR
JÉSUS, SACHANT EN LUI-MĘME QUE SES DISCIPLES MURMURAIENT Ŕ CE SUJET, LEUR DIT :
"CELA VOUS SCANDALISE?
986. Il dénonce le scandale
parce quils avaient dit CETTE PAROLE EST DURE ŕ voix basse pour ne pas ętre
entendus de lui. Mais lui qui, par la puissance de sa divinité, connaissait ce
quils disaient, le dévoile : JESUS, SACHANT EN LUI-MEME ce quils disaient en
eux-męmes 151, ŕ savoir QUE SES
DISCIPLES MURMURAIENT A CE SUJET n'avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage
au sujet de lhomme : il savait, lui, ce qu'il y a dans lhomme 152. Dieu scrute
les curs et les reins 153
Il LEUR DIT : "CELA VOUS
SCANDALISE?" comme sil disait : vous ne devez pas en ętre
scandalisés. Ou bien on peut lire dans ces paroles un désir dapaiser, comme
sil disait : Je sais que vous ętes scandalisés Il sera pour nous, ceux qui
croient au Christ, une cause de sanction, mais une pierre oů lon achoppe, un
rocher oů lon trébuche (petra scandali), pour les deux maisons dIsraël
154, cest-ŕ-dire pour les
disciples qui murmurent et pour les foules.
148. 2 Co 10, 10.
149. Sir 6, 21.
150. Prov 18, 2.
151. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in la.,
XXVII, 3, p. 537.
152. Jean 2, 25.
153. Ps 7, 10.
987. Mais puisque les docteurs doivent éviter le scandale de ceux qui les écoutent, pourquoi le Seigneur leur propose-t-il des vérités de foi telles quils soient scandalisés et se retirent?
Je réponds en disant que la
nécessité de la doctrine exigeait que le Seigneur leur proposât de telles
choses. Ils le pressaient vivement, en effet, de leur procurer une nourriture
corporelle alors quil était venu pour conduire au désir de la nourriture
spirituelle. Voilŕ pourquoi il était nécessaire quil leur proposât
lenseignement sur la nourriture spirituelle. Leur scandale nétait cependant
pas causé par une faille de lenseignement du Christ, mais par leur
incrédulité. Si, en effet, étant soumis ŕ la chair, ils ne comprenaient pas les
paroles du Seigneur, ils pouvaient linterroger comme les Apôtres le firent ailleurs.
Cest ŕ dessein, selon Augustin, que le Seigneur permit cela, pour donner ŕ
ceux qui enseignent bien une cause de patience et de consolation face aux
détracteurs de leurs paroles, puisque męme les disciples ont osé dénigrer les
paroles du Christ 155.
988. Le scandale avait été
occasionné par la personne qui avait parlé et par les paroles quelle avait
dites, comme le dit Chrysostome 156. Cest pourquoi le
Christ écarte loccasion du scandale dabord quant ŕ sa personne [n° 989], puis quant ŕ
ses paroles [n°
992].
154. Isaďe 8, 14.
155. Nous navons pas trouvé de texte plus proche de cette
allusion que le commentaire que saint Augustin fait sur lev. 67 "Peut-ętre cela est-il advenu pour notre consolation... [Christ]
nétait pas troublé parce qu il savait dčs le commencement ceux qui croyaient
et ceux qui ne croyaient pas. Pour nous, en pareil cas, nous sommes tout
bouleverses. Trouvons notre consolation dans le Seigneur" (Tract. mb.,
XXVII, 8, p. 553).
156. In Ioannem hom., 47, ch. 2, col. 265.
SI
DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE L'HOMME MON TANT OŮ IL ÉTAIT AUPARAVANT?
989. Loccasion du scandale
fut quils avaient entendu le Seigneur sattribuer ce qui appartient ŕ Dieu.
Donc, parce quils le tenaient pour le fils de Joseph, ils étaient scandalisés
par ses propos. Afin décarter cette occasion de scandale, le Seigneur leur
montre plus ouvertement sa divinité. Il dit en ce sens : "Vous ętes
troublés par ce que jai dit de moi : SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE LHOMME
MONTANT OŮ IL ÉTAIT AUPARA VANT?" (ajoutons : "que
diriez-vous?") comme sil disait : Pourriez-vous nier que je suis
descendu du ciel et que cest moi qui donne la vie éternelle? 157 Il avait fait
de męme avec Nathanaël; en effet, lorsque celui-ci lui eut dit : Tu es le roi
d'Israël 158; il voulut lélever ŕ
une connaissance plus parfaite en lui disant en ce sens : Tu verras des choses
plus grandes que celles-ci 159. Ici aussi, il annonce
quelque chose de plus grand ŕ son sujet en disant : SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS
DE L'HOMME MON TANT OŮ IL ÉTAIT AUPARAVANT? Or il est monté au ciel ŕ la vue de
ses disciples, ainsi que le rapporte les Actes 160. Si donc il
est monté lŕ oů il était auparavant, cest quauparavant il était au ciel :
Personne nest monté au ciel si ce nest celui qui est descendu du ciel 161.
990. Mais soyons attentifs
: męme si dans le Christ la personne du Fils de Dieu et du Fils de lhomme est
la męme, la nature est cependant autre. Cest pourquoi quelque chose lui
convient en raison de lhumanité monter qui ne lui convient pas en raison
de la divinité, selon laquelle il nest pas de lieu oů il puisse monter
puisquil est éternellement au sommet le plus élevé de toutes choses dans le
Pčre. Mais selon la nature humaine, il lui convient de monter lŕ OŮ IL ÉTAIT
AUPARAVANT au ciel oů il nétait pas selon cette nature. Ceci est contraire ŕ
lerreur de Valentin 162, disant que le Christ
avait pris un corps céleste. Ainsi donc, lŕ oů il était selon la divinité, il
est monté, ŕ la vue des Apôtres et par sa propre puissance, selon lhumanité :
Je suis sorti du Pčre et je suis venu dans le monde; je quitte de nouveau le
monde et je vais au Pčre 163.
157. Saint Thomas reprend ŕ saint Jean Chrysostome ce principe
important de la prédication du Christ en lexprimant plus clairement.
158. Jean 1, 49.
159. Jean 1, 50.
160. Ac 1, 9 Et ŕ ces mots, sous leurs regards, il fut élevé.
161. Jean 3, 13.
162. Cf. vol. I, p. 123, note 20.
991. Mais selon Augustin 164, ces paroles sont dites pour une autre raison. Il dit en effet que ceux-ci ont été scandalisés de ce que le Seigneur avait dit quil leur donnerait sa chair ŕ manger : ŕ léventualité, due ŕ leur compréhension charnelle, de devoir la manger au sens littéral comme une chair danimal, ils ont été scandalisés. Et cest pourquoi, écartant cette interprétation, il dit : SI DONC VOUS VOYIEZ LE FILS DE LHOMME MONTER avec son corps intact OU IL ETAIT AUPARAVANT, ajoutons : diriez-vous que je voulais vous donner ma chair ŕ manger comme celle des animaux?
C'EST
L'ESPRIT QUI VIVIFIE, LA CHAIR NE SERT DE RIEN; LES PAROLES QUE JE VOUS AI
DITES SONT ESPRIT ET VIE.
992. Il écarte ici loccasion de scandale venant des paroles dites; et, selon Chrysostome 165, il distingue en premier lieu deux sens en ces paroles; il montre ensuite lequel leur convient.
Les paroles du Christ peuvent ętre comprises selon deux sens : selon le sens spirituel et selon le sens charnel. Et cest pour cela quil dit : CEST LESPRIT QUI VIVIFIE, cest-ŕ-dire, si vous comprenez selon lesprit les paroles que jai dites, autrement dit si vous en saisissez le sens spirituel, elles vous vivifieront. LA CHAIR NE SERT DE RIEN, cest-ŕ-dire, si vous les comprenez selon le sens charnel, elles ne vous servent ŕ rien; au contraire, elles vous nuisent parce que, ainsi que le dit lépître aux Romains, Si vous vivez selon la chair, vous mourrez 166. Et les paroles du Seigneur concernant sa chair donnée en nourriture sont comprises selon un sens charnel dčs lors quelles sont prises dans leur consonance extérieure et en fonction de la nature de la chair. Et cest de cette maničre quils les comprenaient, comme nous lavons dit. Mais le Seigneur disait quil se donnerait ŕ eux comme une nourriture spirituelle, non que dans le sacrement de lautel ne soit pas la chair véritable du Christ, mais parce quon sen nourrit selon un mode spirituel et divin. Ainsi, le sens convenable de ces paroles nest pas charnel mais spirituel.
Voilŕ pourquoi il ajoute : LES
PAROLES QUE JE VOUS AI DITES au sujet de ma chair donnée en nourriture SONT
ESPRIT ET VIE, cest-ŕ-dire ont un sens spirituel, et ainsi comprises donnent
la vie. Il ny a rien détonnant ŕ ce quel les aient un sens spirituel
puisquelles sont de lEsprit Saint : Cest lEsprit qui dit les mystčres 167. Et les mystčres du Christ
vivifient : Pour léternité je noublierai pas tes justifications, parce quen
elles tu mas fait vivre 168.
163. Jean 16, 28.
164. Tract, in Ioann., XXVII, 3, pp. 535-537.
165. Loc. cit. Chrysostome
ne donne pas explicitement cette distinction, mais saint Thomas la tire de son
commentaire.
166. Ro 8, 13.
993. Cest aussi, selon
Augustin 169, en un autre sens que ces paroles ont été dites. Cest que ces paroles
LA CHAIR NE SERT DE RIEN sentendent de la chair du Christ. Il est manifeste en
effet que la chair du Christ, en tant que con jointe au Verbe et ŕ lEsprit,
sert beaucoup et de toutes maničres : autrement, cest en vain que le Verbe se
serait fait chair, en vain que le Pčre lui-męme laurait manifesté dans la
chair 170. Et cest pourquoi il faut dire que la chair du Christ, considérée en
elle-męme, NE SERT DE RIEN, cest-ŕ-dire nest daucun profit, si ce nest
comme une autre chair. Si en effet, par une vue de lesprit, on la sépare de la
divinité et de lEsprit Saint, elle na pas plus de vertu quune autre chair;
mais si adviennent lEsprit et la divinité, elle sert beaucoup parce quelle
fait demeurer dans le Christ celui qui la prend : cest en effet par lEsprit
de charité que lhomme demeure en Dieu : En cela nous connaissons que nous
demeurons en lui et lui en nous : ŕ ce qu'il nous a donné de son Esprit 171. Cest pourquoi le
Seigneur dit : cet effet la vie éternelle que je vous ai promis, vous ne
devez pas lattribuer ŕ la chair prise en elle-męme, car ainsi, LA CHAIR NE
SERT DE RIEN; mais si vous lattribuez ŕ lEsprit et ŕ la divinité conjointe ŕ
la chair, de cette maničre elle communique la vie éternelle : Si nous vivons
par lEsprit, marchons aussi selon l'Esprit 172. Et cest
pourquoi il ajoute : LES PAROLES QUE JE VOUS AI DITES SONT ESPRIT ET VIE,
cest-ŕ-dire doivent ętre rapportées ŕ lEsprit conjoint ŕ la chair, et ainsi
comprises elles sont vie pour lâme. Car de męme que le corps vit de la vie
corporelle par lesprit corporel 173, ainsi lâme vit de la vie spirituelle par lEsprit Saint : Envoie ton
Esprit et ils seront créés 174.
167. 1 Corinthiens 14, 2.
168. Ps 118, 93.
169. Op. cit., XXVII, 5, pp. 54 1-545.
170. Cf. 1 Tm 3, 16.
994. Le Seigneur met ensuite en lumičre la cause du scandale, qui était leur incrédulité. Cest comme sil disait : la cause de votre scandale nest pas la dureté de la parole que je vous ai dite, mais votre incrédulité. Cest ainsi quil commence par révéler leur incrédulité, au sujet de laquelle lEvangéliste exclut ensuite une fausse opinion [n° 996]; le Seigneur manifeste enfin la cause de cette incrédulité [n° 997].
MAIS
IL EN EST QUELQUES-UNS PARMI VOUS QUI NE CROIENT PAS.
995. Le Seigneur révčle ici lincrédulité des Juifs. Et il dit QUI NE CROIENT PAS et non pas "qui ne comprennent pas". Il fait plus, il donne connaissance de la cause pour laquelle ils ne comprennent pas : en effet, sils ne comprenaient pas cest quils ne croyaient pas. Une variante dIsaďe dit : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 175. Et Jésus dit QUELQUES-UNS pour exclure les disciples : Tous nont pas la foi 176 Tous nobéissent pas ŕ l'Evangile 177 Ils nont pas cru ŕ ses paroles 178.
171. 1 Jn 4, 13.
172. Ga 5, 25.
173. Cf. Ps 103, 29 Tu leur ôtes lesprit, ils expirent.
174. Ps 103, 30.
175. Isaďe 7, 9 (LXX). Voir n° 600, note 65 (vol. I, p. 168) et
SAINT AUGUSTIN, op. cit., XXVII, 7, pp. 54 7-549. Voir aussi JEAN SCOT ÉRIGČNE,
Comm. sur lEvangile de Jean, p. 96, note 3.
JÉSUS
EN EFFET CONNAISSAIT DČS LE COMMENCEMENT CEUX QUI CROYAIENT, ET QUI DE VAIT LE
TRAHIR.
996. LÉvangéliste écarte ici une fausse conjecture. Jésus na pas dit : IL EN EST QUELQUES-UNS PARMI VOUS QUI NE CROIENT PAS, au sens oů il laurait appris depuis peu, mais parce quil CONNAISSAIT DES LE COMMENCEMENT du monde CEUX QUI CROYAIENT, ET QUI DE VAITLE TRAHIR : Toutes choses sont nues et découvertes ŕ ses yeux 179. Avant quelles nadviennent, toutes choses sont connues du Seigneur notre Dieu 180.
ET IL
DISAIT : "CEST POURQUOI JE VOUS AI DIT QUE NUL NE PEUT VENIR Ŕ MOI SI
CELA NE LUI A ETÉ DONNÉ PAR MON PČRE.
997. Le Seigneur donne ensuite la raison de leur incrédulité. Elle vient de ce quon séloigne de la grâce qui attire 181. En ce sens il disait : CEST POURQUOI JE VOUS AI DIT, comme pour dire : Sil a été nécessaire que je vous dise ce qui a été dit jusquici, cest que NUL NE PEUT VENIR A MOI, par la foi, SI CELA NE LUI A ETE DONNE PAR MON PERE. Il en découle, selon Augustin, que lacte męme de croire nous est donné par Dieu 182. Quant au motif pour lequel ce nest pas donné ŕ tous, on la mentionné plus haut 183, oů le Seigneur avait prononcé pratiquement les męmes paroles. Il les répčte cependant ici pour deux rai sons : dabord pour montrer quil était plus bénéfique et utile pour eux de les recevoir dans la foi quau Christ de les prononcer : Il vous a été donné de croire en lui 184, comme sil disait : cest votre bien que vous croyiez. Et cest pourquoi saint Augustin dit : "Cest une grande chose de croire : réjouis-toi parce que tu as cru" 185. Ensuite pour montrer quil nest pas le fils de Joseph, comme ils le pensaient, mais de Dieu : cest en effet Dieu le Pčre qui attire les hommes au Fils, comme il ressort de ce qui précčde.
176. 2 Th 3, 2.
177. Ro 10, 16.
178. Ps 105, 24.
179. He 4, 13. Cf. THEOPHYLACTUS,
Enarratio in Evangelium S. bannis, ch. 6, PG 123, coI 1315 A.
180. Sir 23, 20.
181. Cf. n° 937.
182. Op. cit., XXVII, 7, pp. 549-551. Ce mystčre est cher ŕ
saint Augustin qui y revient souvent, et saint Thomas ŕ sa suite (voir entre
autres Somme théologique, I, q. 111, a. 1, ad 1; I-II, q. 63, a. 3; AdEph. lect.,
II, Ieç. 3, n° 95).
DČS
LORS, BEAUCOUP DE SES DISCIPLES SE RETIRČRENT ET ILS NALLAIENT PLUS AVEC LUI
998. LÉvangéliste expose ici lentętement des disciples. En effet, bien que le Seigneur les eűt repris et quil eűt écarté la cause du scandale, pour autant quil pouvait le faire, ils nen persévčrent pas moins dans lincrédulité, et cest pourquoi il dit : BEAUCOUP DE SES DISCIPLES SE RETIRERENT Il na pas dit : ils reculčrent, mais : ils SE RETIRERENT de la foi dont ils avaient la vertu, et étant retranchés du Corps, ils perdirent la vie, ŕ moins peut-ętre quils nen aient jamais fait partie, comme le dit Augustin 186. Il en est en effet qui sen vont purement et simplement : ceux qui suivent le diable, Satan, ŕ qui il est dit : Va-t-en 187; et de certaines femmes il est dit : Certaines se sont détournées, ŕ la suite de Satan 188. Ce nest pas ainsi que Pierre Va derričre moi, Satan 189 passe derričre le Christ, car lui va ŕ la suite du Christ. Quant aux Juifs, ils sen allčrent ŕ la suite de Satan.
Voilŕ pourquoi il continue :
ET ILS NALLAIENT PLUS AVEC LUI, bien quil nous soit demandé de marcher avec
Jésus : Je tindiquerai, homme, ce qui est bon : (...) Mettre toute ton
application ŕ marcher avec ton Dieu 190.
183. Cf. n° 917.
184. Phi 1, 29.
185. SAINT AUGUSTIN, loc. cit.
186. op. cit., XXVII, 8, p. Les deux exemples suivants sont
repris aussi ŕ saint Augustin (ibid.). Chrysostome faisait ainsi la distinction
entre recesserunt et abierunt retro : "Il na pas dit : ils se retirčrent,
mais retournčrent en arričre, [ŕ savoir "de lattitude de celui qui écoute
avec vertu, et perdirent ce quils avaient jusque-lŕ" (In Ioannem hom.,
47, ch. 3, col. 266; trad. Jeannin, p. 329 b).
187. Mt 4, 10.
188. 1 Tm 5, 15.
II
JÉSUS
DONC DIT AUX DOUZE : "ET VOUS, VOULEZ-VOUS AUSSI VOUS EN ALLER?"
SIMON-PIERRE LUI RÉPONDIT : "SEIGNEUR, Ŕ QUI IRONS-NOUS? TU AS LES PAROLES
DE LA VIE ÉTERNELLE; POUR NOUS, NOUS CROYONS ET NOUS CONNAISSONS QUE TU ES LE
CHRIST, LE FILS DE DIEU "JÉSUS RÉPONDIT : "NEST-CE PAS MOI QUI VOUS
AI CHOISIS, VOUS LES DOUZE? CEPENDANT, L'UN DE VOUS EST UN DIABLE. "IL PAR
LAIT DE JUDAS ISCARIOTE, FILS DE SIMON : CAR CÉTAIT LUI QUI DE VAIT LE TRAHIR,
BIEN QUIL FŰT LUN DES DOUZE.
999. Ici, le Seigneur porte son attention sur les disciples qui demeurent, ce qui est souligné par son interrogation [n° 1000]. En réponse, Pierre exprime leur attachement total [n° 1001]; cependant le Christ corrige sa réponse [n° 1005].
JÉSUS
DONC DIT AUX DOUZE : "ET VOUS, VOULEZ VOUS AUSSI VOUS EN ALLER?"
1000. Le Seigneur sonde donc les Douze qui étaient lŕ pour savoir sils voulaient persister; cest pourquoi il dit AUX DOUZE, cest-ŕ-dire aux Apôtres : ET VOUS, VOULEZ-VOUS AUSSI VOUS EN ALLER? Et ceci pour deux raisons 191. Afin que, du fait que ceux-ci étaient restés alors que les autres étaient partis, ils ne senorgueillissent pas en attribuant cela ŕ leur propre justice, estimant faire au Christ une grâce en ne labandonnant pas. Cest pourquoi, en leur montrant quil navait pas besoin dętre suivi par eux, ils les retient et les affermit plus profondément : De plus, situ agis avec justice, que lui donneras-tu ou que recevra-t-il de ta main? 192
Ensuite, parce quil arrive
parfois quon ait la volonté de séloigner de quelquun et quune gęne nous
retienne, le Christ, ne voulant pas quils soient contraints par la gęne de
rester avec lui (car servir malgré soi revient ŕ ne pas servir du tout), les
libčre de la gęne et donc de lobligation de rester, remettant ŕ leur libre
arbitre le choix de rester ou de sen aller, parce que le Seigneur aime celui
qui donne avec joie. 193
189. Mt 16, 23.
190. Mic 6, 8.
191. Saint Thomas reprend en dautres termes deux explications
trčs jus tes de Chrysostome (loc. cit.).
1001. Lattachement total (devotio) de ceux qui restent est exprimé par la réponse de Pierre. Lui qui aime ses frčres, qui est fidčle ŕ ses amis et qui porte au Christ une affection spéciale, répond pour tout le collčge 194. Il exalte dabord lexcellence de la doctrine du Christ [n° 1002], puis il témoigne de lautorité de cette doctrine [n° 1003] et con fesse sa foi [n° 1004].
SIMON-PIERRE
LUI RÉPONDIT : "SEIGNEUR, Ŕ QUI IRONS-NOUS? TU AS LES PAROLES DE LA VIE
ÉTERNELLE. "
1002. Pierre exalte
lexcellence de la doctrine du Christ en disant : SEIGNEUR, A QUI IRONS-NOUS?,
comme sil disait : "Tu nous rejettes loin de toi; donne-nous quelquun
de meilleur que toi ŕ qui aller." Mais assurément, nul nest semblable
ŕ toi parmi les forts, Seigneur 195; et dans le psaume :
Qui est comme Dieu 196. Et cest pourquoi nous
ne te quitterons pas Oů irai-je, loin de ton esprit? 197 Et, selon
Chrysostome 198, la parole de Pierre est révélatrice dune grande amitié : déjŕ, en
effet, le Christ était pour lui plus honorable que pčre et mčre.
193. 2 Co 9, 7 daprčs Prov 22, 8 (LXX).
194. Cest ainsi que Chrysostome présente Pierre (op. cit., 47,
3, coI 267).
195. Ex 15, 11.
196. Ps 88, 7.
197. Ps 138, 7.
1003. Il témoigne de lautorité de la doctrine du Christ en disant : TU AS LES PAROLES DE LA VIE ETERNELLE. Moďse, lui, avait les paroles de Dieu, les prophčtes aussi, mais rarement les paroles de la vie éternelle. Toi seul pro mets la vie éternelle : que chercher de plus? Qui croit en moi a la vie éternelle199. Celui qui croit en le Fils a la vie éternelle 200.
POUR
NOUS, NOUS CROYONS ET NOUS CONNAISSONS QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DE DIEU
1004. Pierre confesse ici sa foi. Notre foi, en effet, porte principalement sur deux points : le mystčre de la Trinité et celui de lIncarnation, que Pierre confesse ici tous les deux. Dune part le mystčre de la Trinité lorsquil dit : TU ES (...) LE FILS DE DIEU Dans le fait de le dire FILS DE DIEU, il fait mention de la personne du Pčre et de celle du Fils, en męme temps que de celle de lEsprit Saint, qui est lAmour du Pčre et du Fils, et le lien de lun et lautre 201.
Dautre part le mystčre de lIncarnation, lorsquil dit : TU ES LE CHRIST, en latin lOint, ŕ savoir par lhuile invisible de lEsprit Saint. Il nest pas oint selon la nature divine, car ce qui est oint par lEsprit Saint est rendu meilleur par cette onction; or, en tant quil est Dieu, le Christ nest pas rendu meilleur. Il est donc oint dans son humanité.
Il dit aussi : NOUS CROYONS ET
NOUS CONNAISSONS, parce quil faut croire avant de connaître. Et cest
pourquoi, si nous voulions dabord connaître et croire ensuite, nous ne
connaîtrions pas ni naurions la force de croire, comme le dit Augustin 202. Isaďe dit, selon une
version : Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas 203.
198. CHRYSOSTOME, loc. cit., col. 266.
199. Jean 6, 47.
200. Jean 3, 36.
201. "On dit que lEsprit Saint est le nud du Pčre et du Fils
en tant quil est Amour; en effet, puisque le Pčre saime et aime le Fils dune
dilection unique, et réciproquement, est impliqué dans lEsprit Saint, en tant
quil est Amour, un rapport (habitudo) du Pčre au Fils, et réciproquement,
comme de laimant ŕ iaimé. Mais du fait męme que le Pčre et le Fils saiment
mutuellement, il faut que lAmour mutuel qui est lEsprit Saint procčde des
deux. Donc, selon lorigine, lEsprit Saint nest pas un intermédiaire, mais la
troisičme personne de la Trinité. Mais selon le rapport que lon vient de dire,
il est le nud intermédiaire (medius nexus) des deux, procédant de lun et de
lautre" (Somme théol., I, q. 37, a. 1, ad 3). Saint Bernard disait : "Si
on comprend bien le baiser donné par le Pčre et reçu par le Fils, on ne
comprendra pas sans raison que le baiser est le Saint-Esprit, puisquil est la
paix inaltérable, le lien indissoluble, et lunité indivisible du Pčre et du
Fils" (Huitičme sermon sur le Cantique des cantiques; uvres complčtes
de saint Bernard, tome IV, p. 158); voir aussi vol. I, n° 357.
1005. Le Seigneur corrige ensuite la réponse de Pierre. La réponse du Seigneur est dabord exposée [n° 1006], et elle est suivie de la précision donnée par lEvangéliste [n° 1009].
JÉSUS
RÉPONDIT : "NEST-CE PAS MOI QUI VOUS AI CHOISIS, VOUS LES DOUZE?
CEPENDANT, L'UN DE VOUS EST UN DIABLE. "
1006. Généreux dans sa
réponse, Pierre y a inclus tous ceux qui restaient POUR NOUS, NOUS CROYONS ET
NOUS CONNAISSONS , ce qui laissait supposer que tous parviendraient ŕ la vie
éternelle. Cest pourquoi le Seigneur soustrait Judas de lassemblée des
croyants. De la part de Pierre, la confiance était louable : ŕ cause delle, il
ne soupçonnait ses compagnons daucun mal; mais dans le Seigneur il faut
admirer la sagesse, lui qui voyait les choses cachées : NEST-CE PAS MOI QUI
VOUS AI CHOISIS, VOUS LES DOUZE? CEPENDANT, LUN DE VOUS EST UN DIABLE, non par
nature, mais par imitation de la malice diabolique : Cest par lenvie du
diable que la mort est entrée dans le monde; et ils limitent, ceux qui lui
appartiennent 204. Or aprčs la bouchée,
Satan entra en lui 205 précisément parce quil était devenu conforme ŕ sa malice.
202. Tract. in Ioann., XXVII, 9, p. 555.
203. Isaďe 7, 9 (LXX). Cf. ci-dessus, note 175.
204. Sag 2, 24.
1007. Mais si le Christ a choisi Judas, et que celui-ci est devenu mauvais, il a visiblement commis une erreur dans son choix?
A cela une premičre réponse peut ętre donnée : selon Chrysostome 206, CHOISI nexprime pas le choix de prédestination, mais un choix en vue dune certaine fonction, et relativement au statut de la justice présente daprčs laquelle on est parfois choisi non pas en vue du futur, mais pour ce quon est, ŕ ce moment-lŕ : car par ce choix, le Christ ne supprime pas notre libre arbitre, ni la possibilité de pécher Que celui qui se croit debout prenne garde de tomber 207. Si donc le Seigneur a choisi Judas, il ne la pas choisi comme mauvais ŕ ce moment-lŕ, mais la possibilité de pécher ne lui a pour autant pas été retirée par ce choix.
Seconde réponse possible : selon Augustin, le Seigneur a choisi un Judas mauvais. Et parce quŕ celui qui est bon, il appartient de se servir du mal pour le bien, tout en le sachant mauvais, le Seigneur a fait bon usage du mal de Judas, lorsquil accepta dętre trahi pour nous racheter 208.
Ou bien il faut dire que le choix des douze Apôtres ne se rapporte pas ici aux personnes mais au nombre. Comme sil disait : Moi, jai choisi en vous le nombre douze. Ce nombre en effet leur est consacré avec justesse, eux qui devaient proclamer la foi en la Sainte Trinité ŕ travers les quatre parties du monde. Et ce nombre na pas changé, parce quen choisissant Matthias on pourvut ŕ la place du traître qui se supprima 209.
Ou bien, selon Ambroise 210, il a choisi Judas
mauvais pour consoler notre faiblesse, au cas oů il nous arriverait un jour
dętre trahis par nos amis, puisque nous lisons que le Seigneur et Maître a été
trahi par un disciple.
205. Jean 13, 27.
206. Nos recherches sur lorigine de cette référence nont pas
abouti.
207. 1 Corinthiens 10, 12.
208. Op. cit. XXVII, 10, pp. 555-559.
209. Cf. SAINT AUGUSTIN, loc. cit, p. 559.
210. Traité sur lÉvangile de saint Luc, IV, 45, SC 45, pp. 199-200.
Saint Thomas cite ce passage trčs librement en écartant le style oratoire.
1008. On peut se demander pourquoi, lorsque le Seigneur dit ici LUN DE VOUS EST UN DIABLE, les disciples ne disent rien, alors que plus tard, quand il leur dira : L'un dentre vous me livrera 212, ils diront : Est-ce moi, Seigneur? 213
La raison en est que, ici, le Seigneur a parlé en général, en disant que lun deux était un diable, ce qui peut se rapporter ŕ nimporte quelle malice, et cest pourquoi ils ne sont pas émus. Mais plus tard, ŕ lannonce dun tel crime la trahison du Maître ils ne peuvent se contenir.
Ou bien il faut dire quau moment oů le Seigneur a dit ces paroles, chacun deux mettait sa confiance en sa propre valeur, et cest pour cela quils ne concevaient aucune crainte que cela les concernât. Mais quand Pierre entendit : Va derričre moi, Satan 214, ils furent terrifiés et touchčrent du doigt ŕ quel point ils étaient faibles. Et cest pourquoi ils disaient en tremblant : Est-ce moi, Seigneur? 215
211. Jean 13, 14.
212. Jean 13, 21.
213. Mt 26, 22.
214. Mt 16, 23.
215. Mt 26, 22. Ces deux explications se retrouvent, dune
maničre assez confuse, dans le commentaire de Chrysostome (In loannem hom., 47,
ch. 4, col. 267).
IL
PARLAIT DE JUDAS ISCARIOTE, FILS DE SIMON : CAR CÉTAIT LUI QUI DEVAIT LE
TRAHIR, BIEN QUIL FŰT LUN DES DOUZE.
1009. La réponse que le
Seigneur avait faite de maničre voilée, lEvangéliste la précise en disant : IL
PARLAIT DE JUDAS, comme lont prouvé les événements.
1010. Aprčs avoir traité de la vie [n° 699] et de la nourriture [n° 838] spirituelles, le Seigneur poursuit en parlant de la formation, ou de lenseignement, ce qui est la troisičme chose nécessaire ŕ ceux qui ont été régénérés spirituellement, comme on la dit [n° 699].
Il commence par montrer le but du présent chapitre] lorigine de son enseignement; ensuite, ŕ partir du chapitre VIII, il manifestera son utilité.
Ici, lEvangéliste commence par situer le lieu oů le Christ a mis en lumičre lorigine de son enseignement, en exposant dabord comment on a incité le Christ ŕ sy rendre, puis le refus du Seigneur [n° 1018], et enfin comment le Christ y est parvenu [n° 1024].
Puis lEvangéliste montrera les occasions de manifester lorigine de lenseignement du Christ [n° 1028], avant de nous donner cette manifestation elle-męme [n° 1036].
Or,
aprčs cela, Jésus parcourait la Galilée; en effet, il ne voulait pas parcourir
la Judée, parce que les Juifs cherchaient ŕ le tuer. Or on était tout proche de
la fęte des Juifs, la Scénopégie. Ses frčres lui dirent : "Traverse dici,
et va en Judée, pour que tes disciples aussi voient tes uvres, celles que tu
fais. Personne certes ne fait quelque chose dans le secret sil cherche ŕ ętre lui-męme
au grand jour : si tu fais ces choses, manifeste-toi au monde. " En effet,
ses frčres non plus ne croyaient pas en lui. 6 leur dit donc : "Mon temps
nest pas encore advenu; mais votre temps est toujours pręt. Le monde ne peut
pas vous haďr; mais il me hait, parce que moi je rends témoignage ŕ son sujet
que ses uvres sont mauvaises. Vous, montez ŕ cette fęte; mais moi je ne
monterai pas ŕ cette fęte, parce que mon temps nest pas encore accompli. "
9 avoir dit cela, lui-męme demeura en Galilée. Et quand ses frčres furent
montés, alors lui aussi monta ŕ la fęte, non pas manifestement, mais comme en
secret.
LES
FRČRES DU CHRIST LINCITENT Ŕ SE RENDRE EN JUDÉE. OR, APRČS CELA, JÉSUS
PARCOURAIT LA GALILÉE; EN EFFET, IL NE VOULAIT PAS PARCOURIR LA JUDÉE, PARCE
QUE LES JUIFS CHERCHAIENT Ŕ LE TUER. OR ON ÉTAIT TOUT PROCHE DE LA FĘTE DES
JUIFS, LA SCÉNOPÉGIE. ET SES FRČRES LUI DIRENT : "TRAVERSE DICI, ET VA EN
JUDÉE, POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES UVRES, CELLES QUE TU FAIS. PERSONNE
CERTES NE FAIT QUELQUE CHOSE DANS LE SECRETS. IL CHERCHE Ŕ ĘTRE LUI-MĘME AU
GRAND JOUR : SI TU FAIS CES CHOSES, MANIFESTE-TOI AU MONDE. "EN EFFET, SES
FRČRES NON PLUS NE CROYAIENT PAS EN LUI
LÉvangéliste, pour montrer comment on a incité le Christ ŕ se rendre dans le lieu oů il amis en lumičre lorigine de son enseignement, commence par montrer les occasions qui ont provoqué [ce fait], puis il nous expose le fait lui-męme [n° 1014].
Trois raisons poussaient [les frčres du Seigneur] ŕ linciter ŕ se rendre en Judée : son séjour prolongé [n° 1011], son intention [n° 1012], lopportunité du moment [n° 1013].
OR,
APRČS CELA, JÉSUS PARCOURAIT LA GAULÉE.
1011. Par son séjour en Galilée, le Christ manifestait son intention de sattarder, et cest pourquoi lEvangéliste affirme : APRČS CELA, cest-ŕ-dire aprčs les paroles quil avait dites ŕ Capharnaüm, JESUS PARCOURAIT LA GALILEE. Il était en effet reparti de Capharnaüm, métropole de la Galilée, afin de parcourir cette région.
Si le Seigneur séjourne souvent en Galilée, cest pour nous montrer que nous devons passer des vices aux vertus : Toi donc, fils dhomme, fais-toi un bagage démigré; tu émigreras devant eux en plein jour 1.
EN
EFFET, IL NE VOULAIT PAS PARCOURIR LA JUDÉE, PARCE QUE LES JUIFS CHERCHAIENT Ŕ
LE TUER.
1012. Les frčres du Seigneur étaient poussés par une deuxičme raison : lintention du Christ; intention quil leur avait peut-ętre fait connaître par ses paroles, et cest pour quoi l'Evangéliste dit : Jésus, EN EFFET, NE VOULAIT PAS PARCOURIR LA JUDEE. La raison en est que LES JUIFS CHERCHAIENT A LE TUER. Et ces derniers cherchaient ŕ le tuer parce que non seulement il violait le sabbat, mais encore il appelait Dieu son propre Pčre, se faisant ainsi légal de Dieu 2.
Mais ne pouvait-il pas sy rendre et circuler parmi les Juifs sans ętre mis ŕ mort par eux, comme il le fit plus tard? 3 On peut, en réponse ŕ cette question, donner trois raisons. La premičre vient dAugustin 4 il arriverait dans lavenir que certains, ŕ cause de leur foi au Christ, devraient se cacher pour ne pas ętre découverts par leurs persécuteurs. Afin quon ne leur reprochât pas leur fuite comme un crime, le Seigneur, pour notre consolation, voulut montrer quen cela il les avait précédés ce quil enseigne du reste par la parole : Lorsqu'on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre 5.
La seconde raison est que le Christ était Dieu et homme; cest pourquoi, en vertu de sa divinité, il pouvait ne pas ętre blessé par ses persécuteurs; mais il ne voulut pas toujours agir ainsi, parce que sa divinité aurait été manifestée de telle sorte quon en serait venu ŕ douter de son humanité. Et cest pourquoi, fuyant parfois ses persécuteurs comme un homme, il affirme son humanité, afin de con fondre tous ceux daprčs qui il na pas été véritablement homme; et parfois, passant sans dommage au milieu deux 6, il manifeste sa divinité, confondant ainsi tous ceux aux yeux de qui il nest quun homme. Cela explique pourquoi Chrysostome a sous les yeux une autre version : "Il navait pas le pouvoir [s'il le voulait] de se rendre en Judée", si lon considčre le mode humain des actions du Christ 7 autrement dit : on peut vouloir se rendre en un lieu et en ętre empęché par des embűches.
La troisičme raison est que le temps de sa Passion nétait pas encore venu, car cest au moment de la Pâque quil aurait ŕ souffrir, lorsque lagneau serait immolé, pour quainsi la Victime se substituât ŕ la victime : Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Pčre... 8
1. Ez 12, 3. Saint Thomas reprend ici létymologie de Galilée
quil avait donnée ŕ loccasion du miracle de Cana (cf vol. I, p. 326, n° 338
et note 12) : "passage", en latin transmigratio.
2. Jean 5, 18.
3. Cf. Jean 8, 59.
4. Tract, in Ioann., XXVIII, 2, pp. 569-57
1.
5. Mt 10, 23.
OR ON
ÉTAIT TOUT PROCHE DE LA FĘTE DES JUIFS, LA SCÉNOPÉGIE.
1013. Lopportunité du moment était une raison de plus, pour ses frčres, de linciter ŕ partir : il convenait alors de se rendre ŕ Jérusalem; et cest ce que lEvangéliste dit : OR ON ETAIT TOUT PROCHE DE LA FETE DES JUIFS, LA SCENOPEGIE. Scenopegia est un mot grec composé de scenos qui signifie "tente" et de phagim qui veut dire "manger"; autrement dit : cétait le temps oů les Juifs prenaient leurs repas sous des tentes 9. Car le Seigneur avait prescrit aux fils dIsraël que le septičme mois ils habiteraient pendant sept jours dans des tentes 10 en mémoire des quarante années oů ils avaient habité sous des tentes au désert. Et les juifs célébraient alors cette fęte.
LEvangéliste rappelle ce fait pour montrer quentre le moment oů furent accomplies les uvres concernant la nourriture spirituelle et le moment présent, beaucoup de temps sétait écoulé. En effet, quand le Christ fit le miracle des pains, la fęte de la Pâque était proche; or la fęte des Tentes a lieu bien aprčs la Pâque. Ainsi lEvangéliste ne mentionne ici aucun des actes accomplis par le Seigneur pendant cet intervalle de cinq mois, pour nous faire com prendre ceci : bien quil ne cessât daccomplir des signes [comme saint Jean le dit] ŕ la fin de cet Evangile 11, les Evangélistes sappliqučrent surtout ŕ relater ceux qui furent occasion de dispute ou dopposition de la part des Juifs 12.
6. Cf. Luc 4, 30.
7. In loannem hom., 48, ch. 1, col. 269.
8. Jean 13, 1.
9. Létymologie exacte de scenopegia est la composition de,
tente, et ti, planter, ainsi que le note saint Isidore (Etymologzarurn sive
originum libri, VI, XVIII, 9). Celle que donne saint Thomas na pas
dantécédent mentionné dans les Onornastica Sacra, ni de Wutz, ni de Lagarde.
ET
SES FRČRES LUI DIRENT : "TRAVERSE D'ICI, ET VA EN JUDÉE, POUR QUE TES
DISCIPLES AUSSI VOIENT TES UVRES, CELLES QUE TU FAIS. PERSONNE CERTES NE FAIT
QUELQUE CHOSE DANS LE SECRET SIL CHERCHE Ŕ ĘTRE LUI-MĘME AU GRAND JOUR : SI TU
FAIS CES CHOSES, MANIFESTE-TOI AU MONDE. " EN EFFET, SES FRČRES NON
PLUS NE CROYAIENT PAS EN LUI
1014. LÉvangéliste expose ici lincitation des frčres du Seigneur : dabord leur exhortation, ensuite le but de cette exhortation [n° 1016]; enfin, lEvangéliste montre pour quoi ils lexhortent ainsi [n° 1017].
ET
SES FRČRES LUI DIRENT : "TRAVERSE DICI, ET VA ENJUDÉE
1015. LÉvangéliste commence donc par faire con naître ceux qui sadressent au Christ : SES FRERES, non des frčres selon la chair, du męme sein que lui, blasphčme que proféra Elvidius, car la foi catholique nie que ce sein virginal trčs saint qui enfanta Dieu homme ait ensuite conçu un autre homme mortel. Ils étaient donc ses frčres par un lien de parenté parce quils étaient du męme sang que la bien heureuse Vierge Marie. Cest en effet la coutume de lEcriture dappeler frčres ceux qui sont liés par le sang Abraham dit ŕ Lot : "Qu'il n'y ait pas, je te prie, de dispute entre toi et moi (...) car nous sommes frčres" 13; alors que Lot était le neveu dAbraham. Et comme le dit Augustin, de męme que dans le sépulcre oů on déposa le corps du Seigneur ne reposa ni avant ni aprčs un autre corps, ainsi le sein de Marie, ni avant ni aprčs la conception, ne conçut aucun mortel 14. Mais parmi les parents de la bienheureuse Vierge il y avait des Apôtres, tels les fils de Zébédée, et Jacques fils dAlphée, et dautres encore; aussi ne faut-il pas croire quils furent de ceux qui incitčrent le Christ ŕ se rendre en Judée; ce furent dautres parents, qui naimaient pas le Christ.
LÉvangéliste expose ensuite leur exhortation : TRAVERSE D'ICI, cest-ŕ-dire de la Galilée, ET VA EN JUDEE, lŕ oů se trouve jérusalem, ce lieu oů normalement se trouvent les docteurs : Toi qui vois, va, fuis dans la terre de Juda et mange lŕ ton pain, et lŕ tu prophétiseras 15.
10. Lev 23, 41.
11. Jean 20, 30.
12. Voir CHRYSOSTOME, op. cil., col. 270.
POUR
QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES UVRES, CELLES QUE TU FAIS. PERSONNE CERTES
NE FAIT QUELQUE CHOSE DANS LE SECRET SIL CHERCHE A ĘTRE LUI-MĘME AU GRAND JOUR
: "SI TU FAIS CES CHOSES, MANIFESTE-TOI AU MONDE. "
1016. Ils donnent aussi le but de cette exhortation en disant : POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES UVRES, CELLES QUE TU FAIS. Par ces paroles ils mon trent quils sont avides de vaine gloire, soupçonneux et incrédules 16.
Ils se montrent avides de vaine gloire quand ils disent : POUR QUE TES DISCIPLES AUSSI VOIENT TES UVRES, CELLES QUE TU FAIS. Ils éprouvaient en effet des sentiments purement humains ŕ légard du Christ et voulaient capter la gloire de lhonneur humain que les foules rendaient au Christ; et cest pourquoi ils lamenaient ŕ accomplir ses uvres en public. Car cest le propre de lassoiffé de vaine gloire que de manifester en public tout ce quil y a de glorieux en lui ou chez les siens : Ils aiment prier debout dans les synagogues et aux coins des places, afin de se faire voir des hommes 17, eux dont il est dit : Ils préférčrent la gloire des hommes ŕ la gloire de Dieu 18.
Ils se montrent ensuite soupçonneux et accusent dabord le Christ davoir peur; cest pourquoi ils lui disent : PERSONNE CERTES NE FAIT QUELQUE CHOSE DANS LE SECRET, autrement dit : toi, tu dis que tu accomplis des miracles, mais tu les fais en secret, et cela par crainte, sinon tu irais ŕ Jérusalem et lŕ tu les ferais devant la multitude. Cependant le Seigneur dit : Cest ouvertement que jai parlé au monde et je nai rien dit en secret 19. Puis ils laccusent daimer la gloire; aussi disent-ils : SIL CHERCHE A ETRE LUI MEME A U GRAND JOUR, autrement dit : toi, tu cherches ŕ tirer gloire de ce que tu accomplis, et cependant par crainte tu te caches. Cest le propre des méchants de croire que les autres ont des passions semblables aux leurs. Voyez avec quelle insolence la prudence de la chair attaquait le Verbe fait chair; cest contre eux quil est dit : Tu reprends celui qui nest pas égal ŕ toi 20.
Enfin, ils se montrent incrédules quand ils ajoutent : SI TU FAIS CES CHOSES, MANIFESTE-TOI AU MONDE, comme mettant en doute le fait quil accomplisse lui-męme des miracles Celui qui est incrédule agit dune maničre infidčle 21.
13. Gn 13, 8.
14. Tract, in Ioann., XXVIII, 3, p. 573.
15. Am 7, 12.
16. On peut retrouver ces trois raisons dans le commentaire de
Chrysostome (op. cit., col. 270-27 1).
17. Mt 6, 5.
18. Jean 12, 43.
19. Jean 18, 20.
20. Jb 15, 3.
21. Isaďe 21, 2.
EN
EFFET, SES FRČRES NON PLUS NE CROYAIENT PAS EN LUI
1017. LÉvangéliste ajoute la raison pour laquelle ils parlaient ainsi, lorsquil dit : EN EFFET, SES FRERES NON PLUS NE CROYAIENT PAS EN LUI Il arrive en effet que les hommes charnels soient les pires ennemis de ceux qui leur sont unis par le sang et quils envient leurs biens spirituels; et ainsi ils les méprisent. Aussi Augustin dit-il : "Ils ont bien pu avoir le męme sang que le Christ; mais ŕ cause męme de leur proximité il leur répugnait de croire en lui 22" L'homme a pour ennemis ceux de sa propre maison 23 Il a éloigné mes frčres de moi, et mes amis, comme des étrangers, se sont retirés de moi. Mes proches m'ont abandonné, et ceux qui me connaissaient mont oublié 24.
JÉSUS
LEUR DIT DONC : "MON TEMPS NEST PAS ENCORE ADVENU; MAIS VOTRE TEMPS
EST TOU JOURS PRĘT LE MONDE NE PEUT PAS VOUS HAĎR; MAIS IL ME HAIT, PARCE QUE
MOI JE RENDS TÉMOIGNAGE Ŕ SON SUJET QUE SES UVRES SONT MAUVAISES. VOUS, MONTEZ
A CETTE FĘTE; MAIS MOI JE NE MONTERAI PAS Ŕ CETTE FĘTE, PARCE QUE MON TEMPS
NEST PAS ENCORE ACCOMPLI"
1018. Il sagit ici de la réponse du Christ; il indique dabord que le temps nest pas opportun pour partir et il en donne ensuite la raison [n° 1020]; puis il dit son refus de monter [n° la fęte] [n° 1022].
22. op. cil., XXVIII, 4, p. 575.
23. Mic 7, 6.
24. Jb 19, 13-14.
JÉSUS
LEUR DIT DONC : "MON TEMPS NEST PAS ENCORE ADVENU; MAIS VOTRE TEMPS EST
TOUJOURS PRĘT
1019. Il faut savoir que tout ce verset est interprété différemment par Augustin et par Chrysostome [n° 1023].
Selon Augustin 25, les frčres du Seigneur linvitaient ŕ une gloire humaine. Mais le temps oů les saints parviennent ŕ la gloire, cest le temps ŕ venir; ils y parviennent par de grandes souffrances et des tribulations Comme lor dans la fournaise, Dieu les a éprouvés, comme une victime dholocauste il les a agréés, et quand leur temps sera venu il les regardera favorablement 26. Mais le temps oů ceux qui appartiennent au monde obtiennent leur gloire, cest le temps présent Ne laissons pas passer la fleur de ce temps, couronnons-nous de roses avant quelles ne flétrissent 27. Le Seigneur voulut donc montrer quil ne cherchait pas la gloire de ce temps, mais quil voulait parvenir par sa Passion et son humilité ŕ lélévation de la gloire céleste Ne fallait-il pas que le Christ souffrît toutes ces choses pour entrer dans sa gloire? 28 Et cest pourquoi il leur dit ŕ ses frčres MON TEMPS le temps de ma gloire NEST PAS ENCORE ADVENU, car il faut que la tristesse soit changée en joie 29. Les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire future qui doit se révéler en nous 30. Mais VOTRE TEMPS, cest-ŕ-dire la gloire du monde, EST TOUJOURS PRET
LE
MONDE NE PEUT PAS VOUS HAĎR; MAIS IL ME HAIT, PARCE QUE MOI JE RENDS TÉMOIGNAGE
Ŕ SON SUJET QUE SES UVRES SONT MAUVAISES.
1020. Par ces mots, le Christ indique la raison de cette différence de temps. En effet, pour ceux qui appartiennent au monde, le temps de la gloire est lŕ, parce quils aiment ce que le monde aime, et ils sont en accord avec le monde. Mais pour les saints, qui cherchent la gloire spirituelle, le temps de la gloire nest pas venu, parce quils cherchent ce qui déplaît au monde : la pauvreté, les larmes, la faim et autres choses semblables 31. Ils blâment aussi ce que le monde aime; bien plus, ils méprisent le monde lui-męme : Le monde est ŕ jamais cruc et moi pour le monde 32. Cest pour quoi le Christ dit : LE MONDE NE PEUT PAS VOUS HAIR; autrement dit : le temps de votre gloire est lŕ, parce que le monde ne vous hait pas, vous qui vous accordez avec lui, et parce que tout ętre vivant aime son semblable 33. MAIS IL ME HAIT; et donc mon temps nest pas toujours pręt. Et la rai son de cette haine, cest que MOI JE RENDS TEMOIGNAGE A SON SUJET au sujet du monde QUE SES UVRES SONT MAUVAISES : je ne manque pas de reprendre les hommes qui appartiennent au monde, męme si je sais quainsi je suscite la haine et mexpose ŕ la mort Ils (ceux qui aiment la méchanceté) ont haď celui qui les reprenait ŕ la Porte 34. Ne reprends pas le railleur, de peur quil ne te haďsse 35.
25. Op. cit., XXVIII, 5, pp. 575-577.
26. Sag 3, 6.
27. Sag 2, 7-8.
28. Luc 24, 26.
29. Cf. Jean 16, 20.
30. Ro 8, 18.
1021. Mais ny a-t-il pas des hommes qui, tout en étant du monde, sont haďs par le monde, cest-ŕ-dire par un de leurs semblables? Il faut répondre quun de ceux-lŕ peut ętre objet de haine de la part dun autre pour des motifs par ticuliers, parce que celui-lŕ possčde ce que celui-ci voudrait posséder, ou lui est un obstacle dans ce qui se rapporte ŕ la gloire du monde; mais en tant que tel, aucun homme appartenant au monde nest lobjet de la haine du monde. Les saints, par contre, sont universellement haďs du monde, parce quils le contredisent. Et si quelquun du monde les aime, ce nest pas en tant quil est du monde, mais en tant quil y a en lui quelque chose de spirituel.
31. Cf. Mt 5, 3-39.
32. Ga 6, 14.
33. Sir 13, 15 (Vulgate Eccli 13, 19).
34. Am 5, 10. Cf. la note que donne le Chanoine Osty : "La justice se ren dait sur la place publique, qui se
trouvait prčs de la Porte des villes et des villages (Ru 4, 1-2; Ps 127, 5,
etc.). "
35. Prov 9, 8.
VOUS,
MONTEZ Ŕ CETTE FĘTE; MAIS MOI JE NE MONTERAI PAS Ŕ CETTE FĘTE, PARCE QUE MON
TEMPS NEST PAS ENCORE ACCOMPLI "
1022. Le Seigneur refuse
ici de monter ŕ la fęte. En effet, de męme quil y a deux espčces de gloire, il
y a deux espčces de fęte. Les gens du monde ont dés fętes temporel les, qui
consistent ŕ se réjouir, ŕ faire bonne chčre et ŕ sadonner ŕ des jouissances
extérieures du męme genre Le Seigneur appela aux pleurs, aux gémissements, ŕ se
raser les cheveux et ŕ se ceindre d'un sac; et voici la joie et lallégresse :
on tue des veaux, on égorge des béliers, on mange des viandes et on boit du vin
36. Mon âme hait vos
solennités 37. Quant aux saints, ils ont des fętes spirituelles, qui consistent dans
les joies de lesprit Contemple Sion, la ville de nos fętes 38. Et cest pourquoi il dit :
VOUS, qui cherchez la gloire du monde, MONTEZ A CETTE FETE, fęte de joie
éphémčre; MAIS MOI JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE, mais ŕ la fęte de la
solennité éternelle; et cela PARCE QUE MON TEMPS, celui de ma gloire, qui
demeurera sans fin dans une joie éternelle, éternité sans labeur, sérénité sans
nuage, NEST PAS ENCORE ACCOMPLI 39
1023. Chrysostome 40, tout en gardant la męme division, interprčte ce verset de la maničre suivante : Les frčres du Seigneur avaient tramé avec les Juifs de faire mourir le Christ; cest pourquoi ils lincitaient ŕ partir, voulant le faire paraître en public et le livrer aux Juifs. Aussi dit-il : MON TEMPS, cest-ŕ-dire le temps de la croix et de la mort, NEST PAS ENCORE ADVENU, pour que jaille en Judée et sois mis ŕ mort; MAIS VOTRE TEMPS EST TOUJOURS PRET, parce que vous, vous pourrez demeurer avec eux sans danger. La raison en est quils ne peuvent vous haďr, vous qui ętes animés du męme zčle queux et qui aimez ce quils aiment. MAIS IL ME HAIT, PARCE QUE MOI JE RENDS TEMOIGNAGE A SON SUJET QUE SES UVRES SONT MAUVAISES, ce qui montre que les Juifs me haďssent non pas parce que je relativise le sabbat, mais parce que je les contredis publiquement. VOUS donc, MONTEZ A CETTE FETE, cest-ŕ-dire pour le début de la fęte (car elle se célé brait pendant sept jours, comme nous lavons dit [n° 1013]); quant ŕ MOI, JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE, cest-ŕ-dire avec vous, ou bien au début de la fęte, PARCE QUE MON TEMPS, celui oůje dois souffrir, NEST PAS ENCORE ACCOMPLI; en effet, cest au cours dune Pâque ŕ venir quil devait ętre crucifié. Et cest pourquoi il ne monta pas avec eux, pour pouvoir mieux se cacher.
36. Isaďe 22, 12-13.
37. Isaďe 1, 14.
38. Isaďe 33, 20.
39. Ce sont les termes męmes de saint Augustin (op. cit.,
XXVIII, 8, p.
40. In loannem hom., 48, ch. 2, col. 271.
Chrysostome veut dire, en des ter mes
non rapportés par saint Thomas, que Jésus suggčre ŕ ses frčres quils nont pas
besoin de sinquiéter du moment de sa montée ŕ Jérusalem, car il leur sera
toujours possible de réaliser leur dessein meurtrier.
APRČS
A VOIR DIT CELA, LUI-MĘME DEMEURA EN GALILÉE. MAIS QUAND SES FRČRES FURENT
MONTÉS, ALORS LUI AUSSI MONTA Ŕ LA FĘTE, NON PAS MANIFESTEMENT, MAIS COMME EN
SECRET
1024. LÉvangéliste
traite ici de la montée du Christ en Judée; il en montre dabord lajournement [n° 1025], puis lordre [n° 1026], enfin le mode [n° 1027].
1025. Il montre
lajournement de la montée du Christ lorsquil dit : APRES AVIR DIT CELA,
cest-ŕ-dire ayant fait cette réponse, LUI-MEME DEMEURA EN GALILEE, ne montant
pas ŕ la fęte avec les gens de sa parenté, pour que fűt vérifiée la parole quil
avait dite : MOI, JE NE MONTE RAI PAS A CETTE FETE Dieu nest pas semblable ŕ
un homme pour mentir, ni fils dhomme pour changer 41.
1026. LÉvangéliste montre ensuite lordre de cette montée lorsquil dit : MAIS QUAND SES FRERES, cest-ŕ-dire les gens de sa parenté, FURENT MONTES, ALORS LUI AUSSI MONTA A LA FETE.
Mais cela semble aller ŕ lencontre de ce quil a dit plus haut : MOI, JE NE MONTERAI PAS Ŕ CETTE FETE; lApôtre dit pourtant : En le Christ Jésus que nous avons pręché parmi vous (...), il n'a pas eu de oui et de non; cest le oui qui sest trouvé en lui 42.
Il faut répondre en premier lieu, selon le sens littéral, que la fęte de la scénopégie durait sept jours, comme nous lavons dit 43. Le Seigneur a dit plus haut : MOI, JE NE MON TERAI PAS A CETTE FETE, cest-ŕ-dire au début de la fęte. Ce qui est dit ici A LA FETE doit ętre compris des jours intermédiaires; doů ce quon lit plus loin : alors quon était déjŕ au milieu de la fęte 44. Et ainsi, il est évident que ce que le Christ a fait na pas été en contradiction avec ce quil a dit.
Selon Augustin 45, on peut répondre ceci : ses frčres vou laient que le Christ montât en Judée pour y chercher une gloire éphémčre; ainsi, il leur dit : JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE, de cette maničre, comme vous le voulez. Mais LUI AUSSI MONTA A LA FETE, pour y enseigner les foules et les instruire de la gloire éternelle.
On peut répondre enfin, selon Chrysostome, quil a dit plus haut : JE NE MONTERAI PAS A CETTE FETE pour souffrir et mourir, comme eux le voulaient; cependant LUI AUSSI MONTA A LA FETE, non pas pour y souffrir, mais pour y instruire les autres 46.
NON
PAS MANIFESTEMENT, MAIS COMME EN SECRET.
1027. Ici, lÉvangéliste montre la maničre dont le Christ est monté en Judée; la raison de cette maničre dagir est triple.
Selon Chrysostome, il fit cela de peur que, sa divinité étant davantage découverte, son Incarnation soit moins certaine, comme on la dit plus haut, et pour supprimer la honte quéprouvent les hommes justes ŕ devoir se cacher, quand ils ne peuvent pas résister ŕ leurs persécuteurs ŕ la face de tous. Et lEvangéliste dit expressément COMME EN SECRET, pour montrer que cela a été fait par mode darrangement Vraiment tu es un Dieu caché 47.
Selon Augustin 48, cest pour donner ŕ entendre que le Christ est caché dans les figures de lAncien Testament Jai attendu le Seigneur qui a caché sa face, cest-ŕ-dire la connaissance manifeste [que nous pouvons avoir de lui], loin de la maison de Jacob 49 et cest pourquoi ils ont jusquŕ aujourdhui un voile posé sur leur cur 50. Toutes les choses qui ont été dites au peuple ancien, Israël, furent des ombres des biens futurs, comme le dit lépître aux Hébreux 51. Donc, pour montrer que cette fęte elle-męme était une figure, le Christ y monta en secret. La scénopégie, comme nous lavons dit, était la célébration des tentes. Célčbre donc cette fęte celui qui comprend quil est en ce monde un pčlerin 52.
Enfin, et cest encore une autre raison, il fit cela pour nous montrer que nous devons cacher ce que nous faisons de bien, ne cherchant pas la faveur des hommes, ni ne désirant les acclamations de foules empressées Gardez-vous daccomplir votre justice en face des hommes de façon ŕ ętre vus deux 53.
41. Nomb 23, 19.
42. 2 Co 1, 19.
43. Cf. n° 1013.
44. Jean 7, 14.
45. Tract, in Ioann., XXVIII, 8, pp. 585-587.
46. Op. cit., 48, ch. 2, col. 27 1-272.
Les
Juifs le cherchaient donc pendant la fęte, et disaient : "Oů est-il,
celui-lŕ?" 12 Et il y avait un grand mur mure dans la foule ŕ son sujet. Certains
en effet disaient quil est bon; mais dautres disaient : "Non, mais il
séduit la foule. " 13 Nul pourtant ne parlait ouvertement ŕ son sujet, par
peur des Juifs. 14 Alors quon était déjŕ au milieu de la fęte, Jésus monta au
Temple; et il enseignait. les Juifs sétonnaient, disant : "Comment
celui-ci est-il savant alors quil na pas étudié?"
LES
JUIFS LE CHERCHAIENT DONC PENDANT LA FĘTE, ET DISAIENT : "OŮ EST-IL,
CELUI-LŔ?"ET IL Y AVAIT UN GRAND MURMURE DANS LA FOULE Ŕ SON SUJET
CERTAINS EN EFFET DISAIENT QUIL EST BON; MAIS DAUTRES DISAIENT : "NON,
MAIS IL SÉDUIT LA FOULE. " NUL POURTANT NE PARLAIT OUVERTEMENT Ŕ SON
SUJET, PAR PEUR DES JUiFS. ALORS QUON ÉTAIT DEJŔ AU MILIEU DE LA FĘTE JÉSUS
MONTA AU TEMPLE; ET IL ENSEIGNAIT ET LES JUIFS S'ÉTONNAIENT, DISANT : "COMMENT
CELUI-CI EST-IL SAVANT ALORS QUIL NA PAS ÉTUDIÉ?"
1028. LEvangéliste expose ici quelle a été loccasion de manifester lorigine de lenseignement spirituel. Il montre en fait deux occasions. Lune est la division des foules; lautre est leur admiration pour jésus [n° 1033].
Ce qui divisait les foules,
cétait une divergence dopi nions au sujet du Christ. Aussi l'Evangéliste
commence-t-il par montrer ce en quoi tous étaient daccord; puis il montre en
quoi leurs opinions différaient [n° 1030];
et enfin, laquelle de ces opinions prévalait [n° 1032].
1029. Tous saccordaient pour le chercher; et la raison [n° 11] pour laquelle lEvangéliste dit cela, cest que le Christ ne vint pas au début, ni ouvertement. LES JUIFS LE CHERCHAIENT DONC PENDANT LA FĘTE, ET DISAlENT : "OŮ EST-IL, CELUI-LŔ?" Il est évident que sils ne voulaient pas lappeler par son nom 1, cétait ŕ cause de leur grande haine et de leur hostilité Ils lavaient pris en haine, et ne pouvaient pas lui dire quoi que ce soit avec paix 2.
47. Isaďe 45, 15. Op. cit., 48, 1, col. 269. Voir ci-dessous, n°
1012.
48. Tract, in Ioann., XXVIII, 9, pp. 587-591.
49. Isaďe 8, 17.
50. 2 Co 3, 15. Saint Thomas commente ainsi ce verset "On
peut dire de deux maničres quun voile est imposé ŕ quelquun : ou bien ce
voile est placé sur la réalité vue pour quon ne puisse pas la voir, ou bien il
est placé sur celui qui voit, pour quil ne puisse pas voir. Mais sous
lAncienne Loi, un voile était imposé aux Juifs de lune et lautre maničre. En
effet, leur cur était aveuglé, de telle sorte quils ne con naissaient pas la
vérité, ŕ cause de leur dureté; et lAncien Testament nétait pas encore achevé,
parce que la vérité nétait pas encore venue. En signe de cela, il y avait un
voile sur le visage de Moďse, et non sur le leur; mais le Christ venant, le
voile a été enlevé du visage de Moďse, cest-ŕ-dire de lAncien Testament, qui
est désormais achevé; cependant, il na pas été enlevé de leur cur" (Ad 2
Cor. lect., III, leç. 3, n° 108).
51. He 10, 1.
52. Cf. 2 Co 5, 6.
53. Mt 6, 1.
1030. Mais il y avait entre eux une divergence, parce que certains le cherchaient par désir dętre enseignés Cherchez le Seigneur et votre âme vivra 3 ; dautres avec une intention mauvaise Ils cherchent mon âme pour me larracher 4. Et cest pourquoi IL Y AVAIT UN GRAND MURMURE DANS LA FOULE, ŕ cause du conflit quil y avait A SON SUJET
Bien que le mot murmure soit du genre neutre, Jérôme le prend comme un mot masculin, ou bien parce quil en était ainsi dans lancienne grammaire, ou bien pour mon trer que la divine Ecriture nest pas soumise aux rčgles de Priscien 5.
Il y avait une division, parce que CERTAINS parmi la foule, ceux qui avaient un cur droit, DISAIENT du Christ QUIL EST BON Comme le Dieu dIsraël est bon pour ceux qui sont droits de cur !6 Le Seigneur est bon pour ceux qui espčrent en lui, pour lâme qui le cherche 7. DAUTRES, ceux qui étaient mal disposés, DISAIENT : NON, cest-ŕ-dire, il nest pas bon. Par lŕ, il est donné ŕ entendre que la multitude lestimait bon, mais que les princes des prętres lestimaient mauvais, et cest pourquoi ils disent MAIS IL SEDUIT LA FOULE Nous avons trouvé cet homme bouleversant notre nation 8 Nous nous sommes souvenus que ce séducteur a dit... 9
2. Gn 37, 4.
3. Ps 68, 33.
4. Ps 39, 14.
5. Rappelons que saint Jérôme est lauteur de la version de la
Bible utilisée par saint Thomas. Priscien est un célčbre grammairien latin mort
au début du VIe sičcle, dont les Institutiones grammaticae restčrent jus quau
Moyen Age la principale référence en matičre de grammaire latine. Selon cet
ouvrage, murmur était ŕ lorigine aussi bien masculin que neutre, comme on le
trouve dans les plus anciennes éditions de la Bible latine, jusque dans
lédition critique de la Vulgate par R. Weber (comparer Ex 16, 8 et Ac 6, 1; Cf.
Thesaurus linguae latinae, vol. 8, col. 1675, art. murmur, 11. 27-31).
6. Ps 72, 1.
7. Lam 3, 25.
8. Luc 23, 2.
9. Mt 27, 63.
1031. Il faut savoir que séduire veut dire "conduire en dehors" 10. Mais lhomme peut ętre conduit ou bien hors de la vérité ou bien hors de lerreur; ainsi, quelquun peut ętre dit séducteur de lune ou de lautre maničre : ou bien en tant quil conduit quelquun hors de la vérité, et cela ne concerne pas le Christ, qui est lui-męme la Vérité 11, ou bien en tant quil le conduit hors de lerreur; et de cette maničre on peut dire que le Christ est séducteur Tu mas séduit, Seigneur, et jai été séduit : tu as été plus fort que moi 12. Et comme le dit Augustin plaise ŕ Dieu que tous nous soyons appelés, et soyons en réalité, des séducteurs de ce genre-lŕ. Cependant, on appelle plus séducteur celui qui détourne de la vérité et trompe, parce que lon dit "quil est conduit en dehors", celui qui est traîné hors de la voie normale. Or la vérité, cest la voie normale; mais lhérésie et la voie des méchants sont des chemins détournés.
NUL
POURTANT NE PARLAIT OUVERTEMENT Ŕ SON SUJET, PAR PEUR DES JUIFS.
1032. Cest lopinion des méchants qui prévaut, cest-ŕ-dire celle des princes des prętres, et cest pourquoi lEvangéliste ajoute que NUL NE PARLAIT OUVERTEMENT. Et cela, parce que les foules étaient pétrifiées par la peur des chefs; en effet, comme on le lit plus loin, si quelqu'un reconnaissait que [Jésus] était le Christ, il était exclu de la synagogue 14.
Ainsi apparaît clairement la malice de ceux qui dominent; elle leur fait tendre des pičges au Christ; de męme la malice de ceux qui leur sont soumis, ŕ savoir le peuple, parce quils navaient pas laudace dexprimer leur pensée 15.
10. Saint Thomas explique seducere par ducere précédé du préfixe
se dont ladverbe correspondant, dans la langue du Moyen Age, est seorsum; étymologie
traditionnelle confirmée par le Dictionnaire élymologi que de la langue latine,
de A. Ernout et A. Meillet. Seorsum ducere veut dire littéralement :
"conduire ŕ part, séparément".
11. Voir Jn 14, 6.
12. Jérémie 20, 7.
13. Tract. in Ioann., XXIX, 1, p. 597.
14. Jean 9, 22.
15. Cf. CHRYSOSTOME, In boannem hom.,
49, ch. 1, col. 274.
ALORS
QUON ÉTAIT DEJŔ AU MILIEU DE LA FĘTE, JÉSUS MONTA AU TEMPLE; ET IL ENSEIGNAIT
ET LES JUIFS S'ÉTONNAIENT, DISANT : "COMMENT CELUI-CI EST-IL SAVANT
ALORS QU'IL NA PAS ÉTUDIÉ?"
1033. Ici, lÉvangéliste
expose la seconde occasion pour le Christ de manifester son enseignement :
ladmiration des foules. Il montre dabord la matičre [n° 1034] de ladmiration, puis
ladmiration [n° 1035]
elle-męme, enfin sa raison [n° 1035].
1034. La matičre de ladmiration est lenseignement du Christ; lEvangéliste en situe le temps et le lieu.
Le temps, quand il dit ALORS QUON ETAIT DEJA AU MILIEU DE LA FETE, cest-ŕ-dire quil restait autant de jours quil en était déjŕ passé. Comme cette fęte durait sept jours, on nous dit ainsi que cela eut lieu le quatričme jour. Le fait que le Christ se soit caché est un indice de son humanité, et un exemple pour notre vertu, comme nous lavons dit. Le fait quil se soit montré au grand jour sans quon puisse le saisir est significatif de sa divinité. Il monta AU MILIEU de la période DE LA FETE, parce quau début tous sont plus attentifs ŕ ce qui concerne la fęte : les bons au culte de Dieu, les autres aux vanités et aux profits. Mais vers le milieu de la période, ce qui concerne la fęte ayant été réglé, ils sont plus disposés ŕ lenseignement. Donc, il ne monta pas pendant les premiers jours 16, pour les trouver plus attentifs et plus disposés ŕ son enseignement.
Il le fit aussi parce que cela convient ŕ lordre de son enseignement; en effet, le Christ ne vint pas instruire les hommes du Royaume de Dieu ŕ la fin du monde, ni au commencement, mais au milieu du temps, selon cette parole : Au milieu des années tu feras connaître [ton uvre] 17.
LEvangéliste montre le lieu de lenseignement en disant AU TEMPLE, oů le Christ enseignait, pour deux rai sons : pour montrer quil enseignait la vérité qui ne pouvait ętre critiquée et qui était nécessaire ŕ tous Moi, je nai rien dit en cachette 18 et ensuite parce que le Temple, étant un lieu sacré, convient ŕ lenseignement trčs saint du Christ Venez, montons ŕ la montagne du Seigneur et ŕ la maison du Dieu de Jacob; et il nous enseignera ses voies, et nous marcherons dans ses sentiers 19.
LÉvangéliste omet de dire ce que le Christ a dű enseigner, parce que, comme nous lavons dit [n° 1013], les Evangélistes ne rapportent pas tous les faits et paroles du Seigneur, mais seulement ceux qui provoquaient une émotion ou une opposition dans le peuple. Et ici, lÉvangéliste rapporte lémotion que lenseignement du Christ a provoquée dans le peuple, parce que ceux qui auparavant avaient dit : IL SEDUIT LES FOULES avaient ensuite été amenés ŕ ladmirer, précisément ŕ cause de son enseignement.
16. Cf. CHYSOSTOME, ibid.
17. Hab 3, 2.
ET
LES JUIFS SÉTONNAIENT
1035. Ici, on montre leur admiration. Cela nest pas sur prenant, parce quil est écrit : Admirable est ton témoignage 20. Les paroles du Christ sont en effet des paroles de sagesse divine.
LÉvangéliste ajoute enfin la
raison de leur admiration : COMMENT CELUI-CI EST-IL SAVANT ALORS QUIL NA
PAS ÉTUDIÉ?
Ils savaient en effet que Jésus était le fils dune femme pauvre; et on pensait quil était le fils du charpentier 21, qui vivait de son travail. Cest pourquoi il semblait probable que Jésus, vivant aussi de son travail, navait pas dű sadonner ŕ létude, mais plutôt ŕ un travail manuel, selon cette parole du psaume : Moi je suis un pauvre, dans les labeurs depuis ma jeunesse 22. Voilŕ pourquoi, lorsquils lentendent enseigner et disputer 23, ils sétonnent en disant : COMMENT CELUI-CI EST-IL SAVANT? Dans lEvangile de Matthieu, ils disent : D'oů lui viennent cette sagesse et cette puissance? Nest-il pas le fils du charpentier? 24
18. Jean 18, 20.
19. Isaďe 2, 5.
20. Ps 118, 129.
21. Cf. Mt 13, 55.
22. Ps 87, 16.
23. Disputare : ce terme revęt pour saint Thomas une
signification bien précise, puisque le maître en théologie avait
officiellement, ŕ son époque, une triple fonction : legere, cest-ŕ-dire
commenter lEcriture, disputare et praedicare. La disputatio, qui voyait
saffronter les maîtres sous la responsabilité de lun deux, avait pour but de
préciser telle ou telle question théologique. Le maître qui
"disputait", aprčs la séance proprement dite, devait présenter la
doctrine quil fallait tenir sur cette question pour ętre dans la vérité. On
comprend bien par lŕ lautorité et la responsabilité du maître qui dirigeait la
dispute : il sagis sait denseigner la vérité. Lemploi de ce mot par saint
Thomas ŕ propos du Christ le désigne bien comme le Maître, la Vérité.
Au-delŕ du contexte historique, saint Thomas nous dit lui-męme
que "comme il appartient au sage de
méditer la vérité, surtout au sujet du Premier Principe, et de lexposer aux
autres, de męme il lui appartient de combattre la fausseté qui sy oppose"
(Contra Gentiles, I, ch. 1). La disputatio sera proprement le raisonnement dont
on use dans un dialogue avec quelquun, pour enseigner la vérité ou com battre
lerreur : "Le raisonnement qui sadresse ŕ un autre ne sappelle pas
seulement syllogisme ou argumentation, mais aussi dispute (disputatio); il se
passe en effet entre deux personnes, cest-ŕ-dire entre quelquun qui expose et
quelquun qui lui répond (...). La dis pute doctrinale ou démonstration est
celle qui est ordonnée ŕ la science; elle procčde de choses vraies, connues par
soi et propres ŕ la science ŕ propos de laquelle on dispute; et elle soccupe
denseigner et daugmenter la science" (SAINT THOMAS, De fallacIIs,
Prol. et ch. 1). Voir aussi ci-dessous, n° 1118. Sur laspect historique, voir
M. -D. CHENU, Introd. ŕ létude de saint Thomas dAquin.
24. Mt 13, 54-55.
Il
leur répondit, et dit : "Mon enseignement nest pas le mien, mais il est
de celui qui ma envoyé. 17 Si quel quun veut faire sa volonté, il connaîtra,
de cet enseignement, sil est de Dieu ou si moi je parle de moi-męme. 18 Celui
qui parle de lui-męme cherche sa gloire propre; mais celui qui cherche la
gloire de celui qui la envoyé, celui-lŕ est véridique, et dinjustice, il nen
est pas en lui. Moďse ne vous a-t-il pas donné la Loi? Et personne dentre
vous nac complit la Loi. Pourquoi cherchez-vous ŕ me tuer?" 21 La foule
lui répondit, et dit : "Tu as un démon; qui cherche ŕ te tuer?"Jésus
répondit et leur dit : "Jai fait une seule uvre, et tous, vous vous
étonnez. 22 Cest pour cela que Moďse vous a donné la circoncision, non quelle
vienne de Moďse, mais des Pčres. Et vous donnez la circoncision ŕ un homme le
jour du sabbat. 23 Alors quun homme reçoit la circoncision lejour du sabbat
pour que ne soit pas violée la Loi de Moďse, vous vous indignez contre moi
parce uejai rendu sain un homme tout entier le jour du sabbat? Ne jugez pas
selon laspect, mais jugez selon un juste jugement. "
1036. Aprčs quaient été montrés le lieu et les occasions oů a été manifestée lorigine de lenseignement spirituel, le Christ montre ici lorigine de son enseignement, avant din viter ŕ le recevoir [n° 1083].
Il montre dabord que son enseignement spirituel tire son origine de Dieu. Pour cela, il montre lorigine de lenseignement [n° 1037], et il en donne une preuve [n° 1038]; ensuite il repousse une objection [n° 1041]. Et plus loin, il montrera lorigine de celui qui enseigne [n° 1051].
I
JÉSUS
LEUR RÉPONDIT, ET DIT : "MON ENSEIGNEMENT NEST PAS LE MIEN, MAIS IL
EST DE CELUI QUI MA ENVOYÉ. SI QUELQUUN VEUT FAIRE SA VOLONTÉ, IL CONNAÎTRA,
DE CET ENSEIGNEMENT, SIL EST DE DIEU OU SI MOI JE PARLE DE MOI-MĘME. CELUI QUI
PARLE DE LUI-MĘME CHERCHE SA GLOIRE PROPRE; MAIS CELUI QUI CHERCHE LA GLOIRE DE
CELUI QUILA ENVOYÉ, CELUI-LŔ EST VÉRIDIQUE, ET DINJUSTICE, IL NEN EST PAS EN
LUI "
1037. JÉSUS LEUR RÉPONDIT, ET DIT; cela veut dire : vous vous demandez avec admiration doů je tiens la science; mais moi je vous dis que MON ENSEIGNEMENT NEST PAS LE MIEN
Sil avait dit : "Lenseignement que je donne nest pas le mien", aucune question naurait surgi; mais quil dise MON ENSEIGNEMENT NEST PAS LE MIEN, cela semble impliquer une contradiction. Le problčme est résolu par le fait quon peut dire cela de multiples maničres. Dune certaine façon on peut dire que son enseignement est le sien, et dune autre quil ne lest pas.
Si on comprend cela du Christ Fils de Dieu : lenseignement de quelquun nest rien dautre que son verbe (verbum); or le Fils de Dieu, cest son Verbe; il sensuit donc que lenseignement du Pčre, cest le Fils lui-męme. Or ce Verbe est de soi-męme par identité de substance quy a-t-il en effet de plus tien que toi-męme? Mais il nest pas sien du point de vue de lorigine quy a-t-il de moins tien que toi si ce que tu es, tu les dun autre? comme le dit Augustin 1. Il semble donc avoir dit cela bričvement : MON ENSEIGNEMENT NEST PAS LE MIEN, comme sil avait dit : Moi, je ne suis pas de moi-męme. En cela, lhérésie de Sabellius est confondue, lui qui a osé dire que cest le Fils lui-męme qui est Pčre.
On peut encore comprendre cette parole ainsi : MON ENSEIGNEMENT, que moi je prononce par une parole créée, N'EST PAS LE MIEN, MAIS IL EST DE CELUI QUI MA ENVOYE, du Pčre; cest-ŕ-dire : il nest pas ŕ moi ŕ par tir de moi-męme, mais ŕ partir du Pčre, parce que le Fils possčde męme la connaissance ŕ partir du Pčre, par la génération éternelle Tout ma été transmis par mon Pčre 2.
Mais si cette parole est comprise du Christ fils de lhomme, alors, il dit MON ENSEIGNEMENT, que moi je possčde par mon âme créée et queje profčre par la bouche de mon corps, NEST PAS LE MIEN, cest-ŕ-dire nest pas mien de moi-męme, mais est de Dieu, "parce que toute vérité, quel que soit celui qui la dit, est de lEsprit Saint 3".
Ainsi donc, selon Augustin, en
un sens il a dit que son enseignement est le sien, en un autre quil nest pas
le sien : le sien selon sa forme de Dieu, pas le sien selon sa forme [n° 161
desclave 4. En cela, nous avons un
exemple : il nous faut reconnaître en rendant grâces que toute notre
connaissance vient de Dieu Quas-tu que tu n'aies reçu? Et situ as tout reçu,
pourquoi te glorifies-tu comme si tu ne lavais pas reçu? 5
1. Tract. in Ioann., XXIX, 3, p. 601.
2. Mt 11, 27.
3. Cf. vol. I, n° 103 et note 17.
1038. Ensuite, le Christ prouve que son enseignement est de Dieu; il le fait de deux façons. Dabord en se référant au jugement de ceux qui voient juste [n° 1039]; puis par sa propre intention [n° 1040].
SI
QUELQUUN VEUT FAIRE SA VOLONTE, IL CONNAÎTRA, DE CET ENSEIGNEMENT, S'IL EST DE
DIEU OU SI MOI JE PARLE DE MOI-MĘME.
1039. Pour déterminer si quelquun exerce bien un art, on doit le discerner par le jugement de celui qui est expert en cet art; ainsi, pour savoir si quelquun parle bien français, on doit létablir par le jugement de celui qui est rompu ŕ lusage de cette langue. Cest donc selon ce principe que le Seigneur dit : si mon enseignement est de Dieu, oi doit le déterminer par le jugement de celui qui est expert dans les choses divines; un tel homme en effet peut en juger L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de lEsprit de Dieu; cest folie pour lui et il ne peut le comprendre, parce que cest spirituellement qu'on en juge. Mais lhomme spirituel juge toutes choses 6. Pour cela il dit : vous ętes étrangers ŕ Dieu, et cest pourquoi vous ne savez pas, DE CET ENSEIGNEMENT, SIL EST DE DIEU Mais SI QUELQUUN VEUT FAIRE SA VOLONTE, cest-ŕ-dire celle de Dieu, celui-lŕ pourra connaître si cet enseignement vient de Dieu OU SI MOI JE PARLE DE MOI-MEME. Et certes, il parle de lui-męme celui qui dit le faux, parce que, comme on le lit plus loin : Quand il dit le mensonge, il le dit de son propre fonds
Selon Chrysostome, on peut interpréter autrement ce passage. En effet, la volonté de Dieu est notre paix, notre charité et notre humilité; cest pourquoi il est dit : Bienheureux les pacifiques? car ils seront appelés fils de Dieu 8. Or le goűt passionné de la contention 9 pervertit souvent lesprit de lhomme, dans la mesure oů il estime vrai ce qui est faux. Cest pourquoi, ayant laissé de côté lesprit de contention, on possčde plus justement la certitude de la vérité Répondez, je vous en prie, sans aucune contention, et jugez en disant ce qui est juste 10. Cest pourquoi le Seigneur dit : si quelquun veut juger avec droiture de mon enseignement, quil fasse la volonté de Dieu; cest-ŕ-dire, quil laisse de côté la colčre, lenvie et la haine quil a envers moi sans raison. Et il ny a rien qui lempęche de connaître SIL EST DE DIEU OUSIJE PARLE DE MOI-MEME, puisque ce sont les paroles de Dieu que je prononce 11.
Ou bien encore, selon Augustin, la volonté de Dieu est que nous fassions ses uvres, comme la volonté du pčre de famille est que les ouvriers fassent son uvre. Or luvre de Dieu, cest que nous croyions en celui que lui-męme a envoyé Telle est luvre de Dieu que vous croyiez en celui qu'il a envoyé 12. Cest pourquoi il dit SI QUELQUUN VEUT FAIRE SA VOLONTE, celle de Dieu, cest-ŕ-dire croire en moi, celui-lŕ CONNAITRA, DE CET ENSEIGNEMENT, SIL EST DE DIEU Une version dIsaie dit : Si vous navez pas cru, vous ne comprendrez pas 13.
4. Cf. Phi 2, 6-7. De Trinitate, I, XII, 27, BA 15, p. 163.
5. 1 Corinthiens 4, 7.
6. 1 Corinthiens 2, 14-15 "LApôtre dit ici que/'homme spirituel juge toutes choses,
cest-ŕ-dire que lhomme qui a lintelligence illuminée et la volonté aimante
ordonnée par lEsprit Saint possčde un jugement droit sur toute réalité, prise
en particulier, qui concerne le salut" (Ad I Cor. lect., II, leç. 3, n°
118).
7. Jean 8, 44.
8. Mt 5, 9.
9. Nous avons traduit ainsi studium contentionis, préférant
laisser le sens littéral de contentio, expliqué par saint Thomas dans son
commen taire du livre de Job que nous citons dans la note suivante.
10. Jb 6, 29; saint Thomas explique, en commentant les versets
28 et 29, que le premier obstacle ŕ la découverte de la vérité se manifeste
quand "quelquun ne veut pas écouter ce qui est dit par ladversaire. Le
second obstacle, cest lorsquil répond ŕ ce quil a entendu en criant et avec
des injures; pour écarter cet obstacle, Job dit : Répondez, je vous en prie,
sans contention; la contention est en effet, comme le dit Ambroise,lassaut
contre la vérité avec lassurance effrontée que lon a en criant'. Le troisičme
obstacle, cest quand quelquun nest pas tendu vers la vérité, mais vers la
victoire et la gloire, comme cela arrive dans les disputes de procčs et les
disputes sophistiques : et jugez en disant ce qui est juste, cest-ŕ-dire de
maničre ŕ concéder ce qui vous semble vrai, et ŕ nier ce qui vous semble
faux" (Expositio superJob, 6, 29; Opera omnia, XXVI, p. 45, 11. 309-320). Cf.
aussi Somme théol., II-II, q. 38, a. 1. Larticle suivant montre que la
contentio est fruit de lorgueil et de la vaine gloire. On peut sy reporter
pour ce que saint Thomas dit au n° 1040.
11. In loannem hom., 49, ch. 1, col. 274-275.
CELUI
QUI PARLE DE LUI-MĘME CHERCHE SA GLOIRE PROPRE; MAIS CELUI QUI CHERCHE LA
GLOIRE DE CELUI QUI LA ENVOYÉ, CELUI-LŔ EST VÉRIDIQUE, ET DINJUSTICE, IL NEN
EST PAS EN LUI
1040. Ici, le Christ prouve que son enseignement est de Dieu par sa propre intention. Et il expose deux intentions, qui font comprendre deux origines.
Il a été dit que certains parlent deux-męmes, mais que dautres ne le font pas. Or, ne parle pas de lui-męme quiconque sattache ŕ dire la vérité. Toute connaissance de la vérité vient dun autre : par mode denseignement, ŕ partir du maître; ou par mode de révélation, ŕ partir de Dieu; ou par mode de découverte, ŕ partir des réalités existantes elles-męmes, parce que, comme il est dit, les réalités invisibles de Dieu (...) se laissent voir ŕ lintelligence par le moyen des réalités qui ont été faites 14. Par conséquent, quel que soit le mode par lequel on possčde une connaissance, lhomme ne la tient pas de, lui-męme.
Mais il parle de lui-męme, celui qui ne reçoit ce quil dit ni des réalités existantes, ni dune révélation, ni dun enseignement humain, mais de son propre cur ils disent la vision de leur cur 15 Malheur aux prophčtes insensés qui prophétisent de leur propre cur 16. Ainsi donc, élaborer quelque chose de soi-męme est en vue de la gloire humaine, parce que, comme le dit Chrysostome 17, celui qui veut enseigner sa propre doctrine ne veut rien dautre quacquérir la gloire. Et cest ce que le Seigneur dit, prouvant que son enseignement est de Dieu. CELUI QUI PARLE DE LUI-MEME, alors quil sagit de la connaissance certaine de la vérité qui vient dun autre, celui-lŕ CHERCHE SA GLOIRE PROPRE, ŕ cause de laquelle et ŕ cause aussi de lorgueil sintroduisent des hérésies et des opinions erronées. Et cela se rapporte ŕ l'Antichrist, celui qui soppose et se dresse contre tout ce qui est appelé Dieu ou qui est objet de culte, de telle sorte quil sičge dans le Temple de Dieu, se présentant lui-męme comme Dieu 18.
Mais CELUI QUI CHERCHE LA GLOIRE DE CELUI QUI L'A ENVOYE, comme moi je la recherche Moi je ne cherche pas ma gloire 19; CELUI-LA EST VERIDIQUE, ET DINJUSTIGE, IL NEN EST PAS EN LUI Autrement dit : je suis véridique, parce que mon enseignement a męme mesure que la vérité; dinjustice, il nen est pas en moi, parce que je nusurpe pas la gloire dun autre. Et comme le dit Augustin, "il nous a donné un grand exemple dhumilité (...) quand, ayant été estimé comme un homme 20, il cherche la gloire du Pčre et non la sienne, ce que toi, homme, tu dois faire. Quand tu fais quelque chose de bien, tu cherches ta propre gloire; et quand tu fais quelque chose de mal, tu médites je ne sais quelle calomnie envers Dieu" 21. Or il est manifeste quil ne cherchait pas sa gloire, parce que sil avait flatté les princes des prętres, ils ne lauraient pas persécuté.
Ainsi donc le Christ, et quiconque cherche la gloire de Dieu, possčde bien une connaissance dans son intelligence Maître, nous savons que tu es vrai et que tu enseignes la voie de Dieu en vérité, et que tu ne te soucies [de lopinion] de qui que ce soit 22,- et cest pourquoi il dit CELUI-LA EST VERJDIQUE, ayant une intention droite dans son cur, ET D'INJUSTICE, IL NEN EST PAS EN LUI Linjustice en effet consiste en ce que lhomme usurpe quelque chose qui ne lui appartient pas; or la gloire est propre ŕ Dieu seul : donc, celui qui cherche la gloire pour lui-męme est injuste.
12. Jean 6, 29.
13. Isaďe 7, 9 (voir n 995, note 175). Tract. in Ioann., XXIX, 6, pp. 605-609.
14. Ro 1, 20.
15. Jérémie 23, 16.
16. Ez 13, 3.
17. Op. cit., 49, ch. 2, col. 275.
18. 2 Th 2, 4. Cf. lJn 4,
3.
19. Jean 8, 50.
20. Phi 2, 7.
21. Op. cit., XXIX, 6, pp. 611-613.
22. Mt 22, 16.
MOĎSE
NE VOUS A-T-IL PAS DONNÉ LA LOI? ET PERSONNE DENTRE VOUS NACCOMPLIT LA LOI POURQUOI
CHERCHEZ-VOUS Ŕ ME TUER?" LA FOULE LUI RÉPONDIT, ET DIT : "TUAS UN
DÉMON; QUI CHERCHE Ŕ TE TUER?"JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR DIT : "JAI FAIT
UNE SEULE UVRE, ET TOUS, VOUS VOUS ÉTONNEZ. CEST POUR CELA QUE MOĎSE VOUS A
DONNÉ LA CIRCONCISION, NON QUELLE VIENNE DE MOĎSE, MAIS DES PČRES. ET VOUS
DONNEZ LA CIRCONCISION Ŕ UN HOMME LE JOUR DU SABBAT. ALORS QUUN HOMME REÇOIT
LA CIRCONCISION LE JOUR DU SABBA POUR QUE NE SOIT PAS VIOLÉE lA LOI DE MOĎSE,
VOUS VOUS INDIGNEZ CONTRE MOI PARCE QUE JAI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER
LEJO UR DU SABBAT? NE JUGEZ PAS SELON LASPECT, MAIS JUGEZ SELON UN JUSTE
JUGEMENT"
1041. Le Seigneur
repousse ici une objection. En effet, quelquun aurait pu dire au Christ que
son enseignement nétait pas de Dieu parce quil violait le sabbat Ce nest
pas un homme qui vient de Dieu, puisqu'il ne garde pas le sabbat 23. Et il a lintention de réfuter
cela : cest pourquoi il fait trois choses. Dabord il se justifie en attaquant
ses accusateurs [n° 1042];
puis lEvangéliste nous expose leur réponse inique [n° 1043]; enfin, le Christ se justifie par
un raisonnement [n° 1044].
1042. Il dit donc : ŕ supposer, comme vous vous le dites, que mon enseignement ne soit pas de Dieu parce quen violant le sabbat je nobserve pas la Loi, vous navez cependant aucune qualité pour maccuser, puisque vous ętes dans le męme délit. Cest pourquoi il dit : MOISENE VOUS A-T-IL PAS DONNE LA LOI, ŕ vous, cest-ŕ-dire ŕ votre peuple? Et cependant, PERSONNE DENTRE VOUS NACCOMPLIT, cest-ŕ-dire nobserve, LA LOI Vous avez reçu la Loi par le ministčre des anges, et vous ne l'avez pas gardée 24. Cest pourquoi Pierre disait aussi : Cest un fardeau que ni nous ni nos pčres nont pu porter 25. Si donc vous, vous nobservez pas la Loi, pourquoi voulez-vous me tuer parce que je lai transgressée? Ce nest pas pour cela que vous le faites, mais par haine; autrement, si vous le faisiez par zčle pour la Loi, vous-męmes lobserveriez Cernons le juste puisqu'il nous est inutile, qu'il s'oppose ŕ nos uvres et nous reproche nos péchés contre la Loi 26; et plus loin : Condamnons-le ŕ la mort la plus infâme 27.
Ou bien il faut dire que vous nobservez pas la Loi que Moďse vous a donnée : cela est évident du fait que vous voulez me tuer, ce qui est contre la Loi : Tu ne tueras pas 28.
Ou bien encore, selon Augustin 29 vous nobservez pas la Loi, parce que moi-męme je suis contenu dans la Loi Si vous croyiez en Moďse, vous croiriez peut-ętre aussi en moi, car cest de moi qu'il a écrit 30. Mais vous voulez me tuer.
23. Jean 9, 16.
24. Ac 7, 53. Cf Ga 3, 19 et He 2, 2.
LA
FOULE LUI RÉPONDIT ET DIT : "TU AS UN DÉMON : QUI CHERCHE Ŕ TE
TUER?"
1043. LÉvangéliste
expose ici la réponse inique de la foule. Cette foule en désordre donne une
réponse qui ne relčve pas de lordre, mais de lagitation, comme le dit
Augustin 31; ces gens affirment en effet quil a un démon, lui qui expulsait les
démons Celui-lŕ ne chasse les démons que par Béelzéboul, le chef des démons 32.
1044. Aprčs cela, le Seigneur, "paisible dans sa vérité" les confond en se justifiant par un raisonnement.
Il leur rappelle dabord le fait pour lequel ils étaient troublés [n° 1045]; puis il leur montre quils ne doivent pas ętre troublés [n° 1046]; enfin, il les incite ŕ juger dune maničre juste [n° 1050].
25. Ac 15. 10.
26. Sag 2, 12.
27. Sag 2, 20.
28. Ex 20, 13. Cf. CHRYSOSTOME, In
loannem hom., 49, ch. 2, col. 276.
29. op. cit., XXX, 2, p. 617.
30. Jean 5, 46.
31. Ibid.
32. Mt 12, 24.
33. Cf. op. cit., XXX, 3, p. 619.
JÉSUS
RÉPONDIT ET LEUR DIT : JAI FAIT UNE SEULE UVRE, ET TOUS, VOUS VOUS ETONNEZ.
1045. Il ne rend pas injure pour injure, et ne les rejette pas, parce que alors qu'il était maudit, il ne maudissait pas 34; mais il leur rappelle luvre de la guérison du paralytique, au sujet de laquelle tous avaient été dans létonnement, non pas un étonnement admiratif, celui dont parle Isaďe : Tu verras, tu seras radieuse, ton cur s'étonnera et se dilatera 35, mais un étonnement troublé, celui dont parle le livre de la Sagesse : En le voyant, ils seront troublés dune crainte horrible, et seront étonnés de lapparition soudaine d'un salut auquel ils ne s'attendaient pas 36. Si donc vous vous étonnez, cest-ŕ-dire que vous ętes agités et troublés, ŕ cause dune uvre, si vous voyiez toutes mes uvres, que feriez-vous? Car, comme le dit Augustin 37, "ses uvres, cétait ce quils voyaient dans le monde" : il allait jusquŕ guérir tous les infirmes lia envoyé sa parole (verbum) et il les a guéris 38 Ce nest ni une herbe ni un onguent qui les a guéris; mais ta parole, Seigneur, guérit tout 39. Ainsi donc, vous vous étonnez pour navoir vu quune uvre, et non pas toutes.
34. 1 Pc 2, 23.
35. Isaďe 60, 5.
36. Sag 5, 2.
37. Tract. in Ioann., XXX, 3, pp. 619-62
1.
38. Ps 106, 20.
39. Sag 16, 12.
CEST
POUR CELA QUE MOĎSE VOUS A DONNÉ LA CIRCONCISION, NON QUELLE VIENNE DE MOĎSE,
MAIS DES PČRES. ET VOUS DONNEZ LA CIRCONCISION Ŕ UN HOMME LE JOUR DU SABBAT
ALORS QUUN HOMME REÇOIT LA CIRCONCISION LE JOUR DU SABBAT POUR QUE NE SOIT PAS
VIOLÉE LA LOI DE MOĎSE, VOUS VOUS INDIGNEZ CONTRE MOI PARCE QUE JAI RENDU SAIN
UN HOMME TOUT ENTIER LE JOUR DU SABBAT?
1046. Le Seigneur les
convainc ici de sętre troublés de maničre injustifiée. Il rapporte dabord le
commandement qui leur a été donné par Moďse [n° 1047]; puis il montre leur uvre [n° 1048]; enfin, il argumente ŕ partir de
lun et de lautre [n° 1049].
1047. Le commandement de Moďse est ŕ propos de la circoncision; cest pourquoi il dit POUR CELA, cest-ŕ-dire pour signifier mes uvres, MOĎSE VOUS A DONNE LA CIRCONCISION Car la circoncision a été donnée comme un signe, ainsi quon le lit dans la Genčse : Cela sera pour vous le signe de lalliance entre moi et vous 40. Elle signifiait en effet le Christ; et cest pourquoi elle a été opérée dune maničre significative dans le membre de la génération, parce que cest dAbraham que le Christ devait descendre selon la chair, lui qui réalise la circoncision spirituelle, cest-ŕ-dire celle de lesprit et du corps. Ou bien elle est faite dans ce membre parce quelle a été donnée contre le péché originel 41.
Que Moďse ait donné la
circoncision, lÉcriture ne le rapporte pas expressément, si ce nest dans
lExode : Tout esclave acheté sera circoncis 42. Mais si Moďse
a donné la circoncision, ce nest cependant pas comme étant chargé de
linstituer, parce quil nest pas le premier ŕ avoir reçu le commandement de
la circoncision, mais cest Abraham, comme le dit la Genčse 43.
1048. Quant aux Juifs,
ils donnaient la circoncision le jour du sabbat; ET VOUS DONNEZ LA CIRCONCISION
Ŕ UN HOMME LE JOUR DU SABBAT. Cela, parce quil a été commandé ŕ Abraham de
circoncire son fils le huitičme jour Il le circoncit le huitičme jour, comme
Dieu le lui avait prescrit 44. Mais par Moďse, il
leur avait été prescrit de ne faire aucune uvre le jour du sabbat; or il
arrivait parfois que le huitičme jour aprčs la naissance soit celui du sabbat;
et ainsi, en donnant la circoncision ŕ lenfant ce jour-lŕ, ils transgressaient
les commandements de Moďse au nom de celui des Pčres 45.
1049. Le Seigneur en
tire donc un argument : ALORS QUUN HOMME REÇOIT LA CIRCONCISION LE JOUR
DU SABBAT POUR QUE NE SOIT PAS VIOLÉE LA LOI DE MOĎSE, VOUS VOUS INDIGNEZ
CONTRE MOI PARCE QUE JAI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER LE JOUR DU SABBAT?
Notons ici que cet argument tire son efficacité de trois considérations dont deux sont explicites et la troisičme sous-entendue.
En effet, nous voyons dabord ceci : de fait, le commandement dAbraham a existé le premier; cependant, le commandement de Moďse au sujet de lobservation du sabbat ne porte pas préjudice au premier, qui concerne la circoncision Or je dis ceci : la loi qui a été donnée quatre cent trente ans aprčs nannule pas lalliance conclue par Dieu, de maničre ŕ éliminer la promesse 46. Cest pourquoi le Christ en tire argument : bien que dans les lois humaines les derničres aient force sur celles qui existaient auparavant, cependant, dans les lois divines, les premičres sont dune plus grande autorité. Voilŕ pourquoi le précepte de Moďse au sujet de lobservation du sabbat na pas force sur le précepte donné ŕ Abraham au sujet de la circoncision. Il me concerne donc beaucoup moins, moi qui réalise ce qui a été disposé par Dieu avant la constitution du monde 47, en ce qui regarde le salut des hommes figuré dans le sabbat.
La deuxičme considération est que les Juifs avaient reçu le commandement de naccomplir aucune uvre pendant le sabbat : cependant, ils accomplissaient ce qui avait trait au salut particulier. Le Christ dit donc : si vous, ŕ qui il a été commandé de ne rien accomplir pendant le sabbat, vous recevez ce jour-lŕ la circoncision qui est un salut particulier cest pourquoi elle est réalisée dans un membre particulier , et si vous faites cela POUR QUE NE SOIT PAS VIOLEE LA LOI DE MOISE doů il est évident que ce qui appartient au salut ne doit pas ętre omis le jour du sabbat 48,- combien plus lhomme doit-il donc faire en ce jour ce qui a trait au salut universel. Vous ne devez donc pas vous indigner contre moi, PARCE QUE JAI RENDU SAIN UN HOMME TOUT ENTIER LE JOUR DU SABBAT.
La troisičme considération est que lun et lautre de ces commandements étaient des figures Tout arrivait aux Juifs en figures 49. Si donc une préfiguration, le commandement de lobservation du sabbat, ne fait pas autorité sur une autre préfiguration, ŕ plus forte raison le commandement de la circoncision ne fait-il pas autorité sur la réalité elle-męme. Car la circoncision signifiait le Seigneur lui-męme, comme le dit Augustin 50. Et il dit UN HOMME TOUT ENTIER parce que, les uvres de Dieu étant parfaites 51, il a été guéri de telle sorte quil est devenu sain dans son corps, et il a cru de telle sorte quil est devenu sain dans son âme.
40. Gn 17, 2.
41. Pour cette interprétation ainsi que pour lidentification,
selon le sens allégorique, de la circoncision et du Christ, voir SAINT
AUGUSTIN, op. cit., XXX, 5, pp. 623-627. La circoncision, selon saint Augustin,
signifie le Christ pour trois raisons : premičrement, elle sapplique sur le
membre par lequel est transmis le péché originel (vitium propaginis) dont le
Christ nous libérera; deuxičmement, elle est effectuée par un couteau de
pierre, et saint Paul verra dans le rocher de Mériba une figure du Christ (1
Corinthiens 10, 4); enfin, elle est effectuée le huďtičme jour, de męme que le
Christ ressuscitera le lendemain du sabbat, qui est le septičme jour de la
semaine.
42. Ex 12, 44; il faut ajouter, en fait, Lev 12, 3 Au huitičme
jour, on circoncira le prépuce de lenfant.
43. Cf. Gn 17, 10.
44. Gn 21, 4.
45. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XXX,
4, p. 623.
46. Ga 3, 17.
47. Cf. Jean 17, 24; Eph 1, 4; 1 Pe 1, 20.
48. "Vous manifestez donc par
lŕ que les uvres du salut ne doivent pas ętre omises le jour du sabbat"
(SAINT AUGUSTIN, op. cil., XXX, 6, p. 629).
49. 1Go 10, 11.
50. Voir note 41.
51. Deut 32, 4.
NE
JUGEZ PAS SELON LASPECT, MAIS JUGEZ SELON UN JUSTE JUGEMENT
1050. Le Christ les ramčne ici ŕ une juste appréciation ŕ son égard; quils ne jugent pas selon lapparence mais selon un jugement juste. Or juger selon lapparence se dit en deux sens.
Lhomme qui juge le fait selon les allégations [d'autres] Les hommes voient ce qui paraît 52 Mais en cela il peut ętre abusé, et cest pourquoi il dit NE JUGEZ PAS SELON LASPECT, cest-ŕ-dire selon ce qui apparaît tout de suite, mais recherchez avec grande attention Jexaminais avec grande attention la cause que jignorais 53. Il ne jugera pas selon la vision de ses yeux 54.
Dans un autre sens, NE JUGEZ PAS SELON LASPECT signifie : Ne faites pas acception de la personne dans le jugement, car cela est défendu ŕ tous ceux qui jugent : Tu ne jugeras pas injustement, tu ne tiendras pas compte de la personne du pauvre 55 dans le jugement. Vous acception des personnes dans le jugement 56. Faire acception des personnes dans la Loi, cest ne pas avoir une juste appréciation des choses, pour des raisons diverses : lamour, le respect, la crainte, ou la condition de la personne, toutes considérations qui nont rien ŕ voir avec la question. Il dit donc NE JUGEZ PAS SELON LASPECT, comme pour dire : ne portez pas, parce que Moďse a auprčs de vous une plus grande gloire que moi, un jugement daprčs la dignité des personnes, mais daprčs la nature des choses, parce que ce que moi je fais est plus grand que ce que Moďse a fait. 57
Mais il faut remarquer, selon
Augustin, qu"il ne juge pas selon les personnes, celui qui aime dune
maničre égale (...). En effet, lorsque nous honorons diversement les hommes
selon leur rang, il ne faut pas craindre de faire acception des
personnes." 58
52. 1 Sam 16, 7.
53. Jb 29, 16.
54. Isaďe 11, 3.
55. Lev 19, 15. Cf. Ex 23, 3.
56. Mal 2, 9.
57. Voir CHRYSOSTOME, In loannem hom.,
49, ch. 3, col. 277.
58. Op. cit., XXX, 8, p. 633.
II
1051. Aprčs avoir exposé lorigine de lenseignement [n° 1036], lÉvangéliste traite ici de lorigine de celui qui enseigne.
Dabord, le Christ révčle son principe, doů il procčde, puis sa fin, vers laquelle il sen va [n° 1072].
Ici, lEvangéliste nous expose le doute des foules ŕ pro pos de lorigine du Christ; puis il rapporte lenseignement du Christ au sujet de sa propre origine [n° 1057]; enfin, leffet de cet enseignement [n° 1066].
25
Des gens de Jérusalem disaient donc : "Nest-ce pas celui-ci que les Juifs
cherchent ŕ tuer? Voici quil parle ouvertement, et ils ne lui disent rien. Les
princes des prętres ont-ils donc vraiment reconnu que celui-ci est le Christ?
27 Mais nous, nous savons doů il est; or le Christ, quand il sera venu,
personne ne saura doů il est. " 28 sécriait donc, enseignant dans le
Temple et disant : "Et vous me connais sez, et vous savez doů je suis! Et
ce nest pas de moi-męme que je suis venu; mais il est véridique, celui qui ma
envoyé, lui que vous ne connaissez pas. 29 Moi, je le connais : Et sije dis que
je ne le connais pas, je serai semblable ŕ vous, un menteur. Mais je le
connais, parce que je suis de lui, et cest lui qui ma envoyé. " 1
cherchaient donc ŕ se saisir de lui; et personne ne porta la main sur lui,
parce que son heure nétait pas encore venue. Mais parmi la foule, beaucoup
crurent en lui; et ils disaient : "Le Christ, quand il sera venu,
fera-t-il plus de signes que nen fait celui-ci?" 32 Les Pharisiens
entendirent la foule murmurer cela ŕ son sujet; et les princes des prętres et
les Pharisiens envoyčrent des serviteurs, pour quils se saisissent de Jésus.
DES
GENS DE JÉRUSALEM DISAIENT DONC : "NEST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS
CHERCHENT Ŕ TUER? VOICI QUIL PARLE OUVERTEMENT, ET ILS NE LUI DISENT RIEN. LES
PRINCES DES PRĘTRES ONT-ILS DONC VRAIMENT RECONNU QUE CELUI-CI EST LE CHRIST?
MAIS NOUS, NOUS SAVONS DOŮ IL EST; OR LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, PERSONNE
NE SAURA DOŮ IL EST. "
LÉvangéliste expose dabord létonnement des foules, puis une conjecture émise par elles [n° 1054], enfin leur objection contre ce quils avaient supposé [n° 1055].
Létonnement des foules apparaît ŕ cause dun dessein inique des princes des prętres [n° 1052], et ŕ cause de lenseignement public du Christ [n° 1053].
DES
GENS DE JÉRUSALEM DISAIENT DONC : "NEST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS
CHERCHENT Ŕ TUER?
1052. On a dit plus haut que le Christ, pour montrer la fragilité de la nature humaine, monta ŕ la fęte en se cachant; mais pour montrer la puissance de sa divinité, il enseigne publiquement dans le Temple et ne peut ętre saisi par ses persécuteurs. Et ainsi, comme le dit Augustin : "Ce quon prenait pour timidité sest manifesté comme puissance" 59. Et cest pourquoi DES GENS DE JERUSALEM DISAIENT : NEST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS CHERCHENTA TUER? comme avec un sentiment dadmiration, car eux-męmes savaient bien avec quelle fureur il était recherché par les princes des prętres, parce quils étaient leurs familiers et habitaient Jérusalem. Cest pourquoi Chrysostome dit : "Ils étaient plus misérables que tous, ceux qui voyant un trčs grand signe de sa divinité, et remettant tout au jugement des princes corrompus, en avaient moins de vénération pour le Christ, 60 Tel le gouverneur de la cité, tels ses habitants 61.
Cependant, ils sétonnaient avec admiration de la puissance qui empęchait quon le saisisse; voilŕ pourquoi ils disaient : NEST-CE PAS CELUI-CI QUE LES JUIFS CHERCHENT A TUER? Les Juifs, cest-ŕ-dire les princes des prętres, selon cette parole : Les Juifs le persécutaient parce qu'il faisait cela un jour de sabbat 62 L'iniquité est sortie des anciens du peuple qui semblaient le gouverner 63.
Ainsi apparaissent la vérité des paroles du Christ, et la fausseté des princes des prętres. Plus haut en effet, alors que le Seigneur leur disait : Pourquoi cherchez-vous ŕ me tuer. ils ont nié en disant : Tu as un démon, qui cherche ŕ te tuer? 64 Mais voici que ce que les chefs niaient, ceux-lŕ le proclament en disant QUE LESJUIFS CHERCHENT A TUER. Ainsi donc, ils étaient dans létonnement ŕ cause du dessein inique des princes des prętres 65.
59. Op. cit., XXXI, 1, p. 637.
60. In loannem ho, n., 50, ch. 1, col. 277-278.
61. Sir 10, 2.
62. Jean 5, 16.
63. Dan 13, 5.
64. Jean 7, 20-21.
65. Interprétation ironique reprise ŕ saint Augustin (toc. cit.).
VOICI
QUIL PARLE OUVERTEMENT, ET ILS NE LUI DISENT RIEN LES PRINCES DES PRĘTRES
ONT-ILS DONC VRAIMENT RECONNU QUE CELUI-CI EST LE CHRIST?
1053. Ils sétonnaient aussi que le Christ enseignât en public; cest pourquoi ils disent VOICI QUIL PARLE OUVERTEMENT, en enseignant, ce qui est lindice dune vérité qui na rien ŕ craindre Moi jai parlé ouvertement Et cependant, ILS NE LUI DISENT RIEN, comme refoulés par sa puissance divine. Cest en effet le propre de la puissance de Dieu dempęcher que se développe dans le cur des méchants la violence de leur malice Quand les chemins dun homme auront plu au Seigneur, il convertira aussi ŕ la paix ses ennemis 67 Le cur du roi est dans la main de Dieu; partout oů il le veut, il linclinera 68.
Il
LES PRINCES DES PRĘTRES ONT-ILS DONC VRAIMENT RECONNU QUE CELUI-CI EST LE
CHRIST?
1054. LÉvangéliste
expose ici la conjecture de la foule. Cest comme si elle disait : Auparavant,
ils cherchaient ŕ le tuer; maintenant ils lont trouvé, et cependant ILS NE LUI
DISENT RIEN. Ce nest pas quils aient modifié leur propre jugement, car sils
lavaient connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire 69, mais ils sont retenus par la
puissance divine 70.
1055. LÉvangéliste ajoute leur objection ŕ cette conjecture : MAIS NOUS, NOUS SAVONS DOŮ IL EST Ils raisonnaient pour ainsi dire de cette maničre : le Christ doit avoir une origine cachée; mais celui-lŕ a une origine manifeste, donc il nest pas le Christ. Ici apparaît leur démence, parce quayant supposé que męme les princes croyaient au Christ, ils ne suivent cependant pas ce jugement, mais en avancent un autre, qui est faux Cest lŕ cette Jérusalem, que jai pourtant placée au milieu des nations Ils savaient en effet que le Christ venait de Marie, mais ils ignoraient le mode de cette origine Il était, croyait-on, fils de Joseph. Sa mčre ne sappelle-t-elle pas Marie? 72
66. Jean 18, 20.
67. Pros 16, 7.
68. Prov 21, 1.
69. 1 Corinthiens 2, 8.
70. Saint Thomas répond ŕ saint Jean Chrysostome qui se
demandait pourquoi le Christ nétait pas encore arręté par les princes des
prętres; ce nest pas parce quils auraient changé dopinion ŕ son sujet, mais
par un effet de la Providence (op. cil., col. 278).
1056. Mais puisquil est écrit : Et toi Bethléem Ephrata (...), de toi sortira un chef qui doit régner sur mon peuple Israël 73, pourquoi disent-ils : LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, PERSONNE NE SAURA D'OŮ IL EST?
Il faut répondre quils croient cela ŕ cause de la parole dIsaďe : Qui racontera sa génération? 74 Ainsi donc, des Prophčtes leur vient quŕ la fois ils savent doů il est selon son origine humaine et lignorent selon sa génération divine 75.
71. Ez 5, 5.
72. Luc 3, 23; Mt 13, 55.
73. Mic 5, 2.
74. Isaďe 53, 8.
75. A la différence de saint Jean Chrysostome, qui voit dans le
recours des Juifs ŕ limpossibilité de connaître lorigine du Messie une invention
de leur fourberie (interprétation reprise en passant par saint Thomas au milieu
du n° 1055; cf. In loannem hom., col. 279), saint Augustin préfčre donner
raison aux Juifs en affirmant que l'Ecriture ŕ la fois nous révčle lorigine du
Messie (quant ŕ son humanité) et nous la voile (quant ŕ sa divinité) par la
prophétie dIsaďe 53, 8 (op. cit., XXXI, 2, pp. 639-64 1). Saint Thomas reprend
ici cette interprétation.
LENSEIGNEMENT
DU CHRIST SUR SA PROPRE ORIGINE JÉSUS SÉCRIAIT DONC, ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE
ET DISANT : "ET VOUS ME CONNAISSEZ, ET VOUS SAVEZ DOŮJE SUIS. ET CE NEST
PAS DE MOI-MĘME QUE. JE SUIS VENU; MAIS IL EST VÉRIDIQUE, CELUI QUI MA ENVOYÉ,
LUI QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS. MOI, JELE CONNAIS : ET SI JE DIS QUE JE NE LE
CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE Ŕ VOUS, UN MENTEUR. MAIS JE LE CONNAIS, PARCE
QUE JE SUIS DE LUI, ET CEST LUI QUI MA ENVOYÉ. "
1057. Le Christ manifeste ici son origine : dabord, il montre sous quel rapport son origine est connue, et sous quel autre elle est inconnue; pour cela il montre ce que les Juifs savaient de son origine [n° 1058], et ce quils ignoraient de lui-męme [n° 1059], puis il enseigne comment nous pou vons parvenir ŕ la connaissance de son origine [n° 1061].
JÉSUS
SÉCRIAIT DONC, ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE ET DISANT : "ET VOUS ME
CONNAISSEZ, ET VOUS SAVEZ DOŮ JE SUIS. "
1058. Ils avaient appris lorigine humaine de Jésus. Cest pourquoi l'Evangéliste dit JESUS SECRIAIT Or le cri procčde de lintensité de ce que lon éprouve. Et cest pour quoi, parfois, le cri traduit au dehors lagitation intérieure de lâme; cela ne concerne pas le Christ, dont il est écrit : Il ne criera pas, ne fera pas acception de personne, sa voix ne sera pas entendue sur la place 76 Les paroles des sages se font entendre dans le silence 77. Parfois aussi, le cri traduit lintensité de la dévotion 78. Dans ma détresse jai crié vers le Seigneur 79. Parfois encore, on crie ŕ cause de la grandeur des choses que lon doit dire Les séraphins criaient lun ŕ lautre et disaient : Saint, Saint, Saint le Seigneur Dieu des armées 80 La Sagesse ne crie-t elle pas sur la place, et la prudence ne donne-t-elle pas de la voix? 81 Cest ainsi que les prédicateurs sont exhortés ŕ crier : Crie, ne t'arręte pas, fais retentir ta voix comme une trompette 82. Et cest ainsi que le Seigneur crie ici, ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE ET DISANT : VOUS ME CONNAISSEZ, cest-ŕ-dire vous connaissez mon visage, ET VOUS SAVEZ DOŮ JE SUIS, cest-ŕ-dire selon mon origine terrestre lia été vu sur la terre et il a vécu chez les hommes 83. Ils savaient en effet quil était né de Marie ŕ Bethléem, et quil avait été élevé ŕ Nazareth; mais ils ignoraient lenfantement de la Vierge 84, et quil avait été conçu par lEsprit Saint, comme le dit Augustin 85. Mis ŕ part lenfantement de la Vierge 84, ils connaissaient de Jésus tout ce qui appartient ŕ un homme.
76. Isaďe 42, 2.
77. Qo 9, 17.
78. Cf. n° 843, note 16.
79. Ps 119, 1.
80. Isaďe 6, 3.
81. Prov 8, 1.
82. Isaďe 58, 1.
83. Bar 3, 38.
1059. Mais ils ignoraient son origine cachée; cest pourquoi il dit : ET CE NEST PAS DE MOI-MEME QUE JE SUIS VENU. Dabord le Christ donne ŕ entendre quelle est son origine, puis il montre quelle avait été annoncée : enfin il dit quelle leur est cachée.
Il tient son origine du Pčre, de toute éternité : CE NEST PAS DE MOI-MEME QUE JE SUIS VENU, autrement dit : je fus selon la divinité avant de venir dans le monde par lhumanité Avant quAbraham fűt, moi Je Suis 86. Dailleurs, il ne conviendrait pas que le Fils vienne, sil navait pas été auparavant. Et cependant, du fait męme que je suis venu, CE NEST PAS DE MOI-MEME QUE JE SUIS VENU, parce que le Fils nest pas de lui-męme, mais du Pčre Je suis sorti du Pčre, et je suis venu dans le monde 87.
Son origine fut annoncée par le Pčre, qui promit de lenvoyer De grâce Seigneur, envoie celui que tu dois envoyer 88 Je leur enverrai un Sauveur et un défenseur qui les libérera 89. Et cest pourquoi il dit MAIS IL EST VERIDIQUE, CELUI QUI MA ENVOYE; autrement dit : ce nest pas dail leurs que je suis venu, mais de celui qui a promis, et qui a accompli sa promesse parce quil est VERIDIQUE Dieu est véridique 90 et cest pourquoi il convient que je dise la vérité, parce que jai été envoyé par le Véridique 91.
Et son origine leur est cachée, parce quils ignorent CELUI QUI MA ENVOYE : LUI QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS.
84. On peut voir lŕ une allusion au fameux texte de saint Ignace
dAntioche (Lettre aux Ephésiens, XIX, 1-2) : "Le prince de ce monde a ignoré la virginité de Marie et
son enfantement, de męme que la mort du Seigneur, trois mystčres retentissants
qui furent accomplis dans le silence de Dieu" (IGNACE DANTIOCHE,
Lettres, SC 10, p. 89).
85. Op., cit., XXXI, 3, p. 641.
86. Jean 8, 58.
87. Jean 16, 28. Dans tout ce passage, saint Thomas souligne que
tout envoi du Pčre présuppose un lien avec le Pčre; lenvoi du Fils par le Pčre
implique que le Fils procčde du Pčre. La mission divine (lenvoi) se fonde
immédiatement sur la procession divine et, par lŕ, la mani feste; voir Somme
théol., I, q. 43.
88. Ex 4, 13.
89. Isaďe 19, 20.
1060. Mais puisque tout homme, bien que né dans la chair, est de Dieu, il semble quil pourrait dire : Moije suis de Dieu, et par conséquent, VOUS SAVEZ DOŮ JE SUIS.
Pour répondre ŕ cela il faut dire, selon Hilaire 92 que le Fils est de Dieu autrement que les autres hommes ne le sont, parce quil est de Dieu de telle maničre quil est aussi Dieu; cest pourquoi Dieu est son principe consubstantiel. Les autres réalités sont de Dieu de telle maničre que cependant elles existent ŕ partir de rien. Ainsi donc, on ignore doů est le Fils, parce que la nature ŕ partir de laquelle il est nest pas connue; mais les hommes, on nignore pas doů ils sont, parce que de tout ce qui subsiste ŕ partir de rien, on ne peut ignorer lorigine.
MOI,
JE LE CONNAIS
1061. Ici, le Christ
enseigne comment on peut parvenir ŕ la connaissance de celui de qui il est. En
effet, cest de celui qui la connaît quil nous faut apprendre une chose; or
seul le Fils connaît le Pčre 93, et cest pourquoi il
dit : si vous voulez aussi la connaissance de celui qui ma envoyé, il faut que
vous la teniez de moi, parce que MOI, seul, JE LE CONNAIS. Il manifeste donc
dabord sa science [n° 1062],
puis la perfection [n° 1063] et
la raison de sa science [n° 1065].
1062. Le Christ manifeste sa science en disant MOI, JE LE CONNAIS. Il est vrai que tous les hommes le voient 94; cependant cest dune maničre différente, parce que les hommes en cette pauvre vie le voient par le moyen des créatures Les réalités invisibles de Dieu (...) se laissent voir ŕ lintelligence par le moyen des réalités qui ont été faites 95. Cest pourquoi il est dit : Nous voyons maintenant comme dans un miroir, en énigme 96. Mais les anges et les bienheureux qui sont dans la patrie le voient immédiatement par son essence Leurs anges dans les cieux voient toujours la face de mon Pčre qui est dans les cieux. Nous le verrons tel qu'il est 97. Mais le Fils de Dieu le voit plus excellemment que tous, cest-ŕ-dire par une vision de compréhension 98 Dieu, personne ne la jamais vu, cest-ŕ-dire en le comprenant; le Fils unique, qui est dans le sein du Pčre, lui la fait connaître 99. Personne ne connaît le Pčre, si ce nest le Fils 100. Et cest de cette vision quil parle ici en disant : MOI, JE LE CONNAIS, cest-ŕ-dire dune connaissance de compréhension.
90. Ro 3, 4.
91. Cf. CHRY5OSTOM In Ioannem hom., 50,
ch. 1, col. 279.
92. De Trinitate, VI, 29, CCL LXII, pp. 230-231 (PL 10, coI 180
D-181 A).
93. Cf. Mt 11, 27.
94. Jb 36, 25.
1063. Il montre la perfection de sa science en disant : SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR. Il avance cette affirmation pour deux raisons.
Les créatures spirituelles le connaissent, mais de loin, et imparfaitement, parce que chacun le regarde de loin 101. En effet, la vérité divine excčde toute notre connaissance Dieu est plus grand que notre cur 102. Donc, quiconque con naît Dieu peut dire sans aucun mensonge : JE NE LE CONNAIS PAS, parce quil ne le connaît pas autant quil peut ętre connu. Mais le Fils de Dieu le Pčre le connaît dune maničre absolument parfaite, comme lui-męme se connaît parfaitement : cest pourquoi il ne peut dire JE NE LE CONNAIS PAS.
De męme, la connaissance de Dieu, et par-dessus tout celle que nous avons par la grâce, peut ętre perdue Ils ont oublié Dieu qui les a rachetés 103. Cest pourquoi je puis dire que JE NE LE CONNAIS PAS, aussi longtemps que je suis en cette vie, parce que nul ne sait sil est digne damour ou de haine 104. Mais le Fils possčde une connaissance inamissible du Pčre, et cest pourquoi il ne peut dire JE NE LE CONNAIS PAS.
Et dans ces paroles : JE SERAI SEMBLABLE Ŕ VOUS, UN MENTEUR, on doit voir une similitude [qui provient de deux choses] contraires 105. En effet, ils ne seraient pas menteurs sils disaient quils ne connaissent pas Dieu, mais plu tôt sils disaient quils connaissent Dieu alors quils lignorent. Mais si le Christ disait quil ne le connaît pas, alors quil le connaît, il serait un menteur. Tel est donc le sens de cette parole : SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, alors que je le connais, JE SERAIS EMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR, vous qui dites que vous le connaissez alors męme que vous lignorez.
95. Ro 1, 20.
96. 1 Corinthiens 13, 12. Saint Thomas commente : "En cette vie, nous connais sons Dieu en tant que nous
connaissons les réalités invisibles de Dieu par les créatures, comme il dit
dans lépître aux Romains (1, 20). Et ainsi, toute la création est pour nous
comme un miroir, parce quŕ partir de lordre, de la bonté et de la grandeur
qui sont causés dans les réalités par Dieu, nous venons ŕ la connaissance de la
sagesse, de la bonté et de léminence divines. Et cette connaissance est dite
vision dans un miroir" (Ad 1 Cor. lect., XIII, leç. 4, n° 800).
97. Mt 18, 10; lJn 3, 2.
98. Voir n° 868, note 83; et n" 947-948.
99. Jean 1, 18.
100. Mt 11, 27.
101. Jb 36, 25.
102. 1 Jean 3, 20.
1064. Mais le Christ ne pouvait-il pas dire JE NE LE CONNAIS PAS? Il semble que oui, puisquil pouvait remuer les lčvres et prononcer de telles paroles. Donc il peut ętre menteur.
Il faut dire que le Christ a prononcé des paroles de ce genre, et na cependant pas été menteur, parce quil faut comprendre ainsi cette parole : SI JE DIS avec assentiment QUE JE NE LE CONNAIS PAS; avec assentiment, cest-ŕ-dire de telle maničre quil croie dans son cur ce quil prononce de sa bouche. Or affirmer le faux ŕ la place du vrai provient de deux défauts : dun défaut de connaissance dans lintelligence qui ne pouvait se trouver dans le Christ, puisquil est la sagesse de Dieu 106 ; ou dun défaut de volonté droite dans la puissance affective, ce qui, de la męme façon, ne pouvait se trouver dans le Christ puisquil est la puissance de Dieu 107.
Cest pourquoi il ne pouvait
dire avec assentiment JE NE LE CONNAIS PAS. Cependant la supposition nest pas
fausse, bien que son antécédent soit impossible, et de męme son conséquent.
103. Ps 105, 21.
104. Cf. Qo 9, 1 (Vulgate).
105. Cf. Jean 8, 55 et n° 1285.
1065. LÉvangéliste expose la raison de la science unique et parfaite du Christ par ces paroles : MAIS JE LE CONNAIS PARCE QUE JE SUIS DE LUI, ET CEST LUI QUI MA ENVOYÉ.
En effet, toute connaissance se fait par une similitude, puisque rien nest connu que dans la mesure oů une similitude du connu est dans le connaissant; mais tout ce qui procčde dun autre possčde une similitude de ce dont il procčde; cest pourquoi tous ceux qui connaissent vraiment possčdent la connaissance de Dieu de diverses maničres, selon le degré divers de leur procession ŕ partir de Dieu. Lâme spirituelle possčde la connaissance de Dieu selon quelle participe ŕ la similitude de Dieu, dune maničre certes plus imparfaite que les autres créatures spirituelles. Lange, parce quil possčde une similitude plus fidčle de Dieu, étant le sceau de sa ressemblance 108, connaît Dieu dune maničre plus manifeste. Mais le Fils possčde la similitude la plus parfaite du Pčre, puisquil est de la męme essence et la męme puissance que lui; et cest pourquoi il le connaît trčs parfaitement, comme on la dit. Voilŕ pourquoi il dit : MAIS JE LE CONNAIS, cest-ŕ-dire autant quil peut ętre connu. Et la raison en est que JE SUIS DE LUI, ayant la męme essence que lui par connaturalité. Cest pourquoi, de męme que le Pčre se connaît parfaitement par son essence, de męme aussi par la męme essence JE LE CONNAIS, parfaitement. Mais pour que lon ne rapporte pas cette parole ŕ la mission par laquelle il est venu dans le monde, il ajoute aussitôt ET CEST LUI QUI MA ENVOYE, pour quainsi cette parole : JE SUIS DE LUI soit rapportée ŕ la génération éternelle, par laquelle il est consubstantiel au Pčre. Ainsi, la propriété de la connaissance lui vient de la propriété de la génération 109.
CEST
LUI QUI MA ENVOYÉ
Par cette parole, il donne ŕ
entendre que le Pčre est lauteur de lIncarnation Dieu a envoyé son Fils né
d'une femme, né sous la Loi 110. Or, de męme que le Fils, étant du Pčre, possčde une parfaite
connaissance du Pčre, de męme, lâme du Christ, étant unie au Verbe dune
maničre unique, possčde une connaissance de Dieu unique et plus excellente que
toutes les autres créatures, bien quelle ne le comprenne pas. Et cest
pourquoi le Christ peut dire en parlant de son âme : Je le connais plus
excellemment que toutes les autres créatures, sans cependant le comprendre 111.
106. 1 Corinthiens 1, 24.
107. Ibid.
108. Saint Thomas cite ici Ez 28, 12 Voici ce que le Seigneur
dit : Toi, le sceau de sa ressemblance, plein de sagesse et parfait en beauté,
tu fus dans les délices du paradis de Dieu; la Tradition applique cette parole
ŕ Lucifer, lange déchu.
109. Cf. HILAIRE, De Trinitate, VI, 28, CCL LXII, p. 230 (PL 10,
col. 180 A).
110. Ga 4, 4.
111. Cf. n° 1062 et note 98.
1066. LÉvangéliste traite ensuite de leffet de lenseignement, dabord sur les foules, puis sur les Pharisiens [n° 1071].
En ce qui concerne les foules, lÉvangéliste expose dabord leffet de lenseignement du Christ sur les foules malveillantes, puis sur celles qui lui étaient acquises [n° 1070].
ILS
GHERCHAIENT DONC Ŕ SE SAISIR DE LUI; ET PERSONNE NE PORTA LA MAIN SUR LUI,
PARCE QUE SON HEURE NÉTAIT PAS ENCORE VENUE.
LÉvangéliste fait dabord
comprendre le dessein inique [n°1967] des
foules [n° 1067], puis
lobstacle surgi dans la réalisation de ce dessein [n° 1068], enfin la raison de cet obstacle [n° 1069].
ILS
CHERCHAIENT DONC Ŕ SE SAISIR DE LUI
1067. Liniquité de leur dessein est mise ici en pleine lumičre. En effet, parce que le Seigneur avait dit : LUI QUE VOUS NE CONNAISSEZ PAS, les Juifs étaient irrités, eux qui faisaient semblant de le connaître; et cest pourquoi ils projetaient quelque chose dinique, ŕ savoir se saisir de lui pour le crucifier et le tuer, selon cette parole : Poursuivez-le et saisissez-le 112.
Mais il en est qui, ayant le Christ en eux, cherchent cependant ŕ semparer de lui avec piété 113 Je monterai au palmier et je memparerai de son fruit 114. Cest pourquoi aussi lApôtre disait : Je poursuis ma course pour tâcher de le saisir, ayant moi-męme été saisi par le Christ Jésus 115.
ET
PERSONNE NE PORTA LA MAIN SUR LUI
mmm
1068. LÉvangéliste
expose ici lobstacle surgi dans la réalisation de leur dessein. En effet, leur
fureur fut réfrénée et contenue dune maničre invisible. Par lŕ, il est évident
que la volonté de nuire appartient ŕ chacun de lui-męme, mais que la puissance
daccomplir le mal vient de Dieu 116; cest ce que montrent les chapitres 1 et 2 du livre de Job, oů Satan
ne put frapper Job que dans la mesure oů Dieu le lui permit 117.
112. Ps 70, 11.
113. Sunt autem aliqui qui Christum in se habentes, quaerunt tamen
pie apprehendere. Il sagit ici de
laction du don de piété; voir Somme théoL, II-II, q. 121. Saint Thomas dit dans le corps de larticle 1
"Entre autres choses, le Saint-Esprit nous meut ŕ avoir une certaine
affection filiale envers Dieu : Vous avez reçu l'Esprit dadoption des fils en
qui nous crions : Abba ! Pčre ! (Ro 8, 15). Et parce quŕ la piété convient
proprement de rendre ŕ notre pčre lhonneur et le culte*, la piété selon
laquelle nous rendons lhonneur et le culte ŕ Dieu comme Pčre par linstinct de
lEsprit Saint est un don de lEsprit Saint. " Saint Thomas ajoute, dans la réponse ŕ la 3 objection : "Le
don de piété rend non seulement honneur et culte ŕ Dieu, mais ŕ tous les hommes
en tant quils ont un lien avec Dieu. Cest pourquoi il appartient au don de
piété dhono rer les saints. " Le
don de piété sattache donc dune maničre émi nente ŕ lhumanité sainte du
Christ, doux et humble de cur (Mt 11, 29).
114. Cant 7, 8.
115. Phi 3, 12.
PARCE
QUE SON HEURE NÉTAIT PAS ENCORE VENUE.
1069. LÉvangéliste signale ici la raison de lobstacle. Il faut savoir quil y a un temps et un moment favorable pour toute affaire 118. Or le temps de nimporte quelle chose est déterminé par sa cause. Donc, parce que les causes des effets matériels sont les corps célestes, dans les choses qui se déroulent dune maničre matérielle lheure est déterminée ŕ partir des corps célestes. Mais lâme, puisquelle est de lordre de lintelligence et de la raison, nest soumise ŕ aucun des corps célestes; et puisque, selon ce principe, elle transcende les causes temporelles, elle na pas dheures déterminées par les corps célestes, mais par sa cause, cest-ŕ-dire Dieu, qui rčgle ce quil faut faire, ŕ quel moment. Pourquoi un jour en surpasse-t-il un autre, une lumičre une autre lumičre, une année une autre année, un soleil un autre soleil? Les choses ont été distinguées par la science du Seigneur, le soleil ayant été créé et gardant le commandement du Seigneur 119. Pour le Christ donc, lheure est dautant moins déterminée par ces corps célestes.
Ainsi donc, il ne faut pas
comprendre SON HEURE comme étant fixée par une nécessité du destin, mais
déterminée davance par toute la Trinité; car, comme le dit Augustin 120, il ne faut pas męme le
croire de toi, ŕ plus forte raison de celui par qui tu as été fait. Si ton
heure cest sa volonté ŕ savoir celle de Dieu , quelle est son heure ŕ lui
sinon sa volonté? Lheure dont il a parlé nest donc pas celle ŕ laquelle il
serait contraint de mourir, mais celle oů il daignerait ętre mis ŕ mort.
"Mon heure n'est pas encore venue 121. Jésus, sachant que son heure
était venue de passer de ce monde au Pčre... 122
116. Citations de SAINT AUGUSTIN, La Genčse au sens littéral,
XI, XII, 16; XXVII, 34; BA 49, pp. 255 et 289.
117. Voir le trčs long et beau commentaire de saintThomas sur
ces chapitres : Exp ositio super Job, pp. 10 ss.
118. Qo 8, 6.
119. Sir 33, 7.
120. Tract. in Ioann., XXXI, 5, p. 645.
MAIS
PARMI LA FOULE, BEAUCOUP CRURENT EN LUI; ET ILS DISAIENT : "LE CHRIST,
QUAND IL SERA VENU, FERA-T-IL PLUS DE SIGNES QUE NEN FAIT CELUI-CI?"
1070. LÉvangéliste expose ici leffet de lenseignement du Christ sur les foules qui lui étaient acquises.
Il montre dabord leur foi : PARMI LA FOULE, BEAUCOUP CRURENT EN LUL Il ne le dit pas des princes des prętres, parce que plus ils étaient pénétrés de leur importance, plus ils étaient éloignés [de lui]; et ainsi la sagesse navait pas sa place en eux, parce que, comme il est dit, lŕ oů est lhumilité, lŕ est la sagesse 123. Mais la foule, qui saperçut rapidement de sa propre maladie, connut sans retard le remčde 124 du Seigneur Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, et tu les as révélées aux tout-petits 125. Et ŕ cause de cela, les humbles et les pauvres furent les premiers ŕ se convertir au Christ Dieu a choisi ce qui dans le monde est sans naissance et méprisé, et ce qui n'est rien, pour détruire ce qui est quelque chose 126.
Ensuite, il montre le motif
qui les a poussés ŕ croire : LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, FERA-T-IL PLUS DE
SIGNES QUE NEN FAIT CELUI-CI? Les prophčtes en effet avaient annoncé que le
Christ, ŕ son avčnement, ferait de nombreux miracles : Dieu lui-męme viendra et
vous sauvera; alors les yeux des aveugles s'ouvriront et les oreilles des
sourds entendront 127. Cest pourquoi, voyant les miracles que le Christ accomplissait, ils
étaient amenés ŕ croire en lui. Mais leur foi nétait pas encore ferme 128, parce quils étaient
poussés ŕ croire en lui non pas par lenseignement, mais par les signes, alors
que, étant déjŕ croyants et instruits par la Loi, ils auraient dű ętre poussés
beaucoup plus par lenseignement; car, comme il est dit, les signes sont donnés
aux non-croyants; quant aux prophéties, elles sont données non aux
non-croyants, mais ŕ ceux qui croient 129. En deuxičme lieu, leur foi
était faible parce quils semblent attendre encore un autre Christ; cest
pourquoi ils disent : LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, FERA-T-IL PLUS DE SIGNES
QUE NEN FAIT CELUI-CI? Ainsi, il est évident quils ne croyaient pas au Christ
comme en Dieu, mais comme en un homme juste, ou un prophčte. Ou bien, selon
Augustin 130, ils raisonnent ainsi :
LE CHRIST, QUAND IL SERA VENU, FERA-T-IL PLUS DE SIGNES QUE NEN FAIT CELUI-CI?,
comme pour dire : on nous a promis que le Christ doit venir; mais il ne fera
pas plus de signes que nen fait celui-ci; donc, ou bien celui-ci est le
Christ, ou bien il y aura plusieurs Christs.
121. Jean 2, 4.
122. Jean 13, 1.
123. Prov 11, 2.
124. Medicina est un mot qui signifie en premier lieu lart de
la médecine et de la chirurgie, puis le remčde, et aussi lart de tailler la
vigne... On ne peut sempęcher de penser ici ŕJn 15, 1-6, bien que le mot ny
soit pas employé.
125. Mt 11, 25.
126. 1 Corinthiens 1, 28. Lidentification de la foule des
croyants aux humbles et ŕ ceux qui ressentent la nécessité du recours au
médecin divin provient de saint Augustin (op. ci XXXI, 7. p. 651).
LES
PHARISIENS ENTENDIRENT LA FOULE MURMU RER CELA Ŕ SON SUJET; ET LES PRINCES DES
PRĘ TRES ET LES PHARISIENS ENVOYČRENT DES SERVITEURS, POUR QUILS SE SAISISSENT
DE JÉSUS.
1071. LÉvangéliste
expose ici quel fut leffet de lenseignement du Christ sur les Pharisiens. Et
comme le dit Chrysostome 131
Le Christ a dit beaucoup de choses sans
toutefois que cela suscite en eux une opposition ŕ son égard. Mais voyant la
foule avoir foi en lui, ils sexcitent aussitôt contre lui et, perdant la tęte,
ils cherchent ŕ le tuer. Par lŕ, on voit avec évidence que la violation
du sabbat nétait pas la véritable cause de leur haine, mais que ce qui les
piquait au vif par-dessus tout, cétait que les foules rendaient gloire au
Christ. Cest ce que lon voit plus loin : Vous voyez que vous n gagnez rien :
voici que tout le monde sen va aprčs lui ! 132 Mais parce
queux-męmes, craignant le danger, nosaient pas se saisir du Christ, ils
envoient des serviteurs qui, eux, peuvent bien ętre exposés au danger.
127. Isaďe 35. 4.
128. Saint Thomas reprend ici dune maničre plus nette deux
explications de saint Jean Chrysostome (In loannem hom., 50, ch. 2, col. 280).
129. Voir 1 Corinthiens 14, 22; cf. vol. II, n° 685, note 26.
130. Dans son commentaire, saint Augustin développe ainsi ce
verset : "Evidemment, sil ne doit pas y avoir deux Christs, cest lui qui
est le Christ" (toc. cit.).
131. in Ioannem hom., 50, ch. 2, col. 280.
1072. Aprčs avoir exposé le principe de son origine [n° 1051], le Seigneur laisse entendre ici quelle est sa fin, cest-ŕ-dire lŕ oů il doit aller par la mort.
LEvangéliste fait dabord allusion au terme du chemin du Christ, puis il expose létonnement des foules ŕ propos de ses paroles [n° 1079].
33
Jésus leur dit donc : "Je suis encore avec vous pour un peu de temps. Et
je men vais vers celui qui ma envoyé. Vous me chercherez, et vous ne me
trouverez pas. Et lŕ oů moi je suis, vous, vous ne pouvez venir. " Les Juifs
se dirent donc les uns aux autres : "Oů doit-il aller, celui-lŕ, que nous
ne puissions pas le trouver? Va-t-il se rendre chez ceux qui sont dispersés
parmi les nations et enseigner les nations? 36 Quest cette parole quil a dite
: "Vous me chercherez et vous ne me trouverez pas. Et lŕ oů moi je suis,
vous, vous ne pouvez venir?"
JÉSUS
LEUR DIT DONC : "JE SUIS ENCORE AVEC VOUS. POUR UN PEU DE TEMPS ET JE
MEN VAIS VERS CELUI QUI MA ENVOYÉ. VOUS ME CHERCHEREZ, ET VOUS NE ME
TROUVEREZ PAS. ET LŔ OŮ MOI JE SUIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR. "
Ici, le Christ fait allusion au terme de son chemin, avant dannoncer le désir quéprouveront les foules [n° 1076] et dajouter quelle sera leur ruine [n° 1078].
A propos du premier point, il annonce le retard qui va ętre apporté ŕ sa mort [n° 1073] et fait comprendre le lieu oů il doit aller par la mort [n° 1075]; et ainsi, il montre en premier lieu sa puissance, puis sa volonté de souffrir.
JÉSUS
LEUR DIT DONC : JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS.
1073. Cest bien sa puissance quil montre dans le retard quil apporte ŕ sa mort, parce que les Juifs cherchant ŕ se saisir de lui ne peuvent cependant le faire que si le Christ le veut Personne ne me prend mon âme; mais moi je la dépose 133. Et cest pourquoi JESUS LEUR DIT : JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS, comme pour dire : vous voulez me tuer; or cela ne relčve pas de votre volonté, mais de la mienne; et moi je détermine que JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS; attendez donc un peu de temps. Ce que vous voulez faire tout de suite, vous le ferez plus tard car JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS.
En cela, le Seigneur donne dabord satisfaction ŕ la foule qui le vénérait, la rendant plus avide découter en ménageant un petit moment supplémentaire pendant lequel les gens pourraient jouir de cet enseignement (cest ce que dit Chrysostome 135) Tant que vous avez la lumičre, croyez en la lumičre 136.
Mais il donne en męme temps
satisfaction ŕ la foule qui le persécutait, comme sil disait : votre désir de
ma mort nest pas insatisfait pour longtemps; aussi, supportez avec patience,
parce que JE SUIS ENCORE AVEC VOUS POUR UN PEU DE TEMPS. Je dois en effet
accomplir ma mission dannoncer la bonne nouvelle, en pręchant et en accomplissant
des miracles, et ainsi parvenir ŕ ma Passion Allez dire ŕ ce renard que je
travaille aujourdhui et demain, et le troisičme jour je suis consommé ! Mais
aujourdhui, demain, et le jour suivant, je dois poursuivre ma route, car il ne
convient pas qu'un prophčte périsse hors de Jérusalem. 137.
1074. Si le Seigneur voulut pręcher pendant un peu de temps encore, cest pour trois raisons.
Il le fit dabord pour bien faire voir sa puissance, cest-ŕ-dire pour montrer quil pourrait changer le monde entier en un tout petit espace de temps Un seul jour dans tes parvis est meilleur que mille autres 138.
Ensuite, pour exciter le désir de ses disciples, cest-ŕ-dire pour quils désirent davantage celui dont ils ne devaient plus posséder que pour un peu de temps la présence corporelle Viendront des jours oů vous désirerez voir un seul jour du Fils de lhomme, et vous ne le verrez pas 139.
Enfin, pour augmenter le
progrčs spirituel de ses disciples. En effet, puisque lhumanité du Christ est
pour nous le chemin qui nous fait tendre vers Dieu comme il est dit plus loin
: Moi je suis le chemin, la vérité et la vie 140 , nous ne
devons pas nous reposer en elle comme dans un terme, mais nous devons par elle
tendre vers Dieu. Donc, pour que le cur des disciples, en lui étant attaché
dune maničre sensible, ne se repose pas en lui comme dans un homme, le Christ
leur a retiré rapidement sa présence corporelle : voilŕ pourquoi il disait : Il
est bon pour vous que moi je m en aille, car si je ne men vais pas, le
Paraclet ne viendra pas vers vous 141. Et si nous avons connu
le Christ selon la chair, cest-ŕ-dire quand il était avec nous, présent
physiquement, maintenant, ce nest plus ainsi que nous le connaissons. 142
133. Jean 10, 18
134. Cette phrase est une citation littérale de SAINT AUGUSTIN,
Tract, in Ioann., XXXI, 8, p. 653.
135. In loannem hom., 50, eh. 2, col. 281.
Lexplication suivante provient aussi de
la suite de ce passage.
136. Jean 12, 36.
137. Luc 13, 32-33.
138. Ps 83, 2.
139. Luc 17, 22.
l40. Jean 14, 6.
141. Jean 16, 7.
142. 2 Co 5, 16; sinspirant de saint Augustin, saint Thomas dit
en commentant ce verset "que les disciples, aimant
le Christ dune maničre sensible, étaient { attachés] ŕ lui comme un homme de
chair ŕ son ami de chair, et quainsi ils ne pouvaient ętre élevés ŕ une
dilection spirituelle, qui fait beaucoup pâtir, męme si celui quon aime est
absent. Et donc, pour que laffection spirituelle qui vient de lEspnt Saint
soit enracinée en eux, le Seigneur leur a dit : Paix ŕ vous" (Jean 20,
2 1-26). LApôtre donc, rappelant cela, a dit au nom de tous les disci pies :
et si nous lavons connu, cest-ŕ-dire si autrefois nous avons adhéré au Christ
quand il était avec nous par sa présence corporelle, selon la chair, cest-ŕ-dire
selon un amour sensible, maintenant ce n'est plus ainsi que nous le
connaissons, cest-ŕ-dire : désormais cette affection sensible a cessé en nous,
par [de] lEspnt Saint qui nous a été donné" (Ad 2 Cor. lect., V, leç. 4,
n° 191).
ET JE
MEN VAIS VERS CELUI QUI MA ENVOYÉ
1075. Le Christ montre ici sa volonté de souffrir sa Passion. Je vais vers le Pčre 143 spontanément, cest-ŕ-dire par la Passion lia été offert parce que lui-męme la voulu 144 Il sest offert lui-męme ŕ Dieu en hostie dagréable odeur 145. JE MEN VAIS, dis-je, VERS CELUI, le Pčre, QUI MA ENVOYE. Et cela convient, car toute chose revient naturellement ŕ son principe Les fleuves retournent au lieu doů ils sont sortis 146. Sachant quil est sorti de Dieu et qu'II s'en va vers Dieu... 147 Je men vais vers celui qui ma envoyé 148.
VOUS
ME CHERCHEREZ, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS.
1076. En disant cela, le
Christ annonce le désir que les Juifs éprouveront. Cest comme sil disait :
cest pour peu de temps que vous pouvez profiter de mon enseignement; mais ce
peu de temps que vous rejetez maintenant avec dédain, un jour ou lautre VOUS
le CHERCHEREZ, ET VOUS NE TROUVEREZ PAS Cherchez le Seigneur pendant quil
peut ętre trouvé 149; et Cherchez le
Seigneur, cest-ŕ-dire au moment présent, et votre âme vivra 150.
1077. On peut entendre cette parole : VOUS ME CHERCHEREZ, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS, de la recherche sensible du Christ, ou bien de la recherche spirituelle.
Si on lentend de la recherche sensible : daprčs Chrysostome 151, cest ainsi quils lont cherché quand les filles de Jérusalem, les femmes, se lamentaient sur lui selon ce que dit saint Luc 152 ; et on peut penser que beaucoup dautres alors partagčrent cette douleur. Il nest pas non plus invraisemblable que les Juifs, se rappelant le Christ et ses miracles, lorsquils se trouvaient dans un péril imminent et spécialement quand leur ville risquait dętre prise, aient désiré sa présence, qui les aurait libérés. Selon cette interprétation, il faut dire : VOUS ME CHERCHEREZ, cest-ŕ-dire vous chercherez ma présence physique, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS.
Mais si on lentend de la
recherche spirituelle, il faut dire, selon Augustin 153 que celui
quils ne voulurent pas apprendre ŕ connaître lorsquil était présent, ils le
cherchčrent par la suite en voyant la multitude des croyants; ayant le cur
transpercé au sujet du crime de la mort du Christ, ils dirent ŕ Pierre :
Frčres, que devons-nous faire? 154 Ainsi donc, ils cherchčrent le Christ quand ils crurent en celui qui
par donne leurs crimes, lui quils virent mourant de leur propre crime.
143. Jean 20, 17.
144. Isaďe 53, 7 (Vulgate).
145. Eph 5, 2.
146. Qo 1, 7.
147. Jean 13, 3.
148. Jean 16, 5.
149. Isaďe 55, 6.
150. Ps 68, 33.
151. In Ioannem hom. 50, ch. 2, col. 281.
ET LŔ
OŮMOI JE SUIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR.
1078. Le Christ poursuit en montrant quelle sera leur ruine. Il ne dit pas : "Oů je men vais", ce qui aurait été une conséquence plus logique de ce qui précčde, ŕ savoir JE MEN VAIS VERS le Pčre, QUI MA ENVOYE; mais il dit LA OU MOI JE SUIS, pour montrer quil est ŕ la fois Dieu et homme.
Il est homme en tant quil sen va Je men vais vers celui qui ma envoyé 155. Mais en tant que le Christ était toujours lŕ oů il devait retourner, il montre quil est Dieu Personne nest monté au ciel, si ce nest celui qui est descendu du ciel 156. Ainsi donc, selon Augustin 157, de męme que le Christ est retourné sans pour autant nous abandonner, de męme il est descendu vers nous en assumant une chair visible tout en étant aussi dans le ciel selon son invisible majesté.
Il ne dit pas : "Vous
ne viendrez pas", parce que certains devaient y aller, mais il dit
VOUS NEPOUVEZ VENIR, cest-ŕ-dire aussi longtemps que vous ętes ainsi mal disposés
158. En effet, personne ne
peut parvenir ŕ lhéritage céleste sil nest héritier de Dieu. Mais cest par
la foi dans le Christ quon est fait héritier de Dieu II leur a donné le
pouvoir dętre faits fils de Dieu, ŕ ceux qui croient en son nom 159; or les Juifs ne
croyaient pas encore en lui; cest pourquoi il dit : VOUS NE POUVEZ VENIR. Le
psalmiste demande aussi : Qui gravira la montagne du Seigneur? Et il répond :
Lhomme aux mains innocentes, au cur pur 160. Les Juifs navaient
pas le cur pur, ni les mains innocentes, parce quils voulaient tuer le
Christ. Voilŕ pourquoi il dit : Vous ne pouvez gravir la montagne du Seigneur.
152. Cf. Luc 23, 27.
153. Tract, in Ioann., XXXI, 9, p. 653.
154. Ac 2, 37.
l55. Jean 16, 5.
l56. Jean 3, 13.
157. Ibid., pp. 656-657.
LES
JUIFS SE DIRENT DONC LES UNS AUX AUTRES : "OŮ DOIT-IL ALLER, CELUI-LŔ,
QUE NOUS NE PUIS SIONS PAS LE TROUVER? VA-T-IL SE RENDRE CHEZ CEUX QUI SONT
DISPERSÉS PARMI LES NATIONS ET ENSEIGNER LES NATIONS? QUEST CETTE PAROLE QU'L
A DITE : VOUS ME CHERCHEREZ ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS, ET LŔ OŮ MOI JE SUIS,
VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR?"
1079. LÉvangéliste expose ici létonnement des Juifs, qui tout en ayant du Christ une connaissance sensible, avaient une certaine foi en lui.
Les Juifs commencent par
sétonner [n° 1080]; puis ils
émettent des conjectures [n° 1081],
avant dargumenter contre elles [n° 1082].
1080. Ils sétonnent en
se disant les uns aux autres : OŮ DOIT-IL ALLER, CELUI-LA, QUE NOUS NE PUISSIONS
PAS LE TROUVER? Comme on la dit en effet, ils comprenaient cette parole dune
maničre matérielle "L'homme naturel n'accueille pas ce qui est de
l'Esprit de Dieu. C'est folie pour lui et il ne peut le connaître, car cest
spirituellement qu'on en juge".
158. Saint Thomas emprunte cette remarque ŕ saint Augustin (ibid.,
p.
159. Jean 1, 12.
160. Ps 23, 3-4.
1081. Et parce quils pensaient quil devait sen aller dune maničre physique, et non par la mort, dans un autre lieu oů il ne leur serait pas permis de se rendre, ils émettent des conjectures en disant : VA-T-IL SE RENDRE CHEZ CEUX QUI SONT DISPERSES PARMI LES NATIONS ET ENSEIGNER LES NATIONS? 162 En effet les nations étaient tenues ŕ lécart de la vie propre des Juifs Etrangers ŕ lalliance, vous étiez tenus ŕ lécart de la vie propre d'Israël n'ayant pas lespérance de la promesse, et sans Dieu dans ce monde 163. Et cest pourquoi, comme sils leur imputaient un crime, ils disent : CHEZ CEUX QUI SONT DISPERSES PARMI LES NATIONS, parce que celles-ci étaient disséminées partout, et unies entre elles dune maničre imparfaite Telles sont les familles de Noé selon leurs peuples et leurs nations; c'est ŕ partir delles que les nations furent séparées sur la terre aprčs le déluge 164. Mais le peuple des Juifs était rassemblé par le lieu 165, dans le culte du Dieu unique, et lobservation de la Loi Le Seigneur édifiant Jérusalem rassemblera les dispersés d'Israël 166.
Ils ne disent pas quil doit
aller vers les nations de maničre ŕ devenir un paďen, mais en tant quil doit
les ramener ŕ lui; cest pourquoi ils ajoutent : ET ENSEIGNER LES NATIONS. Ce
quils pensčrent peut-ętre ŕ cause de ces paroles : Cest peu que tu sois mon
serviteur pour relever les tribus de Jacob, et faire se convertir le résidu
dIsraël tai donné comme lu des nations, pour que tu sois mon salut jusqu'aux
extrémités de la terre 167 bien quils naient pas compris ce quils disent, comme Caďphe neut
pas lintelligence de ses propres paroles lorsquil dit : Il vaut mieux pour
vous quun seul homme meure et que toute la nation ne périsse pas 168. Ils disent
cependant quelque chose de vrai, et ils ont prédit le salut des nations, comme
le dit Augustin 169, cest-ŕ-dire ils ont prédit quil devait aller vers les nations, non
par sa présence physique, mais "par ses pieds", cest-ŕ-dire
par les Apôtres. Il a en effet envoyé ses membres vers nous, et il a fait de
nous ses membres Jai dautres brebis qui ne sont pas de ce bercail, et il me
faut les ramener (...) et il y aura un seul troupeau, et un seul pasteur 170. Cest pourquoi il est
dit, au nom des nations : II nous enseignera ses voies 171.
161. 1 Corinthiens 2, 14.
162. "Nations" traduit le latin gentes (la Néo-Vulgate
porte graecos). Sur le mot gentes et sa traduction, voir vol. II, p. 127, note
1.
163. Eph 2, 12.
164. Gn 10, 32.
165. Gest ainsi que saint Jean Chrysostome montre comment cette
réflexion est méprisante de la part des Juifs fiers de leur terre (In Ioannem
hom. 50, ch. 3, col. 28 1-282).
166. Ps 146, 2.
1082. Ils apportent
ensuite une objection ŕ ce quils avaient conjecturé, en disant : QUEST CETTE
PAROLE QUIL A DITE : VOUS ME CHERCHEREZ... Autrement dit, sil avait
simplement dit : VOUS ME CHERCHEREZ, ET VOUS NE ME TROUVEREZ PAS, on pourrait
bien comprendre quil doit sen aller vers les nations; mais quil ait ajouté
LA OU MOI JE SUIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR, semble exclure une telle
compréhension, car il ne nous est pas impossible daller vers les nations 172.
167. Isaďe 49, 6.
168. Jean 11, 50.
169. Op. cit., 10, pp. 657-659; 11, p. 661.
170. Jean 10, 16.
171. Isaďe 2, 3.
172. Cf. CHRYSOSTOME, loc. cit., col. 282.
37a
Le tout dernier jour, le grand jour de la fęte, Jésus se tenait debout et
criait, disant : 37b "Si quelquun a soif quil vienne ŕ moi, et quil
boive, celui qui croit en moi. Comme dit lEcriture, de son sein couleront des
fleuves deau vive. " Or il disait cela de lEsprit, que devaient recevoir
ceux qui croiraient en lui. En effet, lEsprit navait pas encore été donné,
parce que Jésus navait pas encore été glorifié. 40 ŕ partir de cette heure-lŕ,
les foules, comme elles avaient entendu ces paroles [Jésus], disaient :
"Celui-ci est vraiment le Prophčte. " Dautres disaient :
"Celui-ci est le Christ. " Mais certains disaient : "Est-ce de
Galilée que vient le Christ? LEcriture ne dit-elle pas que cest de la race de
David, et de la citadelle de Bethléem oů était David, que vient le
Christ?" Cest pourquoi il se fit une dissension dans la foule ŕ cause de
lui. Et certains dentre eux voulaient se saisir de lui; mais personne ne porta
la main sur lui. Les serviteurs vinrent donc vers les grands prętres et les
Pharisiens, et ceux-ci leur dirent : "Pourquoi ne lavez-vous pas
amené?" Les serviteurs répondirent : "Jamais un homme na parlé
ainsi, comme parle cet homme. " Les Pharisiens leur répondirent donc :
"Avez-vous été séduits vous aussi? 48 Y a-t-il quelquun parmi les princes
des prętres qui ait cru en lui, ou parmi les Pharisiens? 50 Mais cette foule
qui ne connaît pas la Loi, ce sont des maudits. " 51 Nicodčme leur dit,
celui qui était venu ŕ lui de nuit il était lun dentre eux : "Notre
Loi juge un homme si on ne la pas dabord entendu, et connu ce quil fait?"
Ils répondirent et lui dirent : "Toi aussi, es-tu Galiléen? Scrute les
Ecritures, et vois que de la Galilée il ne surgit pas de prophčte. " 53 Et
ils retournčrent chacun chez soi.
1083. Aprčs avoir traité de lorigine de son enseignement [n° 10361 puis de lorigine de celui qui enseigne [n° 1051] (ainsi que de son terme [n° 1072]) , le Seigneur poursuit ici en conviant ŕ recevoir son enseignement.
LEvangéliste nous expose linvitation du Christ, avant de nous montrer la dissension des foules [n° 1097].
LE
TOUT DERNIER JOUR, LE GRAND JOUR DELA FĘTE, JÉSUS SE TENAIT DEBOUT ET CRIAIT,
DISANT : QUELQUUN A SOIF, QU'IL VIENNE Ŕ MOI, ET QU'IL BOIVE, CELUI QUI CROIT
EN MOI COMME DIT L'ECRI TURE, DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D'EAU VIVE. "OR
IL DISAIT CELA DE L'ESPRIT, QUE DEVAlENT RECEVOIR CEUX QUI CROIRAIENT EN LUI EN
EFFET, L'ESPRIT NAVAIT PAS ENCORE ÉTÉ DONNÉ PARCE QUE JÉSUS NA VAIT PAS
ENCORE ÉTÉ GLORIFIÉ.
LÉvangéliste donne dabord le mode de linvitation du Christ, quant au moment [n° 1084], quant ŕ la position du Christ qui nous convie [n° 1085], et quant ŕ leffort quil fait en nous appelant [n° 1086]. Puis l'Evangéliste nous expose linvitation elle-męme [n° 1087], avant dy ajouter un commentaire [n° 1091].
LE
TOUT DERNIER JOUR, LE GRAND JOUR DE LA FĘTE
1084. LÉvangéliste nous donne ici le moment de cette Invitation du Christ; comme on la dit en effet, cette fęte était célébrée pendant sept jours; le premier et le dernier jour étaient les plus solennels, de męme que pour nous le premier jour de la fęte et celui de loctave sont plus solennels.
Donc, ce qui nous est raconté ici, le Seigneur ne le fit pas le premier jour, parce quil nétait pas encore monté ŕ Jérusalem, ni pendant les jours intermédiaires, mais bien le tout dernier jour; et cela, parce quil y a peu de gens qui célčbrent les fętes dune maničre spirituelle. Cest pourquoi le Christ ne les convie pas ŕ son enseignement dčs le commencement, de peur que celui-ci ne soit effacé de leur cur par les vanités des jours de fęte qui suivent, parce que, comme il est dit dans saint Luc, la parole du Seigneur est étouffée par les épines 1 mais il les convie le dernier jour, pour que son enseignement soit gravé dune maničre plus tenace dans leurs curs 2.
JÉSUS
SE TENAIT DEBOUT
1085. Il faut savoir ŕ ce propos que le Christ a enseigné tantôt assis, tantôt debout. Assis, il a enseigné les disciples comme on le voit au chapitre 5 de saint Matthieu 3 mais debout, il a enseigné les foules, comme ici. Cest pourquoi lhabitude sest développée dans lEglise de pręcher aux fou les en se tenant debout, et aux clercs et aux religieux en siégeant. La raison en est que la prédication aux foules, qui a pour fin de les convertir, se fait par mode dexhortation; mais comme la prédication aux clercs sadresse ŕ eux comme ŕ ceux qui habitent déjŕ dans la maison de Dieu, elle est comme un mémorial 4.
ET
CRIAIT
1086. LÉvangéliste nous fait connaître ici leffort du Christ : IL CRIAIT pour manifester son assurance Elčve avec force ta voix, toi qui apportes la bonne nouvelle ŕ Jérusalem! Élčve-lŕ, ne crains pas pour ętre entendu de tous Crie, ne t'arręte pas, élčve ta voix comme une trompette et pour montrer la grandeur de ses paroles Ecoutez-moi, parce que je vais parier de grandes choses*.
1. Cf. Luc 8, 7.
2. Cf. CHRYSOSTOME, In Ioannem hom., 51,
ch. 1, coI 283.
3. Mt 5, 1 Voyant les foules, il monta dans la montagne, et
quand il se fut assis, ses disciples s'avancčrent vers lui...
4. Saint Thornas emploie ici le mot commemoratio, pour montrer
que la prédication réalise une certaine présence de Jésus Sauveur, comme la
célébration de lEucharistie est une commemoratio de la Cčne (voir Somme
théologique, III, q. 22, a. 3, ad 2; q. 73, a. 4).
"SI
QUELQUUN A SOIF, QUIL VIENNE Ŕ MOI, ET QUIL BOIVE, CEL UI QUI CROIT EN MOI
COMME DIT L'ECRITURE, DE SON SEIN COULER ONT DES FLEUVES D'EAU VIVE. "
1087. LÉvangéliste
expose ici linvitation du Christ. Il commence par montrer quels sont ceux qui
sont invités et ŕ quoi ils sont conviés [n° 1088], puis quel est le fruit de cette invitation [n° 1089].
1088. Ceux qui sont invités, ce sont ceux qui ont soif : SI QUELQUUN A SOIF, QU7L VIENNE A MOI -Vous tous qui avez soif, venez vers les eaux 8. Il les appelle "ceux qui ont soif", parce que cest létat de ceux qui désirent servir Dieu. Mais Dieu naccepte pas quon le serve par contrainte Dieu aime celui qui donne joyeusement 9. Et cest pour cela que le Psalmiste disait : Je t'offrirai volontairement un sacrifice. 10 De ceux-lŕ, il est dit : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice 11. Ceux-lŕ, le Seigneur ne les appelle pas en faisant des distinctions, mais il les appelle tous; cest pourquoi il dit : SI QUELQUUN A SOIF, comme pour dire : quel quil soit. Venez ŕ moi, vous tous qui me désirez, et rassasiez-vous de mes fruits 12.- Il veut que tous les hommes soient sauvés 13.
Il les invite ŕ se désaltérer : ET QUIL BOIVE. Cette bois son est une réfection spirituelle, dans la connaissance de la sagesse et de la vérité divines, et aussi dans la satisfaction complčte des désirs Mes serviteurs boiront, et vous, vous aurez soif 14. Venez et dévorez mon pain, et buvez le vin que jai męlé pour vous 15 Elle labreuve de leau de la sagesse qui sauve 16.
5. Isaďe 40, 9.
6. Isaďe 58, 1.
7. Prov 8, 6; cf. n° 1058. Saint
Thomas reprend, en la précisant, lexplication de Chrysostome : "Dune part, pour montrer sa confiance et sa liberté de
parole; dautre part, pour signifier ŕ une si grande multitude quil va parler
de la nourriture spirituelle" (loc. cit.).
8. Isaďe 55, 1.
9. 2 Go 9, 7.
10. Ps 53, 8.
11. Mt 5, 6.
1089. Le fruit de cette invitation, cest le rejaillissement de ces biens dans les autres : CELUI QUI CROIT EN MOI COMME DIT LEGRITURE, DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES DEAU VIVE.
Selon Chrysostome 17, cette parole doit ętre lue ainsi : CELUI QUI CROITENMOI, COMME DIT LECRITURE, en coupant la phrase ici; et il enchaîne ensuite : DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES DEAU VIVE, car si on dit : CELUI QUI CROIT EN MOI et quon enchaîne ensuite : COMME DIT LECRITURE, DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES DEAU VIVE, cela ne semble pas convenir parce quon ne trouve nulle part dans un livre de lAncien Testament cette parole : DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES D'EAU VIVE. Donc, il faut dire de cette maničre : CELUI QUI CROIT EN MOI, COMME DIT LÉCRITURE, cest-ŕ-dire selon les enseignements de lEcriture Scrutez les Ecritures (...) ce sont elles-męmes qui me rendent témoignage 18-, alors DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES DEAU VIVE. Et il dit CELUI QUI CROIT EN MOI comme il avait dit plus haut : celui qui vient ŕ moi 19, parce que cest la męme chose de croire et de venir Venez ŕ lui, et vous ętes illuminés 20.
Mais selon Jérôme 21, le texte est ponctué ainsi : SI QUELQUUN A SOIF, QUIL VIENNE A MOI, ET QU'IL BOIVE CELUI QUI CROIT EN MOI COMME DIT LECRITURE, DE SON SČIN COULERONT DES FLEUVES DEAU VIVE, ce qui, comme lui-męme le dit, est tiré du livre des Proverbes : Bois leau de ta citerne, et leau jaillissante de ton puits : que tes sources se répandent au dehors 22.
12. Sir 24, 26.
13. 1 Tm 2, 4.
14. Isaďe 65, 13.
15. Prov 9, 5.
16. Sir 15, 3.
17. In loannem hom., 51, ch. 1, col. 283.
18. Jean 5, 39.
19. Jean 6, 35. 37.
20. Ps 33, 6. Saint Thomas commente "Venez ŕ lui, par la
foi et la charité Approchez-vous de Dieu et lui sapprochera de vous"
(Ja 4, 8). Et voici pourquoi il ajoute et vous ętes illuminés : Dieu est
lumičre, et celui qui sapproche de la lumičre est illuminé Lčve-toi, par
lamour, et sois, lluminé (Isaďe 60, 1). Celui qui sapproche de ses pieds,
quil reçoive son enseignement (Deut 33, 3)" (Expos. in Ps., 33, n° 6). Lidentification
de venir et de croire, empruntée ŕ saint Augustin (cf. n 915 et note 6 et déjŕ
rencontrée plusieurs fois (nos 292, 915, 921, 935), sera reprise plus loin (n°
1114). Selon le commentaire de la réponse de jésus aux deux premiers disciples
(" Venez et voyez ", Jean 1, 39), venzr désigne la foi
"accompagnée des uvres ", donc parfaite et capable de sachever dans
la vision (n° 292-294, vol. I, pp. 293-294). Saint Thomas reprend ainsi un
thčme sur lequel saint Augustin a beaucoup insisté dans sa réflexion sur le
mystčre de la foi, disant par exemple, dans son explication de lattraction
quopčre Dieu sur lâme (Jean 6, 44) : "Ce nest pas avec nos pieds que
nous courons au Christ, mais en croyant, ce nest pas par un mouvement de notre
corps que nous nous approchons de lui, mais par la volonté de notre cur"
(Tract. in Ioann., XXVI, 3, p. 489; voir les notes 27 et 28 du traducteur). Cf.
encore, chez saint Thomas, De perfectione vitae spiritualis, ch. 3, 29; Opera
omnia, t. XLI, p. B 70, Il. 29-30. Sur le lien entre la foi et les uvres, voir
ci-dessous, n° 1221 ss.
21. Praefatio in Pentateuchum, PL 28, col. 149. En fait,
saintjérôme cite Prov 18, 4 Eau profonde, les paroles de la bouche dun
homme! Torrent bou la source de la sagesse!
22. Prov 5, 15.
23. Tract, in Ioann., XXXII, 4, p. 671.
24. Cf. vol. II, ch. 4, n° 577.
25. Conscientia exprime ici ce quil y a de plus radical dans
lesprit de lhomme transformé par la grâce que donne lEsprit Saint, comme du
point de vue humain la conscience de notre vie intellectuelle exprime cette
auto-lucidité que nous avons de nos propres opérations vitales. Cf. ch. VI,
n°921.
1090. Selon Augustin 23, il faut savoir que les fleuves procčdent des sources comme dun principe (a principio). Et celui qui boit dune eau matérielle ne possčde en lui ni la source 24, ni le fleuve, parce quil nen goűte quune petite partie; mais celui qui boit en croyant au Christ puise la source; et lors męme quil a puisé, sa conscience 25 qui est le sein de lhomme intérieur commence ŕ vivre et sera elle-męme une source. Cest pourquoi il est dit : Celui qui boira de cette eau (...), elle deviendra en lui une source deau jaillissante 26. Et cette source quon puise, cest lEsprit Saint, dont il est dit : Auprčs de toi est la source de vie 27. Celui donc qui boit de telle maničre que cela profite ŕ lui seul, leau vive ne coule pas de son sein en dons de la grâce, symbolisés par les fleuves; mais celui qui se hâte de prendre soin du prochain, et de communiquer aux autres les divers dons de la grâce de Dieu quil a reçus, DE SON SEIN COULER ONT DES FLEUVES D'EAU VIVE. Cest ŕ cause de cela que Pierre dit : Chacun selon la grâce qu'il a reçue, en la mettant mutuellement au service des autres... 28.
Il parle de FLEUVES, pour signifier labondance des dons spirituels promise en retour aux fidčles Le fleuve de Dieu a été comblé deau 29-; de męme, leur impétuosité Ceux qui marchent avec impétuosité vers Jacob : Israël fleurira et germera, et ils rempliront de leur fruit la face de la terre 30. L'impétuosité du fleuve réjouit la cité de Dieu Et parce quil était mű par linstinct et la ferveur de lEsprit Saint, lApôtre disait : La charité du Christ nous presse 32 et Ceux qui sont mus par lEsprit de Dieu, ceux-lŕ sont fils de Dieu 33. Les FLEUVES symbolisent encore la répartition des dons de lEsprit Saint, parce que A lun la diversité des langues, ŕ lautre le don de guérison, etc. 34
Mais ces FLEUVES sont des eaux vives, parce quelles sont unies ŕ leur source, cest-ŕ-dire ŕ lEsprit Saint habitant en nous.
26. Jn 4, 13-14.
27. Ps 35, 10.
28. 1 Pe 4, 10.
29. Ps 64, 10. Ŕ la suite de Chrysostome (op. cit., col. 284),
saint Thomas remarque les trois principaux éléments contenus dans cette image
du fleuve jaillissant : abondance, intensité et pouvoir de vivifier, manifestés
dune maničre trčs particuličre dans la vie et luvre des premiers Apôtres.
30. Isaďe 27, 6.
31. Ps 45, 5. En commentant ce verset, saint Thomas note que
"le fleuve signifie la grâce ŕ cause de labondance des eaux, parce quil
y a dans la grâce une abondance de dons Le fleuve de Dieu a été comblé deau
(Ps 64, 10) , et aussi parce que le fleuve est dérivé de son principe,
cest-ŕ-dire de sa source; ce nest pas la source qui provient du fleuve, parce
que la source est dans son principe; or lEsprit Saint vient du Pčre et du Fils
Il me montra un fleuve deau vive resplendissant comme du cristal, procédant
du trône de Dieu et de l'Agneau (Ap 22, 1); de męme encore [fleuve signifie la
grâce] parce quun fleuve charrie du sable et des pierres; ainsi lEsprit Saint
meut le cur ŕ agir De son sein couleront des fleuves deau vive Un comme un
fleuve violent... (Isaďe 59, 19). Ceux qui sont mus par Dieu, ceux-lŕ sont
fils de Dieu (Ro 8, 14). La source des jardins, puits deaux vives dévalant
du Liban en un ruissellement impétueux... (Cant 4, 15)" (Expos. in Ps, 45,
n° 3).
Il y a des fleuves qui ont un courant lent; ce nest pas le cas
de celui-ci, qui est rapide : cest pourquoi il parle de limpétuosité du
fleuve. Et cela pour deux raisons : dabord parce que lEsprit Saint remplit
subitement le cur de grâce Il y eut soudain, venant du ciel, comme le bruit
dun violent coup de vent (Ac 2, 2) ; et aussi parce que lEsprit Saint meut
le cur avec une impétuosité damour Quand il sera venu
OR IL
DISAIT CELA DE L'ESPRIT, QUE DEVAIENT RECEVOIR CEUX QUI CROIRAIENT EN LUI EN
EFFET, L'ESPRIT NAVAIT PAS ENCORE ÉTÉ DONNÉ, PARCE QUE JÉSUS NA VAIT PAS
ENCORE ÉTÉ GLORIFIÉ.
1091. LÉvangéliste
poursuit en commentant ce que le Christ a dit. Il donne dabord son commentaire
[n° 1092], puis la
raison de ce commentaire [n° 1093].
1092. Le Christ dit donc que DE SON SEIN COULERONT DES FLEUVES DEAU VIVE. Mais lEvangéliste dit que lon doit comprendre cela DE LESPRIT, QUE DE VAlENT RECEVOIR CEUX QUI CROIRAIENT EN LUI, parce que lEsprit Saint est la source et le fleuve. La source, dont il est dit : Auprčs de toi est la source de vie 35. Mais le fleuve, parce quil procčde du Pčre et du Fils L'ange me montra un fleuve d'eau vive resplendissant comme du cristal, procédant du trône de Dieu et de lAgneau 36 Il a donné lEsprit ŕ ceux qui lui obéissent 37.
32. 2 Co 5, 14.
33. Ro 8, 14.
34. 1 Corinthiens 12, 10.
35. Ps 35, 10.
36. Ap 22, 1.
37. Ac 5, 32.
EN
EFFET, LESPRIT NAVAIT PAS ENCORE ÉTÉ DONNE PARCE QUE JÉSUS NAVAIT PAS ENCORE
ÉTÉ GLORIFIÉ.
1093. Saint Jean donne ici la raison de ce commentaire; il dit en fait deux choses : que LESPRIT NAVAIT PAS ENCORE ETE DONNE, et que le Christ NAVAIT PAS ENCORE ETE GLORIFIE 38.
A propos de la premičre parole, il y a deux opinions : Chrysostome 39 dit que lEsprit Saint ne fut pas donné aux Apôtres avant la Résurrection du Christ, pour ce qui est des dons de prophétie et des miracles. Ainsi cette grâce, qui était donnée aux Prophčtes, avait manqué ŕ la terre jusquŕ lavčnement du Christ 40, et par la suite elle ne fut donnée ŕ personne avant le moment que lon a dit. Et sil est dit que les Apôtres expulsaient les démons avant la Résurrection, il faut comprendre quils ne les expulsaient pas par lEsprit, mais par la puissance qui venait du Christ. En effet, quand il les envoyait, on ne nous dit pas : "Il leur donna lEsprit Saint", mais : Il leur donna la puissance 41.
Mais cette opinion semble aller ŕ lencontre de ce que dit le Seigneur : Si moi je chasse les démons au nom de Béelzéboul, vos fils, au nom de qui les chassent-ils? 42 Or il est certain que cest dans lEsprit Saint que lui-męme expulsait les démons, ainsi que le fils, cest-ŕ-dire les Apôtres : il est donc manifeste queux aussi avaient reçu lEsprit Saint.
Voilŕ pourquoi il faut dire, selon Augustin 43, que les Apôtres possédčrent lEsprit Saint avant la Résurrection, męme pour ce qui est des dons de prophétie et des miracles. Et ce qui est dit ici, ŕ savoir que LESPRIT NAVAIT PAS ENCORE ETE DONNE, doit ętre compris de labondance du don dans des signes visibles; elle leur fut donnée aprčs la Résurrection et lAscension en des langues de feu 44.
38. Sur cette parole de saint Jean, voir Somme théol., I, q. 43,
a. 6, ad 1. Lobjectant se servait de cette parole pour montrer que la mission
invisible des personnes divines navait pas été faite aux Pčres de lAncien
Testament. Il en tirait argument pour conclure : "La mission invisible
nest pas faite ŕ tous ceux qui sont participants de la grâce. " Saint
Thomas répond ainsi : "La mission invisible a été faite aux Pčres de
lAncien Testament. Cest pourquoi saint Augustin dit (De Trin., IV) que selon
que le Fils est envoyé invisiblement, "il est dans les hommes, ou avec les
hommes; or cela a été autrefois, dans les Pčres et les Prophčtes". Cette
parole lEsprit n'avait pas encore été donné sen tend de cette donation
accompagnée dun signe visible, qui fut faite le jour de la Pentecôte. "
Voir aussi vol. II, p. 133, note 17.
39. in Ioannem hom., 51, ch. 1-2, col. 284-285.
40. Cf. Ps 73, 9 Désormais il ny a plus de prophčtes, et nul
dentre nous ne sait jusques Ű quand. Voir aussi Lam 2, 9 et Dan 3, 38.
41. Mt 10, 1.
42. Luc 11, 19.
1094. Mais puisque lEsprit Saint sanctifie lÉglise, et quil est aussi reçu maintenant par les fidčles, pourquoi ny a-t-il personne qui parle les langues de toutes les nations comme ŕ ce moment-lŕ?
Il faut répondre que cela nest pas nécessaire, selon ce que dit Augustin. LEglise envoyée en mission 45, parle dans les langues des nations, parce que la charité est donnée par lEsprit Saint La charité de Dieu a été d usée dans nos curs par lEsprit Saint qui nous a été donné 46. Et la charité, rendant toutes choses communes, fait que tout homme parle ŕ tout homme. Voilŕ pourquoi Augustin dit : "Si tu aimes lunité, quiconque possčde quelque chose en elle [c'est-ŕ-dire dans lEglise] le possčde aussi pour toi. Chasse lenvie, et ce que jai est tien. (...) La jalousie sépare, la charité unit (...). Aie la charité et tu auras toutes choses" 47. Mais au commencement, avant que lEglise se soit étendue ŕ travers le monde, comme ils étaient peu nombreux, il fallait quils parlent les langues de tous, pour fonder ainsi lEglise en tous.
43. De Trinitate, IV, XX, 29; BA 15, pp. 415-417. Saint Augustin
ne pré cise pas le nouveau mode de ce don autrement que par la largesse avec
laquelle le don des langues fut accordé aux premiers Apôtres et par le but de
ce charisme : luniversalité de lévangélisation.
44. Cf. Ac 2, 3.
45. Nous adoptons ici une correction encore incertaine de
lédition léonine, qui remplace "Ecclesia universalis" de lédition
Marietti par "Ecclesia missa". Le texte de saint Augustin auquel
saint Thomas se réfčre porte "Ecclesia ipsa", lEglise elle-męme.
46. Ro 5, 5.
47. Tract, in Ioann., XXXII, 8, pp. 683-685.
PARCE
QUE JÉSUS NAVAIT PAS ENCORE ÉTÉ GLORJ FiÉ.
1095. Selon Augustin 48, il faut comprendre cette
parole de la gloire de la Résurrection; autrement dit : il nétait pas encore
ressuscité des morts, il nétait pas encore monté aux cieux. De cette gloire il
est dit : Glorifie-moi, Pčre, auprčs de toi 49. Et la cause de
ce quil voulut ętre glorifié avant de donner lEsprit Saint, est que lEsprit
Saint nous est donné pour élever nos curs de lamour du monde ŕ une
résurrection spirituelle et les faire courir totalement en Dieu. Parce que donc
il a promis la vie éternelle ŕ ceux qui brűlent ardemment de la charité de
lEsprit Saint, lŕ oů nous ne mourrons pas, oů nous naurons rien ŕ craindre,
il na pas voulu donner lEsprit Saint lui-męme sans avoir été glorifié, pour
nous montrer dans son corps la vie que nous espérons dans la résurrection.
1096. Selon Chrysostome 50, il ne faut pas comprendre cela de la gloire de la Résurrection mais de la glorification de la Passion, dont le Seigneur dit plus loin, alors que lheure de la Passion était imminente : Maintenant a été glorifié le Fils de lhomme 51. Et selon cette interprétation, lEsprit Saint est donné en premier lieu quand il dit aux Apôtres aprčs la Passion : Recevez lEsprit Saint 52. Et lEsprit Saint ne fut pas donné avant la Passion, parce que, comme il est un don il ne devait pas ętre donné ŕ des ennemis, mais ŕ des amis. Or nous, nous étions des ennemis 54. Il fallait donc dabord que lhostie soit offerte sur lautel de la croix 55 et que linimitié soit détruite en sa chair 56, afin qu'ainsi par la mort de son Fils nous soyons réconciliés avec Dieu 57 et qualors, devenus des amis, nous recevions le don de lEsprit Saint.
48. Op. cit., XXXII, 9, pp. 687-691.
49. Jean 17, 5.
50. In Ioannem hom., 51, ch. 2, col. 284-285.
51. Jean 13, 31.
52. Jean 20, 22.
53. Quand Simonie magicien vit que lEsprit Saint était donné
par l2mpos ilion des mains des Apôtres, il leur offrit de largent. "Donnez-moi,
dit-il, ce pou voir ŕ moi aussi : que celui ŕ qui jimposerai les mains reçoive
lEsprit Saint. "Mais Pierre lui répliqua : ton argent, et toi avec lui,
puis que tu as cru acheter le don de Dieu ŕ prix dargent!" (Ac 8, 18-20).
Dans la Somme théologique, saint Thomas considčre successivement la troi sičme
personne de la Trinité comme Esprit Saint, Amour et Don : "LEsprit Saint
nest pas seulement dit Esprit Saint, mais Amour et Don" (I, q. 36, prol.).
En cela, il assume la grande tradition venue de saint Augustin. La question 38
étudie le Don : sagit-il dun nom de personne? Est-il propre ŕ lEsprit Saint?
A cette derničre question, saint Thomas répond : "Le don implique une
donation gratuite. Or la raison dune donation gratuite est lamour : nous donnons
gratuitement ŕ quelquun pal-ce que nous lui voulons du bien. Donc, la premičre
chose que nous lui donnons, cest lamour par lequel nous lui voulons du bien. Il
est donc manifeste que lamour considéré comme tel est le don premier, par
lequel tous les dons gratuits sont donnés. Dčs lors, puisque le Saint Esprit
procčde comme Amour, il procčde comme don premier (in ratione primi dom)"
(loc. cit., a. 2).
1097. Ayant exposé linvitation du Christ ŕ nous désaltérer spirituellement, lEvangéliste poursuit en nous montrant la dissension des foules : dabord celle des foules entre elles, puis la dissension surgie chez les princes des prętres [n° 1106].
I
Ŕ
PARTIR DE CETTE HEURE-LŔ DONC, LES FOULES, COMME ELLES AVAlENT ENTENDU CES
PAROLES DE [DE JÉSUS], DISAIENT : "CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHČTE. "
DAUTRES DISAIENT : "CELUI-CI EST LE CHRIST" MAIS CERTAINS DISAIENT :
"EST-CE DE GALILÉE QUE VIENT LE CHRIST? L'ÉCRITURE NE DIT-ELLE PAS QUE
CEST DE LA RACE DE DAVID, ET DE LA CITADELLE DE BETHLÉEM OŮ ÉTAIT DAVID, QUE
VIENT LE CHRIST?" CEST POURQUOI IL SE FIT UNE DIS SENSION DANS LA FOULE Ŕ
CAUSE DE LUI ET CERTAINS DENTRE EUX VOULAIENT SE SAISIR DE LUI; MAIS PERSONNE
NE PORTA LA MAIN SUR LUI
LÉvangéliste nous donne dabord différentes paroles de ceux qui sopposent entre eux, avant de nous exposer en quoi consiste la dissension [n° 1102].
Or la diversité des paroles de
la foule provenait de la diversité des opinions au sujet du Christ, et cest
pourquoi lEvangéliste nous expose trois opinions de la foule : celles il y
en a deux de ceux qui sapprochent déjŕ de la boisson spirituelle, et celle
de ceux qui sen écartent.
1098. Les premiers estimaient que le Christ était un prophčte; cest pourquoi lEvangéliste dit : A PARTIR DE CETTE HEURE-LA DONC, cest-ŕ-dire ŕ partir du oů il avait parlé ainsi, le grand jour de la fęte, LES FOULES, COMME ELLES AVAIENT ENTENDU CES PAROLES [DE JÉSUS], DISAIENT il sagit de ceux qui avaient déjŕ commencé ŕ puiser spirituellement de cette eau : CELUI-CI EST VRAIMENT LE PROPHETE. Ils le disent, non seulement prophčte, mais surtout le vrai Prophčte, comme par antonomase 57a, pensant quil est celui dont Moďse avait parlé par avance : Dieu suscitera pour vous dentre vos frčres un Prophčte : cest lui que vous écouterez comme moi 58.
54. Cf. Ro 5, 10.
55. Off en hostiam in ara crucis; saint Thomas cite ici cette
trčs belle hymne du temps pascal : Adcenam
Agni providi, stolis salutis candidis, posi tran silum maris rubri, Christo
canamusprincipi, cuius corpus sanctissimum in ara crucis torridum; sed et
cruorem gustando, Deo vivimus etc. ; "Conviés au festin de
lAgneau, revętus de la robe éblouissante du salut, aprčs avoir passé la mer
Rouge, chantons au Christ notre prince, dont le corps a été brűlé sur lautel
de la Croix; et en buvant son sang vermeil, nous vivons par Dieu... "
(in Liber hymnarius, Antiphon romanum, Solesmes 1983).
56. Eph 2, 14.
57. Ro 5, 10.
1099. D'AUTRES DISAIENT
: CELUI-CI EST LE CHRIST; ceux-lŕ sétaient approchés plus encore, et avaient
davantage quitté la soif de ceux qui ne croient pas. Et cela, Pierre aussi la
confessé Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant 59.
1100. La troisičme opinion, contraire ŕ la précédente, est celle de ceux qui sécartent [n° la boisson spirituelle]. Ils sopposent dabord ŕ lopinion de ceux qui disent quil est le Christ, avant de confirmer leur objection par [le recours ŕ] une autorité [n° 1101].
LEvangéliste dit donc : MAIS
CERTAINS, demeurant dans laridité de leur incroyance, DISAIENT : EST-CE DE
GALILEE QUE VIENT LE CHRIST? Ils savaient en effet que les Prophčtes navaient
pas dit que le Christ viendrait de la Galilée; et croyant quil était né ŕ
Nazareth (car ils ignoraient que le lieu de sa nativité était Bethléem), ils
prononcent ces paroles. Il était en effet manifeste quil avait été élevé ŕ
Nazareth, mais le lieu de sa nativité nétait connu que de peu de gens.
Cependant, bien que lEcriture ne dise pas quil devait naître en Galilée, elle
a pourtant annoncé quil devait dabord se tourner vers elle : Au premier
temps, la terre de Zabulon et la terre de Nephtali ont été délaissées; et au
tout dernier temps, la route de la mer qui passe au-delŕ du Jourdain, la
Galilée des nations, a été surchargée. Le peuple des nations qui marchait dans
les ténčbres a vu une grande lumičre, et pour les habitants de la région de
lombre de la nuit une lumičre sest levée 60. LEcriture avait aussi annoncé
quil viendrait de Nazareth, selon cette prophétie dIsaďe : Une fleur montera
de la racine de fessé, ce qui se lit en hébreu : Le Nazaréen montera de sa
racine 61.
1101. Ils confirment leur objection par lautorité de lEcriture en disant : LECRITURE NE DIT-ELLE PAS QUE C'EST DE LA RACE DE DAVID, ET DE LA CITADELLE DE BETHLÉEM OŮ ÉTAIT DAVID, QUE VIENT LE CHRIST?
Cest Jérémie qui dit que Jésus devait venir de la race de David : Je susciterai ŕ David un germe juste Et il est dit de David : Parole de lhomme établi pour ętre le Christ de Dieu... Et de ce que le Christ viendrait de Bethléem, il est écrit : Et toi Bethléem, terre de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit ętre le dominateur en Israël 64.
57a. "Figure de langage qui
consiste ŕ désigner un personnage par un nom commun ou une périphrase qui en
résume le caractčre, ou inversement, ŕ désigner un individu par le personnage
dont il rappelle le caractčre" (P. ROBERT, Dictionnaire alphabétique et
analogique de la langue française, P. U. F. 1953).
58. Deut 18, 15.
59. Mt 16, 16.
60. Isaďe 9, 1.
61. Isaďe 11, 1. Cette identification a été faite par saint
Jérôme, en particulier dans son commentaire de ce verset dIsaďe, plus
explicite que dans celui de Mt 2, 23 (Commentarium in Esaiam, IV, ch. 11, CCL
vol. LXIII, p. 147;
Commentarium in Matthaeum, I, CCL vol. LXVII, p. 16).
C'EST
POURQUOI IL SE FIT UNE DISSENSION DANS LA FOULE Ŕ CAUSE DE LUI
1102. LÉvangéliste
expose dabord la dissension de la foule, puis la tentative de certains dentre
eux contre le Christ [n° 1104];
enfin, la répression de cette tentative [n° 1105].
1103. IL SE FIT UNE
DISSENSION DANS LA FOULE Ŕ CAUSE DE LUI, cest-ŕ-dire ŕ cause du Christ. En
effet, il arrive fréquemment que trouble et dissension soient causés dans le cur
des méchants par la manifestation de la vérité 65. Et cest pourquoi Jérémie dit,
en tant que figure du Christ : Malheur ŕ moi, ma mčre, pourquoi mas-tu enfanté
homme de querelle, homme de discorde sur toute la terre? 66 Et cest ŕ
cause de cela que le Seigneur disait : Je ne suis pas venu apporter la paix,
mais le glaive 67.
1104. La tentative, celle de certains, était de se saisir de lui; ET CERTAINS DENTRE EUX (ŕ savoir ceux qui avaient dit : EST-CE DE GALILEE QUE VIENT LE CHRIST? VOULAIENT SE SAISIR DE LUI pour le tuer, ŕ cause de leur inimitié : Poursuivez-le et saisissez-le 68 Lennemi a dit : "Je poursuivrai et je saisirai" 69. Cependant, les bons, et ceux qui ont la foi, veulent se saisir du Christ pour jouir de sa présence Je monterai au palmier, et je memparerai de son fruit 70.
62. Jérémie 23, 5.
63. 2 Sam 23, 11.
64. Mic 5, 1.
65. Nous préférons ici le texte de lédition Marietti,
manifestatio veritatis, ŕ la correction proposée, mais comme incertaine, par
lédition léonine : manifestatio virtutis.
66. Jérémie 15, 10.
67. Mt 10, 34.
68. Ps 70, 2.
1105. La répression de leur tentative vient de la puissance du Christ : MAIS PERSONNE NE PORTA LA MAIN SUR LUI, parce que le Christ ne le voulait pas; cela était en son pouvoir Personne ne me prend mon âme; mais moi je la dépose de moi-męme 71. Cest pourquoi, quand il voulut souffrir, il ne les attendit pas, mais lui-męme soffrit ŕ eux : Il sortit et leur dit : Qui cherchez-vous? 72
II
1106. LÉvangéliste expose ensuite la division des princes des prętres : dabord leur division davec les serviteurs, puis ce qui les divise entre eux [n° 1113].
LES
SERVITEURS VINRENT DONC VERS LES PRĘTRES ET LES PHARISIENS, ET CEUX-CI LEUR
DIRENT : "POURQUOI NE L'AVEZ-VOUS PAS AMENÉ?" SES SERVITEURS
RÉPONDIRENT : "JAMAIS UN HOMME NA PARLÉ AINSI, COMME PARLE CET HOMME. LES
PHARISIENS LEUR RÉPONDIRENT DONC : "AVEZ-VOUS ÉTÉ SÉDUITS VOUSAUSSI? Y A-T
IL QUELQUUN PARMI LES PRINCES DES PRĘ TRES QUI AIT CRU EN LUI, OU PARMI LES
PHARISIENS? MAIS CETTE F0ULE QUI NE CONNAÎT PASLA LOI, CE SONT DES MAUDITS. "
On voit dabord le reproche que les princes des prętres font aux serviteurs [n° 1107], puis le témoignage que les serviteurs rendent au Christ [n° 1108], enfin ce que tentent les princes des prętres pour rabrouer les serviteurs [n° 1109].
69. Ex 15, 9.
70. Cant 7, 8. Cf. n° 1067.
1107. Il faut dabord remarquer liniquité des princes des prętres quand ils disent LES GRANDS PRETRES ET LES PHARISIENS POURQUOI NE L'AVEZ-VOUS PAS AMENE? En effet, ils étaient tellement mauvais que les serviteurs ne pouvaient les satisfaire sans porter préjudice au Christ Le sommeil est ravi de leurs yeux s'ils n'ont pas supplanté quelqu'un 73.
Mais ici surgit une question concernant le sens littéral : on a dit plus haut que les serviteurs furent envoyés pour se saisir de Jésus au milieu de la fęte, cest-ŕ-dire le quatričme jour; or leur retour est situé aprčs le septičme jour, quand lEvangéliste a dit : LE TOUT DERNIER JOUR LE GRAND JOUR DE LA FETE; il semble donc que les serviteurs furent désuvrés durant les jours intermédiaires.
Il y a ŕ cela une double
réponse : lune consiste ŕ dire que lEvangéliste a anticipé le murmure des
foules. Ou bien il faut répondre que les serviteurs revinrent peut-ętre ŕ ce
moment-lŕ; mais lEvangéliste en fait mention maintenant, pour montrer la cause
de la dissension entre les princes des prętres.
1108. Il faut remarquer ensuite la bonté des serviteurs dans le témoignage favorable quils rendirent au Christ en disant : JAMAIS UN HOMME NA PARLE AINSI, COMME PARLE CET HOMME. Ils se rendent par lŕ dignes de louange pour trois raisons.
Dabord pour la cause de leur admiration, parce quils admiraient le Christ non pas ŕ cause des miracles, mais ŕ cause de son enseignement 74; ce qui les rend plus proches de la vérité et les éloigne de lhabitude des Juifs, qui cherchent des signes, comme on le lit dans la premičre épître aux Corinthiens 75. Ensuite pour la facilité de leur conversion, parce que quelques paroles du Christ ont suffi ŕ les saisir et ŕ les attacher ŕ son amour. Enfin pour lassurance de leur esprit, parce quaux Pharisiens qui luttaient contre le Christ, ils disent de lui : JAMAIS UN HOMME NA PARLE AINSI
Et ils disent tout cela avec raison, parce que le Christ était non seulement un homme, mais aussi le Verbe de Dieu; et cest pourquoi ses paroles avaient la puissance de mouvoir [les curs] Mes paroles ne sont-elles pas comme un feu, dit le Seigneur, et comme un marteau qui brise la pierre? 76 Cest pourquoi aussi il est dit quil enseignait comme quelqu'un ayant la puissance 77. Ses paroles avaient aussi une saveur propre ŕ adoucir : Que ta voix résonne ŕ mes oreilles, car ta voix est douce 78. Que tes paroles sont douces ŕ mon palais 79. Il était encore bon de les retenir, parce quelles promettaient les biens éternels Seigneur, ŕ qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle 80. Moi le Seigneur, qui t'enseigne ce qui est bon... 81
En troisičme lieu, il faut remarquer la détestable perfidie des Juifs, par laquelle ils sefforcent de détacher les serviteurs du Christ. ILS LE UR REPONDIRENT, cest-ŕ-dire aux serviteurs : AVEZ-VOUS ETE SEDUITS, VOUS AUSSI?
Ils commencent par blâmer lerreur quils attribuaient aux serviteurs [n° 1110]. Ils exposent ensuite lexemple des princes des prętres [n° 1111], enfin celui des foules [n° 1112].
73. Prov 4, 16.
74. Cf. CHRYSOSTOME, In Ioannem hom.,
52, ch. 1, col. 287.
75. 1 Corinthiens 1, 22.
1110. Ils provoquent les serviteurs en disant : AVEZ VOUS ETE SEDUITS, VOUS AUSSI? Autrement dit : nous voyons que vous vous ętes réjouis dans la parole de cet homme. "Effectivement, ils avaient été séduits dune maničre louable parce quayant rejeté le mal de lincroyance, ils furent conduits ŕ la vérité de la foi", dont il est dit : Tu mas séduit Seigneur, et jai été séduit 82.
77. Mt 7, 29.
78. Cant 2, 14.
79. Ps 118, 103.
80. Jean 6, 69.
81. Isaďe 48, 17.
82. Jérémie 20, 7. Cf. WALAFRID STRABON, Glossa ordinaria,
Evangelium Ioannis, PL 114, col. 388-389.
Y
A-T-IL QUELQUUN PARMI LES PRINCES DES PRĘTRES QUI AIT CRU EN LUI, OU PARMI LES
PHARISIENS?
1111. Ils exposent ici lexemple des princes des prętres pour détourner encore plus les serviteurs. Ils disent cela parce quon est rendu digne de foi pour deux raisons : lautorité et la religion. Ils se servent donc de ces deux arguments contre le Christ pour affirmer : si le Christ devait ętre reçu, les princes des prętres lauraient accueilli sans aucun doute, eux en qui réside lautorité; et de męme les Pharisiens, en qui la religion était manifeste; mais aucun de ceux-lŕ na cru en lui; donc, vous non plus vous ne devez pas croire en lui. Lŕ saccomplit ce qui est écrit : La pierre quont rejetée les bâtisseurs, cest-ŕ-dire les princes des prętres et les Pharisiens, celle-lŕ est devenue la tęte dangle, cest-ŕ-dire dans le cur des peuples. Mais cela a été fait par le Seigneur 83, parce que sa bonté lemporte sur la malice des hommes.
MAIS
CETTE FOULE QUI NE CONNAÎT PAS LA LOI, CE SONT DES MAUDITS.
1112. Ils repoussent ensuite le témoignage de la foule, parce quelle confond leur malice. MAIS CETTE FOULE QUI NE CONNAIT PAS LA LOI, CE SONT DES MAUDITS, et cest pourquoi il ne faut pas tenir la męme position queux. Car il est écrit : Maudit soit celui qui ne sera pas demeuré dans la Loi et ne laura pas mise en pratique 84. Mais ils comprenaient mal cette parole, parce que ceux-lŕ męme qui nont pas la science de la Loi et qui cependant pratiquent ses uvres demeurent plus dans la Loi que ceux qui, ayant la science de la Loi, ne lobservent cependant pas 85; cest de ceux-lŕ quil est dit : Ce peuple mhonore des lčvres, mais son cur est loin de moi 86 Soyez de ceux qui accomplissent la Loi, et non seulement de ceux qui lécoutent 87.
83. Ps 117, 22.
84. Deut 27, 27.
85. Saint Augustin a voulu ainsi marquer la gravité de la
situation : "Ceux qui ne connaissaient pas la Loi croyaient en celui qui
avait donné la Loi; et celui qui avait donné la Loi, ceux qui enseignaient la
Loi le méprisaient" (Tract. in Io., XXXIII, 1, p. 695).
NICODČME
LEUR DIT, CELUI QUI ÉTAIT VENU Ŕ LUI DE NUIT -IL ÉTAITL'UN D'ENTRE EUX "NOTRE
LOI JUGE-T-ELLE UN HOMME SI ON NE L'A PAS D'ABORD ENTENDU, ET CONNU CE QU'IL
FAIT?"
1113. LÉvangéliste
poursuit en montrant la dissension des chefs entre eux. Il expose
lintervention de Nicodčme [n° 1115],
aprčs avoir cité quelques traits ŕ son propos [n° 1114]; puis il montre lopposition des
princes des prętres [n° 1116],
et enfin laboutissement de la dispute [n° 1117].
1114. LÉvangéliste évoque trois choses ŕ propos de Nicodčme : deux dentre elles montrent lintention de celui qui va parler, et la troisičme, la fourberie des princes des prętres.
La premičre de ces choses concerne la foi de Nicodčme : CELUI QUI ETAIT VENU A LUI, cest-ŕ-dire celui qui avait cru, car cest la męme chose devenir au Christ et de croire en lui 88.
La seconde concerne limperfection de sa foi, parce quIL VINT DE NUIT. Car sil avait cru dune maničre par faite, il naurait pas craint Beaucoup parmi les chefs crurent en lui, mais ŕ cause des Pharisiens il ne se déclaraient pas, pour ne pas ętre exclus de la synagogue 89. Nicodčme était lun de ceux-lŕ.
La troisičme chose évoquée par lÉvangéliste est le mensonge des princes des prętres. En effet, ils avaient dit : aucun parmi les princes et les Pharisiens na c au Christ; et cest pourquoi lEvangéliste dit : IL ETAIT LUN D'ENTRE EUX; autrement dit : si Nicodčme, qui est lun des princes, a cru en lui, il est manifeste que ce que les princes et les Pharisiens disent ŕ savoir quaucun des princes na cru en lui est faux II a vraiment dit un mensonge 90.
86. Mt 15, 8.
87. 1, 22.
88. Voir n° 1089, note 20.
"NOTRE
LOI JUGE-T-ELLE UN HOMME SI ON NE LA PAS DABORD ENTENDU, ET CONNU CE QUIL
FAIT?"
1115. LÉvangéliste expose ici comment Nicodčme les rappelle ŕ lordre. Selon les lois civiles en effet, une enquęte diligente doit précéder la sentence Ce n'est pas lhabitude des Romains de condamner un homme avant que laccusé n'ait ses accusateurs en sa présence, et qu'on lui ait donné lien de se défendre pour se laver des crimes [dont on laccuse] 91. Aussi Job disait-il : Je minstruisais avec un soin extręme de la cause que jignorais 92.
Cest pourquoi il est dit dans la Loi de Moďse : Tu ne con damneras pas linnocent et le juste, parce que jabhorre limpie 93.
Mais Nicodčme dit ces paroles parce quayant la foi il voulait les convertir au Christ. Cependant, parce quil était timide, il faisait cela dune maničre voilée. Il croyait en effet que si seulement ils voulaient écouter le Christ, sa parole serait dune telle efficacité que peut-ętre ils deviendraient semblables ŕ ceux qui avaient été envoyés pour se saisir de Jésus, et qui sétaient convertis ŕ ses paroles en faisant ce pour quoi ils avaient été envoyés 94.
ILS
RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT : "TOI AUSSI, ES-TU GALILÉEN? SCRUTE LES
ÉCRITURES, ET VOIS QUE DE LA GAULÉE IL NE SURGIT PAS DE PROPHČTE. "
1116. LÉvangéliste expose ici lopposition des princes des prętres. En disant cela, ils regardent Nicodčme comme un homme séduit, puis comme quelquun qui ignore la Loi.
Ils disent dabord TOI AUSSI, ES-TU GALILEEN 95?, cest-ŕ-dire, es-tu séduit par le Galiléen Ils décrétaient en effet que le Christ était Galiléen, parce quil avait vécu en Galilée : et cest pourquoi tous ceux qui reconnaissaient le Christ étaient appelés Galiléens, comme par mode dinjure La servante dit ŕ Pierre : Es-tu Galiléen, toi aussi? 96 Vous aussi, voulez-vous devenir ses disciples? 97
Puis ils disent : SCRUTE LES ECRITURES, ET VOIS. Mais puisquil était docteur de la Loi, il navait nul besoin de la scruter de nouveau; cest comme sils disaient : bien que tu sois docteur, tu ignores cela! Tu es maître en Israël, et tu ignores ces choses? 98 Mais quoique dans lAncien Testament il ne soit pas dit quun prophčte surgirait de Galilée, on y lit cependant que de lŕ devait sortir le Seigneur des prophčtes 99 Une fleur, cest-ŕ-dire le Nazaréen, naîtra de la racine de fessé, et l'Esprit du Seigneur reposera sur lui 100.
90. Cf. Jérémie 16, 19.
91. Ac 25, 16.
92. Jb 29, 16.
93. Ex 23, 7.
94. Cette interprétation se trouve chez saint Augustin (op. cit.,
XXXIII, 2, p. 695).
ET
ILS RETOURNČRENT CHACUN CHEZ SOI
1117. LEvangéliste nous montre que laboutissement de la dispute est infructueux. ET ILS RETOURNERENT, nayant pas réalisé leur dessein, CHACUN CHEZ SOI, cest-ŕ-dire chez les siens, vides de foi et frustrés dans leur mauvais désir Le Seigneur dissipe le conseil des pervers 101 Le Seigneur dissipe le conseil des princes et les pensées des peuples 102. Ou bien, CHACUN CHEZ SOI signifie : dans la malice de son refus de la foi et de son impiété Je sais oů tu habites, lŕ oů est le trône de Satan 103.
95. Cf. SAINT AUGUS loc. cit., p. 697.
96. Mt 26, 69.
99. Expression chčre ŕ saint Augustin, déjŕ reprise de son
commentaire de Jn 6, 14 par saint Thomas (n° 867).
100. Isaďe 11, 1. Cf. ci-dessus note 61.
10l. Jb 5, 13.
102. Ps 32, 10.
103. Ap 2, 13.
1118. Aprčs nous avoir entretenus de lorigine de lenseignement du Christ [n° 1010], l'Evangéliste poursuit ici en parlant de la puissance de cet enseignement. Or lenseignement du Christ a une puissance illuminative et vivificatrice, parce que ses paroles sont esprit et vie 1. LEvangéliste parle dabord de la puissance illuminative; puis, au chapitre 10, de la puissance vivificatrice de cet enseignement [n° 1364].
Il montre la puissance illuminative de lenseignement du Christ dabord par la parole et ensuite, au chapitre 9, par un miracle [n° 1293].
Au sujet de la parole, l'Evangéliste introduit dabord le Christ en train denseigner; puis il expose la puissance de son enseignement [n° 1140].
1. Cf. Jean 6, 64, et nos 992-993.
1
Quant ŕ Jésus, il sen alla jusquau Mont des Oliviers; 2 et dčs laurore, il
vint de nouveau au Temple. Et tout le peuple vint ŕ lui; et sasseyant, il les
enseignait. Or les Scribes et les Pharisiens amčnent une femme surprise en
flagrant délit dadultčre; et ils la placčrent au milieu. Et ils lui dirent :
"Maître, cette femme a été surprise ŕ linstant en flagrant délit
dadultčre. Or dans la Loi, Moďse nous a commandé de lapider ces femmes-lŕ. Toi
donc, que dis-tu?" ils disaient cela en le mettant ŕ lépreuve pour
pouvoir laccuser. Mais Jésus, se baissant, écrivait du doigt sur la terre. Comme
donc ils persistaient ŕ linterroger, il se redressa et leur dit : "Que
celui dentre vous qui est sans péché lui jette le premier une pierre. "
Et de nouveau, se baissant, il écrivait sur la terre. Mais eux, entendant cela,
sortaient lun aprčs lautre, en commençant par les plus vieux; et Jésus resta
seul, avec la femme se tenant au milieu. °Mais Jésus, se redressant, lui dit :
"Femme, oů sont ceux qui taccusaient? Personne ne ta condamnée?"
Celle-ci dit : "Personne, Seigneur. "Alors Jésus dit : "Moi non
plus je ne te condamnerai pas. Va, et désormais ne pčche plus. "
Deux caractčres appartiennent au service de docteur. Dabord, quil enseigne ceux qui désirent recevoir son enseignement; ensuite, quil réfute les thčses des adversaires.
Le Christ instruit donc dabord ceux qui attendent son enseignement; puis il réfute les thčses des adversaires [n° 1123]
A propos du Christ qui instruit ceux qui attendent son enseignement, lEvangéliste décrit dabord le lieu de lenseignement, puis lauditoire [n° 11211, enfin, le docteur [n° 1122].
QUANT
Ŕ JÉSUS, IL SEN ALLA JUSQUAU MONT DES OLIVIERS; ET DČS L'AURORE, IL VINT DE
NOUVEAU AU TEMPLE. ET TOUT LE PEUPLE VINT Ŕ LUI; ET SASSEYANT, IL LES
ENSEIGNAIT.
Le lieu de lenseignement est le Temple. LÉvangéliste montre dabord le Christ quittant le Temple [n° 1119], puis y retournant [n° 1120].
QUANT
Ŕ JÉSUS, IL SEN ALLA JUSQUAU MONT DES OLIVIERS.
1119. LÉvangéliste parle ici du départ de Jésus. En effet le Seigneur, quand il était ŕ Jérusalem pour les jours de fęte, faisait ainsi, selon linclination secrčte de son cur : pendant la journée il pręchait dans le Temple, manifestait des signes et des miracles éclatants; et tard, il retournait ŕ Béthanie, sur le Mont des Oliviers, oů il était reçu chez Marthe et Marie, les surs de Lazare. LÉvangéliste nous dit donc que Jésus, selon cette habitude, étant resté dans le Temple le dernier jour de la grande fęte et y ayant pręché, dans la soirée SEN ALLA JUSQUAU MONT DES OLIVIERS, oů se trouvait Béthanie.
Et ceci saccorde au mystčre : en effet, comme le dit Augustin 1a, oů convenait-il que le Christ enseignât et manifestât sa miséricorde, si ce nest sur le Mont des Oliviers, sur le Mont de lhuile parfumée, sur le Mont de lonction? En effet, lolive symbolise la miséricorde; du reste, en grec, le męme mot signifie "olive" et "miséricorde". Dans lEvangile de saint Luc 2, il est dit du Samaritain quil versa de lhuile et du vin, cest-ŕ-dire la miséricorde et la rigueur du jugement. Lhuile a aussi une vertu curative : Plaie, coup, blessure toute tuméfiée, qui ne sont pas pansés ni soulagés avec de lhuile 3... Lhuile symbolise encore le remčde de la grâce spirituelle, qui nous vient du Christ : Dieu, ton Dieu ta oint dune huile dallégresse, de préférence ŕ tes compagnons 4 Cest comme une huile parfumée sur la tęte, qui descend sur la barbe La pierre versait pour moi des ruisseaux dhuile.
la. Trac1 b., XXXIII, 3, p. 697. Saint Augustin fait simplement
le rapprochement entre Christ, onction et Mont des Oliviers. Lidentification
des termes grecs signifiant olzve et miséricorde (en réalité : et i) provient
dAlcuin, ainsi que la suite de lexplication du v. 2, n° 1120-1122 (Comm. in S.
Ioannis Evang [3, ch. 19, PL 100, col. 853 B-C).
2. Luc 10, 34.
3. Isaďe 1, 6.
4. Ps 44, 8. Saint Thomas commente : "Comment la-t-il
oint? Non pas avec une huile visible, parce que son royaume nest pas de ce
monde (Jean 18, 36); de męme, il na pas accompli un sacerdoce matériel, et
cest pourquoi il na pas été oint dune huile matérielle, mais de lhuile de
lEsprit Saint; cest pourquoi le psalmiste dit dune huile de joie. On dit que
lEsprit Saint est une huile, dabord parce que, de męme que lhuile sélčve
au-dessus de tous les liquides, ainsi lEsprit Saint sélčve au-dessus de
toutes les créatures : lEsprit du Seigneur planait au-dessus des eaux (Gn 1,
2); cest-ŕ-dire quil doit ętre au-dessus de tout dans le cur des hommes,
parce quil est lamour de Dieu. On dit ensuite que lEsprit Saint est une
huile ŕ cause de sa suavité. La miséricorde, et toute suavité de lesprit,
vient de lEsprit Saint : Dans la suavité, dans la mansuétude dans lEsprit
Saint... (2 Co 6, 6). Enfin, parce que de męme que lhuile est diffusive, ainsi
le propre de lEsprit Saint est la communion : Que la communion de l'Esprit
Saint soit toujours avec vous (2 Go 13, 13). L'amour de Dieu a été diffusé dans
vos curs par lEsprit Saint (Ro 5, 5). De męme, lhuile est laliment du feu
et de la chaleur, et lEsprit Saint entretient et nourrit en nous la chaleur de
lamour : Ses lampes sont des lampes de feu (Gant 8, 6). De męme encore,
lhuile illumine; ainsi en est-il de lEsprit Saint : L'inspiration du
Tout-Puissant donne lintelligence (Jb 32, 8)" (Expos. in Ps., 44, n"
5).
ET
DČS L'AURORE, IL VINT DE NOUVEAU AU TEMPLE. ET TOUT LE PEUPLE VINT Ŕ LUI; ET
SASSEYANT, IL LES ENSEIGNAIT
1120. Le retour de Jésus dans le Temple est présenté par lEvangéliste comme étant trčs matinal. Ce retour signifie quil était sur le point de révéler, ŕ ceux qui croyaient en lui, la connaissance et la manifestation de sa grâce, dans son temple Nous avons accueilli, Dieu, ta miséricorde, au milieu de ton temple 7.
Quil soit revenu dčs le point
du jour signifie la naissance de la nouvelle grâce Sa sortie est préparée
comme laurore 8.
1121. Quant ŕ lauditoire, il sagit de ceux qui attendent son enseignement; cest pourquoi lEvangéliste dit : ET TOUT LE PEUPLE VINT A LUI L'assemblée des peuples t'environnera 9.
5. Ps 122, 2.
6. Jb 29, 6.
7. Ps 47, 10. "La miséricorde est le Christ lui-męme, qui
nous a été donné par (ex) la miséricorde de Dieu : Le temps de faire grâce est
venu (Ps 101, 14) (...) O Dieu, nous avons accueilli Jésus-Christ,
miséricordieusement donné par la foi, (...) au milieu de ton temple,
cest-ŕ-dire en accord plénier avec lEglise, parce que ceux qui ne
reconnaissent pas la doctrine commune de lEglise naccueillent pas cette
miséricorde" (Expos. in Ps., 47, n°5). Du n° 1120 au n° 1122, saint Thomas
reprend les remarques dAlcuin (ibid.), qui sinspire dune homélie de Bčde
(Hom. 25 in Quadragesima, CCL vol. CXXII, pp. 178-179).
8. Os 6, 3.
9. Ps7, 8.
ET
SASSEYANT, IL LES ENSEIGNAIT.
1122. Le docteur est présenté assis, cest-ŕ-dire se met tant au niveau de son auditoire, pour que son enseignement soit plus facilement reçu. En effet, le fait de sasseoir symbolise létat dhumilité de lIncarnation 10 Tu sais quand je massieds et quand je me lčve 11.
Au début, les réalités divines
furent plus facilement enseignées aux hommes, parce quelles apparaissaient
visiblement ŕ travers lhumanité assumée par le Christ; cest pourquoi il dit
que SASSEYANT, IL LES ENSEIGNAIT, cest-ŕ-dire il enseignait les gens sans
détour et ceux qui recevaient sa parole avec admiration Il enseignera ses
chemins aux doux, et dirigera les humbles dans la justice. Il nous enseignera
ses voies 12.
1123. LÉvangéliste montre ensuite que le Seigneur réfute les thčses des adversaires; en premier lieu, il expose la tentative de fausse accusation : il en montre dabord loccasion [n° 1124]; puis il la décrit [n° 1125]; enfin il souligne lintention de ceux qui le tentaient [n° 1129].
En second lieu, lEvangéliste montre comment Jésus rejette les calomniateurs [n° 1130].
OR
LES SCRIBES ET LES PHARISIENS AMČNENT UNE FEMME SURPRISE EN FLAGRANT DÉLIT
DADULTČRE; ET ILS LA PLACČRENT AU MILIEU ETILS LUI DIRENT "MAÎTRE, CETTE
FEMME A ÉTÉ SURPRISE Ŕ L'INSTANT EN FLAGRANT DÉLIT DADULTČRE. OR DANS LA LOI,
MOĎSE NOUS A COMMANDÉ DE LAPIDER CES FEM MES-LŔ. TOI DONC, QUE DIS-TU?" OR
ILS DISAIENT CELA EN LE METTANT Ŕ LÉPREUVE POUR POUVOIR L'ACCUSER.
1124. Loccasion saisie pour le mettre ŕ lépreuve est ladultčre commis par une femme; et dabord, ils mettent la faute en évidence en lamplifiant; puis ils produisent la personne accusée.
10. V 563-565, vol. II, pp. 140-142.
11. Ps 138, 1.
12. Ps 24, 9; Isaďe 2, 3.
[3a]
OR LES SCRIBES ET LES PHARISIENS AMČNENT UNE FEMME SURPRISE EN FLAGRANT DÉLIT
D'ADULTČRE
Comme le dit Augustin 13, trois choses prédominaient dans le Christ : la vérité, la mansuétude et la justice; il avait été prédit ŕ son sujet : Avance et rčgne, ŕ cause de la vérité, de la mansuétude et de la justice 14. En effet, il apporta la vérité en tant que docteur, et cela, les Pharisiens et les Scribes lavaient perçu alors quil enseignait. Saint Jean dit plus loin : Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas? 15 En effet, ils ne pouvaient aucunement reprocher ŕ son enseignement et ŕ ses paroles dętre faux; cest pourquoi ils avaient cessé de laccuser ŕ ce sujet.
La mansuétude, il la apportée en tant que libérateur; les Scribes et les Pharisiens eurent connaissance de cela ŕ ce quil ne sémouvait pas contre ses ennemis et ses persécuteurs : Alors quil était maudit, lui ne maudissait pas 16. Mettez-vous ŕ mon école, car je suis doux et humble de cur 17. Cest pour quoi, męme ŕ ce sujet, ils ne laccusaient plus.
La justice, il la apportée comme celui qui en avait une connaissance parfaite (cognitor) 18, et cela parce que les Juifs ne lavaient pas encore vraiment, particuličrement dans les jugements : ils lui tendirent donc un pičge, voulant savoir sil sécarterait de la justice ŕ cause de la miséricorde. Pour cela, ils lui soumettent un crime connu et honteux : ladultčre Toute femme adultčre sera foulée aux pieds sur le chemin comme du fumier 19. Puis ils poussent en avant la personne accusée, pour faire davantage impression : ET ILS LA PLACERENT AU MILIEU Elle sera amenée au milieu 20.
13. Tract. in Jo., XXXIII, 4, pp. 699-70
1.
14. Ps 44, 5.
15. Jean 8, 46.
16. 1 Pe 2, 23.
17. Mt 11, 29. Saint Thomas commente ainsi ce passage de saint
Matthieu "Toute la Loi nouvelle
tient en deux choses : la mansuétude et lhumilité. Par la mansuétude, lhomme
est ordonné au prochain Souviens-toi, Seigneur, de David et de toute sa
mansuétude (Ps 131, 1). Par lhumilité, il est ordonné par rapport ŕ lui-męme,
et ŕ Dieu Sur qui mon esprit reposera-t-il, si ce n'est sur lhomme paisible
et humble? (Isaďe 56, 2). Cest pourquoi lhumilité rend lhomme capable de
Dieu (capax Dei)" (Super Evangelium S. Matthaei lectura, n° 970).
18. Ce terme (cognitor) est repris par saint Thomas ŕ saint
Augustin. Au sens littéral, il signifie celui qui connaît quelquun, sen
portant par lŕ męme garant. En matičre de justice, le cognitor est ainsi le
défenseur de lune ou lautre partie. Appliqué ici au Christ, ce terme montre
sa compétence en matičre de justice : lui seul en quelque sorte a autorité pour
appliquer la Loi, parce quil est le seul ŕ en saisir pleinement la portée; par
rapport ŕ la femme adultčre, il devient son garant et son défenseur, parce
quil montrera le dépassement de la justice par la miséricorde.
ET
ILS LUI DIRENT : "MAÎTRE, CETTE FEMME A ÉTÉ SURPRISE Ŕ L'INSTANT EN
FLAGRANT DÉLIT D'ADULTČRE. OR DANS LA LOI, MOĎSE NOUS A COMMANDÉ DE LAPIDER CES
FEMMES-LŔ. TOI DONC, QUE DIS-TU?" OR ILS DISAIENT CELA ENLE METTANT Ŕ
L'ÉPREUVE POUR POUVOIR LACCUSER.
1125. LÉvangéliste poursuit en montrant la tentation elle-męme; et dabord, les Pharisiens manifestent la faute, puis ils font valoir la justice selon la Loi; enfin, ils réclament le jugement.
MAÎTRE,
CETTE FEMME A ÉTÉ SURPRISE Ŕ LINSTANT EN FLAGRANT DÉLIT D'ADULTČRE.
1126. Les Scribes et les Pharisiens manifestent ici la faute; ils la grossissent de trois maničres destinées ŕ émou voir le Christ, de façon ŕ lui faire abandonner sa mansuétude. Dabord, parle caractčre récent de la faute; cest pour cela quils disent A LINSTANT En effet, quand la faute est ancienne, elle némeut pas autant, parce que celui qui la commise sest peut-ętre corrigé. Ensuite, par son évidence : A ETE SURPRISE; les Pharisiens font en sorte quelle ne puisse se disculper, comme les femmes ont tendance ŕ le faire Elle voile son visage, disant : je n'ai pas fait le mal 21. Enfin, par lénormité de la faute : EN FLAGRANT DELIT DADULTČRE, qui est un crime grave et cause de nombreux maux Toute femme qui commet ladultčre (...) péchera, en premier lieu contre la Loi de son Dieu 22.
19. Sir 9, 10.
20. Sir 23, 34 (Vulgate).
21. Prov 30, 20.
[5a]
OR DANS LA LOI, MOĎSE NOUS A COMMANDÉ DE LAPI DER CES FEMMES-LŔ.
1127. Ils allčguent
ensuite la justice de la Loi en disant : DANS LA LOI cest-ŕ-dire dans le
Lévitique et le Deutéronome 23, MOISE NOUS A COMMANDE
DE LAPIDER CES FEMMES-LŔ. TOI DONC, QUE DIS-TU?
1128. En posant cette question, les Pharisiens senquičrent du jugement; linterrogation est pleine de ruse; cest comme sils disaient : si seulement il ordonnait de la laisser aller, alors il ne respecterait pas la justice. Mais loin de nous la pensée que celui qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu 24 puisse la condamner Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour quil soit sauvé 25. La Loi męme ne pouvait pas décréter ce qui était injuste. Et cest pourquoi il ne dit pas : "quelle soit pardonnée", pour ne pas sembler agir contre la Loi 26.
[6a]
OR ILS DISAIENT CELA EN LE METTANTŔ LÉPREUVE POUR POUVOIR LACCUSER.
1129. Il sagit ici de lintention perverse de ceux qui le mettaient ŕ lépreuve; ils croyaient en effet que le Christ, pour ne pas perdre sa mansuétude, aurait dit de la laisser aller; et ainsi, ils lauraient accusé dętre transgresseur de la Loi Ne tentez pas le Christ, comme ceux-lŕ lont tenté 27.
22. Cf. Sir 23, 33 (Vulgate).
23. Lev 20, 10; Deut 22, 22.
24. Luc 19, 10.
25. Jean 3, 17.
26. Cf. SAJNT AUGUSTIN, op. cit., XXXIII, 5, pp. 70 1-703. Le
paragraphe suivant est aussi inspiré de saint Augustin (p. 705).
1130. LÉvangéliste poursuit en montrant que le Christ repousse les adversaires par sa sagesse. Les Pharisiens le mettaient ŕ lépreuve sur deux points : la justice et la miséricorde. Or, dans sa réponse, il préserva lune et lautre.
Dabord, il nous est montré comment il préserva la justice [n° 1131]; ensuite, quil ne sécarta pas de la miséricorde [n° 1136].
MAIS
JÉSUS, SE BAISSANT, É CRIVAIT DU DOIGT SUR LA TERRE. COMME DONC ILS
PERSISTAIENT Ŕ L'INTERROGER, IL SE REDRESSA ET LEUR DIT : "QUE CELUI
DENTRE VOUS QUI EST SANS PÉCHÉ LUI JETTE LE PREMIER UNE PIERRE. " ET
DE NOUVEAU, SE BAIS SANT, IL ÉCRIVAIT SUR LA TERRE. MAIS EUX, ENTEN DANT CELA,
SORTAIENT LUN APRČS LAUTRE, EN COMMENÇANT PAR LES PLUS VIEUX; ETJÉSUS RESTA
SEUL, AVEC LA FEMME SE TENANT AU MILIEU
-Pour montrer comment le Christ préserva la justice, lEvangéliste expose dabord le jugement, puis leffet de ce jugement [n° 1135].
A propos du jugement lui-męme le Christ fait trois choses : il commence par lécrire, puis il le prononce; enfin il continue ŕ écrire.
MAIS
JÉSUS, SE BAISSANT, ÉCRI VAIT DU DOIGT SUR LA TERRE.
1131. Il écrit donc le jugement sur la terre avec le doigt; selon certains, il écrivait ce qui est écrit au livre de Jérémie : Terre, terre, terre, écoute la parole de Yahvé; inscris cet homme sans enfant... 28. Mais selon dautres, et cela semble plus juste, il écrivit cela męme quil a énoncé, ŕ savoir : QUE CELUI DENTRE VOUS QUI EST SANS PECHE LUI JETTE LE PREMIER UNE PIERRE. Cependant, ni lune ni lautre de ces opinions nest certaine. Mais il écrivait sur la terre pour trois raisons. Dabord, selon Augustin 29, pour montrer que ceux qui le mettaient ŕ lépreuve devaient ętre inscrits dans la terre Seigneur, que ceux qui s'éloignent de toi soient inscrits dans la terre 30. Au contraire, les justes et les disciples qui le suivent sont inscrits dans les cieux Réjouissez-vous et exultez parce que vos noms sont inscrits dans les cieux 31. Ensuite, pour montrer quil faisait des signes sur la terre : celui qui écrit fait des signes; donc, écrire sur la terre, cest faire des signes sur elle. Cest pourquoi lEvangéliste dit SE BAISSANT, par le mystčre de lIncarnation ŕ partir duquel, dans la chair quil avait assumée, il fit des miracles. Enfin, parce que lancienne Loi était écrite sur des tables de pierre comme on le lit au livre de lExode et dans la deuxičme épître aux Corinthiens 32, ce qui symbolise sa dureté : Quelqu'un rejetant la Loi de Moďse était impitoyablement mis ŕ mort 33. Au contraire, la terre est meuble. Il écrivait donc SUR LA TERRE pour symboliser la douceur et la souplesse de la nouvelle Loi qui devait ętre apportée par lui.
A la suite de cela, nous devons ętre attentifs ŕ trois qualités dans nos jugements. Dabord la bienveillance, en nous mettant proche de ceux quil faut corriger : cest pour cela quil dit SE BAISSANT Le jugement est sans miséricorde pour celui qui na pas fait miséricorde 34. Si quelquun était pris en faute, vous, les spirituels, redressez-le en esprit de douceur 35. Ensuite, la finesse dans le discernement; cest pour cela quil dit ECRIVAIT DU DOIGT le doigt, en effet, ŕ cause de sa flexibilité, symbolise lart du discernement Apparurent des doigts, comme une main dhomme écrivant sur le mur 36. Ne fais rien sans un jugement préalable 37. Enfin la certitude dans lénonciation du jugement : cest pour cela quil dit ECRI VAIT 38.
27. 1 Corinthiens 10, 9.
28. Jérémie 22, 29-30.
29. De consensu evangelistarum, 4, ch. 10; PL 34; col. 1225. La
raison sui vante peut, elle aussi, avoir été suggérée par la suite de
linterprétation de saint Augustin. La troisičme provient de son commentaire de
lEvangile (XXXIII, 5, p. 703).
30. Jérémie 17, 13.
31. Le 10, 20 et Mt 5, 12.
32. Ex 31, 18 Lorsquil eut achevé de parler avec Moďse sur le
Mont Sinaď, Yahvé lui donna les deux tables du Témoignage, tables de pierre
écrites du doigt de Dieu. 2 Go 3, 3 Vous ętes man une lettre du Christ remise
ŕ nos soins, écrite non avec de lencre, mais avec lEsprit du Dieu vivant, non
sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur les curs. Saint
Thomas commente ainsi : "LApôtre laisse entendre quel est le lieu oů
cette lettre est écrite : non sur des tables de pierre, comme lancienne Loi,
pour en exclure la dureté; autrement dit : non dans des curs de pierre, qui en
ont la dureté, comme les Juifs, hommes ŕ la nuque raide (Ac 7, 51). Mais sur
les tables de chair du cur, cest-ŕ-dire sur des curs agrandis par la
charité; de chair, cest-ŕ-dire rendus tendres par le désir daccomplir et de
comprendre [volonté de Dieu] J de votre chair le cur de pierre et je vous
donnerai un cur de chair (Ez 36, 26)" (Ad 2 Cor lect., III, leç. 1, n°
83).
33. He 10, 28.
COMME
DONC ILS PER SISTAIENTŔ LINTERROGER, IL SE REDRESSA ET LEUR DIT : "QUE
CELUI DENTRE VOUS QUI EST SANS PÉCHÉ L UI JETTE LE PREMIER UNE PIERRE. "
1132. Devant leur insistance, il prononce ici un jugement. Bien quétant eux-męmes des transgresseurs de la Loi, les Pharisiens faisaient tout pour accuser le Christ de transgresser lui-męme la Loi, et pour condamner la femme; cest pourquoi le Christ prononce un jugement en disant : QUE CELUI DENTRE VOUS QUI EST SANS PECHE. Cest comme sil disait : que la pécheresse soit condamnée, mais non par des pécheurs; que la Loi soit accomplie, mais non par des transgresseurs de la Loi, parce que en jugeant un autre, tu te condamnes toi-męme 39. Ou bien laissez aller cette femme, ou bien subissez avec elle la peine prévue par la Loi. 40
34. Ja 2, 13.
35. Ga 6, 1.
36. Dan 5, 5.
37. 1 Tm 5, 21. Daprčs les corrections de lédition léonine,
saint Thomas renvoie aussi au chapitre 5 de la premičre épître aux Corinthiens,
sans le citer.
38. Cf. 1 Hom. 25 in Quad., p. l'79, 11.
55-57.
39. Ro 2, 1.
40. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XXXIII, 5, p. 705.
1133. Ici se pose une question : celui qui juge en étant lui-męme en état de péché, pčche-t-il en portant un jugement contre une autre personne qui se trouve coupable du męme péché? Il est manifeste que le juge pčche, en scandalisant, sil prononce un jugement tout en étant publiquement en état de péché; et cela semble également ętre le cas sil est secrčtement en état de péché : Du fait męme que tu juges un autre, tu te condamnes toi-męme 41. Or il est évident que personne ne se condamne soi-męme, si ce nest en péchant : il semble donc que lon pčche en jugeant un autre.
Il convient ici de faire une double distinction. En effet, ou bien celui qui juge persévčre dans sa volonté de pécher, ou bien il se repent davoir péché. De męme, il condamne ou bien en tant que serviteur de la Loi, ou bien en son nom propre.
Certes, sil se repent davoir péché, le péché nest déjŕ plus en lui; et ainsi, il peut énoncer un jugement sans commettre aucun péché. Par contre, sil a toujours la volonté de pécher : ou bien il prononce un jugement en tant que serviteur de la Loi, et alors il ne pčche pas du fait quil rend ce jugement (cependant, il pčche du fait quil commet des actions pour lesquelles il mérite de subir la męme peine [que celle quil inflige]); ou bien cest en son nom propre quil rend ce jugement, et alors il pčche en le faisant, parce quil nest pas mű par lamour de la justice, mais par un mal profondément enraciné; autrement, il punirait dabord en lui ce quil blâme chez les autres : Le juste est le premier ŕ s'accuser lui-męme 42.
ET DE
NOUVEAU, SE BAISSANT, IL ÉCRIVAIT SUR LA TERRE.
1134. Il continue ŕ écrire, dabord pour montrer la sűreté de son jugement Dieu n'est pas homme pour mentir, ni fils dhomme pour changer 43. Ensuite, pour montrer quils nétaient pas dignes de son regard. Alors quil les avait frappés par zčle 44 pour la justice, il ne jugea pas convenable de leur pręter attention, mais détourna deux son regard 45. Enfin, par égard pour la honte quils éprouvaient, leur laissant ainsi la libre possibilité de sen aller 46.
41. Ro 2, 1.
42. Prov 18, 17.
43. Nomb 23, 19.
MAIS
EUX, ENTENDANT CELA, SORTAIENT LUN APRČS L'AUTRE, EN COMMENÇANT PAR LES PLUS VIEUX;
ET JÉSUS RESTA SEUL, AVEC LA FEMME SE TENANT AU MILIEU
1135. Leffet du jugement est leur trouble; MAIS EUX, ENTENDANT CELA, SORTAIENT L'UN APRES L'AUTRE, EN COMMENÇANT PAR LES PLUS VIEUX, soit parce quils étaient embarrassés par de plus graves péchés et parce que leur conscience leur donnait plus de remords L'iniquité est sortie des anciens d'Israël, des juges qui passaient pour gouverner le peuple 47 , soit encore parce quils connaissaient mieux léquité du jugement prononcé Jirai donc vers les grands et je leur parierai, car ils connaissent, eux, le chemin du Seigneur et le jugement de Dieu 48.
ET JÉSUS RESTA SEUL, AVEC LA FEMME; cest la miséricorde avec la misčre. Il resta seul, parce que seul il était sans péché Il n'en est pas un qui fasse le bien, pas męme un seul 49 sauf le Christ. Et cest pourquoi la femme fut sans doute terrorisée et croyait quil allait la condamner. 50
Mais, sil resta seul, comment l'Evangéliste peut-il dire AU MILIEU? Il faut dire que la femme se tenait au milieu des disciples, et ainsi, SEUL exclut les étrangers, non les disciples. Ou bien AU MILIEU signifie quelle était dans le doute, ne sachant pas si elle serait pardonnée ou condamnée.
Ainsi donc, il est manifeste que le Seigneur, en répondant, respecta la justice.
44. Saint Thomas cite ici saint Augustin, mais remplace son telo
jusitiae, ("de larme de la justice"), par zelo justitiae (" par
zčle pour la justice").
45. Cf. SAINT AUGUSTIN, loc. cit.
46. Cf. ALCUIN, op. cil., col. 854 D; cf. aussi : SAINT JÉRÔME. Dialogus adv. Petagianos, L. 2; PL 23, col.
553.
47. Dan 13, 5.
48. Jérémie 5, 5.
49. Ps 13, 1. En commentant ce verset du psaume 13, saint Thomas
note que" seul le Christ na pas contracté ni commis le péché. La
Bienheureuse Vierge Marie, elle, a contracté le péché" (Expos. in Ps., 13,
n° 1). Ne connaissant pas le dogme de lImmaculée Conception, saint Thomas
enseigne en théologien quen Marie, toutes les traces du péché ont disparu au
moment de lIncarnation; avant lIncarnation, elle avait contracté le fomes
peccati, en tant que descendante dEve; cependant, sanctifiée dčs avant sa
naissance par un privilčge de Dieu, elle na jamais péché actuellement, le
fomes peccali restant lié, "la Providence divine préservant sa sensibilité
de tout mouvement désordonné" (voir Somme théologique, III, q. 27, a. 3).
50. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., ch. 5-6,
pp. 705-707.
MAIS
JÉSUS, SE REDRESSANT, LUI DIT : "FEMME, OŮ SONT CEUX QUI TACCUSAIENT?
PERSONNE NE TA CONDAMNÉE?" CELLE-CI DIT : "PERSONNE, SEIGNEUR
"ALORS JÉSUS DIT : "MOI NON PLUS JE NE TE CONDAMNERAI PAS. VA, ET
DÉSORMAIS NE PČCHE PLUS. "
1136. LÉvangéliste montre ici que le Seigneur ne sest pas écarté de la miséricorde; et cela, en rendant un jugement de miséricorde : dabord il interroge la femme [n° 1137], ensuite il lui pardonne [n° 1138], enfin il lavertit [n° 1139].
MAIS
JÉSUS, SE REDRESSANT, LUI DIT : "FEMME, OŮ SONT CEUX QUI TACCUSAIENT?
PERSONNE NE TA CONDAMNÉE?" CELLE-CI DIT : "PERSONNE,
SEIGNEUR"
1137. Il linterroge au sujet de ses accusateurs; cest pourquoi lEvangéliste dit : JESUS, SE REDRESSANT, cest-ŕ-dire détournant son visage de la terre sur laquelle il écrivait pour se tourner vers la femme, LUI DIT : FEMME, OU SONT CEUX QUI TACCUSAIENT? Il fait de męme ŕ propos de la condamnation, en demandant : PERSONNE NE TA CONDAMNEE? et celle-ci répond : PERSONNE, SEIGNEUR
ALORS
JÉSUS DIT : "MOI NON PLUS JE NE TE CONDAMNERAI PAS. VA, ET DÉSORMAIS NE
PČCHE PLUS. "
1138. Ensuite, Jésus lui pardonne : ALORS JÉSUS DIT : MOI NON PLUS, JE NE TE CONDAMNERAI PAS, moi par qui tu as peut-ętre craint dętre condamnée, parce que tu nas pas trouvé de péché en moi 51. Cela nest pas étonnant, parce que Dieu na pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que par lui le monde soit sauvé 52. Je ne veux pas la mort du pécheur 53. Il lui pardonne sa faute sans lui infliger dautre peine, parce que, sil la justifiait tout entičre en lui pardonnant selon la justice de la Loi, il pouvait bien, ŕ plus forte raison, faire que son cur soit transformé par une contrition suffisante de ses péchés, de telle sorte que toute peine lui soit épargnée.
Cependant il ne faut pas, [sous prétexte de] suivre lexemple du
Seigneur, tomber dans la routine dabsoudre quelquun sans confession, ou sans
lui infliger de peine; le Christ eut en effet lexcellence dans les sacrements,
et put conférer leffet du sacrement sans le sacrement lui-męme, ce que nul
homme ordinaire ne peut faire.
1139. Mais il la met en garde quand il dit : VA, ET DESORMAIS NE PECHE PLUS. Il y avait en effet deux choses dans cette femme : la nature et la faute, et le Seigneur pouvait condamner lune comme lautre : la nature, sil avait ordonné quelle soit lapidée; et la faute, sil ne lui avait pas pardonné. Il pouvait aussi laisser aller lune comme lautre, par exemple en lui donnant la liberté de pécher, lui disant VA, vis comme tu veux, sois assurée de mon pardon; pčche tant que tu voudras, je te libérerai męme de la géhenne et des bourreaux de lenfer. Mais le Seigneur, naimant pas la faute et ne favorisant pas les péchés, condamne la faute elle-męme, non la nature, en disant : DESORMAIS NE PECHE PLUS; pour quainsi il apparaisse que le Seigneur est doux par sa mansuétude, et droit 54 par sa vérité 55.
51. Cf. 1 Pe 2, 22. Saint Thomas reprend ici une phrase de saint
Augustin qui se réfčre ŕ la grande affirmation de I Pe 2, 22 sur linnocence
absolue du Christ (loc. cit., p. 707).
52. Jean 3, 17. Cf. vol. II, nos 482-483.
53. Ez 18, 32.
54. Ps 24, 8. " La douceur, commente saint Thomas, se
trouve principalement dans les réalités sensibles, et est dite métaphoriquement
des réalités spirituelles. Cest pourquoi il faut comprendre la douceur
spirituelle par similitude avec la douceur sensible. Or possčde cette douceur
sensible ce qui répare le sens du goűt, le repose et le réjouit; pareillement,
la douceur spirituelle repose, répare et réjouit le goűt spirituel. Or en Dieu,
la douceur est essentielle" (Expos. in Ps., 24, n°)
55. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., ch. 6-7,
p. 707. Saint Thomas conclut ainsi en reprenant
ce qui fut le fil conducteur du commentaire de lévęque dHippone, puis du sien
la mansuétude, la vérité et la justice (cf. Ps 44, 5) du Sauveur.
1140. Aprčs avoir introduit le Christ en train denseigner, lEvangéliste montre ici la puissance illuminative de son enseignement; il expose dabord la puissance illuminative elle-męme [n° 1141], puis il met en lumičre ce que le Christ en dit [n° 1146].
DONC,
JÉSUS LEUR PARLA EN DISANT : "MOI JE SUIS LA LUMIČRE DU MONDE. CELUI
QUI ME SUIT NE MARCHE PAS DANS LES TÉNČBRES, MAIS IL AURA LA LUMIČRE DE LA VIE.
"
A propos de la puissance illuminative elle-męme, il pré sente dabord le privilčge de la lumičre spirituelle, puis son effet [n° 1144], enfin son fruit [n° 1145].
1141. LÉvangéliste parle du privilčge de la lumičre spi rituelle comme appartenant au Christ, qui est la lumičre : DE NOUVEAU DONC, JESUS LEUR PARLA EN DISANT : MOI JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE. Cela peut dune certaine maničre ętre rattaché ŕ ce qui a été dit juste avant. En effet, parce quil a dit moi non plus je ne te condamnerai pas, la déliant de son péché, il daigne, pour que personne ne puisse douter que lui-męme peut pardonner et remettre les péchés, faire voir plus clairement la puissance de sa divinité en disant quil est la lumičre qui repousse les ténčbres du péché 1.
Cela peut, dune autre
maničre, ętre rattaché ŕ ce qui a été dit plus haut : Scrute les Ecritures, et
vois que de la Galilée il ne surgit pas de prophčte 2. En effet, parce
quils le prenaient pour un homme de Galilée, ils refusaient son enseignement,
comme si le Christ était dépendant dun lieu déterminé; cest pourquoi le Seigneur
montre quil est la lumičre universelle du monde entier, en disant MOI JE SUIS
LA LUMIERE DU MONDE, et non de la Galilée, ni de la Pales tine, ni de la Judée 3.
1142. Les Manichéens 4 comme le dit Augustin 5, comprenaient cette parole dune maničre fausse. En effet, parce que leur vision était seulement celle des choses sensibles, ils ne supportaient pas de sétendre aux réalités intellectuelles et spirituelles, et croyaient quil ny a rien dans la nature au-dessus des réalités corporelles 6; cest pourquoi ils disaient que Dieu est un corps, et une certaine lumičre infinie, et ils prétendaient que le Christ Seigneur est le soleil visible aux yeux de la chair; et ŕ cause de cela lui-męme a dit : MOI JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE.
Mais cela ne peut tenir, et lÉglise catholique condamne une telle fiction. Car le soleil corporel est la lumičre que les sens peuvent atteindre, et cest pourquoi il nest pas la lumičre supręme; mais cette lumičre supręme est celle que lintelligence touche, qui est la lumičre spirituelle, propre ŕ la créature spirituelle 7. Le Christ dit ici de cette lumičre : MOI JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE. Cest delle quil avait été dit plus haut : Il était la lumičre, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde 8.
Mais la lumičre sensible est une certaine image de cette lumičre par excellence, la lumičre spirituelle : car tout sensible est pour ainsi dire quelque chose de particulier, et les intelligibles sont en quelque sorte des réalités universelles. Or de męme que cette faible lumičre particuličre a un effet dans la réalité vue en tant quelle rend les couleurs visibles en acte, et aussi dans celui qui voit, car par elle lil est amené ŕ la vision, de męme, cette lumičre spirituelle rend lintellect connaissant [en acte], parce que tout ce quil y a de lumičre dans la créature spirituelle est dérivé tout entier de cette lumičre supręme elle-męme, qui illumine tout homme venant en ce monde 9. De męme, elle rend toutes les réalités intelligibles en acte, en tant que proviennent delle toutes les formes, qui donnent aux réalités dętre connues, comme toutes les formes des réalités artificielles proviennent de lart et de la raison de lartisan Combien magnifique sont tes uvres, Seigneur, tu les fis toutes avec sagesse... 10. Et cest pour quoi il dit trčs justement : MOI JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE, non pas le soleil qui a été fait, mais celui par qui il a été fait. Cependant, comme le dit Augustin 11; il est la lumičre qui a fait le soleil, apparue sous le soleil, et qui a été cachée sous un voile de chair, non pour ętre obscurcie mais pour ętre atténuée.
1. Cf. ALCUIN, Comm. in S. Ioannis evang.,
IV, ch. 20, col. 855, reprenant BČDE, Hom. 25 in Quad., p. 182, IL 163-164.
2. Jean 7, 52.
3. Cf. CHRYSOSTOME, In loannem hom., 52,
ch. 2, col. 289. Le texte commenté par
Chrysostome ne contenait pas lépisode de la femme adultčre.
4. Sur les Manichéens, voir vol. I, n° 81 et note 22.
5. Tract, in Jo., XXXIV, 2; CCL vol. XXXVI p. 311. Le volume 73 de la Bibliothčque Augustinienne
nétant pas encore paru au moment oů nous publions ce travail, nous utilisons
désormais lédition du Corpus Christianorum.
6. Nous avons ici préféré le texte de lédition Marietti ŕ la
correction proposée par lédition léonine.
1143. Par cette parole est aussi repoussée lhérésie de Nestorius 12, qui dit que le Fils de Dieu était uni ŕ lhomme seulement par inhabitation. Il est clair en effet que celui qui disait MOIJE SUIS LA LUMIERE DUMONDE était homme. Si donc celui qui par lait et semblait ętre un homme navait pas été dans sa personne le Fils de Dieu, il naurait pas dit : MOI JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE, mais "en moi habite la lumičre du monde". Il était donc, dans la męme personne, et homme, et Fils de Dieu, et lumičre du monde.
7. Lux intelligibilis prapria rationalis creaturae. Rationalis,
qui se traduit littéralement par "rationnel ", a chez saint Thomas un
sens beaucoup plus large. Est rationatis ce qui est au delŕ du monde sensible;
cest pourquoi nous navons pas hésité ŕ traduire par "spirituel".
8. Jean 1, 9.
9. Jean 1, 9.
10. Ps 103, 24.
11. op. cit., XXXIV, 4, p. 313, 11. 39-41.
12. Sur Nestorius, voir vol I, n° 170 et note 20.
1144. Leffet de cette lumičre est de repousser les ténčbres : CELUI QUI ME SUIT NE MARCHE PAS DANS LES TENEBRES. Et parce que cette lumičre est universelle, elle repousse universellement toutes les ténčbres 13.
Or il y a trois sortes de
ténčbres. Dabord celles de lignorance ils n'ont ni savoir ni intelligence;
ils marchent dans les ténčbres 14. Ces ténčbres sont celles de la raison en elle-męme, en tant quelle
est voilée par elle-męme. Il y a aussi celles de la faute Autrefois vous
étiez ténčbres, mais ŕ présent vous ętes lumičre dans le Seigneur 15, et ces ténčbres sont celles de
la raison humaine non en elle-męme, mais liée ŕ lappétit, en tant que
celui-ci, mal disposé par les passions ou lhabitude, cherche ŕ atteindre comme
un bien quelque chose qui nest pas vraiment un bien. Il y a enfin les ténčbres
de la damnation éternelle Jetez le serviteur inutile dans les ténčbres du
dehors 16. Les deux premičres sortes de ténčbres se trouvent en cette vie; quant
aux derničres, elles se trouvent au terme du chemin. Donc, CELUI QUI ME SUIT NE
MARCHE PAS DANS LES TENEBRES, cest-ŕ-dire dans les ténčbres de lignorance,
car moi je suis la vérité, ni dans celles de la faute, car moi je suis le
chemin, ni dans celles de la dam nation, car moi je suis la vie 17.
1145. LÉvangéliste poursuit en montrant quel est le fruit de lenseignement : IL AURA LA LUMIERE DE LA VIE 18; en effet, qui a cette lumičre est en dehors des ténčbres de la damnation.
Mais il dit CELUI QUI ME SUIT, parce quil est nécessaire ŕ quiconque ne veut pas errer dans les ténčbres de suivre celui qui porte la lumičre; ainsi, il faut que quiconque veut ętre sauvé 19 suive le Christ, qui est la lumičre, en croyant en lui et en laimant; et cest ainsi que les Apôtres lont suivi Eux, laissant lŕ leurs filets, le suivirent 20. Mais parce que la lumičre sensible peut faire défaut en déclinant, il arrive que celui qui la suit tombe dans les ténčbres. En revanche, cette lumičre-lŕ, qui ne connaît pas de déclin 21, ne fait jamais défaut; cest pourquoi celui qui la suit a la lumičre inépuisable, cest-ŕ-dire la lumičre DE LA VIE. En effet, la lumičre visible ne donne pas la vie, mais assiste de lextérieur les opérations de la vie sensible; tandis que cette autre lumičre donne la vie, parce que nous vivons en tant que nous avons lintelligence, qui est une certaine participation de cette lumičre par excellence. Or lorsque cette lumičre rayonnera parfaitement, nous aurons la vie en plénitude Auprčs de toi est la source de la vie, et dans ta lumičre 22; nous verrons la lumičre autrement dit : alors nous aurons la vie elle-męme en perfection, quand, de notre propre vue, nous verrons la lumičre elle-męme 23. Cest pourquoi il est dit : La vie éternelle, cest quils te connaissent, toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. 24
Mais notons que cette parole : CELUI QUI ME SUIT se rapporte au mérite, tandis que celle-ci : IL AURA LA LUMIERE DE LA VIE, a trait ŕ la récompense 25.
13. Cf. n 1141.
14. Ps 81, 5.
15. Eph 5, 8.
15a. Habitude traduit ici habitus et exprime comment les
passions liées ŕ la volonté créent en nous de mauvaises habitudes (des vices).
16. Mt 25, 30.
17. Jean 14, 6.
18. Le terme employé ici est lumen, qui signifie plus
"clarté, rayonnement" que "lumičre". Faut-il entendre ce
terme comme désignant la lumičre dérivée, par rapport ŕ lux qui serait comme un
"foyer de lumičre" (Ego sum lux mundi)? La Néo-Vulgate ne retient pas
cette distinction, et préfčre employer lux dans lun et lautre cas, se
rapprochant par lŕ du texte grec.
19. Voir Symbole dit de saint Athanase, PG 28, J. -P. Migne,
Paris 1887, ou Dictionnaire de Théologie catholique, I, col. 2179, n°9. Cf. aussi
vol. II, n° 542 et note 13e.
20. Mt 4, 20.
21. Cf. Sir 24, 6 et Sag 7, 10.
22. Ps 35, 10.
23. Tunc ipsam vitam perfecte habebimus quando ipsum lumen per
speciem videbimus. Saint Thomas fait ici allusion ŕ la deuxičme épître aux
Corinthiens (5, 7) : per fidem enim ambulamus, et non per speciem, nous
cheminons par la foi, et non par la vue. Il commente ainsi ce verset :
"Que nous pérégrinions loin du Seigneur, lApôtre le prouve quand il dit :
nous cheminons par la foi, cest-ŕ-dire : nous nous avançons en cette vie par
la foi, et non par la vue, cest-ŕ-dire non par une vision par faite. La parole
de la foi (verbum fidem) est en effet comme une lampe par laquelle nous sommes
illuminés pour marcher en cette vie Une lumičre pour mes pas, ta parole (Ps
118, 105). Mais dans la patrie, il ny aura plus de lampe de ce genre, parce
que la gloire de Dieu (claritas Dei), cest-ŕ-dire Dieu lui-męme, lilluminera
(Ap 21, 23). Et cest pour quoi nous le verrons alors par la vue, cest-ŕ-dire
par son essence "(Ad 2 Cor. lect., V, leç. 2, n° 164). Voir aussi Somme
théol, I, q. 12, a. 3 et 5.
24. Jean 17, 5.
25. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XXXIV, 7, p. 314, 11. 1-13.
Les
Pharisiens lui dirent donc : "Tu te rends témoignage ŕ toi-męme; ton
témoignage nest pas vrai. " 14 répondit et leur dit : "Męme si moi
je me rends témoignage ŕ moi-męme, vrai est mon témoignage, parce que je sais
doů je suis venu, et oůje vais. Mais vous, vous ne savez pas doůje viens, ni
oů je vais. 7 vous jugez selon la chair. Moi je ne juge personne. 16 si moi je
juge, mon jugement est vrai, parce que je ne suis as seul; mais [il y a] moi et
celui qui ma envoyé, le Pčre. Et dans votre Loi, il est écrit que le témoignage
de deux hommes est vrai. 18 Moi, je me rends témoignage ŕ moi-męme, et il me
rend témoignage, celui qui ma envoyé, le Pčre. " Ils lui disaient donc :
"Oů est-il, ton Pčre?"Jésus répondit : "Vous ne me connaissez
pas, ni non plus mon Pčre : Si vous me connaissiez, vous connaîtriez peut-ętre
aussi mon Pčre !" 20 Il prononça ces paroles dans le Trésor, en enseignant
dans le Temple; et personne ne se saisit de lui, parce que son heure nétait
pas encore venue.
1146. LÉvangéliste met ensuite en lumičre les trois affirmations du Christ ŕ son propre sujet [n° 1165; n° 1270].
La premičre est MOI JE SUIS LA LUMIČRE DU MONDE, ce qui troublait les Juifs, et cest pourquoi l'Evangéliste expose dabord lobjection des Juifs, puis la réfuta tion de leur objection [n° par le Christ], manifestant la vérité de sa parole [n° 1148].
LES
PHARISIENS LUI DIRENT DONC : "TU TE RENDS TÉMOIGNAGE Ŕ TOI-MĘME; TON
TÉMOIGNAGE NEST PAS VRAI "JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR DIT : "MĘME SI MOI
JE ME RENDS TÉMOIGNAGE Ŕ MOI-MĘME, VRAI EST MON TÉMOIGNAGE, PARCE QUE JE SAIS
DOŮ JE SUIS VENU ET OŮ JE VAIS. MAIS VOUS, VO US NE SAVEZ PAS DOŮ JE VIENS NI
OŮ JE VAIS. VOUS, VO US JUGEZ SELON LA CHAIR. MOI JE NE JUGE PERSONNE. ET SI
MOI JE JUGE, MON JUGEMENT EST VRAI, PARCE QUE JE NE SUIS PAS SEUL; MAIS [IL Y
A] MOI ET CELUI QUI MA ENVOYÉ LE PČRE. ET DANS VOTRE LOI, IL EST ÉCRIT QUE LE
TÉMOIGNAGE DE DEUX HOMMES EST VRAI MOI JE ME RENDS TÉMOIGNAGE Ŕ MOI-MĘME; ET
IL ME REND TÉMOIGNAGE, CELUI QUI MA ENVOYE, LE PERE. "
1147. En ce qui concerne lobjection des Juifs, il est manifeste que ce quil a dit dans le Temple, il la dit sous le regard des foules, tandis quici, cest en présence des Pharisiens. Et cest pourquoi LES PHARISIENS eux-męmes lui ont dit : TU TE RENDS TEMOIGNAGE A TOl-MEME; TON TÉMOIGNAGE NEST PAS VRAI Autrement dit : du fait męme que tu témoignes pour toi-męme, ton témoignage nest pas vrai.
Chez les hommes, il nest en effet ni bienvenu ni convenable quun homme se loue lui-męme Quun autre te loue, et non ta propre bouche 1 ; car on nest pas rendu recommandable en se louant soi-męme, mais seulement si on est recommandé par Dieu Ce n'est pas celui qui se recommande lui-męme qui est un homme éprouvé; cest celui que le Seigneur recommande 2-, parce que seul Dieu le connaît parfaitement. Or nul ne peut assez recommander Dieu, si ce nest lui-męme, et cest pourquoi il convient que lui-męme rende témoignage ŕ son propre sujet, et męme au sujet des hommes Voici dans le ciel mon témoin 3. Et cest pourquoi les Juifs étaient surpris.
1148. Le Seigneur repousse dabord leur objection par lautorité du Pčre, puis écarte lobjection apparue au sujet du Pčre [n° 1158].
Or lobjection des Juifs était apparue ŕ la suite dun certain raisonnement. Cest pourquoi il montre tout dabord que leur raisonnement ne tient pas, puis il prouve que son témoignage est vrai [n° 1151].
Pour montrer que leur raisonnement ne tient pas, il en montre dabord la fausseté [n° 1149], puis il ajoute la cause de leur erreur [n° 1150].
[4a]
JÉSUS RÉPONDIT ET LEUR DIT : "MĘME SI MOI JE ME RENDS TÉMOIGNAGE Ŕ
MOI-MĘME, VRAI EST MON TÉMOIGNAGE, PARCE QUE JE SAIS D'OŮ JE SUIS VENU, ET OŮ
JE VAIS. "
1149. Leur raisonnement était celui-ci : du fait que le Christ se rendait témoignage ŕ lui-męme, son témoignage nétait pas vrai. Mais le Seigneur dit le contraire, ŕ savoir que cest pour cela quil est vrai. JESUS REPONDIT ET LEUR DIT : MEME SI MOI JE ME RENDS TEMOIGNAGE A MOI-MEME, VRAI EST MON TEMOIGNAGE, et ceci parce que JE SAIS DOŮ JE SUIS VENU, ET OU JE VAIS. Cest comme sil disait, selon Chrysostome 4 parce que je suis de Dieu, je suis Dieu, et je suis le Fils de Dieu. Mais Dieu est véridique, comme il est écrit 5.
Il dit : JE SAIS DOŮ JE SUIS VENU, cest-ŕ-dire je con nais mon principe, ET OU JE VAIS, cest-ŕ-dire vers le Pčre, que nul ne peut parfaitement connaître, si ce nest le Fils de Dieu Personne ne connaît le Pčre, si ce n'est le Fils, et celui ŕ qui le Fils veut le révéler 6. Mais il faut noter que quiconque sait, par la volonté aimante et lintelligence, doů il vient et oů il va, ne peut rien dire dautre que le vrai, car il vient de Dieu et va ŕ Dieu; or Dieu est vérité : combien plus donc le Fils de Dieu, qui sait parfaitement doů il vient et oů il va, dit-il le vrai.
1. Prov 27, 2.
2. 2 Co 10, 18.
3. Jb 16, 20.
MAIS
VOUS, VOUS NE SAVEZ PAS DOŮ JE VIENS, NI OŮ JE VAIS. VOUS, VOUS JUGEZ SELON LA
CHAIR.
1150. Le Christ montre ici la cause de leur erreur, qui est lignorance de sa divinité. En effet, parce quils ignoraient sa divinité, ils jugeaient de lui selon son humanité. Il y avait ainsi en eux une double cause derreur : dune part ils ne connaissaient pas sa divinité, dautre part ils jugeaient de lui seulement selon son humanité. Cest pourquoi il dit de la premičre : VOUS NE SAVEZ PAS DOŮ JE VIENS, cest-ŕ-dire vous ne savez pas mon éternelle procession du Pčre, NI OU JE VAIS Il est véridique, celui qui ma envoyé et vous ne le connaissez pas 7. D'oů vient donc la sagesse? 8 Qui racontera sa génération? 9
En ce qui concerne la seconde cause derreur, il dit : VOUS JUGEZ SELON LA CHAIR, cest-ŕ-dire vous jugez de moi en estimant que je suis seulement chair et non pas Dieu. Ou bien SELON LA CHAIR au sens de : mal et injustement. En effet, de męme que vivre selon la chair est mal vivre, de męme juger selon la chair est juger injustement 10.
4. In loannem hom., 53, ch. 2, col. 289.
5. Ro 3, 4. Saint Thomas commente
: "Lintellect divin est cause et
mesure des réalités, et pour cela il est en lui-męme véridique, dune maničre
inépuisable, et toute chose est vraie en tant quelle lui est conformée"
(AdRom. lect., III, leç. 1, n°255).
6. Mt 11, 27.
15h-MOI
JE NE JUGE PERSONNE. ET SI MOI JE JUGE, MON JUGEMENT EST VRAI, PARCE QUE JE NE
SUIS PAS SEUL; MAIS IL Y A MOI ET CELUI QUI MA ENVOYÉ LE PČRE.
1151. Il montre ici que son témoignage est vrai, et quil est faux [de dire] que lui seul se rend témoignage. Et parce quil a été fait mention du jugement, il montre dabord quil nest pas seul ŕ juger, puisquil nest pas seul ŕ rendre témoignage [n° 1155].
Pour montrer quil nest pas seul ŕ juger, il montre dabord comment le jugement est différé [n° 1152]; puis il expose la vérité de ce jugement [n° 1153] et la raison de sa vérité [n° 1154].
MOIJE
NE JUGE PERSONNE.
1152. Il expose ici le report du jugement; cest comme sil disait : vous me jugez mal, mais MOI JE NE JUGE PERSONNE, car Dieu na pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui 11. II ne brisera pas le roseau froissé 12. Ou bien JE NE JUGE PERSONNE, cest-ŕ-dire selon la chair, comme vous, vous jugez Il ne jugera pas selon ce que voient ses yeux, ni n'accusera selon ce qu'entendent ses oreilles 13.
7. Jean 7, 28.
8. Jb 28, 20.
9. Isaďe 53, 8.
10. Ces deux derničres explications sont reprises ŕ
THEOPHYLACTUS, Enarratio in Evang. Ioannis, in h. vers., PG 124, col. 11, ŕ la
suite de CHRYSOSTOME, In boannem hom., 53, ch. 2, col. 289.
11. Jn 3, 17.
ET SI
MOI JE JUGE, MON JUGEMENT EST VRAI
1153. Cependant un jour je jugerai, parce que le Pčre a remis tout jugement au Fils 14. Et alors, MON JUGEMENT EST VRAI, cest-ŕ-dire juste : il jugera dans léquité lensemble de la terre 15. Nous savons que le jugement de Dieu s'exerce selon la vérité 16. En cela est montrée la vérité du jugement.
PARCE
QUEJE NE SUIS PAS SEUL; MAIS [IL Y A] MOI ET CELUI QUI MA ENVOYE LE PČRE.
1154. Il montre enfin la raison de la vérité du jugement lorsquil dit : PARCE QUE JE NE SUIS PAS SEUL. Mais ce quil dit plus haut Le Pčre ne juge personne 17 doit ętre compris du Pčre séparément du Fils, ou bien de ce que le Pčre napparaîtra pas visiblement ŕ tous lors du jugement; et cest pourquoi il dit JE NE SUIS PAS SEUL, parce que je ne suis pas abandonné par lui; mais je suis en męme temps que lui Je suis dans le Pčre, et le Pčre est en moi 18.
Cette parole exclut lerreur de Sabellius pour qui le Pčre et le Fils sont une seule personne et ne diffčrent que par le nom. Si cela était, le Christ naurait pas dit JE NE SUIS PAS SEUL, MAIS MOI ET CELUI QUI MA ENVOYÉ; il aurait dit : Je suis le Pčre, et moi, le męme, je suis le Fils. Distinguons donc les personnes, et connaissons le Fils autre que le Pčre 19.
12. Isaďe 42, 3.
13. Isaďe 11, 3. Ces deux explications sont reprises ŕ SAINT
AUGUSTIN, Tract. in Ioann., XXXVI, 4, p. 325, qui commence par affirmer
nettement lantériorité de la miséricorde divine sur la justice dans léconomie
intro duite par le Christ : "Le premier don (dispensatio) de notre
Seigneur Jésus-Christ est médicinal (medicinalis) et non judiciaire; car sil
était venu en premier lieu pour juger, il naurait trouvé personne ŕ qui
remettre la juste récompense" (11. 2 1-24).
14. Jean 5, 22.
15. Ps 95, 13.
16. Ro 2, 2.
17. Jean 5, 22; voir vol. II, n° 763.
18. Jean 14, 10.
ET
DANS VOTRE LOI, IL EST ÉCRIT QUE LE TÉMOIGNAGE DE DEUX HOMMES EST VRAI MOI,
JE ME RENDS TÉMOIGNAGE Ŕ MOI-MĘME, ET IL ME REND TÉMOIGNAGE, CELUI QUI MA
ENVOYÉ, LE PČRE.
1155. Le Christ montre
ici quil nest pas seul ŕ rendre témoignage; cependant il ne diffčre pas le
témoignage, comme il la fait pour le jugement.. Cest pourquoi il ne dit pas :
"Je ne rends pas témoignage". Il expose dabord la Loi [n° 1156], puis il conclut ce quil a mis
en évidence [n° 1157].
1156. Il dit donc : DANS VOTRE LOI, cest-ŕ-dire celle qui vous a été donnée Moďse donna une Loi 20. IL EST ECRIT QUE LE TÉMOIGNAGE DE DEUX HOMMES EST VRAI; cest en effet ce que dit ce texte : Cest de la bouche de deux ou trois témoins que toute parole sera établie 21.
Mais selon Augustin 22, le fait quil dise LE TEMOIGNAGE DE DEUX HOMMES EST VRAI pose une question importante. Il peut en effet arriver que les deux mentent. En effet, la chaste Suzanne était accablée par deux faux témoins, comme on le voit au livre de Daniel 23. Et cest len semble du peuple qui mentit contre le Christ.
Je réponds : il faut comprendre ce quil dit LE TÉMOIGNAGE DE DEUX HOMMES EST VRAI de ce qui doit ętre tenu pour un jugement vrai. La raison en est que dans les actes humains, on ne peut pas avoir de certitude totale; et cest pourquoi on reçoit comme pouvant avoir un caractčre plus certain ce qui vient dune multitude de témoins : il est en effet beaucoup moins probable que plusieurs mentent, plutôt quun seul Un fil triple est difficilement rompu 24.
Néanmoins, ce que dit le Deutéronome Cest de la bouche de deux ou trois témoins que toute parole sera établie nous ramčne, selon Augustin 25, ŕ la considération de la Trinité, en laquelle se trouve la stabilité perpétuelle de la vérité, doů provient toute vérité. Mais il dit deux ou trois parce que, dans lEcriture Sainte, tantôt trois personnes sont énumérées, tantôt deux, avec lesquelles doit ętre compris le Saint Esprit, qui est le lien des deux autres 26.
19. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XXXVI,
9, pp. 329-330.
20. Sir 24, 33.
21. Deut 19, 15.
22. Op. cit., 10, p. 330.
23. Dan 13, 5 ss.
1157. Si donc le témoignage de deux ou trois est vrai, mon témoignage est vrai, parce que MOI, JE ME RENDS TEMOIGNAGE A MOI-MEME, ET IL ME REND TEMOIGNAGE, CEL UI QUI MA ENVOYE, LE PERE Moi, jai un témoignage plus grand que celui de Jean 27.
Mais cela ne semble pas correspondre ŕ ce qui est mis en évidence. Dabord parce que, certes, le Pčre du Fils de Dieu nest pas un homme; et cependant, le Christ dit : LE TEMOIGNAGE DE DEUX HOMMES EST VRAI Ensuite, parce quon parle de deux témoins de quelquun quand ils témoignent au sujet dun troisičme. Mais si lun des deux témoigne ŕ son propre sujet, il ny a pas deux témoins. Donc, quand le Christ se rend lui-męme témoignage, et pareillement quand le Pčre témoigne du Christ, il semble quil ny ait pas deux témoins.
Il faut dire que le Christ, [en citant ce] passage, argumente ici
ŕ partir de quelque chose de moindre. Il est manifeste en effet que la vérité
de Dieu est plus grande que celle de lhomme. Si donc on croit le témoignage
des hommes, combien plus faut-il croire le témoignage de Dieu Si nous
recevons le témoignage des hommes, celui de Dieu est plus grand 28. De plus, il dit cela pour
montrer quil est consubstantiel au Pčre et na pas besoin dun témoignage
étranger, comme le dit Chrysostome 29.
1158. Le Christ écarte ensuite la question soulevée au sujet du Pčre [n° 1148].
ILS
LUI DISAIENT DONC : "OŮ EST-IL, TON PČRE?" JÉSUS RÉPONDIT : "VOUS
NE ME CONNAISSEZ PAS, NI NON PLUS MON PČRE : SI VOUS ME CONNAISSIEZ, VOUS
CONNAÎTRIEZ PEUT-ĘTRE AUSSI MON PČRE!" JÉSUS PRONONÇA CES PAROLES DANS
LE TRÉSOR, EN ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE; ET PERSONNE NE SE SAISIT DE LUI, PARCE
QUE SON HEURE NÉTAIT PAS ENCORE VENUE.
LÉvangéliste expose dabord
la question des Juifs [n° 1159],
puis la réponse du Christ [n° 1160];
enfin, il montre la sécurité dont jouit le Christ en répondant [n° 1163].
1159. La question posée au Christ par les Juifs au sujet du Pčre était de savoir oů il se trouvait : OU EST-IL, TON PERE? Ils croyaient en effet que le Christ avait pour pčre un homme, comme eux-męmes en ont un; et parce quils lavaient entendu dire JE NE SUIS PAS SEUL; MAIS [IL Y A] MOI ET CELUI QUI MA ENVOYE, LE PERE, alors quils le voyaient seul, ils disent : OU EST-IL, TON PERE? 30 Ou bien il faut dire quils parlent ici avec une certaine ironie, et en loutrageant, comme sils disaient : Pourquoi nous mets-tu souvent ton pčre en scčne? Est-il dune telle puissance quil faille croire grâce ŕ son témoignage? Il est en effet inconnu et de basse naissance. Ils comprenaient cette parole comme se rapportant ŕ Joseph. Cependant, ils nen ignoraient pas moins le Pčre Pourquoi les nations diraient-elles : oů donc est leur Dieu? 31
24. Qo 4, 12.
25. Loc. cit.
26. Spiritus Sanctus, qui est nexus duorum. Cf. ch. VI, n° 1004
et note 201.
27. Jean 5, 26.
28. 1 Jean 5, 9.
29. In Ioannem hom., 53, 3, col. 291.
30. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in Ioann.,
XXXVII, 1-2, pp. 332-333.
31. Ps 113, 2. Cf. THEOPHYLACTUS,
Enarratio in Evang. b., in h. vers., PG 124, col. 15 D-18 A.
1160. Mais la réponse du Christ est voilée : JÉSUS REFONDIT : "VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS, NI NON PLUS MON PERE. "En effet, parce quils linterrogeaient non par souci dapprendre mais avec une mauvaise intention, le Christ ne leur dévoile pas la vérité; mais il montre dabord leur ignorance, puis il montre comment ils pour raient parvenir ŕ la connaissance de la vérité [n° 1162].
Il montre leur ignorance totale en disant : VO US NE ME CONNAISSEZ PAS, NI NON PLUS MON PERE, autrement dit : vous ne demandez rien au sujet du Pčre, parce que vous ne me connaissez pas. En effet, puisque vous estimez que je suis un homme, vous cherchez ŕ connaître en mon Pčre un homme; mais parce que vous ne me reconnaissez pas, vous ne pouvez pas non plus connaître le Pčre 32.
1161. Cependant il a dit plus haut : Et vous me connaissez, et vous savez doů je suis 33. Mais il faut dire quils le connaissaient selon Son humanité, mais non selon sa divinité.
Il faut savoir, selon Origčne 34, que certains, trouvant dans cette parole loccasion dune erreur, dirent que le Pčre du Christ nétait pas le Dieu de lAncien Testament; car lui, les Juifs le connaissaient, selon cette parole : Dieu est connu en Judée 35.
On peut donner ŕ cela quatre réponses. Dabord, le Seigneur dit que les Juifs ignorent le Pčre parce quils se conduisent ŕ la maničre de ceux qui ne le connaissent pas, dans la mesure oů ils ne gardent pas ses commandements. Et cette réponse a trait ŕ laction. Deuxičmement, ils sont dits ignorer Dieu parce quils nadhčrent pas ŕ lui spirituellement par lamour : en effet, celui qui cherche ŕ connaître quelque chose sy tient attaché. En troisičme lieu, parce que bien quils le connussent par la foi, ils nen avaient cependant pas une pleine connaissance 36 Dieu, personne ne la jamais vu; le Fils unique qui est dans le sein du Pčre, lui, l'a fait connaître 37. Enfin, parce que dans lAncien Testament, le Pčre sest fait connaître en tant que Dieu tout-puissant Moi, je leur suis apparu comme Dieu tout-puissant 38 et non en tant que Pčre 39; cest pourquoi, bien quils le connussent comme Dieu tout-puissant, ils ne le connaissaient cependant pas comme Pčre du Fils consubstantiel 40.
32. Cf. nos 137-141 (vol. I, pp. 170-173).
33. Jean 7, 28.
34. Commentaire sur saint Jean, XIX, III, § 12, SC 290, P. 53. Saint
Thomas peut de nouveau se référer au commentaire dOrigčne puisque la cinquičme
partie qui nous reste (t. XIX-XX) commence précisément autour du y. 19 du ch. 8.
Ainsi, cest de lui que saint Thomas sinspire pour définir les quatre
explications de la suite de ce paragraphe, notamment la derničre (13-28, pp. 53-65).
35. Ps 75, 2. Cf. n° 830, vol. II, pp. 353-354.
1162. Il dit [ensuite] quil est la voie pour parvenir ŕ la connaissance du Pčre : SI VOUS ME CONNAISSIEZ, VOUS CONNAITRIEZ PEUT-ETRE AUSSI MON PERE! Autrement dit : parce que moi, caché, je vous parle de mon Pčre qui est caché, la premičre chose est que vous connaissiez, et alors VOUS CONNAITRIEZ PEUT-ETRE AUSSI MON PERE! 41. Car le Fils est la voie de la connaissance de ce qui appartient au Pčre : Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Pčre 42. En effet, selon Augustin 43, quest-ce que la parole SI VOUS ME CONNAISSIEZ, VOUS CONNAITRIEZ PEUT-ETRE AUSSI MON PERE, si ce nest : le Pčre et moi, nous sommes un 44. Il est courant de dire, quand on voit quel quun qui est semblable ŕ un autre : qui voit celui-ci voit lautre; non cependant que le Pčre soit le Fils, mais parce que le Fils est semblable au Pčre.
En outre, il dit PEUT-ETRE pour exprimer non un doute, mais un reproche; comme si tu tindignais contre ton serviteur et lui disais : "Tu me tiens pour rien? Considčre que je suis peut-ętre ton maître !" 45
36. Le français connaître, connaissance, rend ici indifféremment
le latin cognosco et scientia : quia et si cognoscerent eum perfidem, non tamen
habe bant de eo plenam scientiam. Cognosco est le terme général, alors que
scientia (scio), désigne la connaissance parfaite, la connaissance par les
causes; voir ARISTOTE, Métaphysique, A, 1, 980 a 21 ss. Cf. aussi Somme théol.,
I, q. 1, a. 2.
37. Jean 1, 18.
38. Ex 6, 3.
39. Le "en tant que" traduit le latin sub ratione.
40. Voir vol. II, n° 611 (p. 176), 766 (p. 300) et 830 (pp. 353-354).
41. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XXXVII, 2, p. 333.
42. Jean 14, 7; une autre version dit : Si vous me connaissez,
vous connaîtrez aussi mon Pčre.
43. op. cit., XXXVII, 7, p. 335.
44. Jean 10, 30.
JÉSUS
PRONONÇA CES PAROLES DANS LE TRÉSOR EN ENSEIGNANT DANS LE TEMPLE; ETPERSONNE NE
SE SAISIT DE LUI, PARCE QUE SON HEURE N'EST PAS ENCORE VENUE.
1163. LÉvangéliste montre ici la sécurité dont jouit le Christ en répondant aux Juifs. Dabord ŕ cause du lieu dans lequel il enseignait, parce que cétait dans la salle du Trésor et dans le Temple. "Gaza" est un mot persan qui signifie "richesses", et "phylaxe" signifie "conserver" : donc, gazophylacium 46 est la męme chose que "conservation des richesses" 47. Parfois, gazophylacium est employé dans lEcriture pour désigner le coffre oů lon conserve les richesses. Et cest dans ce sens quil faut le prendre au deuxičme livre des Rois : Joďada le prętre reprit un coffre, perça un trou dans le couvercle et le posa ŕ côté de lautel, ŕ droite en entrant dans la Maison du Seigneur, et les prętres gardiens du seuil y mettaient tout largent qu'on apportait ŕ la Maison du Seigneur 48. Mais parfois, ce terme est employé pour désigner la maison oů lon con serve les richesses, et cest en ce sens quil est employé ici.
Ensuite, ŕ cause du fait que ceux qui avaient été envoyés pour se saisir de lui ne purent le faire, parce que lui-męme ne le voulait pas : ET PERSONNE NE SE SAISIT DE LUI, PARCE QUE SONHEUREN VENUE, lheure ŕ laquelle il devait souffrir; une heure non pas fixée par le destin, mais réservée davance, depuis toute éternité, par sa propre volonté. Cest pourquoi Augustin dit : "SON HEURE NETAIT PAS ENCORE VENUE, non pas celle oů il serait contraint de mourir, mais celle ŕ laquelle il jugerait bon dętre mis ŕ mort" 49.
45. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit.,
XXXVII, 3, p. 333.
46. Le mot gazophylacium est celui employé ici par saintJean pour
dési gner le Trésor.
47. Interprétation provenant de saint Jérôme In Esaiam, L. XI,
ch. 39, 2; CCL vol. LXXIII, p. 452), par lintermédiaire de saint Isidore de
Séville, principale source des interprétations étymologiques du Moyen Age
(Etymologi arum sive originum libri, XX, Ix, 1; PL 82, col. 779 et ALCUIN Comm.
in S. bannis Evang. (Glossa), L. IV, ch. 20; PL 100, col. 860 C. 48. 2 Rs 12,
10.
1164. Mais il faut remarquer, avec Origčne 50 que chaque fois quon désigne un lieu oů le Seigneur a fait quelque chose, cest pour introduire au mystčre. Le Christ a donc enseigné dans le Trésor, qui est le lieu des richesses, pour faire comprendre que les monnaies, qui sont les paroles de son enseignement, sont frappées ŕ leffigie du grand roi. Il faut encore remarquer que lorsquil enseignait, PERSONNE NE SE SAISIT DE LUI, parce que ses paroles étaient plus fortes que ceux qui voulaient se saisir de lui : mais quand il voulut ętre crucifié, il se tut 51.
49. Tract. in Ioann., XXXVII, 9, pp. 336-337.
50. Comm. sur S. Jean, XIX, viI, § 40 et 44, pp. 71 et 75.
51. Cette remarque aussi est reprise ŕ Origčne, op. cit., XIX,
X, § 59-63, pp. 85-87.
21
Jésus leur dit donc de nouveau : "Moi je men vais, et vous me chercherez
et vous mourrez dans votre péché. Lŕ oů moi je vais, vous, vous ne pouvez venir.
" Les Juifs disaient donc : "Va-t-il donc se tuer, pour quil dise :Lŕ
oů moi je vais, vous, vous ne pouvez venir?" 2 Et il leur disait :
"Vous, vous ętes den bas, moi, je suis den haut. Vous, vous ętes de ce
monde, moi je ne suis pas de ce monde. 24 vous ai donc dit que vous mourrez
dans vos péchés. Si en effet vous ne croyez pas que moi je suis, vous mourrez
dans votre péché. " Ils lui disaient donc : "Toi, qui es-tu?"Jésus
leur dit : "Le principe, moi qui vous parle. 2 beaucoup ŕ dire sur vous,
et ŕ juger; mais celui qui ma envoyé est véridique. Moi, ce que jai entendu
de lui, cest ce que je dis dans le monde. " Et ils ne connurent pas quil
parlait de son Pčre, Dieu. 28 leur dit donc : "Quand vous aurez élevé le
Fils de lhomme, alors vous connaîtrez que Moi je Suis, et que de moi-męme je
ne fais rien; mais comme le Pčre ma enseigné, cest cela que je dis. 29 Et
celui qui ma envoyé est avec moi, et il ne ma pas laissé seul parce que moi,
ce qui lui plaît, je le fais toujours. " 30 Comme il disait cela, beaucoup
crurent en lui.
1165. Aprčs avoir manifesté ŕ son sujet le privilčge de la lumičre [n° 1146], le Seigneur manifeste ici leffet de la lumičre, qui est de libérer des ténčbres.
Il montre dabord queux-męmes sont retenus dans les ténčbres, puis il enseigne le remčde par lequel ils pourraient en ętre libérés [n° 1172].
I
JÉSUS
LEUR DIT DONC DE NOUVEAU : "MOI JE MEN VAIS, ET VOUS ME CHERCHEREZ, ET
VOUS MOURREZ DANS VOTRE PÉCHÉ. LŔ OŮ MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ
VENIR"
Dabord le Seigneur prédit son départ [n° 1166]; il montre ensuite le zčle pervers des Juifs [n° 1167], et enfin leur perdition [n° 1168].
MOI
JE MEN VAIS
1166. Le Seigneur dit ici que son départ se fera par la mort, par oů il donne deux choses ŕ entendre : dabord, quil meurt volontairement, cest-ŕ-dire comme allant de lui-męme, et non conduit par un autre Je vais vers celui qui ma envoyé 1. Personne ne menlčve la vie, mais je la dépose de moi-męme 2. Ce passage se rattache donc ŕ juste titre ŕ ce qui pré cčde. LEvangéliste a dit en effet : Personne ne se saisit de lui. Et pourquoi? Parce quil sen va de lui-męme, cest-ŕ-dire volontairement. Ensuite, il montre que sa mort était une sorte de départ vers le lieu doů il était venu et doů il ne sétait pas éloigné 3 en effet, de męme quon passe de quel que part pour aller plus loin, ainsi le Christ, par la mort, est parvenu ŕ la gloire de lexaltation Il s'est fait obéissant jus qu'ŕ la mort, et la mort de la croix; cest pourquoi Dieu la exalté 4 Jésus, sachant (...) quil est sorti de Dieu et quil s'en va vers Dieu... 5
1. Jean 16, 5.
2. Jean 10, 18 ss.
1167. Le zčle pervers
des Juifs est montré dans leur recherche mensongčre du Christ : VOUS ME
CHERCHEREZ. Certains en effet cherchent le Christ avec piété 6 et par amour, et
cette recherche est source de vie Cherchez le Seigneur, et votre âme vivra 7. Mais ceux-lŕ le cherchent
dune maničre impie, par haine, pour le persécuter ils me faisaient violence,
ceux qui recherchaient mon âme 8. Et aussi, il dit VOUS
ME CHERCHEREZ, cest-ŕ-dire en me poursuivant aprčs ma mort dans ma réputation
: Nous nous sommes souvenus que ce séducteur a dit, alors qu'il vivait encore :
Aprčs trois jours je ressusciterai 9; et de męme dans mes membres : Saul, Sau4 pourquoi me
persécutes-tu? 10
1168. Et la mort résulte
de cette recherche-lŕ; cest pourquoi il expose ensuite quelle est leur
perdition; il la leur annonce en disant ET VOUS MOURREZ DANS VOTRE PECHE. Il
annonce dabord la perdition qui consiste ŕ ętre condamné ŕ mourir [n° 1169], puis celle qui consiste ŕ ętre
exclu de la gloire [n° 1170].
1169. Il leur dit donc : Parce que vous me cherchez dune maničre fausse, VOUS MOURREZ DANS VOTRE PÉCHÉ cest-ŕ-dire en y demeurant jusquau bout 11. Ce qui peut ętre compris dune premičre façon, comme sagissant de la mort corporelle; et ainsi meurt dans ses péchés celui qui y persévčre jusquŕ sa mort. Ainsi, en disant VOUS MOURREZ DANS VOS PECHES, il met en évidence leur obstination Il n'en est pas qui se repente de son péché en disant : quai-je fait? 12 ils sont descendus aux enfers avec leurs armes 13.
Cela peut aussi ętre compris comme sagissant de la mort du péché, dont il est dit : La mort des pécheurs est trčs mauvaise 14. Et de męme que la maladie précčde la mort corporelle, de męme une certaine maladie précčde cette mort-lŕ. En effet, aussi longtemps que le péché est guérissable, alors il est comme une maladie Aie pitié de moi, Seigneur, parce que je suis malade 15. Mais lorsquon ne peut plus y remédier, soit de maničre absolue, comme aprčs cette vie, soit ŕ cause du péché lui-męme, le péché contre lEsprit Saint, alors il cause la mort : Il y a un péché qui conduit ŕ la mort 16. Et en ce sens, le Seigneur leur annonce que la maladie de leur péché conduit ŕ la mort 17.
3. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XXXVIII, 2, p. 338.
4. Phi 2, 8.
5. Jean 13, 3.
6. Cf. ch. 7, n° 1067 et la note 113; sur la pietas, voir également
le commentaire du Pater par saint Thomas, n° 1051 (Opuscula theologica II, p.
7. Ps 68, 7.
8. Ps 37, 13.
9. Mt 27, 63.
10. Ac 9, 4.
11. Ce paragraphe est suggéré par le commentaire dOrigčne (XIX,
XIII-xIv, § 84, pp. 97-99).
12. Jérémie 8, 6.
13. Ez 32, 27.
14. Ps 33, 22. Saint Thomas commente : "Le psalmiste expose ici quel est leffet de la Providence
divine sur les méchants (...). II sagit de la mort corporelle ou spirituelle. La
mort corporelle est certes trčs mauvaise pour les méchants, parce quils sont
envoyés dans un lieu trčs mauvais Le riche mourut, et il fut enseveli en
enfer (Luc 16, 22). De męme, parce quils perdent lespérance de la grâce,
aprčs la mort Pour lhomme impie qui meurt, il n'aura plus despérance (Prov
11, 7). Donc, la mort des pécheurs est trčs mauvaise, parce quils meurent dans
leur corps et dans leur âme. La mort spirituelle Lčve-toi, toi qui dors, et
relčve-toi dentre les morts, et sur toi luira le Christ (Eph 5, 14) est
aussi trčs mauvaise. La mort est en effet la privation de la vie. La mort est
donc dautant plus mauvaise quelle prive de quelque chose de meilleur. Or la
mort spirituelle prive lâme de la vie de la grâce, qui est la meilleure, parce
quelle est une vie par Dieu (per Deum) Celui qui adhčre ŕ Dieu n'est quun
esprit avec lui (1 Corinthiens 6, 17). La mort spirituelle est donc trčs
mauvaise" (Expos. in Ps., 33, n° 20).
15. Ps 6, 3.
16. 1 Jean 5, 16.
17. Cf. Jean 11, 4.
[lb]
LŔ OŮ MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR.
1170. Il montre ici la perdition qui consiste ŕ ętre exclu de la gloire. Le Seigneur sen va, et eux aussi sen vont par la mort; mais le Seigneur sen va sans péché, eux par contre avec leurs péchés, parce quils meurent dans leur péché, et cest pourquoi ils ne parviennent pas ŕ la vision dela gloire qui appartient au Pčre. Cest pourquoi il dit : LA OU MOI JE VAIS de mon propre mouvement par ma Passion, cest-ŕ-dire vers le Pčre et vers sa gloire, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR, parce que vous ne le voulez pas. En effet, sils lavaient voulu, et quils ne laient pas pu, il ne leur dirait pas avec raison VOUS MOURREZ DANS VOS PECHES 18.
1171. Il y a deux raisons pour lesquelles on peut ętre dans limpossibilité daller lŕ oů va le Christ.
Une raison dopposition, et tel est létat dimpossibilité des pécheurs : cest de cela quon parle ici. Pour cela, il dit dune maničre absolue ŕ ceux qui persévčrent dans leur péché : LA OU MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR L'orgueilleux n'habitera pas au milieu de ma maison 19 On lappellera la voie sainte, et nul impie n'y passera 20 Qui séjournera sous ta tente? 21 Qui se tiendra dans son lieu saint? L'homme aux mains innocentes, au cur pur 22.
Une raison dimperfection, ou dopposition virtuelle, et tel est létat dimpossibilité des justes, aussi longtemps quils sont dans leur corps Aussi longtemps que nous sommes dans un corps, nous cheminons loin du Seigneur 23. Et ŕ ces hommes, le Seigneur ne dit pas dune maničre absolue LA OU MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR, mais il ajoute une détermination dans le temps : Lŕ oů je vais, vous ne pouvez me suivre pour le moment 24.
18. Cf. ORIGČNE, Comm. sur S. Jean, XIX, x § 70, p. 91.
19. Ps 100, 7.
20. Isaďe 35, 8.
21. Ps 14, 1.
22. Ps 23, 4.
23. 2 Co 5, 6.
24. Jean 13, 37.
II
1172. LÉvangéliste parle ensuite du remčde par lequel les Juifs pourraient ętre libérés des ténčbres. En premier lieu, il expose le remčde nécessaire pour échapper aux ténčbres, puis il en montre lefficacité [n° 1194].
Pour montrer quel est lunique remčde qui doit les tirer des ténčbres, il expose loccasion des paroles du Christ [n° 1173], puis les paroles qui sont cause de laction du remčde en eux [n° 1174].
Ensuite, lEvangéliste montrera les raisons de prendre jusquau bout ce remčde [n° 1180] et annoncera enfin le moyen dy parvenir [n° 1190].
LES
JUIFS DISAIENT DONC : "VA-T-IL DONC SE TUER, POUR QUIL DISE : lŔ OŮ
MOIJE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR?" ET IL LEUR DISAIT : "VOUS,
VOUS ĘTES D'EN BAS, MOI, JE SUIS D'EN HAUT VOUS, VOUS ĘTES DE CE MONDE, MOI JE
NE SUIS PAS DE CE MONDE. JE VOUS AI DONC DIT QUE VOUS MOURREZ DANS VOS PÉCHÉS. SI
EN EFFET VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, VOUS MOURREZ DANS VOTRE PÉCHÉ. "
1173. Loccasion des paroles du Christ se fonde sur la personne ou lintelligence des Juifs. En effet, comme ils étaient soumis ŕ la chair, ils comprenaient les paroles du Seigneur : LA OU MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR, en fonction de leurs préoccupations terrestres Lhomme naturel ne perçoit pas ce qui est de lEsprit de Dieu 25. Cest pour cela que les Juifs disent VA-T-IL DONC SE TUER, ce qui est assurément, selon Augustin 26, une opinion insensée. En effet, pouvaient-ils venir lŕ oů le Christ sen allait sil sétait tué lui-męme? Ils le pouvaient certes, en se donnant eux-męmes la mort. Ainsi donc, la mort nétait pas le terme vers lequel le Christ sen allait, mais le chemin par lequel il allait vers le Pčre. Cest pourquoi le Christ ne dit pas quil leur serait impossible daller ŕ la mort, mais que par la mort il leur serait impossible daller lŕ oů, par elle, lui serait exalté, cest-ŕ-dire ŕ la droite de Dieu.
Mais, selon Origčne 27, les Juifs ne disent peut-ętre pas cela sans raison. Ils savaient en effet, daprčs les traditions, que le Christ devait mourir volontairement, comme il la dit lui-męme : Personne ne menlčve la vie, mais je la dépose de moi-męme 28. Les Juifs tenaient cela tout particuličrement dIsaďe : Pour celui qui a livré son me ŕ la mort, je donnerai beaucoup et il partagera le butin des puissants 29. Donc, parce quils se doutaient bien que jésus était le Christ, lorsque celui-ci eut dit : MOI JE MEN VAIS, ils avancčrent cette opinion, selon laquelle il se livrerait volontairement ŕ la mort. Mais ils le font dune maničre outrageuse, en disant : VA-T-IL DONC SE TUER? Sinon, ils auraient dit : son âme va-t-elle donc séchapper en abandonnant son corps, quand il lui plaira, ce que nous, nous ne pouvons pas faire? Et cest pour cela quil dit : LA OU MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR.
25. 1 Corinthiens 2, 14; cf. n°432, note
20 (vol. II, p.
31).
26. Tract. in Ioann., XXXVIII, 3, p. 339.
1174. Le Christ [poursuit en] exposant quel est le remčde qui doit les libérer des ténčbres; il invoque dabord son origine, et la leur [n° 1175]; puis il en tire les conclusions pour son propos [n° 1177].
ET IL
LEUR DISAIT : VOUS, VOUS ĘTES DEN BAS, MOI, JE SUIS DEN HAUT VOUS, VOUS ĘTES
DE CE MONDE, MOI JE NE SUIS PAS DE CE MONDE.
1175. Il distingue son
origine de la leur de deux maničres. Dabord, lui-męme est den haut, alors que
ceux-lŕ sont den bas. Ensuite, ceux-lŕ sont de ce monde, dont le Christ nest
pas. Comme le dit Origčne 30, autre chose est dętre
den bas, autre chose dętre de ce monde; car en haut et en bas sont des
différences dans lordre du lieu. Donc, de peur que par "en haut",
ils nentendent quil est dune partie supérieure de ce monde, le Christ dit
quil nest pas de ce monde. Cela revient ŕ dire : je suis den haut, dune
façon telle que je suis totalement au-delŕ de ce monde.
1176. Certes, il est manifeste queux sont de ce monde et den bas. Par contre, que le Christ soit den haut, et non de ce monde, il faut bien comprendre en quel sens.
En effet certains, comme les Manichéens 31, émettant la théorie selon laquelle toutes les réalités visibles sont créées par le diable, dirent que le Christ, męme quant ŕ son corps, nest pas de ce monde visible, mais du monde dune autre création, le monde invisible. Valentin 32 aussi, prenant cette parole dune maničre erronée, a dit que le Christ avait assumé un corps céleste. Mais ici il est clair que cela nest pas la vraie compréhension, parce que le Seigneur dit aux Apôtres eux-męmes : Vous nętes pas de ce monde 33. Il faut donc dire que cette parole peut ętre entendue du Christ en tant que Fils de Dieu, et en tant quhomme 34. En effet le Christ, en tant que Fils de Dieu, est dEN HAUT : Je suis sorti du Pčre, et je suis venu dans le monde 35. Et de cette maničre, il nest pas de ce monde sensible, qui est celui des réalités sensibles; mais il est du monde spirituel, qui est dans la pensée de Dieu, parce quil est lui-męme le Verbe de Dieu, en tant quil est la sagesse souveraine. En effet tout a été créé dans la sagesse 36; cest pourquoi il est dit du Christ : Le monde a été fait par lui 37.
En tant quil est homme, le Christ est den haut parce quil nétait pas attiré vers les choses de ce monde et les réalités les plus basses, mais vers celles den haut, dans lesquelles son âme demeurait Notre conversation est dans les cieux. Lŕ oů est ton trésor, lŕ aussi est ton cur 39. Au contraire ceux qui sont den bas ont lorigine la plus basse, et sont de ce monde parce quils attachent leur cur aux réalités terrestres Le premier homme, tiré de la terre, est terrestre 40.
27. Comm. sur S. Jean, XIX, XVII, 104, p. 113 et XVIII, 113-114,
p. 117.
28. Jean 10, 18.
29. Isaďe 53, 12.
30. Op. cit., XIX, XX, § 131-134, p. 127-129.
31. Voir vol. I, p. 124, note 22.
32. Voir vol. I, p. 123, note 20.
33. Jean 15, 19.
34. Saint Thomas reprend dans les explications qui suivent un
long développement dOrigčne (cf. op. cit. XIX, XX-XXII, § 127-150, pp. 125-13
9).
35. Jean 16, 28.
36. Ps 103, 24; cf. Pros 8, 22.
37. Cf. n° 136, vol. I, pp. 169-170.
JE
VOUS AI DONC DIT QUE VOUS MOURREZ DANS VOS PÉCHÉS. SI EN EFFET VOUS NE CROYEZ
PAS QUE MOI JE SUIS, VOUS MOURREZ DANS VOTRE PÉCHÉ.
1177. Le Christ conclut ici son propos : il explicite dabord ce quil a dit
au sujet de leur perdition [n° 1178],
puis il leur montre le remčde [n° 1179].
1178. Il faut savoir, ŕ propos du premier point, que toute chose, dans son développement, suit la condition de son origine; ainsi les réalités qui ont une origine inférieure, si elles sont laissées ŕ elles-męmes, tendent naturellement vers le bas. Et rien ne tend naturellement vers le haut, si ce nest ce qui a son origine en haut Personne n'est monté au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel 41. Le Seigneur dit donc : Voici la raison pour laquelle LA OU MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE POUVEZ VENIR : comme vous ętes den bas, par vous-męmes vous ne pouvez que tomber; ce que jai dit : VOUS MOURREZ DANS VOS PECHES, est donc vrai, ŕ moins que vous nadhériez ŕ moi.
39. Mt 6, 21.
40. 1 Corinthiens 15, 47.
41. Jean 3, 13.
1179. Pour ne pas exclure totalement lespérance du salut 42, le Christ expose quel est le remčde en disant : SI EN EFFET VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, VOUS MOURREZ DANS VOTRE PECHE; autrement dit : vous ętes nés dans le péché originel, dont vous ne pouvez ętre purifiés si ce nest par la foi en moi, parce que SI VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, VOUS MOURREZ. Et il dit SI VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, et non pas "si vous ne croyez pas ce que je suis", pour rappeler ce qui a été dit ŕ Moďse : Je suis celui qui suis 43; car ętre soi-męme son ętre est le propre de Dieu. En effet, dans toute autre nature que la nature divine, lętre diffčre de ce qui est, puisque toute nature créée participe son ętre de celui qui est "ce qui existe par sa propre essence", cest-ŕ-dire de Dieu lui-męme, qui est ŕ lui-męme son ętre, de telle maničre que son essence est son ętre. Cest pourquoi lui seul se dénomme par lętre Cest pour cela que le Christ dit SI VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, cest-ŕ-dire que je suis vraiment Dieu, qui a lętre par essence, VOUS MOURREZ DANS VOTRE PECHE.
II dit aussi QUE MOI JE SUIS pour montrer son éternité. En effet, dans toutes les réalités qui commencent, il y a une capacité de changement et une puissance au non-ętre, et par conséquent un passé et un futur : et pour cela, il ny a pas en elles lętre véritable, cest-ŕ-dire par soi Mais en Dieu, il ny a aucune puissance au non-ętre, ni un ętre qui commence, et cest pourquoi il est ŕ soi-męme son ętre, ce qui est désigné proprement par le temps présent 46.
38. Phi 3, 20. Saint Thomas commente : "Notre conversation est dans les cieux, cest-ŕ-dire : elle
est établie parfaitement par la contemplation. (...) De męme par la volonté
aimante (affectio), parce que nous aimons de préférence (diligimus) les seules
réalités célestes. De męme par notre activité, en laquelle se trouve une
représentation céleste. (...) Mais pourquoi notre conversation est-elle lŕ?
Parce que cest de lŕ que nous attendons le secours le meilleur Jai levé les
yeux vers les montagnes; doů le secours me viendra-t-il? (Ps 120, 1)"
(Ad Phil. lect., III, leç. 3, n° 143-144). Nous avons traduit littéralement le
mot conversatio qui signifie un rapport habituel et intime entre plusieurs
personnes.
42. Cette remarque provient de saint Augustin (Tract, in Ioann.,
XXXVIII, 7, p. 341, 1. 8).
43. Ex 3, 14.
44. Voir Somme théologique, I, q. 3, a. 4, et q. 13, a. 11.
45. Saint Augustin a cette expression : "Res enim quaelibet
(...) si mutabilis est, non vere est; non enim est ibi verum esse, ubi est et
non esse" (op. cit., 10, p. 343, 11. 19-22); il est beau de voir la
proximité de pensée et męme de langage (sauf lexpression en puissance) entre
les deux théologiens dans ce passage que saint Thomas reprend, en fait, ŕ saint
Augustin. Voir les expressions que lon retrouve dans la Somme théologique,
notamment I, q. 10.
46. Voir Somme théologique, I, q. 10.
ILS
LUI DISAIENT DONC : "TOI, QUI ES-TU?" JÉSUS LEUR DIT : "LE
PRINCIPE, MOI QUI VOUS PARLE. JAI BEAUCOUP Ŕ DIRE SUR VOUS, ET Ŕ JUGER; MAIS
CELUI QUI MA ENVOYÉ EST VÉRIDIQUE : MOI, CE QUE JAI ENTENDU DE LUI, CEST CE
QUE JE DIS DANS LE MONDE. " ET ILS NE CONNURENT PAS QUIL PARLAIT DE
SON PČRE, DIEU.
1180. Ici, lÉvangéliste
donne les raisons conduisant ŕ la foi; il expose dabord linterrogation des
Juifs [n° 1181], puis la
réponse du Christ [n° 1182];
enfin, il montre laveuglement de leur intelligence [n° 1189].
1181. Parce que le
Seigneur leur avait dit : SI VOUS NE CROYEZ PAS QUE MOI JE SUIS, il restait
encore ŕ demander qui il était; aussi lui disaient-ils TOI, QUI ES-TU? Le
pauvre a parlé et ils disent : qui es-tu? 47 Autrement dit : doů
es-tu, pour que nous devions te croire?
1182. Et lorsquil dit : LE PRINCIPE, MOI QUI VOUS PARLE 48, le Christ répond ŕ leur interrogation en les amenant ŕ croire; dabord par la sublimité de sa nature [n° 1183], ensuite par son autorité en matičre de justice [n° 1185], enfin par la vérité du Pčre [n° 1187].
1183. Certes, la sublimité de sa nature les conduit ŕ [n° croire au Christ, car lui-męme est le principe. En latin, le mot principium est du genre neutre : il y a donc un doute pour savoir, sil est ici au nominatif ou ŕ laccusatif Mais en grec, ce mot est du genre féminin, et ŕ cet endroit, il est ŕ laccusatif. Cest pourquoi, selon Augustin 49, il ne faut pas lire "Je suis principe", mais "Croyez-moi principe", pour ne pas mourir dans vos péchés.
Le Pčre aussi est dit principe. Certes, dune premičre maničre, le nom de principe est commun au Pčre et au Fils, en tant quils sont un seul principe du Saint-Esprit par la spiration 50; et les trois personnes sont en męme temps, par la création, principe des créatures. Dune autre maničre, le nom de principe est propre au Pčre, en tant que le Pčre est principe du Fils par la génération éternelle. Cependant, nous ne disons pas quil y a plusieurs principes, de męme que nous ne disons pas non plus quil y a plusieurs dieux A toi le principe au jour de ta puissance 51. Ici, le Seigneur dit quil est principe par rapport ŕ lensemble de la création : car ce qui est quelque chose par essence est principe et cause des réalités qui le sont par participation. Or lui-męme est par essence, comme nous lavons dit 52.
Mais parce que le Christ na pas seulement en lui la nature divine, mais aussi la nature humaine, il ajoute : MOI QUI VOUS PARLE. En effet, lhomme ne peut supporter directement la voix de Dieu, parce que, selon Augustin "les curs faibles ne peuvent entendre un verbe spirituel sans une voix sensible" 53. Cest pourquoi il est dit : Qui est lhomme, pour entendre la voix du Seigneur son Dieu? 54 Donc, pour que nous lentendions directement, le Verbe divin a assumé la chair, comme instrument pour nous parler; cest pourquoi il dit : MOI QUI VOUS PARLE, cest-ŕ-dire moi qui, métant fait humble ŕ cause de vous, suis descendu jusquŕ vos pauvres paroles Aprčs avoir ŕ bien des reprises et de bien des maničres parlé jadis ŕ nos pčres par les prophčtes, Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils 55. Le Fils unique qui est dans le sein du Pčre, lui la fait connaître 56, ŕ vous.
47. Sir 13, 29.
48. Principium qui et loquor vobis;
49. ()p. cit., XXXVIII, 11, pp. 344-345.
50. Voir Somme théol., I, q. 36.
51. Ps 109, 4.
52. Cf. n° 1179.
53. Loc. cit., p. 345, 11. 38-39.
54. Cf. Deut 5, 26 et Ex 20, 19.
1184. Ou bien, dune
autre maničre, selon Chrysostome 57, il dit LE PRINCIPE
afin de blâmer la lenteur desprit des Juifs. Car, encore endurcis aprčs les
nombreux signes quils lavaient vu accomplir, ils demandent au Seigneur : TOI,
QUI ES-TU? Et cest pourquoi Jésus répond MOI JE SUIS LE PRINCIPE, moi qui vous
ai parlé dčs le commencement (a principio); autrement dit : vous navez pas
besoin de continuer ŕ chercher qui je suis, puisque cela devrait déjŕ ętre
manifeste Alors qu'avec le temps vous devriez ętre devenus des maîtres [des docteurs], vous avez encore
besoin quon vous enseigne les premiers éléments des paroles de Dieu 58.
1185. En second lieu, lautorité du Christ en matičre de justice les conduire ŕ croire en lui; JAI BEAUCOUP A DIRE SUR VOUS, ET A JUGER; autrement dit : jai lautorité pour vous juger.
Mais il faut savoir quautre chose est de nous parler, autre chose de parler ŕ notre sujet. En effet, le Christ nous parle pour notre bien, cest-ŕ-dire pour nous attirer ŕ lui; ainsi, tant que nous vivons, il nous parle en pręchant, en nous inspirant, et par des moyens de cette sorte. Et il parle ŕ notre sujet, non pour notre bien, mais pour que soit manifestée sa justice; et cest de cette façon quil parlera de nous au jugement futur; cest dans ce sens-lŕ quest pris ici JAI BEAUCOUP A DIRE SUR VOUS.
55. He 1, 1.
56. Jean 1, 18.
57. In loannem hom., 53, ch. 1, col. 293.
58. He 5, 12.
1186. On lit cependant
plus haut : Dieu na pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde 59. Ŕ cela je réponds : autre
chose est de juger, autre chose de pouvoir juger. Juger exprime lacte du
jugement; et cela ne convient pas au premier avčnement du Seigneur, comme il
la dit plus haut : Moi, je ne juge personne 60, cest-ŕ-dire au moment
présent. Mais pouvoir juger exprime seulement la puissance de juger; et le
Christ la possčde : Le Pčre a remis tout jugement au Fils 61, lui qui a été établi par Dieu
juge des vivants et des morts 62. Et cest pourquoi il
dit expressément : JAI BEAUCOUP A DIRE SUR VOUS, ET A JUGER, mais lors du
jugement ŕ venir 63.
1187. La vérité du Pčre
aussi amčne ŕ croire au Christ; MAIS CELUI QUI MA ENVOYE EST VERIDIQUE;
autrement dit : le Pčre est véridique; or moi, je parle en harmonie avec lui;
donc je dis des choses vraies, donc vous devez me croire. Il dit donc : CELUI
QUI MA ENVOYE, le Pčre, EST VERIDIQUE, non par participation, mais il est
lessence męme de la vérité, et le Pčre de la vérité; autrement, le Fils,
puisquil est la vérité elle-męme, serait plus grand que le Pčre Or Dieu est
véridique 64. MOI, CE QUE JAI
ENTENDU DE LUI, non en lentendant dune maničre sensible, mais en recevant de
lui la connaissance par la génération éternelle, CEST CE QUE JE DIS DANS LE
MONDE. Il est dit au livre dIsaďe aďe : Ce que jai entendu du Seigneur des
armées, le Dieu dIsraël, je vous lai annoncé 65. Et le Fils ne peut rien faire
de lui-męme si ce nest ce quil a vu faire au Pčre 66.
1188. Cette parole : CELUI QUI MA ENVOYÉ EST VERIDIQUE peut se rattacher ŕ ce qui précčde de deux maničres. Ou bien ainsi : je dis que JAI SUR VOUS Ŕ JUGER, mais mon jugement sera vrai, parce que celui qui ma envoyé est vérité Le jugement de Dieu est selon la vérité 67.
Ou bien dune autre maničre, selon Chrysostome 68 je dis que JAI SUR VOUS A JUGER, mais je le diffčre, non par impuissance, mais pour obéir ŕ la volonté du Pčre; car CELUI QUI MA ENVOYE EST VERIDIQUE. Cest pour quoi, comme il a promis denvoyer un sauveur et un défenseur, il menvoie maintenant pour sauver; et moi, cest parce que je ne dis que ce que jai entendu de lui, que je vous dis des paroles de salut.
59. Jean 3, 17.
60. Jean 8, 15; voir n° 1152.
61. Jean 5, 22; voir n° 765 et 768 (vol II, pp. 299-300 et
301-302).
62. Ac 10, 42.
63. En disant ici que le Christ nexercera son pouvoir de juger
quau jour du jugement dernier, saint Thomas sinspire directement de saint Augustin
(Tract. in Ioann., XXXIX, 6, p. 348).
64. Ro 3, 4.
65. Isaďe 21, 10.
66. Jean 5, 19.
ET
ILS NE CONNURENT PAS QUIL PARLAIT DE SON PČRE, DIEU
1189. En disant cela, lÉvangéliste blâme la lenteur dintelligence des Juifs; en effet, ils navaient pas encore les yeux du cur ouverts, par lesquels ils auraient saisi légalité du Pčre et du Fils 69; et cela, parce quils étaient soumis ŕ la chair : L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu 70.
JÉSUS
LEUR DIT DONC : "QUAND VOUS AUREZ ÉLEVÉ LE FILS DE LHOMME, ALORS VOUS
CONNAÎTREZ QUE MOI JE SUIS, ET QUE DE MOI-MĘME JE NE FAIS RIEN; MAIS COMME LE
PČRE MA ENSEIGNÉ, CEST CELA QUE JE DIS. ET CELUI QUI MA ENVOYÉ EST AVEC MOI,
ET IL NE MA PAS LAISSÉ SEUL PARCE QUE MOI, CE QUI LUI PLAÎT, JE LE FAIS
TOUJOURS. " COMME IL DISAIT CELA, BEAUCOUP CRURENT EN LUI
1190. Ici, le Christ
annonce dabord le moyen par lequel les Juifs doivent parvenir ŕ la foi, moyen
qui est le remčde sauvant de la mort. En premier lieu, il montre par quoi ils
doivent venir ŕ la foi [n° 1191],
puis il enseigne ce quon doit croire de lui-męme [n° 1192].
1191. Il dit donc quils doivent parvenir ŕ la foi par sa Passion : QUAND VOUS AUREZ ELEVE LE FILS DE L'HOMME, ce qui revient ŕ dire : maintenant, vous ne con naissez pas que mon Pčre est Dieu; mais QUAND VOUS AUREZ ELE VE LE FILS DE LHOMME, cest-ŕ-dire quand vous maurez attaché au bois de la croix, alors VOUS CONNAITREZ..., cest-ŕ-dire certains dentre vous connaîtront par la foi Quand jaurai été élevé de terre, jattirerai tout ŕ moi 71. Selon Augustin, il mentionne la Passion de la croix pour donner lespérance aux pécheurs, cest-ŕ-dire pour que personne, quelque crime quil ait commis, ne désespčre par mauvaise conscience de lui-męme, alors que ceux-lŕ męme qui ont crucifié le Christ sont libérés de leurs péchés par son sang 72. Car il nexiste aucun pécheur qui le soit au point de ne pouvoir ętre libéré par le sang du Christ.
Ou bien, selon Chrysostome 73, QUAND VOUS AUREZ ELEVE LE FILS DE LHOMME, cest-ŕ-dire sur la croix, alors VOUS CONNAITREZ, cest-ŕ-dire vous pourrez connaître ce que je suis, non seulement par la gloire de ma Résurrection, mais aussi par le châtiment de votre captivité et de votre ruine.
71. Jean 12, 32. Saint Augustin commente ainsi : "Cela ne
semble dire rien dautre que ceci : les Juifs, aprčs sa Passion, sauraient qui
il était. " Le Christ voyait parmi la foule ceux qui alors croiraient en
lui, ayant reçu lEsprit Saint et vu les miracles réalisés au nom de celui
quils auraient crucifié et dont ils boiraient le sang du fait quils
croiraient en lui (Tract. in Jo., XL, 2, p. 350, 1. 8 et ss.).
67. Ro 2, 2.
68. In Ioannem hom., 53, ch. 1, col. 293. Saint Thomas met davantage en valeur la référence indirecte du
Christ ŕ la volonté du Pčre, que ne le fait le texte de saint Jean Chrysostome.
69. C BČDE, In S. Ioannis Evang. expos.,
in h. loc., PL 92, col. 746 A.
70. 1 Corinthiens 2, 14 (cf. note 25).
72. Ibid., p. 351.
73. In Ioannem hom., 53, ch. 2, col. 294.
Lŕ aussi, saint Thomas résume un
développement de saint Jean Chrysostome.
QUE
MOI JE SUIS, ET QUE DE MOI-MĘME JE NE FAIS RIEN; MAIS COMME LE PČRE MA
ENSEIGNÉ CEST CELA QUE JE DIS.
1192. En ce qui concerne ce quon doit croire de lui, il enseigne trois choses; dabord, la majesté de la divinité, puis son origine ŕ partir du Pčre, enfin son union indissoluble avec le Pčre.
Il enseigne la majesté de la divinité en disant : MOI JE SUIS; cest-ŕ-dire, jai en moi la nature de Dieu, et je suis celui-lŕ męme qui a parlé ŕ Moďse en disant : Moi je suis celui qui suis 74.
Mais parce que lętre subsistant appartient ŕ toute la Trinité, pour ne pas exclure la distinction des personnes il enseigne ensuite aux Juifs la foi en son origine ŕ partir du Pčre en disant : ETDE MOI-MEME JE NE FAIS RIEN, MAIS COMME LE PERE MA ENSEIGNE, CEST CELA QUE JE DIS. Mais du fait que depuis le début il a réalisé des uvres et a enseigné 75, Jésus montre son origine ŕ partir du Pčre, dune part dans ce quil réalise, ET DE MOI-MEME JE NE FAIS RIEN Le Fils ne peut rien faire de lui-męme 76, et dautre part dans ce quil enseigne : MAIS COMME LE PERE MA ENSEIGNE, cest-ŕ-dire ma donné la science en mengendrant dans la connaissance. Parce que la nature de la vérité est simple, pour le Fils cest la męme chose de connaître et dętre; et ainsi, de męme que le Pčre, en lengendrant, a donné au Fils dętre, de męme, en lengendrant, il lui a donné de connaître Mon enseignement n'est pas le mien 77.
Et pour quon ne comprenne pas quil a été envoyé dauprčs du Pčre comme sil était distinct de lui, en troisičme lieu il enseigne la foi en son union indissoluble avec le Pčre en disant : ET CELUI QUI MA ENVOYE, cest-ŕ-dire le Pčre, EST AVEC MOI, dune part par lunité dessence Moi je suis dans le Pčre, et le Pčre est en moi 78-, dautre part par une union damour Le Pčre aime le Fils, et il lui montre tout ce quil fait 79. Ainsi, le Pčre a envoyé le Fils de telle maničre quil ne sest pas éloigné de lui : ET IL NE MA PAS LAISSE SEUL, parce que son amour menveloppe. Mais bien que [du le point de vue de lętre] les deux soient inséparables, lun cependant est envoyé (missus), et lautre envoie : car lIncarnation est une mission, et elle appartient seulement au Fils, et non au Pčre 80.
ET IL NE MA PAS LAISSÉ SEUL; Jésus le manifeste par un signe : PARCE QUE MOI, CE QUI LUI PLAIT, JE LE FAIS TOUJOURS. Cela nest pas dit comme étant une cause de mérite, mais ŕ titre de signe; cela revient ŕ dire : le fait que moi JE FAIS TOUJOURS, sans commencement ni fin, CE QUI LUI PLAIT, est le signe quil est toujours avec moi et quil ne ma pas laissé Jétais avec lui, disposant toutes choses 81. Ou bien, dune autre maničre, IL NE MA PAS LAISSE SEUL, cest-ŕ-dire en tant quhomme, me protégeant PARCE QUE MOI, CE QUI LUI PLAIT, JE LE FAIS TOUJOURS. Et selon cette interprétation, ces paroles sont ŕ entendre comme une cause de mérite.
74. Ex 3, 14.
75. Ac 1, 1.
76. Jean 5, 19.
77. Jean 7, 16. Citation de saint Augustin (Tract, in Ioann.,
XL, 5 P. 353, 11. 47-
53) que saint Thomas suit dans tout ce paragraphe.
78. Jean 14, 10.
79. Jean 5, 20.
COMME
IL DISAIT CELA, BEAUCOUP CRURENT EN LUI
1193. LÉvangéliste expose ici leffet de lenseignement; ceux qui doutent se convertissent ŕ la foi parce quils ont entendu lenseignement du Christ : La foi vient de ce quon entend, et on entend par une parole du Christ 82.
80. Voir Somme théol., I, q. 43; et ci-dessus, n° 1059. Citation
de saint Augustin (loc. cit., 6, 11. 5-7).
81. Prov 8, 30.
82. Ro 10, 17. Voir n° 657, note 2 (vol. II, P. 210).
31
Jésus disait donc ŕ ceux qui avaient cru en lui, des Juifs : "Si vous
demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples 32 et vous
connaîtrez la vérité, et la vérité vous libčrera. " Ils lui répondirent :
"Nous sommes la race dAbraham et nous navons jamais été esclaves de
personne. Comment toi, dis-tu : vous serez libres?" 34 leur répondit :
"Amen, amen, je vous dis que tout homme qui commet le péché est esclave du
péché. Or lesclave ne demeure pas dans la maison éternellement; mais le Fils y
demeure pour léternité. Si donc le Fils vous libčre, vous serez vraiment
libres. 37 sais que vous ętes fils dAbraham; mais vous cherchez ŕ me tuer,
parce que ma parole ne prend pas en vous. 38 Moi, ce que jai vu auprčs de mon
Pčre, je le dis. Et vous, ce que vous avez vu auprčs de votre pčre, vous le
faites. " Ils répondirent et lui dirent : "Notre pčre, cest Abraham.
"Jésus leur dit : "Si vous ętes les fils dAbraham, faites les uvres
dAbraham. Mais maintenant, vous cherchez ŕ me tuer, moi un homme qui vous ai
dit la vérité que jai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne la pas fait. 41
Vous, vous faites les uvres de votre pčre. " Cest pour quoi ils lui
dirent : "Nous, nous ne sommes pas nés de la prostitution. Nous navons
quun seul pčre, Dieu. " 42 Jésus leur dit donc : "Si Dieu était
votre pčre, vous maimeriez de toute façon : en effet, moi je suis sorti de
Dieu, et je suis venu. Et je ne suis pas venu de moi-męme, mais lui ma envoyé.
43 ne reconnaissez-vous pas ma parole? Parce que vous ne pouvez pas écouter ce
que je dis. 44 Vous, vous ętes issus du diable, votre pčre; et vous voulez
accomplir les désirs de votre pčre. Lui était homicide dčs le commencement, et
il ne sest pas tenu dans la vérité, parce que la vérité nest pas en lui :
quand il profčre le mensonge, il le profčre de son propre fonds, parce quil
est menteur et pčre du mensonge. Mais moi, si je vous dis la vérité, vous ne me
croyez pas. Qui dentre vous me convaincra de péché? Si je dis la vérité,
pourquoi ne me croyez-vous pas? Celui qui est de Dieu écoute les paroles de
Dieu; si vous nécoutez pas, cest que vous nętes pas de Dieu. " Les
Juifs répondirent donc et dirent : "Navons-nous pas raison de dire que tu
es un Samaritain et que tu as un démon?" 49 répondit : "Moi, je nai
pas de démon; mais jhonore mon Pčre, et vous, vous me déshonorez. Or moi je ne
cherche pas ma gloire : Il en est un qui la cherche, et qui juge.
1194. Ayant exposé quel est le remčde qui libčre des ténčbres [n° 1172], lEvangéliste poursuit en montrant lefficacité de ce remčde. Plus loin [n° 1200], il montre le besoin que les hommes ont de ce remčde.
JÉSUS
DISAIT DONC Ŕ CEUX QUI AVAlENT CRU EN LUI, DES JUIFS : SI VOUS DEMEUREZ DANS MA
PAROLE, VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES; ET VOUS CONNAITREZ LA VÉRITE ET LA
VÉRITÉ VOUS LIBÉRERA.
En ce qui concerne lefficacité du remčde, lÉvangéliste montre dabord ce qui est exigé de ceux ŕ qui le remčde est administré, et cela relčve du mérite; puis il montre ce qui leur est donné en échange [n° 1196], et cela relčve de la récompense.
JÉSUS
DISAIT DONC Ŕ CEUX QUI AVAlENT CRU EN LUI, DES JUIFS : SI VOUS DEMEUREZ DANS MA
PAROLE, VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES
1195. On vient de dire que BEAUCOUP CRURENT EN LUI Et cest pour cela que le Christ leur montre, cest-ŕ-dire A CEUX QUI AVAIENT CRU EN LUI, DES JUIFS, ce qui est exigé deux : quils demeurent dans sa parole (sermo). SI VOUS DEMEUREZ DANS MA PAROLE, VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES; autrement dit : VOUS SEREZ MES DISCIPLES, non en croyant seulement dune maničre superficielle, mais SI VOUS DEMEUREZ DANS MA PAROLE.
Trois choses sont exigées de nous concernant la parole de Dieu (verbum) 83 la sollicitude pour lécouter Que tout homme soit prompt ŕ écouter 84; la foi pour croire La foi vient de ce quon entend 85; la constance pour demeurer jusquau bout Que la sagesse est escarpée pour les sots! Et lhomme sans intelligence ne s'y tiendra pas 86. Et cest ŕ cause de cela quil dit SI VOUS DEMEUREZ, cest-ŕ-dire par la stabilité de la foi, par la méditation continuelle Il méditera sa loi jour et nuit 87 et par un amour fervent Sa volonté a été tendue vers la loi de son Dieu 88. Cest pourquoi Augustin 89 dit que demeurent dans les paroles du Seigneur ceux qui ne cčdent ŕ aucune tentation.
83. Saint Thomas emploie ici les termes sermo et verbum. Le
sermo, cest lexpression, la parole. Le verbum implique la signification (voir
vol. 1, n° 25 ŕ 29).
84. Ja 1, 19.
85. Ro 10, 17.
86. Sir 6, 21.
87. Ps 1, 2.
88. Ibid.
89. Sermones de Scripturis, 134, ch. 2, 2, PL 38, coI 743.
VOUS
SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES; ET VOUS CONNAÎTREZ LA VÉRITÉ, ET LA VÉRITÉ VOUS
LIBÉRERA.
1196. Le Christ montre
ici la récompense qui est don née en échange ŕ ceux qui persévčrent. Cette
récompense consiste en trois choses : lélévation ŕ la dignité de disciple du
Christ [n° 1197], la
connaissance de la vérité [n° 1198],
et lacquisition de la liberté [n° 1199].
1197. Et certes, cest un privilčge dune grande dignité que dętre disciple du Christ : Fils de Sion, exultez et réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, parce quil vous a donné un maître de justice 90. Cest pourquoi il dit : VOUS SEREZ VRAIMENT MES DISCIPLES. En effet, plus le maître est grand, plus ses disciples sont hors du commun; or le Christ est le maître le plus éminent et le plus grand; ses disciples sont donc les plus éminents.
Trois choses sont exigées des disciples. La premičre est lintelligence, pour saisir les paroles du maître Vous aussi, vous ętes maintenant encore sans intelligence? 91 Or seul le Christ peut ouvrir loreille de lintelligence Il leur ouvrit lesprit, pour quils comprennent lés Ecritures 92. Cest pourquoi Isaďe disait : Le Seigneur ma ouvert loreille 93. Ce qui est requis en second lieu du disciple, cest lattachement (assensus) 94 ŕ croire ce quenseigne le maître, car le disciple nest pas au-dessus du maître et cest pour cela quil ne doit pas le contre dire Ne contredis pas la parole de vérité 96; et Isaďe ajoute : Moi je ne contredis pas 97. La troisičme chose requise du disciple est la stabilité, qui permet de demeurer jusquau bout; dans lEvangile de saint Jean, il est dit que beaucoup de ses disciples se retirčrent, et ne marchaient plus avec lui 98; et Isaďe ajoute : Je ne me suis pas dérobé 99.
90. Jn 2, 23.
91. Mt 15, 16.
92. Luc 24, 45.
93. Isaďe 50, 5.
94. Voir n° 946, ainsi que n° 8, vol. I, p. 63.
95. Le 6, 40.
96. Sir 4, 30.
97. Isaďe 50, 5.
VOUS
CONNAÎTREZ LA VÉRITÉ
1198. Mais il est plus grand de connaître la vérité, puis que cest la fin du disciple. Et cela, le Seigneur le donne aussi ŕ ceux qui croient; cest pour cela quil dit : vous CONNAI TREZ LA VERITE, cest-ŕ-dire dune part la vérité de lenseignement que moi je donne Moi, ce pour quoi je suis né et ce pour quoi je suis venu dans le monde, cest pour rendre témoignage ŕ la vérité 100-, dautre part la vérité de la grâce dont je suis source La grâce et la vérité ont été données par Jésus-Christ 101; cette grâce est dite grâce de vérité par rapport aux préfigurations de la Loi ancienne. Enfin, la vérité de léternité dans laquelle je demeure Eternellement Seigneur, demeure ta parole, ta vérité de génération en génération 102.
ET LA
VÉRITÉ VOUS LIBÉRERA
1199. Mais ce quil y a de plus grand, cest lacquisition de la liberté, que la connaissance de la vérité réalise chez ceux qui croient : ET LA VERITE VOUS LIBERERA.
Cependant, dans ce passage, "libérer" nimplique pas lidée déchapper ŕ quelque péril, comme semble lindiquer le mot latin 103, mais signifie vraiment "rendre libre". Et cela par rapport ŕ trois choses : la vérité de lenseignement libérera de lerreur, du faux Ma bouche proclamera la vérité et mes lčvres détesteront liniquité 104; la vérité de la grâce libérera de lesclavage du péché La loi de lEsprit de vie qui est dans le Christ Jésus me libérera de la loi du péché et de la mort 105; la vérité de léternité nous libérera de la corruption La création elle-męme sera libérée de la servitude de la corruption 106.
98. Jean 6, 67.
99. Isaďe 50, 5.
I00. Jean 18, 37.
101. Jean 1, 17.
102. Ps 118, 89.
103. Cf. SAINT AUGUSTIN, Serm. de Script., 134, ch. 2, 2, PL 38,
col. 743, et Tract, in Ioann., XLI, 1-2, pp. 357-358, 11. 32-34. Dans ces deux
passages, saint Augustin explique que liberare est le plus fréquemment employé
dans le langage courant, ŕ la différence du grec, dans le sens déchapper ŕ un
péri4 cesser de subir des outrages, ętre délivré dune maladie, mais quici il
faut lentendre au sens propre, étymologique, de rendre libre.
LE
BESOIN QUE LES HOMMES ONT DU REMČDE APPORTÉ PAR LE CHRIST.
1200. LÉvangéliste poursuit en montrant le besoin, que les Juifs ont en eux-męmes, de recevoir ce remčde.
Dabord, il met en évidence la présomption des Juifs qui nient avoir besoin dun tel remčde [n° 1201]; puis il montre comment ils en ont besoin [n° 1202].
ILS
LUI RÉPONDIRENT : "NOUS SOMMES LA RACE DABRAHAM ET NOUS N'AVONS JAMAIS
ÉTÉ ESGLAVES DE PERSONNE. COMMENT TOI, DIS-TU : VOUS SEREZ LIBRES?"
1201. La présomption des Juifs apparaît dans une interrogation. Ils commencent par affirmer quelque chose; puis ils nient autre chose; enfin, ils interrogent.
Ils affirment ętre de la race dAbraham : NOUS SOMMES LA RACE DABRAHAM, ce qui montre leur vaine gloire, car ils se glorifient de leur seule origine charnelle Ne commencez pas ŕ dire : nous avons pour pčre Abraham 107. Ils font de męme, ceux qui cherchent ŕ ętre tirés dune noblesse selon la chair Toute leur gloire leur vient dun enfantement, dun sein et dune conception 108.
Ils nient ensuite leur condition desclaves : NOUS NAVONS JAMAIS ÉTÉ ESCLAVES DE PERSONNE; en cela, ils se montrent stupides et menteurs. Stupides, ils le sont assurément, parce que ce que le Seigneur dit de la liberté spirituelle, ils lentendent dune liberté matérielle Lhomme naturel ne perçoit pas ce qui est de lEsprit de Dieu 109. Et ils sont menteurs, parce que sils nient ici ętre esclaves dune maničre matérielle, ou bien ils lentendent de lensemble du peuple juif, ou bien ils parlent tout particuličrement deux-męmes. Sils parlent de lensemble du peuple juif, ils mentent manifestement, car Joseph fut vendu, et leurs ancętres ont été esclaves en Egypte, comme le rapportent les livres de la Genčse et de lExode 110. Cest pourquoi Augustin dit : "O ingrats, quen est-il de ce que Dieu vous impute sans cesse davoir été libérés par lui de la maison desclavage, si vous navez jamais été esclaves de personne?" 111 Il est dit en effet : Je vous ai fait sortir d'Egypte, de la maison desclavage 112. Et si les Juifs parlent ici ŕ leur propre sujet, on ne peut męme pas les disculper de mensonge, car eux aussi ŕ ce moment-lŕ payaient des tributs aux Romains; cest pourquoi ils disaient : Est-il permis de payer limpôt ŕ César, ou non? 113
Enfin, les Juifs interrogent
Jésus sur le mode de la liberté : COMMENT TOI, DIS-TU : "VOUS SEREZ
LIBRES?" Le Seigneur leur avait promis deux choses : la liberté et la
connaissance de la vérité : VOUS CONNAITREZ LA VERITE, ET LA VERITE VOUS
LIBERERA. En entendant cela, les Juifs comprenaient quils étaient considérés
par le Seigneur comme esclaves et ignorants. Et, bien quil soit plus
avilissant dętre privé de la connaissance que de la liberté, cependant, parce
quils restaient fixés ŕ leurs préoccupations terrestres, négligeant la vérité,
ils senquičrent du mode de la liberté ils ont résolu dabaisser leurs yeux
vers la terre 114.
104. Prov 8, 7.
105. Ro 8, 2. Saint Thomas commente : "La loi de lEsprit libčre lhomme du péché et de la mort; mais
la loi de lEsprit est en Jésus-Christ : donc, du fait męme que quelquun est
dans le Christ Jésus, il est libéré du péché et de la mort (...). La loi de lEsprit
est cause de la vie; mais par la vie sont exclus le péché et la mort qui est
leffet du péché, car le péché est lui-męme la mort spirituelle de lâme :
donc, la loi de lEs prit libčre lhomme du péché et de la mort" (Ad
Rom. lect., VIII, leç. 1, n° 601).
106. Ro 8, 21.
107. Mt 3, 9.
108. Os 9, 11.
109. 1 Corinthiens 2, 14.
110. Gn 40;Ex 1.
111. Tract. in Ioann., XLI, 2, p. 358,
11. 17-19. Saint Thomas sinspire aussi de
ce passage en faisant référence ŕ lévidence du mensonge des Juifs et ŕ la
domination des Romains au temps męme de jésus (cf. loc. cit., 11. 26-35).
112. Deut 13, 5.
113. Mt 22, 17.
1202. Le Seigneur, rejetant la présomption des Juifs, leur montre avec certitude quils ont besoin du remčde dont on a parlé; il parle dabord de leur esclavage [n° 1203], puis de leur libération [n° 1205]; enfin, de leur origine [n° 1211].
JÉSUS
LEUR RÉPONDIT : AMEN, AMEN, JE VOUS DIS QUE TOUT HOMME QUI COMMET LE PÉCHÉ EST
ESCLAVE DU PÉCHÉ.
1203. Il les convainc desclavage, non dun esclavage matériel, comme ils le comprenaient, mais spirituel, cest-ŕ-dire lesclavage du péché; pour mettre cela en évidence, il fait dabord un serment réitéré : AMEN, AMEN, JE VOUS DIS, puis il emploie un mot ayant un sens universel : TOUT. Amen est un mot hébreu qui signifie "en vérité", ou "quil en soit ainsi". Ce que, selon Augustin 115? ni le traducteur grec, ni le latin nont osé traduire, pour que ce mot reçoive lhonneur qui lui est dű : ętre voilé comme un secret, non dans le but de le cacher, mais de peur que mis ŕ nu il ne soit avili; et cela spécialement par respect pour le Seigneur qui la utilisé fréquemment 116. Donc, le Seigneur profčre ici comme une sorte de serment : serment quil réitčre afin daffirmer davantage sa pensée Il s'engagea par un serment, pour que, par deux réalités immuables, dans lesquelles il est impossible que Dieu mente, nous ayons un puissant réconfort 117.
Il emploie ensuite un terme universel : TOUT; Juif ou Grec, riche ou pauvre, empereur ou mendiant Il n a plus de distinction entre Juif et Grec, car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu 118.
Il met enfin en évidence leur
condition desclave en disant : QUI COMMET LE PÉCHÉ EST ESCLAVE DU PÉCHÉ.
114. Ps 16, 11.
115. Op. cit., XLI, 3, p. 359, 11. 12-20.
116. Voir n° 430, vol. II, p. 29.
117. He 6, 17-18.
1204. On peut opposer ŕ cela que lesclave nest pas mű par son propre libre arbitre, mais par celui du maître; or celui qui commet le péché est mű par son propre libre arbitre : il nest donc pas esclave.
Je réponds que chaque chose est selon ce qui convient ŕ sa nature : quand donc quelquun est mű selon quelque chose qui convient ŕ sa nature, il est mű par lui-męme. Mais lorsque quelquun est mű par quelquun dextrinsčque, il nopčre pas selon lui-męme, mais sous la pression dun autre, ce qui est propre ŕ lesclave. Or lhomme, selon sa nature, est doué dintelligence. Quand donc il est mű selon son intelligence, il est mű de son propre mouvement, et il opčre de lui-męme, ce qui caractérise la liberté; mais quand il pčche, il agit en dehors de lordre de sa nature raison nable, et il est alors mű comme par un autre, retenu dans des limites étrangčres; et cest pourquoi QUI COMMET LE PECHE EST ESCLAVE DU PECHE On est esclave de celui par qui on a été vaincu 119.
Mais plus quelquun est mű par
un étranger, plus il est réduit en esclavage; et il est dautant plus vaincu
par le péché quil a moins dautonomie celle de lintelligence , et il est
dautant plus esclave. De lŕ vient que plus on accomplit librement le mal quon
veut, et avec le moins de difficulté, plus on se lie étroitement ŕ la servitude
du péché, comme le dit Grégoire 120. Esclavage qui est certes trčs pesant, parce quon ne peut sy
soustraire : partout oů il va, lhomme porte en lui le péché, bien que lacte
męme du péché et le plaisir quil procure passent Lorsque le Seigneur taura
donné du repos (...) de la dure servitude, cest-ŕ-dire celle du péché, ŕ
laquelle tu as été asservi... 121 Car on peut séchapper de la servitude physique, au moins en
senfuyant; cest pourquoi Augustin dit : O malheureuse servitude (cest-ŕ-dire
celle du péché) ! Lesclave de lhomme, une fois fatigué des ordres durs de son
maître, se repose en senfuyant; les clave du péché traîne avec lui le péché,
oů quil fuie; car le péché quil commet est intérieur; le plaisir passe, le
péché (cest-ŕ-dire lacte) passe : ce qui donnait du plaisir est passé, est
resté ce qui blesse 122;
118. Ro 10, 12 et Ro 3, 23.
119. 2 Pe 2, 19.
120. Moralium libri, 25, ch. 16, PL 76, col. 343.
121. Isaďe 14, 3.
OR
LESCLAVE NE DEMEURE PAS DANS LA MAISON ÉTERNELLEMENT. MAIS LE FILS Y DEMEURE
POUR L'ÉTERNITÉ. SI DONC LE FILS VOUS LIBČRE, VOUS SEREZ VRAIMENT LIBRES.
1205. LÉvangéliste traite ici de la libération de lesclavage; en effet, parce que tous ont péché 123, tous étaient esclaves du péché. Mais elle vient et est toute proche de vous, lespérance de la libération par celui qui est libre du péché; et celui-lŕ, cest le Fils.
Dabord, le Christ présente ce
quest la condition des clave, pour distinguer lhomme libre de lesclave [n° 1206]; puis il montre que la condition
du Fils est autre que celle de lesclave [n° 1207]; enfin, il conclut en montrant le pouvoir que le Fils a de libérer [n° 1208].
1206. La condition de
lesclave est donc transitoire et instable; LESCLAVE NE DEMEURE PAS DANS LA
MAISON Cette maison, cest lEglise 124 Pour que tu saches comment
il convient de te comporter dans la maison de Dieu qui est lEglise du Dieu
vivant... 125. Dans cette maison, certains, qui sont esclaves spirituellement,
demeurent seulement pour un temps, de męme que cest pour un temps seulement,
et non ETERNELLEMENT, que les esclaves demeurent physiquement dans la maison du
pčre de famille; car bien que maintenant les méchants ne soient pas séparés de
ceux qui croient quant au nombre, mais seulement par le mérite, ultérieurement
cependant, ils en seront séparés de lune et de lautre maničre Chasse la
servante et son fils : en effet, il ne sera pas héritier, le fils de la
servante, avec le fils de la femme libre 126.
122. Tract, in Ioann., XLI, p. 359, lI 6-17, résumé par saint
Thomas.
123. Cf. Ro 3, 23.
124. Saint Augustin, comme saint Thomas, désigne lÉglise comme
la maison de Dieu (op. cil., XLI, 8, p. 361, 11. 18-19) et pose le problčme de
la possibilité pour des pécheurs (donc des esclaves) dy habiter; mais saint
Thomas résout le problčme dune maničre différente. Pour lun et lautre, le
Christ nous libčre parce quil est lui-męme absolument libre et exempt du péché
(n° 1207-1208). De męme, les deux tiennent ŕ préciser que le chrétien libéré
du péché na pas ŕ abuser de sa liberté : il nest pas pour autant libéré de la
justice (n° 1209); pour saint Augustin, d "esclaves de la cupidité
", nous sommes męme "devenus des esclaves libres de la charité"
(loc. cil., p. 362, 11. 23-24). Enfin, saint Thomas rappellera aussi que cette
liberté ne sera parfaite et pléničre que dans la patrie (n° 1209 in fine), oů
la chair de péché ne dominera plus (Tract. in Ioann., XLI, 13, p. 365).
1207. Par contre, la
condition du Fils est éternelle et stable; LE FILS, cest-ŕ-dire le Christ, Y
DEMEURE POUR L'ETERNITE, cest-ŕ-dire dans lEglise, comme dans sa maison.
Lépître aux Hébreux dit que le Christ est dans sa maison comme le Fils, et
nous sommes cette maison si nous gardons ferme jusquŕ la fin la confiance et
la gloire de lespérance 127. Et certes, lui seul demeure éternellement dans la maison, de
lui-męme, parce quil est exempt du péché; pour nous, de męme que nous sommes
libérés du péché par lui, de męme nous demeurons dans la maison par lui.
125. 1 Tm 3, 15.
126. Ga 4, 30.
127. He 3, 6. Saint Thomas commente : "En disant : et nous sommes cette maison, il montre ce
quest cette maison. Cette maison, ce sont ceux qui ont la foi; ils sont bien
la demeure du Christ, ceux qui croient en le Christ Dans la maison de Dieu
qui est l'Eglise (1 Tm 3, 15); et ils le sont aussi parce que le Christ habite
en eux : Le Christ habite en vos curs par la foi (Eph 3, 17). Donc, nous qui
avons la foi, nous sommes cette maison. Mais pour que nous soyons la maison de
Dieu, il faut quatre choses, qui sont requises pour une maison et ne se
trouvent pas dans une tente (...). Dabord, que notre espérance et notre foi
soient certaines et persévérantes : une tente en effet, męme si elle est
solide, peut cependant aisément ętre déplacée. Et elle symbolise ceux qui
croient pour un temps et qui, au moment de la tentation, se retirent (Luc 8,
13); mais sont la maison ceux qui retiennent la parole de Dieu. Cest pourquoi
il dit : si nous gardons la confiance. On a dit plus haut que la confiance,
cest lespérance avec une attente ferme et sans crainte (...). La deuxičme
chose requise pour une maison est quelle soit disposée avec ordre. Cest pourquoi
il dit : la gloire de lespérance, cest-ŕ-dire tout ordonnée ŕ la gloire de
Dieu, de sorte que, ayant méprisé les autres choses, nous nous glorifions dans
lespérance de la gloire (Ro 5, 2). (...) Troisičmement, il est requis dune
maison quelle dure. Cest pourquoi il dit : jusqu'ŕ la fin Celui qui
persévérera jusqu'ŕ la fin, celui lŕ sera sauvé (Mt 10, 22). Quatričmement,
quelle soit ferme, de telle sorte quelle ne soit ébranlée par aucune
adversité" (Ad Haebr. lect., III, Ieç. 1, n° 169).
1208. Or le Fils a le
pouvoir de libérer : SI DONC LE FILS VOUS LIBERE, VOUS SEREZ VRAIMENT LIBRES
Nous ne sommes pas les fils de la servante, mais de la femme libre; cest le
Christ qui nous a acquis cette liberté 128. Car, comme le dit Augustin,
lui-męme a donné pour notre rachat, non de largent, mais son sang 129 il est venu en
effet en assumant une chair semblable ŕ celle du péché 130, nayant en lui
absolument aucun péché; cest pourquoi il sest fait vrai sacrifice pour le
péché; par lui, nous sommes libérés non des barbares, mais du diable.
1209. Notons que la
liberté a des sens multiples. Il y a une liberté perverse, quand quelquun en
abuse pour pécher; et cest la liberté ŕ légard de la justice, que personne
nest contraint dobserver Agissez comme des hommes libres, et non comme
ayant un voile pour dissimuler votre liberté perverse 131. Il y a une liberté
vaine : celle qui est temporelle ou terrestre 132. et dont parle Job
en disant que lesclave est affranchi de son maître 133. Il y aune liberté
vraie et spirituelle, celle de la grâce, qui consiste ŕ ętre exempt de crimes;
celle-lŕ est imparfaite, parce que la chair convoite contre lesprit, de telle
sorte que nous ne faisons pas ce que nous voulons 134. Il y a enfin la liberté de la gloire, aussi parfaite que pléničre.
Cest celle que nous aurons dans la patrie : La créature elle-męme sera libérée
de la servitude 135, et cela parce quil ny aura plus rien pour nous incliner au mal, plus
rien décrasant, parce que lŕ nous serons libérés de la faute et de la peine 136.
128. Ga 4, 31.
129. Loc. cit., 4, p. 360, 11. 28-29, qui reprend I Pe 1, 18-19.
130. Cf. Ro 8, 3.
131. 1 Pe 2, 16.
132. Nous avons traduit par "terrestre" le terme
carnalis. Ce terme, trčs fréquemment employé par saint Thomas, est attribué ŕ
tout ce qui ne sattache quŕ des préoccupations immédiates et
"terrestres".
133. Jb 3, 19.
134. Cf. Ga 5, 17.
135. Ro 8, 21.
1210. Chrysostome 137, interprčte ce passage dune autre maničre. Parce quen effet le Christ avait dit : QUI COMMET LE PECHE EST ESCLAVE DU PECHE, pour éviter que les Juifs le devancent en disant : bien que nous soyons esclaves du péché, cependant nous pouvons ętre libérés par des sacrifices et les pratiques rituelles de la Loi, le Seigneur montre que cela ne peut les libérer, mais que seul le Fils le peut. Cest pour cela quil dit : LESCLAVE, cest-ŕ-dire Moďse et les grands prętres de lAncien Testament, NE DEMEURE PAS DANS LA MAISON ETERNELLEMENT.
De lŕ vient quil est dit :
Moďse a été fidčle, comme serviteur, dans toute la maison [de Dieu] 138. Les rites ne sont
pas éternels; cest pourquoi ils ne peuvent donner la liberté éternelle.
136. Cf. Ap 21.
137. In bannis hom., 54, 1, col. 297-298.
138. He 3, 5; cf. Nomb 12, 7.
1211. A partir dici,
lÉvangéliste traite de lorigine des Juifs. Dabord, le Christ révčle leur
origine selon la chair [n° 1212],
puis il leur fait découvrir leur origine selon lesprit [n° 1213].
1212. Il dit que leur
origine selon la chair, cest Abra ham. JE SAIS, dit-il, QUE VOUS ETES FILS
DABRAHAM, par lorigine de la chair seulement, et non en lui étant semblables
par la foi 1 Considérez Abraham votre pčre, et Sara qui vous a engendrés 2.
1213. Il cherche ensuite ŕ leur faire connaître leur origine spirituelle. Dabord, il montre quils en ont une; puis il rejette lorigine quils invoquent [n° 1218]; enfin il montre quelle est leur véritable origine [n° 1239].
* Le trčs long développement de saint Thomas sur lorigine
spirituelle des Juifs [1211 ŕ 1269], comme une des causes pour lesquelles ils
ont besoin du remčde apporté par le Christ, nous incite ŕ séparer cette partie
de ce qui précčde. Pour comprendre lorganisation du texte selon saint Thomas,
on se reportera aux nos 1194, 1200 et 1202.
1. "Ils tiraient [de lui] leur chair par descendance (genus),
mais ils sen sont exclus (de generes facti) en nimitant pas la foi de celui
dont ils étaient les fils" (SAINT AUGUSTIN, op. cit., XLII, 1 et 2, p. 366,
11. 24-26 et 18).
2. Isaďe 51, 2.
MAIS VOUS
CHERCHEZ Ŕ ME TUER, PARCE QUE MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS. MOI, CE QUE J'AI
VU AUPRČS DE MON PČRE, JE LE DIS. ET VOUS, CE QUE VOUS AVEZ VU AUPRČS DE VOTRE
PČRE, VOUS LE FAITES.
Pour montrer quils ont une origine spirituelle, le Seigneur expose tout dabord leur faute, puis il conclut ŕ leur origine spirituelle [n° 1217].
A propos de leur faute, il les accuse dabord de la faute dhomicide [n° 1214], puis du crime de manque de foi [n° 1215], enfin, il leur enlčve toute possibilité de se justifier [n° 1216].
MAIS
VOUS CHERCHEZ Ŕ ME TUER
1214. Le Seigneur leur montre donc que spirituellement, ils sont issus dune souche mauvaise, et cest pourquoi il les blâme ouvertement de leur péché. Et passant sous silence tous les autres péchés par lesquels les Juifs étaient entravés de multiples maničres, il rappelle seulement celui quils avaient constamment dans lesprit, cest-ŕ-dire le péché dhomicide, parce que, comme il a été dit plus haut, ils voulaient le tuer 3. Et cest pourquoi il dit : MAIS VOUS CHERCHEZ A ME TUER, ce qui est contre votre Loi Tu ne tueras pas 4 A partir de ce jour donc, ils cherchaient ŕ le tuer 5.
PARCE
QUE MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS.
1215. Mais ils auraient pu dire que tuer quelquun ŕ cause de sa faute nest pas un péché, et cest pourquoi le Seigneur dit que la cause de lhomicide nest certes pas une faute de sa part, ni leur justice, mais précisément leur man que de foi (infidelitas) ŕ eux; cest comme sil disait : VOUS CHERCHEZ A ME TUER, non ŕ cause de la justice, mais ŕ cause de votre manque de foi, PARCE QUE MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS. Tous ne reçoivent pas cette parole, mais ceux ŕ qui cela a été donné 6.
Si le Seigneur use de cette maničre de parler, cest dabord pour montrer lexcellence de sa parole. Autrement dit : ma parole excčde complčtement votre capacité 7, car elle est de lordre des réalités spirituelles, alors que vous avez une intelligence attachée aux choses terrestres; et cest pourquoi elle ne pénčtre pas en vous L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de lEsprit de Dieu 8. Bien des choses que lon ta montrées sont au-delŕ de lesprit de lhomme 9.
Mais il use aussi de cette maničre de parler ŕ cause dune certaine similitude. En effet, comme le dit Augustin, la parole de Dieu est pour les croyants comme lhameçon pour le poisson : lhameçon ne prend que sil est saisi. Et cest pourquoi il dit : MA PAROLE NE PREND PAS EN VOUS, cest-ŕ-dire dans votre cur, parce quelle nest pas reçue par vous de la maničre dont Pierre avait été saisi : Seigneur, ŕ qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle 10. Cependant, elle ne cause pas de dommage ŕ ceux qui sont saisis, car de fait elle les saisit pour leur salut, non pour leur ruine 11. Il est dit en effet que le prophčte qui énonce, comme venant de la bouche du Seigneur, ce que le Seigneur na pas dit, doit ętre mis ŕ mort 12.
3. Cf. Jean 5, 18; vol. II, n° 741, p. 275.
4. Ex 20, 13.
5. Jean 11, 53.
6. Mt 19, 11.
MOI,
CE QUE JAI VUAUPRČS DE MON PČRE JE LE DIS
1216. Aussi, pour que les Juifs ne disent pas quil doit ętre mis ŕ mort du fait quil parlait de lui-męme et non de la bouche du Seigneur, il ajoute 13 MOI, CE QUE JAI VU AUPRES DE MON PERE, JE LE DIS; cest-ŕ-dire : on ne peut me reprocher de dire ce que je nai pas entendu, parce que je dis non seulement des choses que jai entendues, mais, qui plus est, je dis ce que jai vu 14. En effet, les autres prophčtes ont dit ce quils ont entendu, mais moi. je dis ce que jai vu Dieu, personne ne la jamais vu; le Fils unique qui est dans le sein du Pčre, lui, la fait connaître 15. Ce que nous avons entendu et ce que nous avons vu, (1..) nous vous lannonçons 16.
Cela doit sentendre de la vision de la connaissance la plus certaine, par laquelle le Fils connaît le Pčre comme lui-męme se connaît Nul ne connaît le Pčre, si ce nest le Fils 17.
7. Cf. CHRYSOSTOME, op. cit., 54, 2, col.
298.
8. 1 Corinthiens 2, 14.
9. Sir 3, 25.
10. Jean 6, 69.
11. Op. cit., XLII, 1, p. 366.
12. Cf. Deut 18, 20.
13. Cf. CHRYSOSTOME, loc. cit., col. 298-299.
14. Cf. vol. II, ch. 5 n° 745 ss.
ET
VOUS, CE QUE VOUS AVEZ VU AUPRČS DE VOTRE PČRE, VOUS LE FAITES.
1217. Il conclut ici ŕ leur origine spirituelle. Cest comme sil disait : moi, je dis ce qui est conforme ŕ mon origine; or vous, vous faites des uvres ŕ partir desquelles on peut conjecturer votre origine; parce que ces uvres sont dauprčs de votre pčre, cest-ŕ-dire le diable, dont selon Augustin ils étaient les fils, non en tant quhommes, mais en tant quils étaient mauvais 18. Ces uvres, dis-je, que vous avez vues, vous les avez faites sur la suggestion du diable C'est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde 19.
Selon Chrysostome 20, une autre version
dit : VOUS, CE QUE VOUS AVEZ VU AUPRES DE VOTRE PERE, FAITES-LE. Autrement dit
: de męme que moi je vous montre mon Pčre en vérité par mes paroles, de męme
vous, montrez-nous votre pčre Abraham par vos uvres; cest pourquoi il dit :
faites ce que vous avez vu chez votre pčre dčs lorigine, cest-ŕ-dire Abraham,
instruits que vous ętes par la Loi et les Prophčtes.
1218. Aprčs avoir montré que les Juifs ont une origine spirituelle, le Seigneur leur refuse les origines quils avaient la présomption de sattribuer. Dabord, il refuse lorigine quils prétendaient avoir dAbraham [n° 1219], puis lorigine quils pensaient tenir de Dieu [n° 1231].
15. Jean 1, 18.
16. l Jn 1, 1.
17. Mt 11, 27.
18. Loc. Cjt., 11. 20-2 1.
19. Sag 2, 24.
20. Op. cit., col. 299. Il ne sagit en fait pas dune autre
version, mais de linterprétation tout ŕ fait légitime du verbe grec poleite
non comme un indicatif, mais comme un impératif.
ILS
RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT : "NOTRE PČRE, CEST ABRAHAM. " JÉSUS
LEUR DIT : "SI VOUS ĘTES LES FILS DABRAHAM, FAITES LES UVRES
DABRAHAM. MAIS MAINTENANT, VOUS CHERCHEZ Ŕ ME TUER, MOI UN HOMME QUI VOUS AI
DIT LA VÉRITÉ QUE JAI ENTENDUE DE DIEU CELA, ABRAHAM NE LA PAS FAIT VOUS,
VOUS FAITES LES UVRES DE VOTRE PČRE. "
En ce qui concerne lorigine ŕ partir dAbraham, lÉvangéliste expose dabord lopinion des Juifs sur leur origine [1219], puis il montre comment le Seigneur la rejette [n° 1220].
ILS
RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT : NOTRE PČRE, CEST ABRAHAM
1219. Il faut savoir ŕ ce sujet que, parce que le Seigneur leur avait dit : Ce que vous avez vu auprčs de votre pčre, vous le faites, les Juifs, se glorifiant dune génération selon la chair, se rattachent ŕ Abraham : NOTRE PERE, CEST ABRAHAM Autrement dit : si nous avons une origine spirituelle, nous sommes bons, parce que notre pčre Abraham est bon Descendance dAbraham, son serviteur 21. Et comme le dit Augustin 22, ils sefforçaient de provoquer le Christ pour quil dise du mal dAbraham, et que cela leur soit une occasion dexécuter ce quils préméditaient, cest-ŕ-dire de le tuer.
21. Ps 104, 6.
22. Tract, in Ioann., XLII, 3, p. 367.
1220. Mais le Seigneur rejette cet argument comme injustifié, et attire dabord lattention sur le signe attaché ŕ la filiation dAbraham [n° 1221]; puis il montre que ce signe ne se trouve pas chez les Juifs [n° 1226]; enfin, il en tire les conclusions pour son propos [n° 1230].
SI
VOUS ĘTES LES FILS DABRAHAM, FAITES LES UVRES DABRAHAM
1221. Assurément, le signe de
la filiation de quelquun est sa ressemblance avec celui dont il est le fils :
en effet, de męme que la plupart du temps les fils ressemblent ŕ leurs parents
selon la chair, ainsi les fils spirituels (sils sont vraiment des fils)
doivent imiter leurs parents spirituels Soyez les imitateurs de Dieu, comme
des fils bien-aimés 23. Et ŕ ce sujet, il dit : SI VOUS ETES LES FILS DABRAHAM, FAITES LES UVRES
DABRAHAM Autrement dit : que vous imitiez Abraham serait le signe que vous
ętes ses fils Considérez Abraham votre pčre, et Sara qui vous a enfantés 24.
1222. Mais ici sélčve une difficulté, du fait que le Seigneur semble nier quils sont fils dAbraham en disant, comme sil en doutait : SI VOUS ETES LES FILS DABRAHAM, ce quil a pourtant affirmé plus haut : Je sais que vous ętes fils dAbraham 25.
A cela il y a deux réponses. Dune premičre maničre, selon Augustin 26, on répondra ceci : plus haut, il a affirmé quils sont fils dAbraham selon la chair; mais ici, il leur refuse le titre de fils dAbraham parce quils nimitent pas ses uvres, et en premier lieu sa foi Ce sont les hommes de foi qui sont reconnus comme étant de sa descendance 27.
Dune autre maničre, avec Origčne 26, on répondra que lune et lautre affirmation se réfčrent ŕ lorigine spirituelle. Mais lŕ oů nous avons Je sais que vous ętes fils dAbraham, on a en grec : Je sais que vous ętes la semence dAbraham, alors quici il dit : SI VOUS ĘTES LES FILS D'ABRAHAM, parce que les Juifs, spirituellement parlant, étaient la semence dAbraham, mais non ses fils. Il y aune différence entre la semence et le fils, car la semence est quelque chose dinforme, et cependant elle a en elle-męme les "raisons" (rationes) de ce dont elle est la semence, encore immobiles et au repos; le fils en revanche, la semence ayant été transformée par la puissance informative ŕ partir de lagent, dans la matičre qui lui est présentée par la femme, et par lapport supplémentaire de la nutrition, a une ressemblance avec lengendrant De cette męme maničre, les Juifs étaient bien la semence dAbraham, en tant quapparaissait en eux quel que raison de ce que Dieu avait répandu 30 sur Abraham; mais parce quils nétaient pas encore parvenus ŕ la perfection dAbraham, ils nétaient pas ses fils; cest pourquoi il leur dit : SI VOUS ETES LES FILS DABRAHAM, FAITES LES UVRES DABRAHAM, cest-ŕ-dire : donnez-vous du mal pour arriver ŕ limitation parfaite de ses uvres.
23. Eph 5, 1.
24. Isaďe 51, 2.
25. Jean 8, 37.
26. Loc. cit., 4, p. 367.
27. Ga 3, 7.
28. Comm. sur S. Jean, XX, n, § 3-5, pp. 157-159; v § 42, p. 177.
1223. Une difficulté sélčve aussi au sujet de cette parole : FAITES LES UVRES DABRAHAM; il semble en effet que tout ce que celui-lŕ a fait, nous aussi nous devions le faire. Nous devons donc prendre plusieurs femmes, et nous approcher de la servante comme le fit Abraham 31.
Je réponds en disant que luvre
par excellence dAbraham est la foi, par laquelle il a été justifié auprčs de
Dieu Abraham crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice 32. Cest pourquoi
FAITES LES UVRES DABRAHAM doit ętre compris comme signifiant : croyez de la
męme façon quAbraham.
1224. Mais il ne semble pas que lon puisse parler de la foi comme dune uvre puisquon la distingue des uvres La foi sans les uvres est morte 33.
On peut dire que la foi est une uvre, selon cette parole : Luvre de Dieu, cest que vous croyiez en celui quil a envoyé 34. Seulement, une uvre intérieure nest pas manifeste pour les hommes, mais pour Dieu seul Les hommes voient ce qui apparaît au-dehors; Dieu fixe ses regards sur le cur 35. De lŕ vient que nous avons pris lhabitude dappeler communément "uvres" ce qui se fait ŕ lextérieur. La foi se distingue donc non de toutes les uvres, mais seulement des uvres extérieures.
29. Saint Thomas rappelle ici la doctrine dAristote. Il est évident
que les connaissances actuelles de la biologie obligeraient le philosophe ŕ
ętre plus attentif au rôle proprement actif de la femme.
30. Par lexpression infunderat, saint Thomas nous signifie la
maničre propre dont Dieu communique gratuitement la grâce (infundere : verser
dans, arroser).
31. Voir Gn 16, 4. Saint Thomas reprend une question soulevée
par Origčne, mais quil résout ŕ sa maničre (loc. cit., X, § 67, p. 191).
32. Gn 15, 6.
1225. Mais devons-nous faire toutes les uvres dAbraham? A cela il faut répondre que luvre peut ętre considérée de deux maničres : ou bien selon son apparence, et alors toutes ses uvres ne sont pas ŕ imiter; ou bien selon sa source, et alors les uvres dAbraham doivent ętre imitées, parce que tout ce quil a fait, il la fait par amour (ex cantate). Cest pourquoi Augustin dit que la virginité de Jean nest pas supérieure au mariage dAbraham, parce que la racine de lun et lautre est la męme. 36
On peut dire aussi que toutes les uvres dAbraham doivent ętre imitées quant ŕ leur signification prophétique. Tout cela leur arrivait en figure 37.
MAIS
MAINTENANT, VOUS CHERCHEZ Ŕ ME TUER, MOI UN HOMME QUI VOUS AI DIT lA VÉRITÉ QUE
JAI ENTENDUE DE DIEU GELA, ABRAHAM NE LA PAS FAIT VOUS, VOUS FAITES LES UVRES
DE VOTRE PČRE.
1226. Le Christ montre ici que le signe de la filiation dont on a parlé plus haut ne se trouve pas en eux.
Il met dabord en évidence les uvres des Juifs [n° 1227], avant de montrer que ces uvres sont différentes de celles dAbraham [n° 1229].
33. Ja 2, 26.
34. Jean 6, 29 (cf. n° 901-902).
35. 1 Sam 16, 7.
36. De bono coniugali, XXI, 26, et XVIII, 21; BA 2, pp. 83-85 et
p. 73.
37. 1 Corinthiens 10, 11.
1227. Il montre que les uvres
des Juifs étaient mauvaises et perverses, parce quelles étaient meurtričres :
MAIS MAINTENANT, VOUS CHERCHEZ A ME TUER -Comment est-elle de une prostituée,
la cité fidčle pleine déquité? La justice y habitait, et maintenant des
homicides! 38 Mais cet homicide était un péché dune gravité sans mesure, parce
quil était contre la personne du Fils de Dieu. Il est vrai que, comme le dit
la premičre épître aux Corinthiens, sils lavaient connu, ils n'auraient
jamais crucifié le Seigneur de gloire 39; cest pourquoi le Seigneur
ne leur dit pas quils cherchent ŕ tuer le Fils de Dieu, mais UN HOMME 40; car, bien quon
dise, ŕ cause de lunité de la personne, que le Fils de Dieu a souffert et est
mort, cependant ce nest pas en tant que Fils de Dieu mais selon la faiblesse
humaine 41 Sil a été crucifié, cest ŕ cause de sa faiblesse, mais il vit de
par la puissance de Dieu 42.
1228. Et pour mettre encore plus en évidence leur homicide, il montre quils nont aucune raison de le faire mourir : MOI (...) QUI VOUS AI DIT LA VERITE QUE JAI ENTENDUE DE DIEU. Cette vérité, cest quil se disait égal ŕ Dieu 43 Les Juifs cherchaient ŕ le tuer, parce que non seulement il violait le sabbat, mais encore il disait que Dieu était son pčre, se faisant légal de Dieu 44. Il a entendu cette vérité de Dieu, en tant que de toute éternité il a reçu du Pčre, par la génération éternelle, la nature que possčde le Pčre Comme le Pčre a la vie en lui-męme, ainsi a-t-il aussi donné au Fils davoir la vie en lui-męme 45.
Par cette parole, le Seigneur exclut deux raisons pour lesquelles, dans la Loi, les prophčtes étaient susceptibles dętre tués. La premičre est le mensonge : le livre du Deutéronome prescrivait quun prophčte qui se serait levé en proférant le mensonge ou en inventant des songes devait ętre mis ŕ mort 46. Le Seigneur écarte ŕ son sujet cette possibilité en disant : MOI (...) QUI VOUS AI DIT LA VERITE Cest la vérité que ma bouche proclamera, et mes lčvres détesteront ce qui est impie;justes sont toutes mes paroles, il n a en elles rien de mauvais ni de pervers 47. La seconde raison est que si un prophčte avait parlé au nom des faux dieux, ou bien avait dit au nom de Dieu ce quil ne lui avait pas ordonné, il devait ętre tué, comme on le lit au męme endroit 48. Et cela, le Seigneur lexclut en disant : QUE JAI ENTEND UE DE DIEU.
38. Isaďe 1, 21.
39. 1 Corinthiens 2, 8.
40. Cf. ORIGČNE, Comm. sur S. Jean, XX, x § 85, p. 201.
41. En commentant 1 Corinthiens 2, 8, saint Thomas relčve une
difficulté concernant laffirmation de lApôtre : le Seigneur de gloire a été
crucifié "En effet, la divinité du Christ na pu souffrir quoi que ce
soit, divinité selon laquelle le Christ est dit Seigneur de gloire. Mais il
faut dire que le Christ est une seule personne, une seule hypostase, impliquant
deux natures, la nature divine et la nature humaine. Cest pourquoi il peut
ętre désigné sous le nom de lune et de lautre nature; et quil soit désigné
par lun ou lautre nom, on peut lui attribuer ce qui appartient ŕ lune et ŕ
lautre nature, parce que lattribution de lune et de lautre ne peut avoir
quun seul sujet, son unique hypostase. Et de cette maničre, nous pouvons dire
que lhomme a créé les étoiles, et que le Seigneur de gloire a été crucifié; et
cependant, il na pas créé les étoiles en tant quhomme, mais en tant que Dieu,
et il na pas été crucifié en tant que Dieu, mais en tant quhomme" (Ad 1
Cor. lect., II, leç. 2, n° 92).
42. 2 Go 13, 4.
CELA,
ABRAHAM NE LA PAS FAIT.
1229. Il montre ici que leurs uvres sont différentes de celles dAbraham; et cela revient ŕ dire : vous prouvez que vous nętes pas fils dAbraham en ceci que vous faites des uvres contraires aux siennes. On lit en effet ŕ son sujet : II observa la loi du Trčs-Haut, et entra en alliance avec lui 49.
Certains objectent ŕ tort que, puisque le Christ nétait pas encore quand Abraham fut, Abraham na pas pu le tuer : il naurait pu en effet tuer quelquun qui nexistait pas! 50
Mais il faut dire quAbraham na pas ŕ ętre loué de ne pas avoir tué le Christ, mais de navoir tué personne de semblable, cest-ŕ-dire de ceux qui disaient alors la vérité. Ou bien il faut dire que si le Christ nétait pas venu dans la chair du temps dAbraham, il était cependant venu en esprit 51, selon cette parole du livre de la Sagesse : Elle se communique parmi les nations dans les âmes saintes 52. Abraham ne la pour tant pas tué en péchant mortellement II est impossible de les rénover une seconde fois pour le repentir, puisque pour leur compte, ils crucifient ŕ nouveau le Fils de Dieu 53.
43. Cf. CHRYSOSTOME, In loannem hom.,
54, ch. 2, col. 299.
44. Jean 5, 18.
45. Jean 5, 26.
46. Deut 13, 5 (Vulgate).
47. Prov 8, 7-8.
48. Cf. Deut 13, 5.
49. Sir 44, 20.
VOUS,
VOUS FAITES LES UVRES DE VOTRE PČRE.
1230. Le Christ conclut ici son propos : du fait que vous ne faites pas les uvres dAbraham, vous avez donc quelque autre pčre dont vous accomplissez les uvres. De męme lit-on ailleurs : Vous, vous comblez la mesure de vos pčres 54.
CEST
POURQUOI ILS LUI DIRENT : "NOUS, NOUS NE SOMMES PAS NÉS DE LA PROSTITUTION
NOUS NA VONS QUUN SEUL PČRE, DIEU" JÉSUS LEUR DIT DONC : "SI
DIEU ÉTAIT VOTRE PČRE, VOUS MAIMERIEZ DE TOUTE FAÇON : ENEFFET, MOIJE SUIS
SORTI DE DIEU, ETJE SUIS VENU ET JE NE SUIS PAS VENU DE MOI-MĘME, MAIS LUI MA
ENVOYÉ. POURQUOI NE RECONNAISSEZ-VOUS PAS MA PAROLE? PARCE QUE VOUS NE POUVEZ
PAS ÉCOUTER CE QUE JE DIS. "
1231. LÉvangéliste poursuit en montrant que les Juifs ne tiennent pas leur origine de Dieu; parce quen effet ils savaient déjŕ, par la réponse du Seigneur, que celui-ci ne parlait pas de la génération selon la chair, ils se reportent ŕ la génération spirituelle en disant : NOUS NAVONS QUUN SEUL PERE, DIEU.
Et dans ce passage, les Juifs exposent dabord leur opinion [n° 1232]; puis le Seigneur la rejette [n° 1233].
1232. En exposant leur opinion, les Juifs nient une chose et en affirment une autre. Ils nient ętre nés de la prostitution; et, selon Origčne 55, ils exposent cela au Christ comme pour lui faire des reproches, en montrant dune maničre voilée que lui-męme serait le fruit dun adultčre; cest comme sils disaient : NOUS, NOUS NE SOMMES PAS NES DE LA PROSTITUTION, comme toi.
Mais on peut dire plutôt que Dieu est spirituellement lépoux de lâme Je t'épouserai pour toujours; je t'épouserai dans la justice et dans le droit, dans la miséricorde et la compassion. Et je tépouserai dans la foi, et tu sauras que moi je suis le Seigneur 56. De męme que lépouse se prostitue quand, outre son époux selon la chair, elle accueille un autre homme, ainsi dans lEcriture la Judée était accusée de prostitution lorsque, abandonnant le vrai Dieu, elle sattachait aux idoles La terre se prostituera en se détournant loin de Dieu 57. Les Juifs disent donc : NOUS, NOUS NE SOMMES PAS NÉS DE LA PROSTITUTION; autrement dit : si autrefois notre mčre la Synagogue, séloignant de Dieu, sest prostituée avec les idoles, nous cependant, nous ne nous sommes pas éloignés de Dieu, et nous ne nous sommes pas prostitués avec les idoles Nous ne t'avons pas oublie, et nous n'avons pas violé ton alliance, notre cur ne s'est pas détourné 58. Montez ici, fils de prostituées, semence dadultčre et de prostitution 59.
Les Juifs affirment ensuite quils sont fils de Dieu, ce qui pour eux découle manifestement du fait quils ne croyaient pas ętre nés de la prostitution : NOUS NAVONS QUUN SEUL PERE, DIEU Navons-nous pas tous un seul pčre? 60 Vous mappellerez Pčre 61.
50. Cette question et les deux réponses sont tirées dOrigčne
(op. cit., XX, x § 87-95, pp. 203-207).
51. Origčne utilise un terme technique, qui désigne
lapplication dune parole de l'Ecriture ŕ la vie morale de tout homme; il
prend soin de développer son explication en précisant que, selon ce sens moral,
tout homme rencontre dans sa vie le Christ, et le "crucifie", que ce
soit avant ou aprčs la venue du Christ.
52. Sag 7, 27.
53. He 6, 6.
54. Mt 23, 32.
55. Op. cit., XX, xvI, § 128, p. 221.
56. Os 2, 19-20.
57. Os 1, 2.
58. Ps 43, 18.
59. Isaďe 57, 3.
JÉSUS
LEUR DIT DONC : "SI DIEU ÉTAIT VOTRE PČRE, VOUS MAIMERIEZ DE TOUTE
FAÇON : EN EFFET, MOI JE SUIS SORTIDE DIEU, ETJE SUIS VENU ETJE NE SUIS PAS
VENU DE MOI-MĘME, MAIS LUI MA ENVOYÉ. POURQUOI NE RECONNAISSEZ-VOUS PAS MA
PAROLE? PARGE QUE VOUS NE POUVEZ PAS ÉCOUTER CE QUE JE DIS. "
1233. Ici, leur opinion
est confondue par le Seigneur 62. Jésus met dabord en évidence un signe de la filiation divine [n° 1234], puis il en donne la raison [n° 1235]; enfin, il montre que ce signe
leur fait défaut [n° 1238].
1234. Plus haut, Jésus a dit que le signe de la filiation selon la chair, ce sont les uvres que les hommes accomplissent ŕ lextérieur; or ici, il donne le signe de la filiation divine : un amour tout intérieur. Car nous sommes faits fils de Dieu par la communication de lEsprit Saint Vous n'avez pas reçu un esprit de servitude pour retomber ŕ nouveau dans la crainte, mais un esprit dadoption en qui nous nous écrions : Abba, Pčre! En effet, lEsprit lui-męme rend témoignage ŕ notre propre esprit que nous sommes fils de Dieu 63. Or lEsprit Saint est la cause de lamour de Dieu, puisque la charité de Dieu a été répandue dans nos curs par l'Esprit Saint qui nous a été donné 64. Donc, le signe propre de la filiation divine est lamour (dilectio) 65 Soyez des imitateurs de Dieu comme des fils bien-aimés, et marchez dans lamour (in dilectione) 66. C'est pour cela que le Christ dit : SI DIEU ETAIT VOTRE PERE, VOUS MAIMERIEZ DE TOUTE FAÇON Les innocents et les curs droits, qui sont fils de Dieu, me sont attachés 67.
60. Mal 2, 10.
61. Jr3, 19.
62. Au sens premier, le mot confutare que nous avons traduit par
"con fondre" signifie : arręter le bouillonnement dun liquide.
63. Ro 8, 15-16. Saint Thomas commente ainsi le verset 16 "Ici, lEsprit Saint ne rend certes pas témoignage par une
voix extérieure aux oreilles des hommes, comme le Pčre le fit au sujet de son
Fils (Mt 3, 17), mais il rend témoignage par leffet dun amour filial, quil
réalise en nous. Et cest pourquoi lApôtre dit quil rend témoignage, non pas
ŕ nos oreilles, mais ŕ notre propre esprit, que nous sommes fils de Dieu.
Nous, nous sommes les témoins de ces paroles (Ac 3, 15)" (Ad Rom. lect.,
VIII, leç. 3, n° 645).
1235. Jésus donne ensuite la raison de ce signe de la filiation divine. Il expose dabord la vérité [n° 1236], puis rejette lerreur [n° 1237].
EN
EFFET, MOI JE SUIS SORTI DE DIEU, ET JE SUIS VENU
1236. La vérité quil expose, cest quil procčde de Dieu, et quil est venu.
Il faut savoir que tout amour damitié est fondé dans une union (conjunctio); ainsi, des frčres saiment en tant quils tiennent leur origine des męmes parents. Le Seigneur dit donc : vous dites que vous ętes fils de Dieu! Mais si cela était, VOUS MAIMERIEZ, parce que JE SUIS SORTI DE DIEU, ET JE SUIS VENU Qui donc ne maime pas nest pas fils de Dieu. JE SUIS SORTI, dis-je, DE DIEU, comme Fils unique, de toute éternité, de la substance du Pčre Avant létoile du matin je t'ai engendré 68. Dans le Principe était le Verbe 69. ET JE SUIS VENU, comme Verbe fait chair 70, et jai été envoyé dauprčs de Dieu dans le monde, par lIncarnation Je suis sorti du Pčre 71, comme Verbe, de toute éternité, et Je suis venu dans le monde 72, fait chair dans le temps.
64. Ro 5, 5. "Lexpressioncharité de
Dieu peut ętre comprise de deux maničres. Ou bien comme la charité par
laquelle Dieu nous aime (diligit) Je lai aimé dune charité éternelle
(Jérémie 31, 3) , ou bien comme la charité par laquelle nous aimons
(diligimus) Dieu Je suis certain que ni la mort ni la vie ne nous sépareront
de la charité de Dieu (Ro 8, 38). Or lune et lautre sont diffusées dans nos curs
par l'Esprit Saint qui nous a été donné. En effet, le fait que lEsprit Saint,
qui est lamour du Pčre et du Fils, nous soit donné, consiste en ce que nous
sommes amenés ŕ la participation de lamour, qui est lEsprit Saint. Certes,
par cette participation, nous sommes faits amants de Dieu (Dei amatores). Et le
fait que nous laimons est le signe que lui-męme nous aime Moi, jaime ceux
qui maiment (Prov 8, 17). Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu les
premiers, mais cest lui qui le premier nous a aimés (l Jn 4, 10)" (Ad
Rom. lect., V, leç. 1, n° 392).
65. Sur amor, dilectio, caritas et amicitia, voir Somme théol.,
I-II, q. 26, a. 3. Cf. HILAIRE DE POITIERS, De Trinitate, VI, 30, CCL vol. LXII,
p. 233, 11. 30-3 1. (PL 10, col. 182 A-B).
66. Eph 5, 1.
67. Ps 24, 21.
ET JE
NE SUIS PAS VENU DE MOI-MĘME, MAIS LUI MA ENVOYE
1237. Ici, le Christ rejette lerreur. Dabord lerreur de Sabellius 73, qui dit que le Christ na pas tenu son origine dun autre, mais a imaginé que le Pčre et le Fils étaient la męme réalité en une personne : JE NE SUIS PAS VENUDE MOI-MEME, cest-ŕ-dire, selon Hilaire 74, non pas en sortant et en provenant de moi-męme, mais comme envoyé par un autre, cest-ŕ-dire par le Pčre : MAIS LUI MA ENVOYE Dieu envoya son Fils, né dune femme, sujet de la Loi 75.
Il rejette ensuite lerreur des Juifs, qui disaient que le Christ na pas été envoyé par Dieu, mais était un faux prophčte, de ceux dont il est écrit : Je ne les envoyais pas, et ils couraient 76. Cest pour cela quil dit, selon Origčne 77 JE NE SUIS PAS VENU DE MOI-MEME, MAIS LUI MA ENVOYE. Cest lui que Moďse réclamait en disant : Je ten conjure, Seigneur, envoie celui que tu dois envoyer 78.
68. Ps 109, 4.
69. Jean 1, 1.
70. Cf. Jean 1, 14.
71. Jean 16, 28.
72. Ibid.
73. Voir vol. I, n 64 et note 69.
74. Loc. cit., 11. 27-28, pp. 232-233.
75. Ga 4, 4.
76. Jérémie 23, 21.
77. Comm. sur S. Jean, XX, xIx, § 160, p. 235.
78. Ex 4, 13.
POURQUOI
NE RECONNAISSEZ-VOUS PAS MA PAROLE? PARCE QUE VOUS NE POUVEZ PAS ÉCOUTER CE QUE
JE DIS.
1238. Le Christ montre enfin que ce signe leur fait défaut. En effet, comme on la dit plus haut [n° 1234], lamour du Christ est signe de la filiation divine; or les Juifs naimaient pas le Christ; il est donc manifeste que ce signe leur manquait.
Quils ne laiment pas, il le manifeste par leffet de lamour : leffet de lamour quon a pour quelquun, cest quon écoute volontiers les paroles de laimé Que ta voix résonne ŕ mes oreilles, car ta voix est douce 79. Des amis técoutent : fais-moi entendre ta voix 80. Parce que donc ceux-lŕ naimaient pas le Christ, sa voix męme leur semblait dure ŕ entendre Cette parole est dure, et qui peut lentendre? 81 Sa vue męme nous est ŕ charge 82.
Mais il arrive que quelquun
nécoute pas volontiers les paroles dun autre, parce quil ne peut plus y
pręter attention, ni par conséquent les comprendre; et cest la raison pour
laquelle les Juifs contredisent les paroles du Christ Répondez, je vous en
supplie, sans animosité, et vous ne trouverez pas diniquité dans ma bouche 83. Cest pour cela
quil dit : POURQUOI NE RECONNAISSEZ-VOUS PAS MA PAROLE?, lorsque vous dites en
interrogeant : Qua-t-il dit lŕ : Oů moi je vais, vous, vous ne pouvez venir? 84 Et vous ne comprenez
pas, PARCE QUE VOUS NE POUVEZ PAS ECOUTER CE QUE JE DIS, cest-ŕ-dire : vous
avez un cur tellement dur envers moi que vous ne voulez pas entendre ma
parole.
79. Cant 2, 14.
80. Gant 8, 13.
81. Jean 6, 61.
82. Sag 2, 14.
83. Jb 6, 29.
84. Jean 7, 36 et 8, 22.
1239. Aprčs avoir montré que les Juifs ont une certaine origine spirituelle [n° 1213], et avoir exclu lorigine quils sattribuaient [n° 1218], le Seigneur prouve leur véritable origine, en leur reprochant dętre les fils du diable.
VOUS,
VOUS ĘTES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PČRE; ET VOUS VOULEZ ACCOMPLIR LES DÉSIRS DE
VOTRE PČRE.
Le Seigneur expose dabord sa pensée [n° 1240], puis il en donne la raison [n° 1241]; enfin, il explique la raison quil a donnée [n° 1242].
1240. Il dit donc : vous faites les uvres du diable, donc VOUS ETES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, cest-ŕ-dire par imitation Ton pčre était un Amorrhéen, et ta mčre Hittite 85.
Ici, il faut prendre garde ŕ lhérésie des Manichéens pour qui il existe une certaine nature du mal, et une nation de ténčbres avec ses princes, de laquelle toutes les réalités corruptibles et matérielles tirent leur origine; et selon cette hérésie, on dit que tous les hommes procčdent du diable selon la chair 86. Les Manichéens affirmaient en outre que certaines âmes appartiennent ŕ la bonne création, et dautres ŕ la mauvaise. De lŕ vient quils comprennent ainsi cette phrase du Seigneur : VOUS, VOUS ETES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, parce que vous procédez de lui selon la chair, et vos âmes sont de la création mauvaise.
Mais, comme le dit Origčne 87, le fait dintroduire deux natures ŕ cause de la différence du bien et du mal semble identique au fait de dire que autre est la substance de lil qui voit, autre celle de lil qui ne voit pas ou qui louche. Or, de męme quun il sain et un il chassieux ne diffčrent pas selon la substance, mais du fait dune certaine cause déficiente qui touche lil malade et le fait se voiler, ainsi la substance ou la nature dune réalité est la męme, que celle-ci soit bonne ou quelle ait en elle un manque, ŕ savoir le péché de la volonté. Les Juifs, en tant quils sont mauvais, ne sont donc pas dits fils du diable par nature, mais par imitation.
85. Ez 16, 3.
86. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in Ioann.,
XLII, 10, p. 369, 11. 1-10.
87. Comm. sur S. Jean, XX, XXIII, § 199-200, p. 257.
ET
VOUS VOULEZ ACCOMPLIR LES DÉSIRS DE VOTRE PČRE.
1241. Le Seigneur en
donne ici la raison cela revient ŕ dire : vous nętes pas fils du diable en tant
que créés et amenés ŕ lętre par lui, mais parce que, limitant, VOUS VOULEZ
ACCOMPLIR LES DESIRS DE VOTRE PERE, qui assurément sont mauvais; car, comme
lui-męme a jalousé lhomme et la tué C'est par la jalousie du diable que la
mort est entrée dans le monde 89, ainsi vous aussi, me jalousant, vous cherchez ŕ me tuer, moi un homme
qui vous ai dit la vérité 90.
1242. Le Seigneur explique ensuite la raison quil a donnée; il expose dabord quelle est la condition du diable, puis montre quils en sont les imitateurs [n° 1253].
LUI
ÉTAIT HOMICIDE DČS LE COMMENCEMENT, ET IL NE SEST PAS TENU DANS LA VÉRIT PARCE
QUE LA VÉRITÉ NEST PAS EN LUI QUAND IL PROFERE LE MENSONGE, IL LE PROFČRE DE
SON PROPRE FONDS, PARCE QUIL EST MENTEUR ET PČRE DU MENSONGE.
En ce qui concerne le diable, il faut savoir quil y a chez lui un double péché poussé ŕ lextręme : le péché dorgueil par rapport ŕ Dieu, et de jalousie par rapport ŕ lhomme, quil tue. Mais cest par son péché de jalousie envers lhomme, cause du mal quil fait ŕ lhomme, que nous con naissons son péché dorgueil.
Cest pourquoi le Christ
montre dabord le péché du démon contre lhomme [n° 1243], puis son péché contre Dieu [n° 1244]
1243. Or le péché de jalousie [du démon] envers lhomme fait quil le tue; cest pour cela que le Christ dit : LUI, cest-ŕ-dire le diable, ETAIT HOMICIDE DES LE COMMENCEMENT.
Il faut savoir ici que ce
nest pas armé dune épée que le diable tue lhomme, mais par une persuasion
mauvaise 92. C'est par la jalousie du diable que la mort est entrée dans le monde 91. Dabord est entrée
la mort du péché La mort des pécheurs est trčs mauvaise ensuite est entrée la
mort corporelle Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et par le
péché, la mort 93. Et comme le dit Augustin 94, "ne pense pas que tu nes pas homicide, quand tu pousses ton
frčre ŕ faire le mal."
Mais il faut remarquer, selon Origčne 95 que lon dit le diable homicide non seulement ŕ cause dun homicide en particulier, mais pour le genre humain tout entier, quil frappa en tant que tous meurent en Adam 96, comme le dit lApôtre. Cest pourquoi il est dit HOMICIDE par antonomase 97 et cela DES LE COMMENCENT, cest-ŕ-dire dčs quil y eut un homme qui pouvait ętre tué, doů la possibilité dun homicide; car lhomme naurait pas pu ętre tué sil navait pas dabord été créé.
88. Cf. SAINT AUGUSTIN, op. cit., XLII,
11, p. 370, 11. 3-8.
89. Sag 2, 24.
90. Jean 8, 40.
1244. Le Christ poursuit en exposant le péché du démon contre Dieu, qui consiste en ce quil sest détourné de la vérité, qui est Dieu.
Il montre dabord que le démon sest détourné de la vérité [n° 1245], et il lexplicite [n° 1247], puis il montre quil est hostile ŕ la vérité [n° 1249].
ET IL
NE S'EST PAS TENU DANS LA VÉRITÉ
1245. Il faut savoir que la vérité est double : il y a la vérité de la voix, de la parole, et celle de luvre.
La vérité de la voix, de la parole, est celle par laquelle quelquun exprime des lčvres ce quil porte dans son cur et ce qui est dans la nature des choses Laissant tomber tout mensonge, que chacun dise la vérité ŕ son prochain 98. Celui qui dit la vérité ŕ son prochain et na pas de mensonge dans la bouche... 99
Il y a vérité de luvre,
vérité de la justice, quand quel quun accomplit ce qui convient ŕ lordre de
sa nature; cest la vérité dont LEvangéliste dit plus haut : Celui qui fait la
vérité vient ŕ la lumičre 100. Le Seigneur, en parlant de cette vérité, dit donc : ET DANS LA VERITE,
cest-ŕ-dire celle de la justice, IL NE SEST PAS TENU, parce quil sest
séparé de lordre de sa nature, qui était dętre soumis ŕ Dieu et datteindre
par lui sa béatitude et lachčvement de son désir naturel. Cest pourquoi,
ayant voulu latteindre par lui-męme, il déchut de la vérité.
1246. Mais on peut comprendre cette parole IL NE SEST PAS TENU DANS LA VERITE de deux maničres : ou bien quil ne se serait jamais tenu dans la vérité, ou bien quil se serait tenu dans la vérité et quil ny est pas demeuré.
Mais sil na jamais été dans la vérité de la justice, cela peut avoir un double sens.
Les Manichéens disent que le diable est naturellement mauvais; par conséquent, il aurait toujours été mauvais, car ce qui appartient naturellement ŕ quelquun lui appartient toujours. Mais cette interprétation est hérétique, parce quil est dit dans le psaume que Dieu fit le ciel et la terre, la mer et tout ce quils renferment 101. Donc, tout ce qui est, est de Dieu 102; or tout ce qui est de Dieu, en tant quil est, est bon. Cest pour quoi toute nature créée, męme dans les démons, est bonne.
Cest pourquoi dautres ont dit que le démon, créé par Dieu, est bon par nature, mais quil est devenu mauvais dčs le premier instant par son libre arbitre. Ceux-ci diffčrent des Manichéens, parce que ces derniers disent que les démons ont toujours été mauvais, et par nature; tandis que ceux-lŕ disent quils ont toujours été mauvais, mais par libre arbitre.
Cependant, il pourrait sembler ŕ certains lange nétant pas mauvais par nature, mais par un péché de sa volonté propre, et le péché étant un certain acte que lange ait été bon au commencement de son acte, mais quau terme de lacte mauvais, il serait devenu mauvais. Mais il est manifeste que lacte du péché dans le démon est postérieur ŕ sa création; or le terme de la création, cest lętre męme de lange, et le terme de lopération du péché est que lange est mauvais. Cest pourquoi ils tiennent pour impossible que lange ait été mauvais dans le premier instant oů il a commencé dexister.
Ce raisonnement ne semble pas suffisant, car il vaut seulement pour des mouvements temporels qui se déroulent successivement, et non pour des mouvements instantanés. En effet, dans les mouvements selon le temps, autre est linstant oů commence laction, autre celui oů elle se ter mine; par exemple, si un mouvement local succčde ŕ une altération, le mouvement local et laltération ne peuvent se terminer au męme instant 103. Mais dans les mutations instantanées, le terme de la premičre et de la seconde peut exister simultanément et au męme instant; comme dans le męme instant oů la lune est illuminée par le soleil, lair est illuminé par la lune. Or il est manifeste que la création est instantanée, et pareillement le mouvement du libre arbitre chez lange, puisquil na pas besoin de la comparaison et du discours de la raison. Cest pourquoi rien nempęche quexistent simultanément et au męme instant le terme de la création, oů il est bon, et le terme du libre arbitre, oů il est mauvais.
Certains le concčdent; mais ils disent que męme sil avait pu en ętre ainsi, il nen a pas été ainsi; ils invoquent pour cela lautorité de lEcriture, car il est dit dans Isaďe, au sujet du diable sous la figure du prince de Babylone : Comment es-tu tombé, porteur de la lumičre, toi qui brillais au matin? 104 Et dans Ezéchiel il est dit du diable sous la figure du roi de Tyr : Tu fus dans les délices du paradis de Dieu 105. Et cest pourquoi ils disent quil ne fut pas mauvais au premier instant de sa création, mais quil fut bon un moment et tomba par son libre arbitre.
Il faut dire, en fait, que le démon na pas pu ętre mauvais au premier instant de sa création. La raison en est quaucun acte nest formellement péché, si ce nest en tant quil va contre la nature de lagent volontaire. Dans nimporte quel ordre dactes, le premier est lacte selon la nature; ainsi, dans la connaissance, on saisit dabord les premiers principes, et par eux les autres; et pareillement, dans lacte de la volonté, nous voulons dabord lultime perfection et la fin ultime, vers lesquelles nous tendons par un appétit naturel, et cest ŕ cause delles que nous désirons les autres fins. Or ce qui est conforme ŕ la nature nest pas un péché. Il est donc impossible que le premier acte du diable ait été mauvais. Le diable fut donc bon dans un certain instant; mais IL NE SEST PAS TENU DANS LA VERITE, cest-ŕ-dire : il ny est pas demeuré.
Saint Jean dit dans sa premičre épître : Le diable pčche depuis le commencement; certes, il pčche depuis le commencement 106, cest-ŕ-dire depuis linstant oů il a commencé ŕ pécher; parce que, ŕ partir du moment oů il commença ŕ pécher, il ne cessa plus jamais.
91. Sag 2, 24.
92. Ps 33, 22; voir n°1169.
93. Ro 5, 12.
94. Tract, in Ioann., loc. cit., IL 16-18.
95. Op. cit., XXv, § 224-225, p. 269.
96. 1 Corinthiens 15, 22.
97. Voir n° 1098 et note 57a
98. Eph 4, 25.
99. Ps 14, 3.
100. Jean 3, 21.
101. Ps 145, 6.
102. Omne ens est a Deo; voir Somme théol., I, q. 44, a. 1.
103. Voir ARISTOTE, Catégories, ch. 14, 15 a 13 ss.
104. Isaďe 14, 12.
105. Ez 28, 13.
PARCE
QUE LA VÉRITÉ NEST PAS EN LUI
1247. Jésus explicite ici ce quil a dit. Cette explicitation peut se comprendre de deux maničres [n° et n° 1248].
Dune premičre maničre, selon Origčne 107, elle peut ętre comprise comme étant lexplicitation du genre par lespčce, comme si je voulais manifester que Socrate est un animal par le fait quil est un homme. Et donc, cest comme sil disait : IL NE S'EST PAS TENUDANSLA VERITE, mais il est tombé; et ceci, PARCE QUE LA VERITE NEST PAS EN LUI Or quand on nest pas dans la vérité, cela peut ętre ŕ deux degrés différents. En effet, certains ne se tiennent pas dans la vérité parce quils ne sont pas assurés en elle, mais ils doutent Or moi, pour un peu mes pieds déviaient, pour un rien mes pas glissaient 108. Dautres, parce quils se dérobent entičrement ŕ la vérité. Et cest de cette maničre que le diable ne sest pas tenu dans la vérité; LA VERITE N'EST PAS EN LUI signifie donc quil sest dérobé ŕ elle et sen est éloigné par aversion.
Mais ny a-t-il aucune vérité en lui? Sil en était ainsi, il ne se comprendrait pas lui-męme, ni ne comprendrait aucune autre réalité, puisque lintelligence des choses nexiste pas en dehors des réalités vraies. Or cela ne con vient pas.
Il faut donc dire quil y a
une certaine vérité dans les démons, comme il y a une certaine nature. Car
aucun mal ne corrompt totalement le bien, puisque le sujet dans lequel se
trouve le mal, lui au moins est bon. Ainsi donc, il y a une certaine vérité dans
les démons, mais non la vérité pléničre, de laquelle ils se sont détournés,
cest-ŕ-dire Dieu, qui est la vérité et la sagesse pléničres.
106. 1 Jean 3, 8.
107. Comm. sur S. Jean, XX, XXVII, 239, pp. 275-277. Saint
Thomas sy réfčre trčs librement.
1248. La seconde maničre
de comprendre cette explicitation est de la comprendre comme un signe, selon ce
que dit Augustin 109. Il semble en effet quon aurait dű dire plutôt le contraire, ŕ savoir
que LA VERITE NEST PAS EN LUI parce qu'IL NE SEST PAS TENU DANS LA VERITE.
Mais comme la cause est parfois manifestée par leffet, ainsi le Seigneur a
voulu montrer quIL NE SEST PAS TENU DANS LA VERITE par le fait que LA VERITE
NEST PAS EN LUI, car elle eűt été en lui sil sétait tenu dans la vérité. On
trouve une maničre identique de parler dans un psaume : Moi jai crié vers toi
car tu mas exaucé 110. Selon cette parole, du fait quil a été exaucé, il apparaît quil a
crié.
108. Ps 72, 2.
109. La Cité de Dieu, XI, XIV; BA 35, p. 79.
110. Ps 16, 6.
QUAND
IL PROFČRE LE MENSONGE, IL LE PROFČRE DE SON PROPRE FONDS, PARCE QUIL EST
MENTEUR ET PČRE DU MENSONGE.
1249. Le Christ montre ici que le diable est hostile ŕ la vérité; il expose son propos [n° 1250], avant de lexpliciter [n° 1251].
1250. A la vérité sopposent fausseté et mensonge; et le diable soppose ŕ la vérité parce quil profčre le mensonge. Voilŕ pourquoi le Christ dit QUAND IL PROFERE LE MENSONGE, IL LE PROFERE DE SON PROPRE FONDS.
Ici, il faut savoir que
quiconque parle de lui-męme, hormis Dieu, profčre le mensonge; mais quiconque
dit un mensonge ne le dit pas forcément de lui-męme. Seul Dieu, en parlant de
son propre fonds, dit la vérité; car la vérité, cest lillumination de
lintelligence; or Dieu est la lumičre elle-męme, et tous sont illuminés par
lui II était la lumičre véritable qui illumine tout homme venant en ce monde 111. Cest pourquoi,
dune part il est la vérité elle-męme, dautre part les autres ne disent la
vérité que dans la mesure oů ils sont illuminés par lui. Aussi, comme le dit
Ambroise : "Tout vrai, quel que soit celui qui le dit, est de lEsprit
Saint" 112. Ainsi donc le diable, quand il parle de son propre fonds, profčre le
mensonge; lhomme aussi, quand il parle de son propre fonds, profčre le
mensonge. Mais quand ce quil dit vient de Dieu, alors il dit la vérité; cest
pourquoi il est dit : Dieu est véridique, et tout homme, livré ŕ lui-męme, est
menteur 113. Mais tout homme qui profčre le mensonge ne parle pas [forcement] de son propre fonds,
parce quil le reçoit parfois dun autre : certes pas de Dieu, qui est
véridique, mais de celui qui NE S'EST PAS TENU DANS LA VERITE, et qui le
premier a inventé le mensonge 114. Et cest pourquoi celui-lŕ, dune maničre unique, QUAND IL PROFERE LE
MENSONGE, IL LE PROFERE DE SON PROPRE FONDS Je sortirai, et je serai lesprit
menteur dans la bouche de tous ses prophčtes 115. Le Seigneur a
répandu, cest-ŕ-dire a permis que soit répandu, un esprit derreur 116.
111. Jean 1, 9.
112. Commentarium in epistolam ad
Corinthienses primam, ch. 12, 3, PL 17, col. 245 B.
113. Ro 3, 4.
114. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract. in Ioann.,
XLII, 13, p. 371, 11. 1-7.
115. 1 Rs 22, 22.
116. Isaďe 19, 14.
PARCE
QUIL EST MENTEUR ET PČRE DU MENSONGE 117
1251. En disant cela, le
Christ explicite son propos. Comprenant mal cette parole, les Manichéens
supposaient quil y a des générations de démons, et pensaient que le diable a
un pčre. Cest pourquoi ils disaient que le diable EST MENTEUR, ET SON PERE [AUSSI] cest-ŕ-dire le pčre
du diable. Il ne faut certes pas comprendre ainsi la parole du Christ. Car le
Seigneur a dit que le diable est menteur, et son pčre, cest-ŕ-dire pčre du
mensonge; ce nest pas que tout homme qui ment soit pčre de son mensonge, car,
comme le dit Augustin : "Si tu as reçu un mensonge dun autre, et que tu
las dit, tu as menti certes, mais tu nes pas le pčre du mensonge" 118. Mais le diable,
parce quil na pas reçu le mensonge dailleurs, mensonge par lequel il tuerait
lhomme comme par un poison, est le pčre du mensonge, comme Dieu est le pčre de
la vérité. Car le diable a inventé le mensonge dčs le commencement,
cest-ŕ-dire quand il a menti ŕ la femme : Pas du tout, vous ne mourrez pas 119. A quel degré cela
est-il vrai, lévénement la prouvé par la suite, quand il a réussi ŕ séduire
la femme, ainsi quon le lit dans le męme passage.
1252. Il faut savoir que ces paroles : VOUS, VOUS ĘTES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, sont exposées au sujet de Caďn dans le livre des Questions sur le Nouveau et lAncien Testament 120, de la maničre suivante : selon quest appelé diable celui qui fait les uvres du diable, on doit lire : VOUS ETES ISSUS DU DIABLE, VOTRE PERE, cest-ŕ-dire de Caďn qui a fait les uvres du diable, et vous limitez. Caďn ETAIT HOMICIDE DES LE COMMENCEMENT, cest-ŕ-dire depuis quil a tué son frčre Abel. ET IL NE SEST PAS TENU DANS LA VERITE, PARCE QUE LA VERITE NEST PAS EN LUI cela est manifeste, parce que quand le Seigneur lui demandait : Oů est Abel ton frčre? Il répondit en disant : Je ne sais tas, Seigneur; suis-je le gardien de mon frčre? 121 Cest pour quoi lui-męme EST MENTEUR ET PERE DU MENSONGE, cest-ŕ-dire, il est diable, parce quil imite le diable, qui est son pčre.
Cependant, la premičre
explication est meilleure.
117. Quia mendax est, et pater eius;
littéralement : "parce quil est menteur, et son pčre".
118. Loc. cit., 11. 4-7. Le début du paragraphe reprend aussi
une remarque de saint Augustin, au chapitre précédent, Il. 9-20. De męme encore
la suite.
119. Gn 3, 4.
120. SAINT AUGUSTIN, Qyaestiones veteris et novi Testamenti, XC,
PL 35, col. 2282.
1253. Aprčs avoir exposé quelle est la condition du diable, le Seigneur montre que les Juifs en sont les imitateurs [n° 1242].
Or le Seigneur a attribué au diable deux conditions dans sa malice : lhomicide et le mensonge 122. Plus haut, il a réprimandé les Juifs ŕ propos de lhomicide, qui leur faisait imiter le diable Or maintenant vous cherchez ŕ me tuer, moi un homme qui vous ai dit la vérité que jai entendue de Dieu 123. Cest pourquoi, laissant cela de côté, il leur reproche ici leur aversion pour la vérité.
MAIS
MOI, SI JE VOUS DIS LA VÉRITÉ, VOUS NE ME CROYEZ PAS. QUI D'ENTRE VOUS ME
CONVAINCRA DE PÉCHÉ? SI JE DIS LA VÉRITE POURQUOI NE ME CROYEZ-VOUS PAS? CELUI
QUI ESTDE DIEU ÉCOUTE LES PAROLES DE DIEU; SI VOUS NÉCOUTEZ PAS, CEST QUE
VOUS NĘTES PAS DE DIEU
En premier lieu, il montre
quils sont hostiles ŕ la vérité [n° 1254];
puis il exclut la raison quils auraient pu alléguer [n° 1255]; enfin, il conclut ŕ la véritable
cause de leur aversion [n° 1256].
1254. Il commence donc par dire : le diable est MENTEUR, ET PERE DU MENSONGE; et certes, vous limitez, parce que vous ne voulez pas vous attacher ŕ la vérité : MAIS MOI, SI JE VOUS DIS LA VERITE, VOUS NE ME CROYEZ PAS Si je vous le dis, vous ne me croirez pas 124.
Autrement dit, Moi je suis la
vérité 125, et le Fils de celui qui est véridique : JE VOUS DIS LA VERITE. Mais
vous qui ętes les fils du diable menteur, vous ętes hostiles ŕ la vérité, ET
VOUS NE ME CROYEZ PAS Si je vous dis les choses du ciel, comment
croirez-vous? 126 Cest pourquoi IsaĎe se plaint vivement en disant : Seigneur, qui a
cru ŕ nos paroles? 127
121. Gn 4, 9.
122. Cf. CHRYSOSTOME, In loannem hom., 54, ch. 3, col. 300.
123. Jean 8, 40.
QUI
DENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PÉCHÉ?
1255. La cause que les Juifs pouvaient alléguer pour justifier leur manque de foi (infidelitas) est le fait que le Christ serait pécheur; car on ne croit pas facilement un pécheur, męme sil est dans la vérité. Cest pourquoi il est dit : Dieu a dit au pécheur : Pourquoi récites-tu mes jugements? 128 Les Juifs pouvaient donc dire : nous ne te croyons pas parce que tu es pécheur.
Cest pourquoi le Christ exclut cette raison en disant : QUI D'ENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE? Autrement dit : vous navez aucune juste raison pour ne pas croire que je dis la vérité, puisquon ne pourrait trouver en moi aucun péché Lui qui na pas commis de faute; et on na pas trouvé de mensonge en sa bouche 129.
Selon Grégoire 130, il faut apprécier ici la mansuétude de Dieu, qui ne refuse pas de démontrer par la raison quil nest pas pécheur, lui qui pouvait justifier les pécheurs par la puissance de sa divinité Si jai dédaigné dentrer en jugement avec mon esclave et ma servante quand ils se prononçaient contre moi... 131
Il faut aussi admirer
lexcellence de la pureté unique du Christ, parce que, comme le dit
Chrysostome aucun homme na pu dire avec une telle assurance : QUI DENTRE
VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE? sinon notre Dieu, qui na pas commis de péché
Qui peut dire : mon cur est pur, je suis pur de tout péché? 133 autrement dit :
personne, sinon Dieu seul - Tous ils se sont égarés, tous ensemble pervertis :
il n'en est pas un qui fasse le bien, honnis un seul 134, cest-ŕ-dire le
Christ.
124. Luc 22, 67.
125. Cf. Jean 14, 6.
126. Jean 3, 12.
127. Isaďe 53, 1.
128. Ps 49, 16.
129. 1 Pe 2, 22; Isaďe 53, 9.
130. XL homiliae in Evangelia, I, hom. 18,
PL 76, col. 1150.
131. Jb 31, 13.
SI JE
DIS LA VÉRITÉ, POURQUOI NE ME CROYEZ-VOUS PAS? CELUI QUI EST DE DIEU ÉCOUTE LES
PAROLES DE DIEU : SI VOUS NÉCOUTEZ PAS, CEST QUE VOUS NĘTES PAS DE DIEU
1256. Il conclut ici ŕ la véritable cause de leur aversion. Il commence par lexposer, avant de repousser lopposition des Juifs [n° 1261].
En exposant la cause de leur aversion, il pose une question [n° 1257]; puis il établit un raisonnement [n° 1258]; enfin, il apporte la conclusion ŕ laquelle il voulait parvenir [n° 1259].
SI JE
DIS LA VÉRITÉ, POURQUOI NE ME CROYEZ-VOUS PAS?
1257. Il commence donc par dire : puisque vous ne pouvez pas prétendre que cest ŕ cause de mon péché que vous ne me croyez pas, il reste maintenant ŕ chercher
POURQUOI, SIJE VOUS DIS LA
VERITE, VOUS NE ME CROYEZ PAS, étant donné que je ne suis pas pécheur.
Autrement dit : si moi, que vous avez en haine, vous ne pouvez me convaincre de
péché, il est manifeste que cest ŕ cause de la vérité que vous me haďssez,
cest-ŕ-dire parce que je dis que je suis le Fils de Dieu L'insensé ne reçoit
pas les paroles de sagesse 135.
132. Il sagit en fait dOrigčne : Comm. sur S. Jean, XX, XXXI,
§ 277, p. 293.
133. Prov. 20, 9.
134. Ps 13, 3.
1258. Le Christ établit
un raisonnement vrai, en disant : CELUI QUI EST DE DIEU ÉCOUTE LES PAROLES DE
DIEU; car, comme il est dit, tout vivant aime son semblable 136; donc, quiconque
provient de Dieu est, en tant que tel, ŕ la ressemblance de tout ce qui est de
Dieu, et y inhčre 137. Cest pourquoi CELUI QUI EST DE DIEU ECOUTE volontiers LES PAROLES DE
DIEU Tout homme qui est de la vérité écoute mes paroles 138. La parole de Dieu
doit ętre écoutée avec amour avant tout par ceux qui sont de Dieu, puisquelle
est la semence par laquelle nous sommes engendrés fils de Dieu Elle a appelé
dieux ceux ŕ qui la parole de Dieu a été adressée 139.
1259. Cest pourquoi il
arrive ŕ la conclusion ŕ laquelle il voulait parvenir : SI VOUS NECOUTEZ PAS,
C'EST QUE VOUS NETES PAS DE DIEU; autrement dit : ce nest donc pas mon péché
qui est cause de votre incrédulité, mais votre méchanceté Que la sagesse est
amčre aux hommes ignorants ! 140 Car, comme le dit Augustin : "Quand il dit : VOUS NETES PAS DE
DIEU, ne considčre pas la nature, mais le vice; certes ils sont de Dieu selon
la nature, mais ils ne sont pas de Dieu par le vice et leur amour dépravé
(...). Cette parole a été adressée non seulement ŕ ceux qui étaient cor rompus
par le péché car cela est commun ŕ tous , mais aussi ŕ ceux dont il savait
davance quils ne croiraient pas, de cette foi qui pouvait les libérer du lien
du péché 141.
135. Prov. 18, 2. Cf. THEOPHYLACTUS,
Enarratio in Evangelium S. Ioannis, in hoc. vers., PG 124, col. 31 B.
136. Sir 13, 9.
137. Inhaeret. Ce terme désigne pour saint Thomas un ordre
naturel nécessaire; ainsi, lintelligence inhčre nécessairement (ex
necessitate) aux premiers principes, et la volonté ŕ la fin ultime, qui est la
béatitude. Le fait dinhérer ŕ quelque chose exprime donc par excellence
lordre de la cause finale sur lintelligence et la volonté. Voir Somme théol.,
I, q. 82, a. 1 et 2; et aussi III Sent., d. 27, q. 1, a. 1, c.
138. Jean 18, 37.
139. Jean 10, 35.
140. Sir 6, 21.
1260. Il faut noter quon peut avoir une volonté mauvaise ŕ trois degrés différents, comme le dit Grégoire 142. Certains en effet dédaignent de recevoir les commandements de Dieu, męme par loreille de leur corps, cest-ŕ-dire par laudition sensible; de ceux-lŕ, il est dit : Comme la vipčre sourde, et qui ferme ses oreilles 143. Dautres les reçoivent bien par loreille du corps, mais ils ne les embrassent daucun désir de lesprit, nayant pas la volonté de les accomplir Ils entendent mes paroles et ne les observent pas 144. Dautres enfin reçoivent de bon gré les paroles de Dieu, ŕ tel point quils en sont touchés jusquaux larmes; mais passé le temps des larmes, accablés de tribulations ou attirés vers les plaisirs, ils reviennent ŕ liniquité; on en a lexemple dans les Evangiles de Matthieu et Luc, ŕ propos de la parole étouffée par les soucis 145 La maison dIsraël ne veut pas técouter parce quils ne veulent pas mécouter 146.
Cest donc le signe que
lhomme est de Dieu, sil écoute avec amour la parole de Dieu; mais ceux qui
refusent de lentendre, dans leur cur ou leurs actes, ne viennent pas de Dieu.
1261. Le Christ repousse ensuite lobjection des Juifs; lEvangéliste expose dabord leur réplique [n° 1262], puis la réfutation du Seigneur [n° 1263].
141. Tract, in Ioann., XLII, 15, p. 372,
11. 2-4 et 16, p. 373, 11. 14-18.
142. XL hom. in Ev., loc. cit.
143. Ps 57, 5.
144. Ez 33, 31.
145. Mt 13, 18; Luc 8, 11.
146. Ez 3, 7.
LES
JUIFS RÉPONDIRENT DONC ET DIRENT : "NAVONS-NOUS PAS RAISON DE DIRE QUE
TUES UN SAMARITAIN ET QUE TU AS UN DÉMON?"
1262. En répliquant au Christ, les Juifs le chargent de deux griefs. Ils lui disent dabord quil est un Samaritain, puis quil a un démon.
NAVONS-NOUS
PAS RAISON DE DIRE...
Par cette parole, lÉvangéliste nous donne ŕ entendre que les Juifs disaient souvent cela au Seigneur, comme un reproche. Certes, pour le second grief, nous lisons dans Matthieu : Cest par Béelzéboul, le prince des démons, quil chasse les démons 147. Mais quils laient traité de Samaritain, on ne le trouve nulle part ailleurs dans les Evangiles, bien quils laient sans doute dit plusieurs fois; car les Evangiles omettent de nous rapporter beaucoup de paroles et dactes dont Jésus a été lauteur ou lobjet, comme on le lit plus loin 148.
QUE
TU ES UN SAMARITAIN...
Les Juifs peuvent avoir dit cette parole au Christ pour deux raisons. Lune est que les Samaritains étaient une nation odieuse au peuple dIsraël du fait que lorsque les dix tribus avaient été emmenées en captivité, ils avaient pris possession de leurs terres 149 Les Juifs en effet n'ont pas de relations avec les Samaritains 150. Parce que donc le Christ attaquait les Juifs, ceux-ci croyaient quil le faisait par haine, et cest pourquoi ils le considéraient comme un Samaritain, presque comme un ennemi.
Une autre raison est que les Samaritains nobservaient quen partie les rites judaďques. Les Juifs, voyant donc le Christ observer la Loi sur tel point et sen détacher sur tel autre, par exemple le sabbat, le traitaient de Samaritain 151.
147. Mt 9, 34 et 12, 24.
148. Jean 20, 25. Cf. THEOPHYLACTU5, Enar. in Ioann., in h. vers.,
col. 31 C.
149. Voir 2 Rs 17, 24.
150. Jean 4, 9. Voir vol. II, n° 573 et 574.
151. Cf. THEOPHYLACTUS, toc cit.
... ET
QUE TU AS UN DÉMON?
De męme, ils disaient quil avait un démon pour une double raison 152. Lune est quils nattribuaient pas ŕ une puissance divine les miracles quil opérait et le fait quil révélait leurs pensées, mais le soupçonnaient de les accomplir par lart et la puissance des démons. Cest pourquoi ils disaient : Cest par Béelzéboul, le prince des démons, quil chasse les démons 153.
Il y a encore une autre raison : les paroles du Christ transcendaient la capacité humaine lorsquil disait, par exemple, que Dieu était son Pčre 154, ou quil était descendu du ciel 155. Or cest une habitude des gens grossiers, quand ils entendent de telles choses, de les compter comme diaboliques; ainsi, ceux-lŕ croyaient que le Christ parlait comme possédé dun démon Beaucoup disaient : il a un démon et il délire, pourquoi lécoutez-vous? D'autres disaient : ces paroles ne sont pas celles dun homme ayant un démon 156.
Les Juifs disent donc ces paroles pour laccuser de péché, sopposant ŕ ce que lui-męme avait dit : QUI DENTRE VOUS ME CONVAINCRA DE PECHE?
JÉSUS
RÉPONDIT : "MOI, JE NAI PAS DE DÉMON; MAIS JHONORE MON PČRE, ET VOUS,
VOUS ME DÉSHONOREZ. OR MOI JE NE CHERCHE PAS MA GLOIRE : IL EN EST UN QUI LA
CHERCHE, ET QUI JUGE. "
1263. Le Seigneur réfute ici la réplique des Juifs. Ils avaient accusé le Christ de deux choses : dętre un Samaritain, et davoir un démon. Il est vrai que le Seigneur ne se disculpe pas ŕ propos de la premičre accusation, et cela pour une double raison.
Selon Origčne 157, cest parce que les Juifs voulaient toujours se séparer des Gentils (Gentilibus); mais déjŕ venait le temps oů la distinction entre juifs et Gentils devait ętre abolie, le temps de les appeler tous ŕ la voie du salut. Et le Seigneur, afin de montrer quil était venu pour le salut de tous, bien plus encore que Paul, sest fait tout ŕ tous pour les sauver tous 158, et cest pourquoi il na pas nié ętre un Samaritain.
Lautre raison, cest que "Samaritain" signifie "gardien"; et comme lui-męme est avant tout notre gardien, selon cette parole du psaume : Voici quune dormira pas ni ne sommeillera, celui qui garde Israël 159, il na pas nié ętre un Samaritain.
Mais il nie avoir un démon :
MOI, JE NAI PAS DE DEMON. Dabord, il rejette linjure quon lui a faite [n° 1264], et met cela en lumičre par une
affirmation opposée [n° 1265];
puis il reprend leffronterie de ceux qui linjurient [n° 1266].
152. Ces deux raisons sont empruntées ŕ Origčne (op. cit., XX, XXXv,
§ 313-314, p. 311).
153. Mt 12, 24.
154. Jean 5, 17. Voir vol. II, n° 741.
155. Jean 3, 13 et 6, 41.
156. Jean 10, 20.
157. Loc. cit., § 316-319, P. 313. Linterprétation appuyée sur
létymologie du nom "Samaritain" lui est aussi reprise.
MOI,
JE NAI PAS DE DÉMON
1264. Il faut noter que le Seigneur, en corrigeant les Juifs, leur a parlé souvent avec dureté; ainsi cette parole : Malheur ŕ vous, Scribes et Pharisiens hypocrites 160, et beaucoup dautres quon lit dans lEvangile de Matthieu. Mais on ne voit pas dans lEvangile que le Seigneur ait parlé injurieusement ou avec dureté aux Juifs qui lui parlaient avec dureté ou qui agissaient grossičrement contre lui; comme le dit Grégoire 161 Dieu, en recevant ce qui latteint injustement, ne répond pas par des paroles outrageantes, mais dit simplement : MOI, JE NAI PAS DE DEMON.
En cela, que nous est-il indiqué, si ce nest quau temps oů nous recevons ŕ tort des injures de ceux qui nous sont les plus proches, nous devons męme taire leurs mauvaises paroles, de peur que le service dune juste correction ne dégénčre en fureur. Il nous est aussi indiqué que nous devons défendre les choses qui touchent ŕ Dieu, mais ne pas nous arręter ŕ celles qui nous touchent.
Mais cette parole, JE NAI PAS
DE DEMON, seul le Christ peut la prononcer, comme le dit Origčne 162; car il na en
lui-męme rien du démon, que ce soit grave ou non. Cest pourquoi il disait : Il
vient le prince de ce monde, et il na rien en moi 163. Quel rapport du
Christ avec Bélial? 164
158. Voir 1 Corinthiens 9, 22.
159. Ps 120, 4.
160. Mt 23, 23.
161. XL hom. in Ev., loc. cit., col. 1151.
1265. Le Christ met ce quil a dit en lumičre par une affirmation opposée, en disant : MAIS JHONORE MON PERE. Car le diable tient tęte en refusant dhonorer Dieu. Qui donc cherche ŕ honorer Dieu est étranger au diable. Donc le Christ, qui honore son Pčre, cest-ŕ-dire Dieu, na pas de démon. Et le propre du Christ, et de lui seul, est dhonorer le Pčre, parce que le fils honore le pčre 165, comme il est dit dans Malachie. Or le Christ est dune maničre unique Fils de Dieu.
ET
VOUS, VOUS ME DÉSHONOREZ. OR MOI JE NE CHERCHE PAS MA GLOIRE : IL EN EST UN QUI
LA CHERCHE, ET QUI JUGE.
1266. Le Christ reprend
ici linsolence de ceux qui linjurient; il commence par reprendre ceux qui
linjurient [n° 1267];
puis il nie la cause quils pourraient invoquer pour lui faire des reproches [n° 1268]; enfin, il leur annonce la
condamnation qui leur est réservée [n° 1269].
1267. Il dit donc
dabord : moi JHONORE MON PČRE, ET VOUS, VOUS ME DESHONOREZ. Autrement dit :
moi, je fais ce que je dois faire; vous, vous ne faites pas ce que vous devez
faire; bien au contraire, en ce que vous me déshonorez, vous déshonorez mon
Pčre Qui nhonore pas le Fils, nhonore pas le Pčre qui la envoyé 166.
1268. Mais ils pourraient dire : Tu es trop dur; tu te soucies trop de ta gloire, et ainsi, tu nous fais des reproches.
Cest pourquoi le Christ, parlant en tant quhomme, ajoute, pour rejeter cela : OR MOI, JE NE CHERCHE PAS MA GLOIRE. Car Dieu est le seul qui puisse chercher sa gloire sans commettre de faute; les autres ne le peuvent pas, si ce nest en Dieu Celui qui se glorifie, quil se glorifie dans le Seigneur 167. Si moi je me glorifie moi-męme, ma gloire n'est rien 168.
Mais le Christ en tant
quhomme na-t-il pas de gloire? Bien au contraire, une grande gloire de toutes
maničres; car bien que lui-męme ne la cherche pas, IL EN EST UN cependant QUI
LA CHERCHE, cest-ŕ-dire le Pčre. Car il est dit : Tu las couronné, le Christ
homme, de gloire et dhonneur 169 et ailleurs : Tu le revęts de gloire et de splendeur 170.
1269. Et non seulement il cherchera ma gloire dans ceux qui mettent en uvre les causes de vertu qui sont greffées en eux 171, mais il punira et condamnera ceux qui sopposent ŕ ma gloire; cest pourquoi le Christ ajoute : ET QUI JUGE.
A cela on objectera ce qui est
dit plus haut : Le Pčre ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils
172. Je
réponds : le Pčre ne juge personne indépendamment du Fils, parce que męme le
jugement quil rendra du fait que vous mavez injurié, il le rendra par le
Fils. Ou bien il faut dire 173 que le mot "jugement" est parfois pris au sens de
condamnation : et ce jugement-lŕ, le Pčre la donné au Fils, parce que lui seul
apparaîtra sous une forme visible au jugement, comme on la dit plus haut 174; Mais parfois le mot
est pris au sens de discernement, et cest de cela quon parle ici. Cest
pourquoi aussi il est dit : Juge-moi, ô Dieu, et discerne ma cause 175; autrement dit :
cest le Pčre qui discerne ma gloire de la vôtre, car il discerne votre gloire,
qui est pour le monde, de celle de son Fils, quil a oint au-dessus de ses
semblables 176, lui qui est sans péché, alors que vous, vous ętes des hommes marqués
par le péché.
162. Op. cit., XX, XXXI, § 335, p. 323. Saint Thomas reprend trčs librement sa remarque.
163. Jean 14, 30.
164. 2 Co 6, 15.
165. Mal 1, 6.
167. 2 Co 10, 17. Saint Thomas précise que la parole quil se
glorifie dans le Seigneur peut ętre interprétée de trois maničres : "ou
bien dans le Seigneur dénote lobjet dont on se glorifie; autrement dit : quil
se glorifie de ce quil possčde le Seigneur en laimant et en le connaissant
Que celui qui se glorifie en cela : me connaître et avoir de lintelligence,
parce que moi je suis le Seigneur, qui fais miséricorde et rends jugement et
justice sur la terre (Jérémie 9, 24). Dune autre maničre, quil se glorifie
dans le Seigneur veut dire quil se glorifie selon Dieu; et ainsi se glorifie
celui qui se glorifie des choses qui sont de Dieu, et non pas de ce qui est
mauvais, comme fait celui dont il est dit dans le psaume : Pourquoi te
glorifies-tu dans la malice? (Ps 51, 3). Dune autre maničre encore, quil se
glorifie dans le Seigneur signifie : quil se glorifie en prenant garde que sa
gloire ne soit en dehors de Dieu, en lui rapportant tout ce qui a contribué ŕ
sa propre gloire Quas-tu que tu n'aies reçu 7(1 Corinthiens 4, 7)" (Ad
2 Cor. lect., X, leç. 3, n° 370).
168. Jean 8, 54.
169. Ps 8, 7.
170. Ps 20, 6.
171. Cette affirmation si dense de saint Thomas demanderait de
longs développements théologiques. Soulignons simplement limage de la greffe,
choisie par de nombreux Pčres de lEglise et déjŕ par saint Paul (Ro 11, 17 ss.),
pour désigner la grâce. Celle-ci, qui est source des trois vertus théologales
(la foi, lespérance et la charité), communique ŕ lhomme la vie męme de Dieu. Parce
que cest la vie męme de Dieu, elle est plus radicale que la vie naturelle de
lhomme : en y coopérant par sa bonne volonté, lhomme permet ŕ la vie divine
de prendre possession, dassumer toutes les dimensions de sa vie humaine. La
charité, premičre des vertus selon un ordre de perfection (voir Somme théol.,
I-II, q. 62, a. 4), qui unit immédiatement lhomme ŕ sa fin surnaturelle, est
alors pour le théologien la forme, la racine et la mčre de toutes les vertus
(Somme théol., II-II, q. 23, a. 8). Comme la grâce nous est communiquée par le
mystčre de la Croix glorieuse du Christ, tout homme uni au Christ comme ŕ sa
source devient le lieu en lequel se manifeste la gloire du Christ (cf. Jean 15,
1-17). Voir aussi ci-dessus, n° 166. Jean 5, 23. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in
Ioann., XLIII, 3, p. 374.
172. Jean 5, 22.
173. Cf. SAINT AUGUSTIN, loc. cit., 9, p. 376.
174. Voir vol. II, n° 763.
175. Ps. 42, 1. "Il y a un jugement de discrétion, cest-ŕ-dire de
séparation ŕ légard des méchants; cest pourquoi le psalmiste ajoute Discerne
ma cause. Cela se réfčre ŕ létat présent; et ainsi, nous demandons ŕ ętre
séparés des méchants; et si ce nest pas dans le lieu, au moins dans la cause. En
effet, il y a beaucoup de choses communes entre eux et nous, parce que le lieu
est le résultat de la fortune; mais la cause non, parce que dans les męmes
choses, les bons et les méchants se comportent tout autrement; dans
ladversité, les bons brillent par la patience, tandis que les méchants fument
dimpatience" (Expos. In Ps., 42, n 1).
176. Cf. Ps 44, 8 et He 1, 8.
51
Amen, amen, je vous le dis : Si quelquun garde ma parole, il ne verra jamais
la mort. Les Juifs dirent donc : "Maintenant, nous avons connu que tu as
un démon. Abraham est mort, et les Prophčtes aussi, et toi tu dis :Si quel
quun garde ma parole, il ne goűtera jamais la mort*. Serais-tu plus grand
que notre pčre Abraham, qui est mort? Et les prophčtes, ils sont morts. Qui te
prétends-tu?" 54 répondit : "Si moi je me glorifie moi-męme, ma
gloire nest rien. Cest mon Pčre qui me glorifie, lui dont vous dites quil
est votre Dieu. 55a Et vous ne lavez pas connu 55b mais moi je lai connu. Et
si je dis que je ne le con nais pas, je serai semblable ŕ vous, un menteur. Mais
je le connais, et je garde sa parole. Abraham votre pčre a exulté de ce quil
verrait mon jour : il la vu, et il a été dans la joie. " Les Juifs lui
dirent donc : "Tu nas pas encore cinquante ans, et tu as vu
Abraham?" 58 leur dit : "Amen, amen, je vous le dis, avant quAbraham
fűt fait, moi je Suis. " Ils ramassčrent donc des pierres pour les lui
jeter, mais Jésus se déroba ŕ leur vue et sortit du Temple.
1270. Plus haut [n° 1146], en disant : Qui me suit ne marche pas dans les ténčbres, mais il aura la lumičre de la vie 1, le Seigneur avait promis deux choses ŕ ceux qui le suivent : quils seraient libérés des ténčbres et quils obtiendraient la vie. On a traité de la libération des ténčbres; il sagit maintenant de montrer comment on obtient la vie grâce au Christ.
Le Christ expose dabord la vérité [n° 1271], avant de rejeter une opposition de la part des Juifs [n° 1272].
I
1271. Il faut savoir que le Christ, bien quil eűt été provoqué par les injures et les opprobres, ne renonça pas ŕ son enseignement; mais aprčs quon eut dit quil avait un démon, il dispensa plus largement encore les bienfaits de sa prédication.
En cela, un exemple nous est donné 2 quand la perversité des méchants grandit, et que ceux qui se convertissent sont foulés aux pieds par les opprobres des hommes, non seulement on ne doit pas interrompre la prédication, mais on doit męme lintensifier Toi donc, fils dhomme, ne les crains pas, et n'aie pas peur de leurs paroles 3. Je souffre jusqu'ŕ porter des chaînes, comme si j'avais mal agi, mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée 4.
AMEN,
AMEN JE VOUS LE DIS : SI QUELQUUN GARDE MA PAROLE, IL NE VERRA JAMAIS LA MORT
Dans ces paroles, le Seigneur fait deux choses : il en réclame une, et promet la seconde.
Il réclame, de fait, que lon observe sa parole : SI QUEL QUUN GARDE MA PAROLE. En effet, la parole du Christ est vérité; cest pourquoi nous devons la garder; en premier lieu par la foi et par une méditation continuelle Garde-la, et elle te gardera 5, ensuite par laccomplissement des uvres Celui qui a mes commandements et qui les garde, cest celui-lŕ qui maime 6.
En second lieu, il promet ŕ ceux qui le suivent quils seront libérés de la mort : IL NE VERRA JAMAIS LA MORT, cest-ŕ-dire, il ne léprouvera pas Ceux qui agissent en moi, dans la sagesse divine, ne pécheront pas, et ceux qui me révčlent auront la vie éternelle 7.
Et il convient quune telle récompense soit due ŕ un tel mérite; car la vie éternelle consiste principalement dans la vision divine La vie éternelle, cest quils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 8; or un certain germe et un commencement de cette vision sont réalisés en nous par la parole du Christ La semence, cest la parole de Dieu 9; ainsi, comme celui qui entoure de soins la semence dune plante ou dun arbre pour quelle ne se corrompe pas parvient ŕ la récolte dun fruit, de męme celui qui garde la parole de Dieu parvient ŕ la vie éternelle L'homme qui aura accompli ces choses vivra en elles 10.
1. Jean 8, 12.
2. Cf. GRÉGOIRE LE GRAND, XL ho, n. in
Ev., I, hom. 18, coI 1151 C.
3. Ez 2, 6.
4. 2 Tm 2, 9.
5. Prov 4, 6.
6. Jean 14, 21.
7. Sir 24, 30-3 1. Cf. SAINT
AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIII, 10, p. 377, 1.
8. Jean 17, 3.
9. Lc8, 11.
10. Lev 18, 5.
II
LES
JUIFS DIRENT DONC : "MAINTENANT NOUS AVONS CONNU QUE TU AS UN DÉMON. ABRAHAM
EST MORT, ET LES PROPHČTES AUSSI, ET TOI TU DIS : SI QUELQUUN GARDE MA PAROLE,
IL NE GOŰTERA JAMAIS LA MORT SERAIS-TU PLUS GRAND QUE NOTRE PČRE ABRAHAM, QUI
EST MORT? ET LES PROPHČTES, ILS SONT MORTS. QUI TE PRÉTENDS-TU?" JÉSUS
RÉPONDIT : "SI MOI JE ME GLORIFIE MOI-MĘME, MA GLOIRE NEST RIEN CEST
MON PČRE QUI ME GLORIFIE, LUI DONT VOUS DITES QUIL EST VOTRE DIEU ET VOUS NE
L'A VEZ PAS CONNU : MAIS MOI JE L'AI CONNU ET SIJE DIS QUE JE NE LE CONNAIS
PAS, JE SERAI SEMBLABLE Ŕ VOUS, UN MENTEUR MAIS JE LE CONNAIS, ET JE GARDE SA
PAROLE. ABRAHAM VOTRE PČRE A EXULTÉ DE CE QUIL VERRAIT MON JOUR : IL LA VU,
ET IL A ÉTÉ DANS LA JOIE. " LES JUIFS LUI DIRENT DONC : "TU
NAS PAS ENCORE CINQUANTE ANS, ET TU AS VU ABRAHAM?" JÉSUS LEUR DIT : "AMEN,
AMEN JE VOUS LE DIS, AVANT QU'IL FUT FAIT, MOI JE SUIS. " ILS
RAMASSERENT DONC DES PIERRES POUR LES LUI JETER, MAIS JÉSUS SE DÉROBA Ŕ LEUR
VUE ET SORTIT DU TEMPLE.
1272. LÉvangéliste expose ici la réfutation par le Seigneur de lopposition des Juifs. Or ils sopposent au Christ de trois maničres : dabord en laccusant de fausseté [n° 1273]; puis en se moquant de lui [n° 1288]; enfin, en le poursuivant [n° 1291].
En traitant du premier point, lEvangéliste montre dabord les Juifs sefforçant de convaincre le Seigneur de présomption, puis le Seigneur répondant ŕ certaines de leurs paroles [n° 1276].
En parlant au Seigneur, les
Juifs lui infligent dabord un affront [n° 1273]; puis ils exposent un fait [n° 1274], avant de linterroger [n° 1275].
1273. Ils lui ont infligé laffront [de laccuser] de mensonge, en disant : MAINTENANT NOUS AVONS CONNU QUE TU AS UN DÉMON. Ils ont dit cela parce quil est connu chez les Juifs que linventeur des péchés, et principalement du mensonge, cest le diable, selon cette parole : Je sortirai, et serai lesprit du mensonge dans la bouche de tous ses prophčtes 11. Et il leur semblait manifeste que ce que le Seigneur avait dit ŕ savoir, SI QUELQUUN GARDE MA PAROLE, IL NE VERRA JAMAIS LA MORT était un mensonge; en effet, selon leurs préoccupations terrestres, ils comprenaient de la mort corporelle ce que le Seigneur avait dit de la mort spirituelle et éternelle; et surtout, la parole du Christ était en contradiction avec lautorité de lEcriture : Quel est lhomme qui vit et ne verra pas la mort, qui arrachera son âme ŕ la main du shéol? 12; cest pourquoi ils lui disent : TU AS UN DEMON; autrement dit, tu prof un mensonge sous linspiration du démon.
ABRAHAM
EST MORT, ET LES PROPHČTES AUSSI, ET TOI TU DIS : SI QUELQUUN GARDE MA PAROLE,
IL NE GOŰTERA JAMAIS LA MORT.
1274. Et pour le convaincre de mensonge, ils présentent dabord le fait de la mort de leurs pčres, avant de répéter les paroles du Christ.
Ils disent donc : Ce que tu dis est vraiment faux, car ABRAHAM, comme tout homme, EST MORT, comme le montre avec évidence le livre de la Genčse 13. De męme, LES PROPHETES sont morts Tous nous mourrons; et nous nous écoulons dans la terre comme des eaux qui ne reviennent pas 14. Mais, bien quils soient vraiment morts corporellement, ils ne le sont cependant pas spirituellement. Le Seigneur dit dans lEvangile de Matthieu : Je suis le Dieu dAbraham, le Dieu dIsaac, le Dieu de Jacob; et il ajoute : Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants 15. Ils sont donc morts dans leur corps, mais ils vivent quant ŕ lesprit, parce quils ont gardé la parole de Dieu, et quils ont vécu par la foi 16. Le Seigneur disait cela en le comprenant de cette mort-lŕ, et non de la mort corporelle.
Les Juifs répčtent la parole du Seigneur en disant : ET TOI TU DIS : SI QUELQUUN GARDE MA PAROLE, IL NE GOŰTERA JAMAIS LA MORT.
Tels des auditeurs dangereux et méchants, brouillant la parole du Seigneur, ils ne répčtent pas exactement les męmes mots. Le Seigneur a dit en effet : IL NE VERRA JAMAIS LA MORT; mais eux : IL NE GOUTERA JAMAIS LA MORT Selon leur maničre de comprendre cette parole, cela revient au męme, parce que dans les deux cas ils comprenaient quil ny aurait JAMAIS dexpérience de LA MORT, cest-ŕ-dire de la mort corporelle. Mais selon la véritable compréhension, il y a, comme le dit Origčne 17, une différence entre voir la mort et la goűter; car voir la mort cest en avoir complčtement lexpérience; tandis que la goűter, cest en avoir un certain goűt, ou y participer de quelque maničre. Et de męme que par rapport ŕ la peine, cest plus de voir la mort que de la goűter, de męme par rapport ŕ la gloire, cest plus de ne pas goűter la mort que de ne pas la voir. En effet, ne la goűtent pas ceux qui sont au ciel avec le Christ, cest-ŕ-dire ceux qui se tiennent et demeurent dans un lieu spirituel; deux, il est dit : Il en est certains qui sont ici qui ne goűteront pas la mort avant davoir vu le Fils de lhomme venant avec son Royaume 18. Il en est dautres cependant qui, tout en ne voyant pas la mort en péchant mortellement, la goűtent cependant par quelque léger attachement aux choses terrestres. Et le Seigneur a dit, comme on le voit dans le texte grec, et comme lexpose aussi Origčne 19 IL NE VERRA pas LA MORT, parce que celui qui aura reçu et gardé la parole du Christ, męme sil goűte quelque chose de la mort, ne la verra cependant pas.
11. 1 Ro. 22, 22.
12. Ps 88, 49.
13. Gn 25, 7-10.
14. 2 Sam 14, 14.
15. Mt 22, 32 (cf. Ex 3, 6).
16. Ro 1, 17 et Ga 3, 11.
17. Comm. sur S. Jean, XX, XLIII, § 402, p. 351.
18. Mt 16, 28.
19. Op. cit., § 402-40.
1275. Ils linterrogent enfin, en disant : SERAIS-TU PLUS GRAND QUE NOTRE PERE ABRAHAM, QUI EST MORT?
Ils cherchent dabord ŕ le comparer ŕ leurs pčres : SERAIS-TU, disent-ils, PLUS GRAND? Comme le dit Chrysostome 20, ils pouvaient, selon leur intelligence soumise ŕ la chair, chercher plus haut encore, ŕ savoir : SERAIS-TU PLUS GRAND que Dieu? Car Abraham et les prophčtes ont gardé les commandements de Dieu, et cependant ils ont connu la mort corporelle. Ainsi donc, si un homme qui aura gardé ta parole ne meurt pas, il semble que tu sois plus grand que Dieu. Cependant, ils se sont contentés de cette réplique parce quils lestimaient plus petit quAbraham, alors quil est écrit dans le psaume : Il nen est pas de semblable ŕ toi parmi les dieux, Seigneur 21; et dans lExode : Qui est semblable ŕ toi parmi les forts, Seigneur? 22 cest-ŕ-dire : personne.
Ils senquičrent ensuite de sa propre appréciation, cest-ŕ-dire quils cherchent ŕ savoir pour qui il se prend : QUI TE PRETENDS-TU? Si tu es plus grand que ceux-lŕ, ŕ savoir Abraham et les prophčtes, il semble quil faille comprendre par lŕ que tu es dune nature supérieure, par exemple un ange, ou bien Dieu. Mais nous ne le pensons pas de toi, et cest pourquoi ils ne disent pas : QUI ES-TU? Mais : QUI TE PRETENDS-TU? parce que tout ce que tu dis, par oů tu les surpasses, ne le reconnaissant pas de toi, nous pensons que tu linventes de toutes pičces. Ils disent la męme chose plus loin : Nous ne te lapidons pas pour une bonne uvre, mais pour un blasphčme, parce que, alors que tu es un homme, tu te fais toi-męme Dieu 23.
20. In loannem hom., 55, 1, col. 302.
21. Ps 85, 8.
22. Ex 15, 11.
23. Jean 10, 33.
JÉSUS
RÉPONDIT : SI MOIJE ME GLORIFIE MOI-MĘME, MA GLOIRE NEST RIEN. CEST MON PČRE
QUI ME GLORIFIE, LUI DONT VOUS DITES QUIL EST VOTRE DIEU ET VOUS NE LAVEZ PAS
CONNU : MAIS MOI JE LAI CONNU ET SIJE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI
SEMBLABLE Ŕ VOUS, UN MENTEUR. MAIS JE LE CONNAIS, ET JE GARDE SA PAROLE.
1276. LÉvangéliste
expose ici la réponse du Seigneur : celui-ci commence par répondre ŕ la seconde
question [des Juifs], en refusant dabord la fausseté dont ils laccusaient [n° 1277], puis en enseignant la vérité
quils ignoraient [n° 1278],
et en explicitant les deux choses sur lesquelles il a attiré lattention. [n° 1280]. Il répondra ensuite ŕ leur
premičre question [n° 1287].
1277. Il dit donc : Vous minterrogez en disant : QUI TE PRÉTENDS-TU? comme si la gloire que je nai pas, je lusurpais pour moi! Mais inutile est le discours de ceux qui me guettent, car je ne me fais pas ce que je suis, mais je lai reçu du Pčre 24; en effet, SI MOI JE ME GLORIFIE MOI-MEME, MA GLOIRE NEST RIEN Cela peut ętre compris du Christ en tant quil est le Fils de Dieu; en ce sens, il dit avec précision : SI MOI, cest-ŕ-dire moi seul, JE ME GLORIFIE MOI MEME, cest-ŕ-dire si je mattribue une gloire que le Pčre ne me donne pas, MA GLOIRE NEST RIEN; car la gloire du Christ en tant quil est Dieu, cest la gloire du Verbe et du Fils de Dieu; or le Fils na rien en dehors du fait quil est né, cest-ŕ-dire en dehors de ce quil a reçu en naissant dun autre : si donc il se trouvait par impossible que sa gloire ne soit pas dun autre, elle ne serait pas la gloire du Fils.
Il semble cependant meilleur [de penser] que cela est dit du Christ en tant quhomme. En effet, si quelquun sattribue une gloire quil ne tient pas de Dieu, cette gloire est fausse; car tout ce qui est de la vérité est de Dieu; et ce qui est le contraire de la vérité est faux, et par conséquent nest rien. Donc, la gloire qui nest pas de Dieu nest rien. Il est dit du Christ dans lépître aux Hébreux quil ne s'est pas glorifié lui-męme en se faisant grand prętre 25. Ce nest pas celui qui se recommande lui-męme qui est un homme éprouvé, mais cest celui que Dieu recommande 26.
Ainsi est prouvée la fourberie des Juifs.
24. Cf. ORIGČNE, Comm. sur S. Jean, XX, XLIV, § 419, p. 359.
25. He 5, 5.
26. 2 Co 10, 18.
1278. Le Christ expose la vérité quil a lintention denseigner en disant : CEST MON PERE QUI ME GLORIFIE, LUI DONT VOUS DITES QU'IL EST VOTRE DIEU Autrement dit : moi je ne me glorifie pas moi-męme, comme vous le prétendez; mais il est autre celui qui me glorifie, ŕ savoir MON PERE. Il le décrit ici par sa propriété et par sa nature 27.
Par sa propriété, qui est la paternité; cest pourquoi il dit CEST MON PERE, et non moi.
Utilisant cette parole, les Ariens, comme le note Augustin 28, accusent abusivement notre foi en disant que le Pčre est plus grand que le Fils; car celui qui glorifie est plus grand que celui qui est glorifié par lui. Si donc le Pčre glorifie le Fils, le Pčre est plus grand que le Fils.
Il faut dire que cet argument aurait quelque vraisemblance, si on ne lisait ŕ linverse que le Fils glorifie (glorificare) le Pčre; le Fils dit en effet : Pčre, lheure est venue, glorifie (clarifica) ton Fils, pour que ton Fils te glorifie 29. Et plus loin, dans le męme chapitre : Moi je tai glorifié (clarifica) sur la terre 30. Or glorificare et clarificare rendent en latin un seul et męme mot grec; et selon Ambroise, "la gloire (gloria) est une connaissance lumineuse (clara) accompagnée de louange" 31.
C'EST
MON PČRE QUI ME GLORIFIE
Cette parole peut se rapporter au Christ, et en tant quil est Fils de Dieu, et en tant quil est Fils de lhomme.
En tant quil est Fils de Dieu, le Pčre le glorifie de la gloire de la divinité, en lengendrant égal ŕ lui-męme de toute éternité Splendeur de sa gloire et effigie de sa substance Que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur ŕ la gloire de Dieu le Pčre 33.
Mais en tant quhomme, il a eu la gloire par une surabondance en lui de la divinité, une surabondance de grâce et de gloire unique Nous avons vu sa gloire, gloire quil tient de son Pčre comme Fils unique, plein de grâce et de vérité 34.
27. Comprenons bien ce langage de saint Thomas. Il prend ici
"propriété" dans un sens trčs large; entre le Pčre et le Fils, il y a
une relation mutuelle, qui est comme une propriété de la divinité. Le Pčre se
distingue alors du Fils par sa paternité. On peut donc dire dune certaine
maničre que la paternité est comme sa propriété.
28. Tract, in Ioann., XLIII, 14, p. ; saint Augustin leur répond
aussitôt par largument que saint Thomas reprend ci-dessous.
29. Jean 17, 1.
30. Jean 17, 4.
31. Voir Somme théol., I-II, q. 2, a. 3. Il sagit en fait de
saint Augustin qui reprend par deux fois cette définition dans son commentaire
du quatričme Evangile (C, 1, p. 588, II, 32-33; CV, 3, p. 605, 11. 24-25),
identifiant gloria et claritas. Il se réfčre lui-męme aux "anciens et trčs
célčbres auteurs". Le Thesaurus donne Cicéron, De linvention, 1. 11, 55,
éd. Garnier, § 166, p. 263.
1279. Il le décrit ensuite par la nature de la divinité, quand il dit : LUI DONT VOUS DITES QUIL EST VOTRE DIEU Pour quon ne pense pas que le Pčre est autre que Dieu, il dit quil est glorifié par Dieu Maintenant, le Fils de lhomme a été glorifié et Dieu a été glorifié en lui. Si Dieu a été glorifié en lui Dieu aussi le glorifiera en lui-męme 35.
Selon Augustin 36, cette parole soppose aux Manichéens, qui disent que le Pčre du Christ na pas été annoncé dans lAncien Testament, mais quil est lun des chefs des mauvais anges. Or il est établi que les Juifs ne disent pas que leur Dieu est un autre que le Dieu de lAncien Testament. Donc, le Dieu de lAncien Testament est le Pčre du Christ qui le glorifie.
32. He 1, 3. Saint Thomas commente ainsi la premičre partie de
ce ver set : "Selon Ambroise,la gloire est une connaissance lumineuse
accompagnée de louange*, comme une certaine connaissance manifeste que lon a
de la bonté de quelquun. Mais comme il est dit que personne nest bon, si ce
nest Dieu (Mt 19, 17; Luc 18, 19), Dieu est la bonté par antonomase, et par
essence, tandis que les autres réalités sont bonnes par participation; ainsi, ŕ
Dieu seul convient la gloire par antonomase Ma gloire, je ne la donnerai pas
ŕ un autre (Isaďe 42, 8). Au roi des sičcles, immortel, invisible, au seul
Dieu, honneur et gloire (1 Tm 1, 17). Donc, la connaissance de la bonté divine,
dune maničre excellente et par antonomase, est dite gloire, cest la
"connaissance lumineuse accompagnée de louange" de la bonté divine. Lhomme
possčde en quelque façon (aliqualiter) cette connaissance Mainte nant, je le
connais en partie (1 Corinthiens 13, 12); elle est possédée par les anges dune
maničre plus excellente, mais elle ne lest dune maničre par faite que par
Dieu seul. Dieu, en effet, personne ne la jamais vu (Jean 1, 18); cela est
vrai : les anges eux-męmes ne le voient pas de maničre ŕ le comprendre, mais
lui seul se comprend lui-męme. Donc, seule la connaissance que Dieu a de
lui-męme peut ętre parfaitement appelée gloire, parce quil possčde une
connaissance parfaite et trčs lumineuse de lui-męme.
La splendeur est ce qui est émis en premier lieu par ce qui est
éclatant, et la sagesse est quelque chose déclatant La sagesse de lhomme
resplendit sur son visage (Qo 8, 1). Gest pourquoi la premičre conception de
la sagesse est comme une splendeur. Donc, le Verbe du Pčre, qui est un fruit
conçu de son intelligence, est la splendeur de sa Sagesse par laquelle il se
connaît. Et cest pourquoi lApôtre appelle le Fils la splendeur de sa gloire,
cest-ŕ-dire la splendeur de la connaissance divine pleine de lumičre. En cela,
il montre quil nest pas seulement sage, mais la Sagesse engendrée A cause
de Sion, je ne me tairai pas, et ŕ cause de Jérusalem je n'aurai de cesse,
jusqu ce que son juste ne sorte comme une splendeur, et que son sauveur ne
brűle comme une lampe (Isaďe 62, 1)" (Ad Hebraeos lect., I, leç. 2, n° 26).
33. Phi 2, 11.
ET
VOUS NE LAVEZ PAS CONNU : MAIS MOI JE LAI CONNU ET SI JE DISAIS QUE JE NE LE
CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE Ŕ VOUS, UN MENTEUR. MAIS JE LE CONNAIS, ET JE
GARDE SA PAROLE.
1280. Le Christ explicite ici la fourberie des Juifs, et sa vérité ŕ lui. Il le fait de deux façons : dabord en montrant lignorance des Juifs [n° 1281], puis en montrant sa propre connaissance [n° 1283].
ET
VOUS NE L'AVEZ PAS CONNU
1281. A propos de
lignorance des Juifs, il faut savoir quils auraient pu dire : Toi, tu dis que
tu es glorifié par notre Dieu; mais ses jugements nous sont connus, selon ce
que dit le psaume : Il n'a pas fait ainsi pour toutes les nations, et vos
jugements, il ne les leur a pas manifestés 37. Donc, si ce que tu
dis était vrai, nous le saurions de toute façon : comme cela nous est caché, il
est établi que ce nest pas vrai. Cest pourquoi le Christ dit en concluant :
ET VOUS NE LAVEZ PAS CONNU; autrement dit : il nest pas étonnant que vous
nayez pas reconnu la gloire dont me glorifie mon Pčre, que vous dites votre
Dieu, puisque vous ne le connaissez pas lui-męme.
1282. Mais nest-il pas dit : Dieu est connu en Judée 38. Ŕ cela il faut répondre quils le connaissent comme Dieu, mais non comme Pčre; cest pourquoi le Christ a dit plus haut : CEST MON PERE QUI ME GLORIFIE. Ou bien il faut dire : vous ne lavez pas connu par une volonté aimante, parce que vous honorez dune maničre charnelle celui qui doit ętre honoré dune maničre spirituelle Dieu est esprit, et ceux qui adorent doivent adorer en esprit et en vérité 39. De męme, vous ne le connaissez pas dune maničre effective, parce que vous méprisez daccomplir ses commandements Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renient par leurs actes 40.
35. Jean 13, 31.
36. Op. cit., XLIII, 15, p. 379, 11. 5-15.
37. Ps 147, 20.
34. Jean 1, 14; voir vol. I, n° 179 ss.
1283. Mais ils auraient pu dire : soit, nous ne connais sons pas ta gloire, mais comment connais-tu que tu tiens ta gloire de Dieu le Pčre? Le Christ poursuit donc en montrant sa propre connaissance, lorsquil dit : MAIS MOI JE L'AI CONNU ET SI JE DIS QUEJE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE Ŕ VOUS, UN MENTEUR. MAIS JE LE CONNAIS, ET JE GARDE SA PAROLE.
Le Christ expose dabord sa
connaissance [n° 1284],
puis la nécessité de laffirmer [n° 1285];
enfin il explicite ce quil dit [n° 1286].
1284. Il dit donc : Je
sais que je tiens la gloire de Dieu le Pčre, parce que MOI JE LAI CONNU,
cest-ŕ-dire de cette connaissance dont il se connaît lui-męme, et que nul
autre na en dehors du Fils Personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Pčre,
et personne ne connaît le Pčre si ce n'est le Fils, cest-ŕ-dire dune
connaissance de parfaite compréhension. Et parce que tout ce qui est imparfait
tient son commencement de ce qui est parfait, de lŕ vient que toute notre
connaissance est dérivée du Verbe; cest pourquoi on lit ensuite : et celui ŕ
qui le Fils veut le révéler 41.
1285. Mais parce que ceux qui jugent selon la chair pourraient considérer comme une arrogance, de la part du Christ, de dire quil connaît Dieu, il poursuit en montrant la nécessité de sa parole : ET SI JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR.
Car selon Augustin 42, il ne convient pas que, pour éviter larrogance, on abandonne la vérité et on tombe dans le mensonge. Cest pourquoi le Christ dit : SI JE DIS... autrement dit : comme vous, vous mentez quand vous dites que vous le connaissez, ainsi moi, SIJE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, alors que je le connais, JE SERAI SEMBLABLE A VOUS, UN MENTEUR. Cette similitude provient dune attitude contraire puisquelle serait une similitude dans le mensonge : de męme que ceux-ci mentent en disant quils con naissent celui quils ignorent, ainsi le Christ serait un menteur en disant ignorer celui quil connaît. Mais il y a une différence dans cette connaissance, parce que ceux-lŕ ne le connaissent pas, alors que le Christ le connaît parfaitement 43.
ET SI
JE DIS QUE JE NE LE CONNAIS PAS, JE SERAI SEMBLABLE Ŕ VOUS, UN MENTEUR.
Mais le Christ aurait-il pu sexprimer de la sorte? Certes, il aurait pu en exprimer matériellement les paroles, mais il naurait pu avoir lintention dexprimer quelque chose de faux; ceci en effet naurait pu se faire que par une inclination de la volonté du Christ vers le faux, ce qui était impossible, comme il lui était impossible de pécher. Cependant, la conditionnelle reste vraie, bien que lantécédent et le conséquent soient impossibles 44.
38. Ps 75, 2. Cf. n° 1161 et note 35.
39. Jean 4, 24; voir vol. II, n° 611.
40. Ti 1, 16.
41. Mt 11, 27.
1286. Quil connaisse le Pčre, il lexplicite en ajoutant : MAIS JE LE CONNAIS ETJE GARDE SA PAROLE.
[Je le connais] dune connaissance spéculative : JE LE CONNAIS intellectuellement, de la connaissance quon a dite 45; LE, cest-ŕ-dire le Pčre. De męme, [je le connais] dune connaissance affective, cest-ŕ-dire par une harmonie de ma volonté avec lui : ET JE GARDE SA PAROLE. Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui ma envoyé 46.
42. Depuis le début du paragraphe : op. cit., XLIII, 15, p. 379,
11. 15-20.
43. Saint Thomas joue ici sur deux mots latins : cognoscere et
scire; voir n°1161 et la note 36.
44. Voir ch. VII, n° 1063 et 1064.
ABRAHAM
VOTRE PČRE A EXULTÉ DE CE QUIL VERRAIT MON JOUR : IL LA VU, ET IL A ÉTÉ DANS
LA JOIE.
1287. Le Christ répond ici ŕ la premičre question que lui avait posée les Juifs, ŕ savoir : SERAIS-TU PLUS GRAND QUE NOTRE PERE ABRAHAM, QUI EST MORT?
Il montre quil est plus grand pour cette raison [qu'Abraham sest réjoui]. En effet, quiconque attend de quelquun du bien, et sa perfection, est plus petit que celui dont il les attend; or Abraham a eu en moi toute lespérance de sa perfection et de son bien : il est donc plus petit que moi. Cest pourquoi le Christ dit : ABRAHAM VOTRE PERE, au sujet duquel vous vous glorifiez, A EXULTE DE CE QUIL VERRAIT MON JOUR : IL LA VU, ET IL A ETE DANS LA JOIE. Le Christ parle dune double vision et dune double joie, mais dans un ordre différent.
Il mentionne dabord la joie de lexultation : A EXULTE, et il ajoute la vision en disant : DE CE QUIL VERRAIT. Ensuite, il met en premier lieu la vision : IL LA VU, et il ajoute la joie : ET IL A ETE DANS LA JOIE.
Ainsi, la joie demeure entre deux visions, procédant de lune et tendant vers lautre; autrement dit : IL L'A VU, ET IL A ETE DANS LA JOIE, et IL A EXULTE, cest-ŕ-dire il sest réjoui, DE CE QUIL VERRAIT MON JOUR.
Il faut donc voir dabord quel est ce jour quil a vu, et ŕ la pensée duquel il a exulté. Or le jour du Christ est double : celui de léternité, dont il est question dans le psaume : Moi aujourdhui, je tai engendré 47; et le jour de lIncarnation et de lhumanité, dont il est question plus loin : il me faut travailler aux uvres de celui qui ma envoyé, tant qu'il fait jour 48. La nuit est passée, le jour est venu 49. Nous disons donc de lune et lautre maničre quAbraham a dabord vu par la foi le jour du Christ, cest-ŕ-dire celui de léternité et celui de lIncarnation Abraham crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice 50.
Quil ait vu le jour de léternité, cela est manifeste; autrement, il naurait pas été justifié par Dieu, parce que, comme le dit lépître aux Hébreux, il faut que celui qui sapproche de Dieu croie qu'il existe 51.
Quil ait vu le jour de lIncarnation, cela nous est révélé par trois choses : dabord par le serment quil exigea de son serviteur, car il dit au serviteur quil envoyait : Place ta main sous ma cuisse, et jure par le Dieu du ciel 52; comme le dit Augustin 53, en cela nous était signifié que le Dieu du ciel sortirait de sa cuisse. Ensuite, comme le dit Grégoire 54, lorsquil donna lhospitalité ŕ trois anges, figures de la Trčs Sainte Trinité 55. Enfin, quand il connut en préfiguration la Passion du Christ, dans le sacrifice dun bélier et dIsaac 56.
Ainsi donc, IL A ÉTÉ DANS LA JOIE de cette vision; mais il ne sest pas reposé en elle; bien au contraire, ŕ partir de celle-ci IL A EXULTE en entrant dans une autre vision, ŕ savoir la vision sans obstacle et claire 57, plaçant en elle toute sa joie. Cest pourquoi le Christ dit : IL A EXULTE DE CE QUIL VERRAIT, par une vision claire, MON JOUR, celui de ma divinité et de mon humanité Beaucoup de rois et de prophčtes ont voulu voir ce que vous voyez et ne lont pas vu 58.
45. Le texte latin est : sed scio eum; voir n° 1285 et note 43.
46. Jean 6, 38.
47. Ps 2, 7. "Moi, aujourdhui, je tai
engendré, cest-ŕ-dire éternellement; en effet, ce n est pas une génération
nouvelle, mais éternelle, et cest pourquoi le psalmiste dit aujourdhui : ce
mot signifie le temps présent, et ce qui est éternel est toujours. Il dit aussi
je t'ai engendré, et non pasje tengendre', pour désigner la perfection de la
génération : en effet, puisque cette génération est sans mouvement, en męme
temps il est engendré et il a été engendré. Il dit encore aujourdhui pour
désigner léternel présent et léclat qui conviennent au Christ, qui habite une
lumičre inaccessible (1 Tm 6, 16), et qui est vraiment, en qui il ny a ni
passé, ni futur, ni rien dobscur, mais la clarté lumineuse" (Exp os. in
Ps., 2, n° 5).
48. Jean 9, 4.
49. Ro 13, 12. Saint Thomas, en commentant ce verset, nous dit
que lon peut comparer ŕ la nuit "tout
le temps de la vie présente, ŕ cause des ténčbres de lignorance dans
lesquelles la vie présente souffre avec peine"; ou encore "létat
de la faute, ŕ cause des ténčbres de la faute"; ou enfin "les
temps précédant lIncarnation du Christ, parce quelle nétait pas encore
manifeste, mais comme sous la ténčbre"; et ainsi, le jour signifie "létat
de la béatitude future, ŕ cause de léclat lumineux de Dieu dont les saints
sont illuminés", ou "létat de grâce, ŕ cause de la lumičre de
lintelligence spirituelle, que les justes possčdent, mais qui fait défaut aux
impies ", ou enfin "le temps ŕ partir de lincarnation du
Christ, ŕ cause de la puissance du soleil spirituel dans le monde" (Ad
Rom. lect., XIII, leç. 3, n° 1066-1068).
50. Gn 15, 6. Cf. SAINT AUGUSTIN Tract,
in Ioann., XLIII, 16, p. 380, 11. 11-19.
51. He 11, 6.
52. Gn 24, 2-3.
53. Loc. cit., 11. 27-38.
54. XL hum, in Ev., I, hom. 18, col. 1152
A.
LES
JUIFS LUI DIRENT DONC : TU NAS PAS ENCORE CINQUANTE ANS, ET TU AS VU ABRAHAM?
JÉSUS LEUR DIT : AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, AVANT QUABRAHAM FŰT FAIT, MOI JE
SUIS.
1288. LÉvangéliste montre ici comment les Juifs tournent en dérision les paroles du Christ.
Il montre dabord comment les
Juifs se moquent des paroles du Christ de maničre ŕ le confondre [n° 1289], puis comment le Christ explicite
ces paroles pour que leur moquerie porte ŕ faux [n° 1290].
1289. Parce que donc le Christ avait dit : ABRAHAM VOTRE PERE A EXULTE DE CE QUIL VERRAIT MON JOUR, les Juifs, ayant des esprits soumis ŕ la chair et ne considérant que lâge physique 59, tournent sa parole en dérision et disent : TU NAS PAS ENCORE CINQUANTE ANS; bien sűr, il nen avait ni cinquante, ni męme quarante : il avait environ trente ans Et Jésus, lors de ses débuts, avait environ trente ans 60.
Ils disent : TU NAS PAS
ENCORE CINQUANTE ANS, peut-ętre parce que chez les Juifs lannée jubilaire
était tenue en trčs grande révérence : on comptait tout ŕ partir delle; et
cétait lannée pendant laquelle on relâchait les captifs et on cédait les
biens quon avait acquis 61. Cette parole revient donc ŕ dire : tu nas pas encore dépassé lespace
dun jubilé, et TU AS VU ABRAHAM! bien que le Seigneur neűt pas dit avoir vu
Abraham, mais "quAbraham avait vu son jour".
55. Voir Gn 18.
56. Voir Gn 22. Cette troisičme référence est donnée par
Chrysostome, in loannem hom., 55, ch. 2, col. 304; on peut sans doute
rapprocher, ŕ loccasion de cette remarque, les deux expressions : mon jour et
mon heure, celle-ci désignant dans la pensée du Christ, lheure de la Croix.
57. Apertam et perspeciem; cf. n° 1145 etia note 23.
58. Luc 10, 24.
59. Cf. GRÉGOIRE LE GRAND, loc. cit.
1290. Cest pourquoi le Seigneur, en répondant aux Juifs, explique ses paroles, pour ne pas donner prise ŕ leur moquerie : AMEN, AMEN JE VOUS LE DIS, AVANT QU'ABRAHAM FUT FAIT, MOI JE SUIS.
Le Seigneur dit ŕ son propre sujet deux choses remarquables, qui sont efficaces contre lhérésie des Ariens. Lune, comme le dit Grégoire 62, est que sa parole unit un temps passé et un temps présent : AVANT signifie en effet le passé, et JE SUIS est au temps présent. Ainsi, pour montrer quil est éternel, et pour révéler que son ętre est ętre déternité, il ne dit pas : "Avant Abraham, moi je fus 63, mais : AVANT ABRAHAM, MOI JE SUIS; car lętre éternel ne con naît pas le passé et le futur, mais inclut tout temps dans un [instant] indivisible. Cest pourquoi il peut ętre dit : Celui qui est ma envoyé vers vous, et Je suis celui qui suis 63. Avant donc ou aprčs Abraham il a eu lętre, lui qui put entrer dans le monde par la manifestation du présent et sen retirer par le cours de la vie.
Lautre chose, selon Augustin 64, cest quen parlant dAbraham, qui est une créature, il na pas dit : avant quAbraham fűt, mais : AVANT QUABRAHAM FUT FAIT; alors que, parlant de lui-męme, pour montrer quil na pas été fait, comme une créature, mais quil est engendré de toute éternité de lessence du Pčre, il ne dit pas : Moi je suis fait, mais MOI JE SUIS, lui qui dans le Principe était le Verbe 65 Avant toutes les collines, le Seigneur ma engendré 66.
60. Luc 3, 23.
61. Cf. THEOPHYLACTUS Enarratio in Ev. S.
Ioannis, in h. loc., PG 124, col. 38 D-39 A.
62. Lac. cit., col. 1152 B.
63. Ex 3, 14.
64. Tract, in Ioann., XLIII, 18, p. 381.
ILS
RAMASSČRENT DONC DES PIERRES POUR LES LUI JETER, MAIS JÉSUS SE DÉROBA Ŕ LEUR
VUE ET SORTIT DU TEMPLE.
1291. LÉvangéliste expose ici la tentative [d'homicide] des Juifs contre le Christ; il montre dabord les Juifs poursuivant le Christ, puis la fuite de celui-ci [n° 1292].
Si les Juifs poursuivent le Christ, cela vient de ce quils ne croient pas. Car les esprits de ceux qui ne croient pas, nayant pas la force de supporter des paroles déternité, ni de les comprendre, les considčrent comme des blasphčmes; et cest pourquoi, selon le commandement de la Loi 67, voulant le lapider comme blasphémateur, ILS RAMASSERENT DES PIERRES POUR LES LUI JETER 68. Et comme le dit Augustin 69, une telle dureté de pierre, oů courrait-elle si ce nest vers des pierres? Nous ne te lapidons pas pour une bonne uvre, mais pour un blasphčme 70. Ils font la męme chose, ceux qui, ne comprenant pas ŕ cause de la dureté de leur cur la vérité apportée par ceux qui en ont lexpérience, blasphčment celui qui la proclame doů ce qui est écrit dans lépître canonique de Jude : Ils blasphčment tout ce quils ignorent 71.
1292. La fuite du Christ procčde de sa puissance : JESUS SE DEROBA A LEUR VUE ET SORTIT DU TEMPLE, lui qui, sil avait voulu exercer la puissance de sa divinité dans ses actes, les aurait liés, ou les aurait précipités dans les peines dune mort subite 72.
MAIS IL SE DÉROBA Ŕ LEUR VUE spécialement pour deux raisons; dabord pour donner ŕ ceux qui reçoivent sa parole lexemple quil faut éviter ses persécuteurs Lorsquon vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre 73. Ensuite, parce quil navait pas choisi ce genre de mort, mais voulut plutôt ętre immolé sur lautel de la Croix 74; et parce que le temps nétait pas encore accompli, il senfuit encore. Ainsi donc, en tant quhomme il fuit leurs pierres 75. Cependant il ne se cache pas sous une pierre ou dans quelque coin, mais, se rendant invisible ŕ leurs yeux par la puissance de sa divinité, il SORTIT et séloigna DU TEMPLE 76. Il fit de męme lorsquils voulurent le précipiter du haut dune montagne 77. En cela, comme le dit Grégoire, il nous est donné ŕ comprendre que la vérité elle-męme est cachée ŕ ceux qui tiennent pour négligeable de suivre ses paroles. Le fait est que la vérité fuit lesprit quelle ne trouve pas humble Lui qui cache sa face ŕ la maison de Jacob... 78
De męme aussi, il SE DEROBA A LEUR VUE ET SORTIT DU TEMPLE parce quil devait les laisser, eux qui ne recevaient pas une correction de sa part, ni la vérité, et quil devait aller vers les nations Votre maison vous sera laissée déserte 79.
65. Jean 1, 1.
66. Prov 8, 25.
67. Voir Lev 24, 16.
68. Cf. GREGOIRE LE GRAND, loc. cit., col. 1152 C.
69. Loc. cit 1. 5.
70. Jean 10, 33.
71. Jude 10.
72. Cf. GRÉGOIRE LE GRAND, loc. cit.
73. Mt 10, 23. Cf. GRÉGOIRE LE GRAND, loc. cit. Voir ci-dessus,
n° 1207.
74. "In ara crucis voluit immolari"; voir ch. VII, n°
1096 et la note 55.
75. Cf. SAINT AUGUSTIN, loc. cit., 1. 14.
76. Cf. THEOPHYLACTUS, Enarr. in Ev. S. b.,
in h. loc., col. 39 B.
77. Voir Luc 4, 29.
78. Isaďe 8, 17. Loc. cit., col. 1153 B.
79. Mt 23, 38.
1293. Aprčs avoir montré la puissance illuminative de son enseignement par la parole 1, le Seigneur confirme maintenant cette puissance par un acte, en donnant la lumičre du corps 2 ŕ un aveugle. Dans cette illumination de laveugle nous est montrée dabord linfirmité [n° 1294], puis sa guérison [n° 1309], puis la discussion des Juifs au sujet de cette guérison [n° 1312].
LINFIRMITÉ
DE LAVEUGLE ET EN PASSANT, JÉSUS VIT UN HOMME AVEUGLE DEPUIS SA NAISSANCE. ET
SES DISCIPLES LINTERROGČRENT : "RABBI, QUI A PÉCHÉ, LUI OU SES
PARENTS, POUR QUIL SOIT NÉ AVEUGLE?" JÉSUS RÉPONDIT : "NI LUI
NA PÉCHÉ, NI SES PARENTS, MAIS CEST POUR QUE SOIENT MANIFESTÉES EN LUI LES UVRES
DE DIEU. IL ME FAUT TRAVAILLER AUX UVRES DE CELUI QUI MA ENVOYÉ AUSSI
LONGTEMPS QUIL FAIT JOUR. LA NUIT VIENT, OŮ PERSONNE NE PEUT TRAVAILLER. AUSSI
LONGTEMPS QUE JE SUIS DANS LE MONDE, JE SUIS LA LUMIČRE DU MONDE. "
En ce qui concerne linfirmité, on commence par lexposer [n° 1294], puis on en cherche la cause [n° 1295].
I
1294. Au sujet du premier point, il faut savoir que Jésus, se cachant et séloignant du Temple, vit en passant cet aveugle. Cest ce que dit lEvangéliste ET EN PASSANT, JÉSUS VIT UN HOMME AVEUGLE DEPUIS SA NAISSANCE. Trois choses sont ŕ considérer ici 3. Jésus passait dabord afin de se dérober ŕ la fureur des Juifs Nattise pas les braises des pécheurs en les reprenant, et tu ne seras pas dévoré par la flamme du feu de ces pécheurs 4. Ensuite pour adoucir la dureté des Juifs, provoquée par le miracle accompli et par celui qui allait ętre fait Si je n'avais pas fait parmi eux des uvres que personne dautre n'a faites, ils n'auraient pas de péché 1. Enfin pour confirmer ses paroles par laccomplissement dun signe. En effet, les actes du Seigneur produisent la foi ŕ ce qui a été dit par lui 2 Et ceux-ci partirent pręcher partout, le Seigneur coopérant et confirmant la parole par les signes qui laccompagnaient 3.
1. Voir n° 1118 s.
2. Cf. Mt 6, 22 La lampe du corps, cest lil. Si ton il est
sain, tout ton corps sera lumineux.
3. Saint Thomas reprend ici trois idées contenues dans le
commentaire de saint Jean Chrysostome (In loannem homiliae, LVI, 1, PG 59, col.
305).
4. Si. 8, 13.
Au sens mystique, selon
Augustin, "cest le genre humain qui est cet aveugle", car le
péché est une cécité spirituelle Leur malice les a aveuglés 4. Et cet aveugle est bien aveugle depuis sa naissance, parce quil
traîne le péché depuis son origine 5. En effet par le péché cette cécité a frappé le premier homme, dont
nous avons tous tiré notre origine. "Vous étiez par nature,"
cest-ŕ-dire par lorigine naturelle, fils de la colčre
II
ET
SES DISCIPLES LINTERROGČRENT : "RABBI, QUI A PÉCHÉ, LUI OU SES PA
RENTS, POUR QUIL SOIT NÉ AVEUGLE?"
1295. Par ces paroles,
lÉvangéliste aborde la cause de linfirmité. Dabord cette cause est
recherchée par les disciples [n°
1296], puis elle est manifestée par le Christ [n° 1298].
1296. En ce qui concerne la cause de linfirmité, trois choses sont ŕ chercher. Dabord la cause [qui a poussé] les disciples ŕ interroger le Christ. Selon Chrysostome cest que Jésus, sortant du Temple et voyant cet aveugle, le regarda avec une trčs grande attention, comme sil trouvait en lui matičre ŕ exercer sa puissance; si bien que les disciples, le voyant regarder attentivement laveugle, furent poussés ŕ linterroger.
Ensuite, lattention empressée des disciples : RABBI, disent-ils, appelant Jésus "Maître" pour lui montrer comment ils cherchent : avec le désir dapprendre 8.
Enfin, pourquoi, cherchant la cause du péché, ils disent : QUI A PÉCHÉ?
Selon Chrysostome 9 on doit dire que, puisque le Seigneur, lorsquil avait guéri le paralytique, lui avait dit : Voilŕ que tu as été guéri, va et ne pčche plus 10, les disciples en avaient conclu que cétait ŕ cause du péché que cette infirmité lui était arrivée, estimant dune maničre générale que toute infirmité humaine provient du péché, selon ce que dit Eliphaz : Un innocent a-t-il jamais péri 11? Voilŕ pourquoi ils cherchaient sil était né aveugle ŕ cause de son péché ou de celui de ses parents. Mais il ne semble pas que ce soit ŕ cause de son péché : personne, en effet, ne pčche avant de naître; puisque les âmes nont pas existé avant les corps, elles nont pas non plus péché, comme certains lont faussement cru, selon ce passage de lépître aux Romains : Alors quils n'étaient pas encore nés et n'avaient rien accompli ni de bien ni de mal, pour que demeure le dessein de Dieu selon son choix [qui ne dépend] pas des uvres, mais de celui qui appelle, il lui fut dit : L'aîné servira le plus jeune 12. Il ne semble pas non plus quil ait subi cela ŕ cause du péché de ses parents, puisquil est dit dans le Deutéronome Les pčres ne mourront pas pour les fils, ni les fils pour les parents 1.
1. Jn 15, 24.
2. A la suite de saint Augustin, saint Thomas distingue croire,
croire č, croire en. Voir
n 485, note 2.
3. Mc 16, 20.
4. Sg 2, 21.
5. Tractatus in Iohannis evangelium,
xLIv, 1, BA 7311, p. 11-13.
6. Ep 2, 3 (cf. SAINT AUGUSTIN,
Tractatus in Iohannis evangelium, XLIV, 1, BA 73", p. 11-13). Saint Thomas précise que, en disant par nature s, saint Paul ne
parle pas de la nature comme telle, s qui, comme telle, est bonne et est de
Dieu, mais de la nature en tant quelle est viciée [par le péché originel] s
(Ad Eph. lect., II, n° 83).
7. In loannem hom., LVI, 1, PG 59, col. 305.
8. Cf. sA AUGUST1N, Tract, in Ioann., XLIV,
3, BA 7311, p. 17.
9. Cf. saint JEAN CHRYSOSTOME, In
loannem hom., LVI, 1, PG 59, col. 306.
10. Au grabataire de Bézatha Jésus dit simplement : Désormais ne pčche plus (5, 14). Le va que cite ici saint Thomas
est une réminiscence de ce que Jésus dit ŕ la femme adultčre : Va et désormais
ne pčche plus (8, 11).
11. Jb 4,7.
12. Rm 9, 11-13. Saint Thomas commente "Selon son
choix," cest-ŕ-dire en tant que cest Dieu lui-męme qui, de sa propre
volonté, choisit un homme de préférence ŕ un autre, non parce quil était saint
mais pour quil le soit, comme le dit lépître aux Ephésiens (1, 4) : "Il
nous a élus en lui avant la création du monde, pour que nous soyons saints... "
(Ad Rom. leci., IX, n°759.)
Mais il faut savoir que les hommes peuvent ętre punis de deux maničres. Dune peine spirituelle, touchant lâme, ou dune peine corporelle, touchant le corps. De la peine spirituelle, le fils nest jamais puni pour son pčre. La raison en est donnée en Ezéchiel : lâme du fils nest pas tirée du pčre mais vient de Dieu. Toutes les âmes, dit-il, sont ŕ moi par la création; lâme du fils aussi bien que lâme du pčre est ŕ moi; lâme qui aura péché, cest elle qui sera punie 2. Augustin le dit aussi dans une de ses lettres ŕ Auxilius 3. Mais de la peine corporelle, le fils est puni pour le pčre puisque, quant ŕ son corps, il est quelque chose du pčre 4. On trouve cela explicitement dans le livre de la Genčse 5, oů les fils des Sodomites sont tués pour le péché de leurs parents dans la destruction de Sodome. Et męme, bien des fois, le Seigneur a menacé les Juifs du meurtre de leurs enfants ŕ cause des péchés des parents.
l. Dt 24, 16.
2. Ez 18, 4.
3. Ad Auxilium, PL 33, col. 1066.
4. Comme le remarquait saine
Albert le Grand, le pčre a quelque chose de lui dans son fils. "Le pčre est plus intime ŕ son fils que le fils nest
intime â son pčre, parce que le pčre a quelque chose de lui dans son fils,
tandis que le fils na rien de lui dans son pčre" (In Matth., VI, 9,
Opera omnia [n° 20, p. 247-248). "Le fils, dira saint Thomas en
commentant Mt 10, 37, est une partie séparée du pčre, alors que le pčre
nest pas partie du fils", et cest pourquoi le pčre aime plus son fils
que le fils naime son pčre, car s tout homme saime plus lui-męme quun autre.
(Sup. Matth. lect., n°890).
5. Cf. Gn 19.
QUI A
PÉCHÉ, LUI OU SES PARENTS?
1297. Pourquoi, lun péchant, lautre est-il puni? Il faut savoir ici que la peine comprend deux aspects : le dommage et le remčde. En effet, on coupe parfois un membre pour que le corps tout entier soit conservé; une telle peine produit un dommage pour autant que le membre est coupé, mais elle porte remčde en tant quelle conserve le corps. Jamais, cependant, le médecin ne coupe un membre plus noble pour la conservation dun moins noble, mais il fait linverse. Or, parmi les réalités humaines, lâme est plus noble que le corps, et le corps plus noble que les réalités extérieures. Cest pourquoi il narrive jamais que quelquun, ŕ cause du corps, soit puni dans son âme, mais il est plutôt puni dans son corps pour la guérison de son âme. Ainsi, Dieu inflige parfois des peines touchant les corps ou les réalités extérieures en vue du bien de lâme; de telles peines ne sont pas alors envoyées pour le seul dommage quelles causent, mais comme remčde, pour purifier. Cest pourquoi la mort męme des enfants des Sodomites fut pour le bien de leur âme non certes pour quils acquičrent un mérite [par cette peine], mais de peur que, imitant la malice de leurs parents par une vie oů ils accumuleraient les péchés, ils ne soient punis plus atrocement. Il arrive męme que, ŕ cause des péchés de leurs parents, certains soient punis plusieurs fois.
JÉSUS
RÉPONDIT : "NI LUI NA PÉCHÉ, NI SES PARENTS, MAIS CEST POUR QUE
SOIENT MANIFESTÉES EN LUI LES UVRES DE DIEU. "
1298. Le Seigneur
manifeste ici la cause de linfirmité. Il exclut dabord la cause conjecturée [n° 1299], puis
lui substitue la vraie [n°
1300], et ensuite manifeste celle-ci [n° 1303].
1299. Il exclut la cause conjecturée en répondant NI LUI NA PÉCHÉ, NI SES PARENTS. Telle est en effet la cause de linfirmité, selon lopinion des disciples, comme on la dit.
Mais lépître aux Romains affirme le contraire : Tous en effet ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu. Et plus loin dans la męme épître, il est dit que le péché, dAdam, est passé en tous 2.
La solution est la suivante :
tant laveugle que ses parents étaient sous lemprise du péché originel et, en
plus, ils lui avaient surajouté, en vivant, des péchés actuels; car si nous
disons que nous navons pas de péché, nous nous trompons nous-męmes et la
vérité nest pas en nous 3. NI LUI NA PÉCHÉ, NI
SES PARENTS, doit ętre compris en ce sens : ils nont pas péché de telle sorte
que celui-ci soit né aveugle; autrement dit, sa cécité nest pas la conséquence
de leur péché.
1300. Le Seigneur donne ensuite la vraie cause en disant : MAIS CEST POUR QUE SOIENT MANIFESTÉES EN LUI LES UVRES DE DIEU. Cest en effet par les uvres de Dieu que nous sommes conduits ŕ le connaître Les réalités invisibles de Dieu, saisies par lintelligence depuis la création du monde par le moyen de celles qui ont été faites, se laissent voir 4. Plus haut, il est dit : Les uvres que le Pčre ma données pour que je les accomplisse, ces uvres męmes que je fais témoignent ŕ mon sujet que cest le Pčre qui ma envoyé 5. Or la connaissance de Dieu est le bien souverain de lhomme, puisquen elle consiste la béatitude de lhomme Telle est la vie éternelle : quils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 6 Celui qui se glorifie, quil se glorifie en ceci : me connaître et maimer 7. Si donc une infirmité est arrivée ŕ cet homme POUR QUE SOIENT MANIFESTÉES EN LUI LES UVRES DE DIEU et que, par leur manifestation, il soit conduit ŕ la connaissance de Dieu, il est manifeste que de telles infirmités corporelles arrivent en vue du bien.
POUR
QUE SOIENT MANIFESTÉES EN LUI LES UVRES DE DIEU.
1301. Il pourrait sembler ŕ certains 8 que la manifestation des uvres de Dieu nest pas une cause suffisante dune telle infirmité, dautant plus que ni laveugle ni ses parents navaient péché; et cest pourquoi ils soutiennent que lexpression POUR QUE nest pas employée dans un sens causal. Le sens serait alors : celui étant aveugle, les uvres de Dieu qui le guérit sont manifestées.
Mais cette interprétation
nest pas juste; il vaut donc mieux dire que lexpression POUR QUE est employée
dans un sens causal. Il existe en effet un double mal : le mal de faute et le
mal de peine 9. Mais Dieu ne fait pas
le mal de faute, il permet seulement quil arrive, ce quil ne permettrait pas
sil navait lintention den tirer quelque bien. Pour cette raison, Augustin
dit dans lEnchiridion 10 "Dieu est
si bon quil ne permettrait jamais quun mal se produise sil nétait assez
puissant pour tirer un bien de nimporte quel mal." Ainsi donc, il permet, ŕ partir de lintention du bien quil a en vue,
que certains péchés soient faits 11, comme il permet que
sévissent les tyrans pour couronner les martyrs. A bien plus forte raison
doit-on dire que le mal de peine que Dieu lui-męme fait selon ce que dit Amos
: Y aura-t-il un mal dans une cité, que le Seigneur Dieu nait accompli 1 , il ny soumet jamais lhomme si ce nest en vue du bien. Et parmi
les autres biens, le meilleur est QUE LES UVRES DE DIEU SOIENT MANIFESTÉES, et
quŕ partir delles Dieu se fasse connaître. Il nest donc pas inconvenant
quil envoie certaines épreuves ou permette que certains péchés soient faits,
afin quil en résulte un bien.
1. Rm 3, 23. Saint Thomas explicite e Ont besoin de la gloire de
Dieu, cest-ŕ-dire de la justification qui tourne ŕ la gloire de Dieu. Ce nest
pas ŕ lui-męme que lhomme doit attribuer cette gloire Non pas ŕ nous,
Seigneur, non pas ŕ nous, mais ŕ ton nom donne la gloire (Pi 113 lB], 1).
Rendez gloire ŕ Dieu (Pi 65, 2; en réalité : "Rendez gloire ŕ sa louange. " (Ad Rom. lect., III, n°305).
2. Cf. Rm 5, 12.
3. 1 Jn 1, 8.
4. Rm 1, 20.
5. Jn 5, 36.
6. Jn 17, 3.
7. Jr 9, 24.
8. Cest lopinion de saint Jean Chrysostome (In loannem hom.,
LVI, PG 59, col. 307).
9. Sur cette distinction entre mal de peine et mal de faute, cf.
Somme théologique, I, q. 48, a. 5 et 6; De malo, q. 1, a. 4 et 5. Le mal de
faute est un acte qui manque de son ordre vers la fin : la faute consiste ŕ ne
pas tenir compte de cet ordre vers la fin; formellement, elle est un désordre,
un s manque dordre*. Le mal de peine est ce que le législateur impose comme
châtiment ŕ une faute commise.
10. Manuel, III, 1 et XXVI, 100; BA 9, p. 119 et 285.
11. Saint Thomas veut montrer par lŕ comment Dieu qui, selon son
intention, ne peut vouloir que le bien, peut cependant permettre que les hommes
soient capables de pécher ceci pour respecter leur liberté. Cette permission
ne pas, de la part de Dieu, un manque de bonté, parce quelle est dépassée,
enveloppée par son intention du bien, qui transcende infiniment laction
pécheresse de lhomme.
1302. Il faut savoir que, au dire de Grégoire dans les Morales 2, Dieu envoie des épreuves aux hommes de cinq maničres.
Parfois comme commencement de la damnation, selon cette parole de Jérémie. Dune double brisure brise-les 3. Et le pécheur est frappé de cette épreuve en cette vie de telle sorte quil soit puni sans retour ni fin en lautre. Ainsi Hérode, qui a tué Jacques 4, a été puni en cette vie et de męme dans lautre 5.
Parfois, lépreuve est envoyée comme correction. Cest de celle-ci que parle le psaume : Ta discipline [tes leçons] ma corrigé jusquŕ la fin, et cest encore ta discipline elle-męme qui m'instruira 6. Et Isaďe : Dans la tribulation du murmure [il y avait] pour eux ton enseignement 7.
Parfois, quelquun est éprouvé non pas pour ętre corrigé de fautes passées mais pour ętre préservé de fautes futures, comme on le lit au sujet de Paul dans la seconde épître aux Corinthiens : Afin que la grandeur des révélations ne m'exalte pas, il ma été donné une écharde dans ma chair, un ange de Satan qui me soufflette 8.
1. Am 3,6.
2. Morales sur Job, Préface, chap. 5, SC 32, 12, p. 133-134.
3. Jr 17, 18.
4. Cf. Ac 12,2.
5. Cf. Ac 12, 23 Mais soudain, un ange du Seigneur le frappa,
parce quil n'avait pas rendu gloire ŕ Dieu; et, dévoré plsr les vers, il
expira.
6. Ps 17, 36.
7. Is 26, 16.
Parfois aussi lépreuve est envoyée pour faire éclater la puissance divine 9, cest-ŕ-dire : quand il ny a en quelquun ni faute passée ŕ corriger, ni faute future ŕ empęcher, et quun salut inopiné fait suite ŕ la persécution, la puissance de celui qui sauve éclate et il en est aimé plus ardemment La puissance se déploie dans la faiblesse 10 La patience porte un fruit parfait 11.
Mais parfois cest pour la manifestation de la gloire divine, et cest pourquoi il est dit ici : MAIS CEST POUR QUE SOIENT MANIFESTÉES EN LUI LES UVRES DE DIEU.
IL ME
FAUT TRAVAILLER AUX UVRES DE CELUI QUI MA ENVOYÉ AUSSI LONGTEMPS QUIL FAIT
JOUR.
1303. En disant ensuite
ces paroles, le Seigneur met en lumičre la vraie cause quil a dévoilée; et
puisquil avait fait mention des uvres de Dieu, il établit dabord lopportunité
de manifester les uvres de Dieu [n°
1304], puis il donne la raison de lopportunité ou de la
nécessité [n° 1307]. Enfin il explicite cette raison [n° 1308].
8. 2 Co 12, 7. En commentant ce verset, saint Thomas note que s
parfois Dieu permet que ses élus soient, par quelque chose qui vient deux
infirmité, ou déficience, ou męme parfois péché mortel empęchés datteindre
un bien [qui pourrait ętre matičre ŕ orgueil], afin que par lŕ ils soient
humiliés car ils ne peuvent en tirer orgueil, et que lhomme ainsi humilié
reconnaisse quil ne peut pas tenir debout par ses propres forces. Ainsi, parce
quil avait ample matičre ŕ senorgueillir, ŕ la fois dans lélection spéciale
dont Dieu lavait favorisé dans la connaissance quil avait des secrets de Dieu
dans son courage ŕ endurer des maux divers dans lintégrité de sa virginité
dans sa constance ŕ faire le bien et spécialement dans la science
extraordinaire par laquelle il se signale, cette science qui enfle dune
maničre spéciale (cf. 1 Corinthiens 8, 1), Dieu lui s appliqué un remčde afin
quil ne texalte pas [et ne tombe pas] dans lorgueil" (Ad 2 Cor. lect.,
XII, n° 473).
9. Saint Grégoire employait ces termes : ut sola divinae
virtutis potentia... monstrerur (Morales sur Job, Préface, chap. 5, SC 32, 12,
p. 134).
10. 2 Co 12, 9. "Etonnante maničre de parler", note
saint Thomas; autant dire que s le feu grandit dans leau s. Prise
matériellement, cette affirmation signifie que s la faiblesse est une matičre
sur laquelle sexerce la vertu s; mais elle peut avoir aussi un sens
occasionnel, et signifie alors que la faiblesse s est loccasion de parvenir ŕ
une vertu parfaite parce que lhomme, se sachant faible, est davantage incité ŕ
résister et, du fait quil résiste et lutte davantage, est plus entraîné et par
conséquent est rendu plus fort s (Ad 2 Cor. lect., XII, n° 479).
11. Jc 1,4.
1304. Il dit donc il est
né aveugle POUR QUE SOIENT MANIFESTÉES EN LUI LES UVRES DE DIEU, uvres qui
devaient ętre manifestées. En effet, IL ME FAUT TRAVAILLER AUX UVRES DE CELUI
QUI MA ENVOYÉ. Cela peut se rapporter soit au Christ selon quil est homme, et
le sens est alors IL ME FAUT TRAVAILLER AUX UVRES DE CELUI QUI MA ENVOYÉ,
cest-ŕ-dire aux uvres qui mont été confiées par le Pčre Les uvres que le
Pčre ma données pour que je les accomplisse, ces uvres męmes témoignent ŕ mon
sujet 1. Et il dit au Pčre : Jai
achevé luvre que tu mas donnée ŕ faire 2. Soit au Christ selon quil est Dieu, et il montre ainsi légalité de
sa puissance avec celle du Pčre. Le sens est alors : IL ME FAUT TRAVAILLER AUX UVRES
DE CELUI QUI MA ENVOYÉ, cest-ŕ-dire faire des uvres égales ŕ celles que le
Pčre fait Tout ce que fait fie [le Pčre], le Fils aussi le fait pareillement 3, et pour montrer lautorité du Pčre, IL ME FAUT TRAVAILLER AUX UVRES
DE CELUI QUI MA ENVOYÉ, cest-ŕ-dire aux uvres que je tiens du Pčre 4. Car toutes les choses que fait le Fils, męme selon la nature divine,
il les tient du Pčre 5 le Fils ne peut
rien faire de lui-męme, si ce n'est ce quil a vu faire au Pčre 6.
1. Jn 5, 36.
2. Jn 17,4.
3. Jn5, 19.
4. En quelques mots, saint Thomas
reprend cette explication de saint Jean Chrysostome : "Il faut que je me manifeste moi-męme et que je fasse des uvres
qui puissent montrer que e fais les męmes choses que le Pčre, non les męmes uvres,
mais les uvres męmes du Pčre, pour employer une expression signifiant la plus
grande similitude ŕ dire quelles nont pas la moindre dissemblance avec celles
du Pčre. "
(In loannem hom., LVI, 2, PG 59, col. 308).
5. Omnia enIIn quae Filius facit f.. J, habet a Patre. Comme saint Thomas aime ŕ le dire, "tout
ce qua le Fils, il le tient du Pčre " (Ad Haebr. lect., n 333; cf. Contra
Gentiles IV, chap. 25 et bien dautres lieux). Et "tout ce qua le Pčre, il
le reçoit" (Comm. sur saint Jean, n° 1971), car "il reçoit toute la
substance du Pčre" (n° 2108 et 2115). "le Pčre est lui-męme tout ce
qui est dans le Christ lui-męme", (n° 2110).
1305. IL FAUT, dis-je, AUSSI LONGTEMPS QUIL FAIT JOUR... Le jour matériel est causé par la présence du soleil sur la terre. Or le soleil de justice est le Christ notre Dieu Pour vous qui craignez mon nom, se lčvera le soleil de justice, avec la guérison sous ses ailes 7. Donc, aussi longtemps que ce soleil nous est présent, les uvres de Dieu peuvent saccomplir en nous, ŕ notre égard et par nous. Or il nous fut présent ŕ un certain moment dune présence corporelle : cétait alors le jour Voici le jour que fit le Seigneur, exultons et réjouissons-nous en lui 8. Voilŕ pourquoi il faut travailler aux uvres de Dieu. Il nous est aussi présent par la grâce, et cest alors le jour de la grâce, cest-ŕ-dire celui oů il faut travailler aux uvres de Dieu, AUSSI LONGTEMPS QUIL FAIT JOUR La nuit est avancée et le jour s'est approché. Rejetons donc les uvres des ténčbres et revętons les armes de lumičre 9 Ceux qui dorment, dorment la nuit. Mais vous, frčres, vous nętes pas dans les ténčbres, de sorte que ce jour vous surprenne comme un voleur 10.
AUSSI
LONGTEMPS QUIL FAIT JOUR.
1306. Mais il faut savoir que si la présence du soleil fait le jour, et son absence la nuit, pour le soleil lui-męme cest toujours le jour, puisquil est toujours présent ŕ lui-męme; et ainsi, pour le soleil, cest toujours temps duvrer et de luire. Mais pour nous, ŕ qui il est parfois présent et parfois absent, il nuvre ni ne luit toujours. De la męme maničre pour le Christ, soleil de justice, cest toujours le jour et le temps dagir, mais pas pour nous parce que nous ne sommes pas toujours capables d'accueillir sa grâce, ŕ cause dobstacles venant de nous 1.
6. Jn 5, 19.
7. Ml 4, 2.
8. Ps 117, 24.
9. Rm 13, 12. Ce verset peut se comprendre de plusieurs
maničres, note saint Thomas. La nuit peut représenter "le temps de la vie
présente", "ŕ cause des ténčbres de lignorance qui appesantissent la
vie présente. " le Jour représente alors s létat de la béatitude future,
ŕ cause de la clarté de Dieu qui illumine les saints (cf. Is 60, 19) s. Mais la
nuit peut représenter aussi "létat de faute", et le jour
"létat de grâce, ŕ cause de la lumičre spirituelle de lintelligence,
quont les justes et qui manque aux impies". Enfin la nuit peut désigner s
le temps qui a précédé lIncarnation du Christ, parce quelle nétait pas
encore manifestée : elle était cachée dans la ténčbre"; et le jour désigne
alors "le temps [qui sécoule] depuis lIncarnation du Christ, ŕ cause de
la puissance du Soleil spirituel dans le monde. " (Ad Rom. lect., XIII, n°
1066-1068).
10. 1 Th 5, 7 et 4. Saint Thomas assemble ici le début du verset
7 et celui du verset 4.
LA
NUIT VIENT, OŮ PERSONNE NE PEUT TRAVAILLER.
1307. Le Christ introduit ici la raison de lopportunité susdite. De męme que le jour est de deux sortes, de męme la nuit peut ętre dite en deux sens. Lune de ces nuits consiste dans la disparition corporelle du soleil de justice, comme les Apôtres en ont fait lexpérience : lorsque la présence corporelle du Christ leur fut retirée au temps de la Passion, ils furent troublés Tous vous serez scandalisés ŕ mon sujet en cette nuit 2. Alors ce ne fut plus le temps dagir, mais de pâtir.
Mais il vaut mieux dire que, męme lorsque le Christ fut absent corporellement par lAscension, cétait le jour pour les Apôtres, dans la mesure oů le soleil de justice les illuminait, et cétait donc aussi le temps dagir. Cest pourquoi il faut entendre ce que dit ici le Christ de la nuit qui est réalisée par la séparation spirituelle davec le soleil de justice, cest-ŕ-dire le retrait de la grâce. Cette nuit elle-męme est double : lune vient du retrait de la grâce actuelle quentraîne le péché mortel Ceux qui dorment, dorment la nuit. Et quand vient cette nuit, nul ne peut accomplir les uvres méritoires de la vie éternelle. Lautre nuit est consommée quand on est privé non seulement de la grâce actuelle par le péché mortel, mais męme de la faculté de se repentir, par la damnation éternelle en enfer oů la nuit est profonde. Cette nuit qui sera pour ceux dont il est dit : Allez, maudits, au feu éternel 4 et aussi : Jetez-les dans les ténčbres extérieures 5. Alors nul ne peut uvrer, parce quil nest plus temps de mériter mais de recevoir selon ses mérites. Donc, tant que tu vis, agis comme on agira pour toi. Cest pourquoi il est dit au livre de lEcclésiaste Tout ce que peut faire ta main, accomplis-le dans linstant : car il ny aura ni uvre, ni raison, ni sagesse, ni science aux enfers vers lesquels tu te hâtes 6.
1. Quand il commentera lev. 39 du chap. 12 Cest pourquoi ils ne
pouvaient pas croire, saint Thomas, pour montrer que la cause de laveuglement
vient de lhomme lui-męme et non de Dieu, prendra lexemple de lhomme qui est
privé de la lumičre du soleil simplement parce quil a fermé les volets de sa
maison.
2. Mt 26, 31.
AUSSI
LONGTEMPS QUE JE SUIS DANS LE MONDE, JE SUIS LA LUMIERE DU MONDE.
1308. Le Seigneur explicite ici la raison de son affirmation comme sil disait : Si vous voulez savoir quel est le jour et quelle est la nuit dont je parle, moi, vous dis-je, JE SUIS LA LUMIČRE DU MONDE. En effet ma présence produit le jour et mon absence, la nuit : Moi, je suis la lumičre du monde 7. AUSSI LONGTEMPS QUE JE SUIS DANS LE MONDE, corporellement par ma présence Je suis sorti du Pčre et je suis venu dans le monde. De nouveau je quitte le monde et je vais vers le Pčre 8 JE SUIS LA LUMIČRE DU MONDE : cest pourquoi ce jour a duré jusquŕ lAscension du Christ. De męme, AUSSI LONGTEMPS QUE JE SUIS DANS LE MONDE, spirituellement par la grâce Voici que je suis avec vous jusqu'ŕ la consommation des sičcles 1, JE SUIS LA LUMIČRE DU MONDE. Cest pourquoi ce jour sétendra jusquŕ la consommation des sičcles 2.
3. 1 Th 5, 7.
4. Mt 25, 41.
5. Mt 22, 13. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract,
in Ioann., XLIV, 6, BA 73", p. 23.
6. Qo 9, 10.
7. Jn 8, 12.
8. Jn 16, 28.
LORSQUIL
EUT DIT CELA, IL CRACHA PAR TERRE, ET FIT DE LA BOUE AVEC SA SALIVE : ET IL
ÉTALA LA BOUE SUR SES YEUX, ET IL LUI DIT : "VA, LAVE-TOI DANS LA
PISCINE DE SILOÉ", CE QUI SIGNIFIE "ENVOYE". IL ALLA
DONC, ET SE LAVA; ET IL REVINT VOYANT.
1309. LÉvangéliste traite ici de la guérison de laveugle, ŕ laquelle concourent, selon un ordre, cinq actes du Christ. Dabord le fait de cracher : IL CRACHA PAR TERRE; puis la préparation de la boue : ET FIT DE LA BOUE AVEC SA SALIVE; ensuite le fait denduire les yeux.
ET IL ÉTALA LA BOUE SUR LES
YEUX DE LAVÉUGLE; puis lordre de se laver : VA, dit-il, LAVE-TOI DANS LA
PISCINE DE SILOÉ; et enfin le recouvrement de la vue, ET IL REVINT VOYANT
CLAIR. Chacune de ces actions a une cause littérale et une cause mystique.
1310. Ces actions ont une cause littérale, selon Chrysostome 3, de la maničre suivante. Le Seigneur illumine par la salive pour montrer quil accomplissait cela par une puissance émanant de lui, et pour que lon nattribue le miracle ŕ aucune autre réalité Une puissance sortait de lui et les guérissait tous 4. En effet, bien que le Seigneur eűt pu accomplir tous les miracles par sa seule parole, puisquil a dit, et [les réalités] ont été faites 5, fréquemment, cependant, il fait dans les miracles usage de son corps, pour manifester que, en tant quil est instrument vivant 6 de la divinité, il a part ŕ une certaine puissance de salut.
1. M 28, 20.
2. Dans ce paragraphe, et en particulier ŕ la derničre phrase,
saint Thomas reprend un développement de saint Augustin (Tract in In., XLIV, 6,
BA 73*, p. 23).
3. In loannem hom., LVII, 1, PG 59, col.
311.
4. Lc 6, 19.
Si le Christ fit de la boue avec sa salive, cest pour montrer quil pouvait former les organes défaillants dun homme, lui qui avait formé tout entier le premier l. Cest pourquoi, de męme que le premier homme fut formé ŕ partir de la boue, de męme il fit de la boue pour que, ŕ partir delle, les yeux de laveugle-né soient formés.
Sil étala la boue sur les yeux de laveugle, cest pour montrer, par ce qui, dans les corps, est le plus important, quil est lui-męme lauteur des corps. Lhomme, en effet, parmi les créatures corporelles, est la plus excellente; et parmi les membres de lhomme, la tęte est le plus éminent et, parmi les organes de la tęte, lil se trouve ętre le plus excellent La lampe de ton corps, cest ton il 7. Donc, en formant lil plus excellent que les autres réalités corporelles, le Seigneur montre quil est le Créateur de tout lhomme et de toute la nature corporelle. Et il dit ŕ laveugle : VA, LAVE-TOI DANS LA PISCINE DE SILOÉ, pour quil ne semble pas que la terre, appliquée sur les yeux, ait sur eux une vertu curative. Pour cette raison, aussi longtemps quil eut la boue sur les yeux, il ne vit pas, mais seulement aprčs sętre lavé.
5. Ps 148, 5.
6. s Instrument vivant s traduit le mot organum.
7. Mt 6, 22. Cf. n° 1293, note 2.
Sil lenvoya se laver loin [du lieu oů il était] ŕ la piscine de Siloé , cest en premier lieu pour abattre la dureté des Juifs. En effet, il lui fallait traverser la cité; ainsi tous le verraient aller aveugle, avec la boue sur les yeux, et le verraient revenir ayant recouvré la vue. Cest ensuite pour faire valoir lobéissance et la foi de laveugle 1. Peut-ętre, en effet, avait-il souvent reçu de la boue sur le visage, et sétait-il souvent lavé ŕ la piscine de Siloé, et cependant, il navait pas vu. De lŕ vient quil aurait pu dire : "La boue a plutôt coutume daveugler, et bien des fois je me suis lavé au męme endroit, et je nen ai été aidé en rien", comme on le lit au sujet de Naaman dans le livre des Rois 2. Mais il na pas contredit; bien au contraire il a obéi purement et simplement. Cest pourquoi il est dit : IL ALLA ET SE LAVA. Et la raison pour laquelle le Christ lenvoie ŕ la piscine DE SILOÉ est que le peuple des Juifs est désigné par cette eau : Ce peuple [les Assyriens] a rejeté les eaux de Siloé qui coulent en silence 3. Donc, pour montrer quil nest pas étranger ŕ lamour du peuple juif, il lenvoie ŕ Siloé.
1. Si on est attentif ŕ linterprétation de saint Thomas, on
comprend que Jésus veut que laveugle coopčre ŕ ce miracle par son obéissance. Ce
ne sera que lorsquil aura obéi, cest-ŕ-dire quil se sera lavé les yeux,
quil verra. Il y aurait un parallélisme ŕ faire entre lobéissance de cet
aveugle et celle des serviteurs ŕ Cana, ainsi quavec loffrande des cinq pains
et deux poissons (chap. 6). Jésus demande toujours une coopération, quand elle
peut se faire. Quand elle ne le peut pas, il supplée (cest le cas pour
linfirme ŕ la piscine de Bézatha). Par lŕ on comprend comment toute la vie
apostolique de Jésus nous introduit dans la grande obéissance de la Croix (Ph
2, 8) qui est notre sagesse (1 Corinthiens 1, 17-31). Ce nest pas la
souffrance comme telle qui fait la grandeur de la Croix et la victoire de
lamour, cest lobéissance acceptant cette souffrance, obéissance par laquelle
lamour est victorieux de tout mal. En ce qui nous concerne, lobéissance est
notre maničre de permettre ŕ lamour divin dętre victorieux.
2. Cf. 2 R 5, 10.
3. Is 8, 6. Siloé est une fontaine qui naît aux pieds du mont
Sion, et dont les eaux, selon les heures, bouillonnent ou sécoulent dune
maničre égale. De lŕ vient quelles signifient les rois de Juda, qui furent
tantôt bons et puissants, tantôt mauvais et faibles, et qui cependant régnčrent
légitimement et dans le calme en comparaison des rois dIsraël, qui
contraignaient tout le peuple [ŕ rendre un culte) aux idoles " (Exp. super
Isaďam, 8, 6, p. 62, 1. 207-2 14).
Leffet sensuit : IL REVINT
VOYANT CLAIR. Cela avait été annoncé en Isaďe : Il ouvrira les yeux des
aveugles 4.
1311. La cause mystique et allégorique est donnée par Augustin 5 par le crachat, qui est la salive descendant de la tęte, est désigné le Verbe de Dieu, qui procčde du Pčre, tęte de toutes les réalités Moi, je suis sorti de la bouche du Trčs-Haut 6. Le Seigneur a donc fait de la boue ŕ partir du crachat et de la terre quand le Verbe sest fait chair. IL ÉTALA LA BOUE SUR LES YEUX DE LAVEUGLE, cest-ŕ-dire du genre humain, les yeux étant ceux du cur par la foi ŕ lIncarnation du Christ. Mais il ne voyait pas encore; parce que peut-ętre 7, quand le Christ la oint, il a fait le catéchumčne, qui a la foi mais nest pas encore baptisé. Et cest pourquoi il lenvoie ŕ la piscine appelée Siloé pour quil soit lavé et illuminé, cest-ŕ-dire quil soit baptisé et quil reçoive dans le baptęme la pleine illumination 8. De lŕ vient, selon Denys, que le baptęme est appelé illumination Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés de toutes vos souillures 9. Et cest pourquoi il est significatif que cet évangile soit lu, dans lEglise romaine, le jour du caręme oů commence le scrutin de ceux qui seront baptisés le Samedi saint. Ce nest pas non plus sans raison que lEvangéliste ajoute linterprétation du nom de la piscine en disant : CE QUI SIGNIFIE "ENVOYÉ". Car quiconque est baptisé doit ętre baptisé dans le Christ qui est envoyé par le Pčre Vous tous qui avez été baptisés, vous avez revętu le Christ 10. Si, en effet, il navait pas été envoyé, aucun dentre nous ne serait libre de son iniquité.
4. Is 35, 5.
5. Tract, in Ioann., XUV, 2, BA
73", p. 13-15.
6. Si 24, 5.
7. Sur le sens de ce s peut-ętre s qui est de saint Augustin,
voir Tract, in Ioann., XLIV, 2, BA13", p. 15 et la note 25.
8. La hiérarchie ecclésiastique, II, 1; PG 3, col. 392 (titre) uvres
complčtes, p. 252. Lidée que le baptęme est une s illumination s remonte aux
origines męmes du christianisme puisque cest, de lavis général, le sens de He
6, 4 Ceux qui ont été une fois illuminés, qui ont goűté au don céleste, qui
sont devenus participants de lEsprit-Saint...
9. Ez 36, 25.
10. Gs 3, 27.
Selon Grégoire 1, la salive signifie ici la saveur de la contemplation la plus intérieure, qui découle de la tęte vers la bouche; car, alors que nous sommes encore établis en cette vie, elle touche, par le goűt de la Révélation, ŕ la charité du Créateur. Cest pourquoi le Seigneur a męlé sa salive ŕ la boue 2 et il a restauré les yeux de laveugle-né, parce que la grâce den haut irradie notre réflexion charnelle en y męlant sa contemplation 3; et, de leur cécité originelle, il rétablit les hommes dans lintelligence.
1312. Une fois rapportée lillumination miraculeuse de laveugle, lEvangéliste expose lexamen du miracle. En second lieu laveugle, ŕ cause du témoignage quil rend, est instruit et mis en valeur par le Christ 4 [n° 1354 et 1359].
Le miracle est dabord examiné par le peuple [n° 1313], puis par les pharisiens et les chefs du peuple [n° 1320].
Lexamen du miracle par le
peuple.
Lexamen du miracle par le peuple se fait en trois points : dabord on senquiert de la personne de celui qui a été illuminé [n° 1313], puis de lillumination elle-męme [n° 1316], enfin de la personne de celui qui illumine [n° 1319].
Lenquęte concernant la personne de celui qui a été illuminé sopčre en trois temps on sinterroge dabord sur cette personne [n° 1313], puis il est fait état des diverses opinions sur la question [n° 1314]. Enfin la question est tranchée [n° 1315].
CEST
POURQUOI LES VOISINS ET CEUX QUI LAVAIENT VU AUPARAVANT, CAR CÉTAIT UN
MENDIANT, DISAIENT : "NEST-CE PAS CELUI QUI SE TENAIT ASSIS ET QUI
MENDIAIT?"
1313. Une question est ici posée par le peuple, et il y a lŕ deux choses ŕ considérer. Lune est que, ŕ cause de sa grandeur, le miracle était rendu incroyable 5. Cest pourquoi ils dirent, plus tard : Jamais on na entendu dire que quelquun ait ouvert les yeux dun aveugle-né 1. En cela saccomplit ce qui est dit ŕ leur sujet en Habacuc : Une uvre a été accomplie ces jours-ci, que personne ne croira lorsquon la racontera 2.
1. Morahum libr, 7, chap. 30, PL 75, col. 380 C.
2. Salivam luto miscuit. Comprenons
"a męlé sa salive ŕ la terre et en
a fait de la boue".
3. Per mixtionem contemplationis.
4. Commendo peut vouloir dire "confier" (saint Thomas
dira quŕ Pierre Jésus a confié lEglise, mais quŕ Jean il a confié sa mčre
voir n 2641) ou "recommander"; mais il peut aussi signifier
"faire valoir " (n" 1310), " mettre en lumičre s, "
mettre en valeurs, " donner un exemple " (n" 1312, 1359, 1360,
1528), faire état de" (n° 1311, 1318), "estimer" (n° 1325, 1327).
5. Saint Thomas se réfčre ici ŕ une interprétation rapide de
saint Jean Chrysostome (que lon trouve plus correctement transcrite dans sa
Catena Aurea) que Bareille traduit ainsi : létrangeté du fait les rendait
incrédules" (LVII, 1; uvres complčtes, t. XIV, p. 107 PG 59, col. 312). Linterprétation
suivante aussi est suggérée par Chrysostome.
Lautre point remarquable est ladmirable clémence de Dieu, qui accomplissait les miracles non seulement ŕ légard des puissants mais aussi ŕ légard des gens de basse naissance, en guérissant avec une grande tendresse [pietas 3] ceux qui mendiaient. Il montre par lŕ quil ne rejette personne ŕ cause de la pauvreté, lui qui est venu pour le salut des hommes Dieu n'a-t-il pas choisi les pauvres, riches en foi et héritiers du Royaume 4? Il est donc significatif que ceux [qui voyaient laveugle] disent : NEST-IL PAS CELUI QUI SE TENAIT ASSIS ET QUI MENDIAIT? autrement dit : cet homme de basse naissance et indigne quon soccupe de lui. Contre cela il est dit dans Baruch : Lŕ ont été ces géants renommés qui furent dčs le commencement, de grande stature et connaissant la guerre. Ce n'est pas eux que le Seigneur a choisis, et ils n'ont pas trouvé le chemin de linstruction 5.
CERTAINS
DISAIENT : "CEST LUI"; DAUTRES DISAIENT : "NON, MAIS
IL LUI RESSEMBLE. "
1314. Des opinions diverses qui sont soutenues par le peuple : CERTAINS DISAIENT : "CEST LUI", cest-ŕ-dire celui qui mendiait. Ils disaient cela parce quils lavaient maintes fois vu mendier et de męme parcourir la cité, comme lorsquils lobservčrent allant ŕ la piscine avec la boue. Ils ne pouvaient donc plus dire : "Ce nest pas lui." Mais dautres soutenaient lopinion contraire et disaient : PAS DU TOUT, cest-ŕ-dire ce nest pas lui, MAIS IL LUI RESSEMBLE. La raison en est, au dire dAugustin 6, que les yeux qui lui avaient été rendus avaient changé son visage. Car rien ne fait connaître lhomme comme le regard : A la vue [ex visu] on connaît un homme 7.
1. Jn 9, 32.
2. Ha 1, 5.
3. Nous préférons garder ici le cum multo pietate de léd. Marietti
(léd. léonine propose devotione au lieu de piezate).
4. Jc 2, 5.
5. Ba 3, 26.
MAIS
LUI DISAIT : "CEST MOI "
1315. La question est tranchée par laveugle : LUI, cest-ŕ-dire laveugle, DISAIT : "CEST MOI ", moi qui mendiais.
"Parole de gratitude afin de ne pas ętre condamné pour ingratitude 8." En effet, parce quil ne pouvait ętre ingrat pour un tel bienfait et quil ne pouvait manifester dautre signe de gratitude que de confesser sans se lasser quil avait été guéri par le Christ, il dit : CEST MOI, moi qui étais aveugle et qui mendiais. Et maintenant, je vois Bénissez le Dieu du ciel et devant tous les vivants confessez-le, parce quil a exercé envers vous sa miséricorde 9.
ILS
LUI DISAIENT DONC : "COMMENT TES YEUX SE SONT-ILS OUVERTS?"
1316. En rapportant
cette parole COMMENT, TES YEUX SE SONT-ILS OUVERTS? lEvangéliste traite de
lenquęte portant sur le fait, cest-ŕ-dire lillumination. Il expose en
premier la question des Juifs, puis la réponse de laveugle [n° 1318].
1317. LÉvangéliste dit donc dabord Si cest toi laveugle qui mendiait, dis-nous donc COMMENT TES YEUX SE SONT OUVERTS? Mais cette question procčde de la curiosité, parce que ni celui qui a été guéri, ni nous, navons compris le mode de cette guérison Dans ses diverses uvres, ne sois pas curieux 1.
6. Tract, in Ioann., XUV, 8, BA 738, p. 27.
7. Si 19, 26. Ex visu cognoscitur vir et ab occursus faciei
cognoscitur sensatus, selon la Vulgate (lédition critique ne donne pas de
variantes) mais les LXX donnent un texte tout différent.
8. Citation de SAINT AUGUSTIN, Tract, in le., XLIV, 8, BA
73", p. 27.
9. Tb 12, 6.
IL
RÉPONDIT : "CET HOMME QUON APPELLE JÉSUS A FAIT DE LA BOUE, ET IL A
OINT MES YEUX, ET IL MA DIT : "VA Ŕ LA PISCINE DE SILO1 ET LAVE-TOI "
ET JY SUIS ALLÉ, JE ME SUIS LAVÉ, ET JE VOIS. "
1318. La réponse de laveugle fut admirable. Il y montre dabord la personne qui la illuminé : CET HOMME QUON APPELLE JÉSUS. Cest avec justesse quil lappelle "homme", lui qui connaissait lhomme et qui était un vrai homme, fait ŕ la ressemblance des hommes 2. Et bien quil ne leűt pas vu puisquil séloigne de lui aveugle pour aller vers Siloé, il le connut pour lavoir entendu 3 et par ce que les hommes en disaient.
Il raconte ensuite le fait : IL A FAIT DE LA BOUE, ET IL A OINT MES YEUX. Lŕ il se révčle véridique, naffirmant rien dincertain. Le Seigneur, en effet, avait fait la boue ŕ partir de sa salive, ce que celui-ci ignorait; mais la boue ainsi faite et appliquée sur ses yeux, il la connut par le sens du toucher. Pour cette raison, il ne dit pas : "Il a fait de la boue ŕ partir de sa salive", mais simplement : IL A FAIT DE LA BOUE, ET IL A OINT MES YEUX -Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons reconnu et que nos mains ont touché du Verbe de vie ŕ qui nous en rendons témoignage et nous vous lannonçons 4.
En troisičme lieu, il rapporte le commandement : IL MA DIT cest Jésus qui parle : "VA Ŕ LA PISCINE DE SILOÉ ET LAVE-TOI." Cela aussi nous est nécessaire; en effet, si nous voulons ętre purifiés de laveuglement du cur, il faut que nous soyons lavés spirituellement Lavez-vous et soyez purs 5.
Puis il fait état de son obéissance : ET JY SUIS ALLÉ, ET JE ME SUIS LAVÉ, autrement dit : pour avoir écouté le commandement, et conduit par le désir de la vision, jai suivi son commandement. Rien détonnant ŕ cela puisque, comme il est dit au livre des Proverbes : Le commandement, cest-ŕ-dire celui qui est accompli, est une lampe 6.
En dernier lieu, il confesse
leffet du bienfait : ET JE VOIS. Et il est juste quil soit illuminé aprčs son
obéissance parce que, comme il est dit dans les Actes : Il donnera lEsprit
Saint ŕ ceux qui lui obéissent Voyez la constance de laveugle. En effet, comme
le dit Augustin 8 "Voici quil
devient lannonciateur de la grâce, voici quil en porte la bonne nouvelle et
la confesse aux Juifs. Cet aveugle confessait sa foi et le cur des impies
était fermé 9, parce quils
navaient pas la lumičre, cest-ŕ-dire quils navaient pas dans leur cur la
lumičre que lui avait désormais sur le visage."
ET
ILS LUI DIRENT : "OŮ EST-IL?" IL RÉPONDIT : "JE NE
SAIS. "
1319. LÉvangéliste expose maintenant lenquęte portant sur la personne de celui qui illumine, et il cite dabord la question des Juifs. En disant : OŮ EST-IL? ils interrogent par malice 10, méditant le meurtre. Déjŕ, en effet, ils avaient conspiré contre le Christ : Mais maintenant, vous cherchez ŕ me tuer 1.
1. Si 3, 24.
2. Ph 2, 7.
3. Cognovit eum ex auditu. Il pourrait y avoir lŕ une
réminiscence de Rm 10, 17 Fides ex auditu, auditus autem per verbum Chrisn,
amsi que de Ga 3, 2 et 5.
4. 1 Jn 1, 1 et 2.
5. Is 1, 16.
6. Pr 6, 23.
7. Ac 5, 32.
8. Tract, in Ioann., XLIV, 8, BA
73>*, p. 27.
9. Le texte de saint Thomas porte stringebatur, comme dans
certains mAriuscrits; mais le texte du Corpus Christianorum porte frangebatur
(était en morceaux).
10. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
Ioannem hom., LVII, 2, PG 59, col. 312.
Il expose ensuite la réponse de laveugle : JE NE SAIS. Comme le dit Augustin 2 il ressort de ces mots que ce qui sest passé en lui corporellement représente, spirituellement, diverses étapes. En effet, il est dabord, encore aveugle, enduit de boue, et ensuite, lavé, il voit. Lonction représente ici le commencement de la santé corporelle, alors que laction de se laver obtient la parfaite santé.
Au sens spirituel, lonction rend catéchumčne. Le bain, celui du baptęme, rend parfait et illumine. Ainsi donc, les diverses étapes représentent les diverses connaissances. En effet, sa dénégation JE NE SAIS représente la foi imparfaite chez les catéchumčnes Vous adorez ce que vous ne connaissez pas 3. Elle peut aussi signifier notre foi, comme il est dit dans la premičre épître aux Corinthiens : Cest partiellement que nous connaissons et partiellement que nous prophétisons 4.
Lexamen du miracle par les
pharisiens.
ILS
LE CONDUISENT AUX PHARISIENS, LUI QUI AVAIT ÉTÉ AVEUGLE. OR CÉTAIT UN JOUR DE
SABBAT QUE JÉSUS FIT DE LA BOUE ET LUI OUVRIT LES YEUX. DE NOUVEAU, DONC, LES
PHARISIENS LINTERROGČRENT POUR SAVOIR COMMENT IL AVAIT RECOUVRÉ LA VUE. ET IL
LEUR DIT : "IL MA MIS DE LA BOUE SUR LES YEUX, ET JE ME SUIS LAVÉ, ET
JE VOIS. "
1320. En ajoutant : ILS
LE CONDUISENT AUX PHARISIENS, il traite de lenquęte menée par les pharisiens.
Ils enquętent dabord auprčs de laveugle [n° 1321] puis auprčs de ses parents [n° 1330]; MAIS
LES JUIFS NE CROYAIENT PAS.
I
Concernant le premier [moment de lenquęte], on présente dabord celui qui doit ętre interrogé [n° 1321], puis on expose lintention de ceux qui interrogent [n° 1322], et enfin lenquęte proprement dite [n° 1323].
1. Jn 8, 37.
2. Tract, in Ioann., XLIV, 8, BA
73", p. 27.
ILS
LE CONDUISENT AUX PHARISIENS, LUI QUI AVAIT ÉTÉ AVEUGLE.
1321. Celui qui doit ętre interrogé, laveugle, est présenté par le peuple aux pharisiens 5, et cela parce quils avaient cherché ŕ savoir par lui oů était Jésus pour, sils le trouvaient, le conduire aux pharisiens afin de le faire condamner pour avoir violé le sabbat. Mais comme ils navaient pas trouvé le Christ, ils amčnent laveugle afin que, linterrogeant plus brutalement, ils lobligent, par leur insistance ou par la crainte [qui en résulterait], ŕ forger quelque mensonge contre le Christ Jirai donc vers les grands et je leur parlerai. Eux en effet ont reconnu la voie du Seigneur, le jugement de leur Dieu. Et voici que, de plus, tous ensemble ont brisé le joug et rompu les liens 6.
OR
CÉTAIT UN JOUR DE SABBAT QUE JÉSUS FIT DE LA BOUE ET LUI OUVRIT LES YEUX.
1322. Par ces mots lÉvangéliste montre que leur intention est perverse; il veut manifester leur mauvais esprit et la cause pour laquelle ils cherchaient le Christ, ŕ savoir trouver un prétexte contre lui et décrier le miracle au nom dune prétendue prévarication de la Loi, alors que pourtant il avait dit : Le Fils est maître męme du sabbat 1.
3. Jn 4, 22,
4. 1 Corinthiens 13,9.
5. Tout ce passage, jusquau n° 1324, reprend le commentaire de
saint Jean Chrysostome, col. 312-313.
6. Jr 5,5.
DE
NOUVEAU, DONC, LES PHARISIENS LINTERROGČRENT.
1323. Lexamen est mené par les pharisiens : DE NOUVEAU, DONC, LES PHARISIENS LINTERROGČRENT et ils linterrogent dabord au sujet de ce qui a été fait [n° 1324], puis au sujet de la personne qui la fait [n° 1325].
IL
LEUR DIT : "IL MA MIS DE LA BOUE SUR LES YEUX, ET JE ME SUIS LAVÉ, ET JE
VOIS. "
1324. Lenquęte sur le fait est exposée en deux temps : linterrogation des Juifs, puis la réponse de laveugle.
Ils linterrogent sur la maničre dont il a recouvré la vue : DE NOUVEAU, LES PHARISIENS LINTERROGČRENT, non pour savoir mais en vue de le calomnier et de le convaincre de mensonge.
Mais laveugle répondit sans contredire ce quil a dit [précédemment] ni sécarter de la vérité. IL, cest-ŕ-dire laveugle, LEUR DIT : "IL MA MIS DE LA BOUE SUR LES YEUX." Il faut dabord admirer ici la constance de laveugle. Car męme si, devant les foules par lesquelles il était interrogé sans péril, il avait dit la vérité, il ny avait alors lŕ rien de grand. Mais que, mis dans un plus grand péril cest-ŕ-dire devant les pharisiens il nait pas nié ni rien affirmé de contraire ŕ ce quil avait dit auparavant, cest [la marque] dune constance admirable Je parlais de tes témoignages en présence des rois et je nétais pas confondu Son habileté aussi est admirable. En effet, il observe les usages des narrateurs, qui, une premičre fois, font un récit détaillé, avec toutes les circonstances, et qui, sils doivent le rapporter une seconde fois, lexpriment plus succinctement. Cest pourquoi il ne dit ni le nom de celui qui lui a parlé ni : IL MA DIT : "VA Ŕ LA PISCINE DE SILOČ ET LAVE-TOI", mais aussitôt, touchant la seule substance du fait, il dit : IL A FAIT DE LA BOUE 3.
CERTAINS
DES PHARISIENS DISAIENT DONC : "IL NEST PAS DE DIEU, CET HOMME QUI NE
GARDE PAS LE SABBAT. " MAIS DAUTRES DISAIENT : "COMMENT UN
HOMME PÉCHEU1 PEUT-IL FAIRE DE TELS SIGNES?" ET IL Y AVAIT DIVISION
ENTRE EUX.
1325. Lorsque lÉvangéliste ajoute : CERTAINS DES PHARISIENS DISAIENT, lenquęte porte sur la personne de celui qui illumine. Il expose dabord divers jugements des pharisiens sur le Christ, aprčs quoi on cherche ŕ connaître le jugement de laveugle [n° 1329].
Concernant le premier point, lEvangéliste expose dabord lopinion de ceux qui blasphčment le Christ, puis lopinion de ceux qui lestiment [n° 1327], et conclut enfin quil y avait entre eux division et séparation [n° 1328].
1. Mt 12,8.
2. Ps 118,46.
3. En fait : Il ma mis de la boue sur les yeux.
CERTAINS
DES PHARISIENS DISAIENT DONC : "IL NEST PAS DE DIEU, CET HOMME QUI NE
GARDE PAS LE SABBAT. "
1326. Ŕ propos des jugements que les pharisiens portent sur le Christ, il faut savoir que ceux qui agissent par malice contre quelquun se taisent sils voient quelque chose de bon dans ses actions, et manifestent, sils le voient, ce qui est mauvais, allant męme jusquŕ changer le bien en mal, selon ce passage de lEcclésiastique : Changeant les choses bonnes en mauvaises, il tend des pičges, et sur les meilleures il imprimera une tache 1. Cest bien ce que font les pharisiens. En effet, taisant ce qui apparaissait comme bon, cest-ŕ-dire lillumination de laveugle, ils manifestent ce qui pouvait ętre avancé contre le Christ, ŕ savoir la violation du sabbat : CERTAINS DES PHARISIENS, les mauvais et les tortueux, DISAIENT : "IL NEST PAS DE DIEU, CET HOMME QUI NE GARDE PAS LE SABBAT", alors que pourtant le Christ observait le sabbat. En effet le Seigneur, en interdisant duvrer le jour du sabbat, visait luvre servile quest le péché Celui qui commet le péché est esclave du péché 2. Donc, celui qui fait les uvres du péché le jour du sabbat, viole le sabbat. Et donc le Christ, qui était sans péché, gardait bien plus queux le sabbat.
MAIS
DAUTRES DISAIENT : "COMMENT UN HOMME PÉCHEUR PEUT-IL FAIRE DE TELS
SIGNES?"
1327. Ici est exposée lopinion de ceux qui estiment le Christ. Ceux-ci, en effet, avaient conçu une certaine foi ŕ partir des signes 3, et [de ce fait] ils étaient imparfaitement et faiblement disposés [ŕ laffirmer] puisque, par crainte des pharisiens et des chefs du peuple, ils avancent, comme sils doutaient : COMMENT UN HOMME PÉCHEUR PEUT-IL FAIRE DE TELS SIGNES?
Plus loin il sera dit que nombre des chefs du peuple crurent en lui, mais ŕ cause des pharisiens, ils ne le confessaient pas 4, alors quils auraient plutôt dű montrer comment le sabbat nétait pas violé, et répondre de maničre convenable en faveur de Jésus.
1. Si 11, 33.
2. Jn 8, 34. Cf. Saint AUGUSTIN, Tract,
in Ioann., XLIV, 9, BA 73", p. 29.
3. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
Ioannem hom., LVII, 2, PG 59, col. 313.
4. Jn 12, 42.
ET IL
Y AVAIT DIVISION ENTRE EUX.
1328. LÉvangéliste conclut ŕ une dissension entre eux, ce qui avait aussi existé au sein du peuple, et cétait le signe de leur perte : Leur cur a été divisé, maintenant ils périront 5 Tout royaume qui a été divisé contre lui-męme sera ravagé 6.
DE
NOUVEAU, ILS DISENT DONC Ŕ LAVEUGLE : "TOI, QUE DIS-TU DE CELUI QUI
TA OUVERT, LES YEUX?" IL DIT "CEST UN PROPHETE. "
1329. Ils senquičrent ensuite, auprčs de laveugle, de son propre jugement. Linterrogation des pharisiens est dabord exposée, puis la réponse de laveugle.
Ils linterrogent donc : TOI, QUE DIS-TU DE LUI? Cette interrogation, selon Chrysostome 7, ne vient pas de ceux qui blasphémaient le Christ mais de ceux qui lestimaient, et cela apparaît dans leur maničre dinterroger : ils font mémoire du bienfait reçu en disant : TOI, QUE DIS-TU DE CELUI QUI T'A OUVERT LES YEUX?
Autrement, si les autres lavaient interrogé, ils nauraient pas dit cela mais plutôt 8 "celui qui rompt le sabbat". Ils font mémoire du bienfait pour que, ravivant la gratitude de laveugle, ils lamčnent ŕ proclamer le Christ. Selon Augustin 9, cest une interrogation dadversaires, de ceux qui veulent calomnier lhomme qui confessait avec constance la vérité, soit pour que, sous leffet de la crainte, il modifie son jugement, soit au moins pour le jeter hors de la synagogue.
5. Os 10, 2.
6. Mt 12, 25.
7. In boannem hem., LVII, 2, PG 59, col.
313.
8. Nous gardons ici le ponus de Marietti. Lédition léonine
propose un pejus mais le signale comme douteux.
9. Tract, in Jo, XTJV, 9, BA 73", p-29-3L Saint Thomas lui
emprunte aussi la fin de ce numéro.
Mais voici la réponse
inaltérable de laveugle : IL DIT : "CEST UN PROPHČTE" Bien
que, étant encore comme oint dans son cur 1, il ne confessât pas encore le Fils de
Dieu, il exprima cependant avec constance ce quil pensait, sans toutefois
mentir. En effet, le Seigneur a dit de lui-męme plus haut : Un prophčte nest
sans honneur que dans sa patrie 2. Et il
est dit dans le Deutéronome : Dieu vous suscitera un prophčte cest lui que
vous écouterez 3.
II
1330. LÉvangéliste traite ici de lenquęte menée auprčs des parents. Il expose dabord la cause de cette enquęte, puis linterrogation [n° 1332]. Il donne ensuite leur réponse [n° 1333]. Il donne enfin la raison de cette réponse [n° 1334].
LES
JUIFS DONC NE CRURENT PAS, Ŕ SON SUJET, QUIL AVAIT ÉTE AVEUGLE ET QUIL AVAIT
VU, JUSQUŔ CE QUILS EUSSENT APPELÉ LES PARENTS DE CELUI QUI AVAIT VU.
1331. La cause de cette
seconde enquęte fut lincrédulité des pharisiens. Cest ce que dit
lEvangéliste : MAIS LES JUIFS, cest-ŕ-dire les pharisiens, NE CRURENT PAS, Ŕ
SON SUJET, QUIL AVAIT ÉTÉ AVEUGLE ET QUIL AVAIT VU, JUSQUŔ CE QUILS EUSSENT
APPELÉ LES PARENTS DE CELUI laveugle QUI AVAIT VU. Ils font cela avec la
volonté de réduire ŕ rien le miracle du Christ, de peur de perdre leur propre
gloire Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez les uns des autres votre
gloire 4?
ILS
LES INTERROGČRENT EN DISANT : "CELUI-CI EST VOTRE FILS, DONT VOUS DITES
QUIL EST NÉ AVEUGLE? COMMENT DONC VOIT-IL MAINTENANT?"
1332. Lenquęte des pharisiens se poursuit auprčs des parents 5, en trois points. Dabord au sujet de la personne du fils : CELUI-CI EST VOTRE FILS? Autrement dit : Est-ce lui?
Ensuite au sujet de sa cécité : DONT VOUS DITES QUIL EST NÉ AVEUGLE. Ils ne disent pas : "qui fut jadis aveugle" mais DONT VOUS DITES, comme pour dire : "Vous avez inventé cela. Est-ce vrai? O hommes ignobles ! Quel pčre choisirait de mentir de la sorte au sujet de son fils?" Ils sefforcent en effet, par ces propos, de les conduire ŕ nier.
Enfin, ils cherchent ŕ connaître la maničre dont la vue a été recouvrée : COMMENT DONC VOIT-IL MAINTENANT? comme sils disaient : ou bien il est faux quil voie maintenant, ou bien [il est faux] quil ait précédemment été aveugle. Mais il est manifestement vrai quil voit : cest donc faussement quils le disaient aveugle A force de paroles il essaiera de venir ŕ bout de toi, et en souriant il tinterrogera sur tes secrets 6.
1. Le Christ a s oint s les yeux de laveugle et celui-ci, aprčs
sętre lavé, a recouvré la vue; mais son cur est encore comme enduit de boue. Comme
le dit saint Augustin, s ce qui sétait déjŕ produit dans son corps ne sétait
pas encore produit dans son cur s (Tract. in Ioann., XLIV, 9, BA 73 p. 27,
note 51; voir p. 30, note 61; p. 34, note 76; p. 37, note 89).
2. En réalité saint Thomas cite ici, comme saint Augustin, Mt
13, 57 (cf. Mc 6, 4). Le passage de lévangile de Jean auquel il renvoie est 4,
44.
3. Dt 18, 15.
4. Jn 5, 44.
5. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
loannem hom., LVIII, 1, PG 59, col. 314.
6. Si 13, 14.
SES
PARENTS LEUR RÉPONDIRENT EN DISANT : "NOUS SAVONS QUIL EST NOTRE FILS
ET QUIL EST NÉ AVEUGLE. MAIS COMMENT IL VOIT MAINTENANT, NOUS NE LE SAVONS
PAS; OU QUI LUI A OUVERT LES YEUX, NOUS, NOUS NE LE SAVONS PAS : INTERROGEZ-LE,
IL A LÂGE! QUIL PARLE DE LUI-MEME! "
1333. Ici est exposée la réponse des parents 1. Les pharisiens les avaient interrogés sur trois points; ils répondent avec fermeté ŕ deux dentre eux, et pour le troisičme ils renvoient ŕ leur fils. Ils témoignent en premier lieu quil est bien leur fils : NOUS SAVONS QUIL EST NOTRE FILS. De męme ils reconnaissent le second point, en ajoutant : ET QUIL EST NÉ AVEUGLE. En cela, il apparaît avec évidence que la vérité est toujours victorieuse du mensonge. Cest pourquoi il est dit dans lapocryphe dEsdras que la vérité est victorieuse de tout 2. Sur le troisičme point, cest-ŕ-dire de quelle maničre il voit, ils affirment ętre dans lignorance, dune part en ce qui concerne la maničre dont il voit - MAIS COMMENT IL VOIT MAINTENANT, NOUS NE LE SAVONS PAS -, et dautre part en ce qui concerne la personne qui la illuminé : OU QUI LUI A OUVERT LES YEUX, NOUS, NOUS NE LE SAVONS PAS. Ils disent cela parce que lenquęte était menée contre la personne qui la illuminé 3. Cest pour cela quils renvoient ŕ leur fils en disant : INTERROGEZ-LE, IL A L'ÂGE. QUIL PARLE DE LUI-MĘME! comme sils disaient : "Notre fils, nous lavons sans doute engendré aveugle, mais cependant pas muet; il peut donc plaider sa propre cause." Et certes cest bien selon une disposition de la Providence 4 [que le témoignage est rendu par plusieurs], pour que, du fait que les parents confessent ce quils savent et que laveugle confirme, lui qui a été guéri, la vérité du miracle apparaisse davantage.
1. Cf. SAINT JEAN CFLRYSOSTOME, In
loannem hom., LVIII, 1, PG 59, col. 314.
2. Apocryphe dEsdras, III Esd 4, 25.
3. Nous gardons ici le iluminantem de léd. Marietti (léd. léonine
propose illuminata, mais comme douteux).
4. Dispensative. Sur la dispensatio, voir n° 1520, note 1.
SES
PARENTS DIRENT CELA PARCE QUILS CRAIGNAIENT LES JUIFS. EN EFFET, LES JUIFS
SÉTAIENT DÉJŔ ENTENDUS POUR QUE, SI QUELQUUN CONFESSAIT QUE JESUS EST LE
CHRIST, ON LEXCLŰT DE LA SYNAGOGUE. CEST POURQUOI SES PARENTS DIRENT : "IL
A LÂGE! INTERROGEZ-LE LUI-MĘME. "
1334. La raison de la réponse est ainsi exposée : SES PARENTS DIRENT CELA parce quils craignaient les Juifs. Ils étaient encore imparfaits, et ils nosčrent pas accomplir ce que dit le Seigneur : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps 5. La cause de leur crainte fut que LES JUIFS SÉTAIENT DÉJŔ ENTENDUS, POUR QUE, SI QUELQUUN CONFESSAIT QUE JÉSUS EST LE CHRIST, ON LEXCLŰT DE LA SYNAGOGUE -Je vous ai dit ces choses pour que vous ne soyez pas scandalisés ils vous excluront des synagogues 6. Et comme le dit Augustin 7, ce nétait déjŕ plus un mal dętre exclu de la synagogue, car ceux quils repoussaient, le Christ les recevait.
III
1335. LÉvangéliste a rapporté plus haut lenquęte portant sur cette affaire, menée auprčs de laveugle et de ses parents. Main tenant [les pharisiens] persuadent laveugle de nier la vérité et daffirmer le faux. Ils le persuadent dabord de nier la vérité, ils lui infligent ensuite une malédiction [n° 1341], et enfin ils portent une condamnation [n° 1353].
En ce qui concerne le premier point, lEvangéliste montre
dabord comment ils le persuadent de nier la vérité, puis comment ils
linterrogent de nouveau afin de pouvoir le calomnier [n° 1338].
5. Mt 10, 28.
6. Jn 16, 1.
7. Tract, in Ioann., XLIV, 10, BA
73", p. 31.
Ŕ ce sujet lÉvangéliste expose dabord la malice des pharisiens puis la constance de laveugle [n° 1337].
La malice des pharisiens apparaît dans leffort quils font pour le persuader de nier la vérité. La constance de laveugle apparaît dans sa ferme confession de la vérité.
ILS
CONVOQUČRENT DONC DE NOUVEAU LHOMME QUI AVAIT ÉTÉ AVEUGLE ET LUI DIRENT : "RENDS
GLOIRE Ŕ DIEU! NOUS SAVONS, NOUS, QUE CET HOMME EST UN PÉCHEUR. "
1336. LÉvangéliste dit donc : ILS, cest-ŕ-dire les pharisiens, CONVOQUČRENT DE NOUVEAU LHOMME QUI AVAIT ÉTÉ AVEUGLE en effet les parents, interrogés, les avaient renvoyés ŕ laveugle ET LUI DIRENT : "RENDS GLOIRE Ŕ DIEU!" Ils disent une chose mais tacitement ils ont en vue une autre. Ils cherchent en effet ŕ le forcer ŕ dire quil na pas été illuminé par le Christ, ou, sils ne le peuvent, ŕ lui faire au moins dire quil a été guéri par lui au moyen dun quelconque artifice. Ils ne le disent cependant pas ouvertement, mais tacitement et sous couvert de religion. Voilŕ ŕ quoi ils veulent amener laveugle en lui disant : RENDS GLOIRE Ŕ DIEU! comme sils disaient : Tu as été illuminé, mais cela ne vient que de Dieu; donc tu ne dois lattribuer ŕ personne dautre quŕ Dieu, et non ŕ celui-ci, le Christ; car si tu le fais, tu montreras que tu nas pas reçu de Dieu le bienfait de la guérison, puisque Dieu nopčre pas de miracles par des pécheurs. Cest pourquoi ils ajoutent : NOUS SAVONS, NOUS, QUE CET HOMME EST UN PÉCHEUR, comme pour dire : Confesse que celui-ci na rien accompli, nie ce que tu as reçu. Mais, comme le dit Augustin 1, sil avait fait cela, il naurait pas rendu gloire ŕ Dieu; bien plutôt, se montrant ingrat, il aurait blasphémé. Mais la langue acérée des pharisiens a vraiment proféré le mensonge 2 quand ils ont dit : NOUS SAVONS, NOUS, QUE CET HOMME EST UN PÉCHEUR; car, plus haut, ils nont pas pu le convaincre de péché : Qui dentre vous me convaincra de péché 3? Rien détonnant ŕ cela, puisquil est dit dans la premičre épître de Pierre : Il na pas commis le péché, on na pas trouvé de mensonge en sa bouche 4.
CELUI-CI
LEUR DIT ALORS : "SIL EST UN PÉCHEUR, JE NE SAIS. JE SAIS UNE CHOSE :
ALORS QUE JÉTAIS AVEUGLE, MAINTENANT JE VOIS. "
1337. LÉvangéliste expose ici la constance de laveugle. Exaspéré par la dureté des pharisiens 5 et ne souffrant pas leurs paroles, il dit, en affirmant la vérité SIL EST UN PÉCHEUR, JE NE SAIS.
Mais puisque, plus haut, il disait quIL EST UN PROPHČTE, nest-ce pas par crainte, et comme en doutant, quil dit ici SIL EST UN PÉCHEUR, JE NE SAIS? Pas du tout; [parlant] comme [un homme] indigné, il se moque des pharisiens. Comme sil disait : vous le tenez pour un pécheur, mais moi, que ce soit un pécheur, je ne le sais pas, et je métonne que vous laffirmiez, car il a accompli une uvre qui ne semble pas ętre celle dun pécheur, puisque ALORS QUE JÉTAIS AVEUGLE, MAINTENANT, JE VOIS, grâce ŕ lui. Selon Augustin 1, il dit cela pour ne pas subir de calomnie et ne pas non plus cacher la vérité. Peut-ętre en effet, sil avait dit : "Je sais quil est juste" ce qui était vrai lauraient-ils calomnié. Mais selon Chrysostome 2 il a dit cela pour lui rendre un plus grand témoignage, celui de luvre miraculeuse elle-męme, et rendre sa réponse digne de foi ŕ cause du bienfait reçu.
1. Tract, in Ioann., XLIV, 11, BA 73e, p. 33.
Les explications précédentes étaient
suggérées par saint jean Chrysostome (In loonnem hom., LVIII, 2, PG 59, col. 317).
2. Vere mendacium locutus est styluspharisaeorum. Ceci est une
para phrase de Jr 8, 8 Vere mendacium operatus est seylus mendax scri borum. Stylus
désigne ici le stylet, le calame des scribes; mais dans la paraphrase de saint
Thomas (qui dit locutus est au lieu de operatus est) il sagirait plutôt du
sens second de stylus : un genus loquendi, une maničre de parler; ŕ moins que
sains Thomas (et cest lhypothčse que nous avons retenue) se souvienne ici du
Ps 44, 2 brigua mea calamus scribae, velociter scribentis ma langue est comme
la plume du scribe qui écrit rapidement.
3. jn 8, 46.
4. 1 P 2, 22; cf. Is 53, 7-12.
5. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XUV, 11, BA 7311, p. 33.
LES
PHARISIENS INTERROGENT LAVEUGLE DE NOUVEAU POUR LE CALOMNIER. ILS LUI DIRENT
ALORS : QUE TA-T-IL FAIT? COMMENT TA-T-IL OUVERT LES YEUX?
1338. Ici, ils
linterrogent de nouveau pour le calomnier. Linterrogation fourbe des
pharisiens est dabord exposée, puis lironie avec laquelle laveugle leur
répond [n° 1340].
1339. Concernant le premier point, lEvangéliste dit : ILS LUI DIRENT ALORS : "QUE TA-T-IL FAIT?" En effet, laveugle avait confessé quil avait reçu du Christ la vision. Mais ce nest pas cela que les pharisiens cherchaient ŕ savoir; ils sefforçaient plutôt ŕ porter une calomnie contre le Christ dans la maničre męme dont il avait agi. Cest pourquoi ils ne disent pas De quelle maničre as-tu vu? mais COMMENT TA-T-IL OUVERT LES YEUX? comme sils disaient : Na-t-il pas fait cela grâce ŕ un quelconque artifice ou ŕ quelque magie, selon ce passage du psaume : Ceux qui me voulaient du mal ont proféré des paroles vaines, et tout le jour ils méditaient des fourberies 3.
1. Saint Augustin donnait cette explication, non pas â propos de
la réponse de lhomme commentée ici par saint Thomas (v. 25), mais de celle
quil avait donnée au verset 17. Cest
un prophčte (Tract. In b., XLIV, 9, BA 73", p. 31).
2. In Ioannem hom., LVIII, 2, PG 59, col.
317.
IL
LEUR RÉPONDIT : "JE VOUS LAI DÉJŔ DIT ET VOUS AVEZ ENTENDU : QUE
VOULEZ-VOUS ENTENDRE Ŕ NOUVEAU? VOULEZ-VOUS DEVENIR, VOUS AUSSI, SES
DISCIPLES?"
1340. LÉvangéliste expose ici la réponse parce quil se comporte comme sil voyait déjŕ spirituellement, laveugle termine non pas avec retenue, mais avec audace. Il tourne dabord en dérision linterrogation réitérée des pharisiens, en disant : JE VOUS LAI DÉJŔ DIT ET VOUS AVEZ ENTENDU : QUE VOULEZ-VOUS ENTENDRE Ŕ NOUVEAU? comme pour dire : Puisque je vous lai déjŕ dit une fois, que voulez-vous entendre ŕ nouveau? Cela, cest le propre de linsensé ! Il semble en effet que vous nayez pas pręté attention ŕ ce que je vous ai dit. Cest pourquoi il ny a plus lieu de vous répondre davantage, ŕ vous qui interrogez sans raison et qui, plutôt que de vouloir apprendre, cherchez chicane Il sadresse ŕ un dormeur, celui qui commente la sagesse ŕ un sot. Et ŕ la fin du discours, celui-ci dit Qui est celui-ci? 4
Il tourne ensuite en dérision la présomptueuse intention des pharisiens, en disant : VOULEZ-VOUS DEVENIR, VOUS AUSSI, SES DISCIPLES? En effet, lorsquon fait avec diligence une enquęte [sur quelquun], on la fait soit avec une bonne intention, afin dadhérer ŕ lui, soit avec une intention mauvaise, afin de le condamner. Donc, puisquils senquéraient avec une certaine diligence et que laveugle na pas osé leur reprocher de senquérir avec une mauvaise intention, il se tourne vers lautre possibilité : VOULEZ-VOUS DEVENIR, VOUS AUSSI, SES DISCIPLES? comme pour dire : Si vous ne cherchez pas avec malice, cest donc que vous voulez vous attacher ŕ lui Si léthiopien peut changer sa peau, ou le léopard ses taches, alors vous aussi pourrez bien faire 1. Et comme le dit Augustin, ayant lui-męme été illuminé, il voulait de bon cur queux aussi soient illuminés. Cest pourquoi il dit expressément : VOUS AUSSI, comme suggérant quil est lui-męme disciple, VOULEZ-VOUS DEVENIR, comme je le suis moi-męme, SES DISCIPLES? Pour moi, je vois déjŕ et je ne conçois pas denvie de votre propre illumination 2. Et comme le dit Chrysostome 3, cette constance de laveugle fait apparaître combien fort est ce quest la vérité, laquelle, si elle prend ceux que lon considčre comme rien, en fait des hommes éclairés et forts; et combien faible est ce quest le mensonge, lui qui, męme chez les puissants, manifeste leur faiblesse et les rend faibles.
3. Ps 37, 13.
4. Si 22, 8.
1341. Ici est infligée ŕ laveugle la malédiction des pharisiens. LEvangéliste expose dabord la malédiction adressée par les pharisiens ŕ laveugle, puis la réplique de laveugle aux pharisiens [n° 1344].
En ce qui concerne la
malédiction, il expose dabord la malédiction proférée par les pharisiens, puis
ce qui pour eux en est la cause [n°1343].
1342. ILS cest-ŕ-dire les pharisiens sadressant ŕ laveugle LE MAUDIRENT ET LUI DIRENT : "SOIS TOI-MĘME SON DISCIPLE", ce qui est certes une malédiction si on examine leur cur tortueux, mais pas si on pčse attentivement leurs paroles. Cest alors, bien au contraire, la plus grande bénédiction; et quune telle malédiction soit sur nous et sur nos fils 4! Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples 5. Si cependant lEvangéliste a dit : ILS LE MAUDIRENT, cest parce que [la réponse des pharisiens] procédait de leur cur mauvais. Il est dit au livre des Proverbes : Comme si tu voulais orner un vase dargile avec de largent non purifié, ainsi sont des lčvres enflées associées ŕ un cur de la pire espčce 6. Et au sujet de cette malédiction il est dit dans le psaume : Ceux-ci maudiront et toi, tu béniras 7. Et en Matthieu : Bienheureux serez-vous lorsqu'ils vous maudiront 8.
1. Jr. 13, 23.
2. Saint Thomas emprunte ici un jeu de mots V, deo, sed non
invideo ŕ saint Augustin Tract. tn b., XLIV, 11, RA 73", p. 33.
3. In Ioannem hom., LVIII, 2, PG 59, col.
317.
4. Mt 27, 25. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract,
in Ioann., XLIV, 12, BA 73", p. 33.
5. Jn 8, 31.
QUANT
Ŕ NOUS, NOUS SOMMES LES DISCIPLES DE MOĎSE. NOUS, NOUS SAVONS QUE DIEU A PARLÉ
Ŕ MOĎSE; MAIS CELUI-LŔ, NOUS NE SAVONS PAS DOŮ IL EST.
1343. LÉvangéliste donne ensuite la cause de la malédiction : QUANT Ŕ NOUS, NOUS SOMMES LES DISCIPLES DE MOĎSE. Ils tenaient en effet pour une malédiction ce que laveugle leur avait dit : quils deviennent disciples du Christ alors quils se glorifiaient dętre les disciples de Moďse, quils estimaient plus grand. Cest pourquoi ils avancent dabord leur condition : QUANT Ŕ NOUS, NOUS SOMMES LES DISCIPLES DE MOĎSE Moďse consigna la Loi dans les préceptes de la justice 9. Mais fausse est leur gloire, parce quils ne suivaient pas Moďse ni naccomplissaient ses préceptes Si vous croyiez ŕ Moďse, vous croiriez peut-ętre aussi ŕ moi 1. Autrement dit, vous ne suivez pas le serviteur et vous tournez le dos au maître 2. Ils exaltent ensuite la dignité de Moďse :
6. Pr 26, 23.
7. Ps 108, 28.
8. Mt5, 11.
9. Si 24, 33. Saint Thomas lit primitIIs lŕ oů tous les
mAriuscrits portent praeceptits.
NOUS, NOUS SAVONS QUE DIEU A PARLÉ Ŕ MOĎSE, ce en quoi ils disent vrai puisque, selon le livre de lExode, le Seigneur parlait ŕ Moďse face ŕ face, comme un homme a coutume de parler ŕ son ami 3. Et au livre des Nombres, le Seigneur dit : Si quelquun parmi vous est prophčte du Seigneur, je lui apparaîtrai en vision ou je lui parlerai en songe. Mais tel n'est pas mon serviteur Moďse qui est, dans toute ma maison, le plus fidčle en effet, cest de bouche ŕ bouche que je lui parle 4. Le Seigneur parlait donc avec lui dune maničre plus excellente quavec les autres prophčtes. Cest ŕ cette maničre de lui parler que les pharisiens font allusion. Mais il est clair que lorsque Dieu sadressait ŕ Moďse par son verbe, [toute] la dignité de Moďse venait du verbe de Dieu. Et ainsi le verbe de Dieu a une dignité plus grande que celle de Moďse Lui, cest-ŕ-dire le Christ, a été jugé digne dune gloire dautant supérieure ŕ celle de Moďse, que la dignité de celui qui a construit une maison est plus grande que celle de la maison elle-męme 5.
Enfin, ils insinuent ŕ mots couverts lindignité du Christ MAIS CELUI-LŔ, cest-ŕ-dire le Christ, NOUS NE SAVONS PAS DOŮ IL EST. Cela est vrai, certes, mais pas selon leur intention. En effet ils ne connaissaient pas le Pčre, de qui le Christ était Vous ne connaissez ni moi ni mon Pčre 6. Mais cest faux quant ŕ leur intention. Ils ont dit en effet : CELUI-LŔ, NOUS NE SAVONS PAS DOŮ IL EST, comme pour dire : il na aucune autorité, il est comme un écrit inauthentique 7, de sorte que lon ne peut prouver, ŕ son sujet, sil vient de Dieu. Par lŕ ils semblaient lui appliquer cette parole de Jérémie : Je ne les envoyais pas, et eux couraient 8.
LHOMME
RÉPONDIT ET LEUR DIT : "VOILŔ QUI EST ÉTONNANT, QUE VOUS NE SACHIEZ PAS
DOŮ IL EST ET QUIL MAIT OUVERT LES YEUX. "
1344. Voilŕ la réplique
de laveugle aux pharisiens il sétonne dabord de leur dureté, puis il réfute
leur fausseté [n° 1346].
1345. Il faut savoir, en ce qui concerne le premier point, que ce ne sont pas les évčnements qui arrivent fréquemment et selon la maničre commune, qui nous étonnent; mais ce sont les choses insolites et difficiles, quelles soient bonnes ou mauvaises, qui nous étonnent. Nous nous étonnons en effet des choses bonnes, insolites et difficiles, comme en témoigne le livre dEsther : Tu es grandement admirable, Seigneur, et ta face est pleine de grâces 9. Nous nous étonnons aussi des grands maux, selon ce passage de Jérémie : Cieux, soyez frappés de stupeur ŕ ce sujet... dit le Seigneur. Car mon peuple a commis deux crimes 10.
1. Jn 5, 46.
2. Cf. SAINT AUGUSnN, Tract, in Ioann., XLIV, 12, BA 7311, p. 35.
3. Ex 33, 11.
4. Nb 12, 6.
5. He 3, 3.
6. Jn 8, 19.
7. Nullius auctorztatis est, et quasi apocryp hum.
8. Jr 23, 21.
9. Est 15, 17.
10. Jr. 2, 12.
Cest donc ainsi que laveugle leur répond : VOILŔ QUI EST ÉTONNANT, comme sil disait : Si vous ne reconnaissiez aucune autorité ŕ quelquun de petit et semblable ŕ nous, il ny aurait lŕ rien détonnant. Mais que vous voyiez un signe manifeste et évident de la puissance divine [agissant] dans le Christ, et que vous disiez ne pas savoir doů il est, voilŕ qui est trčs étonnant, dautant quil ma ouvert les yeux.
OR
NOUS SAVONS QUE DIEU NÉCOUTE PAS LES PÉCHEURS; MAIS SI QUELQUUN REND UN CULTE
Ŕ DIEU ET FAIT SA VOLONTÉ, CELUI-LŔ DIEU LEXAUCE. JAMAIS ON NA ENTENDU DIRE
QUE QUELQUUN AIT OUVERT LES YEUX DUN AVEUGLE-NÉ. SI CELUI-CI NÉTAIT PAS DE
DIEU, IL NE POURRAIT RIEN FAIRE.
1346. Par ces mots laveugle réfute leur erreur. Il fait de nouveau ici usage dun tel raisonnement : celui que Dieu écoute, quel quil soit, est de Dieu; or Dieu écoute le Christ : donc il est de Dieu.
Il pose dabord la majeure, puis la mineure [n° 1351] : JAMAIS ON NA ENTENDU DIRE... Enfin il en tire la conclusion [n° 1352] : SI CELUI-CI NÉTAIT PAS DE DIEU, IL NE POURRAIT RIEN FAIRE.
En ce qui concerne la majeure,
laveugle évoque ceux que Dieu nécoute pas, puis il montre qui Dieu écoute [n° 1350] : MAIS SI QUELQUUN REND UN CULTE
Ŕ DIEU ET FAIT SA VOLONTÉ, CELUI-LŔ IL [DIEU] LEXAUCE.
1347. Dieu nécoute pas les pécheurs, et ŕ ce sujet il dit : NOUS SAVONS QUE DIEU NÉCOUTE PAS LES PÉCHEURS, comme pour dire : Nous avons sur ce point la męme opinion, les pécheurs ne sont pas exaucés par Dieu. Cest pourquoi il est dit dans le psaume : Ils ont crié vers le Seigneur, et le Seigneur ne les a pas exaucés 1; et au livre des Proverbes : Alors ils minvoqueront, et je n'exaucerai pas 2.
1. Ps 17, 42.
2. Pr 1,28.
Mais on objectera : Que sils pčchent contre toi (et il n'est pas un homme qui ne pčche pas) [ ] et quils reviennent vers toi de tout leur cur [ ] que tes yeux souvrent, je ten prie, et que tes oreilles soient attentives ŕ la pričre qui est faite en ce lieu 3. Et Luc dit au sujet du publicain quil descendit ŕ sa maison justifié 4. Voilŕ pourquoi Augustin dit 5 que cet aveugle parle comme quelquun qui est encore oint 6, nayant pas encore la connaissance parfaite. En effet Dieu exauce les pécheurs, autrement cest en vain que le publicain dirait : Seigneur, prends pitié de moi, pécheur 7.
Mais si nous voulons sauver
les paroles de laveugle, il faut dire que Dieu nexauce pas les pécheurs qui
persistent dans le péché, mais quil exauce les pécheurs qui se repentent de
leur péché, lesquels sont plutôt ŕ mettre au nombre des pénitents que des
pécheurs 8.
1348. Cependant un doute sélčve : il est établi que les miracles ne sont pas accomplis par les hommes en raison de leur propre pouvoir, mais grâce ŕ la pričre. Or les pécheurs font souvent des miracles, selon ce passage de Matthieu : Navons-nous pas prophétisé en ton nom? [...] et n'avons-nous pas fait en ton nom de nombreux miracles? Et cependant Dieu dit : Je ne vous ai jamais connus 9. Ce que laveugle dit : NOUS SAVONS QUE DIEU NÉCOUTE PAS LES PÉCHEURS semble donc ne pas ętre vrai.
3. 2 Ch 6, 36. 38 et 40.
4. Lc 18, 14.
5. Tract, in Ioann., XLIV, 13, BA 738, p.
35.
6. Autrement dit, qui ne sest pas encore lavé les yeux. Cf. n° 1329, note 1.
7. Lc 18, 13.
8. Cf. THÉOPHYLACTE, Enarratio in
evangelium S. Ioannis, in h. loc., PG 123, coI 58 C.
9. Mt 7, 22 et 23. Saint Thomas commente "Je ne vous ai
jamais connus," cest-ŕ-dire je ne vous ai pas approuvés, męme quand vous
faisiez des miracles. -Le Seigneur connais ceux qui sont ŕ lui (2 Tm 2, 19) s
(Sup. Match. lect., n 669).
A cela il y a deux réponses. Lune est générale. Cest que la pričre implique deux aspects : elle obtient et elle mérite. Elle obtient donc parfois sans mériter, et parfois mérite sans obtenir. Et ainsi, rien nempęche que la pričre du pécheur obtienne ce quelle demande, sans pour autant mériter. En ce sens Dieu écoute les pécheurs, non par mode de mérite, mais dans la mesure oů, par la puissance divine quils proclament, ils obtiennent ce quils demandent.
Lautre réponse est spéciale, [elle concerne] le cas dont il parlait, oů le miracle accompli fait connaître la personne du Christ.
1349. Or il faut savoir que tout miracle accompli est une forme de témoignage. Parfois le miracle advient pour témoigner de la vérité proclamée, et parfois pour rendre témoignage ŕ la personne de celui qui laccomplit. Or il faut remarquer quaucun véritable miracle nest fait si ce nest par la puissance divine, et que Dieu nest jamais témoin du mensonge. Je dis donc que chaque fois quun miracle est fait pour rendre témoignage ŕ la doctrine proclamée, il est nécessaire que cette doctrine soit vraie, męme si la personne qui la proclame nest pas bonne. De męme, quand le miracle est fait pour rendre témoignage ŕ la personne, il est semblablement nécessaire que cette personne soit bonne. Or il est manifeste que les miracles du Christ étaient faits pour rendre témoignage ŕ sa personne Les uvres que le Pčre ma données pour que je les accomplisse [ ] rendent témoignage ŕ mon sujet 1. Cest donc en ce sens que laveugle a dit que DIEU NÉCOUTE PAS LES PÉCHEURS, de sorte quils fassent des miracles attestant la sainteté des pécheurs.
1. Jn 5, 36.
MAIS
SI QUELQUUN REND UN CULTE Ŕ DIEU ET FAIT SA VOLONTÉ, CELUI-LŔ IL [DIEU]
LEXAUCE.
1350. LÉvangéliste montre ici que les justes sont exaucés par Dieu, et par mode de mérite.
Il faut savoir ŕ ce sujet que laccomplissement des miracles est attribué ŕ la foi : Si vous dites ŕ cette montagne "Ote-toi dici et jette-toi dans la mer", cela se fera 2. La raison en est que les miracles se font par la toute-puissance de Dieu, sur laquelle la foi sappuie. Celui-lŕ donc qui veut obtenir quelque chose de Dieu doit avoir la foi Quil demande dans la foi 3. Mais sil veut obtenir en méritant, il faut quil accomplisse la volonté de Dieu. Et ces deux aspects sont présents ici.
Concernant le premier, il dit : MAIS SI QUELQUUN REND UN CULTE Ŕ DIEU, par les sacrifices et les victimes ils lhonoreront par des victimes 4. En cela en effet consiste le culte de latrie, qui atteste la foi. Concernant le second, il dit SI QUELQUUN FAIT SA VOLONTÉ, en accomplissant ses commandements, CELUI-LŔ, cest-ŕ-dire Dieu, LEXAUCE.
JAMAIS
ON NA ENTENDU DIRE QUE QUELQUUN AIT OUVERT LES YEUX DUN AVEUGLE-NÉ.
1351. Laveugle pose ici la mineure de son raisonnement. Cest comme sil disait ŕ partir de son uvre męme, que nul homme, jusquŕ présent, na faite, il est manifeste quil a fait cela par lopération de Dieu et quil a été exaucé par Dieu Si je n'avais pas fait parmi eux des uvres que personne dautre na faites, ils n'auraient pas de péché 5.
2. Mt 21, 21.
3. Jc 1, 6.
4. Is 19, 21.
5. Jn 15, 24.
LE
CHRIST MANIFESTE SA DIVINITÉ PAR LES EFFETS DE SA GRÂCE SI CELUI-CI NÉTAIT PAS
DE DIEU, IL NE POURRAIT RIEN FAIRE.
1352. Il tire ici la conclusion du fait que le Christ accomplit de telles uvres, il est manifeste quil est de Dieu. Car SI CET HOMME NÉTAIT PAS DE DIEU, IL NE POURRAIT RIEN FAIRE, cest-ŕ-dire libre ment, avec constance et en vérité parce que, comme il est dit plus bas Sans moi vous ne pouvez rien faire 1.
ILS
RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT : "TU ES NÉ TOUT ENTIER DANS LES PÉCHÉS ET TU
NOUS ENSEIGNES?" ET ILS LE JETČRENT DEHORS.
1353. Ici les pharisiens condamnent laveugle. Ce qui est sűr, cest quen proférant cette condamnation ils tombent dans un triple défaut ou péché : de mensonge, dorgueil et dinjustice.
De mensonge assurément, en lui reprochant sa cécité : TU ES NÉ TOUT ENTIER DANS LES PÉCHÉS. Il faut ici savoir que lopinion des Juifs était que toutes les infirmités et les adversités temporelles survenaient aux hommes ŕ cause de leurs péchés antérieurs. Cest cette opinion qu'Eliphaz soutient : Souviens-toi, je ten prie : qui a jamais péri innocent? Et quand les hommes droits ont ils été détruits. Bien au contraire, ceux qui font liniquité, qui sčment des douleurs et les moissonnent, je les ai vu périr au souffle de Dieu 2. La raison de cette opinion est que sous la Loi ancienne étaient promises ŕ la fois des récompenses temporelles pour les bonnes [actions] et des peines temporelles pour les mauvaises Si vous aviez voulu et que vous mayez écouté, vous mangeriez les biens de la terre 3. En voyant donc que cet homme était né aveugle, ils croyaient que cela lui était arrivé ŕ cause de ses péchés, et pour cette raison ils disent TU ES NÉ TOUT ENTIER DANS LES PÉCHÉS. Mais ils disent lŕ quelque chose de faux, puisque plus haut le Seigneur a dit ni lui na péché, ni ses parents 4. La réprimande venant de la colčre de linsolent est un mensonge 5.
1. Jn 15, 5. Cf. s Trace. in Ioann.,
XLIV, 13, BA 73, p. 35.
2. Jb 4, 7.
3. Is 1, 19.
Sils ajoutent TOUT ENTIER, cest pour montrer que non seulement il est souillé dans son âme par les péchés, en tant que tous sont nés pécheurs, mais encore que les traces des péchés apparaissent dans son corps par la cécité 6. Ou encore, selon Chrysostome 7, TOUT ENTIER, cest-ŕ-dire toute ta vie durant, depuis ton plus jeune âge, tu es dans les péchés.
Les pharisiens courent au péché dorgueil en méprisant ce quenseigne laveugle, lorsquils disent : TU NOUS ENSEIGNES? sous-entendu : Tu nen es pas digne. En cela apparaît leur orgueil. Aucun homme, en effet, si sage soit-il, ne doit rejeter lenseignement dun petit, quel quil soit. Cest pourquoi lApôtre enseigne que si quelque chose a été révélé, męme au plus petit, alors les anciens doivent se taire et lécouter 8. Il est également dit en Daniel que tout le peuple et les anciens écoutčrent le jugement de lenfant le plus jeune Daniel, précisément dont le Seigneur avait éveillé lesprit 9.
4. Jn 9, 3.
5. Si 19, 28.
6. Cf. AUGUSTIN, Tracc in Ioann., XUV,
14, BA 73>, p. 387.
7. In Ioannes, hom., LVIII, 3, PG 59,
col. 319.
8. Cf. 1 Corinthiens 14, 30.
9. Cf. On 13, 60 (cf. 13, 45).
Enfin ils tombent dans le péché dinjustice, en le jetant injustement dehors ILS LE JETČRENT DEHORS pour avoir confessé la vérité. En laveugle saccomplit déjŕ ce que le Seigneur avait prédit aux disciples : Bienheureux serez-vous quand les hommes vous haďront, vous écarteront, vous injurieront et rejetteront votre nom comme mauvais ŕ cause du Fils de lhomme 1.
1354. Aprčs avoir exposé la maničre dont les Juifs ont jeté laveugle dehors alors quil persistait dans la vérité, lEvangéliste montre maintenant la maničre dont Jésus la reçu et instruit. Il expose en premier lieu linstruction du Christ, puis montre lattachement sans réserve [devotion] de laveugle [n° 1358] il montre enfin comment le Christ met en lumičre cet attachement sans réserve [n° 1359].
Linstruction du Christ.
En ce qui concerne le premier point, lEvangéliste met dabord en avant le soin apporté par le Christ ŕ instruire laveugle, puis le désir de croire qui anime laveugle [n° 1356], et enfin lenseignement de la foi qui vient réaliser [le désir de laveugle] [n° 1357].
JÉSUS
ENTENDIT QUILS LAVAIENT JETÉ DEHORS; ET QUAND IL LEUT TROUVÉ, IL LUI DIT : "TOI,
CROIS-TU EN LE FILS DE DIEU?"
1355. Le soin apporté par le Christ ŕ instruire laveugle est décrit de trois maničres. Dabord par la considération attentive de tout ce qui sétait passé concernant laveugle. De męme quun prince considčre avec attention ce que son athlčte supporte ŕ cause de lui, de męme le Christ, lui aussi, a considéré avec attention ce que laveugle supportait ŕ cause de la vérité et de la confession quil fit de lui [Jésus]. Cest pourquoi lEvangéliste dit : JÉSUS ENTENDIT cest-ŕ-dire fut trčs attentif au fait QUILS, les pharisiens, LAVAIENT JETÉ DEHORS, cest-ŕ-dire hors du Temple Sois attentif ŕ moi, Seigneur, et entends la voix de mes adversaires 2.
La seconde chose [qui manifeste le soin que met le Christ ŕ instruire laveugle] est la recherche diligente quil mčne ŕ son égard ET QUAND IL LEUT TROUVÉ, IL LUI DIT... On dit "ętre trouvé" ce qui est cherché avec diligence : la femme qui a perdu une drachme la cherche avec diligence jusquŕ ce quelle la trouve 3. De lŕ il apparaît que le Christ ne cherche que lui [l'aveugle] parce quen lui seul il trouve plus de foi quen tous les autres. De cela on peut conclure quun seul juste est plus aimé de Dieu quune dizaine de milliers de pécheurs, considérés en tant que tels : Lhomme [vir] sera plus précieux que lor, et lętre humain [homo] que lor dOphir 4. Le livre de la Genčse nous dit que le Seigneur, pour dix justes, voulut préserver toute la cité, celle de Sodome.
1. Lc 6,22.
2. Jr 18, 19.
3. Lc 15, 8.
4. Is 13, 12. Plus précieux, cest-ŕ-dire plus rare, comme en 1
S 3, La parole de Dieu était précieuse en ces jours-lŕ, il ny avait pas de
Vision manifeste (Exp. super Isaďam 13, 6, p. 87, 1. 99-100). Pour saint
Thomas, vir désigne ici "celui qui peut se défendre par la puissance"
et homo "celui qui peut se défendre par le conseil". Lor dOphir est
"lor rouge, qui est le meilleurs" (ibid., I 100 103).
La troisičme chose est la grave interrogation [que le Christ adresse ŕ laveugle] : CROIS-TU EN LE FILS DE DIEU? Cet aveugle était le prototype de tous ceux qui devaient recevoir le baptęme. Cest pourquoi la coutume sest établie dans lEglise que les candidats au baptęme soient interrogés sur leur foi Le baptęme nous sauve, non par lenlčvement dune souillure de la chair, mais par la demande ŕ Dieu dune bonne conscience par la Résurrection de Jésus-Christ 1. Linterrogeant sur sa foi, il ne dit pas : Crois-tu en le Christ? mais EN LE FILS DE DIEU, parce que, comme le dit Hilaire 2, il allait arriver que certains confesseraient le Christ tout en niant quil soit Fils de Dieu et Dieu. Cest ce quArius imagina. Ce passage de lévangile exclut manifestement cette erreur. Car si le Christ nétait pas Dieu, il ne faudrait pas croire en lui puisque Dieu seul est objet de la foi, qui trouve son repos dans la Vérité premičre. Aussi est-ce ŕ juste titre que le Christ dit EN LE FILS. Car je peux bien croire une quelconque créature, Paul ou Pierre par exemple, mais cependant [je ne peux pas croire] en Pierre, mais en Dieu seul comme en celui qui est lobjet de ma foi 3. Il est donc clair que le Fils de Dieu nest pas une créature : Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi 4.
1. 1 P3, 21.
2. De Trinitate, L. VI, 48, CCL vol. LXII, p. 254 (PL 10, col. 196).
3. Cf. n° 901. Cf. n°485, note 2.
4. Jn 14, 1.
CELUI-CI
REPONDIT ET DIT : "QUI EST-IL, SEIGNEUR, POUR QUE JE CROIE EN
LUI?"
1356. Ici est exposé le désir de croire qui anime laveugle. Il faut savoir, ŕ ce sujet, que cet aveugle navait pas encore vu le Christ de ses yeux de chair; car, lorsque le Christ avait enduit ses yeux et lavait envoyé ŕ la piscine de Siloé, il ne lavait pas encore vu; et avant de revenir ŕ lui aprčs sętre lavé et avoir recouvré la vue, il fut retenu par les pharisiens et les Juifs. Mais bien quil ne leűt pas vu de ses yeux de chair, il croyait cependant que celui qui lui avait ouvert les yeux était le Fils de Dieu. Et cest pourquoi il sépanche en paroles [qui sont celles] dune âme de désir et avide de savoir 5. QUI EST-IL, cest-ŕ-dire le Fils de Dieu qui ma ouvert les yeux, SEIGNEUR, POUR QUE JE CROIE EN LUI? Ceci révčle que pour une part il le connaissait, et pour une part il lignorait. En effet, sil ne lavait pas connu, il naurait pas soutenu avec une telle constance la discussion en sa faveur, et sil navait, pas été dans lignorance ŕ son sujet, il naurait pas non plus demandé : QUI EST-IL? Mon âme ta désiré dans la nuit 6, celle de lignorance.
JÉSUS
LUI DIT : "MAIS TU LAS VU, ET CELUI QUI PARLE AVEC TOI, CEST LUI "
1357. Mais parce quelle prévient ceux qui la désirent ardemment la Sagesse se révčle ŕ laveugle qui la désire en disant : MAIS TU LAS VU, ET CELUI QUI PARLE AVEC TOI, CEST LUI Par ces mots, le Christ expose lenseignement de la foi par lequel il est en train de linstruire. Dabord il lui remémore le bienfait reçu, en disant : MAIS TU LE VOIS, cest-ŕ-dire de tes yeux de chair, toi qui auparavant ne voyais personne. Comme sil disait : Cest de lui que tu as reçu la faculté devoir Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez 1 Maintenant tu peux laisser sen aller ton serviteur, Seigneur, selon ta parole, car mes yeux ont vu ton salut 2. Il expose ensuite lenseignement ET CELUI QUI PARLE AVEC TOI, CEST LUI En ces temps qui sont les derniers, il nous a parlé par le Fils 3.
5. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem hom., LIX, 1, PG 59,
col. 322 "Dune âme remplie dun
désir ardent et tout entičre ŕ la recherche [de la vérité] jaillit cette parole.
Celui pour lequel il a tant discuté, il ne le connaît pas, pour que tu
apprennes combien était grand son amour de la vérité" (traduction que
nous avons voulue plus littérale que celle de J. Bareille, uvres complčtes, t.
XIV, p. 126).
6. Is 26, 9. Dans son commentaire dIsaďe, saint Thomas
rapproche ce verset de Ct 3, 1 Dans mon ht, au long des nuzts, jai cherché
celui quaime mon âme; et Ps 62, 2 Dieu, mon Dieu, dčs [que parait] la lumičre
je veille, [pensant] ŕ toi (Exp. super Isaďam, p. 124, 1. 77-79).
7. Sg 6, 14.
Ces paroles [suffisent ŕ] réfuter lerreur de Nestorius qui a dit que, dans le Christ, autre est le suppôt du Fils de Dieu, autre celui du Fils de lhomme. Car celui qui parlait est bien né de Marie, et Fils de lhomme; et le męme qui parle est aussi le Fils de Dieu, comme il laffirme, lui, le Seigneur. Les suppôts ne sont donc pas autres, bien que leurs natures ne soient pas identiques.
Lattachement sans réserve
de laveugle.
ALORS
IL DIT : "JE CROIS, SEIGNEUR. " ET, SE PROSTERNANT, IL LADORA.
1358. LÉvangéliste
exprime ici lattitude de laveugle qui se livre ŕ Dieu sans réserve, dans sa
foi 4. Dabord il la
confesse de sa bouche : JE CROIS, SEIGNEUR. On croit par le cur en vue de la
justice, et la confession des lčvres se fait en vue du salut 5. Cest pourquoi il confesse de sa bouche
la foi quil a en son cur, puis il latteste par un geste : ET, SE
PROSTERNANT, IL LADORA, par oů il montre quil croit ŕ sa puissance divine,
lui qui, dans sa conscience désormais purifiée, le connaît non seulement comme
étant uniquement Fils de lhomme, ce qui apparaissait de lextérieur, mais
comme Fils de Dieu ayant assumé la chair. Ladoration, en effet, est due ŕ Dieu
seul : Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et cest lui seul que tu serviras 6.
1. Lc 10, 23.
2. Lc 2, 29.
3. He 1, 2.
4. Cette périphrase traduit devotio fidei in caeco. Sur la
devotio, voir Somme théol., II-II, q. 82. La devotio nest autre que s la
volonté de se livrer promptement ŕ ce qui appartient au service de Dieu (a. 1,
c.). Pour le sens du mot devotio, voir aussi n° 843, note 5.
5. Rm 10, 10. s Cest ŕ juste titre quil dit on croit parle cur,
cest-ŕ-dire par la volonté. Car les autres choses, qui relčvent du culte
extérieur rendu ŕ Dieu, lhomme peut les faire sans le vouloir, tandis quil ne
peut croire que sil le veut. En effet, lintelligence de celui qui croit nest
pas déterminée ŕ donner son assentiment ŕ la vérité en vertu dune nécessité de
la raison, comme lintelligence de celui qui sait, mais en vertu de sa volonté;
et cest pourquoi la justice de lhomme, qui est dans la volonté, nimplique
pas de savoir, mais de croire : Abraham crus ŕ Dieu, et cela lui fut compté
comme justice [imputé ŕ justice] (Gn 15, 6)" (Ad Rom. lece., n° 831).
Le Christ met en valeur
laveugle.
ET
JÉSUS LUI DIT : "CEST POUR UN JUGEMENT QUE MOI JE SUIS VENU DANS CE
MONDE : POUR QUE CEUX QUI NE VOIENT PAS VOIENT, ET QUE CEUX QUI VOIENT
DEVIENNENT AVEUGLES. "
1359. Lattachement sans réserve [devotio] de laveugle est ici mis en lumičre par le Christ. LEvangéliste expose dabord la mise en valeur, par le Christ, de lattachement de laveugle, puis le murmure des Juifs [n° 1362], puis la maničre dont le Christ réduit au silence ceux qui murmurent [n° 1363].
6. Mt 4, 10; cf. Dt 6, 13.
7. "Mise en lumičre" et "mise en valeur"
traduisent le terme commendaeio. Cf. n° 1312, note 4.
8. Précédemment, saint Thomas avait noté que, comme le dit saint
Augustin, le murmure est ce par quoi le peuple offense le plus Dieu voir n° 953.
I
1360. Laveugle est mis en valeur en raison de lillumination de la foi : CEST POUR UN JUGEMENT QUE MOI JE SUIS VENU DANS CE MONDE.
A cela semble sopposer ce qui est dit plus haut : Car Dieu na pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui 1.
Je réponds en disant quau chapitre 3 il est question du jugement de condamnation, dont il est dit au chapitre 5 Ils en sortiront, ceux qui auront fait le bien pour une résurrection de vie, mais ceux qui auront fait le mal pour une résurrection de jugement 2, cest-ŕ-dire de condamnation, jugement pour lequel Dieu na pas envoyé son Fils au temps de sa premičre venue. Il la alors plutôt envoyé pour nous sauver. Ici, il est question du jugement de discernement dont parle le psaume : Juge-moi, Seigneur, et discerne ma cause 3. Car il est venu pour discerner les bons des méchants, comme le montrent les paroles qui suivent : POUR QUE CEUX QUI NE VOIENT PAS VOIENT, ET QUE CEUX QUI VOIENT DEVIENNENT AVEUGLES. Selon Augustin 4, ceux-lŕ voient qui estiment ne pas voir, alors que ceux qui estiment voir ne voient pas. Or les hommes sont dits aveugles spirituellement en tant quils sont dans le péché : Leur malice les a aveuglés Celui-lŕ donc estime voir, qui ne reconnaît pas ses péchés; mais celui qui se reconnaît pécheur estime ne pas voir. La premičre attitude est propre aux orgueilleux, la seconde aux humbles.
1. Jn3, 17.
2. Jn 5, 29.
3. Ps 42, 1. Saint Thomas distingue ici jugement de condamnation
et jugement de discernement, comme précédemment : voir n° 483; n° 488, oů il se
réfčre ŕ saint Grégoire le Grand; n° 776. En commentant le Ps 42, il
distingue dune part le jugement de sévérité, qui regarde seulement la nature
de la réalité, et le jugement de miséricorde qui regarde aussi la condition de
la personne; et dautre part le jugement "aprčs examen" tjudzcium
discussionis cf. n° 488, note 13), qui examine les méntes, et le Jugement de
discernement, qui opčre une séparation davec les méchants Juge-moi, mon Dieu,
es discerne ma cause de celle dune nation non sainte (Exp. in Psalmos, 42, 1).
4. Tract, in Ioann., XLIV, 17, BA
73", p. 41-43.
5. Sg 2, 21.
Le sens de cette parole : CEST POUR UN JUGEMENT QUE MOI JE SUIS VENU est donc : Je suis venu afin de discerner les humbles des orgueilleux. En effet, [celui qui est] le Jour opérait un discernement entre la lumičre et les ténčbres POUR QUE CEUX, les humbles, QUI NE VOIENT PAS, cest-ŕ-dire sestiment pécheurs, VOIENT, illuminés par la foi, ET QUE CEUX QUI VOIENT, les orgueilleux, DEVIENNENT AVEUGLES, cest-ŕ-dire demeurent dans les ténčbres.
1361. Selon Chrysostome 7, il sagit du jugement de condamnation, ŕ condition toutefois que laffirmation du Christ : CEST POUR UN JUGEMENT QUE MOI JE SUIS VENU DANS CE MONDE ne soit pas prise comme exprimant une cause mais une conséquence, comme sil disait : Ma venue dans le monde a eu pour conséquence chez certains un jugement de condamnation, en tant que, che elle aura accru la cause de condamnation. Quelque chose de semblable est dit en Luc : Voici quil a été établi pour la ruine et la résurrection dun grand nombre 8. Non quil soit lui-męme une cause de ruine, mais parce que sa venue a eu cette conséquence. Et il ajoute : POUR QUE CEUX QUI NE VOIENT PAS, cest-ŕ-dire les paďens ŕ qui manque la lumičre de la connaissance divine, VOIENT, cest-ŕ-dire soient admis ŕ la connaissance de Dieu Le peuple qui marchait dans les ténčbres a vu se lever une grande lumičre 9 ET QUE CEUX QUI VOIENT, cest-ŕ-dire les Juifs possédant la connaissance de Dieu Dieu est connu en Juda 10 DEVIENNENT AVEUGLES, cest-ŕ-dire se séparent de la connaissance męme de Dieu. LApôtre fait expressément allusion ŕ cela : Les paďens qui ne cherchaient pas la justice ont embrassé la justice, celle qui vient de la foi; tandis qu'Israël, qui suivait une loi de justice, n'est pas parvenu ŕ la loi de justice 1.
6. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XLIV, 9, BA 73, p. 29; cf. n° 1491, note 12.
7. In Ioannem hom., LIX, 1, PG 59, col. 323.
Saint Jean Chrysostome ne le dit pas
expressément; saint Thomas, lui, lexplicite et montre comment le comprendre
théologiquement.
8. Le 2, 34.
9. Is 9, 2.
10. Ps 75, 2.
II
QUELQUES-UNS
DES PHARISIENS QUI ÉTAIENT AVEC LUI ENTENDIRENT ET LUI DIRENT : "EST-CE
QUE NOUS AUSSI, NOUS SOMMES AVEUGLES?"
1362. LÉvangéliste expose ici le mur mure des Juifs. En effet, parce quils avaient compris dune maničre charnelle les paroles du Seigneur, voyant que laveugle avait recouvré la lumičre du corps et pensant que le Seigneur ne faisait état, ŕ son sujet, que de la seule lumičre du visage et non de celle de lesprit, ils crurent de la męme maničre quil les menaçait de la cécité corporelle et les blâmait en leur disant : POUR QUILS DEVIENNENT AVEUGLES. Cest pourquoi lEvangéliste dit que QUELQUES-UNS DES PHARISIENS QUI ÉTAIENT AVEC LUI ENTENDIRENT les paroles susdites.
Il dit QUI ÉTAIENT AVEC LUI pour montrer leur instabilité; car parfois ils sont avec lui ŕ cause des miracles quils voient, mais ils séloignent cependant de lui lorsque la vérité leur est découverte Ils croient pour un temps, et au temps de la tentation ils se retirent ILS LUI DIRENT "EST-CE QUE NOUS AUSSI, NOUS SOMMES AVEUGLES?" cest-ŕ-dire dans notre corps, bien quils fussent aveugles desprit Laissez-les, ce sont des aveugles et des guides daveugles.
1. Rm 9, 30. " Les paďens ont embrassé," cest-ŕ-dire
ont suivi, la justice, par laquelle ils sont appelés fils Vous avez été
justifiés au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1 Corinthiens 6, 11). Et cela,
assurément, de par un appel de lélection divine [Ex vocatione divinae
electionis], et non en vertu de mérites, ce qui est évident puisquil dit qui
ne suivaient pas la justice, comme il est dit dans lépître aux Ephésiens Vous
étiez en ce temps lŕ sans le Christ, exclus de la cité dIsraël (2, 12). Il
explicite ensuite ce quil avait dit, en précisant la justice qui vient de la
foi, et non celle qui consiste en uvres. Car les paďens ne se sont pas
convertis pour observer la justice légale, mais pour ętre justifiés par la foi
au Christ La justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ est pour tous et sur
tous ceux qui croient en lui (Rm 3, 22) " (Ad Rom. lecc, n°808).
JÉSUS
LEUR DIT : "SI VOUS ÉTIEZ AVEUGLES, VOUS NAURIEZ PAS DE PÉCHÉ. MAIS
MAINTENANT VOUS DITES : "NOUS VOYONS"; VOTRE PÉCHÉ DEMEURE. "
1363. LÉvangéliste expose ici la maničre dont le Christ met fin [au murmure des Juifs}. Selon linterprétation dAugustin 4, lintention des propos précédents y est révélée, de sorte que soit manifesté de quelle cécité le Seigneur parle, cest-ŕ-dire de la cécité spirituelle. Il dit donc : SI VOUS ÉTIEZ AVEUGLES, cest-ŕ-dire, si vous vous estimiez aveugles, reconnaissant, grâce ŕ lhumilité, votre péché, VOUS NAURIEZ PAS DE PÉCHÉ, parce que vous iriez en courant vers le médecin. Le péché, en effet, est remis par la grâce, qui nest donnée quaux humbles : Aux humbles il donne la grâce 5. MAIS MAINTENANT VOUS DITES : "NOUS VOYONS", cest-ŕ-dire, estimant orgueilleusement que vous voyez, vous ne vous reconnaissez pas pécheurs. VOTRE PÉCHÉ DEMEURE, cest-ŕ-dire quil nest pas remis : Dieu résiste aux orgueilleux 6.
Selon Chrysostome 7, il sagit de la cécité corporelle et le sens est le suivant : SI VOUS ÉTIEZ AVEUGLES corporellement, VOUS NAURIEZ PAS DE PÉCHÉ du fait que vous seriez aveugles; car une telle cécité, étant un défaut du corps, nimplique pas en elle-męme ce qui constitue comme tel le péché 8. MAIS MAINTENANT, parce que VOUS DITES : "NOUS VOYONS", votre péché est grandement aggravé puisque, voyant de vos yeux de chair les miracles que jaccomplis, vous ne me croyez pas Aveugle le cur de ce peuple 1.
2. Lc 8, 13.
3. Mt 15, 14.
4. Tract, in Ioann., XLIV, 1, 5-7, BA 73
5. Jc 4, 6.
6. Ibid.
7. In boannem hom., UX, 1, PG 59, col. 323.
8. Non habet rationem peccati.
[Ces paroles peuvent encore avoir un autre sens 2 SI VOUS ÉTIEZ AVEUGLES, cest-ŕ-dire ignorant les jugements de Dieu et les sacrements de la Loi, VOUS NAURIEZ PAS DE PÉCHÉ, sous-entendu : un si grand péché. Comme sil disait : Si vous péchiez par ignorance, votre péché ne serait pas grave ŕ ce point. MAIS MAINTENANT, parce que VOUS DITES : "NOUS VOYONS", cest-ŕ-dire que vous vous arrogez la science de la Loi et la connaissance de Dieu et que cependant vous péchez, VOTRE PÉCHÉ DEMEURE, cest-ŕ-dire quil est rendu plus grave : Le serviteur qui a connu la volonté de son maître et qui ne sest pas tenu pręt, et qui na pas agi selon sa volonté, recevra un grand nombre de coups 3.
1. Is 6, 10.
2. Cf. THÉOPHYLACTE, Enarratio in
evangelium S. bannis, in h. loc., PG 123, col. 64 C-D.
3. Lc 12, 47.
1364. Ayant montré que son enseignement a une puissance illuminative [n° 1118], le Seigneur montre ensuite quil a une puissance vivificatrice; cela dabord par la parole, puis par un miracle, au chapitre 11 [n° 1471]. Il montre dabord que lui-męme possčde une puissance vivificatrice, puis la maničre dont il vivifie [n° 1409] et enfin le pouvoir de vivifier [n° 1427].
Cette premičre partie se divise elle-męme en trois. Le Seigneur propose une parabole, puis lEvangéliste laisse entendre la nécessité de son explication [n° 1378] enfin le Seigneur lui-męme donne lexplication de la parabole [n° 1381].
Il leur propose cette parabole en disant
"AMEN,
AMEN, JE VOUS LE DIS, CELUI QUI NENTRE PAS PAR LA PORTE DANS LE BERCAIL DES
BREBIS, MAIS LESCALADE PAR AILLEURS, CELUI-LŔ EST UN VOLEUR ET UN BRIGAND. MAIS
CELUI QUI ENTRE PAR LA PORTE EST LE PASTEUR DES BREBIS. Ŕ LUI LE PORTIER OUVRE,
ET LES BREBIS ÉCOUTENT SA VOIX; ET SES BREBIS Ŕ LUI, IL LES APPELLE PAR LEUR
NOM, ET IL LES CONDUIT DEHORS. ET QUAND IL A FAIT SORTIR CELLES QUI SONT Ŕ LUI,
IL VA DEVANT ELLES. ET LES BREBIS LE SUIVENT, PARCE QUELLES CONNAISSENT SA
VOIX. ELLES NE SUIVENT PAS UN ÉTRANGER, MAIS ELLES SENFUIENT LOIN DE LUI,
PARCE QUELLES NE CONNAISSENT PAS LA VOIX DES ÉTRANGERS. "
Il sagit, dans cette parabole, du voleur et du pasteur des brebis. Le Seigneur met dabord en avant la condition du voleur et du bandit, puis celle du pasteur [n° 1369]; enfin, leffet de laction de lun et de lautre sur les brebis [n° 1375].
La condition du voleur.
AMEN,
AMEN, JE VOUS LE DIS, CELUI QUI NENTRE PAS PAR LA PORTE DANS LE BERCAIL DES
BREBIS, MAIS LESCALADE PAR AILLEURS, CELUI-LŔ EST UN VOLEUR ET UN BRIGAND.
1365. Pour avoir
lintelligence de tout cela, il faut dabord considérer qui sont les brebis; ce
sont ceux qui ont la foi dans le Christ, et ceux qui sont dans la grâce de Dieu
Nous sommes son peuple et les brebis de son pâturage 1. Quant ŕ vous, mon troupeau, les brebis
de mon pâturage, vous ętes des hommes, et moi je suis le Seigneur votre Dieu 2. Donc, le bercail des brebis, cest
lassemblée du peuple qui a la foi Je te rassemblerai, Jacob, tout entier; je
réunirai le reste dIsraël ensemble, je létablirai comme un troupeau dans le
bercail La porte du bercail est comprise de maničre différente par Chrysostome
et par Augustin.
1366. Daprčs Chrysostome 4, le Christ appelle "porte" les Saintes Ecritures [Scriptura Sacra], selon ce passage : Priant en męme temps aussi pour nous, afin que Dieu nous ouvre la porte de la parole 5. LEcriture sainte est appelée porte, comme le dit Chrysostome, dabord parce que, par elle, nous avons accčs ŕ la connaissance de Dieu Ce quil avait autrefois promis par ses Prophčtes dans les Saintes Ecritures au sujet de son Fils, qui a été fait selon la chair de la race de David 6; ensuite parce que, de męme que la porte garde les brebis, de męme lEcriture sainte conserve la vie de ceux qui ont la foi Vous scrutez les Ecritures, parce que vous pensez avoir la vie en elles enfin parce que, de męme que la porte empęche les loups darriver par surprise, de męme la Sainte Ecriture empęche les hérétiques de nuire aux fidčles Toute Ecriture divinement inspirée est utile pour enseigner, argumenter, corriger, éduquer dans la justice IL NENTRE donc PAS PAR LA PORTE, celui qui, pour enseigner le peuple, nentre pas par la Sainte Ecriture. Cest pourquoi le Seigneur dit de tels hommes, en citant Isaďe : Cest en vain quils me rendent un culte, eux qui enseignent les enseignements et les commandements des hommes 1. Vous avez annulé le commandement de Dieu ŕ cause de vos traditions 2. Cest donc la condition du voleur quil nentre pas par la porte, mais par ailleurs.
1. Ps 94, 7.
2. Ez 34, 31.
3. Mi 2, 12.
4. In loannem hom., UX, 2, PG 59, col. 523-524.
5. Col 4, 3. En commentant
lépître aux Colossiens, saint Thomas interprčte autrement ce passage "
Cest un devoir pour ceux qui sont soumis de prier pour ceux qui exercent
lautorité, parce que ceux-ci les gardent et leur bien est le bien commun de
toua. -Priez pour nous, afin que la parole du Seigneur poursuive sa course (2
Th 3, 1). Et cela pour que Dieu nous ouvre la porte de la parole, cest-ŕ-dire
la bouche, par laquelle la parole sort du cur, et pour que Dieu donne la grâce
de proférer dignement la parole. Psr louverture est signifié aussi quelque
chose de grand Ouvrant la bouche, il les enseignait (Mt 5, 2). Et cest
pourquoi il ajoute pour dire le mystčre du Christ. LEsprit est celui qui dit
les mystčres (1 Corinthiens 14, 2) (Ad Col. lect., IV, n 184).
6. Rm 1, 2-3.
7. Jn 5, 39.
8. 2 Tm 3, 16. Saint Thomas
commente : "LApôtre montre que les
Saintes Ecritures sont une voie vers le salut; et il affirme trois choses. En
effet il met en valeur les Ecritures en raison de leur principe, en raison de
leffet utile [qu'ils produisent] et en raison du fruit ultime et du progrčs
[dont elles sont la source]. " Si en effet tu considčres le principe
de lEcriture sainte, elle a un privilčge sur toutes les autres; parce que les
autres sont transmises par la raison humaine, alors que lEcriture sainte est
divine; cest pourquoi il dit lEcriture divinement inspirée. Ce nest pas
par la volonté humaine que la prophétie nous a été apportée autrefois, mais
cest inspirés par lEsprit-Saint que des hommes saints ont parlé de la part de
Dieu (2 P 1, 21). Linspiration du Tout-Puissant donne lintelligence (Jb 32,
8). Mais ni dis : Comment une autre écriture nest-elle pas divinement
inspirée, puisque selon Ambroise, tout vrai, quel que soit celui qui le dit,
vient de lEsprit-Saint? Il faut répondre que Dieu opčre quelque chose de deux
maničres, soit immédiatement, comme son uvre propre ainsi les miracles -.,
soit par lintermédiaire de causes inférieures, comme les uvres naturelles
Tes mains, Seigneur, mont fait (Jb 10, 8); et cependant de telles choses
arrivent par lopération de la nature. Et ainsi, dans lhomme, Dieu instruit
lintelligence immédiatement par les Saintes Ecritures, et médiatement par
dautres. Leffet de cette Ecriture est double parce quelle enseigne ŕ
connaître la vérité et elle persuade daccomplir la justice LEsprit-Saint
Paraclet vous enseignera, sous-entendu ce qui doit ętre connu, et vous
suggérera ce qui doit ętre fait. Et Cest pourquoi elle est utile pour
connaître la vérité et elle est utile pour se diriger dans ce quon s ŕ
accomplir. Il existe en effet une intelligence [spéculative] et une
intelligence [pratique]. Et dans lune et lautre, deux choses sont
nécessaires, ŕ savoir connaître la vérité et repousser lerreur. En effet luvre
du sage est de ne pas mentir et de rejeter celui qui ment. Il dit donc quelle
est utile pour enseigner, cest-ŕ-dire la vérité Enseigne-moi la bonté, la
docilité et la science (Ps 118, 66). Et il ajoute : pour argumenter Pour que
tu puisses exhorter dans la saine doctrine et argumenter contre ceux qui
sopposent (Tt 1, 9). De męme, du point de vue de la raison pratique, deux
choses sont nécessaires éloigner du mal et conduire au bien Détourne-roi du
mal et fais le bien (Ps 33, 15). Et il dit pour corriger, cest-ŕ-dire corriger
du mal Si ton frčre a péché contre toi, va et corrige le entre toi et lui
seul (Mt 18, 15). Heureux lhomme qui est corrigé par le Seigneur (Jb 5, 17).
Ensuite il dit pour éduquer dans la Justice. Cela, toute lEcriture sainte le
fait Il ma éduqué dune main forte (Is 8, 11). Ainsi donc, il y a quatre
effets de la Sainte Ecriture enseigner la vérité, argumenter contre la
fausseté, quant ŕ [l'intelligence] spéculative; arracher du mal et conduire au
bien, quant ŕ lintelligence pratique " (Ad 2 Tm. lect., 1H, n° 124 127).
Voir aussi Somme tiséol., I, q. I, s. I
Le Seigneur ajoute : IL ESCALADE, ce qui saccorde avec la parabole, puisque les voleurs, au lieu dentrer par la porte, escaladent les murs et se précipitent dans le bercail. Cela saccorde aussi avec la vérité la raison pour laquelle certains enseignent dune autre maničre que ce que juge 3 lEcriture sainte vient avant tout de lorgueil Si quelquun enseigne autrement et ne sattache pas aux paroles sacrées, il est orgueilleux, ne sachant rien 4. Et ŕ ce propos il dit : IL ESCALADE, cest-ŕ-dire par lorgueil. CELUI, dis-je, QUI ESCALADE PAR AILLEURS, CELUI-LŔ EST UN VOLEUR, semparant de ce qui nest pas sien, ET UN BRIGAND, tuant ce dont il sempare Si des voleurs étaient entrés chez toi, des bandits pendant la nuit, comment te serais-tu caché 5?
Et ainsi, selon cette
explication, le texte se rattache ŕ ce qui précčde de cette maničre : parce que
le Seigneur leur avait dit : Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché
6, les Juifs
auraient pu répondre et dire : ce nest pas ŕ cause de notre aveuglement que
nous ne croyons pas en toi, mais ŕ cause de ton erreur; cest elle qui nous
fait nous détourner de toi. Et cest pourquoi le Seigneur, rejetant cela, veut
montrer quil nest pas dans lerreur parce quil entre par la porte,
cest-ŕ-dire par la Sainte Ecriture autrement dit, il enseigne ce que
contient la Sainte Ecriture.
1367. Mais quelque chose va contre cette interprétation : dans son explication de la parabole, le Seigneur dit plus loin Moi, je suis la porte il semble donc que, par la porte, on doive entendre le Christ.
A cela Chrysostome répond que dans cette parabole, le Seigneur affirme quil est lui-męme et la porte et le pasteur. Cest pourquoi, selon que lui-męme se nomme de différentes maničres, "porte" a des sens différents; car en tant quil se dit pasteur, il faut que la porte soit autre chose que lui-męme, puisque le pasteur et la porte ne sont pas la męme chose. Or rien dautre en dehors du Christ ne peut ętre appelé "porte" dune maničre qui convienne mieux que la Sainte Ecriture, pour les raisons quon a dites. Il convient donc dappeler "porte" la Sainte Ecriture.
1. Mt 15, 9; cf. Is 29, 13.
2. Mt 15, 6.
3. Aliter quam sapiat Sacra Scriptura. Il nest pas indifférent
que saint Thomas emploie ce terme. A plusieurs reprises en effet (cf. Somme
théol., I, q. 43, a. 5, ad 2; II-II, q. 45, a. 2, ad 1 et 2), il affirme que la
sagesse est une "science savoureuse", sapida scientia, parce quelle
nous fait goűter " de lintérieur le mystčre de Dieu.
4. 1 Tm 6, 3. Saint Thomas commente : Si tu veux savoir quelle
doctrine est erronée, lApôtre le montre ŕ partir de trois aspects. Dabord, si
elle est contre la doctrine de lEglise. Cest pourquoi il dit : Si quelquun
enseigne autrement, cest-ŕ-dire autrement que moi et les autres Apôtres Si
quelquun vous évangélise autrement que ce que vous avez reçu, quil soit
anathčme (Ga 1, 9). En effet la doctrine des Apôtres et des prophčtes est dite
canonique parce quelle est comme la rčgle de notre intelligence. Et cest
pourquoi personne ne doit enseigner autrement Vous najouterez rien ŕ la
parole que je vous ai dite et vous nen retrancherez rien (Dt 4, 2). Si
quelquun ajoute quelque chose ŕ ces paroles, Dieu leur ajoutera les plaies qui
sont décrites dans ce livre (Ap 22, 18). Ensuite il dit : Et ne sattache pas.
Car le Seigneur Jésus est venu pour rendre témoignage ŕ la vérité (Jn 18, 37). Cest,
pourquoi il s été envoyé par le Pčre comme Docteur et Maître Ecoutez-le
toujours et lui-męme sera pour vous un pčre (1 M 2, 65). Et cest pourquoi est
dans lerreur quiconque ne sattache pas ŕ ses paroles. Le rejeter est comme
un péché de divination et ne pas vouloir lapprouver est comme un crime
didolâtrie (1 S 15, 23). Et il dit saines, parce que dans les paroles du
Christ il ny a rien qui relčve de la corruption, de la fausseté ou de la
perversité, parce que ce sont les paroles de la sagesse divine. On dit que
lorgueil est la racine des erreurs pour deux raisons. Dabord parce que les
orgueilleux veulent sintroduire dans des choses auxquelles ils natteignent
pas, et cest pourquoi nécessairement ils se trompent et échouent Son
orgueil, son arrogance et son indignation plus que sa force... (Is 16, 6). De
męme parce quils ne veulent pas se soumettre ŕ lintelligence dun autre mais
sappuient sur leur propre prudence, et cest pourquoi ils ne veulent pas obéir
ŕ lEcriture sainte. Contre cela il est dit dans les Proverbes : Ne tappuie
pas sur ta propre prudence (Pr 3, 5). Lŕ oů est lhumilité, lŕ est la sagesse
(Pr 11, 2). s (Ad 1 Tm. lect., VI, n° 237-238).
5. Abd 5.
6. Jn 9,41.
7. Jn 10,7.
1368. Selon Augustin 1, par la porte on entend ici le Christ; et cela parce que cest par lui quon entre Aprčs cela, je vis une grande porte ouverte dans le ciel 2. Quiconque donc entre dans le bercail doit entrer par cette porte, le Christ, et non par ailleurs. Mais remarquons quentrer dans le bercail revient au pasteur et ŕ la brebis; ŕ la brebis pour y ętre gardée, au pasteur pour garder les brebis. Si donc tu veux entrer comme brebis pour ętre gardé lŕ, ou comme pasteur pour garder les brebis, il te faut entrer par le Christ. Certains en effet ont cru pouvoir entrer dans le bercail par ailleurs que par le Christ, comme les philosophes qui ont traité des vertus et les pharisiens qui établissaient les cérémonies traditionnelles. Mais ces gens-lŕ ne sont ni des pasteurs ni des brebis, parce que, comme dit le Seigneur : CELUI QUI NENTRE PAS PAR LA PORTE DANS LE BERCAIL DES BREBIS, cest-ŕ-dire par le Christ, MAIS LESCALADE PAR AILLEURS, CELUI-LŔ EST UN VOLEUR ET UN BRIGAND; parce quil tue et lui-męme et les autres 3. Car le Christ, et non un autre est la porte du bercail, cest-ŕ-dire de lassemblée de ceux qui ont la foi Nous avons la paix avec Dieu par le Christ, lui par qui nous avons accčs par la foi ŕ cette grâce en laquelle nous nous tenons, et nous nous glorifions dans lespérance de la gloire des fils de Dieu 4. Il n'est pas sous le ciel dautre nom donné aux hommes en lequel il nous faille ętre sauvés 5.
1. Saint Thomas ne suit pas ici le commentaire minutieux de saint
Augustin, mais en reprend lidée principale en y ajoutant quelques remarques. Voir
Tract, in Ioann., XLV, 1-15, BA 735, p. 44-87.
2. Ap. 4, 1.
3. Nous gardons ici le texte de lédition Marietti, et non un
autre, qui nous semble préférable ŕ la correction de lédition léonine qui
propose s et non autre chose s.
4. Rm 5, 1.
5. Ac 4, 12.
Et selon cette explication, le texte se rattache ŕ ce qui précčde de cette maničre ils disaient en effet quils voyaient sans le Christ, selon ce quil a dit plus haut. Maintenant, parce que vous dites : "Nous voyons", votre péché demeure 6; le Seigneur, en disant : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, CELUI QUI NENTRE PAS PAR LA PORTE... montre donc que cela est faux, parce quils nentrent pas par la porte.
Or, de męme que celui qui, comme brebis, nentre pas par la porte ne peut ętre gardé, de męme celui qui entre comme pasteur ne peut pas garder, ŕ moins de passer par la porte, cest-ŕ-dire par le Christ. Par cette porte entrent les vrais pasteurs dont parle lépître aux Hébreux Personne ne s'attribue cet honneur, mais celui qui est appelé par Dieu, comme Aaron Les mauvais pasteurs nentrent pas par la porte, mais par lambition, la puissance du monde et la simonie 8; et ceux-lŕ sont des voleurs et des bandits Ils ont régné par eux-męmes et non de par moi, ils se sont prétendus princes et je ne les ai pas connus 9, cest-ŕ-dire je ne les ai pas approuvés.
Et il dit MAIS LESCALADE PAR AILLEURS. En effet, cette porte qui est le Christ, est petite par lhumilité Venez ŕ moi, carie suis doux et humble de cur 10; ne peuvent donc entrer que ceux qui imitent lhumilité du Christ. Ceux donc qui nentrent pas par la porte escaladent par ailleurs; autrement dit, ils sont orgueilleux et ils nimitent pas celui qui, alors quil était Dieu, sest fait homme 11, et ils ne reconnaissent pas son humilité.
6. Jean 9, 41.
7. He 5, 4.
8. Sur la simonie, voir n 387, note 9.
9. Os 8, 4.
10. Mt 11, 29; cf. n° 1124, note 2.
11. Cf. Phi 2, 6-8.
La condition du pasteur.
LA
PUISSANCE VIVIFICATRICE DU CHRIST MANIFESTÉE PAR LA PAROLE MAIS CELUI QUI ENTRE
PAR LA PORTE EST LE PASTEUR DES BREBIS. Ŕ LUI LE PORTIER OUVRE, ET LES BREBIS
ÉCOUTENT SA VOIX; ET SES BREBIS Ŕ LUI, IL LES APPELLE PAR LEUR NOM, ET IL LES
CONDUIT DEHORS. ET QUAND IL A FAIT SORTIR CELLES QUI SONT Ŕ LUI, IL VA DEVANT
ELLES.
1369. Ici, il sagit du pasteur. Le Seigneur expose dabord la condition du pasteur, puis il montre par des signes qui est le pasteur [n° 1371].
MAIS
CELUI QUI ENTRE PAR LA PORTE EST LE PASTEUR DES BREBIS.
1370. La condition du vrai pasteur est dentrer par la porte. Selon le commentaire de Chrysostome, cela doit sentendre ainsi : le Christ, QUI ENTRE PAR LA PORTE, cest-ŕ-dire par les témoignages de la Sainte Ecriture, est le vrai PASTEUR. Cest pourquoi il disait : Il faut que saccomplisse tout ce qui a été dit de moi dans la Loi de Moďse, les Prophčtes et les Psaumes 1. Et moi je n'ai pas été troublé en te suivant comme pasteur 2 Gomme le pasteur visite son troupeau durant le jour, quand il est au milieu de ses brebis dispersées 3.
Mais si par la porte on entend le Christ, comme linterprčte Augustin, alors en entrant par la porte, il entre par lui-męme. Cela, cest le propre du Christ, car personne ne peut entrer par la porte, cest-ŕ-dire [aller] vers la béatitude, si ce nest par la vérité, parce que la béatitude nest rien dautre que la joie de la vérité 4. Or le Christ en tant que Dieu est la Vérité; et cest pourquoi, en tant quhomme, il entre par lui-męme, cest-ŕ-dire par la Vérité que lui-męme est en tant que Dieu. Nous, nous ne sommes pas la Vérité elle-męme, mais nous sommes fils de la lumičre, par participation de la Lumičre véritable et incréée; et cest pourquoi il nous faut entrer par la Vérité, qui est le Christ Sanctifie-les dans la vérité Si quelquun entre par moi, il sera sauvé.
Mais si quelquun veut aussi entrer comme pasteur, il faut quil entre par la porte, le Christ, cest-ŕ-dire selon sa volonté et ce quil ordonne; cest pourquoi il dit : Je leur donnerai un pasteur qui les fera paître, mon serviteur David 8 comme sil disait : cest par moi quils doivent ętre donnés, et non par dautres ou par eux-męmes.
1. Lc 24, 44.
2. Jr 17, 16.
3. Ez 34, 12.
4. Cf. Somme théol., I-II, q. 3, a. 8, q. 4, a. 1 et 2. Voir n°
935. "La oie de la vérité" (gaudium de veritate) cette expression de
saint Augustin manifeste bien laspect subjectif de la béatitude. Elle ne
consiste pas seulement ŕ atteindre la vérité spéculative, mais ŕ vivre de la
vérité, cest-ŕ-dire ŕ ętre entičrement possédé par la vérité, â se reposer en
elle, la vérité étant la fin propre de lintelligence.
Ŕ LUI
LE PORTIER OUVRE, ET LES BREBIS ÉCOUTENT SA VOIX; ET SES BREBIS Ŕ LUI, IL LES
APPELLE PAR LEUR NOM, ET IL LES CONDUIT DEHORS. ET QUAND IL A FAIT SORTIR
CELLES QUI SONT Ŕ LUI, IL VA DEVANT ELLES.
1371. Le Seigneur expose ici ŕ quels signes on reconnaît le bon pasteur; ils sont au nombre de trois.
Le premier se prend du point de vue du portier, cest-ŕ-dire de celui qui lintroduit : Ŕ LUI, LE PORTIER OUVRE. Le portier, selon Chrysostome 9, est celui qui ouvre la voie ŕ la connaissance de lEcriture sainte; ce fut dabord Moďse, qui, le premier, reçut et institua les Saintes Ecritures. Et ici, il ouvre au Christ, parce que, comme il est dit plus haut : Si vous croyiez en Moďse, vous croiriez peut-ętre aussi en moi; cest de moi en effet quil a écrit 1.
5. Cf. Jn 12, 36.
6. Jn 17, 17.
7. Jn 10, 9.
8. Ez 34, 23.
9. In loannem hom., LIX, 2, PG 59, col. 524.
Ou bien, selon Augustin, le portier, cest le Christ lui-męme, parce que cest lui-męme qui introduit les hommes ŕ lui. Il dit : "Lui-męme souvre, lui qui se révčle lui-męme, et nous nentrons que par sa grâce 2." Cest par grâce que vous ętes sauvés, et non par vous-męmes 3.
Il importe peu que celui-lŕ męme qui est la porte soit aussi le portier; car, dans les réalités spirituelles, certaines choses saccordent qui ne le peuvent dans les réalités matérielles. Or il semble que le pasteur diffčre plus de la porte que la porte du portier. Puis donc que le Christ est dit pasteur et porte, comme on la dit, il peut encore plus ętre dit porte et portier 4. Mais si tu cherches comme portier une autre personne que Moďse et le Christ, vois lEsprit-Saint comme portier, selon ce que dit Augustin Il appartient en effet au service du portier douvrir la porte, et il est dit de lEsprit-Saint. Il vous enseignera la vérité tout entičre 6. Le Christ, en effet, est la porte, en tant quil est la Vérité.
1372. Le second signe
[caractéristique du bon pasteur] se prend du point de vue des brebis,
cest-ŕ-dire du fait quelles lui obéissent : ET LES BREBIS ÉCOUTENT SA VOIX.
Cela, certes, est dit avec raison, si on le considčre ŕ partir de la similitude
du pasteur; en effet, les brebis reconnaissent la voix du pasteur ŕ partir de
leur imagination qui y est habituée. Et ainsi, ceux qui ont la foi et qui sont
justes écoutent la voix du Christ Aujourdhui, si vous écoutez sa voix 8.
1. Jn 5, 46.
2. Saint Thomas recompose ici une phrase ŕ partir de deux
phrases distinctes de saint Augustin. Voir Tract, in Ioann., XLVI, 2 et 4, BA
73", p. 91 et 95.
3. Ep 2, 8.
4. Noublions pas que lorsque Jésus dit quil est le bon
pasteur, il affirme symboliquement ce quil est personnellement, relativement ŕ
sa conduite sur ses brebis. Nest-ce pas le mystčre męme de son sacerdoce
royal? Le roi nest-il pas pasteur? Lorsque Jésus affirme quil est la porte,
cest un peu différent : tout laccent est mis symboliquement sur la fonction
propre du Christ, laissant passer devant lui ses brebis. Nest-ce pas laspect
propre de lAgneau immolé offrant sa vie pour ses brebis (voir n° 1398)? Les
symboles se diversifient relativement aux diverses fonctions, alors que le
"Je suis" regarde la personne, qui est unique et la męme.
5. Tract, in Ioann., XLVI, 4, 13A 73 b,
p. 94-97.
6. Jn 16, 13.
1373. On peut objecter que nombreuses sont les brebis du Christ qui nont cependant pas entendu sa voix, comme Paul. En outre, certains lont entendue et nont pas été les brebis du Christ, comme Judas 9.
A cela on pourrait répondre que Judas était ŕ ce moment-lŕ une brebis du Christ, quant ŕ la justice présente. Et Paul, quand il nentendait pas la voix du Christ, nétait pas une brebis, mais un loup; mais la voix du Christ, en survenant, a transformé le loup en brebis 10.
On pourrait soutenir une telle réponse si ce que dit Ezéchiel ne lui était pas contraire : Celle qui avait été blessée, vous ne lavez pas pansée, et celle qui était égarée, vous ne lavez pas ramenée 11. A partir de lŕ, on voit que, alors quelles étaient encore blessées et dans lerreur, elles étaient des brebis. Cest pourquoi il faut dire que le Seigneur parle ici de ses brebis non seulement quant ŕ la justice présente, mais aussi selon la prédestination éternelle 12. Il est en effet une parole du Christ que nul ne peut entendre sil nest prédestiné, cest-ŕ-dire : Celui qui aura persévéré jusquŕ la fin, celui-lŕ sera sauvé 1. Cest pourquoi il dit ET LES BREBIS ÉCOUTENT SA VOIX; les Juifs auraient pu en effet sexcuser de leur manque de foi en disant que non seulement eux-męmes, mais aussi aucun des chefs du peuple ne croyaient en lui 2. Pour répondre ŕ cela il dit : ET LES BREBIS ÉCOUTENT SA VOIX, comme pour dire : eux-męmes ne croient pas en moi parce quils ne sont pas de mes brebis.
7. Aristote, ŕ qui saint Thomas semble ici faire allusion, lie ŕ
plusieurs reprises la capacité dapprendre et le sens de louďe s Sont prudents
sans pouvoir apprendre les animaux qui ne peuvent pas entendre les sons, par
exemple labeille, et tout autre genre danimaux semblable, sil sen trouve;
apprennent tous ceux qui, outre le souvenir, ont ce sens... "
(Métaphysique, A, 1, 980 b 21-25; cf. In XII libros Met. exp., I, n° 12); voir
aussi De lâme, III, 13, 435 b 24-25; De la sensation et du sensible, I, 437 a
5-17.
8. Ps 94, 8.
9. "Judas a entendu [la voix du pasteur], et il était un loup;
il le suivait, mais, recouvert dune peau de brebis, il tendait des pičges au
pasteurs. " (SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLV, 10, BA 73, p. 68-69).
10. "Quand ils nentendaient
pas [la voix du pasteur], ils nétaient pas encore des brebis, ils étaient
alors des loups; une fois entendue, de loups quils étaient, la voix en a fait
des brebis" (ibid.).
11. Ez 34,4.
12. Cette distinction entre la s justice présentes et la
prédestination éternelle s est analogue ŕ la distinction du devenir et de
lętre. La justice présente, cest-ŕ-dire létat actuel de grâce, implique
linstant présent et donc le devenir. La prédestination est un regard de
sagesse, déternité.
1374. Le troisičme signe [caractéristique du bon pasteur] se prend des actes du pasteur lui-męme : ET SES BREBIS Ŕ LUI, IL LES APPELLE PAR LEUR NOM, ET IL LES CONDUIT DEHORS. ET QUAND IL A FAIT SORTIR CELLES QUI SONT Ŕ LUI, IL VA DEVANT ELLES. Dans ce passage, le Christ expose quatre actes propres au bon pasteur. En premier lieu il connaît ses brebis. Cest pourquoi il dit que SES BREBIS Ŕ LUI, IL LES APPELLE PAR LEUR NOM : il montre en cela la connaissance quil a de ses brebis et lintimité quil a avec elles 3. En effet, ce sont ceux que nous connaissons intimement [familialiter] que nous appelons par leur nom 4 Moi je tai connu par ton nom. Cela convient certes au service du bon pasteur, selon la parole du livre des Proverbes : Considčre avec attention le visage de ton troupeau 5. Et cela convient au Christ, selon la connaissance présente [qu'il a des hommes], ou surtout selon la prédestination éternelle en laquelle, de toute éternité, il connaît jusquŕ leur nom 6 Lui qui compte la multitude des étoiles et les appelle toutes par leur nom 7. Le Seigneur connaît ceux qui sont ŕ lui 8.
1. Mt 10, 22.
2. Cf. Jn 7, 48.
3. Familiaritatem suam. Voir n 1475, note 5, p. 611.
4. Ex 33, 17.
5. Pr 27, 23.
6. Ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont
soumis; réjouissez-vous de ce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux
(Lc 10, 20); Au vainqueur, je lui donnerai de la manne cachée; et je lui
donnerai un caillou blanc, et écrit sur ce caillou un nom nouveau que personne
ne sait, sinon celui qui le reçoit (Ap 2, 17).
En second lieu, il les CONDUIT DEHORS, cest-ŕ-dire quil les sépare de la société des impies Il les a fait sortir des ténčbres et de lombre de la mort 9.
En troisičme lieu, aprčs avoir séparé les brebis des impies et les avoir fait entrer dans le bercail, de nouveau il les fait sortir du bercail. Dabord certes pour le salut des autres Parmi ceux qui auront été sauvés, jen enverrai en Lydie [...] vers ceux qui n'ont pas entendu parler de moi et qui n'ont pas vu ma gloire, et ils annonceront ma gloire aux nations 10 Voici que moi je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups 11 pour que vous en fassiez des brebis. Et aussi en direction et sur la voie du salut éternel Pour diriger nos pas vers le chemin de la paix 12.
En quatričme lieu, il les précčde par lexemple dune bonne conduite 13 IL VA DEVANT ELLES. Il nen est certes pas ainsi du berger danimaux, qui lui suit plutôt les brebis Il le prit de derričre les brebis mčres 14. Le bon pasteur, lui, marche devant [ses brebis] par lexemple Non pas en exerçant une domination sur le peuple de Dieu, mais devenant par lesprit le modčle du troupeau 1. Et dans ces deux maničres de sortir, il va devant elles : le premier, il a subi la mort pour avoir enseigné la vérité Si quelquun veut venir ŕ ma suite, quil renonce ŕ lui-męme, quil prenne sa croix et quil me suive 2 et il a précédé tous les hommes dans la vie éternelle Il vient en ouvrant le chemin devant eux 3.
7. Ps 146, 4.
8. 2 Tm 2, 19.
9. Ps 106, 14.
10. Is 66, 19.
11. M
10, 16. Saint Thomas commente : "Il dit je vous envoie,
pour que vous ne croyiez pas que cela ne vient pas de ma volonté. Comme le Pčre
ma envoyé, moi aussi je vous envoie Un 20, 21). Et pourquoi Dieu a-t-il ainsi
voulu les envoyer vers les périls? Ce fut en vue de la manifestation de sa
puissance, parce que sil avait envoyé des gens armés, on laurait imputé ŕ sa
violence, non ŕ la puissance de Dieu cest pourquoi il s envoyé des pauvres. Il
fut grand en effet quun si grand nombre dhommes se convertissent au Seigneur
par des pauvres, des hommes méprisables et sans défense, comme le dit lApôtre
Dieu na pas choisi beaucoup de gens puissants et nobles; mais Dieu a choisi ce
qui est sot aux yeux du monde (1 Corinthiens 1, 26)" (Sup. Matth. lect.,
X, n° 838).
12. Lc 1, 79.
13. Eas praecedit exemplo bonae conversationis, qui reprend le
ex bona conversatione de lépître de saint Jacques (3, 13). Employé huit fois
dans les épîtres de saint Pierre, le terme conversatio y a toujours le sens de
" conduite s, mais la conversatio est aussi le fait de séjourner dans un
lieu et de vivre en compagnie de quelquun, comme en Phi 3, 20 Conversatio
nostre in caelis est. Voir n 1584, note 2 et n 1176, note 3.
14. Ps 77, 70.
Leffet de laction du
voleur et du pasteur sur les brebis.
ET
LES BREBIS LE SUIVENT, PARCE QUELLES CONNAISSENT SA VOIX. ELLES NE SUIVENT PAS
UN ÉTRANGER, MAIS ELLES SENFUIENT LOIN DE LUI, PARCE QUELLES NE CONNAISSENT
PAS LA VOIX DES ÉTRANGERS.
1375. Le Christ montre ici quel est leffet de laction du voleur et du pasteur sur les brebis. Dabord celui du bon pasteur, puis celui du loup et du voleur [n° 1377].
ET
LES BREBIS LE SUIVENT, PARCE QUELLES CONNAISSENT SA VOIX.
1376. Le Seigneur a dit plus haut quelles sont les conditions du voleur et du pasteur; ici il affirme : ET LES BREBIS LE SUIVENT, cest-ŕ-dire celui qui marche devant elles. Et certes, il va de soi que les subordonnés doivent suivre les traces de ceux qui ont lautorité dans lEglise, parce que le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple pour que vous suiviez ses traces. Ses traces, mon pied les a suivies Et cela PARCE QUELLES CONNAISSENT SA VOIX, cest-ŕ-dire quelles la reconnaissent et se réjouissent en elle Que ta voix résonne ŕ mes oreilles, car ta voix est douce 6.
ELLES
NE SUIVENT PAS UN ÉTRANGER, MAIS ELLES SENFUIENT LOIN DE LUI, PARCE QUELLES
NE CONNAISSENT PAS LA VOIX DES ÉTRANGERS.
1377. Leffet de laction du
voleur est que les brebis ne le suivent pas longtemps, mais seulement pour un
temps; cest pourquoi il dit : ELLES NE SUIVENT PAS UN ÉTRANGER, cest-ŕ-dire
quelles ne suivent pas un docteur menteur et hérétique Les fils détrangers
mont menti Cest ainsi que Paul na pas suivi longtemps les docteurs qui
étaient dans le mensonge. MAIS ELLES SENFUIENT LOIN DE LUI, et cela parce que,
comme il est dit, les mauvais entretiens corrompent les bonnes murs ELLES
SENFUIENT LOIN DE LUI, PARCE QUELLES NE CONNAISSENT PAS, cest-ŕ-dire
quelles napprouvent pas, LA VOIX DES ÉTRANGERS, cest-ŕ-dire leur doctrine,
qui sinsinue sournoisement comme un chancre.
1. 1 P 5, 3.
2. Mt 16, 24.
3. Mi 2, 13.
4. 1 P 2,21.
5. Jb 23, 11. Saint Thomas
commente : "En celai! faut remarquer
que lhomme imite selon son pouvoir lopération de la bonté divine dans sa
volonté aimante et dans ses uvres, selon cette parole de Matthieu Soyez
parfaits comme votre Pčre céleste est parfait (Mt 5, 48), et lépître aux
Ephésiens Soyez les imitateurs de Dieu comme des fils trčs chers (Ep 5, 1). Cest
pourquoi il dit ses traces cest-ŕ-dire une certaine similitude, bien que
pour une petite part, de la bonté divine qui agit , mon pied, cest-ŕ-dire ma
volonté aimante, par laquelle nous avançons pour agir, les a suivies,
cest-ŕ-dire par imitation" (Exp. super Job, 23, 11, p. 135, 1. 180-189).
6. Ct 2, 14.
7. Ps 17, 46.
8. 1 Corinthiens 15, 33.
9. 2 Tm 2, 17.
JÉSUS
LEUR DIT CE PROVERBE. MAIS EUX NE CONNURENT PAS CE QUIL LEUR DISAIT.
1378. LÉvangéliste
souligne ici la nécessité dexpliquer la similitude exposée plus haut; cette
nécessité a pour cause lignorance des auditeurs. Dabord, il relčve la cause
de lignorance; puis il manifeste lignorance elle-męme [n° 1380].
1379. La cause de lignorance fut que le Christ sexprimait sous une forme énigmatique : JÉSUS LEUR DIT CE PROVERBE 1. Au sens propre, il y a "proverbe" quand on met une chose ŕ la place dune autre, cest-ŕ-dire quand on donne ŕ entendre une parole ŕ partir dune similitude avec autre chose; cest ce quon appelle aussi parabole.
Or le Seigneur parlait sous forme de proverbes en premier lieu ŕ cause des méchants, pour leur cacher les mystčres du Royaume céleste A vous, il a été donné de connaître les mystčres du Royaume de Dieu, mais pour tous les autres, cest en paraboles 2. En second lieu ŕ cause des bons, pour quŕ partir des proverbes ils sexercent ŕ chercher; voilŕ pourquoi, lorsque le Christ avait proposé des proverbes ou des paraboles aux foules, ses disciples linterrogeaient ŕ part, comme on le voit dans les évangiles de Matthieu et de Marc. Cest pourquoi aussi saint Augustin dit : "Le Seigneur fait paître par des paroles manifestes", ŕ savoir les foules qui croyaient en lui, "et exerce par des paroles obscures", ŕ savoir les disciples 4.
I Hoc proverbium dixit eis Jesus. Nous traduisons ici littéralement le texte de la Vulgate, en
fonction du commentaire de saint Thomas qui suit. La Vulgate rend sans
confusion les termes grecs XXX (seulement dans le quatričme évangile) et XXX
respectivement par proverbium et parabola, de sorte que pour ętre tout ŕ fait
précis il faut maintenir une certaine distinction entre les deux, le premier s
su second une nuance plus sapientiale.
2. Lc 8, 10.
1380. LÉvangéliste met en lumičre lignorance des auditeurs lorsquil dit : MAIS EUX NE CONNURENT PAS CE QUIL LEUR DISAIT. Lignorance qui provenait des proverbes proposés par le Christ était certes utile, et [en męme temps] funeste. Elle est utile aux bons et aux justes pour sexercer et pour louer Dieu; car, en ne comprenant pas et en croyant, ils glorifient le Seigneur et sa sagesse qui les dépasse La gloire de Dieu est de cacher la parole 5. Mais cette ignorance est funeste aux méchants parce que, ne comprenant pas, ils blasphčment, selon cette parole de lépître canonique de Jude : Tout ce quils ignorent, ils le blasphčment 6. En effet, comme le dit Augustin 7, lorsque lhomme pieux et limpie entendent les paroles de lEvangile, et que ni lun ni lautre ne les comprennent, lhomme pieux dit : Il dit vrai et ce quil a dit est bon, mais nous, nous ne comprenons pas. Et lŕ certes, il frappe déjŕ, lui ŕ qui il est juste que lon ouvre, si toutefois il persiste 8. Quant ŕ limpie, il dit : Il na rien dit, ce quil dit est mauvais.
3. Cf. Mt 13, 10 et Mc 4, 10.
4. Tract, in Ioann., XLV, 6, BA
73", p. 54-55.
5. Pr 25, 2.
6. Jude 10.
7. Tract, in Ioann., XLV, 7, BA
73", p. 56-59.
8. Cf. Mt 7,7; Lc 11,9.
1381. Le Seigneur donne maintenant le sens de la parabole.
Si on considčre dune maničre droite cette parabole, elle contenait deux affirmations principales dont les autres dé pendent. La premičre est celle-ci : CELUI QUI NENTRE PAS PAR LA PORTE DANS LE BERCAIL DES BREBIS [ ] CELUI-LŔ EST UN VOLEUR ET UN BRIGAND. Et la seconde est celle-ci : MAIS CELUI QUI ENTRE PAR LA PORTE EST LE PASTEUR DES BREBIS. Cest la raison pour laquelle cette partie du texte se divise en deux.
En effet, le Christ donne dabord le sens de la premičre affirmation [de la parabole], en expliquant ce quelle contenait, puis en le prouvant [n° 1386]. Il donnera ensuite le sens de la seconde affirmation [n° 1397].
Premičre affirmation de la
parabole.
JÉSUS
LEUR DIT DONC DE NOUVEAU : "AMEN, AMEN, JE VOUS DIS QUE MOI JE SUIS LA
PORTE DES BREBIS. TOUS CEUX QUI SONT VENUS SONT DES VOLEURS ET DES BRIGANDS;
MAIS LES BREBIS NE LES ONT PAS ÉCOUTÉS. MOI JE SUIS LA PORTE. SI QUELQUUN
ENTRE PAR MOI, IL SERA SAUVÉ. ET IL ENTRERA ET SORTIRA, ET IL TROUVERA DES
PÂTURAGES. LE VOLEUR NE VIENT QUE POUR VOLER, ET POUR METTRE Ŕ MORT ET POUR
PERDRE. MOI, JE SUIS VENU POUR QUON AIT LA VIE, ET QUON LAIT SURABONDANTE. "
JÉSUS LEUR DIT DONC DE NOUVEAU : "AMEN, AMEN, JE VOUS DIS QUE MOI
JE SUIS LA PORTE DES BREBIS. "
I
Dans la premičre affirmation de la parabole, il est fait mention de la porte, ainsi que du voleur et du brigand. Le Christ donne le sens de ces deux éléments.
1382. JÉSUS LEUR DIT DONC DE NOUVEAU, pour les rendre plus attentifs et pour quils comprennent la similitude Il pénétrera la parabole et son interprétation, les paroles des sages et leurs énigmes 1 : AMEN, AMEN, JE VOUS DIS, cest-ŕ-dire en vérité, QUE MOI JE SUIS LA PORTE DES BREBIS. En effet, la fonction de la porte est que, par elle, on accčde ŕ lintérieur de la maison; et cela convient au Christ, car cest par lui que tout homme doit entrer dans les secrets de Dieu Voici la porte du Seigneur, ŕ savoir le Christ, les justes entreront par elle 2.
Il dit DES BREBIS, parce que ce ne sont pas seulement les pasteurs qui Sont introduits dans lEglise présente 3 par le Christ, ou qui savancent par le Christ vers la béatitude éternelle; ce sont aussi les brebis, et cest pourquoi il est dit plus loin : Mes brebis écoutent ma voix et elles me suivent, et moi je leur donne la vie éternelle 4.
1. Pr 1,6.
2. Ps 117, 20.
3. s LÉglise présente s désigne ici lÉglise dans son
pčlerinage terrestre.
4. Jn 10, 27-28.
TOUS
CEUX QUI SONT VENUS SONT DES VOLEURS ET DES BRIGANDS; MAIS LES BREBIS NE LES
ONT PAS ÉCOUTÉS.
1383. Ici, le Seigneur
explique ce quil a dit du voleur et du bandit. Il montre dabord qui est un
voleur et un bandit; il en donne ensuite un signe.
1384. Il faut ici prendre garde ŕ lerreur des manichéens : condamnant lAncien Testament, ils affirment ŕ partir de ce qui est dit ici que les pčres de lAncien Testament, qui furent avant le Christ, furent mauvais et ont été damnés 1.
Il apparaît que cela est faux, pour trois raisons. Premičre raison : ce qui a été dit dans la parabole. En effet, ce qui est dit ici : TOUS CEUX QUI SONT VENUS, est présenté comme une explication de ce qui précčde CELUI QUI NENTRE PAS... Donc, TOUS CEUX QUI SONT VENUS, cest-ŕ-dire non pas par moi, ŕ savoir en nentrant pas par la porte, SONT DES VOLEURS ET DES BRIGANDS. Or il est établi que tous les prophčtes et les patriarches sont entrés par la porte, cest-ŕ-dire le Christ; en effet, le Christ qui devait venir les envoyait en hérauts. Bien quil ait pris chair dans le temps et quil se soit fait homme, il était cependant de toute éternité le Verbe de Dieu Jésus Christ est le męme hier et aujourdhui, et dans les sičcles 2. Or les prophčtes ont été envoyés par le Verbe de Dieu et la Sagesse La Sagesse de Dieu se communique ŕ toutes les nations dans des âmes saintes, et elle en fait des prophčtes et des amis de Dieu. Cest pourquoi nous lisons clairement dans les Prophčtes que la sagesse du Seigneur est advenue ŕ tel ou tel prophčte : ils ont prophétisé comme par participation du Verbe de Dieu.
La deuxičme raison est que le Seigneur dit : ILS SONT VENUS, comme pour dire de leur propre mouvement, et non pas envoyés par Dieu, mais en singérant. Deux il est dit : Je ne les envoyais pas, et ils couraient deux-męmes 4. Ces gens-lŕ certes ne sont pas venus du Verbe de Dieu Malheur aux prophčtes insensés qui suivent leur propre esprit et ne voient rien Tels ne furent pas les pčres de lAncien Testament, comme on la déjŕ dit.
La troisičme raison est un fait : la conséquence de leurs paroles. En effet, il est dit ici : MAIS LES BREBIS NE LES ONT PAS ÉCOUTÉS. Ceux donc que les brebis ont écoutés nont pas été des voleurs et des bandits. Or le peuple dIsraël a écouté les prophčtes. Cest la raison pour laquelle, dans la Sainte Ecriture, ceux qui ne les ont pas écoutés sont blâmés Lequel des prophčtes vos pčres n'ont-ils pas persécuté 6? Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophčtes et lapides ceux qui te sont envoyés 7.
1. Cf. saint Augustin, Tract, in Ioann.,
XLV, 8, BA 730, p. 58-61.
2. He 13, 8.
3. Sg 7, 27.
4. Jr 23, 21.
1385. Cette erreur étant
ainsi évitée, il faut dire : TOUS CEUX QUI SONT VENUS, cest-ŕ-dire en dehors
de moi, en dehors de linspiration et de lautorité divines, et en ayant
lintention non pas de chercher la gloire divine, mais de sarroger une gloire
propre, SONT DES VOLEURS, en tant quils sattribuent ce qui ne leur appartient
pas, ŕ savoir lautorité pour enseigner Tes chefs sont infidčles, ils
sassocient aux voleurs 8; et ils
sont DES BRKANDS, parce quils tuent par une doctrine perverse Vous, vous en
avez fait une caverne de brigands 9
Conspirant avec les brigands qui tuent sur le chemin de Sichem 10. Mais ceux-lŕ, les voleurs et les
brigands, LES BREBIS, qui sont prédestinées, NE LES ONT PAS ÉCOUTÉS,
cest-ŕ-dire avec persévérance; autrement, elles nauraient pas fait partie des
brebis du Christ, qui NE SUIVENT PAS UN ÉTRANGER, MAIS SENFUIENT LOIN DE LUI,
comme il est dit plus haut. Cela était aussi prescrit dans le Deutéronome : Tu
n'écouteras pas les paroles de ce prophčte, ou de ce ręveur 1.
5. Ez 13, 3.
6. Ac 7, 52. Le texte de la Vulgate porte persecuti; saint
Thomas lit secuti.
7. Mc 23, 37.
8. Is 1, 23.
9. Mt 21, 13.
10. Os 6, 9.
II
1386. Le Christ met ensuite en lumičre lexplication de la parabole. Dabord
le sens quil a donné ŕ la porte pour cela, il résume ce quil a lintention
dexpliquer aussitôt , puis le sens quil a donné au voleur.
1387. Il résume ce quil a dit par ces mots : MOI JE SUIS LA PORTE Si cest une porte, recouvrons-la de planches de cčdre 2, cest-ŕ-dire attribuons-lui une puissance imputrescible.
SI QUELQUUN ENTRE PAR MOI, IL
SERA SAUVÉ. ET IL ENTRERA ET SORTIRA, ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES.
1388. Le Christ donne ici le sens de ce qui précčde. Il montre dabord que lutilité de la porte, qui est de sauver les brebis, se rapporte ŕ lui, puis il laisse entendre la maničre de sauver [n° 1390].
SI
QUELQUUN ENTRE PAR MOI, IL SERA SAUVÉ.
1389. La porte sauve en retenant ceux qui sont ŕ lintérieur, les empęchant de sortir, et en défendant contre ceux qui sont ŕ lextérieur, les empęchant de pénétrer. Et cela convient au Christ, car cest par lui que nous sommes sauvés et justifiés. Cest ce quil dit SI QUELQUUN, sans ętre mensonger, ENTRE dans la société de lEglise et de ceux qui ont la foi, PAR MOI, la porte, IL SERA SAUVÉ. Ajoutons : sil a persévéré Il n'est pas sous le ciel dautre nom donné aux hommes en lequel il nous faille ętre sauvés 3. Combien plus serons-nous sauvés en sa vie 4.
1. Dt 13, 3.
2. Ct 8, 9.
ET IL
ENTRERA ET SORTIRA, ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES.
1390. On montre ici le mode du salut; et ces paroles peuvent ętre expliquées de quatre maničres.
Dabord, selon Chrysostome 5, on ne donne ici rien dautre ŕ entendre
que la sécurité et la liberté de ceux qui adhčrent au Christ. Celui qui
escalade par ailleurs que par la porte ne peut pas entrer et sortir librement;
mais celui qui entre par la porte peut aussi sortir librement. Ces paroles : ET
IL ENTRERA ET SORTIRA ont donc pour sens, selon cette similitude, que les
Apôtres, en adhérant au Christ, entrčrent avec sécurité, conversant 6 avec les croyants qui sont ŕ lintérieur
de lEglise et avec les incroyants qui sont ŕ lextérieur, quand ils furent
devenus seigneurs de toute la terre, et que personne neut la puissance de les
rejeter Que le Seigneur, Dieu des esprits de toute chair, pourvoie ce peuple
dun homme qui puisse entrer et sortir : que le peuple du Seigneur ne soit pas
comme des brebis sans pasteur 7. [Et les
Apôtres ont trouvé] DES PÂTURAGES, cest-ŕ-dire la douceur de vivre avec les
croyants 8, et aussi une
joie dans les persécutions quils subissent de la part des incroyants pour le
nom du Christ, selon cette parole des Actes : Les Apôtres sen allčrent tout
joyeux de devant le grand conseil, parce quils avaient été jugés dignes de
souffrir le mépris pour le nom de Jésus 9.
3. Ac. 4, 12.
4. Rm 5, 10.
5. In loannem hom., LIX, 3, PG 59, col. 325.
6. Conversando. Voir n° 1176, note 3 n° 1374, note 13 et n°
1584, note 2.
7. Nb 27, 16.
8. Delectationem in conversatione
fidelium.
9. Ac 5,41.
1391. Ces paroles peuvent
aussi ętre expliquées ŕ la maničre dAugustin dans son commentaire de saint
Jean 1. Deux choses
incombent ŕ quiconque veut bien agir quil se comporte bien ŕ légard de ce qui
est au-dedans de lui, et ŕ légard de ce qui est ŕ lextérieur. Or, dans
lhomme, lintérieur cest lesprit; et lextérieur cest le corps Bien que
notre homme qui est ŕ lextérieur se corrompe, celui qui est ŕ lintérieur se
renouvelle de jour en jour 2. Celui
donc qui adhčre au Christ accčde par la contemplation ŕ la garde de la
conscience 3 Entrant
dans ma maison, cest-ŕ-dire la conscience, je me reposerai auprčs delle 4, cest-ŕ-dire la Sagesse. ET IL SORTIRA
au dehors, par une action bonne, pour maîtriser son corps Lhomme sortira
pour son ouvrage, pour son action jusquau soir 5. ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES, ŕ savoir
dans une conscience pure et livrée ŕ Dieu 6 Jentrerai devant ta face, je me rassasierai quand sera apparue ta
gloire 7. ET, dans
laction droite, IL TROUVERA DES PÂTURAGES, cest-ŕ-dire un fruit Revenant,
ils viendront avec exultation, en portant leurs gerbes 8.
1392. La troisičme interprétation de ces paroles est encore dAugustin 9 et aussi de Grégoire dans son commentaire dEzéchiel 10 IL ENTRERA, dans lEglise, en croyant Javancerai vers la tente admirable 11, ce qui est savancer vers lEglise militante; ET IL SORTIRA, de lEglise militante ŕ lEglise triomphante Sortez, filles de Sion, et voyez le roi Salomon avec la couronne dont la couronné sa mčre au jour de ses épousailles 12. ET IL TROUVERA DES PÂTURAGES dans lEglise militante, ceux de la doctrine et de la grâce Il ma mené dans le lieu de son pâturage 13, et dans lEglise triomphante, ceux de la gloire Je les ferai paître dans des pâturages trčs abondants 14.
1. Tract, in Ioann., XLV, 15, BA 73",
p. 82-85.
2. 2 Co 4, 16. Saint
Thomas commente longuement ce passage. Citons quelques extraits de ce
commentaire "La cause pour laquelle nous ne défaillons pas est celle-ci :
bien que noua défaillions selon un aspect, cest-ŕ-dire quant ŕ lhomme
extérieur, cependant nous nous renouvelons toujours sous un autre, cest-ŕ-dire
quant ŕ lhomme intérieur. Cet homme qui est ŕ lintérieur, cest-ŕ-dire
lesprit, ou bien la raison fortifiée par lespérance de la récompense future
et affermie par le rempart de la foi, se renouvelle. Ce qui doit ętre compris
ainsi la vétusté est en effet le chemin vers la corruption. Ce qui passe et
vieillit est proche de sa fin (He 8, 13). Or la nature humaine a été créée dans
lintégrité, et si elle était demeurée dans cette intégrité elle aurait été
toujours nouvelle. Mais elle a commencé ŕ se corrompre par le péché; et par lŕ
il se trouve que tout ce qui sen est suivi, comme lignorance, la difficulté ŕ
faire le bien, la propension au mal, les peines et autres choses du męme genre,
tout appartient ŕ la vétusté. Quand donc la nature humaine abandonne les
conséquences du péché, alors on dit quelle se renouvelle. Certes, cet abandon
commence ici chez les saints, mais il sera parfaitement consommé dans la patrie.
Ici-bas en effet la Vétusté de la faute est abandonnée, car lesprit abandonne
la vétusté du péché et se soumet ŕ la nouveauté de la justice. Ici
lintelligence abandonne les erreurs et assume la nouveauté de la vérité; et de
cette maničre, lhomme qui est ŕ intérieur, cest-ŕ-dire lâme, est renouvelé
Renouvelez lesprit de votre pensée (Ep 4, 23). Mais dans la patrie, męme la
vétusté de la peine sera enlevée. Voilŕ pourquoi cest lŕ que sera consommé le
renouvellement Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de laigle (Ps 102, 5).
Mais parce que les saints progressent chaque jour dans la pureté de la
conscience et dans la connaissance des réalités divines, il dit de jour en
jour; et, comme le dit le psaume Il a résolu dans son cur de monter... (Pa 83,
6). Ainsi donc la patience est invincible, parce quelle se renouvelle de jour
en jours" (Ad 2 Cor. lect., IV, n° 146-148).
3. Sur la conscience, voir n° 1090, note 11.
4. Sg. 8, 16.
5. Ps 103, 23.
6. In conscientia munda et devota. Nous avons traduit le terme
devota par s livré ŕ Dieu s. Pour saint Thomas, en effet, lacte de dévotion
est lacte premier de la vertu de religion; cest lacte qui nous relie
fondamentalement ŕ Dieu on est dévoué ŕ Dieu et donc livré ŕ lui (cf. Somme
théol., II-II, q. 81 et 82). Lorsque nous parlons aujourdhui de dévotion, la
signification premičre en est souvent occultée par quantité de gestes
extérieurs qui sont en réalité des conséquences, parfois trčs lointaines, de la
véritable dévotion. Lapparence devient premičre et voile, cache lessentiel. Saint
Thomas a un langage de théologien trčs précis, impliquant une analyse
scientifique qui cherche ŕ saisir lélément premier, tout intérieur, de la
vertu de religion. Celle-ci implique concrčtement des actes plus complexes
comme la pričre, ladoration, le sacrifice : ces actes sont plus visibles et il
nest pas étonnant que la véritable dévotion soit comme occultée par eux. Il
serait intéressant de comparer la distinction de lappréhension et du jugement
dans lanalyse de lintelligence humaine et la distinction de la dévotion et de
ladoration ne découvrons-nous pas ici une analogie trčs éclairante? Dautre
part, pour le chrétien, tout acte de la vertu de religion est transformé par la
charité, s forme des vertus s (Somme théol., II-II, q. 23, a. 8), qui donne ŕ
ces actes une orientation nouvelle, les rattachant aux actes propres du Christ.
Cest lamour divin, fin, qui donne ŕ lacte de dévotion, ŕ la pričre, ŕ
ladoration, une intention théologale; il transforme du dedans les actes de
dévotion en leur donnant une dimension nouvelle. Et cette intention sera
elle-męme parfaite dans son exercice grâce au don de piété.
7. Ps 16, 15.
8. Ps 125, 6.
9. Tract, in Ioann., XLV, 15, BA 7311, p.
84-87.
10. Commentaire dEzéchiel, L. II, hom. 1, PL 76, col. 946 B-947
B.
11. Pa 41, 5.
12. Ct 3, 11.
13. Pa 22, 2.
14. Ez 34, 14.
1393. Le quatričme sens est exposé dans le livre De lesprit et de lâme, que lon attribue ŕ saint Augustin, bien quil ne soit pas de lui 1. Il y est dit quils entrent, les saints, pour contempler la divinité du Christ, et quils sortent pour considérer son humanité; et dans lune et lautre ils trouvent des pâturages, parce quils goűtent dans lune et lautre les joies de la contemplation Ils verront le Roi dans sa splendeur 2.
LE
VOLEUR NE VIENT QUE POUR VOLER, ET POUR METTRE Ŕ MORT ET POUR PERDRE.
1394. Il sagit ici du
voleur. Dabord, le Christ montre la propriété du voleur, puis il sattribue la
propriété contraire [n° 1396].
1395. Il dit donc : ceux qui nentrent pas par la porte, cest-ŕ-dire qui sont venus en dehors de moi, ceux-lŕ sont des voleurs et des brigands, dont la condition est mauvaise. Car dabord, certes, LE VOLEUR NE VIENT QUE POUR VOLER, pour sapproprier ce qui nest pas ŕ lui, cest-ŕ-dire comme les séditieux et les hérétiques entraînant avec eux ceux qui sont au Christ Il est ŕ laffűt pour se saisir du pauvre 3. Ensuite, le voleur vient POUR METTRE Ŕ MORT, cest-ŕ-dire pour tuer en introduisant une doctrine perverse, ou męme des murs dépravées Elle conspire avec les voleurs qui tuent les passants venant de Sichem 4. En troisičme lieu, il vient POUR PERDRE, en envoyant ŕ la perdition éternelle Mon peuple est devenu un troupeau perdu 5. Et certes, ces conditions ne sont pas en moi.
MOI, JE SUIS VENU POUR QUON AIT LA VIE, ET QUON LAIT
SURABONDANTE.
1396. En effet, MOI, JE SUIS VENU POUR QUON AIT LA VIE... Autrement dit, ces gens-lŕ ne sont pas venus par moi, parce quautrement ils feraient des choses semblables â celles que moi je fais. Mais eux-męmes agissent dune maničre contraire, parce quils volent, ils tuent et ils perdent. MOI, JE SUIS VENU POUR QUON AIT LA VIE, cest-ŕ-dire la vie de la justice en entrant dans lEglise militante par la foi Celui qui est incrédule, son âme en lui ne sera pas droite, mais le juste vivra par sa foi 6. Mon juste vit par la foi 7. De cette vie il est dit : Nous savons pourquoi nous sommes passés de la mort ŕ la vie, parce que nous aimons nos frčres 8. ET QUON LAIT SURABONDANTE, cest-ŕ-dire dans la vie éternelle en sortant du corps; de cette vie, il est dit plus loin : Telle est la vie éternelle, quils te connaissent toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 9.
1. De lesprit et de lâme, chap. IX, PL 40, col. 785. Il sagit
dun ouvrage éclectique attribué aujourdhui ŕ Aicher, moine cistercien de
Clairvaux au X° sičcle. Voir Dictionnaire dhistoire et de géographie
ecclésiastiques, t. II, art. Alcher s, col. 14 15.
2. Is 33, 17. Dans son commentaire du livre dIsaďe, saint
Thomas regarde ensemble les versets 16 et 17 Celui ci habitera dans les
hauteurs, une citadelle de rochers pour refuge élevé, le pain lui a été donné
et les eaux lui seront fidčles. Ils verront le Roi dans sa splendeur et leurs
yeux regarderont la terre de loin, afin de montrer la condition et le bonheur
de ceux qui contemplent : "(le prophčte) montre lutilité de cette
habitation sous quatre aspects. Dabord laltitude sécurisante (ce qui est
pourtant contraire ŕ ce quelle s coutume dętre) citadelle de rochers comme
il est dit au livre de Job : Il demeure dans les pierres Gb 39, 28). Ensuite,
la pleine satiété le pain - Aser, son pain est riche (Gn 49, 20). Puis la
vision de Dieu Ils verront le Roi, cest-ŕ-dire Dieu Sortez, filles de Sion, et
voyez le Roi (Ct 3, 11). Enfin laffection sainte, cest-ŕ-dire le mépris des
choses terrestres leurs yeux regarderont la terre de loin comme loin en dessous
deux, loin dans lestime " (Exp. super Isaďam, 33, 17, p. 147, 1. 113-125).
3. Ps 9, 9.
4. Os 6, 9.
5. Jr 50, 6.
6. Ha 2, 4.
7. Rm 1, 17. Saint Thomas commente toue le verset 17 en
reprenant ce quest la foi, et il conclut son commentaire de cette maničre
" De męme que le corps vit par lâme de la vie naturelle, de męme lâme
vit par Dieu de la vie de la grâce. Or Dieu habite lâme en premier lieu par la
foi. -Que le Christ habite dans vos curs par la foi (Ep 3, 17). Cependant
lhabitation nest parfaite que si la foi est formée par la charité qui nous
unit ŕ Dieu par le lien de la perfection, comme le dit lépître aux Colossiens
(3, 14). Et cest pourquoi ce quil dit ici, le juste vit par la foi, doit
sentendre de la foi formées (Ad Rom. lect., I, n° 108). Sur la foi "
formées et la foi " informe s, voir n° 159, note 7 et n° 485, note 2.
8. 1 Jn 3, 14.
9. Jn 17, 3.
Seconde affirmation de la
parabole.
MOI,
JE SUIS LE BON PASTEUR. LE BON PASTEUR DONNE SON ÂME POUR SES BREBIS. OR LE
MERCENAIRE, LUI QUI NEST PAS LE PASTEUR, DONT LES BREBIS NE SONT PAS LES
SIENNES PROPRES, VOIT-IL VENIR LE LOUP, IL LAISSE LES BREBIS ET SENFUIT; ET LE
LOUP SEN EMPARE ET DISPERSE LES BREBIS. LE MERCENAIRE SENFUIT PARCE QUIL EST
MERCENAIRE; ET IL NA PAS SOUCI DES BREBIS.
1397. Le Seigneur donne ici le sens de cette deuxičme affirmation de la parabole qui précčde : CELUI QUI ENTRE PAR LA PORTE EST LE PASTEUR DES BREBIS. Aprčs en avoir donné lexplication, il la met en lumičre [n° 1409]. Il explique cette proposition en disant que lui-męme est le pasteur. Puis, ayant affirmé quil est le pasteur, il montre quel est le service du bon pasteur [n° 1399]; enfin il montre le contraire, ŕ propos du mauvais pasteur [n° 1400].
MOI,
JE SUIS LE BON PASTEUR.
1398. Que le Christ soit pasteur, cela lui convient manifestement; car, de męme que par le pasteur, le troupeau est gouverné et nourri, de męme, par le Christ, les forces de ceux qui croient sont refaites par une nourriture spirituelle, et męme par son propre corps et son propre sang Vous étiez comme des brebis sans berger 1. Cest aussi ce que dit Isaďe : Gomme un berger fait paître son troupeau 2.
Mais pour le différencier du mauvais pasteur et du voleur, il ajoute BON. BON, dis-je, parce quil remplit parfaitement le service du pasteur, comme on dit bon soldat celui qui remplit jusquau bout son rôle de soldat. Mais, comme le Christ avait dit plus haut que le pasteur entre par la porte, et aussi que lui-męme est la porte, et puisquici il dit quil est le pasteur, il faut donc que lui-męme entre par lui-męme. Et certes il entre par lui-męme, parce quil se manifeste lui-męme, et parce quil connaît le Pčre par lui-męme. Nous, nous entrons par lui, parce que cest lui que nous pręchons 3.
1. 1 P 2,25.
2. Is 40, 11.
Mais soyons attentif au fait que personne dautre que lui nest la porte, parce que personne dautre nest la lumičre véritable. Les autres le sont par participation Celui-lŕ, Jean Baptiste, nétait pas la lumičre, mais il avait ŕ rendre témoignage ŕ la lumičre 4. Mais du Christ, il est dit Il était la lumičre véritable qui éclaire tout homme 5. Et cest pourquoi personne ne dit de lui-męme quil est la porte : cela, le Christ se lest réservé en propre. Par contre, ętre pasteur, il la communiqué ŕ dautres, et il la donné ŕ ses membres. Car Pierre fut pasteur, ainsi que tous les autres Apôtres, et tous les bons évęques Je vous donnerai des pasteurs selon mon cur 6. Et bien que les intendants de lEglise, qui sont des fils, soient tous des pasteurs, comme le dit Augustin, cependant il dit dune maničre unique : MOI JE SUIS LE BON PASTEUR, pour donner ŕ entendre quil sagit de la vertu de charité. Nul en effet nest bon pasteur sinon par la charité qui le rend un avec le Christ et le fait membre du pasteur véritable.
3. Saint Thomas reprend ici lexpression "pręcher le
Christ", employée plusieurs fois par saint Augustin quand il commente le
chapitre 10 de lévangile de saint Jean. Saint Augustin met en garde contre
lhérétique qui s pręche en effet le Christ tel quil se limagine, non tel que
la Vérité lenseigne" "A quoi bon passer en revue et énumérer les
multiples vanités des hérésies? Tenez que le bercail du Christ est lEglise
catholique. Que celui qui veut entrer dans le bercail entre par la porte, quil
pręche le Christ en vérité; non seulement quil pręche le vrai Christ, mais
quil cherche la gloire du Christ, non la sienne... " (Tract. in la., XLV,
5, BA 73", p. 51 et 53.) Plus loin, il montre encore combien le vrai
pasteur doit pręcher le Christ : "Cherchant pour ma part ŕ entrer en vous,
cest-ŕ-dire dans votre cur, je pręche le Christ; si je pręchais autre chose,
je mefforcerais "descalader par un autre endroit". Le Christ est
donc pour moi la Porte pour arriver jusquŕ vous. " (ibid. XLVII, 2, BA
73", p. 119 et 121). s Nous disions que nous avions par le Christ une
porte pour entrer jusquŕ vous; pourquoi? Parce que nous pręchions le Christ. Nous
pręchons le Christ, et cest pourquoi nous entrons par la Porte. Mais le Christ
pręche le Christ puisquil se pręche lui-męme, et cest pourquoi le Pasteur
entre par lui-męme. " (ibid., XLVII, 3, BA 73", p. 127 et 129).
4. Jn 1,8.
5. Jn 1, 9.
6. Jr3, 15.
LE
BON PASTEUR DONNE SON ÂME POUR SES BREBIS.
1399. Loffice du bon pasteur est la charité; cest pourquoi il dit LE BON PASTEUR DONNE SON ÂME POUR SES BREBIS. Il faut en effet savoir quil existe une différence entre le bon et le mauvais pasteur le bon pasteur a en vue lintéręt du troupeau, le mauvais son propre intéręt. Cette différence est soulignée dans un passage dEzéchiel, concernant les pasteurs qui se font paître eux-męmes. Nest-ce pas les troupeaux que les pasteurs doivent faire paître 2? Celui donc qui utilise le troupeau uniquement pour se faire paître lui-męme nest pas un bon pasteur; mais celui qui a lintention de faire paître le troupeau, celui-lŕ est un bon pasteur.
Il sensuit que le mauvais pasteur, męme quand il sagit de celui qui soccupe danimaux, ne veut supporter aucun inconvénient en faveur de son troupeau, puisquil ne cherche pas lavantage des brebis mais le sien propre. Mais le bon pasteur, męme celui qui soccupe danimaux, supporte beaucoup pour son troupeau, dont il a le bien en vue. Cest pourquoi Jacob dit : Jour et nuit, jétais brűlé par le gel et la chaleur Pour les pasteurs danimaux, on nexige pas du bon pasteur quil sexpose ŕ la mort pour le salut du troupeau, puisque sa vie lemporte sur le salut du troupeau. Mais parce que le salut du troupeau spirituel lemporte sur la vie corporelle du pasteur, lorsquun péril imminent menace le salut du troupeau, celui qui est pasteur dans lordre spirituel doit supporter la perte de sa vie corporelle pour le salut du troupeau. Cest ce que le Seigneur dit : LE BON PASTEUR DONNE SON ÂME, cest-ŕ-dire sa vie corporelle, POUR SES BREBIS. IL LA DONNE, cest-ŕ-dire par autorité et par charité; en effet, lune et lautre sont exigées il faut que les brebis lui appartiennent, et quil les aime. La premičre sans la seconde ne suffit pas.
Le Christ nous a donné lexemple de cet enseignement Si le Christ a livré son âme pour nous, nous aussi, nous devons livrer notre âme pour nos frčres 5.
1. Tract, in le., XLV, 5, BA 73", p.
100-101; XLVII, 3, BA 73", p. 128-129.
2. Ez 34, 2.
3. Gn 31, 40.
4. Saint Thomas dit propret salutem gregis. Cette expression
évoque celle du symbole de Nicée propter nostram salutem...
5. 1 Jn 3, 16.
OR LE
MERCENAIRE, LUI QUI NEST PAS LE PASTEUR, DONT LES BREBIS NE SONT PAS LES
SIENNES PROPRES, VOIT-IL VENIR LE LOUP, IL LAISSE LES BREBIS ET SENFUIT; ET LE
LOUP SEN EMPARE ET DISPERSE LES BREBIS. LE MERCENAIRE SENFUIT PARCE QUIL EST
MERCENAIRE; ET IL NA PAS SOUCI DES BREBIS.
1400. Le Christ traite ici du mauvais pasteur, en montrant quen lui se trouvent les conditions contraires ŕ celles du bon pasteur.
Il expose dabord quelles sont
les conditions du mauvais pasteur avant dévoquer le péril imminent qui
menace le troupeau du mauvais pasteur [n° 1407] puis il montre comment ces conditions se rattachent nécessairement
les unes aux autres [n° 1408].
1401. Il faut remarquer quon peut découvrir, ŕ partir de ce qui a été dit du bon pasteur et de ce qui est dit ici du mauvais, trois différences entre leurs conditions respectives. La premičre distinction concerne lintention; la seconde lamour [n° 1405]; la troisičme la sollicitude [n° 1404].
OR LE
MERCENAIRE, LUI QUI NEST PAS LE PASTEUR.
1402. Ils diffčrent donc
dabord dans lintention; et cela ressort du nom que portent lun et lautre.
Le premier est appelé PASTEUR, par oů on donne ŕ entendre quil a lintention
de faire paître le troupeau Nest-ce pas les troupeaux que les pasteurs font
paître? Mais lautre, le mauvais, est appelé MERCENAIRE [mercenarius],
comme étant celui qui cherche une récompense [merces]. Ainsi donc ils
diffčrent en ceci, que le bon pasteur cherche lavantage du troupeau et que le
mercenaire cherche principalement son propre intéręt. Cette différence existe
aussi entre le roi et le tyran, comme le dit le Philosophe 2, parce que le roi, dans son gouvernement,
cherche lavantage de ceux qui sont soumis; mais le tyran cherche son propre
avantage, cest pourquoi il est comme le mercenaire Si cela est bien ŕ vos
yeux, apportez-moi ma récompense 3.
1403. Mais les bons pasteurs peuvent-ils aussi chercher une récompense? Il semble que oui "Donne une récompense, Seigneur, ŕ ceux qui tattendent avec patience". Voici, sa récompense est avec lui Combien de mercenaires, dans la maison de mon pčre, ont des pains en abondance 6!
Je réponds : il faut dire que la récompense peut ętre prise de deux maničres, dune maničre commune et au sens propre. Dune maničre commune, certes, tout ce qui est donné en réponse ŕ des mérites est appelé récompense; et parce que la vie éternelle elle-męme, qui est Dieu Celui-ci est le véritable Dieu et la vie éternelle 7 , est donnée en réponse ŕ des mérites, cette vie męme est dite récompense. Et cette récompense-lŕ, tout bon pasteur peut et doit la chercher.
1. Ez 34, 2.
2. ARISTOTE, Ethique ŕ Nicomaque, VIII, 12, 1160 a 36 s. ; Poli
tique, III, 14-17, 1 284 b 35 s. ; IV, 10, 1 295 a 1-24.
3. Za 11, 12.
4. Si 36, 18.
5. Is 40, 10.
6. Lc 15, 17.
Mais, au sens propre, on appelle récompense quelque chose qui ne relčve pas dun héritage. Cela, le fils véritable ne doit en avoir aucun souci, puisquil est directement concerné par lhéritage; mais les serviteurs et les mercenaires, eux, y sont intéressés. Ainsi, puisque la vie éternelle est notre héritage, celui qui agit en considération delle agit comme fils; mais celui qui a en vue quelque chose en dehors delle (par exemple celui qui convoite avidement les avantages terrestres, celui qui se réjouit de lhonneur de la prélature), est un mercenaire.
DONT
LES BREBIS NE SONT PAS LES SIENNES PROPRES.
1404. En second lieu, [les bons et les mauvais pasteurs] sont distingués quant ŕ leur sollicitude. Du bon pasteur il est dit que les brebis sont siennes, non seulement parce quelles lui sont remises, mais aussi par lamour et la sollicitude Du fait que je vous ai dans mon cur et dans mes liens 8. Mais du mercenaire il est dit : LUI... DONT LES BREBIS NE SONT PAS LES SIENNES PROPRES, cest-ŕ-dire : il na pas de sollicitude pour elles Et les pasteurs nont pas cherché mon troupeau, mais ils se faisaient paître eux-męmes 9.
7. 1 Jn 5, 20.
8. Ph 1, 7.
9. Ez 34, 8.
VOIT-IL
VENIR LE LOUP, IL LAISSE LES BREBIS ET SENFUIT.
1405. En troisičme lieu, ils diffčrent quant ŕ lamour car le bon pasteur, parce quil aime son troupeau, donne son âme pour lui, cest-ŕ-dire sexpose au péril de la vie corporelle. Mais le mauvais pasteur, parce quil na aucun amour pour le troupeau, fuit quand il voit le loup. Cest pourquoi il dit : VOIT-IL que le danger est imminent, IL LAISSE LES BREBIS ET SENFUIT.
Ce loup peut sentendre de trois maničres. Dabord, certes, cest le diable en train de tenter Si le loup sest une fois lié avec lagneau, ainsi le pécheur avec le juste 1. Mais, en second lieu, cest lhérétique qui cause la ruine Prenez garde aux faux prophčtes qui viennent vętus en brebis, mais au dedans ce sont des loups rapaces 2. Moi je sais quaprčs mon départ des loups rapaces entreront parmi vous, népargnant pas le troupeau. En troisičme lieu, cest le tyran qui sacharne avec fureur Ses princes au milieu de lui sont comme des loups arrachant leur proie 4.
Le bon pasteur doit donc protéger
ceux qui [lui] sont soumis contre ces trois loups; [il le fait] lorsque, voyant
le loup, cest-ŕ-dire la tentation du diable, la tromperie de lhérétique et la
fureur du tyran, il sy oppose. Doů le reproche fait en Ezéchiel Vous ne vous
ętes pas élevés contre un adversaire, et vous ne vous ętes pas opposés tel un
mur devant la maison dIsraël Cest pourquoi il est dit du mauvais pasteur
quil LAISSE LES BREBIS ET SENFUIT : O pasteur, et idole qui abandonne le
troupeau Comme sil disait : tu nes pas un pasteur mais tu fais paraître une
similitude et une idole du pasteur Ses mercenaires en son milieu comme des
veaux engraissés se sont retournés et ont fui tous ensemble, ils nont pu tenir
7.
1406. Mais ŕ cela soppose ce qui est dit en saint Matthieu : Si vous ętes persécutés dans une ville, fuyez dans une autre 8. Il semble donc quil soit permis au pasteur de fuir.
Je réponds quil y a ŕ cela deux solutions. Lune est dAugustin dans son commentaire de saint Jean 9. Il existe en effet deux fuites : celle de lâme et celle du corps. Or ce qui est dit ici : IL LAISSE LES BREBIS ET SENFUIT sentend de la fuite de lâme. Car, craignant pour lui-męme le péril qui vient du loup, le mauvais pasteur nose pas résister ŕ son injustice, mais il senfuit non pas en changeant de lieu, mais en soctroyant par en dessous un soulagement, cest-ŕ-dire en fuyant le soin du troupeau.
Cette explication simpose quand il sagit du premier loup, car, en face du diable, il ne sagit pas de fuir physiquement [corporaliter]. Mais parce quil arrive aussi quun pasteur prenne la fuite physiquement ŕ cause des loups, cest-ŕ-dire dun hérétique ayant la puissance et dun tyran, il faut donner une autre réponse, quAugustin propose dans la Lettre ŕ Honoratus 10. Car, comme lui-męme le dit, il semble quil soit permis de fuir męme physiquement les loups : non seulement ŕ cause de lautorité du Seigneur [mentionnée plus haut], mais aussi ŕ cause de lexemple de certains saints, comme Athanase et dautres, fuyant leurs persécuteurs.
Mais la solution est évidente ŕ partir des paroles elles-męmes du Seigneur. En effet le mercenaire est blâmé non pas parce quil senfuit, mais parce quil laisse les brebis. Sil pouvait senfuir en ne laissant pas les brebis, cela ne serait pas blâmable. Il arrive parfois, en effet, quon recherche la personne du prélat; parfois, tout le troupeau. Or il est manifeste que si on ne cherche que la seule personne du prélat, dautres peuvent ętre députés ŕ sa place ŕ la garde du troupeau, qui le consolent et le gouvernent ŕ sa place. Cest pourquoi, sil senfuit ainsi, on ne dit pas quil laisse les brebis et de cette maničre, quand cela arrive, il est permis de senfuir. Mais si on recherche tout le troupeau, ou bien il faut que tous les pasteurs soient ensemble avec les brebis, ou bien il faut que certains dentre eux restent et que dautres sen aillent. Sils délaissent totalement le troupeau, alors ce qui est dit ici leur convient : VOIT-IL VENIR LE LOUP, IL LAISSE LES BREBIS ET SENFUIT.
8. Mt 10, 23.
9. Tract, in Ioann., XLVI, 8, BA
73", p. 110-113.
10. Epistula 228, 2 et 6, CSEL vol. LVII, p. 485 et 489 (PL 33, col. 1014 et 1015-1016).
1. Si 13,21.
2. Mt 7, 15.
3. Ac 20, 29.
4. Ez 22, 27.
5. Ez 13, 5.
6. Za 11, 17.
7. Jr 46, 21.
ET LE
LOUP SEN EMPARE, ET DISPERSE LES BREBIS.
1407. Ici est exposé le péril imminent, qui est double. Lun est le vol des brebis. Cest pourquoi il dit : ET LE LOUP SEN EMPARE, puisque ce qui est ŕ un autre, il en prend possession pour lui-męme. En effet, ceux qui croient dans le Christ sont ses brebis. Ainsi, celui qui est hérésiarque et loup sempare des brebis quand il attire vers sa fausse doctrine ceux qui croient en le Christ Mon troupeau a été livré au pillage de toutes les bętes des champs.
Lautre péril est la dispersion des brebis. Cest pourquoi il dit : ET DISPERSE LES BREBIS, en tant que les unes sont séduites et que dautres résistent Mes troupeaux ont été dispersés, et il nest personne pour les chercher 2.
LE
MERCENAIRE SENFUIT PARCE QUIL EST MERCENAIRE; ET IL NA PAS SOUCI DES BREBIS.
1408. Ici, il montre comment les conditions quon a dites plus haut 3 sont liées les unes aux autres. Car des deux premičres sensuit la troisičme. En effet, de ce quil cherche sa propre utilité et quil nest pas attaché au troupeau par lamour et la sollicitude, il sensuit quil ne veut pas supporter une difficulté pour lui-męme. Et cest pourquoi il dit : LE MERCENAIRE SENFUIT, autrement dit PARCE QUIL EST MERCENAIRE, cest-ŕ-dire cherche sa propre commodité ce qui se rapporte ŕ la premičre condition; ET IL NA PAS SOUCI DES BREBIS, cest-ŕ-dire quil ne les aime pas, ni na souci delles cela quant ŕ la seconde condition. Cest pourquoi il est dit ŕ son sujet : Il est dur pour ses fils 4. Cest le contraire quand il sagit du bon pasteur : il cherche lintéręt du troupeau, et non le sien propre. LApôtre dit : Je ne cherche pas un don, mais un fruit 5. Et il a souci de ce qui concerne les brebis, cest-ŕ-dire quil les aime et quil a soin delles Du fait que je vous ai dans mon cur et dans mes liens 6.
2. Ez 34, 6.
3. Cf. n° 1401 s.
4. Jb 39, 16.
5. Ph 4, 17.
6. Ph 1, 7.
1. Ez 34,8.
1409. Ici le Seigneur prouve son explication de la parabole, et dabord il reprend ŕ nouveau ce quil a lintention de prouver; ensuite il introduit une preuve [n° 1411] enfin il la manifeste [n° 1420].
1410. Il dit donc dabord : MOI JE SUIS LE BON PASTEUR. Cela a été exposé plus haut 1 Je chercherai mes brebis en ce jour-lŕ, comme le pasteur visite son troupeau 2.
1411. Le Seigneur prouve maintenant ce quil dit. Or il dit deux choses ŕ son propre sujet quil est pasteur et quil est un bon pasteur.
Il prouve donc dabord quil est pasteur, ensuite quil est un bon pasteur [n° 1413].
ET JE
CONNAIS MES BREBIS, ET MES BREBIS ME CONNAISSENT
1412. Il prouve quil est pasteur par deux signes qui ont été donnés plus haut au sujet du pasteur; le premier est quil appelle ses propres brebis par leur nom. Et quant ŕ cela il dit : ET JE CONNAIS MES BREBIS Le Seigneur a connu ceux qui sont les siens JE CONNAIS, dis-je, non seulement dune simple connaissance, mais dune connaissance dapprobation et damour 4; parce que, comme il est dit : Il nous a aimés et nous a lavés de nos péchés 5.
Le second signe est que les brebis écoutent sa voix et le connaissent. Et quant ŕ cela il dit : ET MES BREBIS ME CONNAISSENT. Mes brebis, dis-je, par prédestination, par appel et par grâce 6. Comme sil disait et elles-męmes, en maimant, mobéissent. Cest pourquoi on comprend cela de la connaissance damour au sujet de laquelle il est dit : Tous me connaîtront, du plus petit jusqu'au plus grand 7.
1. Cf. n 1397 s.
2. Ez 34, 11.
3. 2 Tm 2, 19.
4. Saint Thomas note dans la Somme théologique (I, q. 14, a. 8),
que lon nomme habituellement "science dapprobation" la science de
Dieu "en tant quelle est cause des réalités". La connaissance
dapprobation du Christ implique la volonté divine qui crée et qui sauve.
5. Ap 1, 5.
6. Paul, esclave du Christ Jésus, Apôtre par appel, mis ŕ pars
pour lEvangile de Dieu... (Rm 1, 1); Jésus-Christ Notre Seigneur, par qui nous
avons reçu grâce et mission dap pour amener ŕ lobéissance de la foi, en
lhonneur de son nom, toutes les nations, dont vous ętes, vous aussi, les
appelés de Jésus-Christ (Rm 1, 4-6); voir aussi 1 Corinthiens 1, l-9 Ga 1, 6;
Ga 1, 15...
7. Jr 31, 34.
COMME
LE PČRE ME CONNAÎT ET QUE MOI JE CONNAIS LE PČRE, ET JE LIVRE MON ÂME POUR MES
BREBIS. ET JAI ENCORE DAUTRES BREBIS, QUI NE SONT PAS DE CE BERCAIL, ET
CELLES-LŔ AUSSI, IL FAUT QUE JE LES CONDUISE, ET ELLES ÉCOU TERONT MA VOIX; ET
IL Y AURA ALORS UN SEUL TROUPEAU, UN SEUL PASTEUR.
1413. Il montre quil est un bon pasteur en montrant quil a la mission du bon pasteur, qui est de livrer son âme pour ses brebis; et dabord il en expose la cause, puis il présente le signe lui-męme [n° 1415], enfin il indique le fruit de ce signe [n° 1416].
COMME
LE PČRE ME CONNAÎT ET QUE MOI JE CONNAIS LE PČRE.
1414. La cause de ce signe, ŕ savoir quil livre son âme pour ses brebis, est la connaissance quil a du Pčre.
Cette parole peut ętre explicitée de deux maničres. Dabord de telle sorte que le COMME signifie la similitude; et de cette maničre la connaissance [de Dieu] peut ętre communiquée ŕ une créature Je connaîtrai comme aussi je suis connu 1, cest-ŕ-dire : de męme que je suis connu sans voile, de męme sans voile je connaîtrai.
Elle peut ętre explicitée aussi de telle sorte que le COMME porte en soi légalité; et alors connaître le Pčre comme il est connu de lui-męme est le propre du Fils seul, parce que seul le Fils connaît le Pčre dune connaissance de compréhension, comme le Pčre connaît le Fils dune connaissance de compréhension 2 Nul ne connaît le Fils si ce nest le Pčre, et nul ne connaît le Pčre si ce nest le Fils 3, cest-ŕ-dire dune connaissance de compréhension. Cest cela que le Seigneur dit ici, parce quen connaissant le Pčre, il connaît sa volonté. Et il était dans cette volonté que le Fils mourűt pour le salut du genre humain : en cela aussi il se montre médiateur entre Dieu et lhomme. Car, de męme quil est ŕ légard des brebis comme celui qui est connu et qui connaît, ainsi est-il aussi ŕ légard du Pčre : comme le Pčre le connaît, ainsi lui-męme connaît le Pčre.
ET JE
LIVRE MON ÂME POUR MES BREBIS.
1415. Il donne ici le signe lui-męme : En cela nous avons connu lamour de Dieu : cest que celui-lŕ a livré son âme pour nous 4.
1. 1 Corinthiens 13, 12.
2. " Connaissance de compréhension cest-ŕ-dire adéquate ŕ
lintelligibilité męme de la réalité contemplée; voir Somme théol., I, a. 12, a.
7; voir n 208 s.
3. Mt 11, 27; Lc 10, 22.
4. 1 Jn 3, 16.
Mais, puisque dans le Christ sont trois substances, cest-ŕ-dire la substance du Verbe, de lâme et du corps, on cherche qui parle quand il dit : JE LIVRE MON ÂME. Si tu dis quici le Verbe parle, ce nest pas vrai : car le Verbe ne livre jamais son âme puisque jamais il na été séparé de lâme. Si tu dis que lâme parle : cela semble aussi impossible parce que rien nest séparé de soi-męme. Mais si tu dis que le Christ dit cela quant au corps, cela ne semble pas ętre non plus, parce que le corps na pas le pouvoir de saisir lâme de nouveau.
Il faut donc répondre ŕ cela que dans la mort du Christ, lâme a été séparée de la chair, autrement il naurait pas été vraiment mort. Mais, dans le Christ, la divinité na jamais été séparée de lâme et de la chair, mais elle a été unie ŕ lâme descendant aux enfers et au corps restant dans le sépulcre; et cest pourquoi le corps par la puissance de la divinité a livré lâme, et la saisie ŕ nouveau 6.
ET
JAI ENCORE DAUTRES BREBIS, QUI NE SONT PAS DE CE BERCAIL, ET CELLES-LŔ AUSSI,
IL FAUT QUE JE LES CONDUISE, ET ELLES ÉCOUTERONT MA VOIX; ET IL Y AURA ALORS UN
SEUL TROUPEAU, UN SEUL PASTEUR.
1416. Ensuite il montre le fruit de la mort du Christ, qui est le salut non seulement des Juifs mais aussi des Gentils 7. En effet, parce quil avait dit : JE LIVRE MON ÂME POUR MES BREBIS, les Juifs, songeant queux-męmes étaient les brebis de Dieu, selon ce psaume : Et nous son peuple, et les brebis de son pâturage 8, auraient pu dire que cest pour eux seulement que le Christ livrerait son âme. Mais le Seigneur poursuit, en disant que cest non seulement pour eux mais aussi pour les autres. Plus loin il est dit : Cela il ne le dit pas de lui-męme : mais comme il était grand prętre cette année-lŕ, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation, et non pour la nation seulement, mais pour rassembler en un les fils de Dieu qui étaient dispersés 1.
5. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XLVII, 10-13, BA 73", p. 146-161.
6. Voir Somme théol., III, q. 50, a. 2 et 3.
7. Salutis gentilium. Sur les " Gentils s, voir n° 549, note
1.
8. Ps 78, 13.
1417. En parlant de ce fruit [qui est le salut de tous] le Seigneur fait trois choses. Dabord il expose la prédestination des nations paďennes, ensuite leur appel par grâce [n° 1418], enfin leur justification [n° 1419].
Quant au premier point il dit
: JAI ENCORE DAUTRES BREBIS, ŕ savoir les nations paďennes, QUI NE SONT PAS
DE CE BERCAIL, cest-ŕ-dire nées de la chair dIsraël, qui était comme un
bercail. Je te rassemblerai tout entier, Jacob, je réunirai les restes
dIsraël, je les mettrai ensemble comme un troupeau dans le bercail, comme le
bétail dans son enclos 2. Car de
męme que les brebis sont enfermées dans le bercail, de męme ceux-lŕ étaient
gardés enfermés dans des préceptes légaux, comme on le rapporte dans lépître
aux Galates 3.
Celles-ci, dis-je, ces brebis, cest-ŕ-dire les Gentils, je les tiens du Pčre,
par la prédestination éternelle Demande-moi et je te donnerai les nations en
héritage 4. Cest peu
que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob, et ramener
les restes dIsraël Je tai donné en lumičre des nations pour que tu sois mon
salut jusquŕ lextrémité de la terre 5.
1418. Quant au second point il dit : ET CELLES-LŔ AUSSI, IL FAUT QUE JE LES CONDUISE, cest-ŕ-dire il est opportun selon lordre de la prédestination divine de [les] appeler ŕ la grâce.
Mais [ailleurs] contrairement ŕ cela, le Seigneur dit : Je n'ai été envoyé quaux brebis perdues de la maison dIsraël 6.
Réponse : il faut dire que Jésus na été envoyé quaux brebis de la maison dIsraël pour leur pręcher en étant présent par son corps, selon cette parole de lépître aux Romains : Je dis que le Christ Jésus a été ministre de la circoncision ŕ cause de la vérité de Dieu, pour confirmer les promesses faites aux pčres 8. Et il a amené les nations paďennes par le moyen de ses Apôtres Jen enverrai de ceux lŕ qui sont restés vers les nations 9.
l. Jn 11, 51-52.
2. Mi 2, 12.
3. Cf. Ga 3.
4. Ps 2, 8. En commentant ce psaume, saint Thomas montre quil
convient au Christ davoir "la puissance [sur les nations] selon un double
droit [de jure] " : un droit "héréditaire" qui se fonde sur la
génération éternelle du Fils, et un droit "de mérite" qui se rattache
ŕ la Rédemption. Cest dans la lumičre de ce deuxičme aspect quil commente le
verset 8 "Plus haut, on a exposé le privilčge de la génération éternelle
ŕ partir duquel convient au Christ, selon un droit héréditaire, la domination
sur les nations; ici, on montre comment il la acquis par son mérite. Lŕ on
doit considérer que de męme que dans les réalités naturelles les formes sont
communiquées [selon la disposition de la matičre, de męme Dieu donne avec
largesse des dons gratuits Dieu est celui qui opčre le vouloir et
laccomplissement (Ph 2, 13) , et cest pourquoi il veut que nous recevions
les dons en demandant et en priant. Et il a voulu nous en montrer lexemple par
le Christ, puisquil a voulu quil demandât ce qui lui convenait de droit
héréditaire. Je te donnerai les nations en héritage. Cette demande pour les nations
qui devaient ętre appelées peut ętre comprise de deux maničres. [Elle sest
faite] dabord par la pričre, parce quil a prié pour elles : Je ne prie pas seulement pour eux, mais pour ceux qui
croiront en moi par leur parole (Jean 17, 20). Et de męme par sa Passion : Pour
quintercédant par sa mort pour la rédemption des prévarications qui se
commettaient sous la premičre alliance, ceux qui ont été appelés reçoivent la
promesse de lhéritage éternel (He 9, 15). Et certes, cette demande ne fut pas
vaine, parce quen toutes choses il a été exaucé ŕ cause de sa piété (He 5, 7).
Cest pourquoi il ajoute que les nations lui sont concédées : Je te donnerai
les nations. Lŕ il faut noter que nul ne peut venir au Christ si ce nest par
un don du Pčre : Personne ne peut venir ŕ moi si le Pčre qui ma envoyé ne
lattire Un 6, 44). Or le don des Gentils est un pur don; car les Juifs ont été
comme rendus, parce quils avaient été donnés auparavant Je dis que le Christ
Jésus a été le ministre de la circoncision, ŕ cause de la vérité de Dieu, pour
confirmer les promesses faites aux pčres (Rm 15, 8) " (Exp. in Psalmos, 2,
n° 5-6).
5. Is 49, 6.
6. Mt 15, 24.
7. Nous traduisons ainsi ut eis corporaliter praedicaret. La
prédication du Christ implique la voix et la présence corporelle.
8. Rm 15, 8.
9. Is 66, 19.
1419. Quant au troisičme point il dit : ET ELLES ÉCOUTERONT MA VOIX. Lŕ sont exposées trois choses nécessaires pour la justice de la religion chrétienne. La premičre est lobéissance aux commandements de Dieu. Et quant ŕ cela il dit : ET ELLES ÉCOUTERONT MA VOIX, cest-ŕ-dire quelles garderont mes commandements Leur apprenant ŕ garder tout ce que je vous ai commandé 1. Un peuple que je nai pas connu, cest-ŕ-dire quauparavant je nai pas approuvé 2, ma servi et en écoutant, il ma obéi 3.
La seconde est lunité de la charité. Et quant ŕ cela, il dit : ET IL Y AURA ALORS UN SEUL TROUPEAU, cest-ŕ-dire quŕ partir des deux nations, le peuple judaďque et le peuple paďen, [il y aura] une seule Eglise de ceux qui croient Une seule foi 4. Lui-męme est notre paix, lui qui des deux en fait un 5.
La troisičme est lunité de la foi. Et quant ŕ cela il dit : UN SEUL PASTEUR Et il y aura un seul pasteur pour eux tous 6, cest-ŕ-dire les Juifs et les Gentils.
1. Mt 28, 20.
2. Cf. n 1412, note 4.
3. Ps 17, 45.
1420. Le Seigneur explicite maintenant la preuve [qu'il a donnée]; et dabord il manifeste la cause du signe, ensuite le signe ou leffet [n° 1423], enfin il montre que cette cause convient [n° 1426].
CEST
POUR CELA QUE LE PČRE MAIME, PARCE QUE MOI JE LIVRE MON ÂME, POUR LA PRENDRE
DE NOUVEAU.
1421. Le Seigneur a dit
que la cause de la mort était la connaissance quil a du Pčre, disant : COMME
LE PČRE ME CONNAÎT ET QUE MOI JE CONNAIS LE PČRE, ET JE LIVRE MON ÂME POUR MES
BREBIS. Cest pourquoi, en explicitant cela, il dit : CEST POUR CELA QUE LE
PČRE MAIME. Doů il est évident que le Pčre le connaît dune connaissance
dapprobation CEST POUR CELA, dis-je, PARCE QUE MOI JE LIVRE MON ÂME, POUR LA
PRENDRE DE NOUVEAU.
1422. Mais la mort est-elle cause de lamour du Pčre? Il semble que non, parce que ce qui est temporel nest pas cause de ce qui est éternel; or la mort du Christ est temporelle, mais lamour de Dieu pour le Christ est éternel.
Je réponds. Il faut dire que le Christ parle ici de lamour du Pčre pour lui en tant quil est homme; et ainsi ce passage peut ętre lu de deux maničres. Lune de telle sorte que le PARCE QUE est considéré dune maničre causale, lautre de telle sorte quil désigne le terme ou le signe de lamour.
4. Ep 4, 5.
5. Ep 2, 14. Lui-męme est notre paix. Saint Thomas souligne
quil sagit ici dune expression emphatique, celle qui exprime une réalité de
la maničre la plus profonde. Par lŕ saint Paul veut dire que le Christ est la
cause de notre paix. Et saint Thomas poursuit : "Cette maničre de parler
est habituellement utilisée quand tout ce qui est dans leffet dépend de la
cause, comme quand nous disons de Dieu quil est lui-męme notre salut, parce
que tout ce qui relčve du salut est causé en nous par Dieu. Ainsi, parce que
tout ce qui relčve de la paix est causé en nous par le Christ, et par
conséquent tout rapprochement parce que lhomme, quand il est en paix avec un
autre, peut en toute sécurité marcher ou sapprocher de lui , il dit quil est
notre paix. Car lors de sa nativité les anges ont annoncé la paix Gloire ŕ
Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre (Lc 2, 14); et aussi, quand
le Christ était dans son corps, le monde s eu la paix la plus grande, lune
paix] telle quil nen avait pas eue auparavant En ses jours, la justice
sélčvera (Ps 71, 7). Et lui-męme en ressuscitant a annoncé la paix Il leur
dit : Paix ŕ vous (I . c 24, 36) i (Ad Eph. lect., II, n° 111).
6. Ez 37, 24.
7. Cf. n 1412, note 4.
Certes, sil est pris dune maničre causale, en voici le sens : PARCE QUE MOI JE LIVRE MON ÂME, cest-ŕ-dire : je prends sur moi la mort, CEST POUR CELA QUE LE PČRE MAIME, cest-ŕ-dire il me donne leffet de lamour, ŕ savoir la splendeur et lexaltation du corps Il a été fait obéissant jusquŕ la mort, et la mort de la Croix : ŕ cause de cela Dieu la exalté, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom 1.
Mais ŕ lencontre de [cette interprétation], nos bonnes uvres, semble-t-il, ne peuvent ętre méritoires de lamour divin. Puisquen effet nos uvres sont méritoires dans la mesure oů elles sont informées par la charité, selon ce qui est dit : Quand je distribuerais tous mes biens, si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de rien 2 or Dieu nous devance męme dans lamour [in amando] : En cela est la charité, ce nest pas nous qui avons aimé Dieu, mais lui-męme qui nous a aimés le premier 3 , il est manifeste que son amour précčde tout notre mérite.
1. Ph 2, 8-9. Cette affirmation de saint Thomas est trčs proche
de ce quil dit dans la Sommé théologique en traitant de la nécessité de la
résurrection du Christ, oů il expose que la premičre raison pour laquelle il
était nécessaire que le Christ ressuscitât est la e mise en lumičre s
(commendatio) de la justice divine, s ŕ qui il appartient dexalter ceux qui
shumilient ŕ cause de Dieu s. Saint Thomas cite alors le Magnificat (Lc 1, 52)
et affirme : "Parce que donc le Christ, ŕ cause de lamour et de
lobéissance ŕ Dieu, shumilia jusquŕ la mort de la Croix, il fallait quil
fűt exalté par Dieu jusquŕ la résurrection glorieuse" (Somme théol., III,
q. 53, a. I). Et en commentant lépître aux Philippiens, il regarde ce mystčre
de lhumilité et de lobéissance du Christ. Citons simplement le début de son
long commentaire " Il est donc un homme, mais extręmement grand, parce que
le męme est Dieu et homme et cependant il sest humilié Plus tu es grand,
plus il faut thumilier en toutes choses (Si 3, 20). Apprenez de moi que je
suis doux et humble de cur (Mt 11, 29). Le mode de lhumiliation et le signe
de lhumilité est lobéissance, parce que le propre des orgueilleux est de
suivre leur volonté propre; car lorgueilleux cherche ŕ sélever [quaerit
altitudinem]. Or il ne convient pas ŕ une réalité élevée dętre réglée par un
autre, mais elle-męme rčgle les autres; et cest pourquoi lobéissance est
contraire ŕ lorgueil. Cest pourquoi, voulant montrer la perfection de
lhumilité et de la Passion du Christ, lApôtre dit quil sest fait obéissant,
parce que sil avait souffert sans que ce soit par obéissance, cela naurait
pas été digue de louange, car cest lobéissance qui donne le mérite ŕ nos
souffrances. Mais comment sest-il fait obéissant? Non pas par sa volonté
divine, parce quelle est elle-męme rčgle; mais par sa volonté humaine, qui fut
réglée en toutes choses par la volonté du Pčre Cependant non pas comme moi je
veux, mais comme toi tu veux (Mt 26, 39)... s (Ad Phil. lect., II, n° 64-65).
2. 1 Corinthiens 13, 3.
3. 1 Jn 4, 10.
A cela on doit répondre que nul ne peut mériter lamour męme de Dieu; mais leffet de lamour divin qui est la communication du bien de la gloire, gloire que par son amour Dieu nous confčre, nous pouvons le mériter par nos bonnes uvres. Cest pourquoi nous pouvons dire que Dieu, ŕ cause de cela, aime cet homme ou celui-lŕ, cest-ŕ-dire lui dispense leffet de son amour, parce quil accomplit ses commandements. Et ainsi nous pouvons dire au sujet du Christ-homme que le Pčre laime, cest-ŕ-dire quil la exalté et lui a donné la splendeur de la gloire, parce quil a livré son âme ŕ la mort.
Mais si le PARCE QUE implique le terme de lamour, alors en voici le sens : CEST POUR CELA QUE LE PČRE MAIME, cest-ŕ-dire pour cela le Pčre ma aimé, pour que JE LIVRE MON ÂME. Comme sil disait : le Pčre, par son amour quil a pour moi, a ordonné que par ma Passion je rachčte le genre humain Il na pas épargné son propre Fils, mais il la livré pour nous tous 4.
Mais si le PARCE QUE désigne le signe de lamour, alors en voici le sens : CEST POUR CELA QUE LE PČRE MAIME, PARCE QUE MOI JE LIVRE MON ÂME. Comme sil disait, le signe que le Pčre maime, est celui-ci QUE JE LIVRE MON ÂME, autrement dit : en accomplissant ses commandements et sa volonté, je prends sur moi la mort. En effet, le signe évident de lamour est que lhomme, par la charité, accomplisse les commandements de Dieu.
PERSONNE
NE ME LENLČVE, MAIS MOI JE LA LIVRE DE MOI-MĘME. JAI POUVOIR DE LA LIVRER ET
JAI POUVOIR DE LA PRENDRE DE NOUVEAU. CE COMMANDEMENT, JE LAI REÇU DE MON
PČRE.
1423. Ici, il explicite leffet du signe ce signe était ce quil a dit : JE LIVRE MON ÂME POUR MES BREBIS en montrant comment il la livre; il exclut la violence, et il poursuit en précisant [quel est son pouvoir] [n° 1425].
4. Rm 8, 32.
PERSONNE
NE ME LENLČVE, MAIS MOI JE LA LIVRE DE MOI-MĘME.
1424. Il exclut la violence qui peut ętre faite ŕ quelquun quand on lui enlčve la vie ce qui na pas été fait au Christ. Et quant ŕ cela il dit : PERSONNE NE ME LENLČVE, cest-ŕ-dire que personne nenlčve mon âme de moi par violence, MAIS MOI JE LA LIVRE, par ma propre puissance, cest-ŕ-dire DE MOI-MĘME A celui qui est fort enlčve-t-on sa proie 1?
Mais les Juifs nont-ils pas infligé la violence au Christ? Certes ils lont infligée autant quelle fut en eux; mais, dans le Christ, il ny eut pas cette violence parce que, quand il le voulut, de lui-męme il a livré [son âme]. Cest pourquoi plus haut il est dit que les Juifs, voulant lappréhender, ne le purent, parce que son heure n'était pas encore venue 2, heure volontaire, "non pas celle oů il serait forcé de mourir, mais celle oů il jugerait digne dętre mis ŕ mort" comme le dit Augustin 3.
JAI
POUVOIR DE LA LIVRER ET JAI POUVOIR DE LA PRENDRE DE NOUVEAU.
1425. Il poursuit en ajoutant son pouvoir.
A ce sujet, il faut savoir que puisque lunion de lâme et du corps est naturelle, leur séparation est aussi naturelle. Et, bien que la cause de cette séparation et de cette mort puisse ętre volontaire, cependant la mort chez les hommes est toujours naturelle. En aucun homme qui nest quhomme la nature nest soumise ŕ la volonté, puisque de męme que la volonté, ainsi la nature vient de Dieu : et cest pourquoi il faut que la mort de nimporte quel homme qui nest quhomme soit naturelle 4.
Or, dans le Christ, sa nature, et toute autre nature, est soumise ŕ sa volonté, comme les réalités artistiques ŕ la volonté de lartiste. Et cest pourquoi, selon la complaisance de sa volonté, il a pu livrer son âme quand il la voulu, et de nouveau la saisir : ce que nul homme comme tel ne peut faire, bien quil puisse se porter volontairement ŕ lui-męme la cause de la mort. Et de lŕ vient que le centurion, voyant quil nétait pas mort dune nécessité naturelle mais de lui-męme, alors que clamant dune voix forte, il remit lesprit 5, reconnut en lui la puissance divine en disant : Celui-ci était vraiment Fils de Dieu 6. Cest pourquoi lApôtre dit : Le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu 7. Ainsi, dans la mort męme du Christ, la puissance de son pouvoir a été manifestée.
1. Is 49, 24.
2. Cf. Jn 8, 20.
3. Tract, in Ioann., XXXVII, 9, BA 73 p.
236-237. Cf. n° 1163.
4. Il faut bien comprendre ce raisonnement de saint Thomas, car
ce qui est vrai de laffirmation nest pas toujours vrai de la négation. En
réalité on devrait dire lunion de lâme et du corps est naturelle, et leur
séparation atteint, divise cette union naturelle. Saint Thomas peut dire en ce
sens que la séparation de lâme et du corps est naturelle ŕ cause de son
fondement, mais pas par sa cause, la mort est une conséquence du péché, mais
pas lunion de lâme et du corps!
5. Mt 27, 50.
6. Mt 27, 54.
7. 1 Corinthiens 1, 18.
8. Jn 14, 23.
CE
COMMANDEMENT, JE LAI REÇU DE MON PČRE.
1426. Ici, il montre que la cause dite auparavant convient : car laccomplissement du commandement manifeste lamour pour le commandement. Et cest pourquoi il dit : CE COMMANDEMENT JE LAI REÇU DE MON PČRE, ŕ savoir de livrer mon âme, et de la reprendre. Plus loin il est dit : Si quelqu'un maime, il gardera ma parole et mon Pčre laimera 8.
1427. Aprčs avoir montré quil a une puissance vivificatrice, et laissé entendre la maničre quil a de vivifier, le Seigneur montre ici sous quel aspect [secundum quid] la puissance vivificatrice lui convient. Et dabord lÉvangéliste souligne la dissension qui était née de cela parmi les foules, entre elles, puis la discussion des chefs des Juifs avec le Christ [n° 1432].
IL Y
EUT DE NOUVEAU UNE DISSENSION PARMI LES JUIFS, Ŕ CAUSE DE CES PAROLES. ET
BEAUCOUP DENTRE EUX DISAIENT : "IL A UN DÉMON ET IL EST FOU; POURQUOI
LÉCOUTEZ-VOUS?" DAUTRES DISAIENT : "CES PAROLES NE SONT PAS
DE QUELQUUN QUI A UN DÉMON. EST-CE QUUN DÉMON PEUT OUVRIR LES YEUX DES
AVEUGLES?"
Ici, il fait trois choses : dabord il montre la dissension męme des foules, il ajoute ensuite lopinion dune partie de ceux qui sont divisés [n° 1429], puis il apporte la saine affirmation de lautre partie [n° 1430].
1428. Une dissension séleva parmi les foules qui avaient entendu le Christ, ŕ partir de ses paroles. Cest ce que dit ici lÉvangéliste IL Y EUT DE NOUVEAU UNE DISSENSION PARMI LES JUIFS Ŕ CAUSE DE CES PAROLES. En effet, aussi longtemps que certains comprenaient ces paroles dune maničre droite, et dautres non, ils ne sentendaient pas les uns les autres Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive, ŕ savoir le glaive de la doctrine évangélique auquel les uns croient et que les autres contredisent La lutte a été répandue parmi les princes 2.
ET
BEAUCOUP DENTRE EUX DISAIENT : "IL A UN DÉMON ET IL EST FOU; POURQUOI
LÉCOUTEZ-VOUS?"
1429. Lopinion dune partie de ceux qui sont divisés est fausse. Et il dit BEAUCOUP, parce que le nombre des sots est infini. ILS DISAIENT : "IL A UN DÉMON ET IL EST FOU." Car lhabitude des sots est dinterpréter toujours en mal les choses douteuses, alors que cest le contraire cependant qui doit se produire. Cest pourquoi il arrive quils blasphčment tout ce quils ignorent, comme il est dit dans lépître canonique de Jude. Parce que donc ils ne sefforçaient pas de comprendre les paroles du Seigneur en effet la lumičre brille dans les ténčbres, et les ténčbres ne lont pas comprise 4 , ils blasphčment en disant : IL A UN DÉMON ET IL EST FOU. Et ils sefforcent de détourner les autres de lui en disant : POURQUOI LÉCOUTEZ-VOUS?
1. Mt 10, 34. Saint Thomas commente ce passage en affirmant "quil appartient au glaive [de ratione gladII est] de
diviser. Ce glaive, cest la parole de Dieu Elle est vivante, la parole de
Dieu, et efficace, et plus pénétrante quaucun glaive ŕ deux tranchants (He 4,
12). Cest pourquoi aussi on parle du glaive de lEsprit qui est la parole de
Dieu (Ep 6, 17). Ce glaive a été envoyé sur la terre. Certains ont cru, et
dautres non; et cest pourquoi se produisit une guerre, comme on le lit dans
lépitre aux Galates Comment retournez-vous de nouveau ŕ ces faibles et
misérables éléments auxquels vous voulez de nouveau vous asservir? (Ga 4, 9.)
Cest pourquoi il vient opérer cette division... " (Sup. Matt. lect.,
X, n 885).
2. Ps 106, 40. Saint Thomas cite ce verset dune maničre erronée
le texte latin du psaume porte en fait contemptio, le mépris, et non contentio,
la lutte; la commission léonine ne proposant pas de correction, nous avons
préféré garder le texte cité par saint Thomas en signalant son inexactitude.
3. Qo 1, 15.
4. Cf. Jude 8-10.
Or ceux qui blasphčment attribuent au Christ deux choses. Dabord quil a un démon. Comme sils disaient : ce nest pas par lEsprit-Saint quil parle mais par un esprit malin. Il est dit pareillement dans le livre des Actes des Apôtres, au sujet de Paul : Il est lannonciateur de démons nouveaux 2. Or il arrive que quelquun ait un démon comme un proche et un familier; et bien quun tel homme soit toujours fou dune maničre spirituelle, il ne lest pas toujours dune maničre corporelle. Mais il arrive que ce soit au point dętre possédé par le démon : et celui-lŕ est toujours fou, męme dune maničre corporelle. Cest pourquoi ils disaient : Il est devenu fou 3.
En second lieu, pour montrer que le Christ a ainsi un démon, ils disent : ET IL EST FOU De nombreuses connaissances te conduisent ŕ la folie 4. Rien détonnant ŕ ce quils blasphčment, parce quils sont sans intelligence et, comme il est dit, Lhomme sans intelligence ne perçoit pas ce qui vient de lEsprit de Dieu 5.
DAUTRES
DISAIENT : "CES PAROLES NE SONT PAS DE QUELQUUN QUI A UN DÉMON. EST-CE
QUUN DÉMON PEUT OUVRIR LES YEUX DES AVEUGLES?"
1430. Mais le jugement et laffirmation de lautre partie condamnent de deux maničres lopinion émise auparavant. Dabord par le poids des paroles. Cest pourquoi lEvangéliste dit : DAUTRES, ceux qui appréciaient les choses dune maničre droite, DISAIENT : "CES PAROLES NE SONT PAS DE QUELQUUN QUI A UN DÉMON" comme sils disaient : ŕ partir delles, il semble quil ne soit pas fou puisque ces paroles sont ordonnées et ont du poids. Plus haut il est dit : Seigneur, ŕ qui irons-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle 6. Cest pourquoi Paul dit : Je ne suis pas fou, trčs excellent Festus, mais je dis des paroles de vérité et de mesure 7.
En second lieu par la grandeur
du miracle; cest pourquoi ils disent : EST-CE QUUN DÉMON PEUT OUVRIR LES YEUX
DES AVEUGLES? Autrement dit : ce miracle nétait-il pas en effet trčs grand? Et
cest pourquoi ils croyaient avec justesse quil ne pouvait ętre fait que par
la puissance de Dieu Si celui ci nétait pas de Dieu, il ne pourrait rien
faire 8.
1431. Or il faut savoir quil y a certains miracles qui peuvent ętre faits par la puissance des démons et des anges, mais quil en existe certains qui ne peuvent en aucune façon ętre faits par leur puissance. En effet, ceux qui sont au-delŕ de lordre de la nature, aucune créature, quelle quelle soit, ne peut les faire par sa propre puissance, puisqu'elle-męme est soumise aussi aux lois de la nature. Mais Dieu seul, qui est au-delŕ de la nature, peut uvrer au-delŕ de lordre de la nature. Donc tout ce quopčre une créature est nécessairement soumis ŕ lordre de la nature.
A partir de cela il est évident que tout ce qui peut ętre fait selon lordre de la nature, un ange bon comme un mauvais peut le faire quand cela lui est permis. Ainsi, selon les semences qui, dans les réalités naturelles, sont ordonnées ŕ la génération des animaux, ils peuvent produire la génération de ces animaux; cest ce que firent les mages de Pharaon, comme on le trouve dans le livre de lExode. Et, pareillement, ils peuvent changer la qualité de la nature dune chose par des réalités naturelles qui sont ordonnées ŕ cela ils peuvent guérir des infirmes 2.
Mais les choses qui transcendent tout ŕ fait lordre de la nature ne peuvent ętre accomplies que par Dieu, ou bien par des anges bons et des hommes saints par la puissance de Dieu quils conquičrent en priant. De telles choses sont lillumination des aveugles et la résurrection des morts en effet, la puissance de la nature ne peut sétendre jusquŕ restituer des yeux et ressusciter des morts. Et cest pourquoi un démon ne peut ouvrir les yeux des aveugles ni ressusciter les morts : cela nappartient quŕ Dieu seul et aux saints dans la puissance de Dieu.
1. Jn 1, 5.
2. Ac 17, 18.
3. Mc 3, 21.
4. Ac 26, 24.
5. 1 Corinthiens 2, 14.
6. in 6, 69.
7 Ac 26, 25.
8. Jn 9, 33.
1432. Ŕ partir dici est exposée la discussion qui a été provoquée par les chefs des Juifs avec le Christ; et dabord lEvangéliste présente linterrogation des Juifs,
1. Cf. Ex 7, 11.
2. Saint Thomas fait peut-ętre allusion ici au livre de Tobie :
Au moment męme, la pričre de tous deux fut entendue devant la gloire de Dieu,
et Raphaël fut envoyé pour les guérir tous deux ŕ Tobie, pour enlever les
leucomes des yeux de Tobit, afin quil vît de ses yeux la lumičre de Dieu; ŕ
Sara, la fille de Ragouél, pour la donner comme femme ŕ Tobie, le fils de
Tobit, et pour la délivrer dAsmodée, le démon mauvais, parce quil appartenait
ŕ Tobie de la recevoir en partage de préférence ŕ tous ceux qui voulaient la
prendre (Tb 3, 16-17). Lange lui dit
: "Ouvre le poisson, enlčve-lui le fiel, le cur et le foie, garde-les
avec toi et rejette les entrailles; car le fiel, le cur et le foie de ce
poisson constituent un remčde utile. "... Il lui dit : "Le cur et le
foie du poisson, fais-les fumer devant un homme ou une femme attaqués par un
démon ou un esprit mauvais s toute attaque en sera écartée, et ceux ci ne
resteront plus jamais avec eux. Quant au fiel, frottes-en les yeux dun homme
atteint de leucomes, souffle sur eux, sur les leucomes, et ils guériront "
(Tobie 6, 4 et 8-9).
3. Tract, in Ioann., XLVIII, 2, BA
73", p. 166-167.
Linterrogation des Juifs.
Au sujet du premier point il fait deux choses il décrit les circonstances de linterrogation quant au temps [n° 1433], quant au lieu [n° 1436] et quant aux personnes qui interrogent [n° 1438]; puis il expose linterrogation elle-męme [n° 1439]; puis il donne la réponse du Christ [n° 1440]; enfin il introduit leffet de la réponse [n° 1452].
I
OR IL
Y EUT LA FĘTE DE LA DÉDICACE Ŕ JÉRUSALEM, ET CÉTAIT LHIVER, ET JÉSUS
CIRCULAIT DANS LE TEMPLE SOUS LE PORTIQUE DE SALOMON. LES JUIFS DONC
LENTOURČRENT.
1433. [Il décrit les circonstances de linterrogation] quant au temps dabord dune maničre particuličre, en disant : OR IL Y EUT LA FĘTE DE LA DÉDICACE [ENCAENIA] Ŕ JÉRUSALEM.
Pour avoir lintelligence de ce passage, il faut savoir que, comme le dit Augustin, cette fęte des encénies correspondait ŕ la festivité de la dédicace dans les églises. En effet, Kaivôv en grec est la męme chose que novum en latin. Cest pourquoi le terme encaenia veut dire la męme chose que "inauguration". Et cela devient męme comme un usage commun de parler quand quelque chose de nouveau est consacré ŕ un usage, on dit quil est inauguré [encaeniari] OR IL Y EUT LA FĘTE DE LA DÉDICACE [ENCAENIA] Ŕ JÉRUSALEM, cest-ŕ-dire la fęte et la mémoire de la consécration du Temple. Car ŕ chaque fois que de nouveau on consacre une église au culte divin, on accomplit la fęte de cette consécration męme, et chaque année, le męme jour, [on la célčbre] en mémoire de cela. Cest ainsi que les Juifs célébraient chaque année la fęte de la Dédicace, cest-ŕ-dire la mémoire de la dédicace du Temple.
1434. Mais pour savoir la raison de la fęte de la consécration et sa cause, il faut noter que toutes les fętes sont célébrées dans lEglise en commémoration des bienfaits divins Je me souviendrai des miséricordes du Seigneur 1; et dans le psaume, David, aprčs avoir commémoré les nombreux bienfaits de Dieu en disant Confessez, le Seigneur, parce quil est bon 2, ajouta Etablissez un jour solennel 3.
Nous commémorons de trois
maničres les bienfaits divins qui nous sont prodigués. Parfois en tant quils
nous sont prodigués en notre Tęte 4, ŕ savoir
le Christ; et ainsi nous célébrons la fęte de la Nativité et de la
Résurrection, et dautres. Parfois en tant quils nous sont prodigués dans ceux
qui sont membres [du Christ] avec nous, cest-ŕ-dire dans les saints qui sont
les membres de 1Eglise.
Et cela ŕ juste titre, parce que comme le dit lApôtre dans la premičre épître
aux Corinthiens : Si un membre est glorifié, tous les membres se réjouissent
avec lui Et ainsi nous célébrons la fęte de Pierre et Paul, et des autres
saints. Parfois en tant que les bienfaits divins sont prodigués ŕ toute
lEglise; par exemple dans le ministčre des sacrements et dans les autres
[bienfaits] qui sont conférés dune maničre commune ŕ lEglise. Or la maison
dici-bas [materialis] est comme le, signe du rassemblement des fidčles
de lEglise, et cest aussi en elle que tous les sacrements de la grâce sont
dispensés. Cest pourquoi, en mémoire des bienfaits eux-męmes nous célébrons la
fęte de la dédicace de 1Eglise.
Et certes cette fęte est plus grande que la fęte dun saint, de męme que les
bienfaits conférés ŕ toute lEglise, dont nous célébrons la mémoire, surpassent
le bienfait conféré ŕ un saint qui est commémoré au jour de sa fęte.
1435. Il faut savoir cependant que le Temple, ŕ Jérusalem, avait été consacré ŕ trois reprises. Dabord par Salomon, comme on le rapporte dans le premier livre des Rois 6. En second lieu au temps dEsdras, par Zorobabel et Josué le grand prętre, comme le rapporte le livre dEsdras 7. Enfin par Judas Macchabée et ses frčres qui montčrent ŕ Jérusalem pour rebâtir les lieux saints 8. Or cette fęte des encénies na pas été célébrée en mémoire de la dédicace accomplie par Salomon, parce que cela eut lieu en automne, ŕ savoir le septičme mois; ni en mémoire de la dédicace accomplie au temps dEsdras, parce que celle-ci eut lieu au printemps, ŕ savoir au neuvičme jour de mars. Mais elle a été célébrée en mémoire de la dédicace accomplie par Judas Macchabée et ses frčres au temps de lhiver.
1. Is 63, 7.
2. Ps 117, 1.
3. Ps 117, 27.
4. Il est aussi la Tęte du Corps, de lEglise, lui qui est Principe,
Premier-né dentre les morts, afin quen tout il ait le premier rang... (Col. 1,
18); voir aussi Ep 1, 22; 5, 23; 4, 15. Saint Thomas étudie longuement le
mystčre de la grâce capitale du Christ, notamment dans la Somme théologique :
voir III, q. 8.
5. 1 Corinthiens 12, 26.
6. Cf. 1 R 8.
7. Cf. Esd 6, 16-22.
8. Cf. 1 M 4, 42-58.
Et cest pourquoi, pour le rappeler, il décrit en second lieu le temps dune maničre générale, en disant ET CÉTAIT LHIVER. Et cela a aussi une cause mystique. Comme le dit Grégoire 1, lÉvangéliste eut soin dexprimer que le temps était celui de lhiver, pour indiquer que le froid, ŕ savoir celui de la malice des Juifs, était présent au cur des auditeurs De męme que la citerne rend son eau froide, ainsi a t-elle rendu sa malice 2. De cet hiver il est dit dans le Cantique : Car voici que lhiver est passé, la pluie a cessé, elle sen est allée 3.
ET
JÉSUS CIRCULAIT DANS LE TEMPLE SOUS LE PORTIQUE DE SALOMON.
1436. Ici, il décrit le lieu. Dabord dune maničre générale : DANS LE TEMPLE Le Seigneur dans son temple saint 4, puis dune maničre particuličre : SOUS LE PORTIQUE DE SALOMON.
Il faut savoir en effet quon nappelle pas "Temple" seulement le corps [du Temple] lui-męme, mais aussi les portiques qui se trouvent autour, dans lesquels le peuple se tenait debout pour prier; car dans le Temple [lui-męme] seuls les prętres priaient. Et on appelle portique de Salomon ce lieu dans lequel Salomon se tint debout quand il pria, aprčs avoir accompli la dédicace du Temple Salomon se tint donc debout en face de toute lassemblée dIsraël 5.
1437. Mais le Temple que
Salomon avait édifié fut détruit pareillement ce portique ne doit donc pas ętre
dit "portique de Salomon".
Je réponds. Il faut dire que le Temple a été restauré sur le modčle du premier. Et cest pourquoi, de męme quauparavant le portique était dit "portique de Salomon", de męme plus tard, par respect pour celui-ci.
1. Morales sur Job, II, 1, SC 32 bis, p. 254.
2. Jr 6, 7.
3. Ct2, 11.
4. Ps 10, 5.
5. 1 R 8, 22.
LES
JUIFS DONC LENTOURČRENT.
1438. Les personnes qui interrogent, il les décrit quant ŕ leur malice. Cest pourquoi il dit : LES JUIFS DONC LENTOURČRENT, froids, loin de la charité qui fait aimer fa cantate diligendl], mais brűlants de lavidité de nuire, pour sapprocher avec lintention de lencercler, et pour lencercler en le bloquant avec lintention de le poursuivre jusquau bout De nombreux taureaux mont encerclé, de fortes bętes mont assiégé. Ephraďm ma entouré de mensonges
II
ET
ILS LUI DISAIENT : "JUSQUES Ŕ QUAND TIENDRAS-TU NOTRE ÂME EN SUSPENS?
SI TU ES LE CHRIST, DIS-LE-NOUS OUVERTEMENT. "
1439. Puis il expose linterrogation des Juifs 9.
Et dabord il souligne la cause fictive de linterrogation, quand il dit : JUSQUES Ŕ QUAND TIENDRAS-TU NOTRE ÂME EN SUSPENS? Ils parlent en vils flatteurs, voulant montrer par lŕ quils désirent savoir la vérité ŕ son sujet. Comme sils disaient notre âme, par le désir, est en suspens aussi longtemps que tu nous laisses enchaînés 10. Lespérance qui est différée afflige lâme 11.
6. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XLVIII, 3, HA 73 p. 166-169.
7. Ps 21, 13.
8. Os 11, 12.
9. Le développement qui suit reprend lexplication de
Chrysostome, en particulier linsistance sur la perversité de la question des
Juifs (In loannem hom., LXI, 1, PG 59, col. 336-337).
10. Lédition léonine apporte avec réserve cette correction,
vinctos nos derelinquis, au texte de lédition Marietti qui porte moestos nos
derelinquis (aussi longtemps que tu nous laisses affligés).
11. Pr 13,12.
Cest pourquoi ils ajoutent une interrogation en disant : SI TU ES LE CHRIST, DIS-LE-NOUS OUVERTEMENT. Lŕ, remarque dabord leur perversité. Parce quils sindignent contre le Christ du fait quil se dit Fils de Dieu, comme il est dit plus haut 1, ils ne linterrogent pas [pour savoir] sil est Fils de Dieu, mais ils disent : SI TU ES LE CHRIST, DIS-LE-NOUS OUVERTEMENT, afin de pouvoir avoir par lŕ matičre ŕ laccuser devant Pilate, comme séditieux et convoitant le royaume, ce qui était contre César et odieux aux Romains. Cest pourquoi Pilate, quand les Juifs accusaient le Christ parce quil se faisait Fils de Dieu, nen eut cure. Mais quand ils lui dirent Quiconque se fait roi soppose ŕ César 2, il commença ŕ sinquiéter davantage par rapport ŕ lui. Et cest pourquoi ils disent SI TU ES LE CHRIST, ou roi, ou oint, DIS-LE-NOUS OUVERTEMENT. Considčre ensuite leur indignité : ils disent OUVERTEMENT, comme sils disaient : "Jusque-lŕ, il na pas enseigné publiquement, mais comme en secret", alors que cependant il disait tout ouvertement, assistant toujours aux fętes, et ne parlait en rien dune maničre cachée Moi jai parlé au monde ouvertement et je nai rien dit en secret 3.
La réponse du Christ.
JÉSUS
LEUR RÉPONDIT : "JE VOUS LAI DIT, ET VOUS NE CROYEZ PAS. LES UVRES
QUE MOI JE FAIS AU NOM DE MON PČRE, CELLES-CI RENDENT TÉMOIGNAGE Ŕ MON SUJET. "
1440. Ici, il expose la réponse du Christ : il souligne leur infidélité en montrant que ce quils avaient dit était faux, ŕ savoir quils désiraient connaître la vérité, disant : JUSQUES Ŕ QUAND TIENDRAS-TU NOTRE ÂME EN SUSPENS?
Et cela sous deux aspects. Dabord parce quils ne croyaient pas ŕ ses paroles. Et quant ŕ cela, il affirme : JE VOUS LAI DIT, ET VOUS NE CROYEZ PAS. Autrement dit, vous me dites : SI TU ES LE CHRIST, DIS-LE NOUS OUVERTEMENT. Mais moi JE VOUS LAI DIT, cest-ŕ-dire : je vous dis la vérité; et vous VOUS NE CROYEZ PAS Si je vous le dis, vous ne le croirez pas 4.
En second lieu, parce quils ne croient pas ŕ ses uvres. Dabord il montre leur incrédulité ŕ légard des uvres męmes; puis la raison de lincrédulité [n° 1442].
1441. Quant au premier point, il dit LES UVRES QUE MOI JE FAIS... Autrement dit : ce nest pas par la parole seule que vous pouvez ętre persuadés, comme vous [le] simuliez; ni męme par tant duvres QUE MOI JE FAIS AU NOM DE MON PČRE, cest-ŕ-dire pour sa gloire. CELLES-CI RENDENT TÉMOIGNAGE Ŕ MON SUJET, parce quelles ne peuvent ętre faites que par Dieu. Cest pourquoi, ŕ partir delles, il apparaît dune façon manifeste que je suis venu de Dieu Tout arbre est reconnu ŕ son fruit 5 Les uvres que moi je fais, me rendent témoignage 6. MAIS VOUS, VOUS NE CROYEZ PAS. Plus loin il est dit : Bien quil eűt donc fait tant de signes, ils ne croyaient pas en lui 7. Et cest pourquoi ils Sont inexcusables 8 Si je n'avais pas fait parmi eux les uvres que nul autre na faites, ils nauraient pas de péché. Mais maintenant ils ont vu et ils mont haď, moi et mon Pčre 9.
1. Cf. Jn 10, 18.
2. Jn 19, 12.
3. Jn 18, 20.
4. Lc 22, 67.
5. Mt 12, 33.
6. Jn 5, 36.
7. Jn 12, 37.
8. Cf. Rm 1, 20.
9. Jn 15, 24.
1442. Or, la raison de leur incrédulité, cest leur séparation davec les brebis du Christ. Cest pourquoi il dit : VOUS NE CROYEZ PAS, PARCE QUE VOUS NĘTES PAS DE MES BREBIS.
Ŕ ce sujet, il montre dabord leur exclusion de lassemblée des brebis du Christ, puis la dignité des brebis [n° 1445]; enfin il prouve quelque chose quil avait dit [n° 1450].
MAIS
VOUS, VOUS NE CROYEZ PAS, PARCE QUE VOUS NĘTES PAS DE MES BREBIS.
1443. Il souligne leur
séparation davec ses brebis, en disant : VOUS NĘTES PAS DE MES BREBIS,
cest-ŕ-dire prédestinés ŕ croire, mais connus davance pour la perdition
éternelle 1. Le fait męme en
effet que nous croyons nous vient de Dieu Il vous a été donné, non pas
seulement de croire en lui-męme, mais encore de souffrir pour lui 2 Vous ętes sauvés par la grâce [...] et
non ŕ partir de vous-męmes : cest un don de Dieu 3. Et cela certes nest donné ŕ nul autre
que celui pour qui cela a été préparé depuis léternité. Et cest pourquoi
ceux-lŕ seuls croient en lui-męme qui ont été destinés davance ŕ cela par
Dieu, par la prédestination éternelle : Crurent tous ceux qui étaient destinés
davance ŕ la vie éternelle 4. Et
encore ce passage du męme livre Cest par la grâce de Notre-Seigneur
Jésus-Christ que nous croyons ętre sauvés 5.
1444. Mais doit-on dire ŕ quelquun quil na pas été prédestiné? Il semble que non, puisquen effet personne ne peut ętre sauvé sil na été prédestiné; si on dit ŕ quelquun quil na pas été prédestiné, on semble le pousser au désespoir. Donc le Seigneur, en disant aux Juifs VOUS NE CROYEZ PAS, PARCE QUE VOUS NĘTES PAS DE MES BREBIS, les poussait ŕ désespérer.
Réponse. Il faut dire que, dans cette foule, il y avait quelque chose de commun ŕ tous, ŕ savoir quils nétaient pas destinés davance par Dieu ŕ croire ŕ ce moment-lŕ. Et il y avait quelque chose de spécial, ŕ savoir que quelques-uns parmi eux étaient destinés davance ŕ croire par la suite : et cest pourquoi ils crurent plus tard, comme on voit, aux Actes des Apôtres, que trois mille parmi les Juifs crurent en un jour 6. Mais il y en avait certains qui nétaient pas destinés davance ŕ cela. Il nétait donc pas contraire ŕ lespérance de dire que dans la foule, oů certains étaient destinés davance ŕ croire par la suite, il sen trouvait qui nétaient pas des brebis : parce que personne ne pouvait soupçonner cela d maničre déterminée ŕ son propre sujet, alors que le dire dune personne dune maničre déterminée aurait été contraire ŕ lespérance.
MES
BREBIS ÉCOUTENT MA VOIX, ET MOI JE LES CONNAIS ET ELLES ME SUIVENT. ET MOI JE
LEUR DONNE LA VIE ÉTERNELLE, ET ELLES NE PÉRIRONT JAMAIS, ET NUL NE LES
ARRACHERA DE MA MAIN.
1445. Il établit ici la dignité de ses brebis. Il montre quatre choses. Deux choses de notre côté, que nous faisons par rapport au Christ; et deux du côté du Christ, que lui-męme fait en nous, correspondant en retour ŕ ce que nous faisons ŕ son égard.
1. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in b, XLVIII,
4, BA 73*, p. 172-173. Voir n°938, note 1.
2. Ph 1, 29.
3. Ep 2, 8.
4. Ac 13, 48.
5. Ac 15, 11.
596
6. Cf. Ac 2, 41.
MES
BREBIS ÉCOUTENT MA VOIX.
1446. La premičre chose, que nous, nous faisons, est dobéir au Christ; et quant ŕ cela il dit : MES BREBIS, cest-ŕ-dire, par prédestination, ÉCOUTENT MA VOIX, en croyant, et en obéissant ŕ mes commandements Aujourdhui si vous écoutez sa voix, n'endurcissez pas votre cur 1.
ET
MOI JE LES CONNAIS.
1447. La seconde, celle que le Christ fait et qui correspond ŕ la premičre [celle que nous faisons], est son amour et son approbation 2; et quant ŕ cela il dit : ET MOI JE LES CONNAIS, autrement dit : je les aime et je les approuve Le Seigneur connaît ceux qui sont les siens 3. Si elles mécoutent, cest parce que MOI JE LES CONNAIS, en les choisissant depuis toujours.
Mais si personne ne peut croire autrement que si cela lui est donné par Dieu, il semble que linfidélité ne puisse ętre imputée ŕ qui que ce soit.
A cela il faut répondre quelle est imputée [ŕ ceux qui ne croient pas] parce quen eux est la cause pour laquelle il ne leur est pas donné de croire. De męme moi, je ne peux voir la lumičre si je ne suis illuminé par le soleil. Mais si je fermais les yeux, je ne verrais pas la lumičre, ce qui ne viendrait pas du soleil mais de moi, qui, en fermant les yeux, fais naître la cause par laquelle je ne suis pas illuminé.
Or le péché est la cause pour laquelle nous ne sommes pas illuminés par Dieu par le moyen de la foi, par exemple le péché originel ou bien aussi, pour certains, le péché actuel. Et certes cette cause se trouve en tous. Cest pourquoi tous ceux qui sont écartés le sont par le juste jugement de Dieu, et ceux qui sont choisis sont pris et élevés par la miséricorde de Dieu.
ET
ELLES ME SUIVENT.
1448. La troisičme chose, qui est de nous, est limitation du Christ; et quant ŕ cela il dit : ET ELLES ME SUIVENT Mon pied a suivi ses traces 4 Le Christ a souffert pour nous, vous laissant lexemple pour que vous suiviez ses traces 5.
ET
MOI JE LEUR DONNE LA VIE ÉTERNELLE, ET ELLES NE PÉRIRONT JAMAIS, ET NUL NE LES
ARRACHERA DE MA MAIN.
1449. La quatričme chose, correspondant ŕ la troisičme, est, de la part du Christ, lattribution dune récompense; et quant ŕ cela il dit : ET MOI JE LEUR DONNE LA VIE ÉTERNELLE, comme sil disait : celles-ci męmes me suivent en savançant ici sur le chemin de la douceur 6 et de linnocence. Et moi je ferai que plus tard elles me suivent, en entrant vers les joies de la vie éternelle.
Le Seigneur montre de trois
maničres que cette récompense ne peut faire défaut. Car quelque chose peut
faire défaut de trois maničres. Premičrement par sa nature, [ici celle] de la
récompense elle-męme, par exemple si elle est corruptible; mais cette
récompense est incorruptible quant ŕ sa nature, cest pourquoi il dit : JE LEUR
DONNE LA VIE ÉTERNELLE, qui est la jouissance incorruptible et immortelle de
Dieu. Plus bas il est dit : Cette vie éternelle cest quils te connaissent, toi,
le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 7. Et comme le dit Augustin 8 ce sont les pâturages dont il avait parlé
plus haut. Et la vie éternelle oů aucune herbe ne se dessčche, oů tout est
vert, est dite "bon pâturage ".
1. Ps 94, 8.
2. Cf. n° 1412, note 4.
3. 2 Tm 2, 19.
4. Jb 23, 11. Cf. n° 1376, note 5.
5. 1 P 2,21.
6. Nous traduisons ici mansuetuda par "douceur" car
cest bien le sens que saint Thomas donne â ce terme. Voir â ce sujet Ad J Cor.
lect., n° 227; Ad 2 Cor. lect., n° 344. Rappelant que mansuetus signifie
dabord, dun animal, quil est apprivoisé et donc soumis aux hommes, saint
Thomas note que lhomme, lui, est mansuetus dčs lors quil se soumet â Dieu. La
mansuetude est une vertu qui adoucit la colčre. Ainsi, est dit "doux"
[est celui qui est amené de la sauvagerie ŕ la miséricorde ou ŕ lhumilité;
alors quon dit "doux" [sont ceux qui ont toujours été tels (Exp. in
Psalmos, 24, n° 8). La mansuetudo s dirige, modčre, les passions de la
colčre" (Ad Tt. lect., III, n° 82), elle les refrčne (cf. Somme théol., I
II, q. 70, a. 3), elle s adoucit les querelles et conserve la paix s (Ad Eph.
lect., IV, n° 191). Elle enlčve ce qui fait obstacle aux actes de la piété
(Somme théol., II II, q. 121, s. 2).
7. Jn 17, 3.
8. Tract, in Ioann., XLVIII, 5, BA
73", p. 415.
En second lieu, quelque chose peut manquer ŕ cause dune déficience de celui qui reçoit, quand celui-ci est déficient et quand il garde mal. Mais cela narrivera pas dans cette récompense; cest pourquoi il dit : ET ELLES NE PÉRIRONT JAMAIS, cest-ŕ-dire les brebis. Ceci va contre Origčne, qui dit que parfois les saints qui sont dans la gloire ont pu pécher 1. Mais le Seigneur dit : ELLES NE PÉRIRONT JAMAIS, parce quelles sont gardées ŕ jamais Celui qui aura vaincu, je le ferai colonne dans le Temple de mon Dieu, et il n'en sortira plus jamais 2.
En troisičme lieu, quelque
chose peut faire défaut ŕ cause de la violence de celui qui arrache. Peut-ętre
en effet Adam naurait-il pas été chassé si le séducteur navait été présent.
Dans la vie éternelle, cela ne sera pas; cest pourquoi il dit : ET NUL NE LES
ARRACHERA, cest-ŕ-dire les brebis, DE MA MAIN, ŕ savoir de ma protection et de
ma puissance Les âmes des justes sont dans la main de Dieu 3. En effet, comme le dit Augustin : "Lŕ,
ni le loup ne ravit, ni le voleur nenlčve, ni le bandit ne tue 4."
CE
QUE MON PČRE MA DONNÉ EST PLUS GRAND QUE TOUT; ET NUL NE PEUT RIEN ARRACHER DE
LA MAIN DE MON PČRE. MOI ET LE PČRE NOUS SOMMES UN.
1450. Ici, il prouve ce quil avait dit plus haut au sujet de la dignité des brebis, ŕ savoir : NUL NE LES ARRACHERA DE MA MAIN, par le raisonnement suivant : ce qui est dans la main de mon Pčre, nul ne peut le ravir; or la main du Pčre et la mienne sont la męme : donc ce qui est dans ma main, nul ne peut le ravir.
A ce sujet, il fait trois choses. Dabord il expose la mineure, en manifestant la communication de la divinité qui lui est transmise par le Pčre, lorsquil dit : CE QUE MON PČRE MA DONNÉ, par la génération éternelle, EST PLUS GRAND QUE TOUT.
Plus haut, il est dit : De męme que le Pčre a la vie en lui-męme, ainsi a-t-il donné au Fils davoir la vie en lui-męme. De męme, [ce que le Pčre lui a donné] est aussi PLUS GRAND par le pouvoir : Il lui a donné pouvoir dexercer le jugement, parce quil est Fils dhomme Et cest aussi PLUS GRAND par la révérence et lhonneur : Il lu a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin quau nom de Jésus tout genou fléchisse 8. CEST donc PLUS GRAND QUE TOUT, CE QUE LE PČRE MA DONNÉ, ŕ savoir "dętre son Verbe, dętre son Fils unique, et dętre la splendeur de sa lumičre 9".
En second lieu, il souligne lexcellence de la puissance du Pčre ce qui se rapporte ŕ la majeure quand il dit : ET NUL NE PEUT RIEN ARRACHER, cest-ŕ-dire enlever par violence ou soustraire par ignorance, DE LA MAIN, cest-ŕ-dire de la puissance, DE MON PČRE, ou de moi qui suis la puissance du Pčre 10; bien quil soit mieux de le dire de la puissance du Pčre que de moi, comme Augustin le dit 11. Cest pourquoi NUL NE PEUT RIEN ARRACHER DE LA MAIN DU PČRE, parce que lui-męme est le plus fort, lui ŕ qui violence ne peut ętre faite, et le plus sage, lui en qui ne se trouve pas dignorance Il est sage dans son cur, et courageux dans sa force 1.
1. Saint Thomas se réfčre ici ŕ une hypothčse avancée lors dune
discussion sur la nécessité, pour lâme, dętre toujours liée ŕ un corps
(Traité des principes, II, 3, 3, SC 252, p. 259). Mais ce nest quune
hypothčse passagčre, contredite par nombre dautres éléments de la pensée
dOrigčne.
2. Ap 3, 12.
3. Sg3, 1.
4. Tract, in la., XLVIII, 6, BA 735, p. 176-177.
5. Jn 5,26.
6. Jn 5, 27.
7. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
loannem hom., LXI, 2, PG 59, col. 338.
8. Ph 2, 9-10.
9. Citation de saint Augustin qui insiste sur lexplication de
ce passage par la génération éternelle du Fils (Tract. in Ioann., XLVIII, 6, BA
73", p. 180-181).
10. Cf. 1 Corinthiens 1, 18 et 24.
11. Cf. Tract, in Ioann., XLVIII, 7, BA 7311, p. 182-183.
Enfin il montre son unité avec le Pčre, de laquelle suit la conclusion. Cest pourquoi il dit : MOI ET LE PČRE NOUS SOMMES UN. Autrement dit : NUL NE LES ARRACHERA DE MA MAIN, parce que MOI ET LE PČRE NOUS SOMMES UN, cest-ŕ-dire par lunité de lessence. Car la nature du Pčre et du Fils est la męme.
1451. On exclut par lŕ deux erreurs : celle dArius, qui divisait lessence, celle de Sabellius qui confondait les personnes, de telle sorte quainsi nous sommes délivrés de Charybde comme de Scylla. Du fait quil dit UN, il te libčre dArius, car sil est un, il nest donc pas divers. Mais par le fait quil dit NOUS SOMMES, il te libčre de Sabellius : si en effet NOUS SOMMES, cest donc le Pčre et le Fils.
Mais cela, les ariens plus tard ont prétendu le nier par un mensonge de leur impiété, en disant que la créature en quelque maničre est une avec Dieu. Cest pourquoi le Fils peut, de cette maničre, ętre un avec le Pčre.
Mais il est évident que cela est faux, pour trois raisons. Dabord par la maničre męme de parler. Il est manifeste en effet que "un" est dit comme ce-qui-est 2. Cest pourquoi, de męme que quelque chose nest dit ętre dune maničre premičre et absolue [simpliciter] que selon la substance, de męme cela nest dit "un" que selon la substance ou la nature. Or ce qui est dit dune maničre premičre et absolue [simpliciter] lest sans aucune addition. Donc, parce quici il est dit simplement : MOI ET LE PČRE NOUS SOMMES UN, sans que rien dautre soit ajouté, il est manifeste quils sont un selon la substance et la nature. Mais jamais on ne trouve que Dieu et une créature soient un sans que quelque chose soit ajouté : Celui qui adhčre ŕ Dieu est un seul esprit avec lui Il est donc évident que le Fils de Dieu nest pas un avec le Pčre comme la créature.
En second lieu, [cela est faux du fait de ce quil avait dit] plus haut, ŕ savoir : CE QUE MON PČRE MA DONNÉ EST PLUS GRAND QUE TOUT. Il conclut ensuite : MOI ET LE PČRE NOUS SOMMES UN, comme sil disait : nous sommes un pour autant que CE QUIL MA DONNÉ EST PLUS GRAND QUE TOUT. Ce qui ne peut ętre compris que de sa nature et de son essence, autrement ce ne serait pas plus grand que tout.
Enfin, [que ce soit faux,] cest évident de par son intention : car le Seigneur prouve que nul ne les arrachera de sa main par le fait que nul ne peut rien arracher de la main de son Pčre. Ce qui ne sensuivrait pas si sa puissance était moindre que celle de son Pčre. Donc le Pčre et le Fils sont un par la nature, lhonneur et la puissance.
1. Jb 9, 4. Saint Thomas commente
: "Que lhomme en se tendant de
toutes ses forces ne puisse accéder ŕ Dieu en aucune mesure, il le montre quand
il dit : Il [Dieu] est sage dans son cur et courageux dans sa force. En effet,
il y a deux luttes : lune par laquelle on lutte en disputant (n° 1035, note
4), et celle-lŕ est par la sagesse, lautre par laquelle on lutte en
combattant, et celle-ci est par la force. Or en lune et lautre, Dieu dépasse
[parce quil dépasse toute force et toute sagesse par sa force et sa
sagesse" (Exp. super Job, 5, 4, p. 58, 1. 51-59). Sur la contentio, cf. n° 1039, note 8.
2. Cf. ARISTOTE, Métaphysique, I, 2, 1 054 a 12-17; K 3, 1061 a
15-18.
3. 1 Corinthiens 6, 17. Saint
Thomas commente : "Celui qui adhčre ŕ Dieu,
cest-ŕ-dire par la foi et la charité, est un seul esprit avec lus, parce quil
lui est uni dune unité spirituelle et non pas corporelle. Cest pourquoi il
est dit : Si quelquun na pas lesprit du Christ, il ne lui appartient pas (Rm
8, 9); et : Pour quils soient un comme nous-męmes nous sommes un (In 17, 21),
cest-ŕ-dire par les liens de lesprit. Et parce que le corps est au service de
lesprit, il sensuit que męme nos corps sont ses membres, lui ŕ qui nous
sommes unis par lesprit, non certes par le lien de la chair mais par un lien
spirituel" (Ad I Cor. lect., VI, n° 305).
Leffet de la réponse du
Christ.
1452. La doctrine du
Christ ayant été exposée, lEvangéliste montre leffet de son enseignement sur
les Juifs. Dabord le Seigneur blâme leur fureur; ensuite il refuse le
blasphčme quon lui attribue [n° 1455]; enfin
il esquive leur obstination [n° 1467].
I
LES
JUIFS APPORTČRENT DONC DE NOUVEAU DES PIERRES POUR LE LAPIDER. JÉSUS LEUR
RÉPONDIT : "JE VOUS AI MONTRÉ BEAUCOUP DE BONNES UVRES, VENANT DE MON
PČRE; POUR LAQUELLE DE CES UVRES ME LAPIDEZ-VOUS?"
1453. Au sujet du premier point il fait deux choses. Dabord il expose la fureur des Juifs, fureur dont ils senflammaient pour lapider le Christ; cest pourquoi il dit : LES JUIFS APPORTČRENT DONC DE NOUVEAU DES PIERRES POUR LE LAPIDER.
En effet, parce quils étaient
durs et ne pouvaient comprendre les profondes paroles du Seigneur, semblables ŕ
des pierres ils courent vers les pierres 1. Pendant que je leur parlais, ils me combattaient sans raison 2.
1454. Puis, en ajoutant : JE VOUS AI MONTRÉ BEAUCOUP DE BONNES UVRES, le Seigneur blâme leur fureur; et dabord il rappelle les bienfaits quil leur a témoignés. Ensuite il blâme leur fureur.
Il rappelle les bienfaits quil leur a témoigné dans les guérisons des infirmes, en leur prodiguant un enseignement et des miracles. Cest pourquoi JÉSUS LEUR RÉPONDIT : "JE VOUS AI MONTRÉ BEAUCOUP DE BONNES UVRES en guérissant, en pręchant, en accomplissant des miracles Il a bien fait toutes choses 3 VENANT DE MON PČRE", dont jai cherché la gloire ŕ travers tout. Plus haut il est dit : Je ne cherche pas ma gloire, mais celle de celui qui ma envoyé 4.
Il blâme leur fureur en disant : POUR LAQUELLE DE CES UVRES ME LAPIDEZ-VOUS? comme sil disait : il fallait honorer le bienfaiteur, non le lapider. De męme il est dit : Rend-on le mal pour le bien?
II
1455. Le Seigneur se soustrait main tenant ŕ laccusation du blasphčme; on souligne dabord le blasphčme qui lui est imputé par les Juifs, puis sa réfutation par le Christ [n° 1457].
LES
JUIFS LUI RÉPONDIRENT : "CE NEST PAS POUR UNE BONNE UVRE QUE NOUS TE
LAPIDONS, MAIS POUR UN BLASPHČME, ET PARCE QUE TOI, ALORS QUE TU ES UN HOMME,
TU TE FAIS TOI-MĘME DIEU. "
1456. Lŕ se présentent cinq choses ŕ considérer. La premičre semble se rapporter au motif de la lapidation, qui est le blasphčme. Il est prescrit en effet que ceux qui blasphčment seront lapidés Fais sortir le blasphémateur hors du camp, tous ceux qui ont entendu poseront leurs mains sur sa tęte, et le peuple tout entier le lapidera Et quant ŕ cela, ils disent : CE NEST PAS POUR UNE BONNE UVRE QUE NOUS TE LAPIDONS, MAIS POUR UN BLASPHČME.
1. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in la., XLVIII, 8, BA 73 p. 184-185.
2. Ps 119, 7.
3. Mc 7, 37.
4. Jn 8, 50 et 7, 18.
5. Jr 18, 20.
6. Lv 24, 14.
La seconde est quils spécifient le blasphčme lui-męme. Car blasphémer, ce nest pas seulement attribuer ŕ Dieu ce qui ne lui convient pas, mais attribuer ŕ quelquun dautre ce qui appartient ŕ Dieu seul. Ainsi, blasphémer, cest non seulement dire que Dieu est un corps, mais aussi dire quune créature peut créer. Cest pourquoi ils disaient : Celui-ci blasphčme. Qui peut remettre les péchés, si ce n'est Dieu seul 1? Donc les Juifs disaient que le Seigneur était un blasphémateur, non de la premičre maničre, mais en usurpant pour lui-męme ce qui était le propre de la divinité. Cest pourquoi ils disaient : PARCE QUE TOI, ALORS QUE TU ES UN HOMME, TU TE FAIS TOI-MĘME DIEU.
La troisičme chose est que les Juifs comprirent mieux que les ariens la parole que le Christ avait dite : MOI ET LE PČRE NOUS SOMMES UN. Ainsi, ils sont en colčre parce quils comprirent quon ne peut dire : MOI ET LE PČRE NOUS SOMMES UN que lŕ oů existe une égalité entre le Pčre et le Fils 2, Et cest ce quils disent : TOI, TU TE FAIS TOI-MĘME DIEU. Ils ne lui disent pas : "tu te dis Dieu", parce que, ce que le Christ dit, ils ne le reconnaissent pas.
La quatričme chose est celle-ci : si grande est la distance entre Dieu et lhomme quil leur était incroyable que le męme, qui est un homme, soit aussi Dieu. Cest pourquoi ils disent clairement PARCE QUE TOI, ALORS QUE TU ES UN HOMME, TU TE FAIS TOI-MĘME DIEU. Et cependant ils auraient pu ętre écartés de cette incrédulité par ce qui est dit dans le psaume : Quest-ce que lhomme pour que tu te souviennes de lui, le fils de lhomme pour que tu le visites 3? Moi je vais faire en vos jours une uvre que personne ne croirait si on la racontait cest-ŕ-dire luvre de lIncarnation, excédant toute pensée.
La cinquičme chose est quils se contre disent eux-męmes dans leurs propres paroles. Car dune part ils confessent que le Christ fait de bonnes uvres, en disant : CE NEST PAS POUR UNE BONNE UVRE QUE NOUS TE LAPIDONS; et de lautre ils lui attribuent un blasphčme, ŕ savoir quil usurpe pour lui faussement lhonneur de Dieu. Et certes ces choses sont contraires il ne pourrait faire des miracles provenant de Dieu sil blasphémait Dieu, parce que comme il est dit : Un bon arbre ne peut produire des mauvais fruits, ce qui a lieu au plus haut point dans le Christ.
1. Mc 2,7.
2. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XLVIII, 8, BA 73 p. 184-185.
3. Ps 8, 5. Saint Thomas commente
: "Le psalmiste rappelle ici deux
bienfaits accordés divinement aux hommes f... ]. Dabord il montre la clémence
de Dieu pour les hommes, par comparaison avec ce qui est au-dessus des hommes,
puis avec le premier homme, et enfin avec ce qui est inférieur ŕ lhomme. Or
au-dessus de lhomme il y a deux natures, la nature divine et la nature
angélique. Il situe donc dabord ces bienfaits par rapport ŕ Dieu, puis par
rapport aux anges Tu las fait un peu moindre que les anges. Et ceci dabord
quant aux bienfaits naturels, puis quant aux bienfaits gratuits. f... ] Dabord
il expose le soin spécial que Dieu a de lhomme, puis lintimité [familiaritatem]
spéciale quil a avec lui, quand il dit : le fils de lhomme. Il est admirable
que quelquun de grand sunisse ŕ quelquun de petit dans une intimité toute
spéciale. Cest pourquoi le psalmiste rappelle dabord la petitesse de lhomme,
quant ŕ sa condition Quest-ce que lhomme, une si petite chose? Lhomme, né de
la femme (Jb 14, 1) Lhomme cette pourriture, et le fils de lhomme, un ver
Gb 25, 6). Puis quant ŕ son origine, parce quelle est vile Qui peut rendre
pur ce qui est conçu dune semence impure? (Jb 14,4) Ne mas-tu pas coulé
comme le lait? (J1 10, 10). Et cest pourquoi il dit ou le fils de lhomme. Mais
il dit que pour cet homme si petit, si vil, Dieu fait deux choses : il se
souvient de lui et il le visite" (Exp. in Psalmos, 8, n 4).
4. Ha 1, 5.
5. Mt 7, 18.
JÉSUS
LEUR RÉPONDIT : "NEST-IL PAS ÉCRIT DANS VOTRE LOI "MOI JAI
DIT, VOUS ĘTES DES DIEUX"? SI ELLE APPELLE "DIEUX"
CEUX Ŕ QUI LA PAROLE DE DIEU A ÉTÉ ADRESSÉE, ET LÉCRITURE NE PEUT ĘTRE ABOUE
-Ŕ CELUI QUE LE PČRE A SANCTIFIÉ ET A ENVOYE DANS LE MONDE VOUS DITES :
"TU BLASPHČMES", PARCE QUE JAI DIT : "JE SUIS LE FILS DE
DIEU" ! "
1457. Ici il récuse le blasphčme dont on la accusé. Dabord il présente sa défense, puis il montre la vérité de ce quil a dit [n° 1464].
Il se disculpe par lautorité
de lEcriture. Cest pourquoi dabord il se fonde sur lautorité de lÉcriture;
ensuite il ouvre leur intelligence [n° 1460]; enfin, ŕ partir de cela, il conclut [n° 1461].
1458. Il dit donc JÉSUS LEUR RÉPONDIT : "NEST-IL PAS ÉCRIT DANS VOTRE LOI," ŕ savoir dans le psaume 81 1 "MOI JAI DIT, VOUS ĘTES DES DIEUX"?
Lŕ il faut savoir que, dans lEcriture, le mot "Loi" sentend de trois maničres. Parfois, certes, dune maničre universelle pour lAncien Testament tout entier, selon quil contient les cinq livres de Moďse, les Prophčtes et les hagiographes 2. Et cest en ce sens-lŕ quest pris ici DANS VOTRE LOI, cest-ŕ-dire dans lAncien Testament, parce que cela est écrit dans les Psaumes : cest pourquoi il est dit "Loi", parce que lAncien Testament tout entier se rapporte ŕ lautorité de la Loi.
Parfois, la "Loi" est prise en tant quelle se distingue des Prophčtes, des Psaumes et des hagiographes, selon ce qui est dit dans saint Luc : Il faut que saccomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi, les Prophčtes et les Psaumes 3.
Parfois, la "Loi" est prise en tant que séparée seulement des Prophčtes. Et ainsi les Psaumes et les autres livres de lAncien Testament, excepté le Pentateuque, sont inclus dans les Prophčtes, du fait que cest par un esprit prophétique que lEcriture de lAncien Testament est venue au jour. Et cest de cette maničre quelle est prise en saint Matthieu : A ces deux commandements est suspendue toute la Loi, ainsi que les Prophčtes 4.
Ainsi donc il est écrit MOI
JAI DIT, VOUS ĘTES DES DIEUX.
1459. Lŕ, il faut savoir que le nom "Dieu" est pris de trois maničres. Parfois, en effet, il signifie la nature divine elle-męme, et cest seulement ainsi quil est dit au singulier Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est lunique 5.
Parfois "Dieu" est dit dune maničre purement nominale, et cest de cette maničre que les idoles sont dites des dieux Démons tous les dieux des nations 6.
Mais parfois quelquun est dit "Dieu" par une certaine participation de la divinité, ou dune puissance trčs excellente qui lui est donnée divinement. Et de cette maničre męme les juges sont dits "dieux" dans lEcriture Tu les dirigeras vers les dieux, cest-ŕ-dire vers les juges 7. Tu ne décrieras pas les dieux, cest-ŕ-dire les prélats 8. Et cest de cette maničre quest pris ici le nom "Dieu" quand il dit : Moi jai dit, vous ętes des dieux, cest-ŕ-dire participants de la vertu divine [au-delŕ de] la nature humaine.
SI
ELLE APPELLE "DIEUX" CEUX A QUI LA PAROLE DE DIEU A ETE
ADRESSEE, -ET LÉCRITURE NE PEUT ĘTRE ABOLIE.
1460. Ici, il ouvre lesprit ŕ cette autorité dont il a parlé 10, comme sil disait : il les a appelés dieux en tant quils participent quelque chose de la divinité selon la participation ŕ la parole de Dieu qui leur a été annoncée. Car par la parole de Dieu lhomme obtient une participation de la puissance et de la pureté divines 11. Plus bas il est dit : Déjŕ vous ętes purs ŕ cause de la parole que je vous ai dite. Et dans le livre de lExode il est dit que le visage de Moďse a été rendu resplendissant davoir été uni ŕ la parole de Dieu 2.
1. Ps 81, 6.
2. Cette division est la division de la Bible hébraďque. Celle-ci
se divise en trois parties la Loi (Torah), contenant les cinq livres dits
"de Moďse" ou Pentateuque les NebIIm, cest-ŕ-dire les Prophčtes
les Ketoubim, écrits appelés aussi hagiographes (Saintes Ecritures), qui
contiennent les Psaumes, le livre de Job, les Proverbes, etc. Voir E. OSTY et J.
TRINQUET, Introduction ŕ la Bible, Paris, Ed. du Seuil, 1973, p. 14-15.
3. Lc 24, 44.
4. Mt 22, 40.
5. Dt 6, 4.
6. Ps 95, 5.
7. Ex 22, 8.
8. Ex 22, 28. -
9. Aperit sensum cf. Lc 24, 45 Tunc aperuit illis sensum, ut
intellegerent scripturas.
10. Cf. n° 1457.
11. Voir Préface, p. 9, note 6.
Ŕ partir de ce qui a été dit auparavant, on pourrait argumenter ainsi. Il est manifeste que quelquun, par participation du Verbe de Dieu, est fait Dieu dune maničre participée. Mais une réalité nen devient une autre dune maničre participée que par participation de ce qui est tel par son essence. Par exemple, elle ne devient feu dune maničre participée que par participation du feu par essence. Donc, quelque chose ne devient Dieu dune maničre participée que par participation de celui qui est Dieu par essence : donc le Verbe de Dieu, cest-ŕ-dire le Fils lui-męme, par participation de qui quelquun est fait Dieu, est Dieu par essence. Mais le Seigneur voulut argumenter contre les Juifs humainement plutôt que dune maničre aussi profonde. Et il dit : ET LÉCRITURE NE PEUT ĘTRE ABOLIE, pour montrer la vérité irréfutable de lEcriture : A jamais, Seigneur, ta parole demeure 3.
Ŕ
CELUI QUE LE PČRE A SANCTIFIÉ ET A ENVOYÉ DANS LE MONDE VOUS DITES : "TU
BLASPHČMES", PARCE QUE JAI DIT : "JE SUIS LE FILS DE
DIEU"!
1461. Ensuite il conclut. Et si, daprčs Hilaire 4, nous rapportons cela au Christ en tant quil est homme, alors en voici le sens certains hommes sont dits des dieux par la seule participation ŕ la parole de Dieu; comment donc dites-vous : TU BLAS PHČMES, cest-ŕ-dire comment considérez-vous comme un blasphčme que cet homme soit dit Dieu, lui qui est uni dans la personne [in persona] au Verbe de Dieu? Et cest pourquoi il dit : CELUI QUE LE PČRE A SANCTIFIÉ.
Bien que Dieu sanctifie tous ceux qui sont sanctifiés Sanctifie-les dans la vérité 5 , il a cependant sanctifié le Christ dune maničre spéciale. Car il sanctifie les autres pour quils soient fils adoptifs : Vous avez reçu lesprit de fils dadoption 6, mais il a sanctifié le Christ pour quil soit Fils de Dieu par nature, uni dans la personne [in persona] au Verbe de Dieu, ce que ces paroles montrent de deux maničres.
Dabord par le fait quil dise : CELUI QUE LE PČRE A SANCTIFIÉ. Si en effet il sanctifie comme Pčre, il est manifeste quil sanctifie dans le Fils Celui qui a été prédestiné Fils de Dieu dans la puissance de Dieu selon lesprit de sanctification 7.
1. Jn 15, 3.
2. Ex 34, 29.
3. Ps 118, 89.
4. De Trinitate, VII, 23-25, CCL vol. LXII, p. 287-291.
5. Jn 17, 17.
6. Rm 8, 15. En le distinguant de
lesprit de crainte, saint Thomas montre que cet esprit "est lesprit de charité, qui est celui des fils
dadoption, cest-ŕ-dire par lequel nous sommes adoptés comme fils de Dieu
Pour que nous recevions ladoption des fils (Ga 4, 5). Mais lApôtre ne dit pas
cela comme si cétaient deux esprits différents; mais cest le męme esprit qui
en certains produit la crainte servile comme quelque chose dimparfait, et en
dautres produit lamour comme quelque chose de parfait" (Ad Rom. lece.,
VIII, n° 643).
7. Rm 1, 4. Saint Thomas commente trčs longuement ce passage de
lépître aux Romains. Citons seulement ce qui se rapporte plus directement au
verset de saint Jean commenté ici : "Il est msnifeste que ce qui est par
soi est la mesure et la rčgle des choses qui sont dites par un autre et par
participation. Cest pourquoi la prédestination du Christ, qui est prédestiné ŕ
ętre Fils de Dieu par nature [de Dei naturalis], est la mesure et la rčgle de
notre vie, et ainsi de notre prédestination, car nous sommes prédestinés ŕ une
filiation adoptive qui est une certaine participation et une image de la
filiation naturelle Ceux quil a connus davance, il les a aussi prédestinés ŕ
devenir conformes ŕ limage de son Fils. Donc, comme le Christ-homme nest pas
prédestiné ŕ cause de mérites antérieurs, mais ŕ partir de la grâce seule, de
telle sorte quil est Fils de Dieu par nature, de męme nous aussi, nous sommes
prédestinés ŕ partir de la grâce seule et non de nos mérites ŕ ętre fils
adoptifs, selon cette parole : Ne dis pas dans ton cur, quand le Seigneur to,s
Dieu les aura détruits en ta présence : Cest ŕ cause de ma justice que Dieu
ma introduit pour que je possčde cette terre (Dt 9, 4)... " (Ad Rom. lect.,
I, n° 48).
8. Qui praeexistit visibili visioni, littéralement qui préexiste
ŕ la vision visible, sensible.
En second lieu par le fait
quil dise : ET ENVOYÉ DANS LE MONDE. Etre envoyé dans un lieu, en effet, ne
convient ŕ une réalité que si elle a existé avant dętre lŕ. Donc celui que le
Pčre a envoyé dans le monde, cest-ŕ-dire dune maničre visible, est le Fils de
Dieu qui a existé avant dętre vu visiblement 8. Parce que, comme il est dit plus haut :
Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui 1. Et encore : Dieu en effet na pas envoyé
son Fils dans le monde pour juger le monde 2. Ŕ CELUI DONC QUE LE PČRE A ENVOYÉ DANS
LE MONDE, VOUS DITES "TU BLASPHČMES", PARCE QUE JAI DIT : "JE
SUIS LE FILS DE DIEU". Autrement dit, moi, qui suis uni au Verbe de
Dieu dans la personne [in persona], je peux dire cela beaucoup plus que ceux Ŕ
QUI LA PAROLE DE DIEU A ÉTÉ ADRESSÉE.
1462. Mais doů les Juifs ont-ils tenu que le Christ serait le Fils de Dieu? Le Seigneur en effet ne la pas dit expressément.
A cela il faut répondre que,
bien que le Seigneur ne leűt pas dit expressément, cependant, ŕ partir des
paroles quil a dites : MOI ET LE PČRE NOUS SOMMES UN et : LE PČRE QUI ME LES A
DONNÉES EST PLUS GRAND QUE TOUT, ils comprirent quil avait reçu la nature du
Pčre, et quil était un dans la nature avec lui. Or cela, ŕ savoir recevoir de
quelquun la męme nature et lętre, a raison de filiation 3.
1463. Si, en suivant Augustin 4, nous rapportons CELUI QUE LE PČRE A SANCTIFIÉ au Christ en tant quil est Dieu, alors le sens est celui-ci : CELUI QUE LE PČRE A SANCTIFIÉ, cest-ŕ-dire a engendré saint depuis léternité. Mais ce qui suit doit ętre exposé de la męme maničre que ce que Hilaire expose. Cependant, on lexplique mieux si on rapporte tout au Christ en tant quil est homme.
1. Jn 1, 10.
2. Jn 3, 17.
3. Cf. Somme théoL, I, q. 27, a. 2.
4. Saint Thomas indique ici linterprétation générale de saint
Augustin (Tract. in Ioann., XLVIII, 9, BA T3 p. 186-189) dont il sest inspiré
dans les deux paragraphes qui précčdent.
SI JE
NE FAIS PAS LES UVRES DE MON PČRE, NE ME CROYEZ PAS. MAIS SI JE LES FAIS, ET
SI VOUS NE VOULEZ PAS CROIRE EN MOI, CROYEZ DANS LES UVRES, AFIN DE CONNAÎTRE
ET DE CROIRE QUE LE PČRE EST EN MOI ET MOI DANS LE PČRE.
1464. Ici, il prouve la vérité de ce qui a été dit, comme sil avait dit : bien que selon votre opinion je sois homme seulement, cependant je ne blasphčme pas en disant que moi je suis vraiment Dieu, parce que je le suis de la maničre la plus vraie.
Cest pourquoi ŕ ce sujet il fait deux choses. Dabord il met en avant largument des uvres, ensuite il infčre la conclusion quil a en vue [n° 1466].
SI JE
NE FAIS PAS LES UVRES DE MON PČRE, NE ME CROYEZ PAS. MAIS SI JE LES FAIS, ET
SI VOUS NE VOULEZ PAS CROIRE EN MOI, CROYEZ DANS LES UVRES.
1465. Au sujet du premier point, il fait deux choses. Dabord il dit que sans les uvres ils seraient excusables. Et il dit : SI JE NE FAIS PAS LES UVRES DE MON PČRE, cest-ŕ-dire les męmes que lui-męme fait, et par la męme puissance et le męme pouvoir, NE ME CROYEZ PAS Tout ce que le Pčre fait, le Fils le fait pareillement 5.
En second lieu, il dit que cest ŕ partir des uvres elles-męmes quils seront convaincus, en disant : SI JE LES FAIS, cest-ŕ-dire les męmes uvres que le Pčre fait; et SI VOUS NE VOULEZ PAS CROIRE EN MOI, qui apparais comme un fils dhomme, CROYEZ DANS LES UVRES; cest-ŕ-dire les uvres elles-męmes démontrent que moi je suis Fils de Dieu. Plus bas il est dit : Si je n'avais pas fait parmi eux les uvres que nul autre na faites, ils nauraient pas de péché 6.
5. Jn 5, 19.
6. Jn 15, 24.
AFIN
DE CONNAÎTRE ET DE CROIRE QUE LE PČRE EST EN MOI ET MOI DANS LE PČRE.
1466. Ensuite il infčre la conclusion quil a en vue. En effet, il ne peut y avoir aucun indice plus évident de la nature dune réalité que ce quon saisit ŕ partir de ses uvres; dune maničre évidente, on peut donc reconnaître et croire au sujet du Christ quil est Dieu, par cela quil fait les uvres de Dieu. Et cest pourquoi il dit ŕ partir des uvres elles-męmes je [vous] convaincrai afin que vous connaissiez et croyiez ce que vous ne pouvez voir de vos yeux, cest-ŕ-dire QUE LE PČRE EST EN MOI, ET MOI DANS LE PČRE. Plus bas il est dit : Moi je suis dans le Pčre et le Pčre est en moi Et il faut comprendre que cest par lunité de lessence. Et cest en quelque sorte la męme chose [de dire] : Le Pčre est en moi, et moi dans le Pčre, et MOI ET LE PČRE NOUS SOMMES UN.
Hilaire 2 expose bien cela en disant quil y a une différence entre Dieu et lhomme car lhomme, puisquil est composé, nest pas sa nature, mais Dieu, puisquil est absolument simple, est son ętre et sa nature. Donc en quiconque est la nature de Dieu, lŕ est Dieu. Donc, comme le Pčre est Dieu et le Fils est Dieu, partout oů est la nature du Pčre, lŕ est le Pčre, et partout oů est la nature du Fils, lŕ est le Fils. Puisque donc la nature du Pčre est dans le Fils, et inversement, le Pčre est donc dans le Fils et inversement. Mais comme le dit Augustin 3, bien que Dieu soit dans lhomme et lhomme en Dieu Celui qui demeure dans lamour, demeure en Dieu et Dieu en lui 4, il ne faut pas le comprendre par lunité de lessence. Mais lhomme est en Dieu, cest-ŕ-dire sous la protection et le secours divin, et Dieu est dans lhomme par la similitude de sa grâce; tandis que le Fils unique est dans le Pčre, et le Pčre en lui, en tant quégal.
III
ILS
CHERCHAIENT DONC Ŕ LAPPRÉHENDER ET IL SÉCHAPPA DE LEURS MAINS. ET IL SEN
ALLA DE NOUVEAU DE LAUTRE CÔTÉ DU JOURDAIN, DANS UN LIEU OŮ JEAN ÉTAIT DABORD
Ŕ BAPTISER, ET IL DEMEURA LŔ; ET BEAUCOUP VIN RENT Ŕ LUI, ET ILS DISAIENT : "JEAN
CERTES NA FAIT AUCUN SIGNE. MAIS TOUT CE QUE JEAN A DIT DE CELUI-CI ÉTAIT VRAI
" ET BEAUCOUP CRURENT EN LUI
1467. Ici le Seigneur désarme lobstination des Juifs. Dabord il montre leur obstination, ensuite il lesquive [n° 1469], enfin il en montre leffet [n° 1470].
ILS
CHERCHAIENT DONC Ŕ LAPPRÉHENDER.
1468. Il montre leur obstination par le fait quaprčs tant dexemples de vérité, aprčs tant de preuves de miracles et duvres miraculeuses, ils avaient persévéré encore dans la malice. Cest pourquoi ILS CHERCHAIENT DONC Ŕ LAPPRÉHENDER : non pour croire et pour comprendre, mais pour sacharner avec fureur et pour tuer. Car, parce quil avait exprimé dune maničre plus évidente son égalité avec le Pčre, ils sexcitčrent davantage Ils se sont emparés du mensonge et n'ont pas voulu se retourner
1. Jn 14, 10.
2. De Trinitate, VII, 28-29, p. 295-297.
3. Tract, in Ioann., XLVIII, 10, BA
73), p. 190-191.
4. 1 Jn 4, 16.
5. Post tot veritatis documenta.
6. Jr 8, 5.
ET IL
SÉCHAPPA DE LEURS MAINS. ET IL SEN ALLA DE NOUVEAU DE LAUTRE CÔTÉ DU
JOURDAIN, DANS UN LIEU OŮ JEAN ÉTAIT DABORD Ŕ BAPTISER, ET IL DEMEURA LŔ.
1469. Le Seigneur désarme leur fureur en leur échappant; cest pourquoi il dit : ET IL SÉCHAPPA DE LEURS MAINS. Lŕ, on montre en premier lieu comment il les a abandonnés, cest-ŕ-dire en échappant ŕ leurs mains; et cela pour deux raisons.
Dabord pour montrer quon ne pouvait le retenir que quand il le voulait : Jésus, passant au milieu deux, allait son chemin 1. Plus haut, dans le męme chapitre, il est dit : Personne ne m'enlčve ma vie, mais moi je la livre de moi-męme 2. Ensuite pour nous donner lexemple desquiver la fureur des mauvais quand cela peut ętre fait sans danger pour la foi Ne te tiens pas devant le visage de celui qui te cherche querelle 3.
En second lieu on montre oů il sen est allé en leur échappant; cest pourquoi il dit : ET IL SEN ALLA DE NOUVEAU DE LAUTRE CÔTÉ DU JOURDAIN, DANS UN LIEU OŮ JEAN ÉTAIT DABORD Ŕ BAPTISER.
Et certes, la cause mystique de cela est quun jour il devrait aller, par ses Apôtres, convertir les nations.
Mais il y a [ŕ cela] deux causes littérales. Lune est que le lieu était proche de Jérusalem et que, déjŕ, le temps de la Passion était imminent : cest pourquoi il ne voulait pas séloigner. La seconde est celle-ci : cest pour rappeler ŕ la mémoire le témoignage que Jean a porté lŕ, en cet endroit, en disant : Voici lAgneau de Dieu, voici celui qui enlčve le péché du monde 4, et le témoignage du Pčre et du Fils donné au Christ dans le baptęme.
ET
BEAUCOUP VINRENT Ŕ LUI, ET ILS DISAIENT : "JEAN CERTES NA FAIT AUCUN
SIGNE. MAIS TOUT CE QUE JEAN A DIT DE CELUI-CI ÉTAIT VRAI " ET BEAUCOUP
CRURENT EN LUI
1470. Leffet fut la conversion des foules ŕ la foi; et cette conversion est décrite sous trois aspects. Dabord quant ŕ la manifestation de luvre. Cest pourquoi il dit : ET BEAUCOUP VINRENT Ŕ LUI, cest-ŕ-dire par le moyen de limitation des uvres : Venez vers moi, vous tous qui peinez et ployez sous k fardeau, et moi je vous donnerai le repos 5.
En second lieu quant ŕ la confession de la bouche : cest pourquoi ILS DISAIENT : "JEAN, CERTES, NA FAIT AUCUN SIGNE. MAIS TOUT CE QUE JEAN A DIT DE CELUI-CI ÉTAIT VRAI." Lŕ, dabord, ils confessent léminence du Christ par rapport ŕ Jean; cest pourquoi ils disaient que JEAN [ ] NA FAIT AUCUN SIGNE.
Certes, la raison en fut que Jean a été envoyé comme témoin du Christ; cest pourquoi il fallait quil en soit devenu digne par la foi, et il fallait quun témoignage vrai soit donné ce qui se réalise dune maničre convenable par la sainteté de la vie. Tandis que le Christ vint comme Dieu, et cest pourquoi il fallait quil montre en lui-męme les signes de la puissance divine. Ainsi, Jean se signalait par la sainteté de sa vie; mais le Christ, en plus de cela, accomplissait aussi des uvres qui manifestaient la puissance divine. On observait aussi cette coutume chez ceux qui exerçaient le pouvoir dans lAntiquité : en présence dun pouvoir plus élevé, un pouvoir moindre nutilisait pas les insignes de sa puissance. Cest pourquoi en présence du dictateur les consuls déposaient leurs insignes. Donc il ne convint pas que Jean, qui était dune moindre puissance, comme précurseur et témoin, utilisât en présence du Christ les signes de la puissance divine; mais seulement le Christ.
1. Lc 4,30.
2. Jn 10, 18.
3. Si 8, 14.
4. Jn 1, 29.
5. Mt 11, 28.
6. Cf. Rm 10, 10.
Ensuite ils confessent la vérité du témoignage de Jean au sujet du Christ; cest pourquoi ils disaient : TOUT CE QUE JEAN A DIT DE CELUI-CI, cest-ŕ-dire du Christ, ÉTAIT VRAI, comme sils disaient : et si Jean na fait aucun signe, cependant au sujet du Christ il a tout dit dune maničre vraie.
Troisičmement ils confessent la foi du cur : cest pourquoi lÉvangéliste dit : ET BEAUCOUP CRURENT EN LUI Comme Augustin le dit 1, ils ont saisi le Christ alors quil demeurait lŕ, lui que les Juifs voulaient saisir alors quil séloignait, parce quils étaient venus au jour par la lampe Jean en effet était la lampe 2 et il rendait témoignage au Jour 3.
1. Tract, in la., XLVIII, 12, BA 73, p. 195. Cf. XXXV, 6, BA 73 p. 161;
et 8, p. 167.
2. Cf. Jn 5, 35. Voir n° 811-813.
3. Cf. n° 1491, note 12.
1471. Plus haut, le Seigneur a montré sa puissance vivificatrice par la parole [n° 1364], ici il la confirme par un miracle, en ressuscitant quelquun dentre les morts, Lazare. LEvangéliste montre dabord la maladie de Lazare [n° 1472] et son relčvement, [alors quil était] déjŕ mort [n° 1480]; il expose ensuite les effets de la résurrection [n° 1563].
Il commence par montrer la maladie de Lazare, puis lannonce de cette maladie [n° 1475], ensuite il donne la raison de ce dont il vient de parler [n° 1476].
IL Y
AVAIT UN MALADE, LAZARE, DE BÉTHANIE, LE VILLAGE DE MARIE ET DE MARTHE, SES SURS.
MARIE ÉTAIT CELLE QUI OIGNIT LE SEIGNEUR DE PARFUM ET LUI ESSUYA LES PIEDS AVEC
SES CHEVEUX; ET CÉTAIT ELLE DONT LE FRČRE LAZARE ÉTAIT MALADE.
LÉvangéliste décrit la personne malade, puis le lieu oů elle languit, enfin la personne qui lui est intimement unie [n° 1474].
IL Y
AVAIT UN MALADE, LAZARE.
1472. La personne malade, cest Lazare. Il représente ici celui qui a la foi, qui espčre en Dieu, et cependant souffre la maladie du péché, celle dont il est dit : Aie pitié de moi, Seigneur, car je suis malade. En effet, Lazare a le sens de "secouru par le Seigneur", cest pourquoi il signifie celui qui espčre dans le secours divin Mon secours vient du Seigneur
1. Ps 6, 3. En commentant ce verset, saint Thomas dit s Le péché
est une maladie spirituelle; car la maladie corporelle survient par suite de la
corruption de la juste proportion [ex solutione debitae proportionis] des
humeurs. Ainsi, quand les affections de lâme ne sont pas proportionnées, il y
a lŕ une maladie spirituelle. Voilŕ pourquoi le psalmiste dit Je suis malade. Et
la Glose dit s Je suis malade par nature et par le vice, au point que je ne
peux soutenir ta justices (Exp. in Psalmos, 6, n 2).
2. Cf. SAINT JÉRÔME, Liber interpr. hebr. nom., Lc 65, 7 (Lag.),
CCL, vol. LXXII, p. 140.
DE
BÉTHANIE, LE VILLAGE DE MARIE ET DE MARTHE.
1473. Le lieu du malade était Béthanie. Ce Béthanie-lŕ était un bourg proche de Jérusalem, oů le Seigneur avait coutume dętre fréquemment reçu, comme lEvangéliste la souvent dit plus haut. Elle a le sens de "maison de lobéissance". Par lŕ est donné ŕ entendre que si un malade obéit ŕ Dieu, il peut ętre guéri facilement par lui, de męme que le malade obéissant au médecin obtient le bienfait de la Santé plus facilement. Cest pourquoi les serviteurs de Naaman lui dirent Pčre, quand bien męme le prophčte taurait prescrit quelque chose de grand, certainement tu laurais fait 4!
Ce village de Béthanie était celui de Marie et de Marthe, les surs de Lazare elles signifient deux vies, la vie active et la vie contemplative; par lŕ est donné ŕ entendre que, par lobéissance, lhomme est rendu parfait dans la vie active et dans la vie contemplative.
MARIE
ÉTAIT CELLE QUI OIGNIT LE SEIGNEUR DE PARFUM ET LUI ESSUYA LES PIEDS AVEC SES
CHEVEUX; ET CÉTAIT ELLE DONT LE FRČRE LAZARE ÉTAIT MALADE.
1474. La personne qui lui est intimement unie était Marie. Parce quil vient de mentionner Marie et quil y avait plusieurs femmes portant ce nom, pour que nous ne nous trompions pas ŕ cause du nom, il la décrit par une action trčs connue, disant : CELLE QUI OIGNIT LE SEIGNEUR DE PARFUM ET LUI ESSUYA LES PIEDS AVEC SES CHEVEUX.
Au sujet de cette Marie, il existe chez les saints une diversité [d'opinions]. Certains, comme Jérôme 5 et Origčne 6 disent en effet que cette Marie, sur de Lazare, nest pas la męme que celle qui était pécheresse, dont il est dit quelle apporta un vase dalbâtre plein de parfum, et [que] se tenant par derričre ŕ ses pieds, elle commença ŕ arroser ses pieds de larmes, et elle les essuyait avec ses cheveux 7. Cest pourquoi, comme le dit Chrysostome 8, Marie ne fut pas cette femme de mauvaise vie dont parle lévangile de saint Luc. Elle fut en effet droite 9 et ardente dans sa maničre de recevoir le Christ de fait, on tait le nom de cette pécheresse. Et cette Marie a pu avoir fait ŕ légard du Christ, au temps de sa Passion, par dévotion 10 et par une dilection spéciale, la męme uvre que fit pour lui cette pécheresse diligente et contrite 11. Ce fait est ici cité par lEvangéliste par anticipation, ŕ cause du grand nombre [de femmes] du nom de Marie.
Certains autres, comme Augustin 12 et Grégoire 13, disent que cette Marie dont on parle ici est la pécheresse dont parle saint Luc 14. Et Augustin tire argument de cette parole [pour laffirmer]. En effet, l'Evangéliste parle ici avant que Marie ait oint le Seigneur de parfum, car cela eut lieu alors que la Passion était imminente : Marie donc prit une livre dun parfum de nard pur, de grand prix, et oignit les pieds de Jésus 1. Cest pourquoi il affirme que le fait que lEvangéliste mentionne ici ŕ son sujet est rapporté dans le chapitre VII de saint Luc. Quant ŕ Ambroise 2 il soutient lune et lautre opinions. Donc selon lopinion dAugustin, il est manifeste que la pécheresse dont parle Luc est cette Marie.
1. Auxilium chez saint Thomas, le mot auxilium signifie bien le
secours actuel efficace de Dieu, ŕ la différence dune qualité donnée
gratuitement (la grâce sanctifiante). Voir notamment Somme théol., I-II, q. 109.
2. Ps 120, 2.
3. Cf. SAINT AMBROISE, Traité sur lévangile de saint Luc (7,
36), VI,
13, SC 45 bis, p. 232. SAINT JÉRÔME, De interpr. hebr. nom.,
CCL, vol. LXXII, p. 135.
4. 2 R 5, 13.
5. Comm. sur saint Matthieu, L. IV, chap. 26, 7, SC 259, p. 237.
6. Series veteris interpretationis
commentariorum Origenis in Matthaeum, n° 77, PG 13, col. 1 721-1 722.
7. Lc 7, 37-38.
8. In loannem hom., LXII, 1, PG 59, col.
342.
9. Le terme s droite * traduit le latin honesta, littéralement
honnęte, vertueuse; dans son sens profond, lhomme honnęte s est celui qui
atteint parfaitement sa finalité humaine, et qui par lŕ se qualifie dune
maničre ultime. Cest ce quAristote entend quand il parle de lamitié honnęte,
cest-ŕ-dire parfaite, pleinement humaine (cf. Ethique ŕ Nicomaque, VIII, 3-6,
1156 a 6-1157 b 7).
10. Sur la devotio, cf. n° 843, note 5; voir aussi n° 1391, note
6.
11. Nous traduisons ainsi le latin compuncta. Saint Thomas, en
effet, parle trčs peu de la compunctio et semble ne pas la distinguer de la
contritio, ŕ la différence de nombreux Pčres de lEglise (cf. art. s
Componction", Dictionnaire de spiritualité, t. II, col. 1312-1321).
12. De consensu evangelistarum, L. II, chap. 79, PL 34, col. 1154-1155.
13. XL homiliae in Evangelia, 25, PL 76,
col. 1189.
14. Cf. Lc 7, 37-50.
DONT LE FRČRE LAZARE ÉTAIT MALADE : son corps digne de pitié, oppressé par des fičvres brűlantes, portait en lui comme un feu rongeur.
SES SURS
ENVOYČRENT DONC DIRE Ŕ JÉSUS "SEIGNEUR, VOILŔ QUE CELUI QUE TU AIMES
EST MALADE. "
1475. LÉvangéliste montre ici lannonce de la maladie par les surs de Lazare, qui étaient auprčs du malade, affligées du malheur du jeune homme souffrant.
Dans cette annonce, trois choses sont ŕ considérer. Dabord, que les amis de Dieu sont quelquefois affligés dans leur corps 3. Cest pourquoi, que quelquun soit par fois accablé dans son corps nest pas le signe quil nest pas lami de Dieu, ainsi quEliphaz le reprochait faussement ŕ Job Souviens-toi, je te prie qui a jamais péri innocent? Ou quand des hommes droits ont-ils été détruits 4? Et cest pourquoi elles disent : SEIGNEUR, VOILŔ QUE CELUI QUE TU AIMES EST MALADE Le Seigneur corrige celui quil aime, et comme un pčre en son fils il met sa complaisance 5.
Ensuite, elles ne disent pas : "Seigneur viens, guéris-le", mais exposant seulement sa maladie, elles disent : IL EST MALADE 6. Par lŕ est signifié quil suffit ŕ lami dexposer seulement une nécessité, sans ajouter une demande. Car lami, puisquil veut le bien de son ami comme son propre bien, de męme quil est soucieux de repousser son mal propre, lest aussi de repousser le mal de son ami 7. Et cela est vrai au plus haut point de celui qui aime de la maničre la plus vraie Le Seigneur garde ceux quil aime 8.
l. Jn 12, 3.
2. Traité sur lévangile de saint Luc, VI, 14, SC 45 bis, p. 233.
Saint Ambroise laisse la question ouverte, mais semble pencher vers lunité des
deux Marie. Il faut remarquer quil sappuie sur les récits de Mt 26 et de Lc 7
sans faire intervenir celui de Jn 11.
3. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
loannem hom., LXII, 1, PG 59, col. 341 et 343.
4. Jb 4, 7.
5. Pr3, 12.
6. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XLIX, 5, BA 73 p. 210-211.
7. Saint Thomas se sert ici de tout ce quAristote a pu
découvrir, en philosophe, sur lamour damitié. Citons quelques-unes de ses
affirmations Dans la pauvreté et dans les autres malheurs, le seul refuge
auquel on pense, ce sont les amis. [l'amour damitié est nécessaire] aux jeunes
pour les préserver de lerreur; aux vieillards pour leur assurer des soins et
suppléer au manque dactivité dű ŕ la faiblesse; ŕ ceux enfin qui sont dans la
force de lâge pour les inciter aux nobles actions : "Quand deux vont de
compagnie car on est alors plus capable de penser et dagir" (Ethique ŕ Nicomaque,
VIII, 1, 1155 a Il-16). Chacun des deux amis "est ŕ la fois bon absolument
et pour lami; en effet, les hommes bons sont bons dune maničre absolue et
utiles les uns aux autres" (ibid., 4, 1156 b 12-14). Saint Thomas, dans de
nombreux lieux de sa théologie, reprend en les explicitant et en les
approfondissant les affirmations dAristote sur lamour damitié. Citons par
exemple la question oů saint Thomas étudie les effets de lamour : "Dans
lamour damitié, celui qui aime est en celui qui est aimé, en tant quil
considčre les biens ou les maux de lami comme les siens propres, et la volonté
de lami comme la sienne propre, de telle sorte que lui-męme semble pâtir et
ętre affecté des biens ou des maux en son ami. Et ŕ cause de cela, le propre
des amis est de "vouloir les męmes choses et de sattrister et de se
réjouir dans les męmes choses", selon ce que dit le Philosophe. Ainsi, en
tant quil estime bien ce qui est de lami, celui qui aime semble ętre dans
celui qui est aimé, en quelque sorte devenu une męme chose avec celui qui est
aimé.., s (Somme théol., I-II, q. 28, a. 2). " Lamour damitié cherche le
bien de lami. Aussi, quand il est intense, il fait que lhomme est mű contre
ce qui soppose au bien de lami.., " (ibid., a. 3). Dans le Contra
Gentiles, ŕ propos de la personne de lEsprit Saint, saint Thomas dit aussi
: Ce nest pas seulement le propre de lamitié quon révčle ses secrets ŕ lami
ŕ cause de lunité damour; mais cette męme unité demande que cela aussi que
lon a, on le communique ŕ lami. En effet, puisque lhomme tient lami pour un
autre lui-męme, il est nécessaire quil lui vienne en aide, comme ŕ lui-męme,
en lui communiquant ce qui lui appartient en propre. Aussi dit-on que le propre
de lamitié est de vouloir et de faire le bien pour lami, selon cette parole
de la premičre épître de saint Jean Si quelquun a de quoi vivre en ce monde et
voit son frčre dans la nécessité, et lui ferme ses entrailles, comment lamour
de Dieu demeurerait-il en lui? (1 Jn 3, 17)" (Contra Gentiles IV, 21). s
Or cest le propre de lamitié quon se réjouisse dans la personne de lami,
quon trouve sa joie dans ses paroles et ses gestes, et quon trouve en lui la
consolation contre toutes les anxiétés; cest pourquoi, dans les tristesses,
cest plus que tout auprčs des amis que nous trouvons refuge, ŕ cause de la
consolation [que nous trouvons en eux] (ibid., 22).
8. Ps 144, 20.
Enfin ces deux surs, désirant la guérison de leur frčre malade, nallčrent pas personnellement ŕ la rencontre du Christ, comme Jaďre 2 et le centurion et cela ŕ cause de la confiance quelles avaient dans le Christ, ŕ cause de la dilection spéciale et de la familiarité que le Christ leur avait témoignées. Et peut-ętre étaient-elles retenues par laffliction, comme le dit Chrysostome 6 Tel est ami pour partager ta table, et qui ne le restera pas au jour du malheur. Lami, sil demeure ferme, sera pour toi comme un égal, il agira pour ceux de ta maison en toute confiance 7.
2. Cf. Lc 8,41.
3. Cf. Mt 8, 5.
4. La dilectio est laspect qualitatif de lamour celui-ci peut
trčs bien ne pas impliquer dacte particulier, mais peut aussi impliquer un
choix personnel, un amour de préférence. Dans la Somme théo logique, saint
Thomas affirme que la dilectio est s lacte principal de la charité s, qui est
une amitié divine voir II-II, q. 27.
5. Le mot latin famIIaritas na aucunement, chez saint Thomas,
le sens péjoratif que peut avoir de nos jours le mot français. La fami hantas,
chez saint Thomas, cest lintimité que peuvent avoir entre elles des personnes
qui saiment, et qui se respectent en proportion męme de leur amour mutuel. Dans
son commentaire du Pater, oů il montre que la pričre fait de nous des familiers
(des intimes *) de Dieu (In orationem daminicalem expositio, n° 1027), saint
Thomas nous dit que la familiarité de Dieu avec lhomme est signifiée par les
paroles "qui es aux cieux", si nous entendons par "cieux"
les saints eux-męmes, En effet, certains ont dit que Dieu, parce quil est
élevé au-dessus de tout, ne se soucie pas des choses humaines; mais il faut au
contraire penser quil est proche de nous, bien plus, quil est au plus intime
de nous-męmes. Car il est aux cieux cest-ŕ-dire dans les saints, que le psaume
appelle "cieux" Les cieux racontent la gloire de Dieu... (Ps 18, 2)
et Jérémie dit Tu es en nous, Seigneur Qr 14, 9) " (ibid., n°1041).
Saint Thomas note souvent, avec beaucoup de finesse, quune familiarité
excessive nuit au respect et engendre le mépris s Ne te montre trop familier
avec personne, car une trop grande familiarité engendre le mépris et fournit
occasion de se soustraire ŕ létude conseille t-il ŕ frčre Jean (De mode
studendi, n° 8). Mais cette familiarité excessive qui nuit ŕ lamour ne peut
exister quentre les hommes, en raison męme de leur imperfection. Avec Dieu il
en va tout autrement. " Le commerce habituel avec les hommes et une
familiarité excessive diminuent le respect de lamour et engendrent le mépris;
si bien que, généralement, ceux que nous traitons plus familičrement, nous les
respectons moins, et nous avons plus de considération pour ceux avec qui
lintimité nest pas possible. Mais quand il sagit de Dieu, cest le contraire
qui arrive. Plus on entre dans son intimité par lamour et la contemplation,
plus, reconnaissant son excellence, on le respecte avec amour et plus on
sestime petit . Je tavais entendu de mon oreille mais maintenant mon il te
voit cest pourquoi je maccuse moi-męme, et je fais pénitence dans la
poussičre et la cendre (lb 42, 5-6). La raison en est que, la nature de lhomme
étant faible et fragile, quand on fréquente longtemps quelquun on troue en lui
des faiblesses, et la vénération quon a pour lui en est diminuée. Au
contraire, la perfection de Dieu étant sans mesure, plus lhomme progresse dans
la connaissance de Dieu, plus il admire lexcellence de sa perfection et plus
augmente la vénération quil a pour lui * (Commentaire de saint Jean, n° 666).
Il semblerait que ce soient les anges qui aient avec Dieu la plus grande
familiarité. Lange nest-il pas le familier de Dieu, lui qui se tient en sa
présence s et le sert, alors que lhomme, lui, est comme étranger ŕ Dieu et
éloigné de lui par le péché s? (In salutationem angelicam exp., n° 1112). "Il
convient donc que lhomme loue lange comme étant proche et familier du Roi *
(ibid.). Et pourtant, ŕ lAnnonciation, cest lange qui salue la Vierge Marie,
car elle surpasse les anges dans son intimité avec Dieu. Lange reconnaît cela
en disant : Le Seigneur est avec toi, comme sil disait "Je te manifeste
ma vénération parce que tu as avec Dieu une plus grande intimité, une plus
grande connaturalité que moi" (tu fami lianior es Deo quam ego), car le
Seigneur est avec roi" (ibid n° 1119; voir aussi n° 1456, note 3, ŕ propos
de lintimité que Dieu veut avoir avec les hommes, comparativement aux anges). Cette
note dintimité et de connaturalité est soulignée aussi ŕ propos de la relation
de la Vierge Marie avec lEsprit Saint si Marie a voulu se fiancer ŕ Joseph,
cest sous une motion qui se caractérise par sa radi calité et une
connaturalité avec la personne męme de lEsprit-Saint ex familiari instinctu
Spiritus Sancti (Somme théol., III, q. 29, s. 1, ad. 1; voir n° 1577, note 4).
Notons encore que, lorsquil cherche les raisons de la prédilection de Jésus
pour Jean, saint Thomas note, comme troisičme raison, la jeunesse de Jean s En
effet, nous avons davantage de compassion pour les enfants et ceux qui sont
faibles, et nous leur donnons des signes de familiarité Parce quIsrsirl
était un enfant, je las aimé (Os 11, 1) (sur Jn 21, 20, n° 2639). Et, en
commentant Jn 1, 14 et le Verbe est devenu chair, et il a habité parmi nous
, saint Thomas souligne que saint Jean prend, comme preuve de la vénté de ses
paroles, lexpérience quil a eue de vivre avec le Christ dans une grande
intimité Je suis bien placé pour lui rendre témoignage, car jai vécu avec lui
(tum ipso conversatus sum). Ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons
contemplé et que nos mains ont palpé du Verbe de vie... (Jn 1, 1) (n° 178; sur
la conversatio du Christ, voir n° 1584, note 2). Le sommet de cette intimité
divine et sensible ŕ la fois spirituelle et sensible parce que divine
nest-il pas le sacrement de lEucharistie? Ce sacrement, nous dit saint
Thomas, "est le signe du plus grand amour, et ce qui soutient notre
espérance, en raison de lunion si intime [qui se réalise] entre le Christ et
nous [tam familiani conjunctione Chnisti ad nos]" (III, q. 75, s. 1).
6. In loannem hom., LXII, 1, PG 59, col.
342.
7. Si 6, 10-11.
OR EN
ENTENDANT, JÉSUS LEUR DIT : "CETTE MALADIE NE MČNE PAS A LA MORT, MAIS
ELLE EST POUR LA GLOIRE DE DIEU, AFIN QUE PAR ELLE SOIT GLORIFIÉ LE FILS DE
DIEU. " OR JÉSUS AIMAIT MARTHE, ET SA SUR MARIE, ET LAZARE.
1476. Ici, lÉvangéliste expose la raison de la maladie elle-męme. Ensuite, on voit pourquoi [n° 1479], selon Augustin, les surs [de Lazare] nallčrent pas ŕ la rencontre du Christ.
OR EN
ENTENDANT, JÉSUS LEUR DIT : "CETTE MALADIE NE MČNE PAS Ŕ LA MORT, MAIS ELLE
EST POUR LA GLOIRE DE DIEU, AFIN QUE PAR ELLE SOIT GLORIFIÉ LE FILS DE DIEU.
1477. La raison 1 de cette maladie est la glorification du
Fils de Dieu. Il faut savoir que parmi les maladies du corps, certaines mčnent
ŕ la mort, dautres non. Mčnent ŕ la mort celles qui sont envoyées par Dieu de
telle sorte que, par elles, certains encourent la mort; mais ne mčnent pas ŕ la
mort celles qui sont ordonnées ŕ quelque chose dautre. Car tout mal de peine
est infligé par la divine Providence : Y aura t-il un mal dans une cité, que le
Seigneur n'aura pas fait 2? En
revanche, le mal de faute, Dieu nen est pas lauteur mais il le punit. Tout ce
qui vient de Dieu est ordonné. Et cest pourquoi tout mal de peine est ordonné
ŕ quelque chose, soit ŕ la mort, soit ŕ autre chose 3. Or cette maladie na pas été ordonnée ŕ
la mort mais ŕ la gloire de Dieu.
1478. Mais Lazare nest-il pas mort de cette maladie? Il semble que si. Autrement, il ne sentirait pas aprčs quatre jours passés dans le tombeau, et sa résurrection naurait pas été miraculeuse.
Il faut répondre que cette maladie ne fut pas ordonnée ŕ la mort comme ŕ une fin ultime, mais en vue dautre chose, comme on la dit : de sorte que celui qui fut ressuscité, ayant été comme châtié, vive dune maničre juste pour la gloire de Dieu et que le peuple juif, en voyant ce miracle, se convertisse ŕ la foi Il ma durement châtié, le Seigneur, et ŕ la mort il ne ma pas livré 4.
Cest pourquoi il est dit ensuite : MAIS ELLE EST POUR LA GLOIRE DE DIEU, AFIN QUE PAR ELLE SOIT GLORIFIÉ LE FILS DE DIEU. Lŕ, selon Chrysostome 5, POUR et AFIN QUE ne sont pas pris en un sens causal mais consécutif. En effet, il na pas été malade pour que, par cela, Dieu soit glorifié. Mais la maladie est venue dailleurs et ŕ partir delle il sen est suivi que le Fils de Dieu fut glorifié en tant que, en ressuscitant [l'homme] il a utilisé [sa maladie] pour la gloire de Dieu.
Toutefois cela est vrai dune certaine maničre et pas dune autre. On peut en effet considérer deux causes de la maladie de Lazare. Lune est naturelle; et en cela la parole de Chrysostome se vérifie, parce que la maladie de Lazare, selon une cause naturelle, nétait pas ordonnée ŕ la résurrection. Lautre cause peut ętre considérée comme la divine Providence; et alors la parole de Chrysostome na pas la vérité car, pour la divine Providence, une maladie de cette sorte était ordonnée ŕ la gloire de Dieu. Et selon cette [signification], POUR et AFIN QUE sont pris en un sens causal. ELLE EST POUR LA GLOIRE DE DIEU : bien que nétant pas ordonnée ŕ cela par lintention dune cause naturelle, elle était cependant ordonnée par lintention de la sagesse divine ŕ la gloire de Dieu, pour que, le miracle accompli, les hommes puissent croire dans le Christ et éviter la vraie mort. Cest pourquoi lEvangéliste dit : AFIN QUE PAR ELLE SOIT GLORIFIÉ LE FILS DE DIEU.
1. Ratio infirmitatis. Le mot ratio, qui traduit le grec Xŕyoç,
a chez saint Thomas des significations diverses, quon ne peut préciser quen
fonction du contexte. Ici, ratio exprime la causalité finale qui donne
lexplication ultime de linfirmité de Lazare. Mais ratio peut signifier aussi
la détermination fondamentale, premičre : saint Thomas parle ainsi de la ratio
entis, de la ratio boni, de la ratio vert... (cf. De veritate, q. 1, s. 1). Sur
le sens du mot ratio, voir aussi Préface, note 4, p. 18.
2. Am 3, 6.
3. Cf. n°1301, note 9.
4. Ps 117, 18.
5. In loannem hom., LXII, 1, PG 59, col.
343.
Ici, le Seigneur se nomme ouvertement le Fils de Dieu, car lui-męme devait ętre glorifié dans la résurrection de Lazare, et lui-męme est le vrai Dieu Pour que nous soyons dans le véritable, dans son Fils Jésus 1. Ni lui, ni ses parents n'ont péché mais cest afin que soient manifestées en lui les uvres de Dieu 2.
OR
JÉSUS AIMAIT MARTHE, ET SA SUR MARIE, ET LAZARE.
1479. Ici, selon Augustin, lÉvangéliste donne la raison pour laquelle les deux surs nallčrent pas ŕ la rencontre du Christ. Et cette raison, il la prend de la confiance en la dilection spéciale [du Christ pour elles]. Cest pourquoi il dit OR JÉSUS AIMAIT MARTHE, ET SA SUR MARIE, ET LAZARE. Et certes, celui qui était le consolateur des affligés aimait les surs qui étaient affligées et celui qui était le sauveur des malades aimait Lazare malade et mort Il a aimé les peuples : tous les saints sont dans sa main
1480. LÉvangéliste montre ici la résurrection du mort, en exposant dabord le dessein de le ressusciter, puis lordre de la résurrection [n° 1505].
Le Seigneur dabord donne lieu ŕ la mort [n° 1481], puis annonce son intention daller vers le lieu oů Lazare était mort [n° 1482], enfin son intention de le ressusciter [n° 1492].
Le Christ donne lieu ŕ la
mort.
1481. Le Seigneur donne lieu ŕ la mort en sattardant au-delŕ du Jourdain; et cest pourquoi lEvangéliste dit : QUAND DONC IL APPRIT QUE [CELUI-CI] ÉTAIT MALADE, ALORS IL DEMEURA DEUX JOURS DANS LE MĘME LIEU. Par lŕ il signale que le jour męme oů le Christ reçut le message des surs de Lazare, Lazare mourut; car quand le Christ vint lŕ, au lieu oů il mourut, cétait déjŕ le quatričme jour. Or le Christ, aprčs avoir reçu le message, demeura deux jours dans le męme lieu, et le jour suivant se rendit en Judée.
1. 1 Jn 5, 20.
2. Jn 9, 3.
3. Tract. in Ioann., XLIX, 5 et 7, BA 73l p. 208-2 13.
4. Dt 33, 3.
Sil donna lieu ŕ la mort [en tardant] tant de jours, cest pour deux raisons. Dabord certes pour que la mort de Lazare ne fűt pas empęchée par sa présence : car lŕ oů la vie est présente, la mort na pas lieu. Ensuite, pour que le miracle soit rendu plus crédible et que personne ne puisse dire quil la ressuscité alors quil nétait pas encore mort mais plutôt plongé dans la torpeur 2.
Le Christ manifeste son
dessein de se rendre au lieu de la mort de Lazare.
PUIS,
APRČS CELA, IL DIT Ŕ SES DISCIPLES : "ALLONS DE NOUVEAU EN JUDEE. "
LES DISCIPLES LUI DISENT : "RABBI, TOUT RÉCEMMENT LES JUIFS
CHERCHAIENT Ŕ TE LAPIDER, ET DE NOUVEAU, TU TEN VAS LŔ-BAS !" JÉSUS
RÉPOND : "NY A-T-IL PAS DOUZE HEURES DE JOUR? SI QUELQUUN MARCHE
PENDANT LE JOUR IL NE BUTE PAS, PARCE QUIL VOIT LA LUMIČRE DE CE MONDE. MAIS
SI QUELQUUN MARCHE LA NUIT, IL BUTE, PARCE QUE LA LUMIČRE NEST PAS EN LUI "
1482. Le Seigneur manifeste ici le dessein quil a de se rendre au lieu [oů Lazare était mort]; dabord il annonce son dessein; puis, ŕ la suite de cela, est notée la crainte des disciples [n° 1484]; enfin, le Seigneur chasse leur crainte [n° 1485].
PUIS,
APRČS CELA, IL DIT Ŕ SES DISCIPLES : "ALLONS DE NOUVEAU EN JUDÉE. "
1483. Lŕ on se demande pourquoi ici seulement il a annoncé aux Apôtres quil lui fallait se rendre ŕ nouveau en Judée, alors quil ne la pas fait ailleurs.
La raison en est que les Juifs avaient récemment persécuté le Christ en Judée, de sorte quils lavaient presque lapidé. Aussi, ŕ cause de cela, il sétait éloigné de lŕ. Cest pourquoi on doit croire que, le Christ voulant se rendre lŕ-bas une seconde fois, la crainte envahissait le cur des disciples. Et parce que "les javelots que lon voit arriver portent moins et que les maux qui sont prévus sont plus facilement supportés", comme le dit Grégoire, le Seigneur, pour enlever leur crainte, leur révčle quel dessein il a en se déplaçant.
Le fait quil retourne de nouveau en Judée donne ŕ entendre, au sens mystique, que le Seigneur, ŕ la fin du monde, doit revenir de nouveau vers les Juifs pour quils se tournent vers le Christ La cécité a frappé en Israël [au moins en partie,] jusquŕ ce que soit entrée la plénitude des nations 4.
1. Rappelons ici ce quAristote
dit du lieu dans la Physique : "Que
donc le lieu existe, cela semble ętre évident ŕ partir du remplacement. Lŕ oů
maintenant il y a de leau, alors quelle en est partie comme dun vase, â son tour
de lair sy trouve. Et ŕ tel moment, un autre corps occupe le męme lieu"
(Phys., IV, 1, 208 b 1-4). Et notons que saint Thomas utilise la philosophie du
lieu pour, en théologien, contempler le mystčre de lomniprésence de Dieu
créateur. Se demandant si Dieu est partout, il affirme : "Dieu remplit
tout lieu, mais pas comme un corps. En effet, on dit quun corps remplit un
lieu en tant quil ne souffre pas quun autre corps soit avec lui. Mais par le
fait quil est dans un lieu, Dieu nexclut pas que dautres soient lŕ... s
(Somme théol., I, q. 8, a. 2). Voir aussi ibid., a. 3 et 4; Contra Gentiles,
III, 68; I Sent., d. 37, q. 2.
2. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
loannem hom., LXII, PG 59, col. 343.
3. XI homiliae in Evangelia, PL 76,
col. 1259.
4. Rm 11, 25. Saint Thomas
commente : "La cécité est arrivée en
Israël, non pas dune maničre universelle, mais pour une certaine partie du
peuple dIsraël, comme on la montré plus haut Aveugle le cur de ce peuple (Is
6, 10) " (Ad Rom. lect., XI, n° 915). Cf. n 1700 s. (vol. II, ŕ paraître).
LES
DISCIPLES LUI DISENT : "RABBI, TOUT RÉCEMMENT LES JUIFS CHERCHAIENT Ŕ
TE LAPIDER, ET DE NOUVEAU, TU TEN VAS LA-BAS! "
1484. LÉvangéliste montre la
crainte des disciples. Cest comme si ceux-ci disaient : il semble que de
toi-męme tu ailles ŕ la mort. Mais cette crainte est irraisonnable, parce que
les disciples avaient avec eux Dieu comme protecteur, et celui qui est avec lui
ne doit pas craindre Présentons-nous ensemble : qui est mon adversaire 1? Le Seigneur est ma lumičre et mon
salut : qui craindrai-je 2?
1485. Le Seigneur chasse cette crainte en confortant ses disciples. LEvangéliste expose dabord le conditionnement du temps, puis il montre quel temps est propice pour la marche [n° 1488] et quel temps ne lest pas [n° 1489].
JÉSUS
RÉPOND : "NY A-T-IL PAS DOUZE HEURES DE JOUR?"
1486. Pour
lintelligence de ce passage, il faut savoir quil y a trois interprétations.
Lune est de Chrysostome. NY A-T-IL PAS DOUZE HEURES DE JOUR? comme si on
disait vous hésitez ŕ monter en Judée parce que récemment les Juifs ont voulu
me lapider; mais le jour a douze heures et ce qui arrive dans une, narrive pas
dans lautre. Cest pourquoi, bien qualors ils aient voulu me lapider, ŕ une
autre heure ils ne le veulent pas il y a un moment pour tout 4 Pour toute affaire il y a un temps et
un moment favorable 5.
1487. Mais ici se présente une question littérale, parce quon parle soit du jour naturel, soit du jour artificiel 6. Si on parle du jour naturel, alors ce quil dit est faux, puisquil na pas douze mais vingt-quatre heures. Semblablement, si on parle du jour artificiel 6, ce quil dit est faux, parce que cela nest vrai quau moment de léquinoxe, seulement quand les jours sont égaux aux nuits.
Mais on répondra ŕ cela quil faut lentendre du jour artificiel, parce que chaque jour artificiel a douze heures. On divise en effet les heures des jours artificiels de deux maničres : certaines sont égales, dautres sont inégales. On divise celles qui sont égales selon le cercle de léquinoxe, et selon cette [maničre de faire] tous les jours nont pas douze heures, mais les uns plus, les autres moins, sauf seulement ŕ léquinoxe. On distingue les heures inégales selon les ascensions [des constellations] du zodiaque, ŕ cause de son obliquité, parce que le zodiaque ne monte pas dune maničre égale dans toutes ses parties cest ŕ léquinoxe que cest égal. Et chaque jour artificiel possčde douze de ces heures inégales. Parce que, chaque jour, six constellations montent durant le jour, et six durant la nuit; mais celles qui montent en été sont dune ascension plus lente que celles qui montent en hiver. Lascension de chaque constellation fait deux heures 7.
1. Is 50, 8.
2. Ps 26, 1.
3. Nous navons pas, ŕ ce jour, trouvé cette référence.
4. Qo 3, 1.
5. Qo 8, 6.
6. Saint Thomas fait allusion â plusieurs reprises â ces
différentes maničres de diviser le temps, notamment ŕ propos du mystčre de la
création et du mystčre de la résurrection du Christ. Voir Somme théol., I, q. 74, a. 3, ad 6;
III, q. 53, s. 2, ad 3. Sur laspect historique de la
division du temps, voir entre autres F. VIGOUROUX, Dictionnaire de la Bible, t.
III, article Heure, col. 683 686 Ch. DAREMBERG et E. SAGUO, Dictionnaire des
Antiquités grecques et romaines, t. III, article s Horologium s, p. 256 s.
7. Cf. III Sent., d. 21, q. 2., a. 2, ad
5.
8. Rm 13, 13.
SI
QUELQUUN MARCHE PENDANT LE JOUR IL NE BUTE PAS, PARCE QUIL VOIT LA LUMIČRE DE
CE MONDE.
1488. SI QUELQUUN MARCHE PENDANT LE JOUR, cest-ŕ-dire dune maničre droite et sans la conscience daucun mal Marchons dans la droiture comme durant le jour , IL NE BUTE PAS, il ne rencontre rien qui lui nuise. Et cela PARCE QUIL VOIT LA LUMIČRE DE CE MONDE, cest-ŕ-dire que la lumičre de la justice est en lui La lumičre sest levée pour le juste, et pour les curs droits une joie 1. Cest comme si le Seigneur disait : nous pouvons aller en sécurité puisque nous marchons pendant le jour 2.
MAIS
SI QUELQUUN MARCHE LA NUIT, IL BUTE PARCE QUE LA LUMIČRE NEST PAS EN LUI
1489. SI QUELQUUN
MARCHE LA NUIT, celle des iniquités, il rencontrera facilement de nombreux
dangers. De cette nuit, il est dit Ceux qui dorment, dorment la nuit 3. Et un tel homme BUTE, cest-ŕ-dire
trébuche, PARCE QUE LA LUMIČRE, celle de la justice, NEST PAS EN LUI
1490. Un certain Grec, Théophylacte 4, explicite ce passage dune autre maničre ŕ partir de : SI QUELQUUN MARCHE PENDANT LE JOUR, en disant que le jour est la présence du Christ dans le monde, et la nuit le temps qui suit sa Passion. De sorte que le sens est celui-ci : il ne faut pas craindre de la part des Juifs, parce que tant que moi je suis dans le monde, le danger nest pas menaçant pour vous, mais pour moi. Cest pourquoi, quand les Juifs voulurent le prendre, le Seigneur dit aux foules : "Si donc cest moi que vous cherchez, laissez ceux lŕ s'en aller." Afin que s'accomplît la parole quil avait dite : Ceux que tu mas donnés, je n'en ai pas perdu un 5. Mais pendant la nuit, cest-ŕ-dire durant le temps qui suit la Passion, vous devez craindre daller en Judée parce que vous souffrirez la persécution des Juifs Frappe le pasteur, et alors, aprčs que le pasteur aura été frappé, les brebis seront dispersées 6.
1. Ps 96, 11.
2. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, in
loannem hom., LXII, 1, PG 59, col. 343.
3. 1 Th 5, 7.
4. Enarr. in Ev. S. bannis, chap. 11, PG
124, col. 90 C.
5. Jn 18, 8-9.
1491. Augustin 7 explicite ce passage dune autre maničre. Par le jour, on entend le Christ 8 Tant quil fait jour, il me faut uvrer aux uvres de celui qui ma envoyé [ ]. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumičre du monde 9. Donc les douze heures de ce jour sont les douze Apôtres Ne vous ai-je pas choisis, vous les Douze 10? Mais il faut craindre beaucoup ce qui suit Et lun de vous est un démon. Judas donc nétait pas une heure de ce jour, parce quil ne brillait pas. Mais il faut comprendre que quand le Seigneur a parlé [des douze heures] il navait pas en vue Judas mais son successeur Matthias.
Le sens de cette parole : NY A-T-IL PAS DOUZE HEURES DE JOUR? revient donc ŕ dire : vous ętes les heures, moi je suis le jour. Si donc les heures suivent le jour, ainsi vous devez me suivre. Cest pourquoi, si moi je veux aller en Judée, vous ne devez pas me précéder ni changer ma volonté, mais vous devez me suivre. Semblablement il dit ŕ Pierre : Va derričre moi, Satan 11, cest-ŕ-dire : ne me précčde pas, mais suis-moi en imitant ma volonté.
SI QUELQUUN MARCHE PENDANT LE JOUR, autrement dit : vous ne devez pas craindre le danger, parce que vous marchez avec moi qui suis le Jour l2. Cest pourquoi, comme celui qui marche dans le jour ne trébuche pas, cest-ŕ-dire NE BUTE PAS, ainsi vous non plus qui marchez avec moi Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous 1? Et ceci PARCE QUIL VOIT LA LUMIČRE DE CE MONDE, cest-ŕ-dire quil me voit. SIL MARCHE LA NUIT, dans les ténčbres de lignorance et du péché, alors IL BUTE. Et ceci PARCE QUE LA LUMIČRE, cest-ŕ-dire la lumičre spirituelle, NEST PAS EN LUI non certes ŕ cause dun manque de lumičre, mais ŕ cause de la rébellion [de lignorance et du péché] Ceux-ci furent rebelles ŕ la lumičre 2.
6. Za 13, 7.
7. Tract, in Ioann., XUX, 8, BA 7311, p.
214-219.
8. Cf. n° 1303-1306.
9. Jn 9,4 et 5.
10. Jn 6,71.
11. Mt 16, 23.
12. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIV, 5, BA73",
p. 21 Lui-męme est le Jour. Que laveugle lave ses yeux dans le Jour pour voir
le Jour. " Cf. 6, p. 23; 16, p, 39. Voir aussi n° 1470. On pense également
ŕ lhymne de saint Ambroise : "Splendeur de la gloire du Pčre, de la
Lumičre produisant la lumičre, Lumičre de la Lumičre et source de lumičre, Jour
illuminant le jour... "
Le Christ manifeste son
dessein de ressusciter Lazare.
IL DIT CELA, ET ENSUITE IL LEUR DIT : "LAZARE,
NOTRE AMI, DORT; MAIS JE MEN VAIS LE TIRER DU SOMMEIL. " SES
DISCIPLES DIRENT : "SEIGNEUR, SIL DORT, IL SERA SAUVÉ. " JÉSUS
AVAIT PARLÉ DE SA MORT, MAIS EUX PENSČRENT QUIL PARLAIT DU REPOS DU SOMMEIL. "
ALORS JÉSUS LEUR DIT OUVERTEMENT : "LAZARE EST MORT, ET JE ME
RÉJOUIS POUR VOUS DE NAVOIR PAS ÉTÉ LŔ, AFIN QUE VOUS CROYIEZ; MAIS ALLONS
VERS LUI " THOMAS, APPELÉ DIDYME, DIT DONC AUX AUTRES DISCIPLES : "ALLONS,
NOUS AUSSI, POUR MOURIR AVEC LUI "
1492. Plus haut, le Seigneur a annoncé lintention quil avait de se rendre dans le lieu de celui qui était mort; ici, il dévoile son intention de le relever.
Dabord il annonce lintention elle-męme, en quelque sorte dune maničre implicite et obscure. Ensuite, lEvangéliste montre la lenteur dintelligence des disciples [n° 1497]. Puis le Seigneur révčle son intention elle-męme dune maničre plus manifeste [n° 1500].
1. Rm 8, 31. Saint Thomas
commente ainsi ce passage : "Si Dieu est pour nous,
cest-ŕ-dire en nous prédestinant, en nous appelant, en nous justifiant et en
nous magnifiant, qui sera contre nous? cest-ŕ-dire qui pourra lętre dune
maničre efficace Présentons-nous ensemble qui sera mon adversaire? (Is 50, 8)
Délivre-moi, place-moi prés de toi, et que la main de nimporte qui combatte
contre moi! (Joë, 17, 3) (Ad Rom. lect., VIII, n 711). Job, note saint Thomas
en commentant ce verset, ne demande pas ŕ ętre délivré de ladversité et établi
dans une prospérité terrestre; il demande ŕ Dieu "de le conduire aux plus
hauts sommets spirituels, et cest pourquoi il ajoute et place-moi tout prés de
toi. En effet, parce que Dieu est lessence męme de la Bonté, nécessairement
celui qui est placé prčs de Dieu est délivré du mal. Or lhomme est placé prčs
de Dieu dans la mesure oů il sapproche de lui par son esprit, dans la
connaissance et lamour. Cela, certes, ne lui arrive quimparfaitement dans
l'état de pčlerin [in statu viae] oů lhomme souffre bien des assauts, et oů il
nest cependant pas vaincu parce quil est placé prčs de Dieu; mais lhomme est
parfaitement placé prčs de Dieu par son esprit dans létat du bonheur ultime
[in statu ultimae felicitatis], oů il ne peut plus souffrir dassauts. Cest
cela dont on exprime le désir en disant : et que le nom de nimporte qui
combatte contre moi, parce que, si forts que soient les assauts que certains
veuillent mener contre moi, lassaut daucun deux ne maffectera si je suis
parfaitement établi auprčs de toi. Voilŕ donc en quoi Job, au milieu des
amertumes, trouvait consolation dans lespérance dętre placé tout prčs de
Dieu, oů il ne pourrait plus craindre les assauts. " (Exp. super Job,
17, 3, p. 106-107, 1. 51-71).
2. Jb 24, 13.
I
IL
DIT CELA, ET ENSUITE IL LEUR DIT : "LAZARE, NOTRE AMI, DORT; MAIS JE MEN
VAIS LE TIRER DU SOMMEIL. "
1493. IL DIT CELA, ET
ENSUITE IL LEUR DIT, autrement dit : une fois dit ce qui a été exposé plus
haut, il dit ŕ ses disciples : LAZARE, NOTRE AMI, DORT. Cela certes, selon
Chrysostome, semble constituer une seconde raison chassant la crainte des
disciples; car la premičre procédait de linnocence des disciples, parce que
celui qui marche pendant le jour ne bute pas. Celle-ci est prise ŕ partir dune
nécessité imminente; en quelque sorte il est nécessaire de partir.
1494. Cest pourquoi, ŕ ce
sujet, le Seigneur fait trois choses. Dabord il rappelle lamitié ancienne de
celui qui est mort, en disant : LAZARE, NOTRE AMI, ami ŕ cause des nombreux
bienfaits et de la faveur quil nous a montrés. Et cest pourquoi nous ne
devons pas lui manquer dans la nécessité Celui qui ne fait pas cas dun
dommage ŕ cause de lami, est juste
3. In Ioannem hom., LXII, 1, PG 59, col.
343.
1495. Puis il montre limminence de la nécessité il DORT. Cest pourquoi il faut lui venir en aide Cest dans la détresse quon reconnaît vraiment un frčre Il dort, comme le dit Augustin, pour le Seigneur; mais il était mort pour les hommes qui ne pouvaient le relever.
Il faut savoir en effet que le sommeil est pris en de nombreux sens. Parfois pour le sommeil naturel : Samuel dormit jusquau matin 3 et : Tu dormiras tranquille 4; parfois pour le sommeil de la mort Nous ne voulons pas que vous soyez ignorants au sujet de ceux qui sont endormis, de sorte que vous ne soyez pas attristés comme tous les autres qui nont pas lespérance 5; parfois pour la négligence Voici quil ne sommeillera pas, quil ne dormira pas, celui qui garde Israël 6. Mais parfois aussi pour le sommeil de la faute Eveille-toi, toi qui dors, et relčve-toi dentre les morts parfois pour le repos de la contemplation Je dors, et mon cur veille 8; parfois pour le repos de la gloire future En paix tout ŕ la fois je mendors et me repose 9.
On parle de la mort comme dun
sommeil ŕ cause de lespérance de la résurrection 10. Cest pourquoi on a lhabitude
dappeler la mort une dormition, depuis le moment oů le Christ est mort et est
ressuscité Et moi, jai dormi, je me suis endormi, et je me suis relevé parce
que le Seigneur ma soutenu 11.
1. Pr 12, 26.
2. Pr 17, 17.
3. 1 s 3, 15.
4. Jb 11, 18. En fait, il sagit
ici du sommeil de la mort Et enterré, tu dormiras tranquille. Saint Thomas
commente : "Personne ne violera ton
sépulcre, et tu nauras pas non plus ŕ craindre que quelquun attaque, et cest
pourquoi il ajoute : tu te reposeras et il ny aura personne pour
teffrayer" (Exp. super Job, 11, 18, p. 78, 1. 267-270).
5. 1 Th 4, 12.
6. Ps 120, 4.
7. Ep 5, 14.
8. Ct 5, 2.
9. Ps 4, 9.
10. Tracs, in Ioann., XLIX, 9, BA 735, p.
220-221.
1496. Enfin il montre le pouvoir quil a de ressusciter, lorsquil dit : MAIS JE MEN VAIS LE TIRER DU SOMMEIL. En cela il donne ŕ entendre quil le ferait sortir du sépulcre avec autant de facilité que toi, tu réveilles celui qui dort dans son lit 12. Ce nest pas étonnant, car il est lui-męme celui qui relčve les morts et les vivifie 13. Cest pourquoi lui-męme dit Elle vient, lheure oů tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu 14.
II
1497. LÉvangéliste montre ensuite la lenteur dintelligence des disciples.
Il expose dabord le signe de leur lenteur, ŕ savoir quils ne répondirent pas selon lintention du Seigneur; puis leur lenteur est montrée dune façon manifeste [n° 1499].
LES
DISCIPLES DIRENT : "SEIGNEUR, SIL DORT, IL SERA SAUVE. "
1498. Il faut savoir que ce que le Seigneur avait dit du sommeil de la mort, ceux-ci le comprirent du sommeil naturel. Et parce que le sommeil des malades est dordinaire lindice de la guérison 15, les disciples lui dirent SEIGNEUR, SIL DORT, IL SERA SAUVÉ, comme sils disaient : ceci est manifestement un signe de guérison. De telle sorte quensuite, ils concluraient Seigneur, sil dort, il ne semble donc pas utile que toi, tu ailles le réveiller.
11. Ps 3, 6.
12. Cf. SAINT AUGIJSTIN, Tract, in Ioann.,
XLIX, 9, BA 735, p. 220-221.
13. Cf. Jn 5, 21.
14. Jn 5, 28.
15. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XLIX, 11, BA 7311, p. 224-225.
JÉSUS
AVAIT PARLÉ DE SA MORT, MAIS EUX PENSČRENT QUIL PARLAIT DU REPOS DU SOMMEIL.
1499. Il montre ici la lenteur elle-męme. Jusqualors en effet, ils étaient sans intelligence L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de lEsprit de Dieu 1. Cest pourquoi aussi le Seigneur leur dit : Et vous aussi, ętes-vous encore sans intelligence 2? Il est dit du sage : Il sera attentif ŕ la parabole et ŕ son interprétation, aux paroles des sages et ŕ leurs énigmes 3.
III
ALORS
JÉSUS LEUR DIT OUVERTEMENT : "LAZARE EST MORT, ET JE ME RÉJOUIS POUR
VOUS DE NAVOIR PAS ÉTÉ LŔ, AFIN QUE VOUS CROYIEZ MAIS ALLONS VERS LUI "
1500. Le Seigneur
manifeste ensuite explicitement son intention de le relever. Dabord il leur
annonce la mort de Lazare, ce qui relčve de sa science. Ensuite, il laisse
entendre laffection 4 quil
éprouve au sujet de sa mort, ce qui relčve de sa providence [n° 1502]. Puis il leur fait comprendre son
dessein daller auprčs du mort, ce qui relčve de sa clémence [n° 1503].
1501. Il annonce la mort
en disant clairement : LAZARE EST MORT, il a subi la loi commune de la mort
quaucun homme ne peut esquiver Quel est lhomme qui vivra et ne verra pas la
mort 5?
1502. Il montre son affection au sujet de sa mort, en disant : JE ME RÉJOUIS Ŕ CAUSE DE VOUS DE NAVOIR PAS ÉTÉ LŔ, AFIN QUE VOUS CROYIEZ, ce qui peut ętre expliqué de deux maničres.
Dune premičre maničre, ainsi : nous, nous avons appris la maladie de Lazare; mais moi, alors que je suis absent, jannonce sa mort, ET JE ME RÉJOUIS Ŕ CAUSE DE VOUS, cest-ŕ-dire pour votre intéręt, pour quŕ partir de lŕ vous tiriez lexpérience de ma divinité, parce que, dans labsence [de la réalité], je vois Tout est nu et découvert ŕ ses yeux 6. Ce nest pas étonnant, parce quil est lui-męme présent ŕ toutes choses 7 Est-ce que le ciel et la terre, je ne les remplis pas 8? AFIN QUE VOUS CROYIEZ : non afin quils commencent ŕ croire ŕ nouveau, mais pour quils croient davantage et dune maničre plus, vigoureuse 9 Je crois Seigneur, viens en aide ŕ mon incrédulité 10.
Dune autre maničre, ainsi :
JE ME RÉJOUIS quil soit mort et ceci, Ŕ CAUSE DE VOUS, pour votre intéręt,
AFIN QUE VOUS CROYIEZ. Car si javais été lŕ, il ne serait pas mort. Mais parce
quil est mort, le miracle apparaîtra plus grand lorsque je ressusciterai un
mort déjŕ livré ŕ la corruption; et ŕ cause de cela, vous serez davantage
fortifiés dans la foi 11. En
effet, cest plus grand de relever un mort que de préserver un vivant de la
mort. Par lŕ est donné ŕ entendre que parfois les maux sont source de joie, en
tant quils sont ordonnés au bien Pour ceux qui aiment Dieu, toutes choses
coopčrent au bien.
1. 1 Corinthiens 2, 14. " Lhomme naturel" : animalis
homo. Cf. n° 138, note 6.
2. Mt 15, 16.
3. Pr 1, 6.
4. Affectus, que nous retrouvons plusieurs fois dans le
commentaire du chap. II, exprime ici la vulnérabilité affective ŕ légard de
quelquun.
5. Ps 88, 49.
6. He 4, 13. "Aucune créature nest invisible ŕ son regard.
" [Et lApôtre] montre que ce qui est invisible selon la nature nest pas
caché ŕ Dieu. Que quelque chose ne soit pas vu par nous, cela vient de ce que
cest trop simple et trop subtil pour notre il, celui du corps ou celui de
lintelligence; ainsi en est-il des substances séparées que nous ne pouvons pas
voir en cette vie. Mais rien nest trop simple et trop subtil pour
lintelligence divine; donc, aucune créature nest invisible ŕ son regard. (Ad
Haebr. lect., IV, n° 228).
7. Il sagit ici de la présence dimmensité, car saint Thomas
fait allusion ŕ la toute-puissance créatrice de Dieu. Saint Thomas parle ici du
Verbe en tant quil est un avec le Pčre et lEsprit Saint, dans sa
toute-puissance créatrice, tout en étant cependant présent dune maničre
personnelle (cf. Somme théol., I, q. 8, a. 3; q. 45, a. 6 et s. 7). Cette
présence dimmensité se distingue de la présence dite s objectives, dont saint
Thomas parle par rapport ŕ la grâce (cf. ibid., q. 43, s. 3).
8. Jr 23, 24.
9. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in 10.,
XLIX, 11, BA 73*, p. 224-227.
10. Mc 9, 23.
11. Cf. THÉOPHYLACT8, Enarr. in ev. S. Ioannis, chap. 11, PG 124, col. 91 D.
1503. Puis il leur fait comprendre son dessein de partir en disant : MAIS ALLONS VERS LUI En cela, il montre la clémence de Dieu en tant quil attire, en les devançant miséricordieusement, les hommes qui se trouvent dans le péché et qui sont comme morts, nétant pas capables par eux-męmes daller vers lui, selon cette parole. Dun amour éternel je tai aimé, cest pourquoi je tai attiré, en ayant pitié de toi 2.
THOMAS,
APPELÉ DIDYME, DIT DONC AUX AUTRES DISCIPLES : "ALLONS, NOUS AUSSI,
POUR MOURIR AVEC LUI "
1504. Ici est notée laffection des disciples, qui peut ętre expliquée de deux maničres, soit comme celle de celui qui doute, soit comme celle de celui qui aime. Elle est expliquée par Chrysostome de la premičre maničre. Car, comme on la dit plus haut, tous les disciples craignaient les Juifs, et plus que les autres, Thomas. Car avant la Passion, il était plus faible que les autres et plus infidčle, lui qui cependant, plus tard, a été rendu plus fort et irréprochable, qui seul a parcouru toute la terre. Cest pourquoi, ŕ cause de ce doute, il dit aux autres disciples : ALLONS, NOUS AUSSI, POUR MOURIR AVEC LUI, comme sil disait lui il ne craint pas la mort, il veut y aller tout entier, voulant se livrer ŕ la mort, et nous avec lui.
Augustin explique [cette parole] de la seconde maničre. En effet, Thomas et les autres disciples aimaient tellement le Christ quils voulaient, soit vivre avec lui présent, soit mourir avec lui, pour ne pas rester abandonnés et donc inconsolés aprčs sa mort. Cest pourquoi, ŕ cause de cet amour, Thomas dit aux autres disciples : ALLONS, NOUS AUSSI, POUR MOURIR AVEC LUI; autrement dit il veut sen aller, le danger de la mort le menace. Et nous, resterons-nous afin de vivre? Loin de lŕ! Allons plutôt, POUR MOURIR AVEC LUI Si nous souffrons avec lui, avec lui nous régnerons 4. Si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts 5.
1505. Aprčs avoir annoncé le relčvement de celui qui est mort [n° 1480], lEvangéliste décrit ici lordre de la résurrection. Il commence par montrer ce qui se rapporte aux autres : dabord la condition de celui qui est mort [n° 1506]; ensuite la consolation des foules ŕ légard des deux surs [n° 1508]; enfin la dévotion de ces derničres [n° 1509].
Puis il met en avant ce qui convient ŕ laffection du Christ [n° 1531], et en dernier lieu il présente laccomplissement du relčvement [n° 1540].
1. Rm 8, 28 (cf. Ad Rom. lect., VIII, n
695 s.
2. Jr 31,3.
3. In loannem hom., LXII, 2, PG 59, col.
344.
4. 2 Tm 2, 12.
5. 2 Co 5, 14.
La condition de celui qui
est mort, la consolation des deux surs et leur dévotion.
I
JÉSUS
VINT DONC ET TROUVA LAZARE DANS LE TOMBEAU DEPUIS QUATRE JOURS DÉJŔ.
1506. La condition de
celui qui est mort est décrite quant au moment de la mort; elle datait de
quatre jours JÉSUS VINT ET LE TROUVA MORT DEPUIS QUATRE JOURS DÉJŔ; et quant au
lieu : DANS LE TOMBEAU. A partir de cela il apparaît, selon le sens littéral,
comme on la dit plus haut, quil mourut le jour oů la maladie fut annoncée [au
Seigneur].
1507. Selon Augustin 1, par ces quatre jours on signifie quatre morts différentes 2. Le premier jour est celui du péché originel que lhomme tire de la lignée de la mort 3 Par un seul homme, le péché est entré dans le monde 4. Les trois autres jours se rapportent ŕ la mort du péché actuel. Car tout péché mortel est appelé mort, selon cette parole du psaume : La mort des pécheurs est trčs mauvaise 5. Et ces trois jours se divisent selon la transgression de trois lois. Dabord celle de la loi naturelle que les hommes ont transgressée; et cest le second jour de la mort Ils ont transgressé la Loi et le pacte éternel 6, cest-ŕ-dire la loi naturelle. Ensuite celle de la Loi écrite, que les hommes ont aussi transgressée; et ainsi cest le troisičme jour Moďse ne vous a-t-il pas donné la Loi? Et aucun dentre vous naccomplit la Loi 7. Enfin celle de la loi de lEvangile et de la grâce, que les hommes ont transgressée. Et cest le quatričme jour, plus grave que tous les autres Celui qui rejette la Loi de Moďse est mis ŕ mort sans aucune pitié, sur la parole de deux ou trois témoins. Dun châtiment combien plus grave pensez-vous que sera jugé digne celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, tenu pour profane le sang de lalliance par lequel il a été sanctifié, et aura outragé lEsprit de la grâce 8?
1. Tract, in Ioann., XLIX, 12, BA 735, p. 226-231.
2. A la suite de saint Augustin, de nombreux Pčres de lEglise
ont commenté le symbolisme des quatre jours dans le tombeau. Citons SAINT
BERNARD : "Mais quen est-il de cette phrase : Seigneur, il sent déjŕ, car
cest le quatričme jour Un 11, 39)? Peut-ętre ne comprendra-t-on pas
immédiatement le sens de cette mauvaise odeur et de ces quatre jours. Pour ma
part, jinterprčte le premier jour comme celui de la crainte le jour oů, ŕ la
vue du péché qui jette tous ses feux dans notre cur, nous mourons (cf. Rm 6,
2) et sommes en quelque sorte ensevelis dans notre conscience. Le deuxičme jour
consiste, si je ne me trompe, dans leffort du combat. Car il est fréquent que,
dans les débuts de la conversion, la tentation de lhabitude dépravée resurgisse
plus violemment et quil soit ŕ peine possible déteindre les traits enflammés
du diable (Ep 6, 16). Le troisičme jour semble bien ętre celui de la douleur,
quand on repasse ses années dans lamertume de son âme (Is 38, 15) on est alors
plus enclin ŕ regretter amčrement les péchés du passé quŕ éviter soigneusement
de les commettre dans lavenir. Tu tétonnes que Jinterprčte cela comme des
jours? Pourtant tels doivent bien se présenter les jours de la sépulture jours
de brouillard et de ténčbres (So 1, 15), jours de deuil et damertume. Vient
alors le jour de la honte, qui nest pas différent des trois précédents lâme,
dans son état pitoyable, est couverte désormais dune horrible confusion; elle
considčre en effet avec précision la gravité et la quantité du mal quelle a
commis, et elle fait défiler sous les yeux de son cur les sombres images de
ses péchés. Un esprit de ce genre ne se dissimule rien, il se juge
rigoureusement et accentue męme la gravité de tout ce quil a fait. En juge
sévčre pour lui-męme, il ne sépargne pas. Utile est cette rigueur poussée ŕ
bout, digne de miséricorde est cette dureté : elle se concilie facilement la
grâce de Dieu, puisque, dans sa réflexion, lesprit prend le parti de Dieu
contre lui-męme. " (Sermons pour lannée, Brepols & Taizé, p. 664-665,
Sermon sur lAssomption, IV, 3).
3. Quem homo trahit de mortis propagine. Saint Thomas reprend
cette expression ŕ saint Augustin (cf. Tract, in Ioann., XLIX,
12, BA 735, p. 229). Dans la Somme théologique, saint Thomas rappelle comment
saint Augustin a combattu lhérésie de Pélage et résume les diverses tentatives
qui ont été faites pour expliciter le mystčre du péché originel. Mais ces
recherches restant insuffisantes, il montre la nécessité de préciser
théologiquement ce que la foi nous enseigne s Il faut savancer par un autre
chemin, en disant que tous les hommes qui naissent ŕ partir dAdam peuvent ętre
considérés comme un seul homme, en tant quils sont unis dans la nature quils
reçoivent des premiers parents. Ainsi donc, les nombreux hommes provenant
dAdam sont comme les nombreux membres dun seul corps " (Somme théol.,
I-II, q. 81, s. I). Adam s été établi par Dieu comme s chefs (princeps) de
toute la race humaine. Si donc Adam, comme tęte, désobéit par orgueil, il perd
la plénitude de grâce, mais il demeure responsable de toute lhumanité, selon
la chair et le sang. Le Christ est s Nouvel Adam s comme source capitale de la
grâce sanctifiante pour tous les sauvés, en laissant ŕ Adam sa responsabilité
naturelle la grâce ne détruit pas la nature, elle ne détruit pas lordre de
sagesse voulu par Dieu créateur. Notons encore que le regard de saint Thomas,
qui considčre tous les hommes comme "un seul homme", est celui du
théologien qui, ŕ partir de la foi, considčre toutes choses avec le regard de
la sagesse de Dieu. Une telle affirmation ne peut se comprendre au niveau
philosophique.
4. Rm 5, 12. Voir le commentaire de saint Thomas sur ce passage
(Ad Rom. lect., V, n 406 s.).
5. Ps 33, 22. Cf. n 1169, note 8.
6. Ii 24, 5. Saint Thomas ne cite pas ici en entier le verset 5,
qui est le suivant Ils ont transgressé les lois, ils ont changé le droit, ils
ont détruit lalliance éternelle.
7. Jn 7, 19.
8. He 10, 29.
Mais, dune autre maničre 2, le premier jour est le péché du cur Enlevez le mal de vos pensées 3. Le second jour est le péché de la bouche 4 Quaucune parole mauvaise ne sorte de votre bouche". Le troisičme jour est le péché des uvres, dont il est dit : Cessez dagir dune maničre perverse 5. Le quatričme jour est le péché des habitudes mauvaises au sujet duquel il est dit : Ainsi vous aussi, vous auriez pu faire le bien, alors que vous avez appris le mal 6.
Cependant, de quelque maničre que lon interprčte, le Seigneur guérit parfois ceux qui sont morts depuis quatre jours, cest-ŕ-dire ceux qui ont transgressé la loi de lÉvangile et sont retenus dans lhabitude du péché.
2. Peut-ętre Alcuin.
3. Is 1, 16. Saint Thomas commente ainsi le verset 16 du
chapitre 1 dIsaďe : On fuit le mal de deux maničres. Par lexpiation du passé,
et ŕ ce propos il dit Lavez-vous Lave ton cur de la méchanceté, Jérusalem,
afin dętre sauvée; jusques ŕ quand demeureront en toi des pensées nuisibles?
(Jr 4, 14). En second lieu, parla vigilance ŕ légard du futur, et cela de trois
façons. [En veillant] ŕ ne pas concevoir dans son cur de mauvaises pensées,
Soyez purs Celui qui aime la pureté du cur, ŕ cause de la grâce de ses
lčvres, aura le roi pour ami (Pr 22, 11). A ne pas réaliser ces pensées dans
une uvre, Chassez le mal, ŕ savoir luvre Malheur ŕ vous qui nourrissez des
pensées vaines et faites le mal sur votre couche : dčs que paraît la lumičre du
matin, ils lexécutent (Mi 2, 1). A ne pas achever luvre commencée; Cessez
dagir dune maničre perverse Préserve ton pied de la nudité et ta gorge de
la soif (Jr 2, 25). " (Exp. super Isaďam, 1, 16, p. 16, I 617-631).
4. Ep 4, 29. Saint Thomas commente
: "La parole qui sort de la bouche
fait voir et annonce les choses qui sont dans lâme, parce que les paroles sont
ce qui est connu des passions qui sont dans lâme. La parole bonne est celle
qui indique une bonne disposition intérieure, et la mauvaise est [celle qui en
indique] une mauvaise. Or lhomme est ordonné intérieurement de trois maničres
par rapport ŕ lui-męme, de telle sorte que toutes choses soient soumises ŕ sa
raison; par rapport ŕ Dieu, de telle sorte que la raison lui soit soumise; et
par rapport au prochain, quand il laime comme lui-męme. Il y a donc parfois
une mauvaise parole, quand elle manifeste un homme qui nest pas ordonné en
lui-męme; et cest la parole fausse de celui qui dit une chose et a en vue une
autre elle est semblable ŕ une parole inutile et vaine. De męme, il y s une
parole mauvaise qui manifeste un homme qui nest pas ordonné vers Dieu comme
les parjures, les blasphčmes et autres choses du męme genre. Enfin, il y a
aussi une parole mauvaise quand elle va contre le prochain comme les injures,
les paroles fourbes et fallacieuses" (Ad Eph. lect., IV, n° 259).
5. Is 1, 16.
6. Jr 13, 23.
II
OR
BÉTHANIE ÉTAIT PROCHE DE JÉRUSALEM, Ŕ ENVIRON QUINZE STADES. BEAUCOUP DE JUIFS
ÉTAIENT VENUS VERS MARTHE ET MARIE POUR LES CONSOLER AU SUJET DE LEUR FRČRE.
1508. On décrit ensuite la condition de ceux qui viennent visiter [les deux surs], quant ŕ lopportunité de la visite, et quant ŕ leur nombre.
Quant ŕ lopportunité, certes, parce que le lieu du mort était proche deJérusalem; cest pourquoi 1Evangéliste dit : BÉTHANIE ÉTAIT PROCHE DE JÉRUSALEM, Ŕ ENVIRON QUINZE STADES, ce qui faisait presque deux milles; car un mille a huit stades. Et ainsi, pour de nombreux Juifs de Jérusalem, venir en ce lieu était manifestement facile.
Au sens mystique, par Béthanie qui a le sens de "maison de lobéissance 7", et par Jérusalem qui a le sens de "vision de paix", il est donné ŕ entendre que ceux qui sont dans létat 8 dobéissance sont proches de la paix de la vie éternelle Mes brebis écoutent ma voix et moi, je leur donne la vie éternelle 9. Et on dit "quinze stades", parce que celui qui veut, de Béthanie, cest-ŕ-dire de létat dobéissance, aller dans la Jérusalem céleste, doit franchir quinze stades. Dabord sept, qui se rapportent ŕ lobservance de lancienne Loi, car le nombre sept se rapporte ŕ lancienne Loi qui sanctifie le septičme jour. Ensuite huit, pour laccomplissement du Nouveau Testament auquel se rapporte le nombre huit, ŕ cause de loctave de la Résurrection.
7. Cf. n° 1473, note 3.
8. Le status désigne pour saint Thomas une maničre dętre
spéciale pour lhomme, qui se trsduit dans la maničre dagir. "Létat
dobéissance" appartient aux religieux; en effet, "il appartient aux
religieux dętre dans létat de perfection. Or, pour létat de perfection,
lobligation de ce qui appartient ŕ la perfection est requise, ce qui se
réalise envers Dieu par un vu. Or il est manifeste que la pauvreté, la
continence et lobéissance sont requises pour la perfection de la vie
chrétienne. Et cest pourquoi létat religieux requiert quon y soit obligé par
vu... " (Somme théol., q. 186, s. 6); voir q. 184, s. 5; q. 186, s. 1; s.
3-5.
9. Jn 10, 27-28.
La condition de ceux qui viennent visiter les deux surs est décrite quant au nombre, parce quils sont nombreux. Cest pourquoi lEvangéliste dit BEAUCOUP DE JUIFS ÉTAIENT VENUS VERS MARTHE ET MARIE, POUR LES CONSOLER. Cétait certes de la piété Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent. Ne manque pas de consoler ceux qui pleurent
III
1509. Puis lÉvangéliste décrit les [deux] surs, dabord Marthe, puis Marie [n° 1521].
Il décrit Marthe sous trois aspects. Dabord en tant quelle est accourue au-devant du Christ, puis quant ŕ lamour de dévotion quelle a témoigné au Christ [n° 1511], enfin quant au progrčs dinstruction auquel le Christ léleva [n° 1512].
DONC
MARTHE, QUAND ELLE ENTEND QUE JÉSUS VIENT, COURT AU-DEVANT DE LUI, TANDIS QUE
MARIE RESTAIT ASSISE Ŕ LA MAISON.
1510. La venue de Marthe au-devant du Christ est décrite comme rapide, parce que MARTHE, QUAND ELLE ENTEND QUE JÉSUS VIENT, COURT AU-DEVANT DE LUI, aussitôt, sans aucun retard. Il VIENT est au temps présent : peut-ętre que le Christ étant proche du village, quelquun lavait précédé et annonça la venue du Christ ŕ Marthe qui, dčs quelle lentendit, accourut aussitôt.
La raison pour laquelle Marthe entendit cela en premier, et accourut seule, est quelle était inquičte; aussi le Seigneur lui dit "Marthe, Marthe, tu t'inquičtes et tu es troublée pour bien des choses" 5. Cest pourquoi, occupée ŕ larrangement des affaires domestiques, elle courait de différents côtés ŕ travers la maison, et accourut plus facilement au-devant du messager. MARIE ÉTAIT ASSISE Ŕ LA MAISON avec ceux qui étaient venus de Jérusalem : et cest pourquoi elle ne put ętre prévenue aussi vite que Marthe.
La raison pour laquelle Marthe na pas prévenu aussitôt Marie est donnée par Chrysostome 6 Marie en effet était assise avec les Juifs et Marthe savait que les Juifs poursuivaient le Christ et avaient déjŕ comploté sa mort. Cest pourquoi elle craignait que si elle lui disait la nouvelle et si Marie allait ŕ la rencontre du Christ, ils aillent avec elle. A cause de cela, elle ne voulut donc pas la lui dire.
Mais si les Juifs avaient tramé un complot contre le Christ, comment visitaient-ils Lazare et ses surs qui étaient des familiers du Christ, et presque comme des disciples? Chrysostome 7 répond quils faisaient cela ŕ cause de la nécessité du malheur et ŕ cause de la noblesse de ces femmes quils consolaient, ayant écarté le commandement de leurs chefs. Ou bien parce que ceux qui étaient présents nétaient pas mauvais, mais se comportaient bien ŕ légard du Christ : beaucoup en effet, parmi le peuple, croyaient.
1. Ce passage reprend, en ajoutant linterprétation allégorique du
chiffre 15, une remarque que lon retrouvera dans la Glose ordinaire rapportée
par lédition de Douai (1617, col. 1191, a), mais qui napparaît pas parmi les
sources habituelles de saint Thomas, pas męme dans la Glose ordinaire de
Walafrid Strabon éditée dans la Patrologie de Migne.
2. Sur la piété, cf. n° 1067, note 2.
3. Rm 12, 15.
4. Si 7, 38.
5. Lc 10,41.
6. In loannem hom., LXIII, 1, PG 59, col.
349.
7. Ibid., LXII, 2, col. 345.
Au sens mystique sont signifiées ici la vie active représentée par Marthe, qui accourut au-devant du Christ pour montrer par [l'usage de] ses membres le bienfait de lobéissance 1 et la vie contemplative, représentée par Marie, qui est assise ŕ la maison, vaquant au repos de la contemplation et ŕ la pureté de conscience 2 Entrant dans ma maison, je me reposerai avec elle 3.
MARTHE
DIT DONC Ŕ JÉSUS : "SEIGNEUR, SI TU AVAIS ÉTÉ LŔ, MON FRČRE NE SERAIT
PAS MORT. ET MAINTENANT, JE SAIS QUE TOUT CE QUE TU DEMANDERAS Ŕ DIEU, DIEU TE
LE DONNERA. "
1511. LÉvangéliste montre que lamour de dévotion 4, en Marthe, devance tout. Avec dévotion elle expose ici deux choses au Christ lune qui regarde le passé, lautre qui regarde le futur.
Ce quelle dit : SEIGNEUR, SI TU AVAIS ÉTÉ LŔ, MON FRČRE NE SERAIT PAS MORT, regarde le passé. Elle croyait en effet que, le Christ étant présent, la mort naurait pas lieu, puisquelle avait vu une femme guérie au seul toucher de la frange [du manteau] de Jésus 5. Et certes elle sémouvait ŕ bon droit, car la vie soppose ŕ la mort. Or le Christ est la vie et larbre de la vie Elle est un arbre de vie pour tous ceux qui la saisissent 6. Si donc larbre de la vie pouvait préserver de la mort, combien plus le Christ. Néanmoins elle avait une foi imparfaite, estimant que le Christ pouvait moins absent que présent. Cest pourquoi elle disait : SEIGNEUR, SI TU AVAIS ÉTÉ LŔ, MON FRČRE NE SERAIT PAS MORT. Et certes, on peut dire cela dune puissance limitée et créée; mais de la puissance infinie et incréée qui est Dieu, il ne faut pas le dire, parce quelle se rapporte également aux réalités présentes et aux absentes; ou mieux, toutes choses lui sont présentes Penses-tu que je sois Dieu de prčs, dit le Seigneur, et non Dieu de loin 7?
1. Présentez vos membres comme esclaves ŕ la justice pour la
sainteté. (Rm 6, 19); cf. ibid., verset 12-14; 12, 1-8; 1 Corinthiens 6, 15-17;
1 Corinthiens 12.
2. Citons ici ce beau texte de saint Bruno s Ce que la solitude
et le silence du désert apportent dutilité et de divine jouissance ŕ ceux qui
les aiment, ceux-lŕ seuls le savent qui en ont fait lexpérience. Ici, en
effet, les hommes forts peuvent se recueillir autant quils le désirent,
demeurer en eux-męmes, cultiver assidűment les germes des vertus, et se nourrir
avec bonheur des fruits du paradis. Ici, on sefforce dacquérir cet il dont
le clair regard blesse lépoux dun amour pur et limpide qui voit Dieu. Ici, on
sadonne ŕ un loisir bien rempli et lon simmobilise dans une action
tranquille. Ici, Dieu donne ŕ ses athlčtes, pour le labeur du combat, la
récompense désirée : une paix que le monde ignore et la joie dans
lEsprit-Saint s (SAINT BRUNO, "Lettre ŕ Raoul Le Verd", 6; dans
Lettres des premiers chartreux, I, SC 88, p. 71). Citons aussi saint Bernard,
qui commente ainsi le texte de saint Luc sur Marthe et Marie : "Que Marie
examine, elle, ce quelle fait de son temps libre et quelle reconnaisse
combien le Seigneur est bon (Ps 33, 9). Ous, dis-je, quelle examine avec quel
empressement et quelle tranquillité desprit elle se tient assise aux pieds de
Jésus, les yeux toujours fixés sur lui et loreille toujours tendue aux paroles
de sa bouche, car sa vue est un plaisir et ses discours nous ravissent (Ct 4,
3). La grâce est répandue sur ses lčvres et sa beauté dépasse celle des fils
des hommes (Ps 44, 3); elle dépasse męme toute la gloire des anges... Heureuse
es-tu surtout de percevoir dans le silence le secret du murmure divin (Jb 4,
12) ce silence dans lequel il est bon pour lhomme dattendre le Seigneur (Lm
3, 26) s (Sermons sur lAssomption, III, § 7). Sur la division entre la vie
active et la vie contemplative signifiées par Marthe et Marie, voir SAINT
THOMAS, Somme théol., II-II, q. 179-182. Sur la pureté de la conscience
évoquée ici, relevons deux passages de saint Bernard : s A défaut de pouvoir
fixer le regard de ta méditation sur les liens éternels, dont la hauteur
dépasse toute intelligence, tourne tes yeux vers les liens de la grâce, qui
résident dans lexercice des vertus. Tu verras de la sorte combien pure est la
conscience, et libre le front de celui qui demeure et qui marche dans la
chasteté et la charité, dans la patience et lhumilité, et dans toutes les
autres vertus (SAINT BERNARD, Sermons divers, Desclée de Brouwer, 1, n° 16, p. 143).
s Si la nature du corps réside dans sa santé, celle du cur, elle, coďncide
avec sa pureté. Un il troublé ne saurait voir Dieu, or le cur humain est
justement fait pour voir son Créateur. Si donc la santé du corps réclame quon
sen préoccupe et quon veille sur elle, la pureté du cur nécessite un soin
dautant plus grand quon est plus convaincu de la limpidité du cur par
rapport ŕ celle du corps " (ibid., p. 144-145.)
3. Sg 8, 16.
4. Au sujet du terme latin devotio, voir n° 843, note 5 et n°
1391, note 6.
5. Cf. Mt 9, 20.
6. Pr3, 18.
7. Jr 23, 23.
Ce quelle dit ensuite regarde le futur ET MAINTENANT JE SAIS QUE TOUT CE QUE TU DEMANDERAS Ŕ DIEU, DIEU TE LE DONNERA. En cela, bien que dune certaine maničre elle ait dit vrai car au Christ, en tant quil est homme, il appartenait de demander ŕ Dieu, cest pourquoi on lit quil a souvent prié, et lEvangéliste dit plus haut : Si quelquun adore Dieu [ ] celui-lŕ, il lexauce 1 , cependant elle dit moins [que la vérité], car par ces paroles on semble estimer le Christ comme un homme saint qui pourrait, en priant, supprimer la mort passée, comme Elisée releva un mort en priant 2.
JÉSUS
LUI DIT : "TON FRČRE RESSUSCITERA. " MARTHE LUI DIT : "JE
SAIS QUIL RESSUSCITERA A LA RESURRECTION, AU DERNIER JOUR. " JESUS
LUI DIT : "MOI, JE SUIS LA RESURRECTION ET LA VIE. CELUI QUI CROIT EN
MOI, MĘME SIL MEURT, VIVRA; ET QUICONQUE VIT ET CROIT EN MOI NE MOURRA JAMAIS.
CROIS-TU CELA?" ELLE LUI DIT : "OUI, SEIGNEUR, MOI JAI CRU
QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT, QUI EST VENU DANS CE MONDE. "
1512. LÉvangéliste montre ensuite le progrčs de linstruction de Marthe. Parce que jusqualors elle connaissait imparfaitement, le Seigneur, en linstruisant, la fait progresser vers des choses plus élevées.
Dabord il annonce la
résurrection de son frčre : il annonce le miracle futur; puis il montre
lintelligence que Marthe avait de la résurrection [n° 1514]; ensuite il montre son pouvoir de
ressusciter [n° 1515].
1513. Le miracle que le Seigneur annonce est la résurrection de Lazare. Cest pourquoi il dit : TON FRČRE RESSUSCITERA Tes morts vivront, et ceux qui tont été tués ressusciteront 3.
Or il faut savoir que le Christ a ressuscité trois morts : la fille du chef de la synagogue, comme Matthieu le rapporte 4, le fils de la veuve quon emportait hors de la porte [de la ville], comme Luc le rapporte 5, et Lazare qui était depuis quatre jours dans le tombeau. La jeune fille dans la maison, le jeune homme hors de la porte, Lazare dans le tombeau. Il ressuscita la jeune fille ayant avec lui un petit nombre de témoins, les parents de la jeune fille et trois de ses disciples, Pierre, Jacques et Jean; le jeune homme, une grande foule étant présente; et Lazare, une multitude y assistant, et avec quels gémissements!
Par ces trois ressuscités, on
entend trois genres de pécheurs. Certains en effet pčchent par consentement au
péché mortel dans leur cur; et ceux-ci sont désignés par la jeune fille morte
dans la maison. Dautres sont ceux qui pčchent par des actes et des signes
extérieurs; eux sont désignés par le mort quon emporte hors de la porte [de la
ville]. Mais quand on est établi dans le péché par lhabitude, alors on est
enfermé dans le tombeau. Et cependant le Seigneur les ressuscite tous. Mais
ceux qui pčchent par le seul consentement, et meurent ainsi en péchant
mortellement, sont plus facilement relevés; et parce quun tel péché est
secret, il est guéri par une correction secrčte. Quand le péché paraît ŕ
lextérieur, alors il réclame un remčde public 6.
1. Jn 9, 31.
2. Cf. 2 R 4, 18-37.
3. Is 26, 19. Ceux qui tont été tués, cest-ŕ-dire ceux qui
tappartiennent et qui sont morts pour toi.
4. Cf. Mt 9, 18-26.
5. Cf. Lc 7, 11-17.
6. Ce paragraphe reprend un long développement de saint Augustin
cf. Tract, in Ioann., XLIX, 2 et 3, BA 73", p. 200-209.
1514. LÉvangéliste montre
lintelligence quavait Marthe de la résurrection promise lorsquil dit :
MARTHE LUI DIT : "JE SAIS QUIL RESSUSCITERA Ŕ LA RÉSURRECTION, AU
DERNIER JOUR." En effet, on na jamais entendu dire 7 que quelquun ait ressuscité un mort
datant de quatre jours et sentant dans le tombeau. Cest pourquoi il ne pouvait
pas venir au cur de Marthe quaussitôt il le relčverait dentre les morts.
Mais elle croyait que ce serait ŕ la résurrection commune. Cest pourquoi elle
dit JE SAIS, cest-ŕ-dire je tiens trčs certainement QUIL RESSUSCITERA AU
DERNIER JOUR Moi je le ressusciterai au dernier jour 1.
1515. Ensuite le Seigneur, élevant Marthe ŕ des choses plus hautes, montre dabord sa puissance et son pouvoir de ressusciter puis il ajoute leffet de son pouvoir [n° 1517]; enfin, il sollicite vivement la foi [de Marthe] [n° 1518].
JÉSUS
LUI DIT : "MOI, JE SUIS LA RÉSURRECTION ET LA VIE. "
1516. Sa puissance est une puissance vivificatrice : cest pourquoi il dit cela, comme sil disait : tu crois que ton frčre ressuscitera au dernier jour? Que les hommes ressuscitent, ce sera entičrement par ma puissance; et cest pourquoi, moi, par la puissance de qui tous ressusciteront alors, je peux męme relever ton frčre ŕ linstant.
Mais il dit deux choses : quil est LA RÉSURRECTION et quil est LA VIE. Il faut savoir en effet que quelques-uns réclament de participer ŕ leffet de la vie. Certains parce quils ont perdu la vie; et certains, non parce quils lont perdue mais pour la conserver alors quils lont déjŕ. Ainsi il dit : MOI, JE SUIS LA RÉSURRECTION, par laquelle ceux qui ont perdu la vie par la mort reviennent ŕ la vie, ET LA VIE, par laquelle ceux qui sont vivants sont conservés.
Il faut savoir que ce quil dit : MOI, JE SUIS LA RÉSURRECTION, est une locution causale; cest comme sil disait : moi je suis cause de la résurrection. Cette maničre de parler nest habituellement employée que pour les réalités qui sont cause dune autre réalité. Or le Christ est la cause tout entičre de notre résurrection, autant des âmes que des corps, et cest pourquoi ce quil dit : MOI, JE SUIS LA RÉSURRECTION est une locution causale, comme sil disait : quils ressuscitent dans leurs âmes et dans leurs corps sera entičrement par moi Puisque par un homme est venue la mort, par un homme aussi la résurrection des morts 2.
Et le fait męme que JE SUIS LA RÉSURRECTION est mien du fait męme que je suis LA VIE 3. Car il appartient ŕ la vie de faire revenir certains ŕ la vie, de męme quil appartient au feu que quelque chose qui est éteint brűle ŕ nouveau En lui était la vie, et la vie était la lumičre des hommes 4.
CELUI
QUI CROIT EN MOI, MĘME SIL MEURT, VIVRA; ET QUICONQUE VIT ET CROIT EN MOI NE
MOURRA JAMAIS. CROIS-TU CELA?
1517. Leffet correspond ŕ la puissance. Dabord il parle de leffet qui correspond ŕ la premičre puissance; puis de leffet qui correspond ŕ la seconde.
Ce quil avait dit dabord de sa puissance est que lui-męme est la Résurrection. Et ŕ cela correspond leffet, que lui-męme vivifie les morts; quant ŕ cela il dit : CELUI QUI CROIT EN MOI, MĘME SIL MEURT, VIVRA.
La raison en est que moi je suis cause de la résurrection, et quelquun obtient leffet de cette cause en croyant en moi. Cest pourquoi il dit : CELUI QUI CROIT EN MOI, MĘME SIL MEURT, VIVRA, car par le fait quil croit, il ma en lui Que le Christ habite en vos curs par la foi 5.
7. Cf. Jn 9, 32.
1. Jn 6, 40.
2. 1 Corinthiens 15, 21.
3. Voir sMNT AUGUSTIN "Ideo resurrectio quia vira"
(Tract. in Ioann., XLIX, 14, HA 73", p. 230-233).
4. Jn 1, 4.
5. Ep 3, 17.
Celui qui ma, a la cause de la résurrection. Donc, CELUI QUI CROIT EN MOI, VIVRA. Que quelques-uns ressuscitent par la foi, on le tient de ce qui est dit plus haut : Elle vient lheure, et cest maintenant, oů tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui lauront entendue vivront 1 de la vie spirituelle, ressuscitant de la mort de la faute, et aussi de la vie naturelle, ressuscitant de la mort comme peine 2.
Ce quil avait dit ensuite de sa puissance est que lui-męme est la Vie. Et ŕ cela correspond leffet de conservation dans la vie; cest pourquoi il dit : ET QUICONQUE VIT de la vie de la justice, au sujet de laquelle il est dit : Mon juste vivra par sa foi 3, NE MOURRA JAMAIS, cest-ŕ-dire de la mort éternelle. Mais il aura la vie éternelle : Telle est la volonté de mon Pčre, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle 4. Et il ne faut pas lentendre comme si on ne mourait pas, pour un temps, de la mort de la chair. Mais il faut comprendre quun jour on mourra ainsi, de sorte que, ce pendant, ressuscité, on vive pour léternité dans son âme, jusquŕ ce que la chair ressuscite, désormais destinée ŕ ne plus jamais mourir. Cest pourquoi il ajoute au męme endroit : Et moi je le ressusciterai au dernier jour 5.
"CROIS-TU
CELA?" ELLE LUI DIT : "OUI, SEIGNEUR, MOI JAI
CRU QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT, QUI EST VENU DANS CE MONDE. "
1518. Le Seigneur sollicite vivement la foi de Marthe, afin de la rendre plus parfaite. Cest pourquoi il lui dit : CROIS-TU CELA?
Et dabord est exposée
linterrogation du Seigneur. Il ninterroge pas comme sil ignorait, mais en
connaissant sa foi, lui qui certes avait répandu en elle la foi elle-męme :
croire, en effet, vient de Dieu. Mais il demande que la foi quelle avait dans
le cur, elle la confesse de sa bouche 6 On croit avec le cur en vue de la justice, et on confesse la foi de
sa bouche en vue du salut 7.
1519. LÉvangéliste montre ensuite la réponse de la femme. Cette réponse semble navoir pas de rapport avec ce que le Seigneur avait dit. Il a dit en effet : MOI JE SUIS LA RÉSURRECTION ET LA VIE et ensuite il a demandé si elle croyait cela. Or la femme ne répondit pas : je crois que tu es la Résurrection et la Vie, mais : MOI JAI CRU QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT, QUI EST VENU DANS CE MONDE.
Cette parole est explicitée de deux maničres. Chrysostome 8 en effet dit que cette femme nayant pas lintelligence des paroles élevées du Seigneur, répondit, comme stupéfaite, en disant : Seigneur, moi je ne comprends pas ce que tu dis, cest-ŕ-dire que tu es la Résurrection et la Vie, mais JAI CRU QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT.
Mais Augustin 9 dit que la femme répondit cela parce que ce quelle dit est la raison de toutes les choses dites auparavant par le Seigneur. Comme si elle disait : tout ce que tu dis de ta puissance et de leffet du salut, je le crois entičrement, parce que moi je crois ce qui est plus et qui est la racine de tout, cest-ŕ-dire QUE TU ES LE CHRIST, LE FILS DU DIEU VIVANT.
1. Jn 5, 28.
2. Littéralement " de la mort de peine Sur cette
distinction, voir n 1301, note 9.
3. Ha 2, 4.
4. Jn 6, 40.
5. Ibid.
6. La Glose interlinéaire note ainsi : "Sciens fidem,
quaerit confessionem" (éd. de Douai, in h. loc., 1. 18).
7. Rm 10, 10.
8. In loannem hom., LXII, 3, PG 59, col. 346.
9. Saint Augustin commente ainsi
la réponse de Marthe : "Quand jai cru ŕ cela [que
tu es le Christ], jai vu [en męme temps] que tu es la Résurrection, jai cru
[en męme temps] que tu es la Vie; jai cru que celui qui croit en toi, męme
sil meurt, vivra" (Trace. in Ioann., XLIX, 15, BA 73 p. 234-235). Nous
navons pas trouvé dautre passage de saint Augustin auquel saint Thomas ferait
plus précisément allusion.
1520. Cette confession de Marthe est parfaite. Elle confesse en effet la dignité du Christ, la nature et le don gratuit [dispensatio] 1 de lIncarnation.
Elle confesse sa dignité royale et sacerdotale en disant : TU ES LE CHRIST. Le mot grec "Christ" se dit en latin unctus. Or les rois et les prętres sont oints; le Christ est donc roi et prętre. Cest pourquoi lAnge dit : Il nous est né aujourdhui un Sauveur, qui est le Christ Seigneur 2. Et il est Christ dune façon unique, parce que tous les autres sont oints dune huile visible alors que lui est oint dune huile invisible, cest-ŕ-dire de lEsprit Saint, et plus abondamment que tous les autres Dieu, ton Dieu, ta oint dune huile de joie, de préférence ŕ tes compagnons 3. De préférence ŕ tes compagnons parce que, comme lEvangéliste le dit plus haut : Ce nest pas avec mesure que Dieu lui donne lEsprit 4.
Elle confesse la nature, cest-ŕ-dire la nature divine dans le Christ, égale au Pčre. Cest pourquoi elle dit FILS DU DIEU VIVANT. Car du fait quelle lappelle dune maničre unique : FILS DU DIEU VIVANT, elle annonce la vérité de la filiation; il nexiste pas de vrai Fils de Dieu, si ce nest celui qui est connaturel au Pčre. Cest pourquoi il est dit au sujet du Christ : Nous sommes dans le véritable, dans son Fils Jésus-Christ. Celui-ci est le véritable Dieu et la vie éternelle 5.
Elle confesse le mystčre du don gratuit de lIncarnation lorsquelle dit : CELUI QUI EST VENU DANS CE MONDE, cest-ŕ-dire en assumant la chair Je suis sorti du Pčre, et je suis venu dans le monde 6. Pierre confesse pareillement : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant 7.
IV
1521. Aprčs que lÉvangéliste a commencé ŕ exposer les traits particuliers de Marthe [n° 1509], il poursuit en décrivant ceux de Marie, sa sur; et dabord il décrit son appel, puis sa venue ŕ la rencontre du Christ [n° 1524], enfin la dévotion quelle témoigna au Christ [n° 1528].
ET
AYANT DIT CELA, ELLE PARTIT ET APPELA MARIE, SA SUR, EN SILENCE, EN DISANT : "LE
MAÎTRE EST LŔ, ET IL TAPPELLE. "
1522. Marie est appelée par Marthe; celle-ci, consolée et instruite par le Christ, ne voulant pas que sa sur soit privée dune telle consolation, AYANT DIT les paroles dites juste auparavant avec le Seigneur, PARTIT ET APPELA MARIE, SA SUR, EN SILENCE, EN DISANT : "LE MAÎTRE EST LŔ, ET IL T'APPELLE 8."
Il y a lŕ deux choses douteuses. Dabord au sujet du EN SILENCE. Car le silence nest rien dautre que la privation de la parole ou du son; elle naurait donc pas pu lappeler en silence.
Je réponds : Augustin 9 dit que lEvangéliste a dénommé silence la voix contenue, comme sil disait : elle lappela tout bas, selon ce que dit lEcclésiaste : Les paroles des sages sont entendues dans le silence 10. Et si elle lappelle silencieusement, cest parce quune multitude de Juifs était avec elle, comme on la dit, et que peut-ętre il sen trouvait parmi eux quelques-uns qui naimaient pas le Christ ou qui sen seraient allés 11, ou qui, en entendant cela, nauraient pas suivi Marie 12.
1. Dispensatio est un terme typiquement paulinien. En effet, dans
toute lEcriture, on ne le trouve quen saint Paul, cinq fois (1 Corinthiens 9,
17; Ep 1, 10 et 3,2 et 9; Col 1,25). Sur le sens de ce terme latin, voir n°
762, note 4.
2. Lc2, 11.
3. Ps44, 8. Cf. n° 1119, note 4.
4. in 3, 34.
5. 1 Jn 5, 20.
6. Jn 16, 28.
7. Mt 16, 16.
8. Nous préférons ici le texte de lédition Msrietti ŕ celui de
lédition léonine, qui porte seulement statim et vocavit Mariam ".
9 Tract. in Io, XLIX, 16, BA 731), p. 236-237.
10. Qo 9, 17.
Au sens mystique, il est donné
ŕ entendre que celui qui crie vers le Christ seulement par la voix le fait
dune maničre extérieure, mais [que celui qui appelle] dans le silence le fait
dune maničre plus efficace. Cest pourquoi on dit : Dans le silence et
lespérance sera votre force.
1523. Le second point douteux est dans cette parole : LE MAÎTRE EST LŔ, ET IL TAPPELLE. Elle semble avoir dit quelque chose de faux, car le Seigneur na pas dit ŕ Marthe quil appelait Marie.
Je réponds : Augustin dit que
lEvangéliste, pour ętre bref, donne ŕ comprendre ce quil avait omis dans son
récit. Car peut-ętre le Seigneur a-t-il dit ŕ Marthe quil lappelait. Dautres
disent que Marthe regarda la présence męme du Christ comme un appel; comme si
elle disait : il est inexcusable que lui étant présent, toi tu ne sortes pas ŕ
sa rencontre.
1524. LÉvangéliste expose ensuite la venue de Marie au-devant [du Christ].
CELLE-CI,
QUAND ELLE ENTENDIT, SE LEVA RAPIDEMENT ET VINT VERS LUI JÉSUS EN EFFET
NÉTAIT PAS ENCORE VENU AU VILLAGE, MAIS IL ÉTAIT TOUJOURS DANS LE LIEU OŮ
MARTHE AVAIT ACCOURU AU-DEVANT DE LUI LES JUIFS DONC QUI ÉTAIENT AVEC [MARIE]
DANS LA MAISON ET LA CONSOLAIENT, VOYANT QUE VITE ELLE SE LEVAIT ET SORTAIT, LA
SUIVIRENT, SE DISANT ELLE VA AU TOMBEAU POUR Y PLEURER.
Il commence par montrer la promptitude de Marie ŕ aller au-devant du Christ, puis le lieu vers lequel elle accourut vers lui [n° 1526], enfin ceux qui la suivent pour laccompagner [n° 1527].
CELLE-CI,
QUAND ELLE ENTENDIT, SE LEVA RAPIDEMENT ET VINT VERS LUI
1525. La promptitude de Marie ŕ aller au-devant du Christ est décrite [pour souligner] quelle ne différa pas cela ŕ cause de son chagrin 6 et ne tarda pas ŕ cause de ceux qui se tenaient lŕ, mais aussitôt, QUAND ELLE ENTENDIT, elle SE LEVA RAPIDEMENT, [quittant] la maison dans laquelle elle était, ET ELLE VINT VERS LUI, Jésus. De lŕ il ressort avec évidence que Marthe ne laurait pas prévenue si larrivée de Jésus lui avait été connue dčs le début 7.
Par lŕ nous est donné lexemple quil ne faut pas tarder lorsque nous sommes appelés [ŕ nous tourner] vers le Christ Ne tarde pas ŕ te tourner vers le Seigneur, et ne diffčre pas de jour en jour Que je lécoute comme un maître 9.
11. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
loannem hom., LXIII, I, PG 59, col. 349.
12. Le texte de lédition léonine porte : "Mariam
sequerentur". Nous préférons garder le texte de lédition Marietti :
"Mariam non sequerentur".
3. Is 30, 15.
4. Tract, in Ioann., XLIX, 16, BA
73", p. 236-237.
5. Ainsi THÉOPHYLACTE, Enarr. in Ev. S. bannis,
chap. 11, PG 124, col. 98 C.
6. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
loannem hom., LXIII, 1, PG 59, col. 349.
7. Cf. THÉOPHYLACTE, Enarr. in Ev. S. bannis,
chap. 11, PG 124, col. 99 A.
8. Si 5, 8.
9. Is 50, 4. Rappelons ici ce qui entoure cette parole dIsaďe
Il éveille le matin, le matin il éveille mon oreille, parce que je lécoute
comme un maître. Le Seigneur Dieu ma ouvert loreille. Saint Thomas commente :
s Il éveille, pour me rendre attentif; le matin au commencement de ma
prédication, ou au commencement de ma vie, ou parce que cest ŕ ce moment-lŕ
quil avait coutume de prier, Aux heures matinales, je méditerai sur toi (Ps
62, 7). Il ma ouvert loreille, pour comprendre, Jécouterai ce que dit en moi
le Seigneur Dieu (Ps 84, 9), Vous navez quun seul Maître, le Christ (Mt 23,
10)" (Exp. super Isaďam, 50, 4, p. 205, I 59-65).
JÉSUS
EN EFFET NÉTAIT PAS ENCORE VENU AU VILLAGE, MAIS IL ÉTAIT TOUJOURS DANS LE
LIEU OŮ MARTHE AVAIT ACCOURU AU-DEVANT DE LUI
1526. Le lieu oů Marie rencontra le Christ est le męme que celui oů Marthe avait parlé avec Jésus. LEvangéliste montre cela pour quon ne croie pas que la venue de Marie au-devant de lui est superflue puisque le Christ aurait pu venir au village bien plus rapidement, de męme que Marthe. Si le Seigneur demeura dans ce lieu, cest pour quil ne semble pas simposer par un miracle mais que, lorsque prié et supplié il opčrerait le miracle 1, les Juifs confessent que Lazare était mort, et quainsi le miracle ne souffre aucune calomnie.
Par lŕ est donné aussi ŕ entendre que lorsque nous voulons jouir de la présence du Christ, il nous faut anticiper sa venue sans attendre que lui-męme descende jusquŕ nous; il faut plutôt que nous-męmes nous rendions ŕ lui Eux-męmes se tourneront vers toi, mais toi tu ne te tourneras pas vers eux 2.
LES
JUIFS DONC, QUI ÉTAIENT AVEC [MARIE] DANS LA MAISON ET LA CONSOLAIENT, VOYANT
QUE VITE ELLE SE LEVAIT ET SORTAIT, LA SUIVIRENT, SE DISANT : ELLE VA AU
TOMBEAU POUR Y PLEURER.
1527. LÉvangéliste décrit ici ceux qui suivent Marie pour laccompagner. Il montre la raison pour laquelle ils la suivaient, en disant ELLE VA AU TOMBEAU POUR Y PLEURER. Car ils croyaient quelle faisait cela sous limpulsion de la douleur en effet, ils navaient pas entendu les paroles que Marthe avait dites ŕ Marie. En cela les Juifs sont louables Ne manque pas de consoler ceux qui pleurent 3. Néanmoins, la divine Providence fit quils la suivirent, pour que, du fait de leur présence nombreuse, quand Lazare fut relevé, "ce si grand miracle de la résurrection dun mort de quatre jours trouve de trčs nombreux témoins", comme le dit Augustin 4.
QUAND
DONC MARIE FUT VENUE OŮ ÉTAIT JÉSUS, LE VOYANT ELLE TOMBA Ŕ SES PIEDS ET LUI
DIT : "SEIGNEUR, SI TU AVAIS ÉTÉ LŔ, MON FRČRE NE SERAIT PAS MORT. "
1528. Puis cest la dévotion de Marie envers Jésus qui est mise en lumičre, et dabord la dévotion quelle a témoignée par un geste, puis la dévotion quelle a témoignée par la parole [n° 1530].
QUAND
DONC MARIE FUT VENUE OŮ ÉTAIT JÉSUS, LE VOYANT ELLE TOMBA Ŕ SES PIEDS.
1529. Ŕ propos [de son geste], remarquons en Marie lassurance et lhumilité.
Lassurance, parce quŕ lencontre de lordre donné par les chefs, que personne ne confesse le Christ, elle na pas peur de la foule, ni ne craint la suspicion des Juifs au sujet du Christ : alors que plusieurs des ennemis du Christ étaient présents, elle courut vers le Christ Le juste hardi comme le lion sera sans terreur 5.
Puis son humilité, parce quELLE TOMBA Ŕ SES PIEDS, ce quon ne dit pas de Marthe Humiliez-vous sous la puissante main de Dieu, afin quil vous élčve au temps de sa visite 6 Nous adorerons dans le lieu oů se sont arrętés ses pieds 7.
1. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem
hom., LXIII, 1, PG 59, col. 349.
2. Jr 15, 19.
3. Si 7, 38.
4. Tract, in Ioann., XLIX, 17, BA 73", p. 236-237.
5. Pr 28,1.
6. 1 P 5, 6.
7. Ps 131, 7.
SEIGNEUR,
SI TU AVAIS ÉTÉ LŔ, MON FRČRE NE SERAIT PAS MORT.
1530. Lorsquelle lui a dit cela, elle a manifesté sa dévotion par la parole. Elle croyait en effet que lui était la Vie, et que lŕ oů il se trouve, la mort na pas lieu Il nexiste pas dunion de la lumičre avec les ténčbres 1. "Tant quil fut présent avec nous, comme le dit Augustin, aucune maladie, aucune infirmité na osé apparaître dans la maison de celles chez qui elle [la maladie] savait que la Vie était reçue. O infidčle union ! Alors que tu es encore dans le monde, Lazare ton ami meurt. Si lami meurt, lennemi, que souffrira-t-il 2?"
Lamour du Christ.
1531. Ŕ la suite de cela est exposé tout ce qui relčve de lamour du Christ. Le Christ en effet ne répond pas ŕ Marie comme il répondit ŕ Marthe; mais ŕ cause de la foule qui se tient lŕ, il ne dit rien, démontrant sa puissance par des gestes.
JÉSUS
DONC, QUAND IL LA VIT PLEURER, PLEURER AUSSI LES JUIFS QUI LAVAIENT
ACCOMPAGNÉE, FREMIT EN SON ESPRIT ET SE TROUBLA, ET IL DIT : "OŮ
LAVEZ-VOUS DÉPOSÉ?" ILS LUI DISENT : "SEIGNEUR, VIENS ET VOIS.
" ET JÉSUS PLEURA. LES JUIFS DIRENT DONC : "VOILA COMMENT IL
LAIMAIT! " MAIS CERTAINS DENTRE EUX DIRENT : "NE POUVAIT-IL
PAS, LUI QUI A OUVERT LES YEUX DE LAVEUGLE-NÉ, FAIRE AUSSI QUE CELUI-CI NE
MOURUT PAS?"
Dabord lÉvangéliste expose lamour que le Christ montre ŕ Marie, puis la discussion au sujet de lamour du Christ [n° 1538]. Il commence par montrer lamour du Christ, celui quil a eu dans le cur, puis comment il lexprima par des paroles [n° 1536], enfin, comment il le manifesta par des larmes [n° 1537].
I
JÉSUS
DONC, QUAND IL LA VIT PLEURER, PLEURER AUSSI LES JUIFS QUI LAVAIENT
ACCOMPAGNÉE, FRÉMIT EN SON ESPRIT, ET SE TROUBLA.
1532. Il faut noter ici que le Christ est vrai Dieu et vrai homme 3; et cest pourquoi presque partout dans ce quil a fait, lhumain se lit męlé au divin et le divin ŕ lhumain. Et ainsi, toutes les fois quon montre quelque chose dhumain au sujet du Christ, on ajoute aussitôt quelque chose de divin. En effet, nous ne lisons rien de plus fragile au sujet du Christ que sa Passion. Et cependant, lorsquil est suspendu ŕ la Croix, les faits divins sont évidents le soleil est obscurci, les rochers se fendent, les corps des saints qui étaient endormis ressuscitent. Ŕ la Nativité aussi, alors quil est couché dans une mangeoire, du ciel brille une étoile, lAnge chante des louanges, des mages et des rois offrent des présents. Or nous avons quelque chose de semblable en ce lieu : car le Christ, selon la vulnérabilité de son humanité, souffre une certaine fragilité, éprouvant en lui un trouble au sujet de la mort de Lazare.
Cest pourquoi LEvangéliste
dit : IL FRÉMIT EN SON ESPRIT ET SE TROUBLA.
1. 2 Co 6, 14.
2. Le sermon dont saint Thomas cite ce passage comme provenant
de saint Augustin (Serm. de Verbis Domini, 52) est en fait dun auteur inconnu;
on le trouve en appendice dans la Patrologie de Migne (Serm. XCVI).
3. Citons simplement ici quelques passages de lenseignement de
lEglise que saint Thomas reprend en croyant et en théologien e Celui qui est
vrai Dieu est le męme qui est vrai homme. Il nest aucun mensonge en cette
unité, car lhumilité de lhomme et la grandeur de la divinité sont ensemble
lune et lautre. De męme en effet que Dieu nest pas changé par sa
miséricorde, de męme lhomme nest pas détruit par la majesté. Lune et lautre
nature opčre (agit) en communion avec lautre ce qui lui est propre :
cest-ŕ-dire le Verbe opérant ce qui appartient au Verbe, et la chair exécutant
ce qui appartient ŕ la chair... " (Lettre ŕ Flavien, FC, n° 312, p. 189;
DENZINGER, Enchiridion symbolorum n°294, p. 103). s A la suite des saints
Pčres, nous enseignons tous unanimement quil faut confesser un seul et męme
Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le męme parfait en divinité, et le męme
parfait en humanité, le męme véritablement Dieu et véritablement homme, le męme
[doté] dune âme raisonnable et dun corps, consubstantiel au Pčre selon la
divinité, et consubstantiel ŕ nous selon lhumanité, le tout semblable ŕ nous ŕ
lexception du péché" (Concile de Chalcédoine, FC n° 313, p. 190;
DENZINGER, Enchiridion symbolorum..., n° 301, p. 107).
1533. Au sujet de ce trouble, remarquons la piété, puis la discrétion [n° 1540], enfin la puissance [n° 1535].
La piété parce que la cause en
est juste. En effet, quelquun se trouble dune maničre juste quand il se
trouble de la tristesse et du mal des autres; et quant ŕ cela lEvangéliste dit
: LORSQUIL LA VIT PLEURER Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie et
pleurez avec ceux qui pleurent 1.
1534. La discrétion, parce quil se trouble selon le jugement de la raison. Cest pourquoi lEvangéliste dit : IL FRÉMIT EN SON ESPRIT, comme gardant le jugement de la raison. Dans le trouble, en effet, lesprit est dit pensée ou mieux, raison 2 selon cette parole : Que vous soyez renouvelés par lesprit de votre pensée. Or il arrive parfois que les passions de cette sorte, de la partie sensitive, ne proviennent pas de lesprit, ni ne gardent la conduite de la raison; bien plus, elles la perturbent plutôt davantage : cela certes ne fut pas en lui, parce quIL FRÉMIT EN SON ESPRIT.
Mais que signifie le frémissement du Christ? Il semble signifier la colčre : Comme le frémissement du lion, ainsi la colčre du roi De męme, il semble signifier lindignation, selon le psalmiste : Il frémira de ses dents et dépérira.
Je réponds : il faut dire que
ce frémissement, dans le Christ, signifie une colčre et lindignation du cur.
Toute colčre et indignation sont causées par une douleur ou une tristesse. Or
ici deux choses étaient sous-jacentes. Lune, dont le Christ se troublait, qui
était la mort infligée ŕ lhomme ŕ cause du péché; lautre, contre laquelle il
sindignait, ŕ savoir la fureur de la mort et du diable. Cest pourquoi, de
męme que quand quelquun veut repousser un ennemi, il souffre de maux qui lui
arrivent par lui et sindigne pour le punir, de męme le Christ a souffert et
sest indigné.
1535. La puissance enfin, parce quil se troubla lui-męme par son commandement. Car les passions de cette sorte surgissent quelquefois dune cause indue, comme lorsque quelquun se réjouit de choses mauvaises et sattriste des bonnes Ceux qui se réjouissent alors quils ont fait le mal et exultent dans les choses les plus mauvaises 6; et cela ne fut pas dans le Christ. Cest pourquoi il dit : QUAND IL LA VIT PLEURER... Quelquefois elles surgissent dune cause bonne, cependant elles ne sont pas maîtrisées par la raison. Et contre cela il dit : IL FRÉMIT EN SON ESPRIT. Quelquefois, bien quelles soient maîtrisées par quelquun, elles devancent cependant le jugement de la raison; de telles passions sont des mouvements subits. Et cela, certes, ne fut pas dans le Christ, parce que tout mouvement de lappétit sensible fut en lui selon le mode et le commandement de la raison. Et cest pourquoi il dit : IL SE TROUBLA, autrement dit : par le jugement de la raison, il assuma en lui cette tristesse.
Mais ŕ lencontre de cela, il est dit : Il ne sera pas triste, ni troublé 1.
Je réponds en disant que cela est ŕ entendre de la tristesse qui devance [la raison] et est incontrôlée. Or le Christ voulut se troubler et sattrister pour trois causes. Dabord pour éprouver la condition et la vérité de la nature humaine. Ensuite, pour que, en sattristant et se contenant, il enseigne la mesure quon doit observer dans les tristesses. Les stoďciens en effet ont dit quaucun sage ne sattriste. Mais il semble tout ŕ fait inhumain que quelquun ne sattriste pas de la mort dun autre. Cependant il en est qui, dans les tristesses au sujet du mal de leurs amis, dépassent la mesure. Mais le Seigneur voulut sattrister pour te signifier que tu dois parfois tattrister, ce qui va contre les stoďciens. Et dans la tristesse il a tenu une mesure, ce qui va contre les seconds. Cest pourquoi lApôtre dit : Nous ne voulons pas que vous soyez dans lignorance au sujet de ceux qui sendorment, pour que vous ne vous attristiez pas. Mais lŕ il ne dit pas simplement pour que vous ne vous attristiez pas, mais il ajoute : Gomme les autres qui nont pas despérance Pleure sur un mort, parce que sa lumičre a manqué, et plus loin : Pleure peu sur un mort, parce quil a trouvé le repos.
La troisičme raison est pour indiquer que nous, nous devons nous attrister devant les morts et pleurer dune maničre sensible [CORPORALITER 4] selon cette parole : Jai été affligé et trop humilié 5.
1. Rom 12, 15. Ŕ propos de ce
passage de saint Paul, saint Thomas dit notamment : "En effet, la compassion męme de lami qui souffre avec
nous apporte la consolation dans les tristesses, de deux maničres. Dabord
certes parce quon reconnaît lŕ une preuve effective de lamitié Dans ses
maux, cest-ŕ-dire dans linfortune, on connaît lami (Si 12, 9). Et cela męme
est source de joie, de connaître que quelquun est pour nous un véritable ami. Dune
autre maničre, parce que du fait męme que lami souffre avec nous, il semble
soffrir ŕ porter en męme temps le fardeau de ladversité qui cause la
tristesse. Et certes ce qui est porté ŕ plusieurs est porté plus légčrement que
par un seul " (Ad Rom. lect., XII, n° 1004). Voir aussi Somme théol.,
I-II, q. 38, a. 3. Cf. n° 1475, note 7.
2. Saint Thomas veut indiquer ici que lesprit, dans la
tribulation, rie peut plus sexercer dans sa fine pointe desprit, mais quil
sexerce selon le mode rationnel de lintelligence humaine. La raison nest pas
une puissance vitale différente de lintelligence, mais le mode de
lintelligence humaine, qui, étant liée dans son exercice â la vie sensible,
connaît dans un certain devenir et grâce ŕ labstraction (cf. Somme théol., I,
q. 79, s. 8). Saint Thomas emploie ici le mot mens sans doute ŕ cause de la
citation de lépître aux Ephésiens qui suie.
3. Ep 4, 23.
4. Pr 19, 12.
5. Ps 111, 10.
6. Pr. 2, 14.
ET IL
DIT : "OŮ LAVEZ-VOUS DÉPOSÉ?" ILS LUI DISENT : "SEIGNEUR,
VIENS ET VOIS. "
1536. Ici le Seigneur montre laffection de son cur par des paroles 6.
1. Is 42, 4. Saint Thomas commente
"Il ne sera pas triste, dans son cur,
ni troublé, dans son visage. [Le Christ] fut toujours joyeux et affable,
gardant une égalité desprit męme si dans sa partie sensible se trouvait une
propassion de tristesse, propassion non certes nécessaire, mais volontaire. Doů
Mt 26, 38 Mon âme est triste. " (Exp. super Isaďam, 42, 4, p. 177, 1. 4 1-46). Le terme propassion désigne
chez saint Thomas les opérations de laffectivité sensible du Christ, qui, ŕ la
différence de nos passions si souvent désordonnées et agitées, sont dans le
Christ rectifiées immédiatement par sa plénitude de grâce.
2. 1 Th 4, 12. Saint Thomas
commente : "Que quelquun sattriste
au sujet des morts, cela regarde la piété. Dabord ŕ cause de la disparition du
corps qui fait défaut. Nous devons en effet les aimer, et le corps ŕ cause de
lâme O mort, quamčre est ta mémoire pour lhomme qui possčde la paix (Si
41, 1). Deuxičmement ŕ cause du départ, et de la séparation qui est douloureuse
pour les amis Est-ce ainsi que sépare la mort amčre? (1 S 15, 32). Troisičmement
parce que par la mort est un rappel du péché Le salaire du péché, cest la
mort (Rm 6, 23). En quatričme lieu parce quon fait le rappel de notre mort -. En
elle on est averti de la fin de tous les hommes, et celui qui est vivant pense
ŕ ce qui doit lui arriver" (Qo 7, 3) (In I Thess. exp., n 93).
3. Si 22, 10 et 11.
4. Corporaliter (littéralement : corporellement) désigne la
maničre dont on vit au niveau du corps, cest-ŕ-dire sensiblement.
5. Ps 37, 9.
6. Saint Thomas reprend dans ce paragraphe linterprétation de
saint Augustin (De diversis quaestionibus 83, q. 65, BA 10, p. 230-23 1). Voir
aussi, Tract, in Ioann., XLIX, 20, BA 7311, p. 244-245.
Mais le Seigneur ignorait-il le lieu oů il avait été déposé? Il semble que non. Car de męme que, étant absent, il sut par la puissance de sa divinité la mort de Lazare, de męme il sut aussi le lieu du sépulcre. Pourquoi donc interroge-t-il ŕ partir de ce quil a su?
Je réponds : il faut dire que ce nest pas en ignorant quil interroge; mais pendant que le sépulcre lui est montré par le peuple, il veut que [les Juifs] confessent Lazare mort et enseveli; et ainsi il peut soustraire le miracle ŕ lemprise de tout soupçon.
Il y a ŕ cela deux raisons mystiques. Lune est que celui qui interroge semble ne pas connaître ce au sujet de quoi il interroge. Or par Lazare dans le tombeau sont signifiés ceux qui sont morts dans les péchés. Le Seigneur montre donc quil ignore le lieu de Lazare, donnant par cela ŕ entendre que, pour ainsi dire, il ne connaît pas les pécheurs, selon cette parole de saint Matthieu : Je ne vous ai pas connus; éloignez-vous de moi, vous qui commettez liniquité. Et la Genčse : Adam, oů es-tu Lautre raison est que si quelques-uns ressuscitent du péché ŕ létat de la justice divine, cela vient de la profondeur de la prédestination divine; et cette profondeur, certes les hommes lignorent Qui a connu lesprit du Seigneur, ou qui a été son conseiller? Et : Qui en effet fut présent au conseil du Seigneur, et a vu, et a entendu sa parole Et cest pourquoi le Seigneur, en interrogeant ainsi, sest comporté ŕ la maničre de quelquun qui ne connaît pas, puisque nous-męmes aussi nous ne connaissons pas cela.
Ainsi donc est exposée linterrogation du Seigneur, et la réponse du peuple Suit : ILS LUI DIRENT : "SEIGNEUR, VIENS ET VOIS."
VIENS en ayant pitié, VOIS en regardant avec attention Vois mon humilité et mon labeur, et remets-moi tous mes péchés.
ET
JÉSUS PLEURA.
1537. Puis le Seigneur manifeste son affection par des larmes : cest pourquoi il est ajouté : ET JÉSUS PLEURA. Et certes ces larmes ne provenaient pas dune nécessité, mais de la piété et dune cause. Il était en effet la source de la piété 6, et cest pourquoi il pleurait pour montrer quil nest pas répréhensible que quelquun pleure par piété Fils, sur un mort répands des larmes. Et il pleura pour une cause afin denseigner que lhomme, ŕ cause du péché, a besoin de larmes 8, selon cette parole du psaume : Jai peiné dans mon gémissement, chaque nuit, je baignerai mon lit de larmes 9.
II
LES
JUIFS DIRENT DONC : "VOILŔ COMMENT IL LAIMAIT! " MAIS
CERTAINS DENTRE EUX DIRENT : "NE POUVAIT-IL PAS, LUI QUI A OUVERT LES
YEUX DE LAVEUGLE-NÉ, FAIRE AUSSI QUE CELUI-CI NE MOURŰT PAS?"
1538. LÉvangéliste montre ici la discussion des Juifs au sujet de laffection du Christ. Dabord il en présente qui admiraient cette affection du Christ; puis dautres qui, dans le doute, rappellent le miracle accompli auparavant [n° 1539].
LEvangéliste introduit ceux
qui admiraient le miracle du Christ par mode de conclusion, lorsquil dit : LES
JUIFS DIRENT DONC, cest-ŕ-dire les signes de laffection du Christ étant
montrés, tant les paroles que les larmes : VOILŔ COMMENT IL LAIMAIT; car
lamour se manifeste au plus haut point dans les tristesses des hommes 10. Cest au milieu des biens dun homme
quon connaît ses ennemis; cest dans la tristesse et le malheur quon
reconnaît son ami 11. Et, au
sens mystique, il est donné par lŕ ŕ entendre que Dieu aime męme ceux qui sont
dans les péchés. En effet, sil ne les avait pas aimés, il ne dirait
certainement pas : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, ŕ
la pénitence 12. Dun
amour éternel je tai aimé, cest pourquoi je tai attiré, ayant pitié de toi 13.
1. Mt 7,23.
2. Gn 3, 9.
3. Rm 11, 34, citant Is 40, 13.
4. Jr 23, 18.
5. Ps 24, 18. Saint Thomas
commente : "La peine assumée intérieurement,
cest lhumilité de lesprit devant Dieu. Cest pourquoi il dit vois,
cest-ŕ-dire considčre mon humilité Il a jeté les yeux sur lhumilité de sa
servante (Lc 1, 48). De męme, il existe aussi une humilité manifestée
extérieurement, qui est un certain labeur; cest pourquoi il dit et mon labeur.
[les pécheurs] ne sont point dans le labeur des hommes (Ps 72, 5). [
] De la
faute il dit Remets tous mes péchés Lorsque tu prieras, tes péchés seront
effacés (Si 28, 2). Et notons quon obtient la rémission des péchés par trois
choses. Par les tribulations, qui opčrent la rémission des péchés si elles sont
portées patiemment Tu enlčves les péchés au temps de la
tribulation, et aprčs la tempęte tu fais le calme, et aprčs les larmes et les
gémissements tu répands lexultation (Tb 3, 22). De męme par lhumilité
Nas-tu pas vu Achab humilié devant moi? Ainsi, puisquil sest humilié ŕ cause
de moi, je namčnerai pas le malheur en ses jours (1 R 21, 29). [
] De męme par
le travail Il a jeté les yeux sur notre humilité, notre labeur et notre angoisse,
et il nous a fait sortir dEgypte ŕ main forte et ŕ bras étendu (Dt 26, 7-8). Et
cest pourquoi il dit Remets tous mes péchés. " (Exp. in Psalmos, 24, n
12).
6. Sur le sens du terme latin pietas, voir 00 1067, note 2.
7. Si 38, 16.
8. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XLIX, 19, BA 73 p. 242-243.
9. Ps 6, 7.
10. Cf. n° 1475, note 7 et n° 1533, note 1.
11. Si 12, 9. Voir Pr 17, 17 (que donnait léd. Marietti) Celui
qui est ami aime en tout temps; dans les détresses il se révčle ętre un frčre.
12. Mt 9, 13; Mc 2, 17; Lc 5, 32.
13. Jr 31,3.
1539. Ceux qui voulaient rendre douteux le miracle accompli faisaient partie des ennemis de Jésus. Cest pourquoi il dit : CERTAINS DENTRE EUX, cest-ŕ-dire les Juifs, DIRENT : "NE POUVAIT-IL PAS, LUI QUI A OUVERT LES YEUX DE LAVEUGLE-NÉ, FAIRE AUSSI QUE CELUI-CI NE MOURŰT PAS?" comme sils disaient sil laimait au point daller jusquŕ pleurer devant sa mort, il semble quil aurait voulu quil ne meure pas : car la tristesse provient de choses qui sont arrivées alors que nous ne le voulions pas. Si donc, alors quil ne le veut pas, Lazare est mort, il semble quil na pas pu empęcher la mort; bien plus, il semble quil na pas pu ouvrir les yeux de laveugle-né. Ou bien il faut dire quils ont dit cela en admirant, avec la maničre de parler dElisée : Oů est le Dieu dElie main tenant 3? et de David dans le psaume : Oů sont tes miséricordes dautrefois, Seigneur 4?
Le relčvement de Lazare.
1540. Aprčs avoir montré certains préambules au relčvement de Lazare, lEvangéliste poursuit en traitant du relčvement lui-męme. A ce sujet il fait quatre choses.
Dabord il montre le départ du Christ vers le tombeau, puis lenlčvement de la pierre [n° 1542], ensuite la pričre du Christ [n° 1550], enfin la résurrection du mort [n° 1556].
I
JÉSUS
DONC, FRÉMISSANT DE NOUVEAU EN LUI-MĘME, VINT AU TOMBEAU.
1541. LÉvangéliste a soin de dire souvent quil a pleuré et quil a frémi, comme le dit Chrysostome 4 parce que dans la suite il devait montrer la puissance de sa divinité. Donc, pour quon ne doute pas de la vérité de son humanité, il affirme du Christ les choses plus faibles et plus humbles de notre nature. Et de męme que Jean, parmi les autres Evangélistes, montre plus explicitement dans le Christ la nature et la puissance divines 6 de męme aussi il parle ŕ son sujet de certaines choses plus fragiles : quil pleura, quil frémit, et autres choses de cette sorte, qui mettent en pleine lumičre dans le Christ, au plus haut point, laffection de la nature humaine.
Au sens mystique, il frémit pour donner ŕ entendre que ceux qui ressuscitent de leurs péchés doivent continuellement persister dans la douleur, selon cette parole du psaume : Tout le jour, je marchais contristé 7. Ou bien il faut dire que plus haut il frémit en son esprit ŕ cause de la mort de Lazare, et quici ŕ nouveau il frémit en lui-męme ŕ cause de linfidélité des Juifs.
3. 2 R 2, 14.
4. Ps 88, 50.
5. In loannem hom., LXIII, 1-2, PG 59,
col. 349-350.
6. A ce propos, voir n° 1 s. et n° 23.
7. Ps 37, 7.
Cest pourquoi lEvangéliste
avait annoncé ŕ lavance le doute, au sujet du miracle, de ceux qui disaient :
NE POUVAIT-IL PAS, LUI QUI A OUVERT LES YEUX DE LAVEUGLE, FAIRE AUSSI QUE
CELUI-CI NE MOURŰT PAS? Et ce frémissement vint certes de sa compassion et de
sa pitié envers les Juifs Jésus, voyant les foules, eut pitié delles 1.
1542. Puis lÉvangéliste traite de lenlčvement de la pierre. Dabord il décrit la pierre, puis il montre le commandement du Christ de bouger la pierre [n° 1544], ensuite la discussion au sujet de léloignement de la pierre [n° 1545]; enfin il laisse entendre laccomplissement du commandement [n° 1549].
CÉTAIT
UNE GROTTE, ET UNE PIERRE AVAIT ÉTÉ POSÉE SUR ELLE.
1543. La pierre est décrite posée sur le tombeau. Il faut savoir en effet que dans ces régions, on utilise certaines cavernes en maničre de grotte comme sépultures pour les hommes, oů on peut déposer plusieurs corps de morts, ŕ des moments divers cest pourquoi elles ont une ouverture, quon ferme par une pierre et quon ouvre quand cest nécessaire. Et cest pourquoi il est dit ici, quUNE PIERRE AVAIT ÉTÉ POSÉE SUR ELLE, cest-ŕ-dire sur louverture de la grotte. On trouve dans la Genčse 2 une chose semblable, quand Abraham acheta un champ et une grotte pour ensevelir Sarah son épouse.
Mystiquement, on entend par la grotte la profondeur des péchés, dont il est dit dans le psaume : Je suis enfoncé dans une boue profonde, et il nest rien qui tienne. Par la pierre placée sur [la grotte] on entend la Loi, qui a été écrite dans la pierre, et qui nenlevait pas le péché, mais tenait les [hommes] dans le péché parce que, du fait quils agissaient contre la Loi, ils péchaient plus gravement Cest pourquoi il est dit : LEcriture a tout enfermé sous le péché.
1. Mt 14, 14.
2. Cf. Gn 23, 1-20.
3. Ps 68, 3.
JÉSUS
DIT : "ÔTEZ LA PIERRE. "
1544. LÉvangéliste rapporte ici le commandement du Christ, de bouger la pierre.
Mais on se demande : puisquil est plus grand de relever un mort que de bouger une pierre, pourquoi nenleva t-il pas aussi en męme temps la pierre par sa puissance?
Chrysostome 6 répond que cela a été fait pour une plus grande certitude du miracle, cest-ŕ-dire pour que le Christ fasse deux des témoins du miracle, et pour quils ne disent pas ce quils avaient dit de laveugle ce nest pas celui-lŕ qui a été mort.
Au sens mystique, selon Augustin 7, lenlčvement de la pierre signifie léloignement du poids des observances légales pour les fidčles du Christ venant ŕ lEglise des nations paďennes, poids que quelques-uns voulaient leur imposer. Cest pourquoi Jacques dit : Il a semblé bon au Saint Esprit et ŕ nous de ne vous imposer aucun autre fardeau 8. Et Pierre dit : Pourquoi tentez-vous dimposer sur les tętes des disciples un joug que ni nos pčres, ni nous navons pu porter 9? Au sujet de cela, donc, le Seigneur dit : ÔTEZ LA PIERRE, cest-ŕ-dire le poids de la Loi, et pręchez la grâce 10. Ou bien, par la pierre, il signifie ceux qui, dans lEglise, vivent dune maničre corrompue et sont une pierre dachoppement pour ceux qui veulent croire, en les éloignant de la conversion 11.
4. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XLIX, 22, BA 73*, p. 246-247.
5. Ga 3, 22. Voir aussi Rm 3, 20; 7,
7-25.
6. In Ioannem hom., LXIII, 2, PG 59, col.
350-351.
7. De diversis quaest. 83, q. 65, p. 230-23 1.
8. Ac 15, 28.
9. Ac 15, 10.
10. La Loi a été donnée par Moďse; la grâce et la vérité sont
venues par Jésus-Christ On 1, 17). Voir n 205-20L Saint Thomas cite ici saint
Augustin : Tract, in Ioann., XUX, 22, BA 73*, p. 246-247.
11. De diversis quaest. 83, q. 65, p. 230-23 1.
Au sujet de cette pierre, il est dit dans le psaume : De peur que peut-ętre ŕ la pierre tu ne te heurtes le pied 2. Et certes le Seigneur recommanda quelle soit bougée : Otez les obstacles du chemin de mon peuple 3.
MARTHE,
LA SUR DE CELUI QUI ÉTAIT MORT, LUI DIT : "SEIGNEUR, IL SENT
DÉJŔ;" CEST EN EFFET LE QUATRIČME JOUR. JÉSUS LUI DIT : "NE
TAI-JE PAS DIT QUE SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU?"
1545. LÉvangéliste
expose la discussion de Marthe, et dabord les paroles de Marthe qui discute,
puis les paroles du Christ qui répond [n° 1545].
1546. Il expose les paroles de Marthe en disant : MARTHE, LA SUR DE CELUI QUI ÉTAIT MORT, LUI DIT : "SEIGNEUR, IL SENT DÉJŔ; CEST EN EFFET LE QUATRIČME JOUR." Au sens littéral, cela eut lieu pour montrer la vérité du miracle, puisque déjŕ les membres commençaient ŕ ętre décomposés par la putréfaction.
Au sens mystique, il sagit de
celui qui a lhabitude de pécher; IL SENT DÉJŔ, cest-ŕ-dire par une renommée
trčs mauvaise, dont, par le péché, sélčve une odeur trčs repoussante. Car de
męme que des bonnes uvres sexhale une bonne odeur, selon ce que dit lApôtre
: Pour Dieu nous sommes la bonne odeur du Christ de męme ŕ partir des uvres
mauvaises se diffuse une odeur mauvaise, puante. Et on dit aussi avec raison
quil date de quatre jours, comme pressé sous le poids des péchés terrestres et
des cupidités charnelles : la terre en effet est le dernier des quatre éléments
5 Sa puanteur
sélčvera, et sa putréfaction montera, parce quil a agi avec orgueil 6.
1547. Ŕ Marthe le Christ répondit en disant : NE TAI-JE PAS DIT QUE SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU?
Lŕ, le Seigneur semble reprocher ŕ Marthe de ne pas se souvenir de ce que le Christ lui avait dit : CELUI QUI CROIT EN MOI, MĘME SIL MEURT, VIVRA. Car Marthe défiait le Christ de pouvoir ressusciter un mort de quatre jours. En effet, alors quil avait récemment ressuscité quelques morts, elle croyait cependant cela impossible au sujet de son frčre, ŕ cause de la longue durée des jours 7. Et cest pourquoi le Seigneur lui dit : NE TAI-JE PAS DIT QUE SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU? cest-ŕ-dire le relčvement de ton frčre, par lequel Dieu sera glorifié.
Mais, bien que plus haut le
Seigneur ait dit aux Apôtres que ce miracle serait pour sa gloire, en disant :
AFIN QUE PAR ELLE SOIT GLORIFIÉ LE FILS DE DIEU, cest-ŕ-dire par la mort, ici
cependant il dit ŕ Marthe que ce miracle sera pour la gloire de Dieu. Et cela parce
que la gloire du Pčre est la męme que celle du Fils. Cest pourquoi il ne parle
pas explicitement ici de la gloire du Fils, pour ne pas troubler les Juifs qui
se tenaient lŕ, prompts ŕ la contradiction.
1548. Dans ces paroles du Seigneur, on fait comprendre deux fruits de la foi. Le premier est laccomplissement des mi racles, qui est dű ŕ la foi : Si vous aviez la foi comme un grain de sénevé, vous diriez ŕ cette montagne passe dici ŕ lŕ, et elle y passera; et rien ne vous sera impossible 8.
2. Ps 90, 12.
3. Is 57, 14.
4. 2 Co 2, 15. Saint Thomas commente s Il parle par similitude
de la Loi, oů il est dit que les sacrifices sont accomplis en odeur de suavité
trčs suave pour Dieu; cest comme sil disait Nous sommes un holocauste qui est
offert ŕ Dieu en odeur de suavité " (Ad 2 Cor. lori., II, n° 74).
5. Cf. saint AUGUSTIN, De diversis quaest. 83, q. 65, p. 230-233.
6. Jl 2, 20.
7. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In
loannem hom., LXIII, 2, PG 59, col. 350-35 1 THÉOPHYLACTE, Enarr. in Ev. S. bannis,
PG 124, col. 102-103.
8. Mt 17, 19.
Cest pourquoi aussi lApôtre disait : Quand jaurais la foi jusquŕ transporter les montagnes 1. Et en saint Marc il est dit : Et ceux-ci pręchčrent partout, le Seigneur coopérant et confirmant leur parole par les signes qui la suivaient 2, Et certes cet accomplissement des miracles est pour la gloire de Dieu; cest pourquoi il dit : SI TU CROIS,
TU
VERRAS LA GLOIRE DE DIEU.
Le second fruit est la vision de la gloire éternelle, qui est due ŕ la foi, comme récompense. Cest pourquoi il dit : TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU. Et selon une version dIsaďe : Si vous navez pas cru, vous ne comprendrez pas 3. Nous voyons ŕ présent par le moyen dun miroir, en énigme, par la foi; mais alors ce sera face ŕ face 4.
ILS
ÔTČRENT DONC LA PIERRE.
1549. LÉvangéliste expose laccomplissement du commandement en mettant en avant : ILS ÔTČRENT DONC LA PIERRE. Lŕ il faut considérer, selon Origčne 5, que le retard ŕ enlever la pierre placée lŕ a été causé par la sur du défunt. Et cest pourquoi la résurrection de son frčre a été retardée aussi longtemps quelle a retenu le Christ par des paroles; mais, dčs que, en obéissant, elle suit jusquau bout le commandement du Christ, son frčre est ressuscité. Pour que, par lŕ, nous apprenions ŕ ne rien interposer entre les ordres de Jésus et leur exécution, si nous désirons que leffet du salut sensuive aussitôt A linstant oů son oreille ma entendu, il ma obéi 6.
III
JÉSUS,
LES YEUX LEVÉS EN SAUT, DIT : "PČRE, JE TE RENDS GRÂCES DE MAVOIR
ÉCOUTÉ. MOI JE SAVAIS QUE TU MÉCOUTES TOUJOURS; MAIS CEST Ŕ CAUSE DE LA FOULE
QUI MENTOURE QUE JAI PARLÉ, AFIN QUILS CROIENT QUE CEST TOI QUI MAS ENVOYÉ.
"
1550. Il sagit ici de
la pričre du Christ, dans laquelle il rend grâces. A propos de cette pričre
lEvangéliste expose quatre choses. Dabord il montre la maničre de prier, puis
lefficacité de la pričre [n° 1553].
Ensuite il exclut la nécessité de prier [n° 1554], enfin il souligne lutilité de la pričre [n° 1555].
1551. Il montre que la maničre de prier convient. JÉSUS, LES YEUX LEVÉS EN HAUT, DIT, cest-ŕ-dire : il éleva son intelligence, lamenant par la pričre vers le Pčre [qui est] le Trčs-Haut. Ainsi, pour nous, si nous voulons prier, ŕ lexemple de la pričre du Christ, il est nécessaire de lever les yeux de notre esprit vers Dieu en les détournant des choses présentes, de la mémoire, des pensées et des intentions 7.
1. 1 Corinthiens 13, 2.
2. Mc 16, 20.
3. Is 7, 9. Cf. n 600, note 2 et n 995, note 3.
4. 1 Corinthiens 13, 12. Saint
Thomas commente : "Il faut savoir que quelque
chose de sensible peut ętre vu de trois maničres : soit par sa présence dans la
réalité qui voit, comme la lumičre elle-męme qui est présente ŕ lil; soit par
la présence, dans le sens, de sa similitude immédiatement dérivée de la réalité
elle-męme, comme la blancheur qui est vue sur le mur la blancheur elle-męme
nest pas présente dans lil mais sa similitude, bien que la similitude
elle-męme ne soit pas vue par lil; soit par la présence dune similitude qui
nest pas immédiatement dérivée de la réalité elle-męme, mais qui est dérivée
dune similitude de la réalité dans quelque chose dautre, comme quand on voit
un homme par le moyen dun miroir. En effet, la similitude de lhomme nest pas
immédiatement dans lil; [ce qui y est,] cest la similitude de lhomme
reflétée dans le miroir. Si nous parlons ainsi de la vision de Dieu, je dis que
seul Dieu se voit lui-męme dune connaissance naturelle, parce quen Dieu
lessence et lintelligence sont identiques, et cest pourquoi son essence est
présente ŕ son intelligence. Mais de la seconde maničre, peut-ętre les anges
voient-ils Dieu dune connaissance naturelle en tant quune similitude de
lessence divine se reflčte dune maničre immédiate en eux. Mais nous, cest de
la troisičme maničre que nous connaissons Dieu en cette vie, en tant que nous
connaissons les réalités invisibles de Dieu par les créatures, comme il est dit
dans lépître aux Romains (1, 20). Et ainsi, toute la création est pour nous
comme un miroir, parce quŕ partir de lordre, de la bonté et de la grandeur
qui sont causées dans les réalités par Dieu, nous venons ŕ la connaissance de
la sagesse, de la bonté et de léminence divine. Et cette connaissance est dite
vision dans un miroirs" (Ad I Cor. lect., XIII, n 800).
5. Commentaria in evangelium bannis,
XXVIII, 3, PG 14, col. 683 A-686 A.
6. Ps 17, 45.
7. Cf. ORIGĘNE, Commentaria in
evangelium bannis, XXVIII, 4-5, PG 14, col. 686 A-694 A.
Nous levons aussi les yeux
vers Dieu quand, ne mettant pas notre confiance dans nos mérites, nous espérons
en la seule miséricorde de Dieu, selon cette affirmation : Vers toi jai levé
les yeux, qui habites dans les cieux; les voici comme les yeux des serviteurs
vers les mains de leurs maîtres, comme les yeux de la servante vers les mains
de sa maîtresse; ainsi nos yeux vers le Seigneur notre Dieu, jusquŕ ce quil
ait pitié de nous 1 Elevons
nos curs avec nos mains vers le Seigneur qui est dans les cieux 2.
1552. Il montre lefficacité de la pričre quand il dit : PČRE, JE TE RENDS GRÂCES DE MAVOIR ÉCOUTÉ. Et en cela nous avons une preuve que Dieu est [toujours] disposé ŕ donner avec largesse, selon le psaume : Le désir des pauvres, le Seigneur la exaucé, de telle sorte quil exauce le désir avant męme quon profčre des paroles A la voix de ta clameur, aussitôt quil lentendra, il te répondra 4. Eux parlant encore, je dirai : Me voici présent 5. Il est donc dautant plus ŕ propos de penser du Seigneur sauveur que Dieu le Pčre, prévenant sa pričre, lexaucerait. Car les larmes que le Christ avait versées pour la mort de Lazare ont eu le rôle de pričre.
Par le fait quil rend grâces
au commencement de la pričre, nous est donné lexemple que, lorsque nous
voulons prier nous devons, avant de demander des choses futures, rendre grâces
ŕ Dieu pour les bienfaits reçus En toutes choses rendez grâces 6.
1553. La parole : DE MAVOIR ÉCOUTÉ, si on lentend du Christ en tant quil est homme, ne présente pas de difficulté. En tant quhomme en effet, le Christ était moindre que le Pčre; et ainsi il lui convient de prier le Pčre et dętre exaucé par lui. Mais si, comme le veut Chrysostome 7, on lentend du Christ selon quil est Dieu, alors cette parole présente une difficulté; car selon quil est Dieu, il ne lui convient pas de prier ni dętre exaucé, mais plutôt dexaucer les pričres des autres.
Et cest pourquoi il faut dire
que quelquun est écouté quand sa volonté est accomplie. Or la volonté du Pčre
est toujours accomplie, comme il est dit dans le psaume : Tout ce quil a
voulu, il la fait 8. Donc,
puisque la volonté du Pčre et du Fils est la męme, toutes les fois que le Pčre
accomplit sa volonté, il accomplit la volonté du Fils. Le Fils dit donc, en
tant que Verbe : JE TE RENDS GRÂCES DE MAVOIR ÉCOUTÉ, cest-ŕ-dire, tu as fait
ce qui était dans ton Verbe pour ętre fait Car il a dit, et cela a été fait 9.
1554. Il exclut la
nécessité de prier en disant : MOI JE SAVAIS QUE TU MÉCOUTES TOUJOURS. Lŕ, le
Seigneur montre sa divinité comme dune maničre obscure, comme sil disait :
pour faire ma volonté, je nai pas besoin de pričre, parce que depuis
léternité ma volonté est accomplie
En tout il fut exaucé ŕ cause de sa révérence 10. CAR MOI, JE SAVAIS, cest-ŕ-dire avec
certitude, QUE TOUJOURS moi, le Verbe, TU MÉCOUTES, parce que tout ce que tu
fais est en moi pour ętre fait.
1. Ps 122, 1-2.
2. Lm 3, 41.
3. Ps 9, 17.
4. Is 30, 19.
5. Is 65, 24. En réalité, saint Thomas mélange ici deux versets dIsaďe : 65,
24 Eux parlent encore, jécouterai -et 58, 9 Alors tu invoqueras, et le
Seigneur exaucera; tu crieras, et il dira : Me voics présent.
6. 1 Th 5, 18. Saint Thomas commente ce verset en le rattachant
â son interprétation du verset qui précčde Priez sans cesse (1 Th 5, 17). Il
dit que nous devons "prier pour les bienfaits que nous devons recevoir, et
rendre grâces pour ceux que nous avons reçus. " Cest pourquoi lApôtre
dit : "En toutes choses, cest-ŕ-dire dans le bien comme dans ladversité,
rendez grâces Toutes choses coopčrent au bien de ceux qui aiment Dieu (Rm 8,
28)... " (Ad 1 Thess. lect., V, n° 131).
7. In loannem hom., LXIV, l-2, PG 59,
col. 355-357.
8. Ps 113 (B), 3.
9. Ps 32, 9. Cf. n° 68s.
10. He 5, 7. Saint Thomas commente : "Lefficacité de la pričre du
Christ est montrée ŕ partir de la maničre de prier. Deux choses Sont en effet
nécessaires ŕ celui qui prie un amour fervent, et de męme la douleur et le
gémissement. De ces deux aspects le psaume dit : Seigneur, tout mon désir est
devant toi, pour ce qui est du premier; et mon gémissement ne ta pas été
caché, quant au second (Ps 37, 10). Or le Christ a eu ces deux choses. Cest
pourquoi lApôtre dit, ŕ cause de la premičre [chose nécessaire], avec un cri
puissant, cest-ŕ-dire avec une intention trčs efficace. Entré en agonie, il
priait de façon plus ardente (Le 22, 43). Et il dit en clamant : Pčre, entre
tes mains, je remets mon esprit (1-c 23, 46). A propos de la seconde, il dit :
et des larmes. Par les larmes, en effet, lApôtre exprime le gémissement
intérieur de celui qui prie. Cela, on ne le lit pas dans lEvangile, mais il
est probable que, de męme quil a pleuré lors de la résurrection de Lazare, [il a pleuré] dans sa Passion. Car il a fait
beaucoup de choses qui nont pas été écrites. Il na cependant pas pleuré pour
lui-męme, mais pour nous, ŕ qui sa Passion a été utile. Pour lui, elle a été
utile en tant que cest par elle quil a mérité dętre exalté Cest pourquoi
Dieu la exalté et la gratifié du Nom qui est au-dessus de tout nom. Et cest
pourquoi il a été exaucé ŕ cause de sa révérence, révérence quil avait envers
Dieu plus que tous les hommes. Lesprit de la crainte du Seigneur le remplira
(Is 11, 3) s (Ad Haeb. lect., V, n° 256). Dans la Somme théologique, saint
Thomas rattache la révérence ŕ laction du don de crainte dans lâme du Christ.
La crainte divine est dans lâme humaine du Christ " selon quelle regarde
léminence divine elle-męme, dans la mesure oů lâme du Christ était mue en
Dieu, par un certain amour de révérence, ŕ partir de laction de lEsprit
Saint" (III; q. 7, a. 6). Voir aussi M-D. PHILIPPE, Le Mystčre du Christ
crucifié et glorifié, II, 1, 2, "Bienheureux le pauvre
Roi-Serviteur", p. 106 s.
1555. De męme, moi, homme, TU MÉCOUTES TOUJOURS, parce que ma volonté est toujours conforme ŕ ta volonté, MAIS CEST Ŕ CAUSE DE LA FOULE QUI MENTOURE QUE JAI PARLÉ, AFIN QUILS CROIENT QUE CEST TOI QUI MAS ENVOYÉ. En cela il nous est donné ŕ entendre quil a fait et dit beaucoup de choses en vue de lutilité des autres Cest un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez vous aussi, comme moi jai fait pour vous 1. Car toute action du Christ nous instruit.
Or le Christ voulut spécialement démontrer par cette pričre quil nétait pas étranger au Pčre, mais quil le reconnaissait comme son principe. Et cest pourquoi il ajoute AFIN QUILS CROIENT QUE CEST TOI QUI MAS ENVOYÉ Telle est la vie éternelle : quils te connaissent toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ 2 Dieu envoya son Fils, né dune femme, né sous la Loi 3. Et en cela est montrée lutilité de la pričre.
IV
ET
APRČS AVOIR DIT CELA, IL CRIA DUNE VOIX FORTE : "LAZARE, VIENS DEHORS
! ET AUSSITOT, CELUI QUI AVAIT ETE MORT SORTIT, LES PIEDS ET LES MAINS LIÉS DE
BANDELETTES; ET SON VISAGE ÉTAIT ENVELOPPÉ DUN SUAIRE. JÉSUS LEUR DIT :
"DELIEZ-LE ET LAISSEZ-LE ALLER. "
1556. Ici lÉvangéliste traite du relčvement de Lazare, et ŕ ce sujet fait trois choses. Dabord il montre la voix de celui qui le fait se dresser, puis leffet de la voix [n° 1558], enfin le commandement de délier celui qui sest redressé [n° 1559].
ET
APRČS AVOIR DIT CELA, IL CRIA DUNE VOIX FORTE : "LAZARE, VIENS DEHORS.
"
1557. Or il montre que la voix de celui qui le fait se dresser est forte; cest pourquoi il dit : APRČS AVOIR DIT CELA il sagit de Jésus , IL CRIA DUNE VOIX FORTE; et ceci au sens littéral, pour détruire lerreur des Gentils et de certains Juifs qui disent que les âmes des morts sattardent dans les tombeaux avec les corps 4. Cest pourquoi il clame, comme faisant venir de loin lâme qui ne se trouve pas dans le tombeau.
Ou bien il faut affirmer, et cest mieux, que la voix du Christ est dite forte ŕ cause de la grandeur de sa puissance.
1. Jn 13, 15.
2. Jn 17, 3.
3. Ga 4, 4. Saint Thomas commente
: "Il a envoyé son Fils, cest-ŕ-dire
son propre Fils, Fils selon la nature [divine]. Et sil est Fils, il est donc
aussi héritier (cf. Ga 4, 7). Il dit donc son Fils, cest-ŕ-dire son propre
Fils, selon la nature et unique engendré, non pas adoptif Dieu a tellement
aimé le monde quil a donné le Fils, lUnique (Jean 3, 16). Il la envoyé,
dis-je, non séparé de lui, parce quil a été envoyé du fait quil a assumé la
nature humaine, et cependant il était dans le sein du Pčre Lunique engendré,
qui est dans le sein du Pčre, éternellement (Jean 1, 18) Personne nest monté
au ciel si ce nest celui qui est descendu du ciel, le Fils de lhomme qui est
au ciel Un 3, 13), lui qui, bien quil soit descendu par lassomption de la
chair, est cependant dans le ciel. De męme il la envoyé, mais non pas pour
quil soit lŕ oů il nétait pas auparavant; parce que, bien quil soit venu
chez les siens (1, 11] par la présence de la chair, il était cependant dans le
monde par la présence de la divinité, comme il est dit dans lévangile de Jean
(1, 14). De męme, il ne la pas envoyé comme un serviteur, parce que sa mission
fut lassomption de la chair et non labandon de la majesté. " (Ad Gal.
lect., IV, n° 202).
4. Saint Thomas reprend ici un développement de TuČopi-w LACTE
(Enarr. in Ev. S. Ioannis, chap. 11, PG 124, col. 106 A) qui suit OISIGČNE
(Comm. in ev. bannis, XXVIII, 5, col. 690 D-691 A).
Car sa puissance fut si grande quil ressuscita Lazare de la mort, comme celui qui dort est tiré du sommeil 1. Cest pourquoi le psaume dit : Il a donné ŕ sa voix une voix de puissance 2. Aussi, cette voix forte est représentative de cette voix forte qui sera [entendue] ŕ la résurrection commune par laquelle tous seront ressuscités des tombeaux 3 Au milieu de la nuit, une clameur retentit 4. Il crie donc en disant : LAZARE, VIENS DEHORS. Il appelle celui-ci par son nom propre, parce que si grande était la puissance de sa voix quensemble tous les morts auraient été contraints de sortir si, par lexpression du nom, il neűt pas déterminé sa puissance vers un seul, comme Augustin le dit dans le livre De Verbis Domini 5. Aussi est-il donné par lŕ ŕ entendre que le Christ appelle les pécheurs ŕ sortir de la fréquentation du péché Sortez delle, mon peuple 6 , et męme de son occultation, en manifestant le péché lui-męme par la confession Si, comme un homme, jai caché mon péché 7.
LEFFET DE LA VOIX ET AUSSITÔT, CELUI QUI AVAIT ÉTÉ MORT
SORTIT, LES PIEDS ET LES MAINS LIÉS DE BANDELETTES; ET SON VISAGE ÉTAIT
ENVELOPPÉ DUN SUAIRE.
1558. Ici lÉvangéliste montre leffet de la voix. Et dabord il montre la résurrection du mort, ensuite la disposition du mort qui ressuscite.
Certes la résurrection du mort fut rapide, au commandement du Seigneur. Cest pourquoi il dit ET AUSSITÔT CELUI QUI AVAIT ÉTÉ MORT SORTIT. La puissance de la voix du Christ était si grande que sans aucun retard elle a conféré la vie; comme il en sera lors de la résurrection commune 8 quand, en un clin dil 9, les morts entendant la trompette sonner, les morts qui sont dans le Christ ressusciteront les premiers, comme il est dit dans la premičre épître aux Thessaloniciens 10. Déjŕ en effet est anticipée 11 la mission [officium] du Christ, dont il est dit plus haut : Elle vient lheure, et cest maintenant, oů les morts qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui lauront entendue vivront 12. Ainsi donc est accompli ce quavait dit le Seigneur : Mais je men vais le tirer du sommeil 13.
1. Cf. n°1496.
2. Ps 67, 34.
3. Cf. TI Ennar. in ev. S. bannis, chap.
11, PG 124, col. 106 A.
4. Mt 25, 6.
5. Serm. XCV! (App.), PL 5, 2, col. 1
931.
6. Ap 18, 4.
7. Jb 31, 33. En commentant ce verset, saint Thomas note que
souvent les hommes cachent leurs fautes soit en les niant, soit en les
excusant, soit encore en les masquant par des artifices astucieux (Exp. super
Job, 31, 33, p. 169, I 334-340).
8. Cf. THÉOPHYL Enarr. in ev. S. Ioannis,
chap. 11, PG 124, col. 106 A.
9. 1 Corinthiens 15, 52.
10. 1 Th 4, 15. Saint Thomas commente : "Tous meurent et toua ressuscitent, et cela en męme temps. LApôtre
ne dit pas ici que ceux-ci ressuscitent avant ceux-lŕ, mais que ceux-ci
ressuscitent avant que ceux-lŕ ne rencontrent. En effet lApôtre ne pose pas
ici lordre dune résurrection par rapport ŕ une résurrection, mais un ordre
par rapport au rapt ou â la rencontre. Car lorsque le Seigneur viendra,
mourront ceux qui seront trouvés vivants, puis aussitôt, ressuscitant avec ceux
qui étaient morts auparavant, ils seront emportés dans les nuées, comme
lApôtre le dit ici. Mais il y a cette différence entre les bons et les
mauvais, que ceux-ci resteront sur la terre quils ont aimée, et que les bons
seront emportés vers le Christ quils ont cherché Lŕ oů aura été le corps, lŕ
aussi se rassembleront les aigles (Mt 24, 28). Et, dans la résurrection, les
saints seront conformés au Christ non seulement quant ŕ la gloire du corps (cf.
Ph 3, 21), mais aussi quant au situs, parce que le Christ sera dans la nuée
Et une nuée le déroba ŕ leurs yeux. Il viendra de la męme maničre que vous
lavez vu sen aller vers le ciel (Ac 1, 9 et 11). Cest ainsi que les saints
eux aussi seront emportés dans les nuées. Et pourquoi cela? Pour montrer quils
sont déiformes. En effet, dans lAncien Testament, la gloire du Seigneur est
apparue sous la forme dune nuée... " (Ad I Thess. lect., IV, n° 103).
11. Nous gardons ici le texte de lédition Marietti, qui porte
anticipatur, la léonine proposant avec réserve la correction mancipatur est
aliéné.
12. Jn 5, 25.
13. Jn 11, 11.
Quant ŕ la disposition de celui qui ressuscite, il est dit lié, cest-ŕ-dire ayant LES MAINS ET LES PIEDS LIÉS, liés de bandelettes, avec lesquelles les anciens enveloppaient les morts; ET SON VISAGE ÉTAIT ENVELOPPÉ DUN SUAIRE, pour ne pas faire horreur. Cest pourquoi le Christ ordonna ŕ celui qui était lié et tout entier recouvert, de ressusciter, pour que le miracle fűt mieux reconnu comme vrai.
JÉSUS
LEUR DIT : "DÉLIEZ-LE ET LAISSEZ-LE ALLER. "
1559. Ici, le Christ
commande quil soit délié. Et la raison en est que ceux-lŕ męmes qui le
déličrent furent des témoins plus confiants du miracle et eurent une mémoire
plus tenace de ce qui arriva. Pareillement aussi, en le touchant et en
sapprochant de lui, ils verraient que cest vraiment lui. Et cest pourquoi il
ajoute : ET LAISSEZ-LE ALLER, pour montrer que le miracle nest pas imaginaire.
En effet on a parfois vu des "mages" qui ont ressuscité des
morts, mais ils nont pu cependant les conduire ŕ reprendre les charges quils
avaient précédemment. Et cétait certes parce que leur résurrection était
seulement imaginaire, et non pas vraie 1.
1560. Or il faut savoir que tout cela est exposé mystiquement par Augustin, et cela de deux maničres, selon deux maničres de sortir.
En effet le pécheur sort quand, en faisant pénitence, il se dégage de lhabitude du péché pour aller vers létat de justice Sortez du milieu deux et séparez-vous 2. Celui-ci a cependant les mains liées par des bandelettes, cest-ŕ-dire par les concupiscences charnelles; parce que tant que nous sommes établis dans un corps nous ne pouvons pas ętre séparés des difficultés, męme en nous relevant des péchés; cest pourquoi lApôtre dit : Moi-męme je suis asservi par lesprit ŕ la loi de Dieu, et par la chair ŕ la loi du péché 3. Et si sa face était recouverte dun suaire, cest que, dans cette vie, nous ne pouvons avoir la pleine connaissance de Dieu Nous voyons ŕ présent par le moyen dun miroir, en énigme, mais alors ce sera face ŕ face 4. Et cest pourquoi il ordonne de le délier et de le laisser aller; parce que, aprčs cette vie, tous les voiles seront ôtés pour ceux qui se relčvent du péché, afin quils contemplent Dieu face ŕ face, comme il est dit dans la premičre épître aux Corinthiens 5. Alors en effet sera déliée la corruptibilité du corps qui est comme un lien liant lâme et lalourdissant 6, léloignant [ainsi] de toute contemplation pléničre et lumineuse telle [que celle dont on vient de parler] Délie les liens de ton cou, fille de Sion captive 7. Ainsi apparaît une maničre spirituelle de sortir, qui est exposée par Augustin dans le Livre des quatre-vingt-trois questions 8.
Il y a une autre maničre de
sortir; cest par la confession, dont il est dit : Qui cache ses crimes ne sera
pas dirigé; mais qui les aura confessés et les aura abandonnés obtiendra
miséricorde 9. Ainsi en
effet, savancer cest, comme en sortant de ce qui est caché, ętre dévoilé par
la confession. Mais pour que tu confesses, Dieu agit par la voix, cest-ŕ-dire
la grâce, en appelant dune voix forte 10. Or le mort qui savance encore lié, cest celui qui confesse en étant
encore coupable. Pour que ses péchés soient déliés, il est demandé aux
ministres de le délier et de le laisser aller.
1. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In Ioannem
hom., LXIII, 3, PG 59, col. 358.
2. 2 Co 6, 17.
3. Rm 7, 25.
4. 1 Corinthiens 13, 12.
5. Ibid.
6. Corruptibilitas corporis, quae est [... ] aggravans animam. Il
y a ici une réminiscence trčs nette de Sg 9, 15 Corpus quod corrumpitur
aggravat animam.
7. Is 52, 2.
8. Livre des quatre-vingt-trois questions, q. 65, BA 10, p. 232-233.
9. Pr 28, 13.
10. Tract, in Ioann., xux, 24, BA 735, p. 248-25 1.
Car celui que le Christ vivifie
par lui-męme intérieurement, les disciples le délient, parce que ceux qui sont
vivifiés sont absous par le ministčre des prętres Tout ce que tu auras délié
sur la terre, sera délié aussi dans les cieux 1.
1561. Mais certains de ceux qui accomplissent ce ministčre disent que de męme que le Christ a vivifié Lazare par lui-męme et a commandé aux disciples de délier celui qui a été vivifié, de męme Dieu vivifie intérieurement lâme par la grâce, en remettant la faute et en absolvant de la culpabilité de la peine éternelle; tandis que les prętres absolvent, par le pouvoir des clefs, seulement du côté de la peine temporelle.
Mais cette position attribue trop peu aux clefs de lEglise. Cest en effet le propre des sacrements de la loi nouvelle, quen eux soit conférée la grâce. Or les sacrements consistent dans laction męme des ministres 2. Cest pourquoi, dans le sacrement de pénitence, la contrition et la confession se trouvent, matériellement, du côté de celui qui reçoit le sacrement; tandis que la puissance causale du sacrement est dans labsolution du prętre, en vertu du pouvoir des clefs par lesquelles il applique en quelque sorte leffet de la Passion du Seigneur ŕ celui quil absout, pour quil obtienne la rémission. Si donc le prętre nabsolvait que de la peine, le sacrement de pénitence ne conférerait pas la grâce par laquelle la faute est remise. Et par conséquent il ne serait pas un sacrement de la loi nouvelle.
Il faut donc dire que, de męme que dans le sacrement du baptęme le prętre, en proférant les paroles et en lavant extérieurement, effectue le ministčre du baptęme, le Christ baptisant intérieurement, de męme le prętre accomplit extérieurement par la puissance des clefs le ministčre de labsolution, le Christ remettant intérieurement la faute par la grâce.
1. Mt 16, 19.
2. In dispensatione ministrorum. Sur la dispensano en général,
voir n° 762, note 4 et n°1520, note 1.
1562. Mais il semble y avoir ici une différence du fait que, la plupart du temps, accčdent au baptęme des enfants non justifiés avant le baptęme, qui obtiennent dans le baptęme la grâce de la rémission; tandis que pour obtenir labsolution, arrivent la plupart du temps des adultes ayant déjŕ obtenu auparavant, par la contrition, la rémission des péchés. De sorte quainsi labsolution qui suit semblerait ne rien faire pour la rémission des péchés.
Mais si on considérait cela attentivement, en recevant des adultes dans lun et lautre sacrements, on trouverait une similitude de toute maničre. Il arrive en effet que des adultes, avant dobtenir le sacrement du baptęme en acte, ayant celui-ci par le désir, obtiennent la rémission des péchés, baptisés du baptęme de lEsprit Saint. Et cependant le baptęme qui suit, pris en lui-męme, opčre la rémission des péchés, bien que dans celui ŕ qui les péchés sont déjŕ remis, cela nait pas lieu il obtient seulement une augmentation de grâce. Mais si un adulte avant le baptęme nétait pas parfaitement disposé ŕ obtenir la rémission des péchés, pendant quil est baptisé il obtient, dans lacte lui-męme, la rémission par la puissance du baptęme, sil noppose pas, par feinte, dobstacle ŕ lEsprit Saint.
Et il faut dire de męme dans la pénitence. Si quelquun en effet, avant labsolution du prętre, est pleinement contrit, il obtient la rémission des péchés du fait quil a dans le désir de se soumettre aux clefs de lEglise, désir sans lequel il ny aurait pas de vraie contrition. Mais si auparavant la contrition suffisant pour la rémission nétait pas pléničre, il obtient dans labsolution elle-męme la rémission de la faute, du moment quil noppose pas dobstacle ŕ lEsprit Saint. Et il en va de męme dans lEucharistie, lextręme-onction et dans les autres sacrements de la loi nouvelle.
1563. Aprčs avoir montré la mort de Lazare et sa résurrection, lEvangéliste montre ici leffet de la résurrection, dabord sur la foule, puis sur les princes des prętres [n° 1566].
BEAUCOUP
DONC DENTRE LES JUIFS QUI ÉTAIENT VENUS AUPRČS DE MARIE ET DE MARTHE, ET QUI
AVAIENT VU CE QUE JÉSUS AVAIT FAIT, CRURENT EN LUI MAIS CERTAINS DENTRE EUX
SEN ALLČRENT VERS LES PHARISIENS ET LEUR DIRENT CE QUAVAIT FAIT JÉSUS.
1564. Ŕ propos du premier point, il fait deux choses. Dabord, il en présente certains qui croyaient, en disant : BEAUCOUP DONC DENTRE LES JUIFS QUI ÉTAIENT VENUS AUPRČS DE MARIE ET DE MARTHE, pour les consoler, ET QUI AVAIENT VU CE QUE JÉSUS AVAIT FAIT, CRURENT EN LUI A cela rien détonnant, parce quon na jamais entendu parler dun tel miracle, ŕ savoir quun mort dans le tombeau depuis quatre jours ait été ressuscité ŕ la vie. Pareillement, le Seigneur dit quil devait faire ce miracle ŕ cause du peuple qui se tenait alentour, cest-ŕ-dire pour quils croient en lui. Et cest pourquoi cette parole ne fut pas prononcée en vain, mais ŕ partir du miracle vu, beaucoup crurent Les Juifs demandent des signes 1.
MAIS
CERTAINS DENTRE EUX SEN ALLČRENT VERS LES PHARISIENS ET LEUR DIRENT CE
QUAVAIT FAIT JÉSUS.
1565. En second lieu, il en présente certains qui dénoncent le Christ On peut entendre cela de deux maničres 2 Soit quils dirent aux princes des prętres ce que Jésus avait fait, pour les adoucir vis-ŕ-vis de Jésus et pour les confondre au sujet de ce quils machinaient contre lui, qui faisait des choses si étonnantes.
Soit, et cela est mieux, quils dirent cela pour les exciter contre le Christ. Car ils étaient infidčles, et se scandalisaient du miracle. Et cela ressort avec évidence de la façon męme de parler. Car quand il avait dit : BEAUCOUP DONC DENTRE LES JUIFS QUI ÉTAIENT VENUS AUPRČS DE MARIE ET DE MARTHE, ET QUI AVAIENT VU CE QUE JÉSUS AVAIT FAIT, CRURENT EN LUI, il ajoute comme par opposition : MAIS CERTAINS DENTRE EUX SEN ALLČRENT VERS LES PHARISIENS, eux dont il est dit plus loin : Bien que Jésus eűt fait tant de signes devant eux, ils ne crurent pas en lui [...] ils aimčrent en effet la gloire des hommes plus que la gloire de Dieu 3.
1. 1 Corinthiens 1,22.
2. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in In., XLIX,
25, BA 738, p. 250-253.
3. Jn 12,37 et 43.
1566. Puis lÉvangéliste montre leffet du miracle sur les princes des prętres, dabord en exposant la malice quils imaginčrent contre le Christ, puis en montrant comment le Christ sy est dérobé [n° 1582].
La malice quils imaginent
contre le Christ.
Ŕ propos du premier point, il commence par montrer la réunion du conseil, puis le doute de ceux qui sont rassemblés [n° 1568]; enfin il précise la détermination qui lčve ce doute [n° 1573].
1567. Lindignité des grands prętres ressort de trois choses. Dabord par la condition des personnes, parce quils ne sont pas plébéiens mais GRANDS PRĘTRES et PHARISIENS. Les grands prętres avaient lautorité sur le culte, tandis que les pharisiens avaient une apparence de religion, de sorte que soit accompli ce qui est dit dans la Genčse : Siméon et Lévi sont frčres, vases diniquité qui font la guerre 1. Car les fondateurs de la secte des pharisiens furent de la tribu de Siméon. Et il est manifeste que les grands prętres furent de la tribu de Lévi La main des chefs et des magistrats fut la premičre dans cette transgression.
[Leur indignité ressort aussi] de la délibération de la malice; cest pourquoi il dit : ils RÉUNIRENT DONC UN CONSEIL, ce qui fut fait pour délibérer : Que mon âme n'entre pas dans leur conseil Heureux lhomme qui nest pas allé au conseil des impies Mais comme il est dit dans le livre des Proverbes : Il n'est pas de conseil contre le Seigneur 6.
Enfin, elle ressort de leur intention mauvaise qui est contre Jésus, cest-ŕ-dire contre le Sauveur : Mes ennemis murmuraient contre moi, contre moi. Ils ruminaient des choses mauvaises pour moi 7 Venez, ruminons des projets contre Jérémie 8.
1. Gn 49, 5.
2. Saint Thomas se réfčre ici ŕ une interprétation suggérée par
le commentaire de saint Jérôme sur Gn 49, 5 (Hebraicae quaestiones in Genesis;
CCL, vol. LXXII, p. 53).
3. Esd 9, 2.
4. Gn 49, 6.
5. Ps 1,1.
6. Pr 21, 30.
7. Ps 40, 8.
8. Jr 18, 18.
II
ET
ILS DISAIENT : "QUE FAISONS-NOUS? CAR CET HOMME FAIT DE NOMBREUX SIGNES.
SI NOUS LE LAISSONS AINSI, TOUS CROIRONT EN LUI, ET LES ROMAINS VIENDRONT, ET
ILS DÉTRUIRONT NOTRE LIEU ET NOTRE NATION. "
1568. Puis lÉvangéliste
montre leur doute, dabord en exposant ce qui a suscité le doute, puis la
matičre du doute [n° 1570].
1569. Les miracles du Christ les incitaient ŕ douter; cest pourquoi ils disaient : QUE FAISONS-NOUS? CAR CET HOMME FAIT DE NOMBREUX SIGNES. Ils sont aveugles, lappelant encore "homme", lui dont la divinité leur a été démontrée avec tant [d'éclat] 1. Car, comme lui-męme le dit plus haut : Les uvres que le Pčre ma données ŕ accomplir, ce sont elles męmes qui rendent témoignage ŕ mon sujet 2 Mais ils ne sont pas moins insensés quaveugles, parce quils doutent de ce quils doivent faire, alors quil ne leur fallait rien faire dautre que croire 3. Plus haut ils ont dit : Quel signe fais-tu, pour que nous croyions en toi 4? Mais voilŕ quil a fait beaucoup de signes et ils disent encore : PUISQUE CET HOMME FAIT DE NOMBREUX SIGNES En effet leur malice les a aveuglés 5.
1570. La matičre du doute fut quils craignaient les dommages qui suivraient ces signes. A ce propos, lEvangéliste montre deux choses.
Dabord la perte de la prééminence spirituelle. Et quant ŕ cela il dit : SI NOUS LE LAISSONS AINSI, TOUS CROIRONT EN LUI, ce qui certes était souhaitable pour tous, selon la vérité de la réalité, car la foi qui est en le Christ 6 sauve et conduit ŕ la vie éternelle Ces [signes] ont été écrits pour que vous croyiez que Jésus est le Fils de Dieu et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom 7.
Mais quant ŕ leur mauvaise
intention, cela leur semblait redoutable : ils croyaient en effet quaucun de
ceux qui croiraient en le Christ ne leur obéirait. Ainsi, ŕ cause de leur
ambition, ils se soustraient eux-męmes au salut, et dautres [avec eux]. Cest
pourquoi il est dit dans la troisičme épître canonique de Jean : Mais
Diotréphčs, lui qui aime ŕ y tenir la premičre place, ne nous reçoit pas 8.
1571. Puis il montre lambition de la possession temporelle, quand il dit : ET LES ROMAINS VIENDRONT ET ILS DÉTRUIRONT NOTRE LIEU ET NOTRE NATION, ce qui semble ętre une conséquence de [la foi en le Christ], selon Augustin. Parce que si tous croyaient en le Christ, personne ne resterait pour défendre le Temple de Dieu contre les Romains, car ils abandonneraient le Temple saint et les lois de leurs pčres, contre lesquelles ils estimaient quallait lenseignement du Christ 9.
Mais cela ne semble pas beaucoup convenir ŕ leur dessein, puisque jusque-lŕ ils étaient asservis aux Romains et navaient pas songé ŕ déclencher une guerre contre eux.
Cest pourquoi il semble meilleur de dire, selon Chrysostome 10, quils disaient cela parce quils voyaient le Christ ętre honoré par le peuple comme sil était roi. Et parce que le commandement des Romains était quaucun roi ne soit nommé, si ce nest par eux, [les princes des prętres] craignaient que si les Romains entendaient cela ŕ savoir quils avaient le Christ comme roi , ils penseraient que les Juifs eux-męmes étaient rebelles et, venant contre eux, ils détruiraient la cité et la nation Quiconque se fait roi soppose ŕ César 11.
1. Cf. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, In loannem
hom., LXIII, 3, PG 59, col. 358.
2. Jn 5, 36.
3. Cf. ORIGÉNE, Gomm. in ev. Ioannis, XXIII, PG 14, col. 703 C-D.
4. b 6, 30.
5. Sg 2,21.
6. Fides quae est in Ghristum. Dans la Somme théologique, saint
Thomas distingue, ŕ propos de lacte intérieur de la foi credere Deum, credere
Deo, credere in Deum (cf. II-II, q. 2, a. 2). Credere in Deum regarde le lien
de lintelligence et de la foi, en tant que lintelligence est mue ŕ croire par
la volonté " Si on considčre lobjet de la foi selon que lintelligence
est mue par la volonté, alors on affirme que lacte de foi, cest croire en
Dieu : en effet, la Vérité premičre se réfčre ŕ la volonté selon quelle a
raison de fins (ibid.). La foi est ainsi une connaissance affective impliquant
la coopération de lintelligence et de la volonté elle nous lie dans lamour ŕ
la personne de Dieu qui se révčle et se donne ŕ nous. Voir n° 901.
7. Jn 20, 31.
8. 3 Jn 9.
9. Tract, in fa., XLIX, 26, BA 73B, p. 252-253.
10. In Ioannem hom., LXIV, 3, PG 59, col.
359.
11. Jn 19, 12.
1572. Mais remarquons leur
misčre, car, ne pensant pas ŕ la vie éternelle, il ny a rien quils craignent
de perdre si ce nest des biens temporels. Lil de Jacob est vers la terre 1. Mais comme il est dit dans le livre des
Proverbes : Ce que craint limpie viendra contre lui 2. Cest pourquoi les Romains, aprčs la
Passion du Seigneur et sa glorification, leur arrachčrent et le lieu et la
nation, semparant de lun par la force et déportant lautre 3.
III
OR
LUN DENTRE EUX, DU NOM DE CAĎPHE, COMME IL ÉTAIT GRAND PRĘTRE CETTE ANNÉE-LŔ,
LEUR DIT : "VOUS, VOUS NY ENTENDEZ RIEN ET VOUS NE RÉFLÉ CHISSEZ PAS
QUIL VAUT MIEUX POUR VOUS QUUN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE, ET QUE LA
NATION TOUT ENTIČRE NE PÉRISSE PAS. " OR CELA IL NE LE DIT PAS DE
LUI-MĘME; MAIS COMME IL ÉTAIT GRAND PRĘTRE CETTE ANNÉE-LŔ, IL PROPHÉTISA QUE
JÉSUS DEVAIT MOURIR POUR LA NATION, ET NON POUR LA NATION SEULEMENT, MAIS
ENCORE POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS. Ŕ PARTIR
DE CE JOUR-LŔ, DONC, ILS MÉDITČRENT DE LE TUER.
1573. LÉvangéliste expose ici la détermination qui lčve ce doute.
Dabord il montre la détermination, puis son explication [n° 1576], enfin lacceptation de la sentence par lassemblée [n° 1581].
A propos du premier point il fait deux choses. Dabord il décrit la personne de celui qui prononce la sentence [n° 1574]. Ensuite il expose les paroles de la sentence [n° 1575].
OR
LUN DENTRE EUX, DU NOM DE CAĎPHE, COMME IL ÉTAIT GRAND PRĘTRE CETTE ANNEE-LŔ.
1574. La personne qui juge est décrite par le nom et par la dignité.
Par le nom, parce quil sappelait CAĎPHE; et ce nom convient ŕ sa malice. En effet, il a dabord le sens de "celui qui scrute", ce quil atteste par sa présomption Celui qui se fait le scrutateur de la majesté sera accablé par la gloire 4. Il a eu en effet de la présomption quand il a dit : Je tadjure, de par le Dieu vivant, de me dire si cest toi qui es le Christ, le Fils de Dieu 5. En second lieu, le nom de Caďphe a le sens de "sagace", ce quil atteste par son astuce, sur laquelle il sappuie pour obtenir la mort du Christ. Enfin, il a le sens de "vomissant de la bouche", ce quil atteste par sa sottise 6. Comme le chien qui retourne ŕ son vomissement 7.
Et Caďphe est décrit quant ŕ la dignité : COMME IL ÉTAIT GRAND PRĘTRE CETTE ANNÉE-LŔ. A ce propos il faut savoir que, comme il est dit au livre du Lévitique 8, le Seigneur a institué un seul souverain prętre auquel, ŕ sa mort, succéderait un seul qui exercerait la charge du pontificat pendant toute sa vie. Or par la suite, lambition et la rivalité croissant parmi les Juifs, i1 établi que plusieurs seraient grands prętres, que leur adviendrait ŕ tous, chacun ŕ son tour, une telle dignité, et que par roulement ils serviraient pour un an 9. Et aussi, parfois, ils se procuraient [cette charge] par de largent, comme Josčphe le raconte au sujet de celui-ci 10. Et pour montrer cela, lEvangéliste dit : CETTE ANNÉE-LŔ.
1. Dt 33, 28.
2. Pr 10, 24.
3. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XLIX, 26, BA 7311, p. 252-253.
4. Pr 25, 27.
5. Mt 26, 63.
6. Cette triple étymologie provient de saint Jérôme (Liber
interpr. hebr. nom., Me, 60, 30 CCL, vol. LXXII, p. 135).
7. Pr 26, 11.
8. Cf. Lv 8; 16, 32; Ex 28, 1-29, 35; 40, 12-15; Nb 20, 27-29.
9. Cf. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIX, 27, BA 7311, p. 254-255;
voir la note 166, BA 7311 p. 254-255, qui résume la maničre dont Origčne, saint
Augustin, saint Jean Chrysostome et Théodore de Mopsueste ont interprété ce
verset.
10. Ce témoignage de Josčphe (Ant. Just., XVIII, II, 2 et IV, 3)
est rapporté par saint Jérôme (Commentaire sur saint Matthieu, 1V, 26, 57; SC
259, p. 264-265).
LA
PUISSANCE VIVIFICATRICE DU CHRIST CONFIRMÉE PAR UN MIRACLE [CAĎPHE] LEUR DIT : "VOUS,
VOUS NY ENTENDEZ RIEN ET VOUS NE RÉFLÉCHISSEZ PAS QUIL VAUT MIEUX POUR VOUS
QUUN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE, ET QUE LA NATION TOUT ENTIČRE NE PÉRISSE
PAS. "
1575. LÉvangéliste transmet ensuite les paroles de celui qui détermine; et dabord celui-ci reproche aux autres leur mollesse, en disant : VOUS, VOUS NY ENTENDEZ RIEN ET VOUS NE RÉFLÉCHISSEZ PAS, comme sil disait : vous ętes mous, et jusquŕ présent vous considérez laffaire trčs nonchalamment. Et cest pourquoi il met en avant sa malice, en disant : IL VAUT MIEUX POUR VOUS QUUN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE. Ces paroles ont une intelligence autre selon lintention de Caďphe et selon lexplication de lEvangéliste [n° 1576].
Pour expliciter dabord ces
paroles selon lintention mauvaise [de Caďphe], il faut savoir quon trouve au
livre du Deutéronome, ce commandement du Seigneur Sil existe au milieu de toi
un prophčte, ou quelquun qui dit avoir vu un songe, et veut técarter du
Seigneur, ce prophčte ou ce faiseur de songes sera mis ŕ mort Donc selon cette
loi, Caďphe croyait que le Christ détournerait le peuple du culte de Dieu
Nous avons trouvé cet homme bouleversant notre nation 2 Et cest pourquoi il disait : VOUS NY
ENTENDEZ BIEN, cest-ŕ-dire ŕ la Loi, ET VOUS NE RÉFLÉCHISSEZ PAS QUIL VAUT
MIEUX POUR VOUS QUUN SEUL, cest-ŕ-dire cet homme, MEURE, pour que tout le
peuple ne soit pas séduit; comme sil disait : il faut mépriser le salut dun
seul homme en faveur de la vie politique commune. Cest pourquoi le livre du
Deutéronome ajoute : Et tu arracheras le mal du milieu de ton peuple. "Enlevez
le mal du milieu de vous-męmes".
1576. Mais lÉvangéliste expose cela autrement, en disant : OR CELA IL NE LE DIT PAS DE LUI-MĘME; MAIS COMME IL ÉTAIT GRAND PRĘTRE CETTE ANNÉE-LŔ, IL PROPHÉTISA QUE JESUS DEVAIT MOURIR POUR LA NATION, ET NON POUR LA NATION SEULEMENT, MAIS ENCORE POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS.
Oů lEvangéliste présente
dabord lauteur de ces paroles, puis leur sens exact [n° 1578]; aprčs quoi il ajoute [une
remarque] aux paroles de Caďphe [n° 1580].
1577. Ŕ propos du premier point, il faut savoir ceci : parce quon pourrait croire que Caďphe avait proféré sous sa propre impulsion [instinctu] les paroles susdites, lEvangéliste, excluant cela, dit : OR CELA, IL NE LE DIT PAS DE LUI-MĘME. Par lŕ est donné ŕ entendre que parfois quelquun parle de lui-męme 5. Lhomme, en effet, est ce qui en lui-męme est principal 6, cest-ŕ-dire lintelligence et la raison.
1. Dt 13,1 s.
2. Lc 23, 2.
3. Dt 13, 5.
4. 1 Corinthiens 5, 13.
5. Il faut comprendre ici "de lui-męme" au sens de "de sa propre
mitiative" et non au sens de "au sujet de lui-męme".
6. En disant cela, saint Thomas
reprend ce quAristote dit en philosophe : lhomme vertueux "veut aussi par lui-męme ce qui est bon et ce qui lui
semble tel, et il laccomplit (car cest le propre de lhomme bon de donner
tout son soin au bien), et cela en vue de lui-męme (car cest en vue de la
partie intellective, puisque cest ce que chacun semble ętre) [... ]. Or il
semblera que lesprit [Nous] est chacun, ou du moins chacun dune maničre
principale (Ethique ŕ Nicomaque, IX, 4, 1166 a 14-23). " Mais lhomme
doit, autant quil le peut, simmortaliser, et tout faire selon Ils partiel la
plus excellente qui est en lui; car męme si elle est petite par la masse, par
la puissance et la valeur elle dépasse de beaucoup tout le reste. On peut męme
penser que chaque homme sidentifie ŕ cette partie męme, puisquelle est
principale et plus précieuse Il. Pour lhomme, cest la vie selon le vous (qui
est la sienne), puisque cest cela avant tout lhomme " (ibid., X, 7, 1177
b 33-1178 a 7). Voir aussi 1177 a 12-18; I, 13, 1102 a 5 s. Dans son
commentaire de lEthique ŕ Nicomaque, saint Thomas souligne ces affirmations
dAristote. Citons simplement ce trčs beau passage : "Le Philosophe
dit [
] que lhomme doit tendre ŕ limmortalité autant quil le peut, et faire
tout ce qui est en son pouvoir pour vivre selon lintelligence, qui est la
meilleure des choses qui sont dans lhomme, elle qui est immortelle et divine. En
effet, bien que cette chose la meilleure soit petite par la masse, parce
quelle est incorporelle et trčs simple, et par conséquent manque de la
grandeur de la masse, cependant, par la quantité de puissance et son caractčre
précieux elle dépasse tout ce qui est en lhomme. Elle le dépasse par sa
puissance dans les opérations par lesquelles elle est unie aux réalités
supérieures et commande aux réalités inférieures et ainsi, dune certaine
maničre, elle embrasse toutes choses; et par son caractčre précieux quant ŕ ta
dignité de sa nature, parce que lintelligence est immatérielle et simple,
incorruptible et impassible. "
(In decem libr. Ethicorum Aristoteles ad Nicomachum exp., X, n° 2107-2108). Voir aussi Depotentia, q. 3, a. 9, ad 1; De veritate, q. 14, a. 2,
c.
Cest pourquoi lhomme est ce quil est par la raison. Donc, quand lhomme parle ŕ partir de sa propre raison, alors il parle de lui-męme, mais quand il parle de par un instinct supérieur et extérieur ŕ lui, il ne parle pas de lui-męme. Cependant cela arrive de deux maničres. Quelquefois comme mű par lEsprit divin, selon ce que dit Matthieu : Car ce nest pas vous qui parlez, mais cest lEsprit de votre Pčre qui parle en vous 1. Mais quelquefois, cest comme mű par un esprit malin ainsi les possédés. Pour lun et lautre, on dit parfois quils prophétisent. Que certes ceux qui sont műs par lEsprit divin prophétisent, cela est dit dans la deuxičme épître de Pierre En effet ce n'est pas par une volonté humaine qua jamais été apportée une prophétie, mais cest inspirés par lEsprit-Saint quont parlé les saints hommes de Dieu 2. Mais que ceux qui sont mus par un esprit malin prophétisent, on le trouve au livre de Jérémie : Le Seigneur ta établi prętre ŕ la place de Yehoyada, le prętre, pour que tu sois chef dans la maison du Seigneur sur tout homme possédé et qui prophétise 3.
Il faut savoir aussi que,
parfois, un homme parle sous la motion de lEsprit Saint ou dun esprit malin
en perdant cependant lusage de la raison et étant possédé; mais que parfois
lui demeure le libre usage de la raison, et quil nest pas possédé. Car quand
les forces sensibles surabondent ŕ partir dune impression supérieure, la
raison est liée, et on est mű et possédé. Mais parce que le démon a la
puissance de faire impression dans limagination, puisquelle est une puissance
attachée ŕ un organe, il peut parfois faire impression sur elle de telle sorte
quŕ cause de labondance de limpression, la raison devient comme liée, sans
cependant ętre poussée au consentement; et alors lhomme est possédé par un
esprit malin.
1578. Il reste donc une question : Caďphe a-t-il dit ces paroles sous la notion de lEsprit Saint ou de lesprit malin? Il semble quil nait pas dit cela sous la motion de lEsprit Saint : car lEsprit Saint est lEsprit de vérité, comme il est dit plus loin, alors que lesprit malin est lesprit de mensonge Je sortirai, et je serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophčtes Or cest un fait établi que Caďphe a proféré un mensonge en disant
IL VAUT MIEUX POUR VOUS QUUN SEUL HOMME MEURE, puisque cela ne leur fut pas avantageux. Mais il aurait dit vrai sil avait affirmé : il est avantageux pour le peuple quun seul homme meure. Donc il ne parla pas sous la motion de lEsprit-Saint, semble-t-il, mais il prophétisa sous linstinct dun esprit malin, possédé.
1. Mt 10, 20.
2. 2 P 1,21.
3. Jr 29, 26.
4. Instinctu Spiritus Sancti. Saint Thomas emploie souvent cette
expression ŕ propos des dons du Saint-Esprit en se référant, du reste, ŕ
Aristote (Ethique ŕ Eudčme, VII, 14, 1 248 s 32-36) ceux qui sont mus par un
instinct divin sont mus "par un principe meilleur que la raison humaines. "
(I-II, q. 68, s. 1, c). Les dons du Saint-Esprit sont "des qualités [ou
dispositions stables] [habitus] qui rendent lhomme capable de suivre
promptement linstinct de lEsprit-Saint, comme les vertus morales rendent les
forces appétitives capables dobéir ŕ la raison. Et de męme que les forces appétitives
sont aptes ŕ ętre mues par le commandement [imperium] de la raison, de męme
toutes les forces humaines sont aptes ŕ ętre mues par linstinct de Dieu comme
par une puissance supérieure. " (a. 4, c). Pourquoi saint Thomas, qui
emploie aussi parfois le terme s inspiration " (inspiratio), dit il le
plus souvent "instinct"? Pour signifier quil sagit dune motion
radicale, fondamentale, qui nous permet dagir, comme le dit Jean de
Saint-Thomas, s en vertu dune certaine connaturalité aux choses divines et
dune certaine expérience de ces choses, mus par linstinct du Saint-Esprit *
(Les dons du Saint-Esprit, 10, trad. Raďssa Maritain, p. 18). Les dons du
Saint-Esprit nous permettent " dagir en vertu dune certaine
connaturalité aux choses divines et au Saint-Esprit, par limpulsion duquel ils
sont mis en mouvement s (ibid). Parlant de la Vierge Marie, saint Thomas ne
dira pas seulement quelle agit, comme nous, ex instinctu Spiritus Sancti, mais
exfamiliari insnnctu Spiritus Sancti (voir n° 1475, note 5). Cette intimité et
connaturalité de la Vierge Marie avec lEsprit-Saint (signifiée ici par le
terme familiari) est exprimée dune autre maničre par saint Jean de la Croix :
"Etant dčs le commencement élevée ŕ ce haut état [oů Dieu seul meut les
puissances de lâme], elle neut jamais en son âme de forme imprimée daucune
créature, et jamais ne se mut par elle, mais toujours sa motion fut du
Saint-Esprit " (Montée du Carmel, III, 2).
5. Cf. Jn 15, 26.
6. 1 R 22, 22.
Mais cela ne semble pas ętre en accord avec les paroles de lEvangile : car sil en était ainsi, Jean naurait pas ajouté
COMME IL ÉTAIT GRAND PRĘTRE CETTE ANNÉE-LŔ. Il a donc ajouté la dignité de Caďphe, pour suggérer quil avait parlé sous la motion de lEsprit Saint. Par lŕ nous est donné ŕ entendre que męme les méchants établis dans une dignité, lEsprit-Saint les meut pour dire des choses vraies et ŕ venir, pour lutilité de ceux-lŕ seulement qui leur sont soumis 1.
Donc, par rapport ŕ ce qui est dit en sens contraire, cest-ŕ-dire que ces paroles : IL VAUT MIEUX POUR VOUS QUUN SEUL HOMME MEURE POUR LE PEUPLE sont fausses, on peut répondre de deux maničres. En un sens on peut dire que la mort du Christ en elle-męme fut avantageuse pour tous, męme pour ceux qui lont tué Lui qui est le Sauveur de tous les hommes, surtout de ceux qui ont la foi 2. Afin que, par la grâce de Dieu, pour tous [les hommes], il ait goűté la mort 3. Dune autre maničre, [on peut répondre], que : IL VAUT MIEUX POUR VOUS, signifie pour le peuple. Cest pourquoi lEvangéliste, lŕ oů Caďphe dit QUUN SEUL HOMME MEURE pour vous, met POUR LA NATION.
1579. Mais daprčs les paroles de lEvangéliste, IL PROPHÉTISA, il semble que Caďphe fut prophčte. Si en effet quelquun prophétise, il sensuit quil est prophčte. Cependant, selon Origčne 4, il ne sensuit pas que quiconque prophétise soit prophčte mais sil est prophčte, de toutes façons il prophétise. Car parfois est accordé ŕ quelquun lacte dune chose dont cependant la condition ne lui est pas accordée. De męme que nest pas juste quiconque fait quelque chose de juste, mais celui qui est juste fait des choses justes.
Or il faut noter que deux actes concourent au fait que quelquun prophétise dune maničre vraie : ŕ savoir [l'acte] de voir cest pourquoi il est dit dans le premier livre de Samuel : Celui qui maintenant est dit prophčte était appelé autrefois voyant 5 ; de męme [l'acte] dannoncer Le prophčte parle aux hommes pour édifier, exhorter, consoler 6. Or il arrive parfois que quelquun ait lun et lautre, et ne soit cependant pas dit proprement prophčte. Car parfois quelquun a une vision prophétique, comme Nabuchodonosor 7 et Pharaon 8; et semblablement, ils ont annoncé aux autres la vision elle-męme. Ils ne peuvent cependant ętre dits prophčtes, parce quil leur a manqué quelque chose, cest-ŕ-dire lintelligence de la vision, qui est requise dans la vision, comme il est dit au livre de Daniel 9. Or Caďphe, bien quil nait pas eu de vision prophétique, eut cependant lannonce de la réalité prophétisée, en tant quil annonça lutilité de la mort du Christ. Car parfois lEsprit Saint meut ŕ tout ce quimplique la prophétie, et parfois ŕ un aspect seulement. Il nillumina ni lesprit de Caďphe, ni son imagination, et cest pourquoi son esprit et son imagination demeurčrent tendus vers le mal. Il mut cependant sa langue pour proférer la maničre dont le salut du peuple serait accompli. Cest pourquoi il nest pas dit prophčte, si ce nest en tant quil eut un acte prophétique dans lannonce, son imagination et sa raison étant tournées vers le contraire. A partir de cela, il est évident quil ne peut pas plus ętre dit prophčte que lânesse de Balaam 10.
1. Cf. SAINT
AUGUSTIN, Tract, in Ioann., XLIX, 27, BA 735, p. 252-255.
2. 1 Tm 4, 10. Saint Thomas commente en
disant que lApôtre montre la vie future qui nous est promise "ŕ partir du
rôle [salvifique] de Dieu, ŕ qui il appartient de sauver Il nest pas de
Sauveur en dehors de moi (Is 43, 11). Cest pourquoi Dieu sest incarné, et a
été appelé Jésus Lui-męme en effet sauvera son peuple de ses péchés (Mc 1,
21). Et "Jésus" est la męme chose que "Sauveurs, parce quil
sauve... " (Ad 1 Tim. lect., IV, n 164).
3. He 2, 9. [Pour tous fies hommes],
voilŕ lutilité [de la Passion du Christ]. Mais pour tous peut sentendre de
deux maničres. Ou bien de telle sorte que ce soit une distribution appropriée,
cest-ŕ-dire pour tous les prédestinés, pour qui seulement elle a une
efficacité. Ou bien absolument pour tous, quant â la suffisance. En effet [la
Passion du Christ] en elle-męme est suffisante pour tous Lui qui est le
Sauveur de tous, surtout de ceux qui ont la foi (1 Tm 4, 10)... " (Ad Haebr. lect., II, n° 125).
4. Comm. in
Ioann., XXVIII, chap. 12, col. 707.
5. 1 S 9, 9.
6. 1 Corinthiens 14, 3.
7. Cf. Dn 2 et 4.
8. Cf. Gn 41.
9. Cf. Dn 10, 1.
ET NON POUR LA NATION SEULEMENT, MAIS POUR RASSEMBLER EN
UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS.
1580. LÉvangéliste ajoute ici quelque chose aux paroles du grand prętre, en disant que Jésus ne devait pas mourir seulement pour la nation, cest-ŕ-dire le peuple juif, comme le dit Caďphe Jésus, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert en dehors de la porte 2; mais il ajoute quil devait mourir aussi pour le monde entier. Cest pourquoi il poursuit : POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS.
Lŕ il faut prendre garde ŕ lhérésie des manichéens, qui disent que certaines âmes sont de substance divine et sont appelées fils de Dieu; et ils disent que cest pour les rassembler dans lunité que Dieu est venu. Mais cela est une erreur, parce que, comme il est dit au livre dEzéchiel 3, toutes les âmes sont miennes, cest-ŕ-dire par la création. Et cest pourquoi ce quil dit : POUR RASSEMBLER EN UN LES FILS DE DIEU QUI ÉTAIENT DISPERSÉS, il ne faut pas le comprendre de ce quils eussent alors déjŕ reçu lesprit dadoption. Parce que, comme le dit Grégoire 4, ils nétaient de Dieu jusquŕ présent ni les brebis, ni les fils de Dieu 5. Mais il faut le comprendre selon la prédestination, en ce sens POUR QUE LES FILS DE DIEU, cest-ŕ-dire les prédestinés depuis léternité Ceux quil a prédestinés ŕ ętre conformes ŕ limage de son Fils 6 , QUI ÉTAIENT DISPERSÉS en différents rites et nations, IL LES RASSEMBLE EN UN, cest-ŕ-dire dans lunité de la foi Jai dautres brebis qui ne sont pas de ce bercail; celles-lŕ aussi, il faut que je les conduise; et elles écouteront ma voix, et il y aura alors un seul troupeau, un seul pasteur 7. Bâtissant Jérusalem, le Seigneur rassemblera les dispersés dIsraël 8.
Ŕ PARTIR DE CE JOUR-LŔ, DONC, ILS MÉDITČRENT DE LE TUER.
1581. LÉvangéliste montre ensuite laccord des Juifs en vue de la mort du Christ.
Mais nont-ils pas auparavant médité de le tuer? Il semble que si : parce quil est dit plus haut, en plusieurs endroits, que les Juifs cherchaient ŕ le tuer.
Je réponds. Il faut dire quauparavant ils furent, certes, poussés ŕ le tuer; mais quŕ partir de ce jour-lŕ, excités ŕ la colčre par les paroles de Caďphe, ils manigancčrent avec le ferme dessein de tuer le Seigneur Leurs pieds courent au mal et ils se hâtent pour répandre le sang 9.
10. En considérant Caďphe comme instrument de lEsprit Saint ŕ la
maničre de lânesse de Balaam, saint Thomas sappuie sur une interprétation
traditionnelle remontant au commentaire dOrigčne (Comm. in Ioann., XXVIII,
chap. 12, coI 707-718).
2. He 13, 12.
3. Ez 18, 4.
4. Il sagit plutôt de saint Augustin
(Tract. in Ioann., XLIX, 27, BA 73 p. 256-257).
5. Sur ce lien entre la prédestination,
ladoption filiale et le mystčre du Christ, voir Somme théoč, III, q. 23 et q. 24.
6. Rm 8, 29.
7. Jn 10, 16.
8. Ps 146, 2.
9. Pr 1, 16.
Le Christ se dérobe ŕ la
malice des Juifs.
1582. Ici lÉvangéliste expose comment le Christ sest dérobé ŕ la malice des Juifs, dabord en montrant la maničre dont le Christ sy dérobe, puis en montrant létonnement que cela a produit dans le peuple [n° 1585].
I
JÉSUS DONC, DÉSORMAIS, NE CIRCULAIT PLUS OUVERTEMENT
PARMI LES JUIFS, MAIS IL PARTIT DANS UNE REGION PROCHE DU DÉSERT, DANS UNE
VILLE APPELÉE ÉPHRAĎM, ET LŔ IL SÉJOURNAIT AVEC SES DISCIPLES.
1583. La maničre dont le
Christ se déroba ŕ leur malice fut de se cacher et de séloigner des Juifs. Car
Jésus, aprčs le conseil, les observant trčs prudemment, NE CIRCULAIT PLUS
OUVERTEMENT PARMI LES JUIFS; il ne sen alla pas dans une cité peuplée mais
DANS UNE RÉGION retirée, PROCHE DU DÉSERT, DANS UNE VILLE APPELÉE ÉPHRAĎM, ET
LŔ IL SÉJOURNAIT AVEC SES DISCIPLES 1.
1584. Mais sa puissance lui avait-elle manqué, puissance par laquelle, sil lavait voulu, il se serait tenu ouvertement parmi les Juifs 2 sans quils lui fassent rien? Loin de lŕ! Il fit cela, non ŕ cause dun manque de puissance, mais pour donner un exemple aux disciples. En cela il apparaît quil ny a pas de péché si ceux qui croient en lui se dérobent aux yeux de ceux qui les poursuivent, et évitent la fureur des scélérats en se cachant, plutôt que de les enflammer davantage en se montrant 3.
1. Cf. ORIGČNE, Comm. in ev. Ioannis, 18, col. 730.
2. Inter Judaeos palam conversaretur. Ce conversari évoque ce
que Baruch dit de la Sagesse : "Elle a été vue sur la terre et elle a
conversé avec les hommes" (3, 38). Saint Thomas emploie le terme
conversatio quand il étudie la maničre dont le Christ a vécu sur la terre, dans
la question De modo conversationis Christi (Somme théol., III, q. 40) oů il
montre que le Christ ne devait mener, parmi les hommes, ni une vie solitaire,
ni une vie daustčre pénitence, mais une vie pauvre et selon la loi commune. Voir
le commentaire de cette question dans P. -Th. DEHAU, o. p., Lapostolat de
Jésus. Cf. n° 1374, note 13. On s vu plus haut que, lorsquil commente Jn 1,
14b : et il a habité parmi nous, saint Thomas dit quil sagit lŕ de la maničre
dont le Verbe incarné a vécu avec les hommes (de Verbi incarnati conversatione)
et que, en disant : il a habité parmi nous, saint Jean veut dire qua il a vécu
familičrement au milieu de nous ou a partagé intimement notre vie" (inter
nos [
] conversatus est famihariter) (voir n° 177; cf. n° 1475, note 5). Par
lŕ, lEvangéliste a voulu montrer s la conformité du Christ aux hommes dans la
vie quil a menée avec eux [in conversando]. Car on pourrait croire que le
Verbe sétait fait chair de telle sorte que le Christ aurait été différent des
autres hommes dans sa maničre de vivre avec eux [In conversatione] (n° 178). Lédition
léonine supprime comme inauthentique la phrase suivante de lédition Marietti :
"Non seulement il a voulu ętre rendu semblable aux hommes dans la nature,
mais encore il a voulu ętre avec eux dans une vie commune et une intimité
exemptes de péché [in convictu et familiari conversatione absque peccaro [... ]
voluit esse], afin dattirer ŕ lui les hommes conquis par la douceur de sa
présence [suae conversationis dulcedine allectos]" (ibid.). On pense ici ŕ
ce que disait saint Bernard : "Pour moi, je pense que la principale cause
pour laquelle Dieu, qui est invisible, a voulu ętre vu dans la chair, et vivre
[conversari] en homme parmi les hommes, était de faire dabord revenir ŕ
lamour salutaire de sa chair les affections des [ętres] charnels qui ne
pouvaient aimer que charnellement, et de les conduire ainsi par degrés ŕ
lamour spirituel " (Sur le Cantique des cantiques, sermon 20, 6). Cependant,
aprčs les avoir ainsi s enlevés ŕ lamour de toute chair par la seule grâce de
la présence de sa propre chair " (ibid.), le Christ a fait davantage. Car
cet attachement ŕ la présence sensible de Jésus, sil est bien un don de
lEsprit, est encore charnel en comparaison de lamour qui ne goűte plus
seulement le Verbe en tant que chair mais le Verbe en tant que Sagesse, Vérité,
Sainteté... (ibid., 20, 8). Saint Thomas (se référant ŕ saint Augustin)
soulignera cela en commentant Jn 16, 7 (il est bon pour vous que je men aille)
: la joie quavaient les disciples de la présence du Christ procédait encore
dune affection chamelle (voir n° 2085); aussi était-il bon pour eux quil sen
aille. Et dans le Contra Gentiles, se demandant sil neűt pas été nécessaire
que le Christ vécűt avec les hommes (cum hominibus conversaretur) jusquŕ la
fin du monde (Contra Gentiles, IV, chap. 53, 10 obj.), saint Thomas répond :
non, car cela aurait porté atteinte ŕ la vénération que les hommes devaient
manifester au Dieu incarné; le voyant revętu de la chair, semblable aux autres
hommes, ils ne lauraient en rien estimé plus que les autres hommes. Au
contraire, une fois que, aprčs les choses merveilleuses quil avait accomplies
sur terre, il leur eut retiré sa présence, ils se mirent ŕ le révérer davantage.
Cest aussi pour cela quil ne donna pas ŕ ses disciples la plénitude du Saint
Esprit tant quil vivait avec eux, leurs âmes devant ętre, par son absence,
mieux préparées ŕ [recevoir] les dons de lEsprit s (chap. 55, sd 10). Comme le
dit ailleurs saint Thomas, si ale propre de lamitié est de vivre dans
lintimité de son ami [simul conversari ad amicum]", entre lhomme et Dieu
cette intimité ne peut se réaliser que par la contemplation (chap. 22). Il ne
sagit certes pas lŕ de prétendre se passer de lhumanité du Christ, mais de ne
pas s nous reposer en elle comme dans un terme s, puisquelle est s pour noua
le chemin qui nous fait tendre vers Dieu". Voilŕ pourquoi, afin que le cur
de ses disciples, en lui étant attaché dune maničre sensible, ne se repose pas
en lui comme dans un homme, le Christ leur a retiré rapidement sa présence
corporelle. [
] Et si nous avons connu le Christ selon la chair, [... ]
maintenant ce nest plus ainsi que nous le connaissons" (ibid. voir aussi
n° 1074, note 6).
3. SAINT AUGUSTIN, Tract, in Ioann.,
XUX, 28, BA 73", p. 256-257.
Selon cette parole de lévangile de saint Matthieu : Si vous ętes poursuivis dans une ville, fuyez dans une autre 1.
Origčne 2, lui, dit que personne ne doit se jeter dans les périls; cependant il est fort louable, quand les dangers sont déjŕ imminents, de ne pas éviter de confesser Jésus, ni de refuser de subir la mort pour la vérité. Et cela pour deux raisons. En premier lieu parce quil est fort présomptueux de se jeter dans les périls ŕ cause de linexpérience quon a de sa propre force, qui parfois est trouvée fragile, et ŕ cause de lincertitude quon a des événements futurs Que celui qui croit tenir debout prenne garde de tomber 3. Ensuite afin que, jetés parmi les persécuteurs, nous ne leur donnions pas loccasion de devenir plus impies et nuisibles Ne soyez pas une occasion de chute pour les Juifs, ni pour les Gentils, ni pour lEglise de Dieu 4.
II
LA PÂQUE DES JUIFS ÉTAIT PROCHE, ET BEAUCOUP DE GENS
MONTČRENT DE LA CAMPAGNE Ŕ JÉRUSALEM, AVANT LA PÂQUE, POUR SE PURIFIER. ILS
CHER CHAIENT DONC JÉSUS ET SE DISAIENT LES UNS AUX AUTRES, EN SE TENANT DANS LE
TEMPLE : "QUE PENSEZ-VOUS? QUIL NE VIENDRA PAS Ŕ CETTE FĘTE?"
OR LES GRANDS PRĘTRES ET LES PHARISIENS AVAIENT DONNÉ DES ORDRES : SI QUELQUUN
CONNAÎT OŮ IL EST, QUIL LINDIQUE, POUR QUON LAPPRÉHENDE.
1585. LÉvangéliste expose
ici létonnement que cela a produit dans le peuple, et dabord loccasion de
sétonner, ensuite létonnement lui-męme [n° 1587], enfin la raison de létonnement [n° 1588].
1586. LÉvangéliste montre que loccasion de chercher et de sétonner est double.
La premičre occasion vient certes de la condition du temps, parce que LA PÂQUE DES JUIFS ÉTAIT PROCHE : et dans cette fęte est rappelée la mémoire du passage des Hébreux hors dEgypte Cest en effet une Pâque, cest-ŕ-dire un passage du Seigneur 5. Sil ajoute DES JUIFS, cest parce que la Pâque męme, les Juifs la célébraient dune maničre mauvaise et indue. Car quand nous célébrons la Pâque avec dévotion, alors elle est dite Pâque de Dieu Je ne supporterai pas vos festivités 6.
Mais la seconde vient du concours du peuple, parce que BEAUCOUP DE GENS MONTČRENT DE LA CAMPAGNE Ŕ JÉRUSALEM. Car, comme on le lit au livre de lExode 7, ŕ trois moments dans lannée, ŕ trois fętes, les fils dIsraël devaient se présenter au Seigneur; parmi ces trois fętes la premičre était la Pâque, et cest pourquoi une grande foule montait ŕ Jérusalem, oů était le Temple.
Mais parce que ce nétait pas
encore le temps de la Pâque, oů ils devaient monter, lEvangéliste précise
ensuite la cause de leur montée, en ajoutant POUR SE PURIFIER. Personne en
effet ne devait manger lagneau sans ętre pur, et cest pourquoi ils
devançaient le temps de la Pâque pour, entre-temps, en se purifiant eux-męmes,
pouvoir manger lagneau pascal selon le rite. En cela nous est donné lexemple
de nous purifier au temps du Caręme par des jeűnes et des bonnes uvres, pour
prendre ŕ la Pâque le corps de notre Seigneur, selon le rite.
1. Mt
10, 23. Cf. n 1012.
2. Comm. in ev. Ioannis, 18, col. 727-730.
3. 1 Corinthiens 10, 12.
4. 1 Corinthiens 10, 32.
5. Ex 12, 11.
6. Cf. Is 1, 13 et 14.
7. Cf. Ex 23, 14-19.
1587. Létonnement est causé
par labsence du Seigneur; et cest ce quil dit : ILS CHERCHAIENT DONC JÉSUS,
non certes pour lhonorer, mais pour le tuer, ET SE DISAIENT LES UNS AUX
AUTRES, EN SE TENANT DANS LE TEMPLE : "QUE PENSEZ-VOUS? QUIL NE
VIENDRA PAS Ŕ CETTE FĘTE?"
Mais il faut noter que quand une fęte se passe dune maničre sainte, le Seigneur est toujours [mutuellement] ŕ ce jour de fęte Partout oů deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis lŕ au milieu deux 1. Et cest pourquoi nous, réunis dans la maison de Dieu, cherchons Jésus, en nous consolant [mutuellement] et en implorant quil vienne ŕ notre jour de fęte. Mais quand la fęte ne se passe pas dune maničre sainte, alors Jésus ne vient pas : Je ne supporterai pas vos festivités, vos réunions sont iniques. Vos calendes et vos solennités, mon âme les a haďes 2.
1588. La raison de létonnement du peuple et de labsence de Jésus vient ensuite LES GRANDS PRĘTRES ET LES PHARISIENS AVAIENT DONNÉ DES ORDRES : SI QUELQUUN CONNAÎT OŮ IL, cest-ŕ-dire Jésus, EST, QUIL LINDIQUE, POUR QUON LAPPRÉHENDE, cest-ŕ-dire pour le tuer. Plus haut il est dit : Vous me chercherez, et dans votre péché vous mourrez 3.
Mais comme le dit Augustin 4, nous qui savons oů est le Christ, ŕ la droite du Pčre, nous lindiquerons aux Juifs, pour quainsi, si possible, ils lappréhendent par la foi.
2. Is 1,
13-14.
3. Jn 8,21.
4. Tract, in 10.,
L, 4, BA 73B, p. 264-267.
1. Mt 18, 20.
Il peut savoir que nous trouvons une double vérité dans lÉvangile : lune, incréée, et qui fait, facientem ; et cest le Christ : Ť Je suis la voie, la vérité et la vie ť (Jn 14, 6) ; lautre, qui est faite, factam : Ť La grâce et la vérité ont été faites par Jésus-Christ ť (1, 17). En effet, la vérité, de par sa raison, implique une commensuration de la réalité ŕ lintellect. Or lintellect se compare aux choses de deux maničres. Dune part, comme mesure des choses existantes, et cest celui qui est cause des choses ; dautre part, comme mesuré par la réalité, et cest celui dont la connaissance est causée par la chose. Donc la vérité nest pas dans lintellect divin parce que celui-ci serait lui-męme adéquat aux choses, mais parce que les choses sont rendues adéquates ŕ lintellect divin. Mais dans notre intellect, sil y a de la vérité, cest parce quil intellige les choses comme elles sont en réalité (lit. se comportent, se habent). Et ainsi la vérité incréée et lintellect divin sont une vérité non mesurée ni faite, mais une vérité ni faite, mais une vérité qui mesure et qui fait une double vérité : lune dans les choses elles-męmes, en tant quelle les rend (facit, fait) telles quelles sont dans lintellect divin ; et lautre quelle fait (produit) dans nos âmes, qui est une vérité mesurée seulement, et non mesurante. Et de lŕ vient que la vérité incréée est appropriée au Fils, qui est la conception męme de lintellect divin, et le Verbe de Dieu. En effet la vérité fait suite ŕ la conception de lintellect.
LES OCCASIONS DE LA PASSION ET DE LA MORT DU CHRIST
Évangile
selon saint Jean Chapitre XII
1 Jésus
donc, avant les six jours de la Pâque, vint ŕ Béthanie, oů était mort Lazare,
que Jésus avait relevé [d'entre les morts]. 2 On lui fit lŕ un repas. Marthe
servait, et Lazare était un de ceux qui étaient ŕ table avec lui. 3 Marie donc
prit une livre de parfum d'un nard pur, de grand prix, oignit les pieds de
Jésus et les essuya avec ses cheveux, et la maison s'emplit de l'odeur du
parfum. 4 Alors l'un de ses disciples, Judas Iscariote, celui qui allait le
livrer, dit : 5 Ť Pourquoi ce parfum n'a-t-il pas été vendu trois cents
deniers qu'on aurait donnés aux pauvres ? ť 6 Or il dit cela, non
parce qu'il se souciait des pauvres mais parce qu'il était voleur, et que
tenant la bourse, il dérobait ce qu'on y mettait. 7 Jésus dit donc :
Ť Laissez-la, c'est pour le jour de ma sépulture qu'elle devait garder ce
parfum. 8 Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous, mais moi,
vous ne m'aurez pas toujours. ť
9 La
grande foule des Juifs sut qu'il était lŕ et ils vinrent, non ŕ cause de Jésus
seulement, mais pour voir Lazare, qu'il avait relevé d'entre les morts. 10 Les
princes des prętres décidčrent de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de
Juifs s'en allaient a cause de lui et croyaient en Jésus.
12 Le
lendemain, la foule nombreuse qui était venue pour le jour de la fęte, ayant
appris que Jésus venait ŕ Jérusalem, 13 prit des rameaux de palmiers et sortit
au-devant de lui ; et ils criaient : Ť Hosanna ! Béni celui qui
vient au nom du Seigneur, le roi d'Israël ! ť 14 Et Jésus trouva un
petit âne et s'assit dessus, comme il est écrit : 15 Ť Ne crains pas,
fille de Sion : voici que ton roi vient, assis sur le petit d'une ânesse. ť 16
Cela, ses disciples ne le comprirent pas d'abord ; mais quand Jésus eut
été glorifié, alors ils se souvinrent que cela se trouvait écrit ŕ son sujet et
que c'était ce qu'on lui avait fait. 17 La foule donc rendait témoignage, celle
qui était avec lui lorsqu'il appela Lazare du tombeau et le releva d'entre les
morts. 18 C'est pour cela aussi que la foule vint au-devant de lui, parce
qu'ils avaient appris qu'il avait fait ce signe. 19 Les pharisiens se dirent
donc entre eux : Ť Vous voyez que nous ne gagnons rien. Voilŕ que tout le
monde est parti aprčs lui. ť
20 Or
il y avait quelques Gentils, de ceux qui étaient montés pour adorer pendant la
fęte. 21 Ceux-ci donc s'avancčrent vers Philippe, qui était de Bethsaďde en
Galilée, et ils le priaient en disant : Ť Seigneur, nous voulons voir
Jésus. ť 22 Philippe vient et il le dit ŕ André ; puis André et Philippe
le disent ŕ Jésus. 23 Et Jésus leur répondit en disant : Ť L'heure est
venue, oů doit ętre glorifié le Fils de l'homme. 24 Amen, amen, je vous le dis,
si le grain de blé tombant en terre ne meurt pas, 25 il demeure seu1. Mais s'il
meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime son âme la perdra, et celui
qui hait son âme en ce monde la gardera en vie éternelle. 26 Si quelqu'un me
sert, qu'il me suive : et oů moi je suis, lŕ aussi sera mon serviteur. Si
quelqu'un me sert, mon Pčre l'honorera. 27 Maintenant mon âme est troublée. Et
que dirai-je ? Pčre, sauve-moi de cette heure. Mais c'est pour cela que je
suis venu ŕ cette heure. 28 Pčre, glorifie ton nom. ť Vint donc une voix du
ciel, disant : Ť Je l'ai glorifié, et de nouveau je le glorifierai. ť
29 La
foule donc, qui se tenait lŕ et avait entendu, disait qu'il y avait eu un coup
de tonnerre. D'autres disaient : Ť Un ange lui a parlé. ť30 Jésus répondit
et dit : Ť Ce n'est pas pour moi que cette voix est venue, mais pour vous.
31 C'est maintenant le jugement du monde. Maintenant le prince de ce monde va
ętre jeté dehors. 32 Et moi, quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout
ŕ moi. ť 33 Or il disait cela pour signifier de quelle mort il devait mourir.
34 La
foule lui répondit : Ť Nous avons appris de la Loi, nous, que le Christ
demeure ŕ jamais. Et comment dis-tu, toi : "II faut que le Fils de l'homme
soit élevé" ? Qui est ce Fils de l'homme ? ť 35 Jésus leur
dit donc : Ť Pour peu de temps encore la lumičre est parmi vous. Marchez
tant que vous avez la lumičre, de peur que les ténčbres ne vous
saisissent ; et celui qui marche dans les ténčbres ne sait oů il va. 36
Tant que vous avez la lumičre, croyez en la lumičre, afin que vous soyez des
fils de lumičre. ť Jésus dit cela et il s'en alla et se cacha d'eux.
37 Mais
bien qu'il eűt fait tant de signes devant eux, ils ne croyaient pas en lui, 38
pour que s'accomplît la parole que le prophčte Isaďe avait dite :
Ť Seigneur, qui a cru ŕ ce qui a été entendu de nous, et le bras du
Seigneur, ŕ qui a-t-il été révélé ? ť 39 Voilŕ pourquoi ils ne
pouvaient pas croire. Et parce qu'Isaďe a dit encore : 40 Ť II a aveuglé
leurs yeux et endurci leur cur, pour qu'ils ne voient pas de leurs yeux et ne
comprennent pas par le cur, pour qu'ils ne se convertissent et que je ne les
guérisse. ť 41 Isaďe a dit cela quand il a vu sa gloire et qu'il a parlé de lui.
42 Cependant, męme parmi les princes du peuple, beaucoup crurent en lui, mais ŕ
cause des pharisiens ils ne le confessaient pas, de peur d'ętre rejetés de la
synagogue. 43 En effet, ils aimčrent la gloire des hommes plus que la gloire de
Dieu.
44 Or
Jésus cria et dit : Ť Qui croit en moi ne croit pas en moi mais en celui
qui m'a envoyé. 45 Et qui me voit, voit celui qui m'a envoyé. 46 Moi, la
lumičre, je suis venu dans le monde afin que quiconque croit en moi ne demeure
pas dans les ténčbres. 47 Et si quelqu'un entend mes paroles et ne les garde
pas, moi je ne le juge pas. En effet, je ne suis pas venu pour juger le monde,
mais pour sauver le monde. 48 Qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles a
quelqu'un qui le juge. La parole que j'ai dite, c'est elle qui le jugera au
dernier jour. 49 Parce que moi ce n'est pas de moi-męme que j'ai parlé. Mais le
Pčre qui m'a envoyé m'a lui-męme commandé ce que je dois dire et ce dont je
dois parler. 50 Et je sais que son commandement est vie éternelle. Et donc ce
que moi je dis, comme le Pčre me l'a dit ainsi je le dis. ť
1589. Auparavant l'Évangéliste a montré la puissance de la divinité du Christ
ŕ travers ce qu'il a fait et enseigné pendant sa vie1 ; ici il commence ŕ montrer la
puissance de sa divinité dans sa Passion et dans sa mort : il traite d'abord de
sa Passion et de sa mort, puis de sa Résurrection [n°2470].
La premičre partie est divisée en
trois : dans la premičre, il montre les causes ou les circonstances de sa
Passion et de sa mort ; dans la deuxičme, il expose comment le Christ
prépare ses disciples avant de leur ętre retiré physiquement par sa Passion et
par sa mort [n° 1727] ; dans la troisičme, il traite de sa Passion et de
sa mort [n° 2271]. La cause ou la circonstance de la Passion du Christ fut
double : la gloire męme du Christ, qui a suscité la jalousie, et l'incrédulité
des Juifs. L'Évangéliste traite d'abord de la gloire du Christ, puis de
l'incrédulité des Juifs [n° 1688].
Ŕ propos de la gloire du Christ, il montre comment le Christ a été glorifié par les hommes, puis comment il a été glorifié par Dieu [n° 1649].
L'Évangéliste montre d'abord comment
le Christ a été glorifié par ses amis et par ses proches, puis par la foule des
Juifs [n° 1612] et, en troisičme lieu, comment il a été glorifié par les
Gentils2 [n° 1631].
1. Sur la manifestation au monde de la
divinité du Christ, voir vol. I, n° 335.
2. Sur ceux qui sont désignés par le terme Ť Gentils ť, voir vol. I, n° 549, note 1.
Jean commence par montrer la gloire
du Christ ŕ travers le service que lui ont prodigué ses intimes1, puis la jalousie suscitée par cela chez le traître [n° 1600].
La gloire du Christ ŕ travers le
service que lui ont prodigué ses intimes.
JÉSUS
DONC, AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE, VINT Ŕ BÉTHANIE, OŮ ÉTAIT MORT LAZARE,
QUE JÉSUS AVAIT RELEVÉ [D'ENTRE LES MORTS]. ON LUI FIT LŔ UN REPAS. MARTHE
SERVAIT, ET LAZARE ÉTAIT UN DE CEUX QUI ÉTAIENT Ŕ TABLE AVEC LUI MARIE DONC
PRIT UNE LIVRE DE PARFUM D'UN NARD PUR, DE GRAND PRIX, OIGNIT LES PIEDS DE
JÉSUS ET LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX, ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU
PARFUM. (12, 1-3)
Il décrit le temps, puis le lieu [n°
1592], et enfin l'hommage rendu au Christ [n° 1593].
JÉSUS
DONC, AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE2
1590. Il dit donc d'abord que le Christ, avant la fęte de la Pâque, s'en alla
dans une région proche du désert et que, la solennité de la Pâque étant toute
proche, les Juifs le cherchaient.
1. Ť Intimes ť
traduit ici le latin familiaritas. Sur le sens de ce mot, voir vol. I,
n° 1475, note 5.
2. L'Évangéliste,
en employant l'expression les six jours de la Pâque, évoque ici les
quelques jours qui précédaient la Pâque, fęte que les Juifs
commémoraient chaque année en souvenir de la délivrance du peuple d'Israël
sortant d'Égypte. Le jour de la Pâque coďncidait avec le début de la semaine
des azymes oů on ne trouvait pas de pain levé chez les Hébreux. Comme le
souligne saint Thomas plus loin (n° 1591), les six jours avant la Pâque ont une
importance particuličre puisqu'ils sont les jours oů le Christ s'est avancé
vers sa Passion. Ils sont célébrés d'une maničre particuličre chez les
chrétiens par la Semaine Sainte.
Ainsi, comme approchait le temps de
la Pâque oů l'agneau symbolique était immolé, Jésus lui-męme, l'agneau
véritable, s'avança vers le lieu de sa Passion, car il devait ętre immolé de
son plein gré pour le salut du monde - Il
s'est offert parce que lui-męme
lα voulu3.
Il dit AVANT LES SIX JOURS DE LA
PÂQUE pour que tu comprennes le jour de la Pâque non pas comme le quatorzičme
jour du premier mois oů, le soir venu, l'agneau pascal était immolé, comme on
le voit au chapitre 12 de l'Exode, mais plutôt ici comme le quinzičme jour -
qui était tout entier un jour de fęte -, et cette année-lŕ ce fut le sixičme
jour de la semaine4 que le Seigneur souffrit ;
c'est ainsi que le sixičme jour avant la Pâque fut le premier jour de la semaine,
c'est-ŕ-dire le jour du Seigneur, oů le Seigneur entra dans Jérusalem
[accueilli] avec des rameaux de palmiers. Et le jour précédent, autrement dit
le jour du sabbat, le Christ vint ŕ Béthanie : c'est pourquoi il est dit AVANT
LES SIX JOURS DE LA PÂQUE.
1591. Or ce chiffre convient bien aux mystčres. D'abord quant au chiffre
lui-męme : en effet, un nombre composé de six est parfait, d'oů il vient que
Dieu acheva l'uvre de la création en six jours, comme il est dit au premier
chapitre de la Genčse. Et ŕ cause de cela il convenait que l'uvre de la
Passion, par laquelle tout a été repris5, fűt en quelque sorte accomplie en
six jours - Pacifiant par le sang de sa Croix soit ce qui est sur la terre,
soit ce qui est dans les deux1. - Dans le Christ Dieu se réconciliait
le monde2.
3. Is 53,
7 (verset propre ŕ la Vulgate).
4. Ť Le
jour de la semaine ť traduit le latin feria (voir ci-dessous, n°
2471). C'est donc le jour du sabbat qu'était célébrée la Pâque cette
année-lŕ ; voir Jn 19, 31 - car c'était un grand jour que ce sabbat et
ci-dessous, n" 2455.
5. Voir Alcuin, Commentaria in Sancti
Ioannis Evangelium (Glossa), V, 28, PL 100, col. 906.
D'autre part, il convient au mystčre
quant ŕ ce qu'il représente. En effet, il est prescrit au livre 12 de l'Exode que
chacun, le dixičme jour du premier mois, prenne par famille un agneau pascal ŕ
immoler. C'est la raison pour laquelle le Seigneur a voulu entrer ŕ Jérusalem
le dixičme jour du premier mois, qui est le sixičme jour avant le quinzičme,
comme pour s'avancer vers le lieu de son immolation. Cela est manifeste d'aprčs
ce qui est dit plus loin : Le lendemain, la foule nombreuse qui était venue pour le jour de la fęte,
ayant appris que Jésus venait ŕ Jérusalem, prit des rameaux de palmiers et
sortit au-devant de lui3.
VINT Ŕ BÉTHANIE
1592. C'est ensuite le lieu qui est décrit. Or c'était un village proche de
Jérusalem et dont le nom signifie littéralement Ť maison d'obéissance4 ť - ce qui convenait au mystčre.
Premičrement quant ŕ la cause de la
Passion : Il s'est fait obéissant - au Pčre -jusqu'ŕ la mort5 ; deuxičmement quant ŕ son fruit, que seuls
obtiennent ceux qui lui obéissent
- II a été fait, pour tous ceux qui lui obéissent, cause de salut éternel6.
1. Col 1, 20. 2. 2 Co 5, 19. 3. Jn 12,
12-13.
4. Voir vol. I, nos 252 et 1473.
5. Ph 2,
8. Voir vol. I, n° 1422, note 1.
6. He 5,
8-9 Il apprit de ce qu'il souffrit l'obéissance et ainsi conduit ŕ sa
perfection il a été fait pour tous ceux qui lui obéissent cause de salut éterne1. Saint Thomas commente ainsi ces
versets : Ť Il apprit de ce qu'il souffrit, c'est-ŕ-dire il en a fait l'expérience.
Et l'Apôtre parle ainsi parce que
celui qui a appris quelque chose a vraiment voulu le connaître. Or le Christ a voulu accepter notre fragilité. Et c'est
pourquoi il dit qu'il a appris
l'obéissance, c'est-ŕ-dire combien il est dur d'obéir : lui-męme a obéi dans des choses trčs dures et trčs difficiles, puisqu'il est allé
jusqu'ŕ la mort de la Croix (Ph 2, 8). Et cela montre combien difficile est le bien de l'obéissance. Car ceux qui
nont pas fait l'expérience de
l'obéissance, et ne l'ont pas apprise dans
des choses difficiles, croient qu'obéir est trčs facile. Mais pour φιε tu saches ce qu'est
l'obéissance, il faut que tu apprennes ŕ obéir dans des choses difficiles, et celui qui n'a pas appris ŕ
s'abaisser en obéissant ne sait
jamais gouverner en commandant bien. Le Christ Peut donc avoir su de toute éternité par une simple connaissance (notitia) ce qu'est
l'obéissance ; cependant il a appris - par l'expérience - l'obéissance
de ce qu'il souffrit, c'est-ŕ-dire dans des choses difficiles, ŕ savoir par
les souffrances et la mort - Par l'obéissance d'un seul la multitude sera
constituée juste (Rm 5, 19) ť (Ad Heb. lect., V, n° 259).
En outre, il est clairement ajouté :
OŮ ÉTAIT M ORT
LAZARE, QUE JÉSUS AVAIT RELEVÉ [D'ENTRE LES MORTS], parce que dans la maison d'obéissance ceux qui
sont morts spirituellement dans leurs péchés sont ressuscites en étant ramenés
ŕ la vie de la justice -
Par l'obéissance d'un seul la multitude sera constituée juste7. Mais cela est dit aussi au sens littéral pour montrer que
le Christ vint ŕ Béthanie pour faire mémoire de la résurrection de Lazare Il
a laissé un
mémorial de ses merveilles, le Seigneur compatissant et miséricordieux8.
ON LUI FIT LŔ UN REPAS. MARTHE SERVAIT, ET LAZARE ÉTAIT
UN DE CEUX QUI ÉTAIENT Ŕ TABLE AVEC LUI MARIE DONC PRIT UNE LIVRE DE PARFUM
D'UN NARD PUR, DE GRAND PRIX, OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS ET LES ESSUYA AVEC SES
CHEVEUX, ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM.
1593. L'Évangéliste montre ensuite l'hommage9 rendu au Christ par ses intimes, et
cela d'abord en général, de la part de tous, puis en particulier, de la part de
chacun [n° 1595].
1594. Or il convenait au mystčre10 que ce fűt LŔ - ŕ Béthanie - qu'ON
LUI FIT UN REPAS, parce que le Seigneur se repose, au sens spirituel, dans la
maison d'obéissance, en se réjouissant de notre obéissance - Si quelquun entend ma voix et
ouvre la porte, j'entrerai chez lui, et je prendrai mon repas avec lui et lui
avec moi1.
7. Rm 5, 19.
8. Ps 110, 4.
9. Ť Hommage ť traduit
ici le mot obsequium. Dans le vol. I, n° 1510, obsequium est
traduit par obéissance. Ici, il a le sens de Ť hommage ť, et donc
aussi de déférence, de soumission respectueuse.
10. Dans son Commentaire sur
l'Évangile de saint Jean, saint Thomas distingue constamment un sens Ť littéral ť
et un sens Ť mystique ť. Ses expressions les plus fréquentes sont : convenu
mysterio, secundum mysterium, mystice, sensus mysticus, pour évoquer le
sens mystique ; et ad litteram, ad litteram pertinet, litteraliter,
sensus litteralis, pour évoquer le sens littéra1. Pour la compréhension de
ces différentes expressions, voir vol. I, Préface, p. 17 sq. Pour saint
Thomas, le sens mystique est le sens littéral divin, oů la lettre est
porteuse du mystčre, oů la lettre conduit au mystčre. Au-delŕ de la distinction
du sens littéral historique et du sens spirituel, c'est le sens voulu par
l'auteur principal, l'Esprit Saint. Voir Somme théol, I, q. 1, a. 10, c.
; Quodlibeta VII, q. 6, a.
1, c. et a. 3 ; Ad Gai. lect., n° 254.
1595. Trois personnes sont ensuite présentées, qui se tiennent auprčs de lui
ou qui le servent : Marthe, Lazare et Marie.
Marthe représente ceux qui ont
l'autorité dans l'Église, qui sont institués dans les Églises pour le service -
Qu'on nous regarde comme des serviteurs du Christ et des intendants des
mystčres de Dieu2. C'est pourquoi il est dit : MARTHE
SERVAIT - Marthe
était absorbée par les multiples soins du service3.
Quant ŕ Lazare ressuscité, il
représente ceux qui, ayant été ramenés de leurs péchés ŕ l'état de justice,
sont remis ŕ l'autorité des supérieurs de l'Église, et qui, avec les autres
justes, mangent, au sens spirituel, ŕ la table du Seigneur - Les justes festoieront et
ils exulteront en présence de Dieu, et ils se réjouiront d'une grande joie 4.
Marie représente les contemplatifs.
Il est dit en effet en saint Luc que Marie, assise aux pieds du Seigneur, écoutait ses
paroles5.
1. Ap 3,
20.
2. 1 Co
4, 1. Saint Thomas commente : Ť Et des intendants des mystčres de Dieu,
c'est-ŕ-dire de ses secrets, qui sont ses enseignements spirituels - L'esprit
est celui qui dit les mystčres (1 Co 14, 2) ; ou encore les sacrements
de l'Église, dans lesquels la puissance divine opčre en secret le salut. C'est
aussi pourquoi il est dit dans la formule de consécration de l'Eucharistie : Mysterium
fidei ť (Ad 1 Cor. lect., IV, n° 186).
3. Lc 10,
40.
4. Ps 67,
4.
5. Le 10,
39. Saint Thomas, aprčs avoir évoqué les différents aspects de la vie
contemplative sur la terre (Somme théol, II-II, q. 180), parle
longuement des rapports entre la vie contemplative et la vie active (q. 182). Il
montre tout d'abord (q. 182, a. 1, a), ŕ la suite d'Aristote (voir Éthique ŕ
Nicomaque, X, 7-8), la supériorité de la vie contemplative sur la vie
active par huit raisons : Ť 1. La vie contemplative convient ŕ l'homme
selon ce qu'il y a de meilleur en lui, qui est l'intelligence. (...) La vie
active, elle, est occupée de choses extérieures (...). 2. La vie contemplative
peut ętre plus continue, mais non pas quant au degré supręme de contemplation
(cf. q. 180, a. 8). Aussi nous montre-t-on Marie, figure de la vie
contemplative, assise sans bouger aux pieds du Seigneur (Le 10, 39). 3. Il
y a plus de délectation dans la vie contemplative que dans la vie active. D'oů
la parole d'Augustin : "Marthe s'agitait, Marie festoyait". 4. Dans
la vie contemplative, l'homme se suffit davantage ŕ lui-męme, ayant besoin de
moins de choses pour s'y livrer. D'oů cette parole : Marthe, Marthe, tu
t'inquičtes et te troubles pour beaucoup de choses (Le 10, 41). 5. La vie
contemplative est davantage aimée pour elle-męme, tandis que la vie active est
ordonnée ŕ autre chose - J'ai demandé au Seigneur une seule chose, et c'est
elle que j'entends poursuivre, qui est d'habiter la maison du Seigneur tous les
jours de ma vie, pour voir les délices du Seigneur (Ps 26, 4). 6. La vie
contemplative se présente comme un loisir et un repos - Donnez-vous du
loisir et voyez que je suis Dieu (Ps 45, 11). 7. La vie contemplative
concerne le divin, la vie active concerne l'humain. "Au commencement
était le Verbe, écrit Augustin, voilŕ celui que Marie écoutait ; le
Verbe s'est fait chair, voilŕ celui que Marthe servait". 8. La vie
contemplative appartient ŕ ce qu'il y a de proprement humain dans l'homme,
c'est-ŕ-dire l'intelligence, tandis que les puissances inférieures, communes ŕ
l'homme et ŕ la bęte, ont part aux opérations de la vie active. D'oů le psaume
(35, 7-10), aprčs avoir dit : Tu sauveras, Seigneur, les hommes et les
bętes, ajoute ceci, qui est spécial ŕ l'homme : Dans ta lumičre nous
verrons la lumičre ť. Et saint Thomas, ŕ la fin de sa réponse ajoute
une neuvičme raison, qui vient directement du Christ lui-męme : Marie a
choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée (Le 10, 42). Mais
au-delŕ de cette supériorité de la vie contemplative sur la vie active, qu'il
affirme ŕ d'autres reprises (voir surtout q. 182, a. 2, c. et a. 4, c), saint
Thomas montre cependant aussi les bienfaits de la vie active qui apporte le
réalisme du don et de l'engagement et qui devient la disposition ŕ une vraie
vie contemplative (voir q. 182, a. 3, c, et ci-dessous, n° 2487, note 2).
MARIE DONC
PRIT UNE LIVRE DE PARFUM D'UN NARD PUR, DE GRAND PRIX, OIGNIT LES PIEDS DE
JÉSUS ET LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX, ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU
PARFUM. (12, 3)
1596. Ŕ propos du service de Marie on traite de trois aspects qui concernent
le sens littéra1. Premičrement le parfum avec lequel elle a rendu hommage au
Christ, puis l'hommage qu'elle a rendu - [ELLE] OIGNIT LES PIEDS DE
JÉSUS ; enfin l'effet de son hommage - ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU
PARFUM.
Par rapport au parfum on note d'abord
sa quantité car il y en avait beaucoup : UNE LIVRE, dit l'Évangéliste - Si
tu as beaucoup, distribue
avec abondance6. Puis sa matičre : il était fait de
NARD - Tandis que le roi était étendu sur sa couche, mon nard a donné son odeur7. Le nard, en effet, est une herbe de
petite taille, avec des épis, de couleur noire, ŕ partir de laquelle est fait
un parfum qui a une vertu réconfortante par son arôme. Enfin, l'Évangéliste
note la qualité de sa composition, puisqu'il dit : PUR, DE GRAND PRIX. Selon
Augustin, ce parfum est dit PUR en raison du lieu oů le nard poussait, mais il
vaut mieux comprendre PUR au sens de Ť fidčle ť ou
Ť fiable ť, c'est-ŕ-dire qui n'a pas été rendu artificiel par quelque
mélange, car pistis en grec signifie la męme chose que fides (foi,
fidélité)1. En outre il ajoute DE GRAND
PRIX, parce que ce parfum avait été confectionné ŕ partir d'un épi de nard,
dont on fait un parfum précieux et auquel on mélange parfois d'autres choses
précieuses. En cela nous apprenons que les choses qui sont les plus précieuses
ŕ nos yeux, nous devons les offrir ŕ Dieu -Je t'offrirai de gras holocaustes
avec la fumée des béliers2.
- Maudit soit le fourbe qui possčde dans son troupeau un mâle et qui, pour
faire un vu, offre au Seigneur une bęte avariée3.
6. Tb 4,
9.
7. Ct 1,
12.
Par rapport ŕ l'hommage rendu par
Marie, remarque d'abord son humilité : elle OIGNIT LES PIEDS DE JÉSUS en se
jetant ŕ ses pieds - Nous adorerons dans le lieu oů se sont arrętés ses
pieds4. Puis sa soumission aimante (devotio5), car elle LES ESSUYA AVEC SES CHEVEUX pour
offrir en quelque sorte l'hommage de sa propre personne - Présentez vos
membres comme des armes de justice au service de Dieu6.
L'effet de son hommage au Christ est
ensuite montré quand il est dit : ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU
PARFUM ; cela nous indique la bonté du parfum dont l'odeur a rempli
toute la maison - Nous courrons ŕ l'odeur de tes parfums7.
1. Tractatus in Iohannis Evangelium, L, 6, ΒΑ 73Β, p. 267-269. Voir aussi saint Jérôme, Commentaire sur
Saint Matthieu, IV, 7 (26, 7.) SC 259,
p. 237 Ť Un autre Évangéliste [que Matthieu] a mis "du nard pur" (pistica), c'est-ŕ-dire
authentique, non falsifié, pour figurer
la foi de l'Église et des Gentils ť.
2. Ps 65, 15.
3. Ml 1, 14
4. Ps 131,7.
5. Sur le sens du mot devotio, voir
vol. I, n° 843, note 5, et n° 1391, note 6.
6. Rm 6, 13.
7. Ct 1, 3 (verset propre ŕ la Vulgate).
1597. Quant ŕ savoir si la femme dont on dit ici qu'elle a oint le Seigneur
est la męme que celle dont il est question dans Luc, Matthieu et Marc8, cela est mis en doute.
Selon Jérôme9 et Chrysostome10, beaucoup pensent que la femme
pécheresse dont parle Luc ne serait pas Marie, la sur de Lazare, dont il est
dit qu'elle a oint le Seigneur.
Origčne11, lui, ajoute que ce ne serait męme pas
la męme femme que celle dont parlent Matthieu et Marc mais encore une troisičme
: et cela, il veut le prouver de trois maničres. Premičrement d'aprčs le temps
: en effet, celle-ci a oint le Seigneur avant les six jours de la Pâque, et
celle dont parlent Matthieu et Marc, moins de deux jours avant la Pâque. De
fait, juste avant, Matthieu précise que le Seigneur avait dit : Vous savez
que la Pâque tombe dans deux jours 12. Et Marc : La Pâque et les Azymes
allaient avoir lieu deux jours plus tard13. Deuxičmement d'aprčs le lieu : en effet, au sujet de cette femme-lŕ
nous lisons qu'elle a oint le Seigneur dans la maison de Simon le
lépreux ; or il est montré ici que cela s'est produit dans la maison de
Marthe, puisqu'il est dit que Marthe servait, comme le dit aussi Augustin.
Troisičmement d'aprčs le fait lui-męme : on lit que cette femme-lŕ a parfumé la
tęte du Seigneur et celle-ci ses pieds.
Cependant selon Augustin14 et Grégoire 15, c'est une seule et męme femme qui,
rapportent les quatre Évangélistes, a oint le Seigneur, mais elle l'a fait deux
fois.
8. Cf. Le
7, 37 ; Mt 26, 7 ; Me 14, 3.
9. Commentaire
sur Saint Matthieu, IV, 7 (26, 7), SC 259, p. 236.
10. In Matthaeum homiliae, LXXXI, 1, PG 58, col.
723.
11. Commentaria in Evangelium secundum Matthaeum, LXXVII,
GCS 38, p. 178-183.
12. Mt 26, 2.
13. Mc 14, 1.
14. De consensu Evangelistarum, II, 79, 154, PL 34, col. 1154-1155.
15. XL homiliarum in Evangelia libri duo, II,
hom. 33, 1, PL 76, col. 1239 C.
Une premičre fois au début de sa
conversion, au temps de la prédication du Christ - ce que rapporte Luc * ;
et une deuxičme fois, alors que la Passion du Christ était imminente - ce que
rapportent les trois autres Évangélistes. C'est donc le męme fait qui est
raconté ici et que l'on trouve dans Matthieu et Marc2.
Pour répondre ŕ la premičre objection
qui montre la discordance de temps, il faut dire, selon Augustin, que Jean
garde l'ordre historique, alors que Matthieu et Marc placent ce fait, ŕ la
maničre d'un souvenir, juste avant la trahison de Judas dont on croit qu'il a
été l'occasion.
Quant ŕ l'objection concernant le
lieu, on peut comprendre que la maison de Simon le lépreux serait aussi celle
de Marie et de Marthe dont Simon aurait été le chef de famille, et qu'il était
appelé Ť le lépreux ť parce qu'il avait d'abord été lépreux et avait
été guéri par le Christ.
Ŕ la troisičme objection au sujet du
fait lui-męme, il faut répondre, selon Augustin, que la femme a parfumé ŕ la
fois les pieds et la tęte du Seigneur.
1598. Et si quelqu'un fait une objection ŕ ce que dit Marc, ŕ savoir que,
ayant brisé le flacon, elle versa le parfum sur la tęte de Jésus alors qu'il
était ŕ table, on peut répondre de deux maničres.
D'une premičre maničre, qu'il ne fut
pas brisé sans qu'il en soit resté de quoi lui oindre aussi les pieds. D'une
autre maničre, on peut dire qu'elle a d'abord oint ses pieds et qu'ensuite,
aprčs avoir brisé le flacon, elle a versé tout le reste sur sa tęte3.
1599. Selon le mystčre, la livre de parfum que Marie a prise signifie une
uvre de justice4 en effet, c'est ŕ la justice qu'il
appartient de mesurer et de peser les réalités singuličres - Leur poids sera
égal par rapport
ŕ la mesure du kor5. Or une uvre de justice doit ętre parfaite, grâce ŕ
l'apport de quatre vertus. Premičrement la piété, et c'est pourquoi
l'Évangéliste dit : DE PARFUM. Le parfum, parce qu'il adoucit, signifie la
miséricorde - Le jugement est sans miséricorde pour celui qui n'a pas fait
miséricorde6. Deuxičmement l'humilité, et c'est pourquoi il
dit : D'UN NARD. Le nard, étant une herbe de petite taille, signifie l'humilité
- Humilie-toi en toutes choses d'autant plus que tu es grand7. Troisičmement la fidélité, et c'est pourquoi
il dit : PUR, c'est-ŕ-dire fidčle (fidelis) - Mon juste vivra par la foi
(fide) 8. Quatričmement la charité : DE GRAND
PRIX, car seule la charité garantit le prix de la vie éternelle - Quand je
distribuerais
tous mes biens aux pauvres (...) si je n'ai pas la charité, cela ne me sert de
rien9.
C'est bien par une uvre de justice
que les pieds de Jésus sont oints, ainsi que sa tęte. Par ses pieds nous
entendons le mystčre de son humanité et par sa tęte sa divinité, selon ce
passage de la premičre épître aux Corinthiens : La tęte du Christ est Dieu10, pour que celui qui vénčre sa divinité et son humanité comprenne qu'il
doit oindre et la tęte et les pieds du Christ. Ou bien par sa tęte nous pouvons
entendre la personne męme du Christ, selon ce passage de l'épître aux Éphésiens
: Il l'a établi
tęte sur toute l'Église \ Et par ses pieds, les
fidčles du Christ, dont Matthieu dit : Chaque fois que
vous l'avez fait ŕ l'un de ces plus petits de mes frčres, c'est ŕ moi que vous
l'avez fait2. Et Isaďe : Qu'ils sont beaux sur les
montagnes, les pieds de celui qui annonce et proclame la paix !3 Ainsi, celui qui vénčre le Christ lui-męme oint la tęte du Christ et
celui qui honore ses fidčles oint ses pieds. Et parce que les cheveux sont
produits par surabondance, les pieds du Seigneur sont essuyés avec les cheveux,
puisque quelqu'un subvient au manque de ses proches en prenant de son superflu - Donnez plutôt en aumônes ce que
vous avez en trop4. C'est pourquoi Augustin5 dit : Ť Si tu as du superflu, donne-le aux pauvres, et tu as
essuyé les pieds du Seigneur. ť D'autre part, ŕ travers les paroles
suivantes : ET LA MAISON S'EMPLIT DE L'ODEUR DU PARFUM, il est signifié que,
grâce aux uvres de justice, la bonne renommée remplit toute l'Église - Par
nous, il répand
en tout lieu le parfum de sa connaissance : car nous sommes la bonne odeur du
Christ6.
1. Cf. Lc7, 37.
2. Cf. Mt 26 ; Me 14.
3. Saint
Thomas poursuit les remarques que saint Augustin propose pour identifier la
sur de Lazare et la femme pécheresse (De consensu Évangelistarum, II,
79, 155, PL 34).
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., L, 6, BA 73B, p. 267.
5. Ez 45,
11. Le kor (l'homer ou le muid) est une ancienne unité de mesure - C'est
ŕ partir du kor que les mesures seront fixées (Ez 45, 11) - prise pour
les liquides, les grains et diverses matičres, et dont la contenance variait
selon les pays et les marchandises. Cela explique la diversité des notes dans
les différentes traductions bibliques. Ainsi la Bible de Jérusalem donne pour
le kor (ou homer ou muid) la contenance de 450 litres. Par contre la Bible du
chanoine Osty donne pour le kor la contenance de 364 litres. Il faut noter le
1/2 kor, le livek, 225 ou 182 litres, et le 1/10 kor, l'épha ou le bat, 45 ou
36,4 litres. Le verset 11 de ce passage d'Ézéchiel est souvent traduit
ainsi : Ť Leur poids sera égal ŕ la mesure du kor. Que la mesure contienne
un dixičme de kor et le boisseau un dixičme de kor. C'est ŕ partir du kor que
les mesures seront fixées ť, traduction oů le boisseau et la
mesure représentent l'épha, le 1/10 du kor. Il est peut-ętre intéressant de
noter que le kor représentait la charge que pouvait porter un âne. Dans ce
passage d'Ézéchiel, Yahvé invite son peuple ŕ la justice : il l'exhorte ŕ avoir
des mesures justes.
6. Je 2, 13.
7. Si 3, 20.
8. Ha 2, 4.
9. 1 Co 13, 3.
10. 1 Co 11, 3.
La jalousie du traître.
ALORS
L'UN DE SES DISCIPLES, JUDAS ISCARIOTE, CELUI QUI ALLAIT LE LIVRER, DIT :
Ť POURQUOI CE PARFUM N'A-T-IL PAS ÉTÉ VENDU TROIS CENTS DENIERS QU'ON
AURAIT DONNÉS AUX PAUVRES ? ť OR IL DIT CELA, NON PARCE QU'IL SE
SOUCIAIT DES PAUVRES MAIS PARCE QU'IL ÉTAIT VOLEUR, ET QUE TENANT LA BOURSE, IL
DÉROBAIT CE QU'ON Y METTAIT. JÉSUS DIT DONC : Ť LAISSEZ-LA, C'EST POUR LE
JOUR DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM. LES PAUVRES, EN EFFET,
VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS, MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS
TOUJOURS. ť (12, 4-8)
1600. Puis nous est montrée la jalousie du traître que le service dont nous
venons de parler [le geste de Marie] a suscitée. Et cela de deux maničres :
l'Évangéliste montre d'abord la jalousie du traître, puis la correction de
cette jalousie [n° 1607].
1. Ep 1, 22.
2. Mt 25, 40.
3. Is 52, 7.
4. Lc 11, 41.
5. Tract, in Io., L, 6, ΒΑ 73B, p. 269.
6. 2 Co 2, 14-15. Voir vol. I, n° 1546, note 4.
I
Il montre la jalousie du traître
d'abord en décrivant sa personne, puis en exposant ses paroles [n° 1602], et
enfin en manifestant la malice de son intention [n° 1603].
Sa personne
1601. Sa personne est manifestée par trois choses. En premier lieu par sa
dignité, lorsqu'il est dit : ALORS L'UN DE SES DISCIPLES (...) DIT, pour
montrer que personne, quelle que soit l'excellence en laquelle il a été établi,
ne doit présumer de lui-męme, car il est dit dans Job : Chez ses anges il a trouvé une faute7.
7. Jb 4,
18. Saint Thomas commente : Ť Et assurément cette phrase est tout ŕ fait
selon l'enseignement de la foi catholique. La foi catholique soutient en effet
que tous les anges ont été créés bons, mais que certains par leur propre faute
sont déchus de leur état de rectitude, alors que d'autres sont
parvenus ŕ une gloire plus grande. Le fait que des anges soient tombés de cet
état de rectitude paraît étonnant pour deux raisons, dont l'une concerne leur
capacité de contempler et l'autre leur capacité d'agir. ť Quant ŕ leur capacité
de contempler, saint Thomas ajoute : Ť Comme les anges paraissent adhérer
ŕ Dieu plus que les autres créatures, et de maničre plus proche en tant qu'ils
le contemplent avec plus de pénétration, ils semblent plus stables que les
autres créatures, et cependant ils ne furent pas stables. Aussi les créatures
inférieures - c'est-ŕ-dire les hommes -, si liées soient-elles ŕ Dieu dans le
culte qu'elles lui rendent - qui est de le servir -, peuvent-elles encore moins
ętre tenues pour stables ť (Exp. super lob, 4, 18, p. 31-32, 1. 411-440).
En second lieu par son nom : JUDAS
ISCARIOTE. Or Judas signifie Ť celui qui confesse * ť, pour signifier
qu'outre la confession2 qui relčve de la vertu et dont il
est dit dans l'épître aux Romains : La confession des lčvres se fait en vue du salut3, il y a une
certaine confession blâmable et intéressée dont parle le psaume : Il te
confessera
(flattera) lorsque tu lui auras fait du bien4.
En troisičme lieu par son crime :
CELUI QUI ALLAIT LE LIVRER - Celui qui mangeait mon pain a levé le talon
contre moi5.
Ses paroles
POURQUOI CE PARFUM N'A-T-IL PAS ETE VENDU TROIS CENTS
DENIERS QU'ON AURAIT DONNÉS AUX PAUVRES ?
1602. Ensuite sont exposées les paroles męmes de Judas, ŕ partir desquelles
il nous est montré qu'ŕ la bonne odeur du parfum il était mort spirituellement6, selon ce passage de la deuxičme épître aux Corinthiens : Nous
sommes la bonne odeur du Christ : pour les uns, une odeur de mort qui conduit ŕ
la mort ; pour les autres, une odeur de vie qui conduit ŕ la vie1. Il lui déplaisait en effet que le parfum
n'ait pas été vendu, mais répandu en hommage au Christ ; c'est pour cette
raison qu'il dit : POURQUOI CE PARFUM N'A-T-IL PAS ÉTÉ VENDU TROIS CENTS
DENIERS ? Mais comme il est dit, les ministres de Satan se déguisent en
ministres de justice8. Voilŕ pourquoi il cachait son
iniquité sous une apparence de piété9, en disant : QU'ON AURAIT DONNÉS AUX PAUVRES - Son cur fait
l'iniquité pour feindre et pour parler ŕ Dieu en le trompant d'une maničre
fourbe10.
1. Cf. SAINT JÉRÔME, Liber interpretationis
hebraicorum nominum (Lag. 61, 27-28), CCL, vol. LXXII, p. 136.
2. Saint
Thomas, dans la Somme théologique, distingue l'acte intérieur de la foi
et son acte extérieur, qui est la confession de foi. Citant un passage de
l'épître aux Romains (10, 10), il montre que Ť la confession de foi n'est
pas de nécessité de salut ŕ tout moment et en tout lieu ť, mais qu'elle
est nécessaire Ť quand, par omission de cette confession, on soustrairait
ŕ Dieu l'honneur qui lui est dű, ou on priverait le prochain de l'utilité qu'on
doit lui procurer ť (II-II, q. 3, a. 2, c).
3. Rm 10,
10.
4. Ps 48,
19. Voir vol. I, n° 893, note 2.
5. Ps 40,
10.
6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., L,
8, BA 73B, p. 273 Ť Si
tu as aimé celui qui fait le bien, la bonne odeur t'a fait vivre ; si tu
as jalousé celui qui fait le bien, la bonne odeur te fera mourir ť, et loc.
cit., 10, BA 73B, p. 277 Ť Pierre
et Judas reçurent le męme pain [eucharistique], et cependant qu'y a-t-il de
commun entre le fidčle et l'infidčle ? (2 Co 6, 15) Pierre en effet
reçut ce pain pour la vie, Judas pour la mort. Il en va en effet de cette bonne
nourriture comme de cette bonne odeur : comme la bonne odeur, la bonne
nourriture donne elle aussi la vie aux bons et la mort aux méchants. En effet, celui
qui la mange indignement mange et boit sa propre condamnation (1 Co 11,
29) ť. 7. 2 Co 2, 15-16.
1603. Aussi l'Évangéliste met-il ŕ découvert l'intention trompeuse de Judas
en ajoutant : OR IL DIT CELA, NON PARCE QU'IL SE SOUCIAIT DES PAUVRES. En effet
il ne se souciait pas de leur venir en aide, parce que, comme il est dit dans
les Proverbes : Les entrailles des impies sont cruelles11 ; MAIS PARCE QU'IL ÉTAIT VOLEUR, il avait
l'habitude de voler et déplorait que l'occasion de voler lui ait été enlevée
par l'effusion du parfum ; et c'est par cette avarice qu'il a été conduit
ŕ la trahison. Il est dit en effet dans l'Ecclésiastique : Pour l'avare, rien n'est trop
criminel12. - Le voleur ne vient que pour
voler, et pour mettre ŕ mort et pour perdre 13.
Du fait donc qu'il avait l'habitude
de voler, l'Évangéliste ajoute cette explication : ET QUE TENANT LA BOURSE,
c'est-ŕ-dire établi gardien de la bourse du Seigneur, il portait avec lui, en
raison de son service, CE QU'ON Y METTAIT, les dons des fidčles destinés ŕ
l'usage du Christ et des pauvres, mais il les emportait en voleur.
8. Cf. 2 Co 11, 15.
9. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem homiliae, LXV, 2, PG 59, col. 362.
10. Is
32, 6.
11. Pr
12, 10.
12. Si
10, 9 (verset propre ŕ la Vulgate). 13. Jn 10, 10.
1604. Ici on remarque deux choses. Premičrement, le fait que le Christ vivait
d'aumônes, comme un pauvre - Et moi je suis mendiant et pauvre1. Deuxičmement, que ce n'est pas un manque de
perfection que de garder des aumônes en réserve ; c'est pourquoi, ce qui
est dit dans Matthieu : Ne vous inquiétez pas du lendemain2, ne signifie pas qu'il ne faut rien garder en réserve pour le
lendemain, puisque le Seigneur a fait cela, lui qui fut le modčle souverain de
la perfection.
1605. Mais, demande-t-on, pourquoi le Seigneur a-t-il confié ŕ Judas la garde
de la bourse, alors qu'il le savait voleur ?
Ŕ cela il faut répondre de trois
maničres. D'abord, selon Augustin3, le Christ a fait cela pour que son
Église, lorsqu'elle a ŕ souffrir de voleurs, les supporte : car celui qui n'a
pas pu supporter les mauvais n'est pas bon - Comme le lis entre les chardons, ainsi est ma bien-aimée
entre les jeunes femmes*.
D'autre part, le
Seigneur lui a confié la bourse pour lui enlever une occasion de trahison,
puisqu'il avait avec la bourse de quoi apaiser sa convoitise5 ; mais, comme il est dit dans l'Ecclésiaste : L'avare ne se rassasiera pas d'argent6. Enfin, selon d'autres7, c'est pour enseigner que les choses
spirituelles doivent ętre confiées aux plus grands mais les choses temporelles
aux moins dignes ; c'est pourquoi les Apôtres ont dit : Il ne
sied pas que nous délaissions la parole de
Dieu pour servir aux tables8, mais ont confié ce service ŕ l'un
des sept diacres.
1. Ps 39, 18.
2. Mt 6, 34.
3. Tract, in Io., L, 11, BA 73B, p. 279.
4. Ct 2, 2.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXV, 2, PG 59, col. 363.
6. Qo 5, 9.
7. Cf. ThÉophylacte,
Enarratio in Évangelium S. Ioannis. In h. toc-, PG 124, col. 118
D.
1606. On se demande aussi comment il est dit ici que seul Judas a fait une
remarque sur ce parfum répandu, alors que d'aprčs Matthieu ce sont des
disciples.
Mais lŕ il faut dire9 que Matthieu emploie le pluriel ŕ la place du singulier, de męme qu'il est dit : Ils sont
morts, ceux qui en voulaient ŕ la vie de l'enfant10. Ou bien on peut dire11 que d'abord Judas a murmuré et que,
ŕ cause de lui, les autres ensuite ont été poussés ŕ proférer des paroles
semblables, bien que n'ayant pas la męme intention.
II
JESUS
DIT DONC : Ť LAISSEZ-LA, C'EST POUR LE JOUR DE MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT
GARDER CE PARFUM. LES PAUVRES, EN EFFET, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS,
MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS. ť (12, 7-8)
1607. Aprčs avoir exposé la jalousie du traître ŕ cause de l'hommage de la
femme, l'Évangéliste montre ici la correction de cette jalousie : d'abord le
Seigneur repousse l'accusation calomnieuse que Judas avait portée contre la
femme ; puis il exclut la raison pieuse que ce męme Judas avait prétendue
[n° 1610].
8. Ac 6,
2.
9. Cf. saint Jérôme, Commentaire sur Saint
Matthieu, TV, 7 (26, 8), SC 259, p. 237-239. Saint Jérôme nomme cette
construction syllepsis ; en fait, il s'agit de la synecdoque, Ť figure
de rhétorique qui consiste ŕ prendre le plus pour le moins, la matičre pour
l'objet, l'espčce pour le genre, la partie pour le tout, le singulier pour le
plurie1... ou inversement ť (P. Robert, Dictionnaire alphabétique et
analogique de la langue française, t. 6, Art. Synecdoque, Le Nouveau
Littré, Paris, 1980).
10. Mt 2, 20.
11. Cf. saint Jean Chrysostome, In
Ioannem hom., LXV, 2, PG 59, col. 363 ; saint Augustin, De consensu Evangelistarum, II, 79,
156, PL 34, col. 1155-1156.
1608. Il dit donc : LAISSEZ-LA, c'est-ŕ-dire : ne l'empęchez pas1. Il faut savoir en effet que beaucoup de bonnes uvres sont
accomplies, que nous n'aurions pas conseillé de faire si on nous avait demandé
conseil auparavant, parce que peut-ętre elles auraient pu ętre
meilleures ; cependant, une fois qu'elles ont été commencées, pourvu
qu'elles soient bonnes, on ne doit pas les empęcher. Et comme le dit
Chrysostome2, Jésus, avant que la femme eűt
répandu le parfum, aurait peut-ętre plutôt choisi qu'il fut donné aux
pauvres ; mais puisque cela avait déjŕ été fait, il arręte ceux qui l'en
empęchent, en disant : LAISSEZ-LA - N'empęchez pas celui qui fait le
bien ; et si tu le peux, toi-męme jais le bien3.
Et il ajoute : C'EST POUR LE JOUR DE
MA SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM : ici, il annonce pour la premičre
fois l'imminence de sa mort et l'hommage que cette femme aurait été pręte ŕ lui
rendre pour son ensevelissement, si elle n'avait été devancée par la prompte
Résurrection du Christ : en effet, comme on le lit dans Marc4, Marie-Madeleine ainsi que d'autres femmes achetčrent des aromates
pour aller oindre Jésus. C'est pourquoi il dit : C'EST POUR LE JOUR DE MA
SÉPULTURE QU'ELLE DEVAIT GARDER CE PARFUM, c'est-ŕ-dire non pas celui qui a été
répandu mais un parfum semblable soit par l'espčce, soit par le genre, soit par
l'usage qui en a été fait, comme s'il disait : ne l'empęchez pas de faire pour
moi tant que je vis ce qu'elle ne pourra pas faire quand je serai mort ;
car, comme il a été dit, elle a été devancée par la prompte Résurrection du
Christ5. Et cela est exprimé davantage dans
Marc : D'avance elle a parfumé mon corps pour lensevelissement0.
1. Saint
Thomas commente ainsi la réponse semblable de Jésus en Mt 26, 10 Ť Le
Seigneur est toujours l'avocat de cette femme et, quand le pharisien l'accusait
de péché - Si cet homme était un prophčte, il
saurait qui est vraiment cette femme qui le touche et ce qu'elle est (Le 7,
39) -, le Seigneur l'a excusée au nom de l'amour (dilectio). De męme
aussi, Marthe l'accusait d'ętre oisive, et le Seigneur l'a excusée au nom de la
contemplation. Ici les disciples [l'accusent] de répandre ce parfum et le
Seigneur l'excuse en raison de la ferveur de son amour (devotio)
- Pourquoi tracassez-vous cette femme ? - Vous vous ruez sur l'orphelin et
vous vous efforcez de détruire votre ami (Jb 6, 27) ť (Sup.
Matth. lect., XXVI, n° 2136).
2. In Matthaeum hom., LXXX, 2, PG 58, col. 726.
3. Pr 3,
27.
4. Cf. Mc
16, 1.
1609. Mais a-t-elle pressenti la mort du Christ ? Il faut dire que non :
en effet elle n'avait pas l'intelligence de ce qu'elle faisait ; mais
elle a été mue par un certain Ť instinct7 ť intérieur8 ŕ faire cela. Car souvent certains sont poussés ŕ faire quelque chose
qu'ils ne comprennent pas, comme Caďphe, plus haut9. C'est pourquoi ces choses-lŕ sont
appelées présages en tant qu'elles se produisent avant les faits [qu'elles
annoncent].
LES
PAUVRES, EN EFFET, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS, MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ
PAS TOUJOURS.
1610. Ensuite il exclut la raison pieuse prétendue par Judas - Pourquoi ce
parfum n'a-t-il pas été vendu trois cents deniers qu'on aurait donnés aux
pauvres ? C'est bien ŕ cause de cela que le Seigneur ajoute : LES
PAUVRES, EN EFFET, VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS.
Ici, il faut savoir que parfois il
faut faire ce qui est moins nécessaire, s'il reste l'occasion d'accomplir ce
qui est plus nécessaire, surtout si l'occasion de faire ce qui est moins nécessaire va nous ętre
retirée. Et, pour cette raison, bien qu'il fűt plus nécessaire que ce parfum
fűt donné aux pauvres, plutôt que d'en oindre les pieds de Jésus, cependant
puisque cela peut encore ętre fait, vu que les pauvres, nous les aurons
toujours avec nous, le Seigneur a permis que fűt accompli ce qui était moins
nécessaire.
5. Cf. Alcuin, Comm.
in S. Ioannis Evang., V, 28, PL 100, col. 908.
6. Mc 14,
8.
7. Sur
l'usage que fait ici saint Thomas du mot instinctus, voir vol. I, n°
1577, note 4.
8. Ailleurs
saint Thomas commente : Ť Avait-elle l'intention d'ensevelir le
Christ ? Non. Mais, comme le dit Augustin, l'Esprit Saint, de męme qu'il
meut ŕ parler, meut parfois ŕ agir - Ceux qui sont mus par
l'Esprit de Dieu ne sont plus sous la Loi (Rm 8, 14). C'est
pourquoi il peut arriver que l'Esprit Saint incline quelqu'un ŕ
faire quelque chose qui n'était pas son intention. Ainsi, l'intention de
Marie-Madeleine était celle d'une uvre bonne, mais l'Esprit Saint ordonnait
cette uvre ŕ la sépulture du Christ ť (Sup. Matth. lect., XXVI,
n°2138).
9. Voir
Jn 11, 49-52.
Et dans ce qu'il dit - LES PAUVRES,
VOUS LES AUREZ TOUJOURS AVEC VOUS - il laisse entendre la familiarité 1 que les riches doivent avoir envers les pauvres - Fais-toi aimer de la communauté des pauvres2.
MAIS
MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS.
1611. Cela semble aller ŕ rencontre de ce qu'il dit dans Matthieu : Et
moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu'ŕ la consommation des sičcles3.
Je réponds que, selon saint Augustin4, le Seigneur, en disant : MAIS MOI VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS,
parlait de la présence de son corps, en tant qu'il apparaît sous la forme avec
laquelle il s'élčverait dans le ciel - De nouveau, je quitte le monde5. Mais quant ŕ la présence de sa divinité, il
est toujours avec nous ; et de męme d'une maničre sacramentelle dans l'Église.
Ou bien on peut répondre autrement6, en disant que le Seigneur, lorsqu'il dit cela, entend la présence de sa divinité. En effet, certains semblent avoir le Christ spirituellement soit dans le sacrement, soit dans la confession de la foi, qui cependant ne sont pas destinés ŕ l'avoir toujours, puisqu'ils sont d'Église seulement quant au nombre mais pas quant au mérite - et tels sont les esclaves. Les fils, eux, sont destinés ŕ l'avoir toujours : car, comme il est dit plus haut : Le fils demeure dans la maison pour l'éternité1. Il dit donc ŕ Judas : MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS parce que tu t'en es rendu indigne. En cela, comme le dit Chrysostome, le Seigneur réprimande Judas : en effet, en ayant mal supporté cet hommage rendu au Christ, il semble ętre accablé par la présence du Christ ; et c'est pourquoi le Christ dit : MAIS MOI, VOUS NE M'AUREZ PAS TOUJOURS, comme s'il disait : je suis gęnant et pesant pour toi, mais attends un peu et je m'en irai.
1612. Ensuite l'Évangéliste montre comment Jésus a été glorifié par la foule
des Juifs : premičrement par la foule qui venait le voir ; deuxičmement
par la foule qui s'avançait ŕ sa rencontre [n° 1616].
1. Sur le
sens du mot familiaritas, voir vol. I, n° 1475, note 5.
2. Si 4, 7.
3. Mt 28, 20.
4. Tract, in Io., L, 13, BA 73B, p. 283-285. La deuxičme explication sera elle aussi reprise au
commentaire de saint Augustin, <*ˇ 12, p. 281-283.
5. Jn 16, 28.
6. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXV, 2, PG 59, col. 363. 7. Jn 8,
35.
Jean 12, 9-11 LES OCCASIONS DE LA PASSION ET DE
LA MORT DU CHRIST
Le Christ glorifié par la foule venue pour le voir.
LA
GRANDE FOULE DES JUIFS SUT QU'IL ÉTAIT LŔ ET ILS VINRENT, NON Ŕ CAUSE DE JÉSUS
SEULEMENT, MAIS POUR VOIR LAZARE, QU'IL AVAIT RELEVÉ D'ENTRE LES MORTS. LES
PRINCES DES PRĘTRES DÉCIDČRENT DE TUER AUSSI LAZARE, PARCE QUE BEAUCOUP DE
JUIFS S'EN ALLAIENT Ŕ CAUSE DE LUI ET CROYAIENT EN JÉSUS. (12, 9-11)
Il montre d'abord la dévotion x de la foule
qui vient voir le Christ, puis comment la jalousie extręme des pharisiens
s'excite [n° 1614].
1613. L'Évangéliste montre d'abord la venue de la foule, puis l'occasion de
cette venue.
Ŕ propos de la venue de la foule, il
dit : LA GRANDE FOULE DES JUIFS SUT QU'IL ÉTAIT LŔ [ŕ Béthanie] ET ILS VINRENT,
- ce ŕ quoi le Seigneur invite : Venez ŕ moi, vous tous qui peinez et ployez
sous le fardeau, et moi je vous donnerai le repos2. Et c'est pourquoi, lŕ oů nous savons qu'il
est, nous devons nous rendre en toute hâte.
La cause de cette venue est double.
Ils venaient pour jouir de la vue du Christ et de son enseignement, et aussi
POUR VOIR LAZARE, et cela pour deux raisons. D'abord, parce que ce qui lui
était arrivé, dans la mesure oů il a été relevé d'entre les morts aprčs avoir
passé quatre jours dans le tombeau, était trčs admirable ; et cela, les
hommes désirent le voir - Admirables tes uvres, et mon âme les connaîtra
bien3, c'est-ŕ-dire : elle se donnera de
la peine pour les connaître. Deuxičmement parce que, Lazare ayant été ramené ŕ
la vie, ils espéraient entendre quelque chose sur l'autre vie et pouvoir en
juger ; et le désir de cette connaissance est inné chez les hommes4, et cela va contre ce que disent les sots : Courte et ennuyeuse est
notre vie, et il n'est pas de bonheur éternel ŕ la fin de l'homme ; et on
ne connaît personne qui soit revenu des enfers5. Voici en effet que Lazare, qu'il a relevé d'entre les morts, est revenu
des enfers.
1614. D'autre part, l'Évangéliste montre la jalousie extręme des pharisiens
envieux, en disant : LES PRINCES DES PRĘTRES DÉCIDČRENT DE TUER AUSSI LAZARE,
en quoi ils semblaient aller contre Dieu : lui-męme, en effet, rendait la vie ŕ
Lazare, et eux voulaient le tuer -11 a couru contre Dieu le cou tendu0. Or voici la raison de cette jalousie : PARCE
QUE BEAUCOUP DE JUIFS S'EN ALLAIENT Ŕ CAUSE DE LUI ET CROYAIENT EN JÉSUS.
1615. Cependant le Christ en avait guéri beaucoup, par exemple le paralytique
7, l'aveugle8 ; pourquoi donc voulaient-ils tuer seulement Lazare ?
Chrysostome9 donne ŕ cela quatre raisons : l'une est que ce miracle était plus
manifeste, ayant été réalisé devant beaucoup de monde, et qu'il était
inconcevable de voir un homme mort depuis quatre jours marcher et parler. Une
autre, que Lazare était une personne illustre mais l'aveugle quelqu'un
d'inconnu, et c'est pourquoi ils l'ont chassé du Temple. La troisičme raison
est que ce miracle a été fait alors que la fęte était toute proche, quand tout
le peuple des Juifs, se rassemblant pour le jour de la fęte, était dans
l'admiration et que quittant la fęte, ils venaient ŕ
1. Sur le
sens du mot devotio, voir vol. I, n° 843, note 5 et n° 1391, note 6.
2. Mt 11, 28. 3. Ps 138, 14.
4. Cf. ThÉophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 119.
5. Sg 2, 1. 6. Jb 15, 26.
7. Cf. Jn 5, 1-9.
8. Cf. Jn 9, 1-7.
9. In Ioannem hom., LXVI, 1, PG 59, col. 365-366.
Béthanie. La quatričme est que pour
les autres miracles du Christ ils s'efforçaient de l'accuser de violer le
sabbat et, par lŕ, essayaient de détourner de lui les foules, mais qu'ici ils
ne pouvaient rien faire de te1. Voilŕ pourquoi, parce qu'ils n'avaient rien ŕ
reprocher ŕ Jésus, ils ont entrepris quelque chose contre Lazare, comme si
c'était le moyen le plus puissant de dissimuler le miracle
- Leurs pieds courent vers le mal et ils ont hâte de répandre le sang1.
Le Christ glorifié par la
foule se portant ŕ sa rencontre.
1616. Ici nous est montrée la dévotion de la foule qui s'avance ŕ la
rencontre du Christ : d'abord le mouvement de la foule, puis la jalousie des
pharisiens [n° 1630].
I
L'Évangéliste montre premičrement le
mouvement de la foule, puis l'arrivée du Seigneur [n° 1625], et enfin la cause
de ce mouvement [n° 1629].
LE
LENDEMAIN, LA FOULE NOMBREUSE QUI ÉTAIT VENUE POUR LE JOUR DE LA FĘTE, AYANT
APPRIS QUE JÉSUS VENAIT Ŕ JÉRUSALEM, PRIT DES RAMEAUX DE PALMIERS ET SORTIT
AU-DEVANT DE LUI ; ET ILS CRIAIENT : Ť HOSANNA ! BÉNI CELUI QUI
VIENT AU NOM DU SEIGNEUR, LE ROI D'ISRAËL ! ť (12, 12-13)
1617. Ce mouvement est décrit sous quatre aspects. Premičrement, le moment oů
il a lieu : LE LENDEMAIN, c'est-ŕ-dire ŕ partir du jour dont il avait dit :
AVANT LES SIX JOURS DE LA PÂQUE, ce qui correspond au dixičme jour du mois. Et
cela s'accorde avec la préfiguration oů il est dit que c'était le dixičme jour
du mois qu'il fallait se procurer l'agneau pascal pour l'immoler le quatorzičme
jour au soir2.
1618. Deuxičmement, la description porte sur les personnes qui vont ŕ la
rencontre du Christ : LA FOULE NOMBREUSE QUI ÉTAIT VENUE POUR LE JOUR DE LA
FĘTE. Par lŕ est signifiée la multitude des peuples qui devaient se convertir
au Christ - L'assemblée
des peuples t'environnera
3. Or l'Évangéliste dit POUR LE JOUR
DE LA FĘTE, parce que les fidčles se convertissent au Christ pour parvenir au
jour de la fęte de la Jérusalem céleste - Beaucoup viendront de l'Orient et
de l'Occident et se mettront ŕ table avec Abraham, Isaac et Jacob dans le
Royaume des deux4.
1619. Troisičmement on en vient au motif du mouvement de la foule : le fait
qu'elle a entendu dire que Jésus arrivait. C'est pourquoi l'Évangéliste dit :
AYANT APPRIS QUE JÉSUS VENAIT Ŕ JÉRUSALEM. En effet, tous les fidčles se
convertissent au Christ ŕ cause de ce qu'ils ont entendu - La foi vient de
l'audition, et l'audition par la parole du Christ5. - Les fils d'Israël apprirent que le
Seigneur les avait visités, et le peuple crut1.
l. Pr 1, 16.
2. Cf. Ex 12, 3 sq. Voir ci-dessus, n° 1589,
note 2, p. 44.
3. Ps 7,
8.
4. Mt 8,
11.
5. Rm 10,
17. Saint Thomas a déjŕ souvent cité dans son Commentaire sur
l'Évangile de saint Jean ce passage de l'épître aux Romains :
La foi vient de l'audition. Il a d'abord montré comment saint Jean est
attentif au fait que Jésus s'est révélé aux Apôtres et ŕ d'autres par le
témoignage de Jean Baptiste (Jn 1, 15, voir vol. I, n° 191). Ce témoignage est
plein de ferveur et d'ardeur (n° 193), il est continu (n° 195), il conduit ŕ la
rencontre avec le Christ (nos 196-199).
Puis, ŕ la suite de saint Jean, saint Thomas montre que ce sont les paroles de
la Samaritaine qui sont source de conversion pour son entourage Qn 4, 39, n°
657). Il précise cependant que si Ť ce qui conduit ŕ la foi, c'est la
parole de l'homme (...) nous sommes amenés par la parole de l'homme ŕ croire,
non ŕ l'homme qui parle, mais ŕ Dieu dont il dit les paroles ť (n° 773). Parmi
toutes ces paroles qui conduisent ŕ la foi, c'est la parole du Christ qui a la
plus grande efficacité : La foi vient de l'audition, et l'audition par la
parole du Christ. Saint Thomas, en commentant cette parole du Christ : Si
vous demeurez dans ma parole vous serez vraiment mes disciples (Jn 8, 31),
explique que cette parole exige de nous trois choses : la promptitude pour
l'écouter, la foi pour croire, et un amour fervent (n° 1195). Dans son traité
sur l'Incarnation (Somme théol., III, q. 1-26), il montre que du fait de
l'Incarnation Ť notre foi devient plus certaine puisque c'est Dieu
lui-męme qui parle et ŕ qui elle adhčre : "Pour que l'homme, dit Augustin,
marchât vers la vérité avec plus d'assurance, le Fils de Dieu qui est la Vérité
męme a, en se faisant homme, constitué les fondements de notre foi"Ť (loc.
cit., q. 1, a. 2, c.)ˇ Voir aussi Ad Rom. lect., X, n° 844, cité
dans le vol. I, n° 657, note 1.
1620. En quatričme lieu, le mouvement de la foule est décrit selon la maničre
dont il s'est produit : d'abord par rapport ŕ ce que la foule a fait,
puisqu'elle PRIT DES RAMEAUX DE PALMIERS. Or la palme, parce qu'elle garde sa
verdeur, signifie la victoire, c'est pourquoi chez les anciens elle était
donnée aux vainqueurs en signe de victoire.
Et nous lisons dans l'Apocalypse, au
sujet des martyrs qui ont remporté la victoire, qu'ils tenaient des palmes dans leurs mains2. Les rameaux de palmiers sont donc, selon Augustin3, les louanges exprimant la victoire par laquelle le Seigneur, en
mourant, allait vaincre la mort et, par la victoire de la Croix, triompher du
diable, le prince de la mort. ET SORTIT AU-DEVANT DE LUI Prépare-toi, Israël, ŕ la rencontre de ton Dieu4.
1621. Puis quant ŕ ce que la foule a dit, puisqu'ILS CRIAIENT :
Ť HOSANNA ! BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR, LE ROI
D'ISRAËL ! ť Ici, c'est une demande et une louange. Une demande,
assurément, puisqu'ils disent HOSANNA, c'est-ŕ-dire : Ť Sauve, je t'en
prie. ť Hosy signifie Ť sauve ť et anna signifie
Ť je t'en prie ť. Et, selon Augustin5, ce n'est pas un verbe, mais
l'interjection de celui qui supplie. Or c'est d'une maničre droite qu'ils demandent ŕ Dieu le salut puisque,
comme il est dit dans Isaďe
: Dieu lui-męme viendra et nous sauvera0 ;
c'est aussi pourquoi
le psaume disait : Réveille ta puissance et viens7.
1. Ex 4, 31.
2. Ap 7, 9.
3. Tract, in Io., LI, 2, BA 73B, p. 291.
4. Am 4,
12.
5. Ibid.
L'étymologie que saint Thomas rapporte du mot Hosanna provient des Étymologies
de saint Isidore de Séville (Etymologiarum
sive originum librě XX, VI, XDC, 22-23), ŕ travers le commentaire de SAINT
BČDE le VÉNÉRABLE (In Sancti
Ioannis Evangelium Expositio, col. 787 Β).
1622. C'est aussi une louange, ŕ deux points de vue : ŕ savoir, ŕ l'égard de
son arrivée et ŕ l'égard de la puissance de sa royauté. Ils louent son arrivée
en disant : BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR. Ici il faut savoir que
bénir, c'est dire du bien. C'est différemment que Dieu nous bénit et que nous
bénissons Dieu. En effet, Dieu, en nous bénissant, nous rend bons, car pour
lui, dire c'est faire - Lui-męme
a dit, et tout a été fait8. Mais nous, en bénissant Dieu, nous confessons sa bonté - De la maison du
Seigneur, nous vous bénissons9.
- Béni soit qui te bénira 10.
BÉNI, donc, CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR. En effet, le Christ
uvrait au nom de
Dieu ; parce que toutes les uvres qu'il faisait, il les ordonnait ŕ la
gloire de Dieu. Mais puisque le Pčre est Seigneur et que le Fils aussi est
Seigneur, AU NOM DU SEIGNEUR peut se comprendre de deux maničres. D'une
premičre maničre, BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR, ŕ savoir : en son
propre nom, en tant qu'il est Seigneur - Le Seigneur est notre législateur1. Donc Moďse, en ce sens, n'est pas venu au nom
du Seigneur, puisqu'il est venu comme serviteur - Moďse a été fidčle, comme
serviteur, dans toute la maison [de Dieu], pour témoigner de ce qui devait ętre
dit2. Mais selon Augustin3, il vaut mieux dire AU NOM DU SEIGNEUR, c'est-ŕ-dire du Pčre. Car
c'est vers cela que ses paroles dirigent notre intelligence - Moi je suis
venu au nom de mon Pčre4. Or venir au nom du Pčre se dit en
deux sens. D'abord, certes, en tant qu'il vient comme Fils, ce qui fait
comprendre Ť Pčre ť ; ensuite, en tant qu'il vient comme celui
qui manifeste le Pčre -J'ai manifesté ton nom aux hommes5.
6. Is 35,
4.
7. Ps 79,
3.
8. Ps
148, 5. Saint Thomas, en commentant l'évangile de saint Jean, cite souvent ce
verset de psaume (voir vol. I, nos 135,
694, 719, 1310). C'est toujours pour rappeler l'action créatrice de Dieu,
toute-puissante, Ť effet du Verbe conçu dans l'Esprit divin ť (voir
n° 135 et note 3). Mais ici, dans ce passage, en assumant la pensée philosophique
d'Aristote sur la découverte de l'existence de Dieu, substance séparée (voir Métaphysique,
A, ch. 6 ŕ 10), saint Thomas met en lumičre la différence de l'Ętre de Dieu
et de notre ętre humain. Dieu est l'Ętre premier, tout ŕ fait simple dans son
ętre, en qui aucune composition n'existe, ni celle des parties quantitatives,
ni celle de la forme et de la matičre, de la nature et du sujet, de l'essence
et de l'ętre, du genre et de la différence, du sujet et des accidents (voir Somme
théol., I, q. 3). En lui, le dire, la pensée, l'agir et l'ętre ne font
qu'un. Dieu se suffit ŕ lui-męme. Il est l'Acte pur, lipsum esse
subsistens, lesse subsistant par soi, Vesse non reçu donc infini.
Il s'aime et se contemple lui-męme. Il est la Pensée de la pensée. Ainsi quand
il nous bénit, il nous rend bons ; quand il nous aime, il nous rend bons
parce que son acte d'aimer, de bénir, est substantie1. En nous, notre ętre est
limité, second, participé. Nous existons parfois sans penser et nous pensons
parfois sans parler ni agir. Notre ętre est l'ętre d'une créature. Il y aura
toujours en nous, męme aprčs notre mort, une distance entre notre substance
créée et nos opérations. Et nous avons constamment besoin de l'autre pour nous
déterminer, nous actuer. Quand nous aimons, c'est parce que l'autre, l'ami,
dans son ętre, dans sa bonté, nous attire, et ainsi détermine et actue notre
capacité d'aimer dans ce qu'elle a de plus radica1. Et nous ne rendons pas
l'autre bon par notre amour ; c'est le bien existant chez l'autre qui est
source de notre amour (voir Somme théol., I, q. 20, a. 2, c).
9. Ps
117, 26. 10. Gn 27, 29.
1623. D'autre part, ils louent la puissance de sa royauté lorsqu'ils disent :
LE ROI D'ISRAË1. En effet les Juifs, parce qu'ils en restaient ŕ la lettre des
Écritures, croyaient qu'il était venu pour régner sur eux d'une maničre
temporelle et pour les libérer de la servitude des Romains, et c'est pourquoi
ils l'applaudissaient comme roi - Π régnera en roi et il sera sage6. - Voici que le roi régnera par la justice7.
1624. Mais il faut savoir que toutes leurs paroles pouvaient venir des
psaumes. En effet, alors que le psaume disait : La pierre que les bâtisseurs
ont rejetée, celle-lŕ est devenue la tęte d'angle8, il est ajouté : Ô Seigneur, je t'en prie,
donne-moi le salut ! (...) Béni celui qui vient au nom du Seigneur9. Ici Jérôme, selon la vérité de l'hébreu, a
transcrit : HOSANNA ! BÉNI CELUI QUI VIENT AU NOM DU SEIGNEUR10. Cependant, ce qu'ils ajoutent ensuite : LE ROI D'ISRAËL, ne se trouve
pas dans le psaume, oů il est dit : Le Seigneur est Dieu, et il nous a
illuminés11. En cela, ŕ cause de leur aveuglement, ils
diminuent leur louange, puisque le psaume le loue comme Dieu et eux comme un
roi tempore1.
1. Is 33, 22.
2. He 3, 5.
3. Tract, in Io., LI, 3, BA 73B, p. 291-293.
4. Jn5, 43.
5. Jn 17, 6.
6. Jr23, 5.
7. Is 32, 1.
ET
JÉSUS TROUVA UN PETIT ÂNE ET S'ASSIT DESSUS, COMME IL EST ÉCRIT : Ť NE
CRAINS PAS, FILLE DE SION : VOICI QUE TON ROI VIENT, ASSIS SUR LE PETIT D'UNE
ÂNESSE. ť CELA, SES DISCIPLES NE LE COMPRIRENT PAS D'ABORD ; MAIS
QUAND JÉSUS EUT ÉTÉ GLORIFIÉ, ALORS ILS SE SOUVINRENT QUE CELA SE TROUVAIT
ÉCRIT Ŕ SON SUJET ET QUE C'ÉTAIT CE QU'ON LUI AVAIT FAIT.
LA
FOULE DONC RENDAIT TÉMOIGNAGE, CELLE QUI ÉTAIT AVEC LUI LORSQU'IL APPELA LAZARE
DU TOMBEAU ET LE RELEVA D'ENTRE LES MORTS. C'EST POUR CELA AUSSI QUE LA FOULE
VINT AU-DEVANT DE LUI, PARCE QU'ILS AVAIENT APPRIS QU'IL AVAIT FAIT CE SIGNE.
(12, 14-18)
1625. L'Évangéliste expose ici la venue du Seigneur. Il montre d'abord la
maničre dont il est venu ; il introduit la prophétie [n° 1627], puis
présente la disposition des disciples ŕ l'égard de ce fait [n° 1628].
8. Ps 117, 22.
9. Ps
117, 25-26.
10. Aucune
édition de la Vulgate ne rend la formule hébraďque du Ps 117 par Hosanna. Saint
Jérôme aurait pu, selon saint Thomas, traduire le texte de Jn 12, 13 en
revenant ŕ l'étymologie du mot Hosanna (Ť Sauve, je t'en
prie ! ť). Pour rester proche de la parole hébraďque, intégrée dans
le Sanctus de la liturgie, il l'a laissée telle qu'on la lit, simplement
transcrite, dans le texte grec. On retrouve la męme indication dans le
commentaire de saint Thomas (Sup. Matth. lect., XXI, n° 1693) sur le
passage parallčle de Matthieu (21, 9) s'appuyant lŕ aussi sur l'interprétation
de saint Jérôme.
11. Ps
117, 27.
ET
JÉSUS TROUVA UN PETIT ÂNE ET S'ASSIT DESSUS.
1626. Au sujet du premier point, remarquons que l'Évangéliste Jean a écrit
son Évangile aprčs tous les autres. Par conséquent il avait lu en entier et
avec soin tous les évangiles, et ce qui avait été davantage développé par les
autres, lui-męme l'a rapporté succinctement, tandis que ce qu'ils avaient omis,
lui l'a ajouté. Aussi, puisqu'il est montré en détail dans les autres évangiles
comment le Seigneur envoya deux de ses disciples chercher un âne, Jean est
passé bričvement sur ce fait en disant : ET JÉSUS TROUVA
UN PETIT ÂNE ET S'ASSIT DESSUS.
Or il faut savoir que les actions du
Christ sont comme intermédiaires entre les actions de l'Ancien Testament et
celles du Nouveau : pour cette raison, la foule qui le précédait et celle qui
le suivait le louaient l'une et l'autre, parce que les actions du Christ sont
la rčgle et l'exemple de celles qui sont accomplies dans le Nouveau Testament
et qu'elles ont été préfigurées par les pčres de l'Ancien Testament \
Quant ŕ l'âne, qui est un animal
grossier, il représente le peuple des nations paďennes, et Jésus s'est assis
dessus pour montrer que lui-męme serait le Rédempteur des nations - Je t'ai donné comme lumičre aux nations pour que tu sois mon salut
jusqu'aux extrémités de la terre2. Heureux vous qui semez partout oů il y a de l'eau, et laissez en
liberté le pied du buf et de l'âne3, c'est-ŕ-dire rassemblant dans l'unité
de la foi le peuple juif et celui des paďens.
Matthieu, parce qu'il a écrit son
Évangile pour les Juifs, fait mention d'une ânesse, par laquelle est signifiée
la synagogue des Juifs, qui fut comme la mčre des nations dans les choses
spirituelles, car de Sion sortira la loi, et la
parole du Seigneur de Jérusalem4. Mais les autres Évangélistes, parce qu'ils
ont écrit leurs évangiles pour les nations, ont aussi fait mention du petit de
l'ânesse.
1. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVI, 1, PG 59, col. 365-366.
2. Is 49,
6. Saint Thomas commente : Ť Je te glorifierai dans un si grand ministčre
que par toi mon salut sera annoncé non seulement aux Juifs mais ŕ toutes les
nations. Dieu est-il seulement le Dieu des Juifs ? (Rm 3, 29). Cela
convient parfaitement au Christ, qui par sa prédication et l'anéantissement de
la mort a produit peu de fruit chez les Juifs mais a illuminé les nations et
les a sauvées ť (Exp. super Isaiam, 49, 6, p. 202, 1. 55-63).
3. Is 32,
20.
COMME
IL EST ÉCRIT : Ť NE CRAINS PAS, FILLE DE SION : VOICI QUE TON ROI VIENT,
ASSIS SUR LE PETIT D'UNE ÂNESSE. ť
1627. L'Évangéliste introduit ensuite la prophétie écrite en Zacharie5, qui premičrement apporte l'apaisement, puis promet la majesté royale
et enfin ajoute l'utilité d'un roi.
Le prophčte apporte l'apaisement en
disant : NE CRAINS PAS, FILLE DE SION. La citadelle de Sion était ŕ Jérusalem
lŕ oů se trouvait la demeure du roi. La fille de Sion est donc le peuple de
Jérusalem et des Juifs qui étaient assujettis au roi de Jérusalem. Il dit donc
aux Juifs : NE CRAINS PAS, puisque le Seigneur est ton défenseur - Qui es-tu
pour craindre l'homme mortel ?6 - Le Seigneur est le défenseur de ma vie, devant qui tremblerais-je ?7 En cela l'Évangéliste exclut la crainte mondaine et servile8.
Il promet la majesté royale en disant
: VOICI QUE TON ROI VIENT - Un tout-petit nous a
été donné9. - Il siégera sur le trône de David et sur son
royaume10.
4. Is 2, 3.
5. Voir Za 9, 9. 6. 1s 51, 12.
7. Ps 26, 1.
8. Ŕ ce
sujet, voir ci-dessous, n° 1783, note 2.
9. Is 9,
6. Saint Thomas commente : Ť Ici, il décrit le Sauveur, tout d'abord quant
ŕ notre maničre de le recevoir. (...) En effet, nous le recevons en notre
nature dans la Nativité - Mais l'ange leur dit : "Ne craignez
pas, car voici que je vous apporte la bonne nouvelle d'une grande joie pour
tout le peuple ; c'est qu'il vous est né aujourd'hui, dans la ville de
David, un Sauveur, qui est le Christ-Seigneur" (Le 2, 10-11). Nous
le recevons en notre connaissance selon la parole du Pčre : Celui-ci
est mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour :
écoutez-le (Mt 17, 5). (...) Nous le recevons encore dans une crainte
divine (reverentia) par sa Passion afin quau nom de Jésus
tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers (Ph 2, 10) ť {Exp.
super Isaiam, 9, 6, p. 68, 1. 84-102).
10. Is 9,
7.
II dit TON, ŕ savoir prenant chair de
toi, puisque ce n'est certes pas des anges qu'il se charge, mais de la
descendance d'Abraham \ Ou bien TON au sens de : pour ton utilité. D'oů il
ajoute : VIENT ŕ toi - Si tu avais connu, toi aussi, ce qui maintenant peut
te donner la paix ! mais cela est demeuré caché ŕ tes yeux2... Par leur résistance, ils ont empęché que ce
soit utile pour eux.
Il vient, dis-je, vers toi, non pas
pour la terreur mais pour la libération, et c'est pourquoi il dit ensuite :
ASSIS SUR LE PETIT D'UNE ÂNESSE, ce qui signifie la clémence du roi, qui est
fort bien accueillie par ceux qui lui sont soumis - Son trône est affermi
dans la clémence21.
Mais contre cela il
est dit : Semblable au rugissement du lion, la fureur du roi !4 Autrement dit, il ne vient pas dans le faste royal, par lequel il
pourrait ętre odieux, mais il vient dans la douceur - On t'a établi
maître ? Ne t'exalte pas5. Ne crains donc pas l'oppression du
roi. La Loi ancienne, elle, a été donnée dans la terreur parce qu'elle
engendrait pour la servitude. De plus, ce qui manifeste la puissance de ce roi,
c'est qu'en venant dans l'humilité et la faiblesse il a attiré le monde entier
- Car ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes6.
CELA, SES DISCIPLES NE LE COMPRIRENT PAS D'ABORD ;
MAIS QUAND JÉSUS EUT ÉTÉ GLORIFIÉ, ALORS ILS SE SOUVINRENT QUE CELA SE TROUVAIT
ÉCRIT Ŕ SON SUJET ET QUE C'ETAIT CE QU'ON LUI AVAIT FAIT. (12, 16)
1. He 2,
16.
2. Le 19,
42.
3. Pr 20,
28.
4. Pr 19,
12.
5. Si 32,
1.
6. 1 Co
1, 25. Saint Thomas commente : Ť II n'est pas dit que quelque chose est
faible en Dieu par manque de puissance, mais par un dépassement de la puissance
humaine, de męme aussi qu'il est dit invisible
en tant qu'il dépasse l'intelligence humaine - Tu montres ta puissance, si
l'on ne croit pas que tu es souverainement puissant (Sg 12, 17). Il est
vrai que cela peut se rapporter au mystčre de l'Incarnation, car ce qui est
tenu pour fou et faible en Dieu du côté de la nature qu'il a assumée transcende toute sagesse et toute puissance
- Qui est semblable ŕ toi parmi les forts, Seigneur ? (Ex 15,
11) ť (Ad 1 Cor. lect., I, n° 62).
1628. L'Évangéliste, en disant cela, montre dans quelles dispositions se
trouvaient les disciples ŕ l'égard de la prophétie citée, et il confesse ŕ la
fois son ignorance et celle des disciples, car, comme il est dit dans les
Proverbes, le juste est le premier ŕ s'accuser lui-męme1.
Voilŕ pourquoi il dit que ces choses
qui viennent d'ętre dites, SES DISCIPLES NE LES COMPRIRENT PAS D'ABORD,
c'est-ŕ-dire avant la Passion, MAIS QUAND JÉSUS EUT ÉTÉ GLORIFIÉ, ŕ savoir
quand il montra la puissance de sa Résurrection, ALORS ILS SE SOUVINRENT QUE
CELA SE TROUVAIT ÉCRIT Ŕ SON SUJET ET QUE C'ÉTAIT CE QU'ON LUI AVAIT FAIT. La
raison pour laquelle ils ont compris cela quand il a été glorifié, c'est
qu'alors ils ont reçu la plénitude de l'Esprit Saint, ce qui les a rendus plus
sages que tous les sages - C'est l'inspiration du Tout-Puissant qui donne
l'intelligence8. Or l'Évangéliste dit cela pour
montrer que ce n'est pas ce qui a eu lieu ici, mais que les disciples y ont
pręté attention plus tard.
LA FOULE DONC RENDAIT TÉMOIGNAGE.
1629. L'Évangéliste expose ici la cause du mouvement de la foule. Ce fut le
TÉMOIGNAGE QUE LA FOULE RENDAIT au sujet de la résurrection de Lazare LORSQU'IL
APPELA LAZARE DU TOMBEAU ET LE RELEVA D'ENTRE LES MORTS.
C'EST POUR CELA AUSSI QUE LA FOULE
VINT AU-DEVANT DE LUI, PARCE QU'ILS AVAIENT APPRIS QU'IL AVAIT FAIT CE SIGNE - Les
Juifs demandent des signes 9. C'était bien en effet le signe le
plus manifeste et le plus admirable, et c'est pourquoi il l'a réservé pour la fin, pour qu'il
s'imprimât davantage dans leur mémoire.
7. Pr 18,
17 (verset propre ŕ la Vulgate).
8. Jb 32,
8.
9. 1 Co
1, 22.
II
LES
PHARISIENS SE DIRENT DONC ENTRE EUX Ť VOUS VOYEZ QUE NOUS NE GAGNONS
RIEN. VOILŔ QUE TOUT LE MONDE EST PARTI APRČS LUI ť (12, 19)
1630. Jean montre alors la jalousie des pharisiens, excitée par l'échec de
leur tentative ; c'est pourquoi ils disaient : VOUS VOYEZ QUE NOUS NE GAGNONS RIEN. VOILŔ QUE
TOUT LE MONDE EST PARTI APRČS LUI Ce qui est bien la parole des pharisiens
jaloux, quand ils disent : NOUS NE GAGNONS RIEN, sous-entendu par notre malice, puisque nous sommes
incapables de l'arręter. Ť Gagner ť est pris dans le męme sens dans
la deuxičme épître ŕ
Timothée : Quant aux hommes
mauvais et aux séducteurs, ils gagneront toujours plus en mal1.
Mais pourquoi cette foule aveugle est-elle jalouse ? Parce que LE MONDE EST PARTI APRČS LUI, lui par qui le monde a été fait2. Cependant il est signifié par cela que le monde tout entier le suivrait - Nous vivrons en sa présence, et nous chercherons ŕ connaître le Seigneur0. Chrysostome4, quant ŕ lui, veut que ces paroles soient celles des pharisiens qui croyaient, mais en secret par crainte des Juifs5. Et ils disent cela pour qu'ils cessent de persécuter le Christ, comme s'ils disaient : plus vous lui dressez des embűches, plus il grandit et sa gloire s'étend. Pourquoi donc ne renoncez-vous pas ŕ tant d'embűches ? - ce qui est presque identique au conseil de Gamaliel dont il est question dans les Actes des Apôtres6.
1631. Aprčs avoir exposé la gloire que le Christ a reçue du service de ses
proches et de la dévotion des foules, l'Évangéliste montre ici la gloire qu'il
a reçue de la dévotion des Gentils. Tout d'abord il montre la dévotion des
Gentils, puis comment leur dévotion s'est déclarée [n° 1634]. En dernier lieu
vient l'annonce de la Passion du Christ [n° 1635].
La dévotion des Gentils.
OR IL Y
AVAIT QUELQUES GENTILS, DE CEUX QUI ÉTAIENT MONTÉS POUR ADORER PENDANT LA FĘTE.
CEUX-CI DONC S'AVANCČRENT VERS PHILIPPE, QUI ÉTAIT DE BETHSAĎDE EN GALILÉE, ET
ILS LE PRIAIENT EN DISANT : Ť SEIGNEUR, NOUS VOULONS VOIR JÉSUS. ť
(12, 20-21)
1. 2 Tm
3, 13. Saint Thomas commente : Ť II faut dire que ceux qui progressent
dans le mal le font en vertu d'une permission de Dieu, ou bien ici qu'ils
progressent dans le mal du fait de l'intention de leur malice qui est toujours
en vue du mal ; mais selon la providence divine ils sont empęchés de
pouvoir achever ce qu'ils ont commencé. Cependant ils deviennent de plus en
plus mauvais en eux-męmes en tant qu'ils se trompent au sujet de la
vérité ť (Ad 2 Tim. lect., III, nos 118).
La dévotion des Gentils est
premičrement considérée quant aux sacrements de l'Ancien Testament et,
deuxičmement, quant au Christ [n° 1633].
2. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., Il, 7, BA 73B, p. 297.
3. Os 6, 3.
4. In Ioannem hom., LXVI, 2, PG 59, col. 367.
5. Jn 19,
38.
6. Cf. Ac
5, 34-39.
1632. Leur dévotion ŕ l'égard des sacrements de l'Ancien Testament est
manifestée par le fait qu'ils venaient au Temple. C'est pourquoi l'Évangéliste
dit : OR IL Y AVAIT QUELQUES GENTILS, DE CEUX QUI ÉTAIENT MONTÉS (sous-entendu ŕ
Jérusalem) POUR ADORER PENDANT LA FĘTE, autrement dit : non seulement la foule
des Juifs mais encore les Gentils eux-męmes honoraient le Christ.
Or la raison pour laquelle ils
montaient est précisée, selon un ajout, par le fait qu'ils étaient prosélytes
et convertis au rite des Juifs, ŕ la prédication des Juifs eux-męmes : car ils
étaient dans le monde entier et s'efforçaient de convertir ŕ eux beaucoup de gens - Vous parcourez mers et
continents pour gagner un prosélyte1. Et c'est pourquoi, selon le rite des Juifs, ils
montaient avec les autres.
Mais il vaut mieux dire, selon Chrysostome2, que, comme on le voit dans le second livre des Maccabées3, le Temple de Dieu qui se trouvait ŕ Jérusalem était vénéré par tous
les peuples et rois de la terre entičre, de telle sorte qu'ils embellissaient
ce męme Temple par de trčs grands présents. Et c'est pourquoi il arrivait que
les jours de fęte beaucoup de Gentils aussi, par dévotion, montaient ŕ
Jérusalem. Nous lisons quelque chose de semblable dans les Actes des Apôtres4 ŕ propos de l'eunuque de Candace, reine des Éthiopiens, qui était venu
adorer ŕ Jérusalem. Voilŕ pourquoi il est dit dans Isaďe : Ma maison sera appelée maison de pričre pour
tous les peuples, dit le Seigneur5. Or les Gentils dont il s'agit ici, ŕ cause de leur dévotion, étaient
montés au Temple en préfiguration de la conversion des Gentils ŕ la foi.
1. Mt 23,
15.
2. Absente
chez saint Jean Chrysostome, cette explication est un développement du
commentaire de Théophylacte (Enatr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG
124, col. 123). Saint Thomas y ajoute la référence ŕ 2 M 3, 2. On la retrouvera
dans la Postula de Nicolas de Lyre (vers 1320) sur ce męme verset :
Ť Car parmi les Gentils certains étaient convertis au rite des Juifs - on
les appelait les prosélytes - et ceux-ci étaient tenus, comme les autres,
d'ętre présents ŕ la solennité de la Pâque. Ils sont nommés ici Gentils parce
que cela restait pour eux leur premier nom. D'une autre maničre, on interprčte
cela, et mieux, des Gentils selon la vérité parce que le Temple, ŕ cause de sa
sainteté, était vénéré par les Gentils qui étaient au milieu des Juifs (comme
on le rapporte en 2 M 3, 2), et c'est pourquoi beaucoup d'entre eux montaient ŕ
Jérusalem pour adorer, et surtout lors de la solennité de la Pâque ;
cependant ils n'étaient pas admis ŕ manger l'agneau pascal, sauf ceux qui ayant
abandonné le rite de la gentilité étaient circoncis, comme le livre de l'Exode
le rapporte au chapitre 12 [v. 44 et 48]. Ceux-ci donc, qui avaient entendu
parler des miracles du Christ, voulaient le voir et entendre son
enseignement ť {Bibliorum Sacrorum cum Glossa Ordinaria, éd. de
Venise, 1603).
3. Cf. 2
M 3, 2 sq.
1633. Quant ŕ leur dévotion ŕ l'égard du Christ, elle est manifestée par le
fait qu'ils désiraient le voir ; c'est pourquoi Jean dit : CEUX-CI DONC, ŕ
savoir les Gentils, S'AVANCČRENT VERS PHILIPPE (...) ET ILS LE PRIAIENT EN
DISANT : Ť SEIGNEUR, NOUS VOULONS VOIR JÉSUS. ť En effet, il faut
savoir que le Christ n'a pręché en personne qu'aux Juifs -Je V affirme, le
Christ Jésus s'est fait ministre de la circoncision pour montrer la vérité de
Dieu en accomplissant les promesses faites ŕ nos pčres6. Mais pour les nations il a pręché par ses apôtres - J'enverrai
certains de leurs rescapés vers les nations (...), vers les îles lointaines qui
n'ont pas entendu parler de moi et n'ont pas vu ma gloire. Et ils révéleront ma
gloire aux nations "''. - Allez, de toutes les nations faites des
disciples8.
Cela donc était déjŕ annoncé ici,
dans la mesure oů les Gentils, voulant voir le Christ, ne sont pas venus
directement vers lui mais vers l'un de ses disciples, Philippe. Et cela
convient, puisque c'est lui qui, le premier, a pręché ŕ ceux qui étaient
étrangers au rite des Juifs, c'est-ŕ-dire les Samaritains9, comme il est dit dans les Actes des Apôtres : C'est ainsi que Philippe descendit dans une
ville de Samarie et leur pręchait le Christ1. Cela lui convient selon la signification de son nom : en effet,
Philippe signifie Ť bouche (ouverture) de lampe2 ť. Or les prédicateurs sont la
bouche du Christ - Si tu sépares ce qui est noble de ce qui est vil, tu
seras comme ma bouche3. Or le Christ est la lampe - Je
t'ai donné comme lumičre aux nations*. Cela convient ŕ Philippe aussi par
rapport au lieu parce qu'il ÉTAIT DE BETHSAĎDE, qui veut dire Ť chasse5 ť, et que les prédicateurs vont ŕ la chasse de ceux qui se
convertissent au Christ - J'enverrai mes chasseurs et ils leur feront la
chasse0. De męme pour DE GALILÉE qui veut dire
Ť passage7 ť : les Gentils, par suite de
la prédication des apôtres, sont passés de l'état de paďens ŕ l'état de
croyants - Toi donc, fils d'homme, fais-toi un bagage d'émigré ; tu
émigreras devant eux en plein jour8.
4. Cf. Ac 8, 27.
5. Is 56, 7.
6. Rm 15, 8. 7. 1s 66, 19.
8. Mt 28, 19.
9. En
réalité, ce fut le diacre Philippe qui, selon le ch. 8 des Actes des Apôtres,
partit évangéliser la Samarie. Dans la Somme théologique, III, q. 38, a.
6, ad 1, saint Thomas distingue clairement les deux personnages.
S'avançant donc vers Philippe, ils
expriment leur désir en disant : NOUS VOULONS VOIR JÉSUS, ce qui signifie que
les Gentils, qui n'avaient pas vu le Christ d'une maničre sensible, ayant été
convertis ŕ la foi par le ministčre des apôtres, désirent le voir glorifié dans
la patrie - Toute la terre désirait voir le visage de Salomon 9.
La déclaration de cette dévotion.
PHILIPPE VIENT ET IL LE DIT A ANDRE ; PUIS ANDRÉ ET
PHILIPPE LE DISENT Ŕ JÉSUS. (12, 22)
1634. Cette dévotion des Gentils est déclarée au Christ, et ŕ travers cette
déclaration se découvre un ordre car, comme il est dit dans l'épître aux
Romains : Ce qui vient de Dieu a été ordonné10. Or cet ordre divin existe pour que
les réalités inférieures soient ramenées ŕ Dieu par les réalités supérieures :
André, en effet, fut supérieur ŕ Philippe dans l'apostolat parce qu'il fut
converti avant lui ; et c'est pourquoi Philippe n'a pas voulu conduire ces
Gentils au Christ par lui-męme seulement, mais par André, se rappelant
peut-ętre ce que le Seigneur avait dit : Ne prenez pas le chemin des nations11. C'est bien ce que dit Jean : PHILIPPE (...)
LE DIT Ŕ ANDRÉ ; PUIS ANDRÉ ET PHILIPPE LE DISENT Ŕ JÉSUS. En cela
nous est donné l'exemple qu'il faut tout faire d'aprčs le conseil de ceux qui
sont plus grands que nous. C'est ainsi que Paul est monté ŕ Jérusalem et a
exposé aux Apôtres l'Évangile qu'il pręchait chez les Gentils n. Nous
pouvons, par les noms de ces deux Apôtres, comprendre deux choses qui sont
nécessaires aux prédicateurs pour conduire les hommes au Christ. En premier
lieu, l'éloquence d'une parole ordonnée, ce qui est indiqué dans le nom de
Philippe, qui signifie Ť bouche de lampe ť. En second lieu, la
puissance d'une bonne opération, comme l'indique le nom d'André, qui signifie Ť viril * ť - Par la
parole du Seigneur les cieux ont été affermis, et par le souffle de sa bouche
toute leur puissance2.
1. Ac 8, 5.
2. Cf. saint JÉRÔME,
Liber interpretationis hebraicorum nominum (Lag. 64, 22-23), CCL, vol. LXXII, p. 140.
3. Jr 15, 19.
4. Is 42, 6.
5. Cf. saint
Jérôme, op. cit. (Lag. 60, 21), CCL, vol. LXXII, p. 135. Sur
la signification de Bethsaďde, voir aussi vol. I, n° 314.
6. Jr 16,
16.
7. Cf. SAINT
JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorum nominum, (Lag. 64, 25), CCL,
vol. LXXII, p. 140. Voir aussi vol. I, nos 310, 338 et 1011.
8. Ez 12,
3.
9. 1 R
10, 24.
10. Rm 13,
1. Saint Thomas commente : Ť La raison en est que Dieu a tout fait par sa
sagesse - Tu as fait toutes choses avec sagesse (Ps 103, 24). Or c'est
le propre de la sagesse de disposer toutes choses avec ordre - Elle déploie
sa force d'un bout du monde ŕ l'autre et dispose tout avec douceur (Sg 8,
1). Et c'est pourquoi il faut que les effets divins soient ordonnés - Connais-tu
l'ordre du ciel, et en rendras-tu raison sur la terre ? (Jb 38, 33). Or
Dieu a institué un double ordre dans ses effets : l'un par lequel tout est
ordonné vers lui - Le Seigneur a fait toutes choses pour lui-męme (Pr
16,4) ; l'autre par lequel les effets divins sont ordonnés les uns par
rapport aux autres, comme il est dit dans le Deutéronome (4, 19) au sujet du
soleil, de la lune et des étoiles ť {Ad Rom. lect., XIII, n° 1024).
Dans ce paragraphe, saint Thomas développe d'abord l'interprétation de ThÉophylacte (Enarr. in Ev. S. Ioannis.
In h. foc, PG 124, col. 123) puis celle de saint
Jean Chrysostome {In Ioannem hom., LXVI, 2, PG 59, col. 367-368).
11. Mt
10, 5.
12. Cf. Ga
2, 1-2.
Le Christ annonce sa Passion.
1635. Le Christ commence par annoncer que le temps de sa Passion est
imminent, puis il révčle la nécessité de sa Passion [n° 1638]. Enfin, il montre
la nécessité de la passion des autres [n° 1642].
I
ET JÉSUS LEUR RÉPONDIT EN DISANT : Ť L'HEURE EST
VENUE, OŮ DOIT ĘTRE GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME. ť (12, 23)
1636. Remarquons ici qu'en voyant ces Gentils se hâter vers la foi, et
comprenant qu'en eux, d'une certaine maničre, commençait la conversion des
nations, le Seigneur a annoncé que le temps de sa Passion était imminent ;
de męme lorsqu'il voit le champ déjŕ blanc, il dit : l'heure est venue de jeter
la faucille pour la moisson3
Voyez les campagnes : elles sont déjŕ blanches pour la moisson4. C'est de la męme façon, donc, que le Seigneur
parle ici. Du fait, dit-il, que les nations cherchent ŕ me Voir, L'HEURE EST
VENUE, OŮ DOIT ĘTRE GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME.
1637. C'est bien de trois maničres qu'il a été glorifié. Premičrement, dans
sa Passion - Le
Christ ne s'est pas glorifié (clarificavit) lui-męme en se faisant grand prętre
(sur l'autel de la Croix), mais il a été glorifié par celui qui
lui a dit : Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré5. Et en ce sens il dit : L'HEURE EST VENUE, OŮ
DOIT ĘTRE GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, c'est-ŕ-dire oů il doit souffrir, parce qu'avant sa
Passion les nations ne se convertiront pas ŕ lui. C'est bien par sa Passion
qu'il a été glorifié, avec des signes visibles comme l'éclipsé du soleil, le
déchirement du voile et d'autres du męme genre ; et avec des signes
invisibles comme la victoire triomphante qu'il a remportée ouvertement, en
lui-męme, sur les princes des enfers6. Et c'est pour cette raison qu'il a
dit plus haut : Mon heure n'est pas encore venue7, car la dévotion des nations n'était pas encore pręte comme ŕ présent.
1. Cf. saint Jérôme, Liber interpretationis hebraicorum
nominum (Lagˇ 64, 24-27), CCL, vol. LXXII, p. 142. Voir vol. I, n° 299.
2. PS 32, 6.
3. Cf. Ap 14, 15.
4. Jn 4, 35. Voir vol. I, nos 646-648.
5. He5, 5.
Deuxičmement, il a été glorifié dans
sa Résurrection et son Ascension. Il fallait d'abord, en effet, que le Christ
ressuscitât et montât au ciel, et qu'ainsi glorifié il envoyât le Saint-Esprit
sur les Apôtres par lesquels les nations devaient ętre converties - L'Esprit
n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié*.
- Montant dans les hauteurs, le Christ a emmené des captifs9.
En troisičme lieu, il a été glorifié
par la conversion des Gentils - Que toute langue confesse que Jésus Christ est
Seigneur ŕ la gloire de Dieu le Pčre10.
6. Cf. Col
2, 15.
7. Jn 2,
4.
8. Jn 7,
39. Voir vol. I, nos 1095 et
1096.
9. Ps 67,
19.
10. Ph 2,
11.
II
AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, SI LE GRAIN DE BLÉ TOMBANT EN
TERRE NE MEURT PAS, IL DEMEURE SEU1. MAIS S'IL MEURT, IL PORTE BEAUCOUP DE
FRUIT. (12, 24-25)
1638. En disant cela, le Christ laisse entendre la nécessité de sa Passion,
et aprčs l'avoir exposée il en donne l'utilité [n° 1641].
1639. La nécessité de sa Passion a pour cause la conversion des nations, qui
ne peut avoir lieu sans que le Fils de l'homme soit glorifié par sa Passion et
sa Résurrection, et c'est bien ce qu'il dit : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS -
c'est-ŕ-dire Ť en vérité ť -, SI LE GRAIN DE BLÉ TOMBANT EN TERRE NE
MEURT PAS, IL DEMEURE SEUL.
Ŕ ce propos, au sens littéral, il
faut savoir que nous utilisons le grain de blé pour deux choses : soit pour le
pain, soit comme semence. Or le grain de blé est compris ici en tant qu'il est
une semence, non en tant qu'il est la matičre du pain ; car en ce sens il
ne se multiplie jamais pour porter du fruit. Et le Christ dit : MEURT, non pas
qu'il perde sa vertu de semence, mais parce qu'il est changé en une autre
espčce - Ce que tu sčmes, toi, ne reprend vie
s'il ne meurt1. Ainsi, de
męme que la parole de Dieu est une semence dans l'âme de l'homme, selon qu'elle
est revętue de la voix sensible, en vue de produire le fruit d'une bonne
opération - La semence, c'est la parole de Dieu2 -, de męme le Verbe de Dieu, revętu de chair, est la semence envoyée
dans le monde, ŕ partir de laquelle une trčs grande moisson devait se lever :
c'est aussi pourquoi il est comparé ŕ un grain de moutarde3.
Il dit donc : moi je suis venu comme
une semence pour porter du fruit et c'est pourquoi, en vérité, je vous le dis :
SI LE GRAIN DE BLÉ TOMBANT EN TERRE NE MEURT PAS, IL DEMEURE SEUL, c'est-ŕ-dire
: si moi je ne meurs pas, le fruit de la conversion des nations ne s'ensuivra
pas. D'autre part, il se compare au grain de blé puisqu'il est venu pour
refaire et soutenir les esprits humains, ce que le pain de blé réalise
particuličrement - Le pain fortifie le cur de l'homme*. - Et le pain que
moi je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde5.
1640. Mais est-ce uniquement par la mort du Christ que la multitude des
nations pouvait ętre convertie ? Elle pouvait ętre convertie [sans la mort
du Christ], certes, selon la puissance de Dieu mais non pas selon la
détermination qu'il a ordonnée pour que cela se réalisât de cette maničre,
parce que cela convenait davantage6 - Sans effusion de sang il n'y a pas de
rémission 1. - Si je ne m'en vais pas, le
Paraclet ne viendra pas vers vous2.
1. 1 Co 15, 36.
2. Lc 8, 11.
3. Cf. Mt 13, 31.
4. Ps 103, 15.
5. Jn 6,
52.
6. Saint
Thomas met cela en lumičre, et d'une façon trčs précise, dans la troisičme
partie de la Somme théologique. Il commence par montrer qu'est convenant
pour une réalité tout ce qui constitue sa propre nature (secundum
rationem propriae naturae). Ainsi il convient ŕ l'homme de
raisonner, cela appartient ŕ sa nature rationnelle. De męme, pour Dieu sera
convenant tout ce qui appartient ŕ sa bonté et ŕ sa sagesse, ce qui est le
propre de sa nature divine (voir III, q. 1, a. 1). Dieu est bon dans tout ce
qu'il est, et comme le propre du bien est de se communiquer, le mystčre de
l'Incarnation trouve ainsi sa raison de convenance quant ŕ Dieu. Il faut
cependant distinguer la raison de convenance qui touche Dieu et la raison de
nécessité qui touche notre finalité. Dieu, en vertu de sa toute-puissance,
pourrait relever notre nature humaine blessée par le péché (et donc convertir
les nations paďennes) par une voie tout autre que l'Incarnation impliquant la
mort de Jésus sur la Croix. Saint Thomas différencie alors la nécessité
absolue, Ť ce sans quoi quelque chose ne peut ętre ť, de la nécessité
relative, Ť ce par quoi on parvient ŕ la fin le mieux et de la maničre la
plus convenable, comme le cheval est nécessaire pour voyager ť (III, q. 1,
a. 2, a). Et, ŕ la suite de saint Augustin (De Trinitate, XIII, 10,
ΒΑ 16, p. 301), il affirme que Dieu n'avait pas de moyen plus
convenable, c'est-ŕ-dire répondant mieux ŕ sa bonté et ŕ sa sagesse, pour
guérir notre misčre et convertir les paďens, que de s'incarner (voir III, q. 1,
a. 2, a). Dans la question 46 saint Thomas précise enfin, en évoquant cinq
raisons, que c'est précisément par sa mort sur la Croix que le Christ peut
libérer l'homme de l'esclavage du péché et le convertir ŕ lui de la façon qui
convient le mieux : Ť Par la Passion du Christ en effet, l'homme connaît
combien Dieu l'aime et par lŕ est incité ŕ l'aimer (...). Par elle, le Christ
nous a donné l'exemple de l'obéissance, de l'humilité, de la constance, de la
justice et des autres vertus nécessaires au salut de l'homme. (...) Par elle le
Christ n'a pas seulement libéré l'homme du péché mais il lui a encore mérité la
grâce de la justification et la gloire de la béatitude. Par elle l'homme a
découvert une plus grande nécessité de se garder pur du péché. (...)
La Passion a conféré ŕ l'homme une
plus grande dignité : vaincu et trompé par le diable, l'homme devait le vaincre ŕ son tour ; ayant mérité la mort,
il devait aussi, en mourant, la
dépasser. (...) Et pour toutes ces raisons il convenait davantage que nous soyons délivrés par la Passion du Christ plutôt que par la seule volonté
de Dieu ť (III, q. 46, a. 3, c).
1641. Quant ŕ l'utilité de la Passion, il la donne en disant : MAIS S'IL
MEURT, IL PORTE BEAUCOUP DE FRUIT, autrement dit : s'il ne tombe pas en terre
par l'humilité de sa Passion - Il s'humilia en se faisant obéissant jusqu'ŕ la
mort3 -, il n'en résultera aucune utilité,
puisqu'lL DEMEURE SEU1. MAIS S'IL MEURT, mis ŕ mort et tué par les Juifs, IL
PORTE BEAUCOUP DE FRUIT. Et le premier fruit, c'est la rémission du péché - Tout
le fruit, c'est d'enlever les péchés*. Et c'est bien ce fruit que la
Passion du Christ a porté, d'aprčs ce passage de la premičre épître de saint
Pierre : Le Christ est mort une fois pour nos péchés, juste pour des
injustes, afin de nous offrir ŕ Dieu5.
Le deuxičme fruit est la conversion
des nations ŕ Dieu - Je vous ai établis pour que vous alliez et que vous
portiez du fruit, et que votre fruit demeure6. Tel est le fruit que la Passion du
Christ a porté, comme il le dit encore plus loin : Et moi, quand j'aurai été
élevé de terre, j'attirerai tout ŕ moi1.
Le troisičme fruit est la gloire - Le
fruit des bons labeurs est plein de gloire91. - Celui qui moissonne reçoit un salaire et
amasse du fruit pour la vie éternelle9. Et ce fruit, c'est bien encore la
Passion du Christ qui l'a porté - Nous avons l'assurance voulue pour l'accčs
au sanctuaire dans le sang du Christ, qui a inauguré pour nous une voie
nouvelle et vivante, ŕ travers le voile, c'est-ŕ-dire sa chair10.
1. He 9, 22.
2. Jn 16, 7.
3. Ph 2, 8.
4. 1s 27, 9.
5. 1 Ρ 3, 18.
6. Jn 15, 16.
7. Jn 12,
32.
8. Sg3,
15.
9. Jn 4, 36.
III
CELUI
QUI AIME SON ÂME LA PERDRA, ET CELUI QUI HAIT SON ÂME EN CE MONDE LA GARDERA EN
VIE ÉTERNELLE. SI QUELQU'UN ME SERT, QU'IL ME SUIVE : ET OŮ MOI JE SUIS, LA
AUSSI SERA MON SERVITEUR. SI QUELQU'UN ME SERT, MON PČRE L'HONORERA. (12,
25-26)
1642. Il montre ici la nécessité que d'autres meurent en s'exposant aux
souffrances par amour du Christ.
Il commence par montrer la nécessité
de cette mort, d'abord en mettant en avant la nécessité de cette mort ŕ cause
du Christ, puis en ajoutant son utilité [n° 1645]. Ensuite, il exhorte ŕ la
mort elle-męme [n° 1646].
CELUI
QUI AIME SON ÂME LA PERDRA.
1643. Or assurément tout homme aime son âme. Mais certains d'une maničre
absolue (simpliciter) et d'autres relativement ŕ quelque chose (secundum
quid). En effet, aimer quelqu'un, c'est lui vouloir du bien ; celui-lŕ
donc aime son âme qui lui veut du bien. Celui qui veut pour son âme ce qui est
bon d'une maničre absolue, l'aime d'une maničre absolue ; celui qui veut
pour elle quelque bien particulier l'aime relativement ŕ quelque chose. Les
biens de l'âme au sens absolu sont ceux par lesquels elle est rendue bienheureuse, ŕ
savoir le bien souverain, qui est Dieu. Celui donc qui veut pour son âme un
bien divin et spirituel, l'aime d'une maničre absolue ; mais celui qui
veut pour elle des biens terrestres, comme la richesse et les honneurs, les
plaisirs et d'autres biens de ce genre, l'aime relativement ŕ quelque chose - Qui
aime l'iniquité hait son âme1.
10. He
10, 19-20. Saint Thomas commente : Ť II montre quelle est cette voie en
ajoutant : A travers le voile, c'est-ŕ-dire sa chair. De męme en effet
que le prętre entrait ŕ travers le voile dans le Saint des Saints, de męme si
nous voulons entrer dans le Sanctuaire de la gloire, il nous faut entrer par la
chair du Christ, qui fut le voile de sa divinité - Vraiment, tu es un Dieu
caché (Is 45, 15). Car la foi en sa divinité ne suffit pas s'il n'y a pas la
foi en son incarnation - Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi (Jn
14, 1). Ou bien ŕ travers le voile, c'est-ŕ-dire ŕ travers sa chair qui
nous est donnée sous le voile de l'espčce du pain dans le sacrement. En effet
elle ne nous est pas proposée sous son espčce propre pour éviter une sainte
terreur et en raison du mérite de la foi ť (Ad Heb. lect., X, n°
502).
- Si tu accordes ŕ ton âme [la satisfaction de] ses concupiscences,
tu deviens la risée de tes ennemis2.
1644. Cette parole peut donc se comprendre de deux maničres. D'une premičre
maničre ainsi : CELUI QUI AIME SON ÂME, ajoute : d'une maničre absolue, en vue
des biens éternels, LA PERDRA, c'est-ŕ-dire s'exposera ŕ mourir pour le Christ.
Mais cç n'est pas le sens véritable.
C'est pourquoi il faut dire : CELUI
QUI AIME SON ÂME relativement ŕ quelque chose, ŕ savoir ŕ des biens temporels,
LA PERDRA, c'est-ŕ-dire d'une maničre absolue - Que sert ŕ l'homme, en
effet, de gagner le monde entier, s'il vient ŕ perdre son âme ?3 Et la vérité de ce sens est rendue évidente par ce qui suit : CELUI
QUI HAIT SON ÂME EN CE MONDE. Donc CELUI QUI AIME SON ÂME, en ce monde,
c'est-ŕ-dire relativement aux biens du monde, LA PERDRA, quant aux biens
éternels
- Malheur ŕ vous qui riez, car
vous pleurerez*. - Souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et
Lazare pareillement ses maux ; maintenant donc il trouve ici consolation,
et toi, tu souffres la torture5.
ET
CELUI QUI HAIT SON ÂME EN CE MONDE LA GARDERA EN VIE ÉTERNELLE.
1645. Il donne ensuite l'utilité de cette mort lorsqu'il dit : ET CELUI QUI
HAIT SON ÂME EN CE MONDE, c'est-ŕ-dire celui qui refuse ŕ son âme des biens
présents et supporte ŕ cause de Dieu ce qui est considéré comme des maux en ce
monde, LA GARDERA EN VIE ÉTERNELLE - Bienheureux
ceux qui souffrent la persécution pour la justice, car le Royaume des deux est
ŕ eux6. - Si quelqu'un vient
ŕ moi sans haďr son pčre, sa mčre, sa femme, ses enfants, ses frčres, ses surs
et jusquŕ sa propre âme, il ne peut ętre mon disciple''.
Remarque d'ailleurs que ce qui est
dit plus haut du grain de blé rejoint cette phrase. Car de męme que le Christ
fut envoyé dans le monde comme une semence destinée ŕ porter du fruit, de męme
tout ce qui nous est donné par Dieu temporellement ne nous est pas confié comme
un fruit mais afin que, grâce ŕ cela, nous parvenions au fruit de la récompense
éternelle.
En effet, notre vie est un certain
don temporel que Dieu nous fait. Celui donc qui l'expose ŕ cause du Christ,
porte beaucoup de fruit. Et c'est bien celui-lŕ qui hait son âme, c'est-ŕ-dire
qui expose sa vie et sčme pour le Christ en vue de la vie éternelle - Ils
s'en allaient, ils s'en allaient en pleurant, portant leurs semences ; ils
s'en viennent, ils s'en viennent en exultant de joie, ils rapportent leurs
gerbes9". Et il en est de męme pour celui qui, ŕ cause
du Christ, expose ses richesses et les autres biens qu'il possčde, et les
communique aux autres pour la vie éternelle - Qui sčme dans les bénédictions
moissonnera aussi dans les bénédictions 1.
1. Ps 10,
6.
2. Si 18,
31.
3. Mt 16,
26.
4. Lc 6,
25.
5. Lc 16,
25.
6. Mt 5,
10. Saint Thomas commente : Ť La huitičme béatitude signifie la perfection
de toutes celles qui précčdent, l'homme en effet est parfait en toutes choses
quand il n'abandonne rien malgré les tribulations - Le four éprouve
les vases du potier et la tentation de la tribulation les
hommes justes (Si 27, 6). Mais peut-ętre quelqu'un, entendant Bienheureux
ceux qui souffrent, dira qu'ils ne sont pas heureux ŕ cause de la
persécution, parce que la persécution trouble la paix ou l'enlčve complčtement
- non pas, assurément, la paix intérieure mais la paix extérieure - Grande
paix ŕ ceux qui aiment ta loi (Ps 118, 165). Ce n'est pas la persécution
elle-męme qui rend heureux mais sa fin, aussi dit-il pour la justice ť
(Sup. Matth. lect., V, n° 443).
7. Le 14,
26.
8. Ps
125, 6.
1646. Mais parce qu'il semble dur qu'un homme ait de la haine pour son âme,
le Seigneur exhorte ŕ cela : SI QUELQU'UN ME SERT, QU'IL ME SUIVE.
L'Évangéliste montre d'abord l'exhortation, puis la raison de cette exhortation
[n° 1648].
SI QUELQU'UN ME SERT, QU'IL ME SUIVE : ET OŮ MOI JE SUIS,
LŔ AUSSI SERA MON SERVITEUR.
1647. Le Christ commence par décrire la condition de ses fidčles, puis les
invite ŕ l'imiter ; enfin, il ajoute la récompense réservée ŕ ceux qui
l'imitent.
Et remarque, quant au premier point,
la dignité des fidčles du Christ, puisqu'ils sont serviteurs du Christ - Ils
sont ministres du Christ ? moi aussi2. Ceux-lŕ donc servent le Christ, qui recherchent ce qui est du
Christ ; mais ceux qui recherchent leurs propres intéręts ne sont pas les
serviteurs du Christ mais d'eux-męmes - Tous recherchent leurs propres
intéręts3. Or ceux qui ont l'autorité dans
l'Église sont les serviteurs du Christ dans la mesure oů ils dispensent ses
sacrements aux fidčles - Que les hommes nous regardent donc comme des
serviteurs du Christ et des intendants des mystčres de Dieu 4. Il en est de męme pour n'importe quel fidčle qui garde les
commandements du Christ - Montrons-nous en toutes choses comme des ministres
de Dieu5.
Quant au second point, remarque la
gloire et la noblesse des fidčles du Christ. C'est pourquoi il dit : QU'IL ME
SUIVE, comme s'il disait : les hommes suivent les maîtres qu'ils servent ;
celui donc qui ME SERT, QU'IL ME SUIVE, afin que, comme moi je subis la mort
pour porter beaucoup de fruit, de męme aussi celui-lŕ. Or suivre le Christ est
une grande gloire - C'est une grande gloire, de suivre le Seigneur6. - Mes brebis écoutent ma voix, et moi je les connais et elles me
suivent7.
Quant au troisičme point, remarque la
béatitude de ses fidčles, puisque OŮ MOI JE SUIS - non pas seulement au lieu oů
moi je suis mais encore dans cette participation ŕ ma gloire -, LŔ AUSSI SERA
MON SERVITEUR - Lŕ oů il y aura un corps, lŕ se rassembleront les aigles s. - Le vainqueur, je lui donnerai de siéger auprčs de moi sur mon trône
9.
SI QUELQU'UN ME SERT, MON PČRE L'HONORERA.
1648. Il donne ensuite la raison de cette exhortation ; en effet celui
qui sert le Christ, le Pčre l'honore. Mais il est dit plus haut : Afin que
tous honorent le Fils comme ils honorent le Pčre10. C'est donc la męme chose d'honorer
le Fils et d'honorer le Pčre. Or le Pčre dit : Celui qui m'aura glorifié, je
le glorifierai11.
Celui donc qui sert
Jésus, en recherchant non pas ses propres intéręts mais ceux de Jésus Christ,
le Pčre de Jésus l'honorera. Et il ne dit pas : Ť Moi je
l'honorerai ť, mais MON PČRE, parce qu'ils n'avaient pas encore ŕ son
sujet cette opinion qu'il était égal au Pčre. Ou bien il faut dire qu'il dit
cela en signe d'une plus grande familiarité, dans la mesure oů ils seront
honorés par celui-lŕ męme par qui le Fils est honoré. Car l'honneur que le Fils
a par nature, eux-męmes l'auront par grâce. C'est pourquoi Augustin dit que le fils adoptif ne pourra recevoir de
plus grand honneur que celui d'ętre lŕ oů est le Fils unique ! - Il les a aussi prédestinés ŕ
ętre conformes ŕ l'image de son Fils, pour qu'il soit le Premier-né d'une
multitude de frčres2.
1. 2 Co 9, 6.
2. Cf. 2 Co 11, 23.
3. Ph2,21.
4. 1 Co4, 1.
5. 2 Co
6, 4.
6. Si 23,
38 (verset propre ŕ la Vulgate).
7. Jn 10,
27.
8. Mt 24,
28.
9. Ap 3,
21.
10. Jn 5,
23.
11. 1 S 2, 30.
1649. Auparavant il a été question de la gloire du Christ manifestée par
différents hommes ; ici il s'agit de la gloire du Christ manifestée par
Dieu.
L'Évangéliste rapporte d'abord la demande de cette gloire, puis la promesse de la gloire [n° 1661].
MAINTENANT
MON ÂME EST TROUBLÉE. ET QUE DIRAI-JE ? PČRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE.
MAIS C'EST POUR CELA QUE JE SUIS VENU Ŕ CETTE HEURE. PČRE, GLORIFIE TON NOM.
(12, 27-28)
Le Christ commence par exprimer le
trouble de son âme, puis il présente sa demande [n° 1665].
I
MAINTENANT
MON ÂME EST TROUBLÉE.
1650. Mais remarque, quant au premier point, qu'il est étonnant que le Christ
dise : MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE. Plus haut, en effet, il a exhorté ses
fidčles ŕ haďr leur âme en ce monde et voilŕ qu'ŕ présent, ŕ l'approche de la mort,
nous avons entendu le Seigneur lui-męme dire :
MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE. Pour cette raison Augustin dit3 Ť Seigneur, tu ordonnes ŕ mon
âme de te suivre, et je vois ton âme se troubler : quel fondement
chercherai-je, si la pierre s'affaisse ? ť
Voilŕ pourquoi il nous faut d'abord
voir ce qu'est ce trouble dans le Christ, et ensuite pourquoi il a voulu le
subir [n° 1652].
1651. Il faut d'abord savoir qu'au sens propre on dit d'une chose qu'elle est
troublée quand elle est mise en mouvement : ainsi disons-nous de la mer agitée
qu'elle est troublée. Par conséquent, toutes les fois qu'une chose dépasse la
mesure de son repos et de sa tranquillité, nous disons alors qu'elle est
troublée. Or il y a dans l'âme humaine une partie sensitive et une partie
rationnelle. Et c'est dans la partie sensitive de l'âme que le trouble se
produit, quand elle est mue par certains mouvements ; par exemple, quand
elle est saisie par la crainte, élevée par l'espoir, dilatée par la joie, ou
qu'elle est affectée par quelque autre passion. Mais ce trouble parfois demeure
en dessous de la raison et parfois il dépasse la limite de la raison,
c'est-ŕ-dire quand la raison elle-męme est troublée. C'est ce qui se produit
bien souvent en nous, mais cela n'a pas lieu dans le Christ, puisqu'il est la
sagesse męme du Pčre, ni męme chez le sage, et c'est pourquoi la pensée des
stoďciens est que le sage n'est pas troublé, c'est-ŕ-dire quant ŕ sa raison.
1. Voir Tract,
in Io., LI, 11, BA 73B, p. 305-307 Ť Quel
plus grand honneur pourrait recevoir le fils adoptif que d'ętre lŕ oů est le
Fils unique, sans ętre rendu égal ŕ la divinité, mais en étant associé ŕ
l'éternité ? (non ćqualis factus divinitati, sed consociatus
aeternitati) ť.
2. Rm 8,
29. Saint Thomas commente : Ť Il les a aussi prédestinés ŕ ętre conformes ŕ
l'image de son Fils, de telle sorte que cette conformité n'est pas
la raison (ratio) de la prédestination, mais son terme ou effet. L'Apôtre
dit en effet : Il nous a prédestinés ŕ ętre des fils adoptif s de Dieu (Ep 1,5).
Car l'adoption des fils n'est rien d'autre que cette conformité. Celui en effet
qui est adopté comme fils de Dieu est vraiment conformé ŕ son Fils ť {Ad
Rom. lect., VIII, nos 703-704).
Sur la prédestination, voir vol. I, n° 938, note 1.
3. Tract,
in Io., LU, 2, BA 73B, p. 319.
Voici donc le sens de : MAINTENANT
MON ÂME EST TROUBLÉE, ŕ savoir, elle a été affectée quant ŕ sa partie sensitive
par les passions de crainte et de tristesse qui cependant ne troublaient pas sa
raison et ne lui faisaient pas perdre son ordre - Jésus commença ŕ ressentir tristesse et angoisse1.
D'autre part, les passions de cette
sorte sont autres en nous qu'elles ne furent dans le Christ2. En nous, en effet, elles existent par nécessité, dans la mesure oů
nous sommes mus et affectés comme de l'extérieur ; tandis que dans le
Christ elles n'existent pas par nécessité, mais par le pouvoir de la raison,
puisqu'en lui il n'y eut aucune passion que lui-męme n'eűt suscitée. Car les
puissances inférieures étaient tellement soumises ŕ la raison dans le Christ
qu'elles ne pouvaient rien faire ni souffrir d'autre que ce que la raison
ordonnait ; voilŕ pourquoi il est dit plus haut : Jésus donc, quand il la vit
pleurer, pleurer aussi les Juifs qui l'avaient accompagnée, frémit en son
esprit et se troubla3. - Tu as fait trembler la terre, ŕ
savoir, la nature humaine, tu las bouleversée4.
1. Mc 14,
33.
2. C'est
dans la lumičre du traité sur la béatitude {Somme théol., I-II q. 1 ŕ 5)
que saint Thomas parle des onze passions de l'homme, actes de ses puissances appétitives sensibles (loc. cit., q.
22 ŕ 48). Le concupiscible et
l'irascible dans leur élan vital, radical, restent le grand conditionnement que l'homme doit assumer et éduquer de lintérieur pour rejoindre sa finalité. Les
passions ne sont ni bonnes ni mauvaises,
elles sont naturelles et constituent le milieu dont lhomme, qui est esprit et corps, doit se servir pour rejoindre sa
finalité. Dans le Christ,
l'affectivité sensible est parfaitement finalisée du fait de sa plénitude de grâce (op. cit., III, q. 15, a. 4 sq.). Voir aussi vol. I, n° 1535, note 1.
3. Jn
11,33.
4. Ps 59,
4.
Ainsi donc l'âme du Christ fut
troublée dans le sens oů ce n'est pas contre la raison mais selon l'ordre de la
raison qu'il y eut en lui ce trouble.
1652. Ŕ ce propos, il faut savoir que le Seigneur a voulu ętre troublé pour
deux raisons. Premičrement, ŕ cause de l'enseignement de la foi, pour prouver
la vérité de sa nature humaine : pour cette raison, désormais, approchant de sa
Passion, il agit en tout conformément ŕ la nature humaine.
Deuxičmement, pour nous donner
l'exemple : car, s'il avait agi en tout avec la męme constance et sans
ressentir aucune passion dans son âme, il n'aurait pas donné aux hommes un
exemple suffisant pour supporter la mort. C'est pour cela qu'il a voulu ętre
troublé, afin que, lorsque nous sommes troublés, nous ne refusions pas de
supporter la mort et que nous n'en venions pas ŕ défaillir - Nous n'avons pas un
grand prętre incapable de compatir ŕ nos faiblesses, lui qui a été éprouvé en
tout d'une maničre semblable ŕ nous, hormis le péché5.
1653. De lŕ apparaît clairement la continuité avec ce qui précčde. Parce
qu'en effet il avait dit : Celui qui hait son âme en ce monde la gardera en
vie éternelle, en quoi il avait exhorté ses disciples ŕ la Passion pour qu'aucun ne dise :
Ť Ô Seigneur, tu peux bien parler et philosopher tranquillement au sujet
de la mort, toi qui, existant sans connaître les douleurs humaines, n'es pas
troublé par la mort. ť Aussi, pour exclure cela, a-t-il voulu ętre troublé6.
Or ce trouble du Christ fut naturel7 car de męme que l'âme aime naturellement son union avec le corps, de
męme c'est naturellement qu'elle fuit la séparation d'avec lui, d'autant plus
que la raison du Christ a permis ŕ son âme et ŕ ses puissances inférieures de
faire ce qui leur était propre.
5. He 4, 15.
6. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVII, 1, PG 59, col. 371.
7. Au
sujet de la tristesse du Christ ŕ l'agonie, saint Thomas s'interroge :
Ť Mais pourquoi s'est-il attristé ? Damascčne dit qu'il s'est
attristé pour lui-męme. Et pourquoi ? Parce que la tristesse vient de ce
que nous sommes privés de ce que nous aimons naturellement. L'âme naturellement
veut ętre unie au corps et cela fut dans l'âme du Christ, parce qu'il a bu, il
a mangé et il a eu faim. Cette séparation allait donc contre son désir naturel
: il était donc triste de cette séparation. Cependant nous pouvons comprendre
que quelque chose est dans l'âme en lui-męme, et que quelque chose y est
relativement ŕ autre chose : de męme qu'un remčde amer considéré pour lui-męme
est cause de désagrément, mais relativement ŕ la fin de notre salut est cause
de joie ; ainsi la mort du Christ considérée en elle-męme était pour lui
un sujet de tristesse mais, regardée avec l'intelligence de la finalité, elle
était cause de joie ť (Sup. Matth. lect., XXVI, n° 2225).
1654. Ŕ cause de ce qu'il dit : MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE (...), est
détruite l'erreur d'Anus et d'Apollinaire 1 qui disaient qu'il n'y a pas d'âme
dans le Christ, mais seulement le Verbe2.
II
ET QUE
DIRAI-JE ? PČRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE. MAIS C'EST POUR CELA QUE JE
SUIS VENU Ŕ CETTE HEURE. PČRE, GLORIFIE TON NOM. (12, 27-28)
1655. Puis le Seigneur exprime sa demande de la gloire. Et lŕ il prend sur
lui le sentiment de l'homme troublé, de telle sorte que sa demande a quatre
aspects : premičrement, il pose la question de quelqu'un qui délibčre [n°
1656] ; deuxičmement, il exprime sa demande qui procčde d'un premier
mouvement ; puis, par la raison, il repousse ce mouvement [n° 1657] ;
enfin, ŕ la suite d'un second mouvement, il fait une autre demande.
1. Au
sujet d'Anus, voir vol. I, n° 61, note 2 ; au sujet d'Apollinaire, voir
vol. I, n° 168, note 4.
2. Dans
son commentaire sur saint Matthieu, ŕ propos de la tristesse et de l'affliction
du Christ, saint Thomas dit : Ť II faut ici éviter deux erreurs ;
certains ont dit qu'il avait ressenti de la tristesse selon sa divinité, ce qui
ne peut ętre, parce que s'il a ressenti de la tristesse c'est qu'il était capable
de souffrir, mais sa divinité ne pouvait pas souffrir. L'opinion des ariens ou
eunomiens était que dans le Christ il n'y avait pas d'âme, mais que le Verbe
tenait lieu d'âme. Et pourquoi disaient-ils cela ? Pour que tout ce qui
relčve d'un manque soit rapporté au Verbe afin de montrer qu'il est moins que
le Pčre. Et cela est faux. C'est pourquoi il a souffert en tant qu'il pouvait
souffrir, c'est-ŕ-dire selon son âme ť (Sup. Matth. lect., XXVI, n°
2223).
ET QUE
DIRAI-JE ?
1656. Il pose la question de celui qui délibčre, parce qu'il est naturel aux
hommes, dans les situations angoissantes, de délibérer, d'oů le Philosophe dit
dans la Rhétorique3 que la crainte fait les conseillers.
Aussi le Christ, aprčs avoir manifesté son trouble, ajoute aussitôt : ET QUE
DIRAI-JE ? comme s'il disait : Que faire aprčs ce trouble ? On trouve
la męme chose dans le psaume : Crainte et tremblement ont fondu sur
moi ; et juste aprčs : Qui me donnera des ailes comme celles de la
colombe ? Alors je volerais et me reposerais*. Car ceux qui sont
accablés par l'angoisse et la passion cherchent un secours pour ętre libérés.
PČRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE.
1657. Sous l'impulsion d'un premier mouvement, il exprime ensuite une
demande, puisque lorsque quelqu'un est dans le trouble quant ŕ ce qu'il doit
faire, il doit avoir recours ŕ Dieu - Comme nous ignorons ce que nous devons
faire, il ne nous reste qu'ŕ diriger nos yeux vers vous5. - J'ai levé les yeux vers les monts, d'oů
viendrait mon secours ?6 C'est pourquoi, ayant recours au
Pčre, il dit : PČRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE ; c'est-ŕ-dire : délivre-moi
de la tribulation qui m'envahit ŕ l'heure de la Passion - Sauve-moi,
Seigneur, car les eaux me sont entrées jusqu'ŕ l'âme1.
D'autre part, comme le dit Augustin8, ce que le Seigneur dit ici : MAINTENANT MON ÂME EST TROUBLÉE et PČRE,
SAUVE-MOI DE CETTE HEURE, est la męme chose que ce qu'il dit dans Matthieu : Mon
âme est triste
jusqu'ŕ la mort et Pčre,
s'il est possible, que cette coupe passe loin de moi !λ
3. II, 5,
col. 1383 a.
4. Ps 54,
6 et 7.
5. 2 Ch
20, 12.
6. Ps 120, 1.
7. Ps 68, 2.
8. Tract, in Io., LU, 3, BA 73B, p. 321-323.
1658. Mais il faut remarquer que cette demande n'est pas faite sous le
mouvement propre de la raison, mais que la raison elle-męme, comme un avocat,
parle au nom de l'affection naturelle qui désirait ne pas mourir : aussi, dans
cette demande, la raison représente-t-elle le mouvement de l'affection
naturelle. Cela permet de résoudre l'objection qu'on a coutume de faire, étant
donné qu'il est dit dans l'épître aux Hébreux : Il a été exaucé en tout en
raison de sa piété2, et que cependant, dans ce qu'il
demanda ici, il ne fut pas exaucé.
Ŕ cela il faut répondre qu'il a été
exaucé pour ce que la raison demandait de sa part ŕ elle, et en vue d'ętre exaucée.
Mais ce qu'elle demande ici, elle ne l'exprime pas de sa part ŕ elle, ni en vue
d'ętre exaucée, mais comme en exprimant un sentiment naturel : c'est pourquoi
Chrysostome la lit de maničre interrogative. ET QUE DIRAI-JE ?
c'est-ŕ-dire : dirai-je PČRE, SAUVE-MOI DE CETTE HEURE ? - comme s'il
disait : je ne dirai pas cela3.
MAIS C'EST POUR CELA QUE JE SUIS VENU Ŕ CETTE HEURE.
1659. Cette demande faite par le mouvement de l'appétit naturel, il la
repousse en disant : MAIS C'EST POUR CELA QUE JE SUIS VENU Ŕ CETTE HEURE, comme
s'il disait : il n'est pas juste que je sois délivré de cette heure de la
Passion, puisque je suis venu pour souffrir, non pas conduit par une nécessité
fatale ni contraint par la violence humaine, mais offert spontanément4 - Il s'est offert parce que lui-męme l'a voulu5. - Personne ne me l'enlčve, ŕ savoir mon âme, mais moi je la
livre de moi-męme0.
1. Mt 26,
38 et 39. Saint Thomas commente : Ť Hilaire dit : Le Seigneur ne demande pas de ne pas
mourir, sa demande porte sur les autres ;
comme pour dire : je recevrai cette coupe avec confiance. Je te demande que mes disciples la
reçoivent sans défiance. Mais pourquoi
dit-il : S'il est possible ? Parce que cela paraît contre
nature daccepter la mort sans
souffrir. Aussi veut-il dire : Moi je voudrais que les autres ne souffrent pas, si c'était possible, mais qu'il
soit fait comme tu veux,
c'est-ŕ-dire selon ta sagesse ť (Sup. Matth. lect., XXVI, n° 2232).
2. He 5,
7.
3. Ni le
commentaire de saint Jean Chrysostome (In Ioannem hom., LXVII, 1, PG
59, col. 371), ni aucune autre source habituelle de saint Thomas ne vont dans ce sens.
PČRE,
GLORIFIE TON NOM.
1660. La raison exprime sa propre demande. Ici, nous pouvons comprendre TON
NOM7 de deux maničres. Ŕ savoir comme
étant le Fils lui-męme. En effet, le nom se dit ŕ partir de la connaissance,
comme un moyen de désigner quelque chose : ainsi le nom est ce par quoi une
réalité est manifestée ; or le Fils manifeste le Pčre - Pčre, j'ai
manifesté ton nom aux hommes91.
Et au sujet de ce
nom il est dit dans Isaďe : Voici venir de loin le nom du Seigneur1. Tel est donc le sens : PČRE, GLORIFIE TON
NOM, c'est-ŕ-dire ton Fils -
Glorifie-moi, Pčre, auprčs de toi, de la gloire que j'avais auprčs de toi
avant que le monde fűt2.
4. En
latin : sponte oblatus. Le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome
parlent souvent des victimes Ť offertes spontanément ť (Lv 7,
16 ; 22, 18 et 21 ; Nb 15, 3 ; Dt 12, 17). On parle aussi de
l'or et de l'argent offerts spontanément (Esd 1, 6 ; 7, 15 et 16 ; 8,
28). Mais l'expression prend toute sa force quand, dans le cantique de Debora
et Baraq, elle exprime une offrande personnelle, l'offrande de soi-męme :
Ť Vous qui, [parmi les fils] d'Israël, avez spontanément offert vos âmes
au péril, bénissez le Seigneur ť (Jg 5, 2 qui sponte obtulistis de
Israel animas vestras ad periculum, benedicite Domino ; cf. 5, 9 qui
propria voluntate obtulistis vos discrimini).
5. Is 53,
7 (verset propre ŕ la Vulgate).
6. Jn 10,
18.
7. Saint
Thomas, dans la Somme théologique, consacre toute une question aux noms
divins (I, q. 13). En effet, citant Aristote qui rappelle que Ť les noms
sont les signes des concepts, et les concepts les similitudes des
réalités ť (De l'interprétation, ch. 1), il montre que nous pouvons
nommer Dieu non ŕ partir de son essence divine que nous ne connaissons pas,
mais d'aprčs les créatures ŕ partir desquelles nous pouvons le connaître
analogiquement (a. 1). Ainsi les noms comme bon, sage, signifient la divine
substance mais imparfaitement, comme imparfaitement les créatures la
représentent (a. 2). Aucun nom n'est attribué ŕ Dieu et ŕ la créature dans un
sens univoque (a. 5). Saint Thomas montre ensuite que Dieu ne nous est pas
connu dans sa nature męme et nous est révélé uniquement par ses activités et
par ses uvres (a. 8). Et le mot Ť Dieu ť nomme une opération, celle
qui est Ť de prendre soin de toutes choses avec une prévoyance et une
bonté parfaite ť (Denys). Ť Dieu ť n'en est pas moins
destiné ŕ signifier la nature divine, qui cependant est incommunicable (a. 9). Saint
Thomas termine en citant le livre de l'Exode et la révélation faite ŕ Moďse :
Ť Celui qui est m'a envoyé vers vous ť (Ex 3, 14) ; et selon
lui, Celui qui est convient au plus haut point ŕ Dieu (a. 11). Ici saint
Thomas regarde non plus la révélation de Dieu faite ŕ Moďse, mais la révélation
que Jésus fait ŕ ses disciples lors de sa derničre semaine sur la terre. Jésus
vient révéler le Pčre, le manifester, et ici d'une maničre ultime. C'est donc
lui, le Fils, qui est véritablement le nom du Pčre. C'est le Fils qui, en
glorifiant le Pčre par sa Passion, par sa mort sur la Croix, permet au nom du
Pčre d'ętre glorifié.
8. Jn 17,
6.
Ou bien le nom du Seigneur est la connaissance du Pčre ; et alors en voici le sens : fais ceci, PČRE, GLORIFIE TON NOM ; c'est-ŕ-dire : fais ce qui est la gloire de ton nom. Et cela revient au męme, puisque quand le Fils a été glorifié, le nom du Pčre est glorifié. Or il dit cela parce que c'est par sa Passion que le Fils devait ętre glorifié - Il s'est fait obéissant, au Pčre, jusqu'ŕ la mort, et la mort de la Croix. C'est pourquoi Dieu l'a exalté3. C'est comme s'il disait : le sentiment naturel demande que je sois sauvé, mais la raison demande que ton nom soit glorifié, c'est-ŕ-dire que le Fils souffre ; parce que c'est encore par la Passion du Christ que la connaissance de Dieu devait ętre glorifiée. En effet, avant la Passion, Dieu n'était connu qu'en Judée et en Israël grand était son nom4 ; mais aprčs sa Passion, son nom a été glorifié parmi les nations - Grand est mon nom chez les nations5.
VINT
DONC UNE VOIX DU CIEL, DISANT : Ť JE L'AI GLORIFIÉ, ET DE NOUVEAU JE LE
GLORIFIERAI ť LA FOULE DONC, QUI SE TENAIT LŔ ET AVAIT ENTENDU, DISAIT QU'IL
Y AVAIT EU UN COUP DE TONNERRE. D'AUTRES DISAIENT : Ť UN ANGE LUI A
PARLÉ. ť JÉSUS RÉPONDIT ET DIT : Ť CE N'EST PAS POUR MOI QUE CETTE
VOIX EST VENUE, MAIS POUR VOUS. C'EST MAINTENANT LE JUGEMENT DU MONDE.
MAINTENANT LE PRINCE DE CE MONDE VA ĘTRE JETÉ DEHORS. ET MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ
ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT Ŕ MOI ť OR IL DISAIT CELA POUR SIGNIFIER DE
QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR. (12, 28-33)
1661. Ŕ propos de la promesse de la gloire qui est exprimée ici,
l'Évangéliste fait d'abord mention de la voix de celui qui promet la gloire,
puis de l'opinion de la foule qui doute de cette voix [n° 1663]. Enfin, il
donne l'explication ŕ propos de la voix qui s'est fait entendre [n° 1664].
La voix du Pčre.
VINT
DONC UNE VOIX DU CIEL
1662. Cette voix, c'est la voix de Dieu le Pčre, comme la voix qui vint sur
le Christ baptisé - Celui-ci
est mon Fils bien-aimé6 -, et qui vint de męme sur lui transfiguré.
Mais bien qu'une telle voix soit
toujours formée par la puissance de toute la Trinité, cependant elle est
spécialement formée pour représenter la personne du Pčre ; c'est pourquoi
on dit que c'est la voix du Pčre, comme la colombe a été formée par toute la
Trinité pour signifier la personne de l'Esprit Saint ; et de męme le corps
du Christ a été formé par toute la Trinité, mais il est spécialement assumé par
la personne du Verbe, parce que c'est pour ętre uni ŕ lui qu'il a été formé.
1. Is 30, 27.
2. Jn 17, 5.
3. Ph 2, 8.
4. Cf. Ps 75, 2.
5. Ml 1,
11.
6. Mt 3,
17 et 17, 5.
JE L'AI
GLORIFIÉ, ET DE NOUVEAU JE LE GLORIFIERAI.
Cette voix fait donc deux choses.
Premičrement, elle manifeste le passé, en disant : JE L'AI GLORIFIÉ,
c'est-ŕ-dire : de toute éternité je l'ai engendré glorieux, puisque le Fils
n'est que gloire et splendeur du Pčre - Elle est l'éclat de la lumičre éternelle et le miroir sans
tache de la majesté de Dieu1. -
Lui qui est la splendeur de sa gloire et l'effigie de sa substance2. Ou bien : JE L'AI GLORIFIÉ en sa nativité, lorsque les anges
chantčrent :
Gloire ŕ Dieu au plus haut des deux3, et dans les
miracles faits par lui.
Deuxičmement, elle annonce le futur :
ET DE NOUVEAU JE LE GLORIFIERAI, dans sa Passion, en laquelle il a triomphé du
diable, dans sa Résurrection et son Ascension, et dans la conversion du monde entier - Le Dieu de nos pčres a
glorifié son Fils Jésus 4.
L'opinion de la foule.
LA FOULE DONC, QUI SE TENAIT LA ET AVAIT ENTENDU, DISAIT
QU'IL Y AVAIT EU UN COUP DE TONNERRE.
1663. L'Évangéliste expose ensuite l'opinion de la foule qui doute de cette
voix. Dans cette foule, de fait, comme dans toute foule, certains avaient une
intelligence plus grossičre et plus lente, et d'autres au contraire une
intelligence plus pénétrante, bien que tous fussent imparfaits dans la
connaissance de la voix elle-męme.
Car ceux qui étaient oisifs et
charnels n'ont pas perçu la voix elle-męme mais seulement un bruit ; voilŕ
pourquoi ils disaient QU'IL Y AVAIT EU UN COUP DE TONNERRE. Mais ils ne se
trompaient pas complčtement : en effet la voix du Seigneur était un tonnerre,
tantôt parce qu'elle avait une signification étonnante, tantôt parce qu'elle
contenait de grandes choses - Si c'est avec peine que nous avons entendu une petite
goutte de ses paroles, qui pourra contempler l'éclat du tonnerre de sa
grandeur ?5 - Voix de ton tonnerre dans le
tourbillon6. Les plus pénétrants, quant ŕ eux, ont perçu cette voix
comme le son d'une voix articulée et porteuse de signification : c'est pourquoi
ils dirent que c'était une parole. Mais, croyant que le Christ était purement
homme, ils se sont trompés en attribuant cette parole ŕ un ange. C'est pourquoi
ils disaient : UN ANGE LUI A PARLÉ, eux qui admettaient les męmes choses que le
démon, qui croyait que le Christ avait besoin du secours des anges. Aussi le
démon disait-il au Christ : Il a pour toi donné ordre ŕ ses anges,
et ils te porteront dans leurs mains1. Or le Christ n'a pas
besoin de la garde et de l'aide des anges, mais c'est lui-męme qui glorifie et
qui garde les anges.
1. Sg 7, 26.
2. He 1,
3. Au sujet de l'expression Lui qui est la splendeur de sa gloire, saint Thomas commente : Ť Le Verbe du Pčre, qui est un fruit conçu de son intelligence, est la
splendeur de sa sagesse par laquelle il
se connaît. Et c'est pourquoi l'Apôtre appelle le Fils la splendeur de sa gloire, c'est-ŕ-dire la
splendeur de la claire connaissance divine.
Par lŕ il montre qu'il n'est pas seulement sage mais la sagesse engendrée ť (Ad Heb. lect., I,
n° 26). Voir vol. I, n° 1278, note 4.
3. Lc 2,
14.
4. Ac 3,
13.
5. Jb 26, 14. Dans le Contra Gentiles (IV,
1), saint Thomas, en commentant ce verset du livre de Job, expose les trois
connaissances dont l'homme dispose ŕ l'égard de Dieu : Ť La premičre
consiste ŕ remonter jusqu'ŕ Dieu par le moyen des créatures et ŕ la seule
lumičre naturelle de la raison. Dans la deuxičme, c'est la vérité divine, dans sa
transcendance par rapport ŕ l'intelligence, qui descend jusqu'ŕ nous par mode
de révélation, non pas qu'elle soit déjŕ démontrée jusqu'ŕ l'évidence, mais
seulement offerte ŕ notre foi par la parole. Dans la troisičme enfin, c'est
l'esprit humain qui sera élevé jusqu'ŕ la pleine intuition des vérités révélées.
C'est ŕ cette triple connaissance que Job veut faire allusion dans ce verset. Il
dit en effet : Voici : ce qu'on a dit, ce n'est qu'une partie des
voies de Dieu, et ceci se rapporte ŕ la démarche de l'intelligence qui,
empruntant la voie des créatures, s'élčve jusqu'ŕ la connaissance de Dieu. Mais
les voies elles-męmes, nous ne les connaissons qu'imparfaitement. Aussi Job
a-t-il raison de préciser : une partie - C'est en partie, en effet,
que nous connaissons, comme dit l'Apôtre (1 Co 13, 9). Ce qu'il ajoute
ensuite : Si c'est avec peine que nous avons entendu une petite goutte de
ses paroles, se rapporte ŕ la seconde connaissance suivant laquelle les
vérités divines sont révélées par mode de parole et pour que nous y croyions. (...)
Qui pourra contempler l'éclat du tonnerre de sa grandeur ? relčve
de la troisičme connaissance, par laquelle la vérité premičre sera connue non
par la foi mais dans la vision - Nous le verrons tel
qu'il est (1 Jn 3, 2) ť.
6. Ps 76,
19.
L'explication de cette voix.
1664. L'Évangéliste commence par expliquer la voix émise en donnant d'abord
la cause de la voix [n° 1665], puis sa signification [n° 1666], aprčs quoi il
montre l'opposition de la foule [n° 1675]. Enfin, il rapporte la réponse du
Seigneur [n° 1681].
I
JÉSUS RÉPONDIT ET DIT : Ť CE N'EST PAS POUR MOI QUE
CETTE VOIX EST VENUE, MAIS POUR VOUS. ť
1665. Quant au premier point, il faut savoir que puisqu'ils avaient dit : UN
ANGE LUI A PARLÉ, et qu'un ange parle ŕ quelqu'un pour lui révéler une chose
destinée ŕ l'utilité de celui qui parle, comme on le voit clairement dans le
premier chapitre de l'Apocalypse et le premier chapitre d'Ézéchiel, le
Seigneur, montrant qu'il n'a pas besoin de voix ni du secours d'une révélation
angélique, dit : CE N'EST PAS POUR MOI - c'est-ŕ-dire pour m'instruire - QUE
CETTE VOIX EST VENUE, MAIS POUR VOUS. En effet, elle n'a rien signifié qu'il
n'ait su auparavant, puisqu'en lui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu2, de telle sorte qu'il a connu tout ce que le Pčre connaît. MAIS POUR
VOUS, c'est-ŕ-dire pour vous instruire. Cela fait comprendre que, dans
l'économie divine3, beaucoup de choses concernant le
Christ ont été réalisées pour nous, et non parce que lui-męme en avait besoin - Tout ce qui a été écrit
le fut pour notre instruction4.
C'EST MAINTENANT LE JUGEMENT DU MONDE. MAINTENANT LE
PRINCE DE CE MONDE VA ĘTRE JETÉ DEHORS. ET MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE
TERRE, J'ATTIRERAI TOUT Ŕ MOI (12, 31-32)
1666. Il indique d'abord le jugement par lequel il devait ętre glorifié, puis
l'effet du jugement [n° 1668] et, en dernier lieu, le mode de cette
glorification [n° 1672].
Le jugement
C'EST MAINTENANT LE JUGEMENT DU MONDE.
1667. Mais s'il en est ainsi, pourquoi donc attendons-nous que le Seigneur
vienne une seconde fois pour juger ? Il faut répondre qu'il est déjŕ venu
pour juger selon un jugement de discernement5, par lequel il devait discerner les
siens de ceux qui n'étaient pas ŕ lui - C'est pour un jugement que je suis venu dans ce
monde0. Et de ce jugement il dit : C'EST MAINTENANT
LE JUGEMENT DU MONDE. Mais il va venir pour juger selon un jugement de
condamnation, pour lequel il n'était pas venu la premičre fois - Dieu n'a
pas envoyé son
Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par
lui1.
Ou bien il faut dire que le jugement
est double : l'un par lequel le monde est condamné, et qui n'est pas celui dont
il est question ici ; l'autre par lequel le jugement est rendu en faveur
du monde, dans la mesure oů le monde est libéré de l'esclavage du diable. On
doit entendre de cette maničre ce verset du psaume : Juge, Seigneur, ceux qui me nuisent1.
1. Mt 4,
6 ; Ps 90, 11.
2. Col 2,
3.
3. Sur le
sens du mot dispensatio, voir vol. I, n° 762, note 4, et n° 1520, note 1.
4. Rm 15, 4.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LU, 6, BA 73B, p. 327. Voir vol.
I, n° 483 et n° 1360, note 3.
6. Jn 9,
39. 7. Jn 3, 17.
Et les deux reviennent au męme parce
que, par ce jugement en faveur du monde, le diable étant chassé, les bons sont
discernés des mauvais.
L'effet du jugement
1668. L'effet du jugement est l'expulsion du diable : MAINTENANT LE PRINCE DE
CE MONDE VA ĘTRE JETÉ DEHORS, par la puissance de la Passion du Christ. Ainsi
sa Passion est-elle sa glorification, comme si par lŕ il expliquait ce qu'il
dit : ET DE NOUVEAU JE LE GLORIFIERAI, dans la mesure oů LE PRINCE DE CE MONDE
VA ĘTRE JETÉ DEHORS, comme si c'était par sa Passion qu'il remportait la
victoire sur le démon - Le Fils de Dieu est venu dans ce monde pour détruire
les uvres du diable2.
1669. Mais ŕ ce sujet s'élčvent trois objections. Premičrement du fait qu'il
dit que le diable est le prince de ce monde ; c'est ŕ partir de lŕ que les
manichéens 3 disent
qu'il est le créateur et le seigneur de toutes les réalités visibles.
La réponse est que le diable est
appelé le prince de ce monde, non pas par un pouvoir naturel, mais par
usurpation, en tant que les hommes de ce monde, par mépris du vrai Dieu, se
sont soumis ŕ lui - Le
dieu de ce monde a aveuglé lesprit des infidčles4. Il est donc le prince de ce monde dans la mesure oů il rčgne sur les
hommes de ce monde, comme le dit Augustin5, qui se sont répandus sur toute la
surface de la terre.
Car le terme Ť monde6 ť est tantôt pris dans un mauvais sens ŕ l'égard des hommes qui
aiment le monde - Le monde ne lα pas connu7 -, tantôt dans un bon sens, ŕ l'égard des hommes bons qui vivent dans
le monde de telle maničre que leur séjour (conversatio 8) soit cependant dans les cieux - C'était
Dieu, en effet, qui dans le Christ se réconciliait le monde 9.
1670. Deuxičmement, l'objection porte sur : VA ĘTRE JETÉ DEHORS. En effet,
s'il avait été jeté dehors, il ne tenterait pas ŕ présent comme il tentait
auparavant. Cependant il n'a pas cessé de tenter : c'est donc qu'il n'a pas été
jeté dehors.
Ŕ cela il faut répondre, selon
Augustin 10, que bien que le diable tente les
hommes qui ne sont plus du monde, cependant il ne tente pas de la męme maničre
qu'auparavant. Car alors il tentait et régnait de l'intérieur mais, par la
suite, de l'extérieur uniquement. En effet, aussi longtemps que les hommes sont
dans le péché, c'est de l'intérieur qu'il rčgne et qu'il tente - Que le péché ne rčgne pas dans votre
corps mortel de maničre ŕ obéir ŕ ses concupiscences n.
Ainsi, il a été jeté
dehors parce que l'effet du péché dans l'homme ne vient pas de l'intérieur mais
de l'extérieur.
1671. Troisičmement, l'objection concerne l'affirmation : MAINTENANT LE
PRINCE DE CE MONDE VA ĘTRE JETÉ DEHORS, ce qui semble entraîner qu'avant la
Passion du Christ il n'avait pas été jeté dehors et que, par conséquent,
puisqu'il est jeté dehors au moment oů les hommes sont libérés du péché, alors
Abraham, Isaac et les autres figures de l'Ancien Testament n'ont pas été
affranchis du péché.
1. Ps 34, 1.
2. 1 Jn 3, 8.
3. Voir vol. I, n° 81, note 3.
4. 2 Co 4, 4.
5. Tract, in Io., LU, 10, BA 73B, p. 335.
6. Voir
ci-dessous, n° 2032, note 4, et
n° 2129.
7. Jn 1,
10.
8. Sur le
sens du mot conversatio, voir vol. I, n° 1176, note 3 ; n° 1374,
note 13, et n° 1584, note 2.
9. 2 Co 5, 19.
10. Tract, in Io., LII, 9, BA 73B, p. 333.
11. Rm 6,
12.
Il faut dire, selon Augustin \ qu'avant
la Passion du Christ il avait été chassé de personnes singuličres, mais non pas
du monde, comme aprčs. Car ce qui a été réalisé alors chez un tout petit nombre
d'hommes, on reconnaît que maintenant cela a été réalisé par la puissance de la
Passion du Christ pour les nombreux et grands peuples des Juifs et des paďens
convertis au Christ.
Ou bien il faut affirmer que le
diable est jeté dehors par le fait que les hommes sont libérés du péché ;
cependant, avant la Passion du Christ, les hommes justes avaient été affranchis
du péché mais pas totalement, puisqu'ils étaient encore empęchés d'ętre
introduits dans le Royaume : quant ŕ cela, le diable avait encore sur eux un
droit, mais qui lui fut totalement enlevé par la Passion du Christ, au moment
oů le glaive flamboyant a été enlevé2, quand il a été dit ŕ l'homme : Aujourd'hui, tu seras
avec moi dans k Paradis3.
Le mode de la glorification
ET MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI
TOUT Ŕ MOI.
1672. Le mode de la Passion est par exaltation.
Ŕ ce sujet, il faut savoir que
Chrysostome 4 utilise l'exemple suivant : prenons
un tyran qui aurait eu l'habitude d'opprimer ses sujets, de les frapper et de
les jeter aux fers ; si ensuite, poussé par la męme folie, il traite de la
męme maničre un homme qui ne lui est soumis en rien, et qu'il l'emprisonne, il
doit ŕ juste titre ętre aussi privé du pouvoir sur ceux qui lui étaient soumis
: et c'est ainsi que le Christ a fait contre le diable. En effet, ŕ cause du
péché de nos premiers parents, le diable avait un certain droit sur les
hommes ; aussi pouvait-il, en un sens, sévir contre eux d'une maničre
juste. Mais parce qu'il a osé tenter des choses semblables męme contre le
Christ, sur lequel il n'avait aucun droit, le tentateur, en attaquant celui sur
lequel il n'avait aucun droit, comme il est dit plus loin5, a mérité d'ętre également privé de son pouvoir par la mort du Christ.
Et c'est bien ce qu'il dit : QUAND
J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT Ŕ MOI Par lŕ, il montre le mode
de sa mort ; puis l'Évangéliste explique ce que dit le Christ : OR
IL DISAIT CELA POUR SIGNIFIER DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR : le mode de sa
mort est par l'exaltation sur le bois de la Croix. Il a donc bien, en cela,
désigné DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR.
1673. Or il faut savoir que la cause pour laquelle le Seigneur a voulu mourir
de la mort de la Croix est double : la premičre, ŕ cause de l'infamie de cette
mort - Condamnons-le
ŕ la mort la plus infâme6. C'est pourquoi Augustin dit : Ť C'est de
cette maničre que le Seigneur a voulu mourir, afin que l'ignominie de sa mort
ne détourne pas l'homme de la perfection de la justice7. ť
La deuxičme, parce qu'une mort de
cette sorte a lieu par mode d'exaltation ; c'est pour cela que le Seigneur
dit : QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ. Et assurément ce genre de mort convenait au
fruit, ŕ la cause et ŕ la figure de la Passion.
1. Tract. In Ιο., LIΙ, 8, BA73B, p. 331. Voir aussi Somme théol., III, q. 1, a. 2, c. et q. 46,
a. 3, c.
2. Cf. Gn
3, 24 Aprčs avoir renvoyé Adam du Paradis, Dieu plaça ŕ l'entrée du jardin
de délices les chérubins avec un glaive flamboyant qu'ils faisaient tournoyer
pour garder la voie de l'arbre de vie.
3. Lc 23, 43.
4. In Ioannem hom., LXVII, 2, PG 59, col. 373.
5. Cf. Jn
13, 2-3.
6. Sg 2, 20.
7. L'idée
que la crucifixion soit la plus horrible forme de trépas et qu'elle soit un
exemple pour les chrétiens se trouve ŕ plusieurs reprises dans les uvres de
saint Augustin. Le Pčre Centi (Commenta sul Vangelo di san Giovanni, n. 10,
p. 336) renvoie ŕ : De diversis quaestionibus LXXXlll, Quaest. XXV De
cruce Christi, CCL vol. XLIVA, p. 17 ; De symbolo, III, 9, CCL
vol. XLVI, p. 191-192 ; Contra Adimantum, XXI, BA 17, p. 353. Mais
nous n'avons pas trouvé de citation correspondant précisément au texte de saint
Thomas.
Ŕ son fruit, puisque c'est par sa
Passion qu'il devait ętre exalté - Il s'est fait obéissant jusqu'ŕ la mort, et la mort de la croix ; c'est pourquoi Dieu l'a
exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom1. Et pour cette raison
le psaume disait : Lčve-toi, Seigneur, dans ta
force2.
Ŕ la cause de la Passion, cela
convenait doublement : ŕ la fois du côté du démon et du côté des hommes. Du
côté des hommes, parce qu'il mourait pour leur salut ; en effet eux-męmes
avaient péri, puisqu'ils avaient été abaissés et plongés vers les choses terrestres - Ils ont résolu d'abaisser leurs yeux vers la terre3. Il a donc voulu mourir exalté pour élever nos
curs vers les choses célestes. Car ainsi il est lui-męme notre chemin vers le
cie1. Et du côté des démons cela convenait aussi, pour qu'élevé lui-męme dans
les airs il foulât aux pieds ceux qui, dans les airs, avaient la suprématie et
le pouvoir.
Cela convenait enfin ŕ la figure de
la Passion, puisque le Seigneur enseigna qu'il deviendrait le serpent d'airain
dans le désert, comme il est montré au livre des Nombres : Et comme Moďse éleva le serpent dans le désert, ainsi faut-il que soit
élevé le Fils de l'homme*. Ayant donc été ainsi exalté, J'ATTIRERAI TOUT, par la charité, Ŕ MOI - D'un
amour éternel je t'ai aimé, c'est pourquoi je t'ai
attiré, ayant
pitié de toi5. En cela apparaît aussi au plus haut
point la charité de Dieu pour les hommes, dans la mesure oů il a daigné mourir pour eux - Dieu prouve ainsi son amour envers nous, puisque,
au temps oů nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous0. En cela il a accompli ce que l'épouse demande dans le Cantique des
cantiques : Entraîne-moi ŕ ta suite, nous courrons ŕ
l'odeur de tes parfums7.
1. Ph 2,
8. Sur l'exaltation de la Croix voir aussi vol. I, nos 474, 1166 et 1422.
2. Ps20,
14.
3. Ps 16,
11.
4. Jn3,
14.
5. Jr 31, 3. Saint Thomas commente :
Ť D'un amour éternel je t'ai aimé,
comme s'il disait : non pour un temps mais de toute éternité il t'a
distribué ses largesses, il t'a attiré vers ton lieu, ayant pitié de toi, complétant extérieurement sa
miséricorde par un bienfait - Par des "*ns humains
je les attirerai, par les liens de la charité (Os 11, 4). - Je
me suis souvenu de toi, ayant pitié de ta jeunesse et de l'amour de tes
fiançailles Qr 2, 2) ť (Exp. super Hier., XXXI, lectio 1).
1674. Or il faut remarquer que le Pčre attire et que le Fils aussi attire - Nul
ne peut venir ŕ moi si le Pčre qui m'a envoyé ne l'attire91. C'est pourquoi il dit ici : J'ATTIRERAI TOUT,
pour montrer que l'opération de l'un et de l'autre est la męme.
Il dit TOUT, non pas
Ť tous ť, parce que tous ne sont pas attirés vers le Fils.
J'ATTIRERAI TOUT dit-il, c'est-ŕ-dire l'âme et le corps. Ou bien tous les
genres d'hommes, ŕ savoir les Gentils et les Juifs, les esclaves et les hommes
libres, les hommes et les femmes. Ou encore tout ce qui a été prédestiné en vue
du salut9.
Et remarquons que le fait męme de
dire qu'il attire tout ŕ lui, c'est jeter dehors le prince de ce monde, car il
n'y a pas d'alliance entre le Christ et Bélial, ni entre la lumičre et les
ténčbres 10.
II
LA
FOULE LUI REPONDIT : Ť NOUS AVONS APPRIS DE LA LOI, NOUS, QUE LE CHRIST
DEMEURE Ŕ JAMAIS. ET COMMENT DIS-TU, TOI "IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME
SOIT ÉLEVÉ" ? QUI EST CE FILS DE L'HOMME ? ť (12, 34)
1675. Aprčs avoir exposé la promesse de la glorification du Seigneur et
l'explication de la voix, l'Évangéliste rapporte ici le doute de la foule. Et d'abord la foule
fait appel ŕ l'autorité de la Loi pour, ŕ partir de lŕ, émettre son doute [n°
1677].
6. Rm 5,
8.
7. Ct 1,
3 (propre ŕ la Vulgate).
8. Jn 6, 44. Voir vol. I, n° 935.
9. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LII,
11, BA 73B, p. 337-339.
10. Cf. 2
Co 6, 15.
1676. Il dit donc premičrement : LA FOULE LUI RÉPONDIT - au Seigneur qui
parlait de sa mort - Ť NOUS AVONS APPRIS DE LA LOI, NOUS (la Loi est prise
ici d'une maničre générale pour désigner tous les écrits de l'Ancien
Testament), QUE LE CHRIST DEMEURE Ŕ JAMAIS. Et l'on peut dire cela ŕ partir de
nombreux passages de l'Ancien Testament, en particulier : Son empire se
multipliera, et la paix n'aura pas de fin1. - Sa puissance est une puissance éternelle
qui ne passera pas, et son royaume ne sera pas détruit2.
1677. Et ŕ partir de cette autorité, ils soulčvent deux doutes : l'un
concerne le fait, l'autre sa personne [n° 1680]. Le fait, quand ils disent :
COMMENT DIS-TU, TOI Ť IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT
ÉLEVÉ ť ?
Mais puisque le Christ n'a pas dit :
IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT ÉLEVÉ, mais ET MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ ÉLEVÉ
DE TERRE, comment les Juifs disent-ils : IL FAUT QUE LE FILS DE L'HOMME SOIT
ÉLEVÉ ?
Il faut dire ici que les Juifs, déjŕ
habitués aux paroles du Seigneur, ont bien gardé dans leur mémoire qu'il disait
ętre le Fils de l'homme. Aussi, quand il a dit : ET MOI, QUAND J'AURAI ÉTÉ
ÉLEVÉ DE TERRE, J'ATTIRERAI TOUT Ŕ MOI, ils l'ont compris comme s'il avait dit
: Quand le Fils de l'homme aura été élevé - selon ce que dit Augustin3. Ou bien il faut dire que, bien qu'ici il n'ait pas fait mention du
Fils de l'homme, cependant plus haut il a dit ceci : II faut que le Fils de
l'homme soit élevé1.
1678. Mais il semble que ce qu'ils disent eux-męmes : IL FAUT QUE LE FILS DE
L'HOMME SOIT ÉLEVÉ, ne contredit en rien ce qu'ils avaient dit : QUE LE CHRIST
DEMEURE Ŕ JAMAIS. Ŕ cela il faut répondre que, parce que le Seigneur avait
l'habitude de leur parler en paraboles, ils comprenaient beaucoup de ce qui
était dit. Aussi se sont-ils douté que le Seigneur parlait de son exaltation
par la mort de la Croix - Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors
vous connaîtrez que moi je suis5. Ou bien il faut dire que s'ils ont compris
cela, c'est que déjŕ ils pensaient le faire. Ce n'est donc pas la pénétration
de la connaissance qui leur donna l'intelligence de ces paroles, mais la
connaissance fausse qu'invente la malice6.
1679. Remarque bien leur malice : ils ne disent pas NOUS AVONS APPRIS DE LA
LOI que le Christ ne souffre d'aucune maničre ; en effet, dans de nombreux
passages des Écritures il est question de sa Passion et de sa Résurrection,
comme dans ce verset d'Isaďe : Comme une brebis il est conduit ŕ l'abattoir7 ; ou dans ce psaume : Et moi, j'ai dormi,
j'ai sombré dans un profond sommeil et je me suis relevé8. Mais ils disent : QUE LE
CHRIST DEMEURE Ŕ JAMAIS. En cela il n'y aurait eu aucune contradiction puisque rien de ce que le Christ a
accompli par sa Passion n'aurait fait obstacle ŕ son immortalité. Ils voulaient
en effet montrer qu'il n'était pas le Christ puisque LE CHRIST DEMEURE Ŕ
JAMAIS, comme le dit Chrysostome1.
1. Is 9, 7.
2. Dn 7, 14.
3. Tract, in Io., LII, 12, BA 73B, p. 341. 4. Jn 3, 14.
5. Jn 8, 28. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, col. 374.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LU, 12, BA 73B, p. 341.
7. Is 53,
7.
8. Ps 3,
6. Saint Thomas commente : Ť Moi, j'ai dormi. Il montre lŕ en quoi
il a été exaucé, parce que je me suis relevé. II y a une différence
entre le mort et celui qui dort : le mort ne se relčve pas - Penses-tu
qu'une fois mort l'homme vive de nouveau ? (Jb 14, 14), mais celui qui
dort se relčve - Celui qui dort ne pourra-t-il se lever de nouveau ? (Ps
40, 9). Ainsi donc, quand la tribulation est si grande qu'un homme ne revient
pas ŕ son état antérieur, on parle de mort. Mais, quand affligé ou tenté il
tombe dans le péché et se relčve, on dit qu'il dort. De męme on peut dire que
David a dormi parce qu'il a été libéré de son fils et de son péché. On dit
somnoler en parlant d'un léger sommeil, tandis que dormir se dit d'un sommeil
profond. C'est pourquoi une autre version dit : J'ai fait un somme, c'est-ŕ-dire
j'ai dormi profondément. Ainsi on dit que le Christ a dormi profondément parce
qu'il s'est volontairement offert lui-męme ŕ sa Passion ; et parce qu'il a
dormi d'un sommeil profond, la mort s'ensuivit. C'est pourquoi il passa du
repos au sommeil profond. Ce sommeil est préfiguré dans celui d'Adam - Le Seigneur
fit tomber un profond sommeil sur Adam (Gn 2, 21) - parce que c'est du côté
du Christ mort sur la Croix qu'a été formée l'Église. Il dit donc : Et je me
suis relevé, c'est-ŕ-dire par ma propre puissance - J'ai le pouvoir de
livrer ma vie et de la prendre de nouveau (Jn 10, 18) -, et cela parce que le
Seigneur m'a pris. Il eut en effet la puissance de la divinité, puisqu'il
est ressuscité - Quand le juste est tombé, il ne reste pas terrassé car le
Seigneur le soutient de sa main (Ps 36, 24) ť (Exp. in Psalmos, 3,
n°3).
1680. La deuxičme question porte sur sa personne, quand ils disent : QUI EST
CE FILS DE L'HOMME ? Ils demandent cela parce qu'il est dit dans Daniel : Je
voyais, et voici, venant comme un Fils d'homme et il s'avança jusqu'ŕ l'Ancien2, et qu'ŕ travers ce Fils d'homme ils comprenaient le Christ ;
comme s'ils disaient : Tu dis qu'il faut que le Fils de l'homme soit élevé, et
le Fils de l'homme, que nous comprenons comme le Christ, demeure ŕ
jamais ; QUI EST donc CE FILS DE L'HOMME ? S'il ne demeure pas ŕ
jamais, ce n'est pas le Christ. En cela il faut blâmer leur lenteur d'esprit,
puisqu'ils doutaient encore qu'il fűt le Christ, aprčs tant de choses vues et
tant de choses entendues - C'est comme de parler
ŕ quelqu'un qui dort que d'enseigner la sagesse ŕ un sot3.
III
JÉSUS
LEUR DIT DONC : Ť POUR PEU DE TEMPS ENCORE LA LUMIČRE EST PARMI VOUS.
MARCHEZ TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIČRE, DE PEUR QUE LES TÉNČBRES NE VOUS
SAISISSENT ; ET CELUI QUI MARCHE DANS LES TÉNČBRES NE SAIT OŮ IL VA. TANT
QUE VOUS AVEZ LA LUMIČRE, CROYEZ EN LA LUMIČRE, AFIN QUE VOUS SOYEZ DES FILS DE
LUMIČRE. ť JÉSUS DIT CELA ET IL S'EN ALLA ET SE CACHA D'EUX. (12, 35-36)
1681. En disant cela, le Seigneur satisfait ŕ leur doute, en quelque sorte :
il met d'abord en lumičre ce qu'ils avaient de bon puis il les exhorte ŕ
avancer [n° 1683]. Enfin, il explique son avertissement [n° 1686].
1682. Jésus leur dit alors : POUR PEU DE TEMPS ENCORE LA LUMIČRE EST PARMI
VOUS, ce qui peut se lire de deux maničres. D'une certaine maničre, selon
Augustin4, au sens oů le mot modicum (pour
peu de temps) serait l'adjectif qualifiant Ť lumičre ť, comme s'il
disait : il y a une certaine lumičre en vous dans la mesure oů vous savez que
le Christ demeure ŕ jamais. En effet ceci est une vérité, et toute
manifestation de la vérité est une lumičre infusée par Dieu. Cependant, cette
lumičre qui est en vous est limitée puisque, bien que vous ayez connaissance de
l'éternité du Christ, vous ne croyez pas en sa mort et en sa Résurrection : en
cela il est évident que vous n'avez pas une foi parfaite. Ce qui a été dit ŕ
Pierre leur convient donc bien : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu
douté ?5
Mais selon Chrysostome6, il est dit POUR PEU DE TEMPS ENCORE au sens de : c'est pour peu de
temps que LA LUMIČRE EST PARMI VOUS, c'est-ŕ-dire moi, qui suis la
lumičre ; comme s'il disait : c'est pour peu de temps que moi, la lumičre,
je suis avec vous - Un peu de temps et vous ne me
verrez plus1.
L'exhortation du Christ
MARCHEZ
TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIČRE, DE PEUR QUE LES TÉNČBRES NE VOUS
SAISISSENT ; ET CELUI QUI MARCHE DANS LES TÉNČBRES NE SAIT OŮ IL VA. TANT
QUE VOUS AVEZ LA LUMIČRE, CROYEZ EN LA LUMIČRE, AFIN QUE VOUS SOYEZ DES FILS DE
LUMIČRE.
1683. Et voilŕ pourquoi il les exhorte ensuite ŕ aller jusqu'au bout et ŕ
progresser dans le bien
: il les exhorte, puis leur montre le danger qui les guette s'ils n'avancent
pas [n° 1685].
1. In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, col. 373-374.
2. Dn7, 13.
3. Si 22, 9.
4. Tract, in Io., LU, 13, BA 73B, p. 341-343.
5. Mt 14, 31.
6. In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, col. 374.
7. Jn 16,
16.
1684. Il dit donc : je dis que vous n'avez qu'un peu de lumičre ;
cependant, tant que vous l'avez, MARCHEZ, c'est-ŕ-dire avancez et progressez,
pour comprendre que le Christ tout en étant éternel doit mourir et ressusciter
- cela d'aprčs la premičre explication.
Ou bien : MARCHEZ TANT QUE VOUS AVEZ
LA LUMIČRE, c'est-ŕ-dire : tant que je suis avec vous, progressez et
efforcez-vous de me garder si bien que vous ne me perdiez jamais - Seigneur,
ŕ la lumičre de ta face ils marcheront2. Et cela, de peur que LES TÉNČBRES de l'incroyance, de l'ignorance et de
la damnation perpétuelle NE VOUS SAISISSENT et qu'ainsi vous ne puissiez plus
avancer. En effet l'homme, quand il est tout entier plongé dans l'incroyance,
est alors saisi par les ténčbres, ce qui vous arriverait si vous croyiez
l'éternité du Christ de maničre telle que vous refusiez pour lui l'abaissement
de la mort3 - A l'homme dont la route est
cachée (...)4 -
Nous sommes tous enveloppés de ténčbres5.
1. Cf. saint
Augustin, ibid.
2. Ps 88, 16.
3. Cf. saint
Augustin, ibid.
4. Jb 3, 23. Saint Thomas commente : Ť En
effet la voie de l'homme lui est cachée car il ignore oů le mčne l'état de
prospérité actuelle - Le rire sera męlé ŕ la douleur et aprčs la joie vient
le deuil (Pr 14, 13). -A l'homme n'appartient pas sa voie (Jr 10,
23). - Pourquoi faut-il que l'homme cherche ce qui le dépasse alors qu'il
ignore ce qui lui convient durant sa propre vie ? Ou qui peut dire ce qui
va venir aprčs lui sous le soleil ? (Qo 7, 1). Il montre comment la
voie de l'homme lui est cachée en ajoutant : Et Dieu a entouré l'homme de
ténčbres, ce qui est manifeste de plusieurs maničres : quant ŕ ce qui vient
avant et aprčs : Grand est le malheur de l'homme parce quil ignore le passé
et ne peut connaître ce qui arrivera par aucun message (Qo 8, 6-7) ;
quant ŕ ce qui est proche, c'est-ŕ-dire les hommes : Qui connaît ce qui est
de l'homme sinon l'esprit de l'homme qui est en lui ? (1 Co 2,
11) ; quant ŕ ce qui est au-dessus : [Dieu] qui habite une lumičre
inaccessible, que nul homme n'a vu ni ne peut voir (1 Tm 6, 16), et il est
dit dans le psaume : Il a fait des ténčbres sa retraite (Ps
17, 12) ; et quant ŕ ce qui est en dessous : Toutes les choses
difficiles, l'homme ne peut les expliquer par la parole (Qo 1,8).
Or on dit que Dieu a entouré l'homme de ténčbres parce que Dieu lui a
donné une intelligence telle qu'elle ne peut connaître toutes les choses qu'on
vient de dire ť (Exp. super lob, III, 23). Sur la lumičre et les
ténčbres, voir vol. I, n° 102.
5. Jb 37,
19.
ET
CELUI QUI MARCHE DANS LES TÉNČBRES NE SAIT OU IL VA.
1685. Il montre ensuite le danger qui les guette s'ils ne progressent pas.
Car la lumičre, soit de l'extérieur, soit de l'intérieur, dirige l'homme. De
l'extérieur, elle le dirige quant ŕ ses actes corporels extérieurs, mais de
l'intérieur elle dirige sa volonté męme. Celui donc qui ne marche pas dans la
lumičre, en ne croyant pas parfaitement dans le Christ, mais qui MARCHE DANS
LES TÉNČBRES NE SAIT OŮ IL VA, c'est-ŕ-dire vers quel terme il se dirige - Ils
n'ont ni savoir
ni intelligence ; ils marchent dans les ténčbres0. Et c'est bien ce qui arrive aux Juifs eux-męmes parce qu'ils ne savent
pas ce qu'ils font mais, marchant dans les ténčbres, ils pensent suivre le
droit chemin et c'est pourquoi ils croient plaire ŕ Dieu mais ils lui
déplaisent plutôt7. De męme les hérétiques errent,
aussi croient-ils mériter la lumičre de la vérité et de la grâce alors qu'ils
mériteraient plutôt d'en ętre privés - Telle route paraît droite ŕ un homme, mais elle conduit, enfin de
compte, ŕ la mort8.
TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIČRE, CROYEZ EN LA LUMIČRE.
1686. Le Christ explicite ici ce qu'est marcher, et cela de deux maničres,
selon les deux explications données plus haut.
Selon la premičre explication9, TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIČRE signifie : tant que vous avez quelque
chose de la connaissance et de la lumičre de la vérité, CROYEZ EN LA LUMIČRE, ŕ
savoir en la vérité parfaite, AFIN QUE VOUS SOYEZ DES FILS DE LUMIČRE,
c'est-ŕ-dire afin de renaître ŕ la vérité - Nous ne sommes pas les fils des
ténčbres : ne dormons donc pas 1.
6. Ps 81, 5.
7. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVIII, 1,
PG 59, col. 375.
8. Pr 14, 12.
9. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LU, 13, BA 73B, p. 343.
Ou bien, selon l'autre explication,
TANT QUE VOUS AVEZ LA LUMIČRE signifie : tant que vous m'avez, moi, qui suis la
lumičre - Il était la lumičre, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde2 -, CROYEZ EN LA LUMIČRE, c'est-ŕ-dire en moi
: progressez dans ma connaissance AFIN QUE VOUS SOYEZ DES FILS DE LUMIČRE,
parce que du fait que vous croyez en moi, vous serez fils de Dieu - A ceux
qui croient en son nom il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu3.
JÉSUS DIT CELA ET IL S'EN ALLA ET SE CACHA D'EUX.
1687. Ici l'Évangéliste rapporte ce que Jésus a fait, ŕ savoir qu'il se
cacha. Au chapitre 8 oů nous avons lu que le Christ a fait la męme chose, la
raison est facile ŕ comprendre puisqu'ils prirent des pierres pour
les lui jeter*s mais ici il n'y a aucune explication ŕ son geste
puisqu'ils ne ramassaient pas de pierres ni ne blasphémaient contre lui :
pourquoi donc s'est-il caché ?
1. 1 Th
5, 5. Saint Thomas commente : Ť [L'Apôtre] ajoute qu'ils sont fils de la
lumičre et du jour. Or dans l'Écriture on appelle fils de quelque chose ceux
qui ont cette chose en abondance (...). Ceux donc qui participent beaucoup au
jour et ŕ la lumičre en sont les fils. Cette lumičre, c'est la foi au Christ - Moi
je suis la lumičre du monde (Jn 8, 12). - Croyez en la lumičre
pour ętre des fils de lumičre (Jn 12, 36). En effet, de
męme que de la lumičre provient le jour, ainsi de la foi au Christ se lčve le
jour, c'est-ŕ-dire l'honnęteté des bonnes uvres ť {Ad 1 Thess. lect., V,
n° 115).
2. Jn 1,
9.
3. Jn 1,
12.
Il faut répondre que le Seigneur,
scrutant leurs curs, connut la fureur et la malice que déjŕ ils avaient
conçues en vue de le tuer. C'est pourquoi, voulant les devancer, il n'a pas
attendu qu'ils passent ŕ l'exécution, mais, en se cachant, il a voulu adoucir
leur haine et leur colčre. En cela il nous a donné l'exemple que lorsque la
malice de certains ŕ notre égard est manifeste, nous devons fuir avant męme
qu'ils ne tentent d'arriver ŕ leurs fins. Néanmoins le Seigneur a montré par ce
fait ce qu'il a dit par sa parole. Il avait dit en effet : MARCHEZ TANT QUE VOUS AVEZ LA
LUMIČRE, DE PEUR QUE LES TÉNČBRES NE VOUS SAISISSENT ; il a laissé
entendre en se cachant
ce que sont ces ténčbres - J'ai attendu le Seigneur qui a caché sa face loin
de la maison de Jacob5.
4. Jn 8,
59.
5. Is 8,
17.
1688. Jusqu'ici, l'Évangéliste a traité de plusieurs maničres de la gloire du
Christ, en raison de laquelle les Juifs, par jalousie, ont été poussés ŕ le
tuer ; ŕ présent, il s'agit de l'autre cause de sa Passion : l'incrédulité
des Juifs.
Il est d'abord question de leur incrédulité ; puis cette incrédulité est blâmée par le Seigneur [n° 1710].
Jean, premičrement, blâme l'incrédulité de ceux qui ne croyaient pas du tout, puis celle de ceux qui croyaient, mais en secret [n° 1706].
Ŕ l'égard de ceux qui ne croyaient
pas du tout, il commence par montrer la dureté étonnante de leur
incrédulité ; puis, pour qu'on ne croie pas que cela se fit d'une maničre
irrationnelle ou fortuite, il introduit une prophétie [n° 1690].
La dureté étonnante de leur
incrédulité.
MAIS
BIEN QU'IL EŰT FAIT TANT DE SIGNES DEVANT EUX, ILS NE CROYAIENT PAS EN LUI (12,
37)
1689. L'Évangéliste dit donc, comme en s'étonnant : il est dit que le
Seigneur fait beaucoup de signes, par exemple qu'il a changé l'eau en vin,
qu'il a guéri un paralytique 2, qu'il a illuminé un aveugle3, qu'il a ressuscité un mort4, et cependant BIEN QU'IL EŰT FAIT TANT DE SIGNES DEVANT EUX, ILS NE CROYAIENT PAS EN LUI
Ils disaient donc : Quel
signe fais-tu donc pour que nous voyions et croyions en toi ?5 Mais voici ce que dit l'Évangéliste : BIEN QU'IL EŰT FAIT TANT DE SIGNES
DEVANT EUX, ILS NE CROYAIENT PAS EN LUI - Si je n'avais fait parmi eux les
uvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché6. Aussi ne pouvaient-ils pas dire ceci : Nous n'avons plus vu de signes7.
1. Cf. Jn
2, 1-11.
2. Cf. Jn
5, 1-9.
3. Cf. Jn
9, 1-7.
4. Cf. Jn 11, 43.
5. Jn 6, 30.
6. Jn 15, 24.
7. Ps 73, 9.
La prophétie d'haďe.
POUR
QUE S'ACCOMPLÎT LA PAROLE QUE LE PROPHČTE ISAĎE AVAIT DITE : Ť SEIGNEUR,
QUI A CRU Ŕ CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS, ET LE BRAS DU SEIGNEUR, Ŕ QUI A-T-IL
ÉTÉ RÉVÉLÉ ? ť (12, 38)
1690. En vue de cela sont introduits les témoignages des prophčtes, et aprčs
avoir cité les prophéties l'Évangéliste montre qu'elles parlent du Christ [n°
1703].
I
II cite d'abord la prophétie
prédisant leur incrédulité, puis il ajoute celle qui prédit la cause de cette
incrédulité [n° 1697].
1691. Il dit donc : je dis qu'ils ne croyaient pas en lui, POUR QUE
S'ACCOMPLÎT LA PAROLE QUE LE PROPHČTE ISAĎE AVAIT DITE.
Ici il faut savoir que l'expression
Ť pour que ť dans les Saintes Écritures a tantôt un sens causal,
comme plus haut : Moi je suis venu pour que mes brebis aient la vie l ; tantôt un sens consécutif, et signifie alors un événement futur. Et c'est en
ce sens qu'elle est prise ici. En effet ce n'est pas parce qu'Isaďe l'avait
prédit qu'ils ne croyaient pas2 mais c'est parce qu'ils n'allaient
pas croire qu'il l'a prédit ; ainsi c'est ŕ partir des non-croyants que la
parole d'Isaďe est accomplie - II faut que s'accomplisse tout ce qui est
écrit de moi dans la Loi de Moďse, les Prophčtes et les Psaumes3. - Un seul iota ou un seul point de la Loi ne passera pas que tout
ne soit accompli*.
1692. Mais s'il était nécessaire que s'accomplît la parole d'Isaďe, il semble
que les Juifs soient excusables de ce qu'ils n'ont pas cru : en effet, ils ne
pouvaient aller contre la prophétie.
Je réponds : il faut dire qu'ainsi
était prophétisé qu'ils useraient de leur libre arbitre. En effet Dieu, qui
connaît par avance les choses futures, a prédit par le prophčte leur
incrédulité, mais ce n'est pas lui qui en est l'auteur5 ce n'est pas parce qu'il connaît déjŕ les péchés futurs des hommes que
Dieu force quelqu'un ŕ pécher. Ce péché, donc, que les Juifs ont commis, le
Seigneur, ŕ qui rien n'est caché, a prédit qu'ils allaient le commettre6.
1693. Il ajoute ensuite ce que dit le prophčte :
SEIGNEUR, QUI A CRU Ŕ CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS, ET LE BRAS DU SEIGNEUR, Ŕ
QUI A-T-IL ÉTÉ RÉVÉLÉ ?
Il faut savoir ici qu'il y a deux
maničres de croire. Parfois c'est par l'instruction d'un autre - et c'est lŕ la
maničre commune de
croire - La foi vient de ce quon entend, et on entend par la parole du
Christ1. Parfois par une révélation divine, ce qui est un mode
particulier dont l'Apôtre dit : Ce n'est pas non plus d'un homme que je l'ai
reçu ou appris, mais par une révélation de Jésus Christ*.
1694. Isaďe a donc prédit9 que les croyants seraient rares, en
disant : SEIGNEUR, QUI A CRU ? Et en premier lieu quant ŕ la maničre
commune, c'est-ŕ-dire par l'instruction, quand il dit : QUI A CRU Ŕ CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE
NOUS ? Et ce verset d'Isaďe peut se comprendre de deux façons.
1. Jn 10, 10.
2. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXVIII, 2, PG 59, col. 375.
3. Lc 24,
44.
4. Mt 5,
18.
5. Au
sujet de la prédestination divine et de la liberté humaine, voir vol. I, n°
1301 et note 11, et n° 1373 et note 12.
6. La
question comme la réponse proviennent du commentaire de saint Augustin {Tract,
in Io., LUI, 4, BA 73B, p. 351-353).
7. Rm 10,
17.
8. Ga 1,
12.
9. Is 53,
1.
D'une premičre façon en ce sens : QUI
A CRU Ŕ CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS ? ŕ savoir ce que nous avons entendu
de toi - Nous avons entendu du Seigneur des armées un message1... - J'entendrai ce que dit en moi le Seigneur Dieu2. Autrement dit : nous, nous l'avons entendu de
toi, mais. Seigneur, qui croira ce que nous avons entendu de ta bouche au sujet
de ta nativité et de ta Passion ? C'est aussi pourquoi tout ce chapitre
d'Isaďe parle de ces choses.
Or il dit que les prophčtes
entendent, pour faire comprendre la maničre dont les prophčtes sont illuminés.
En effet, par la vision l'homme reçoit immédiatement une connaissance de la
réalité vue, tandis que par l'ouďe la connaissance ne provient pas
immédiatement de la réalité vue, mais d'un signe de cette réalité. Donc, parce que
les prophčtes ne voyaient pas immédiatement l'essence divine mais seulement des
signes des réalités divines, il dit qu'ils entendent - Si quelqu'un parmi
vous est prophčte du Seigneur, je lui apparaîtrai dans une vision ou je lui
parlerai en songe3, c'est-ŕ-dire par des signes. Or le
Fils voit éternellement l'essence divine elle-męme - Personne n'a jamais vu
Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Pčre, lui, lα fait
connaître*. QUI donc A CRU Ŕ CE QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS ? ŕ savoir :
qui a cru ce que nous avons entendu et fait connaître ? - Ce que j'ai
entendu du Seigneur des armées, le Dieu d'Israël, je vous l'ai annoncé5.
D'une autre façon : QUI A CRU Ŕ CE
QUI A ÉTÉ ENTENDU DE NOUS ? c'est-ŕ-dire ce qu'ils entendent de nous - Ils
entendent mes paroles de ta bouche et ne les observent pas6.
1695. Quant au mode particulier de croire, c'est-ŕ-dire par une révélation,
il dit : ET LE BRAS DU SEIGNEUR, Ŕ QUI A-T-IL ÉTÉ RÉVÉLÉ ? Le Fils est
appelé Ť bras ť, lui par qui le Pčre opčre toutes choses, comme on
appelle bras de l'homme ce par quoi l'homme opčre7. Et si l'homme opérait par un seul
verbe intérieur, alors ce verbe pourrait ętre appelé son bras. Ainsi donc le
Fils est appelé le bras de Dieu, non que Dieu le Pčre soit déterminé par une
figure de chair humaine et qu'il ait un bras corporel, mais parce que Tout a
été fait par lui8.
- Ton bras est-il comme celui de Dieu, et ta voix peut-elle tonner comme la
sienne ?9 -
II a déployé la force de son bras10.
1696. Notons que cette parole a été l'occasion de l'erreur de Sabellius, qui
a dit que le Pčre et le Fils sont une męme personne, et aussi de l'erreur
d'Arius11, disant que le Fils est moindre que
le Pčre. En effet, un homme et son bras ne forment pas deux personnes mais une
seule ; et on ne peut dire que le bras soit égal ŕ l'homme.
Il faut répondre en disant qu'en de
telles choses il n'y a pas de similitude suffisante : car ce qui se trouve dans
les créatures ne représente pas parfaitement ce qui est en Dieu. C'est pourquoi
Denys dit que la théologie symbolique n'est pas argumentative12. Le Fils n'est donc pas appelé Ť bras ť comme s'il était la
męme personne que le Pčre, ou moins grand que lui, mais parce que par lui le
Pčre opčre tout. Il dit donc : ET LE BRAS DU SEIGNEUR, Ŕ QUI A-T-IL ÉTÉ
RÉVÉLÉ ?, comme s'il disait : ŕ un petit nombre, ŕ savoir aux Apôtres
eux-męmes - Car c'est ŕ nous que Dieu lα révélé par son Esprit1.
1. Ab 1c.
2. Ps 84, 9.
3. Nb 12, 6.
4. Jn 1, 18. Voir vol. I, nos 215 ŕ 222. 5. 1s
21, 10.
6. Ez 33,
31.
7. Saint
Thomas reprend ici l'interprétation spirituelle de saint Augustin, identifiant
le Fils de Dieu au bras de Dieu (Tract, in Io., LIII, 3, BA 73B, p.
349-351).
8. Jn 1,
3. 9. Jb40, 4.
10. Le 1,
51.
11. Sur
Sabellius et Anus : voir vol. I, n" 64, note 3, et n° 61, note 2.
12. Cette
remarque de saint Thomas s'appuie sur la distinction qu'il établit entre
analogie propre et analogie métaphorique (cf. Somme théol., I, q. 13, a.
3, ad 1, et a. 6). L'analogie métaphorique, comme celle du Ť bras ť,
ne convient pas directement ŕ Dieu, puisque Dieu n'a
pas de corps. Seule une propriété ou un effet du Ť bras ť - la puissance
- convient ŕ Dieu. L'analogie propre, elle, exprime une notion qui peut ętre retrouvée éminemment en Dieu : la bonté, la sagesse, etc. Ŕ la suite
de la Révélation, et de l'Écriture, la théologie
symbolique ne néglige pas la qualité des analogies (ou Ť ^similitudes ť) métaphoriques pour
révéler le mystčre divin. Mais linsuffisance
des Ť similitudes ť métaphoriques dont use une théologie
symbolique la rend inférieure, au niveau de l'argumentation rationnelle, ŕ une théologie recourant
de préférence ŕ des analogies propres.
VOILA
POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE. ET PARCE QU'ISAĎE A DIT ENCORE :
Ť IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX ET ENDURCI LEUR CUR, POUR QU'ILS NE VOIENT PAS
DE LEURS YEUX ET NE COMPRENNENT PAS PAR LE CUR, POUR QU'ILS NE SE
CONVERTISSENT ET QUE JE NE LES GUÉRISSE. ť (12, 39-40)
1697. Jean cite ensuite la prophétie prédisant la cause de leur incrédulité.
Et si nous sommes attentifs ŕ ces paroles de l'Évangéliste, il semble bien, ŕ
premičre vue, qu'elles aient une signification obscure.
D'abord parce que s'il est dit :
VOILŔ POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE, ce qu'Isaďe a dit, les Juifs semblent
ętre excusables2. En effet, quel est le péché de
l'homme qui ne fait pas ce qu'il ne peut pas faire ? Et, ce qui est plus
grave, on fait retomber la faute sur Dieu, parce qu'IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX et
leur cur. Ce serait tolérable si on disait cela du diable, puisque le dieu
de ce monde a aveuglé l'esprit des infidčles3. Mais ici on dit cela de notre Seigneur ! Car Isaďe dit : Je vis
le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé 4. Et plus loin : Aveugle le cur de ce peuple, rends-le dur
d'oreille, bouche-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses
oreilles n'entendent, que son cur ne comprenne, qu'il ne se convertisse et ne
soit guéri5.
1. 1 Co 2, 10.
2. La double objection provient du commentaire
de saint Augustin {Tract, in
Io., LUI, 5, BA 73B, p. 353-355).
3. 2 Co
4, 4.
1698. Pour bien comprendre cela, expliquons d'abord ce que dit l'Évangéliste
: VOILŔ POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE. Il faut savoir que quelque chose
est dit impossible ou nécessaire de deux maničres : d'une maničre absolue et
d'une maničre relative. D'une maničre absolue, comme il est impossible qu'un
homme soit un âne ; d'une maničre relative, comme il est impossible que je
sois ŕ l'extérieur de la maison si je suis ŕ l'intérieur. En fonction de cela,
il faut donc dire qu'un homme est excusé s'il ne fait pas les choses qui, d'une
maničre absolue, lui sont impossibles. Mais s'il ne fait pas celles qui lui
sont impossibles d'une maničre relative, il n'est pas excusé. Ainsi, si l'on
rapporte que quelqu'un a vraiment la mauvaise volonté de voler et qu'il dit
qu'il lui est impossible de ne pas pécher tant qu'il a cette volonté, il n'est
pas excusé ; parce qu'une impossibilité de cette sorte n'est pas
absolue mais relative : en effet il peut abandonner cette mauvaise volonté. Il
est donc dit : VOILŔ POURQUOI ILS NE POUVAIENT PAS CROIRE comme s'ils avaient,
dans leur malice, une volonté aveuglée - Si l'Éthiopien peut changer sa peau
ou le léopard ses taches, alors vous aussi pourrez bien faire, quoique vous
ayez appris le mal1. - Comment pourriez-vous faire le
bien, vous qui ętes mauvais ?2 Et c'est la męme chose que si je disais de quelqu'un : moi, en aucune
maničre je ne peux l'aimer, mais je l'ai en haine.
4. Is 6,
1. Saint Thomas commente : Ť Le secret céleste, dit Chrysostome, n'est pas
vu sans médiation dans sa propre essence - comme c'est le cas pour les
bienheureux dans la patrie - par certains qui l'atteignent selon la perfection
qu'ils ont en raison d'une lumičre divine reçue et par ceux qui sont élevés par
rapt ŕ ce mode de la vision. Il semble que ceux-lŕ aient une vision moins
parfaite, selon les similitudes de la bonté elle-męme, soit dans des réalités
sensibles, soit dans des images, soit dans des formes intelligibles : et c'est
par une vision de ce genre que les prophčtes ont vu par la lumičre de la
prophétie, et que nous voyons par la foi, et que voient męme des philosophes
qui ont connu Dieu par la lumičre de la raison (cf. Rm 1, 20) ť (Exp. super
Isaiam, 6, 1, p. 48,Ί. 118-131). Pour le commentaire de ce verset,
voir aussi vol. I, Prologue, nos 1-6. Sur la vision de la gloire de Dieu,
voir Ad 1 Cor. lect., XIII, n" 800, cité au vol. I, n° 1548, note 4.
5. Is 6,
10.
Quant ŕ la deuxičme partie de la
prophétie, il faut savoir que l'aveuglement et l'endurcissement venant de Dieu
ne s'entendent pas comme si Dieu suscitait la malice ou qu'il poussait ŕ
pécher, mais du fait qu'il n'infuse pas sa grâce3, grâce qu'il infuse par sa
miséricorde. Mais la raison pour laquelle il ne l'infuse pas provient de nous,
en tant qu'il y a en nous quelque chose qui répugne ŕ la grâce divine. Car lui,
quant ŕ ce qu'il est lui-męme, illumine tout homme venant en ce monde4 - Il veut que tous les hommes soient sauvés5. Mais c'est parce que nous nous détournons de Dieu qu'il nous
retire sa grâce - Parce que tu as, toi, rejeté la science, je te rejetterai0. - Ta perte, Israël, provient de
toi ; en moi seul ton secours1. Et c'est comme si quelqu'un avait
fermé la fenętre de sa maison et qu'on lui disait : Tu ne peux pas voir puisque
tu es privé de la lumičre du solei1. Or ce ne serait pas ŕ cause d'un manque de
soleil, mais parce que lui-męme se serait coupé de la lumičre du solei1. C'est
d'une maničre semblable qu'on dit ici qu'ils NE POUVAIENT PAS CROIRE parce que
Dieu les a aveuglés : c'est qu'en fait eux-męmes avaient produit la cause de
leur aveuglement - Leur
malice les a aveuglés8.
1. Jr 13, 23.
2. Mt 12, 34.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LUI,
6, BA 73B, p. 357.
4. Jn 1, 9. Voir vol. I, n" 130.
5. 1 Tm 2, 4.
6. Os 4, 6.
7. Os 13,
9. Au sujet du mystčre de la grâce, voir vol. I, n° 154, note 8, n" 206,
note 4 et n° 1269, note 5. Voir aussi Somme théol., I-II, q. 112, a. 3 et 4. Citons cette
réponse de saint Thomas : Ť Quand la grâce manque, la cause premičre de ce
défaut de grâce est en nous ; quand au contraire elle est donnée, la cause
premičre de ce don est en Dieu. D'oů cette parole d'Osée : Ta perte vient de
toi-męme, ó Israël, mais ton secours est en moi seul (Os 13, 9) ť (ibid.,
a. 3, ad 2).
IL A
AVEUGLÉ LEURS YEUX ET ENDURCI LEUR CUR, POUR QU'ILS NE VOIENT PAS DE LEURS
YEUX ET NE COMPRENNENT PAS PAR LE CUR, POUR QU'ILS NE SE CONVERTISSENT ET QUE
JE NE LES GUÉRISSE. (12, 40)
1699. Aprčs avoir vu cela il faut considérer les paroles de cette prophétie
du livre d'Isaďe, non pas en elles-męmes mais selon leur signification. Dans
ces paroles, donc, sont contenues trois choses : premičrement, l'endurcissement
et l'aveuglement des Juifs ; deuxičmement, l'effet de l'un ei de
l'autre [n° 1701] ; troisičmement, la fin de cet endurcissement et de cet
aveuglement [n° 1702].
IL A
AVEUGLÉ LEURS YEUX.
1700. Ŕ propos du premier point, il faul considérer que le Seigneur amenait ŕ
la foi de deux maničres : par des miracles et par un enseignement ; c'est
pourquoi il les reprend sur ces deux points en disant : Si je navais fait parmi eux les uvres
que nui autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché9. Et encore : Si je nétais pas venu, et que
je ne leur avais pas parlé, ils n'auraient pas dé péché, mais maintenant ils
n'ont pas d'excuse ŕ leur péché10. Ils ont en effet méprisé l'un et
l'autre. Donc, parce qu'ils n'étaient pas attentifs aux miracles du Christ avec
la ferveur qu'ils auraient dű avoir, il dit : IL A AVEUGLÉ LEURS YEUX, ŕ
savoir : les yeux de leur cur - Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cur11 pour qu'ils considčrent pai leur intelligence
que de tels miracles ne pouvaient ętre faits si ce n'est par la puissance divine. - Toi qui as vu tant
de choses, tu n'y fais pas attention ?l Et : Qui est aveugle, sinon mon
serviteur ?2
8. Sg2,
21.
9. Jn 15,
24.
10. Jn
15, 22.
11. Ep 1,
18.
IL A ENDURCI LEUR CUR.
Parce qu'ils n'étaient pas
impressionnés par l'enseignement du Christ, il ajoute : ET ENDURCI LEUR CUR.
Ce qui n'est pas dissous par une forte chaleur ni broyé par un coup violent est
ŕ l'évidence trčs dur. Or les paroles du Christ sont comme un feu, et comme
un marteau qui brise la pierre, comme il est dit dans Jérémie3. Comme du feu, certes, parce qu'elles enflamment par la charité ;
comme un marteau, parce qu'elles effraient par la menace et brisent par la trčs
grande évidence de la vérité. Et pourtant le cur des Juifs n'était pas
attentif ŕ la parole du Christ. Aussi il est manifeste qu'il fut endurci - Son
cur est dur comme l'enclume de celui qui manie le marteau*. - II fait
miséricorde ŕ qui il veut, et il endurcit qui il veut5.
POUR QU'ILS NE VOIENT PAS DE LEURS YEUX ET NE COMPRENNENT
PAS PAR LE CUR.
1701. Il montre ensuite l'effet de leur aveuglement lorsqu'il dit : POUR
QU'ILS NE VOIENT PAS DE LEURS YEUX, ŕ savoir ceux de l'esprit, en découvrant la
divinité du Christ - Elles ont des yeux et ne voient pas6.
Au contraire, il est dit dans Luc : Bienheureux
les yeux qui voient ce que vous voyez7. Il montre l'effet de leur
endurcissement lorsqu'il dit : ET NE COMPRENNENT PAS PAR LE CUR, sous-entendu
: Pour qu'ils NE COMPRENNENT PAS PAR LE CUR - Et parce que pas un ne
comprend, ils périront ŕ jamais^. - II n'a pas voulu comprendre de façon ŕ bien
agir9.
Ici, il faut remarquer que
l'expression Ť pour que ť n'est pas prise au sens causal mais au sens
consécutif.
POUR QU'ILS NE SE CONVERTISSENT ET QUE JE NE LES GUÉRISSE.
1702. Puis il indique la fin de cet aveuglement et de cet endurcissement. Et
cela peut se comprendre de deux maničres, comme le dit Augustin10.
D'une premičre maničre, avec la
répétition de la négation11, le sens serait : QU'ILS NE SE
CONVERTISSENT PAS ET QUE JE NE LES GUÉRISSE PAS. En effet, le chemin de la
guérison du péché est la conversion ŕ Dieu - Convertis-nous ŕ toi, Seigneur,
et nous serons convertis, et il est ajouté aussitôt : Renouvelle nos
jours comme autrefois12.
Mais ŕ ceux qui se sont montrés
indignes de la rémission de leurs péchés, Dieu n'accorde pas les faveurs par
lesquelles ils se convertiraient et seraient guéris, puisque manifestement ils
ne les acceptent pas mais les rejettent.
D'une autre maničre, sans la
répétition de la négation, le sens serait : ils ont été aveuglés et endurcis
afin que pour un temps ils ne voient ni ne comprennent ; et qu'ainsi, ne
voyant ni ne comprenant, c'est-ŕ-dire ne croyant pas dans le Christ, ils le
tuent puis, touchés de componction 13, se convertissent et soient guéris.
Car Dieu permet que quelques-uns parfois tombent dans le péché afin
qu'humiliés, ils se rétablissent plus fermement dans la justice.
I Is 42, 20.
2. Is 42, 19.
3Jr23, 29.
4. Jb 41, 16.
5. Rm 9, 18.
6. Ps 113, 5.
7. Lc 10, 23.
8. Jb 4, 20.
9. Ps 35, 4.
10. Quaestiones Evangeliorum. Quaest. XIII super
Matthaeum, XLIV B, CCL, p. 134-135.
11. Dans
le texte latin, en effet, la négation n'est pas répétée. On peut donc la
sous-entendre ou non.
12. Lm 5,
21. Saint Thomas commente : Ť -Convertis-nous ŕ toi, Seigneur, et nous
serons convertis. Mais contre cela il est dit en Zacharie (1, 3) : Convertissez-vous
ŕ moi. Il faut dire que les deux sont vrais, car l'uvre méritoire exige ŕ
la fois la préparation du libre arbitre et l'infusion de la grâce ť {In
Threnos Hieremiae, V).
13. Le
sens du mot componction est ici : Ť remords ť,
Ť regret ť, Ť douleur de ses fautes ť, Ť contrition
profonde et cordiale ť, et au sens plus large, Ť tristesse
pour les fautes humaines ť (d'aprčs R. Brouillard,
art. Ť Componction ť, in : Catholicisme, vol. 2,
Letouzey et Ané, Paris, 1950, col. 1428). Saint Thomas, en commentant
l'épître aux Romains (11, 8), retrouve le sens étymologique du mot Ť componction ť
(du latin compungere, littéralement : piquer, percer) et dit que
Ť le mot componction exprime une douleur qui perce le cur. Il y a
une componction qui est bonne quand on souffre de ses propres péchés, et une
qui est mauvaise quand par envie on souffre ŕ cause des biens que possčdent les
autres ť {Ad Rom. lect., XI, n° 874). 1. Ac 2, 37.
L'une et l'autre de ces explications
se retrouvent chez différents Juifs. La premičre, chez ceux qui sont demeurés
jusqu'au bout dans leur refus de croire ; la deuxičme, chez ceux qui,
aprčs la Passion du Christ, se sont convertis au Christ et qui, pris de
componction en leur cur par les paroles de Pierre, ont dit aux Apôtres : Frčres,
que devons-nous faire ?l
II
ISAĎE A
DIT CELA QUAND IL A VU SA GLOIRE ET QU'IL A PARLÉ DE LUI (12, 41)
1703. L'Évangéliste montre ensuite que les paroles de l'Écriture citées
auparavant tombent ŕ propos. Car Isaďe a vu en męme temps la gloire de Dieu et
l'aveuglement des Juifs, comme cela apparaît clairement lorsqu'il dit d'abord :
Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et élevé2 , puis ajoute : Aveugle le cur de
ce peuple, rends-le dur d'oreille, bouche-lui les yeux, de peur que ses yeux ne
voient, que ses oreilles n'entendent, que son cur ne comprenne, qu'il ne se
convertisse et ne soit guéri3. Et parce que ce qu'il avait vu
convenait pour qu'il rendît témoignage4, on trouve ensuite : ET QU'IL A
PARLÉ DE LUI, c'est-ŕ-dire du Christ, dont il a vu la gloire : Tous les
prophčtes rendent de lui ce témoignage5. - Dieu avait promis auparavant
[l'Évangile] par ses prophčtes dans les Saintes Écritures, au sujet de son Fils6.
2. Is 6,
1. Voir ci-dessus, n° 1697, note 4.
3. Is 6, 10.
4. Cf. 1 Jn 1, 2.
5. Ac 10, 43.
6. Rm 1, 2.
1704. Concernant les deux premičres choses que l'on regarde ŕ présent, il
faut prendre garde ŕ l'erreur des ariens qui disent que seul le Pčre est
invisible ŕ toute créature, mais que le Fils a été vu dans les visions de
l'Ancien Testament. Mais puisqu'il est dit plus loin : Qui me voit, voit
aussi le Pčre1, il est manifeste que c'est d'une
seule et męme maničre que le Fils et le Pčre sont visibles. Donc, en voyant la
gloire du Fils, Isaďe a vu aussi la gloire du Pčre ; et bien plus, de
toute la Trinité qui est un seul Dieu siégeant sur un trône élevé et que
les séraphins proclamaient : Saint, saint, saint. Non pas de telle sorte
qu'Isaďe ait vu l'essence de la Trinité, mais par une vision de l'imagination,
avec son intelligence, il a exprimé des signes de sa majesté - Si quelqu'un
parmi vous est prophčte du Seigneur, je lui parlerai en songe ou dans une vision.
1705. Ce qui est dit ensuite : ET QU'IL A PARLÉ DE LUI exclut l'erreur des
manichéens qui ont dit qu'aucune prophétie de l'Ancien Testament n'a annoncé le
Christ, comme Augustin le rapporte9, et celle de Théodore de Mopsueste
qui a dit que toutes les prophéties de l'Ancien Testament ont été dites au
sujet d'autre chose mais rattachées au ministčre du Christ par les Apôtres et
les Évangélistes, grâce ŕ une certaine adaptation, comme ce qui est dit d'un
fait peut ętre appliqué ŕ un autre10.
Or tout cela est exclu par ce qui est
dit : ET QU'IL A PARLÉ DE LUI, comme le Christ a dit au sujet de Moďse : C'est
de moi qu'il a écrit11.
7. Jn 14,
9. Sur le commentaire de ce verset, voir ci-dessous, n° 1887.
8. Nb 12,
6.
9. Voir
les livres 12 et 13 du Contra Faustum, PL 42, col. 253-294.
10. Voir
notamment le commentaire du v. 7 du psaume 13 (p. 85-86 de l'édition de R. Devreesse,
Commentaire sur les psaumes, Vatican, 1939). Théodore, évęque de
Mopsueste, sans nier la validité de l'interprétation allégorisante, critiquait
sévčrement l'usage abusif qui en était fait dans l'école d'Alexandrie, ce qui,
parallčlement ŕ une christologie hésitante, lui valut d'ętre męlé aux
innombrables querelles théologiques des iv et ν sičcles. Il refusait de
reconnaître comme messianiques des textes tels que Os 11, 1 ; Mi 4,
2-3 ; Ag 2, 9 ; Za 11, 12-14. Il réduisait ŕ quatre les psaumes
prophétisant l'Incarnation du Christ : Ps 2, 8, 45, 110. Il refusait
l'interprétation allégorisante du Cantique des cantiques et affirmait qu'il
s'agit d'un épithalame composé par Salomon pour célébrer son mariage avec une
princesse égyptienne.
11. Jn 5, 46.
CEPENDANT,
MĘME PARMI LES PRINCES DU PEUPLE, BEAUCOUP CRURENT EN LUI, MAIS Ŕ CAUSE DES
PHARISIENS ILS NE LE CONFESSAIENT PAS, DE PEUR D'ĘTRE REJETÉS DE LA SYNAGOGUE.
EN EFFET, ILS AIMČRENT LA GLOIRE DES HOMMES PLUS QUE LA GLOIRE DE DIEU. (12,
42-43)
1706. Aprčs avoir exposé le défaut de ceux qui ne croyaient pas du tout [n°
1688], l'Évangéliste montre ici le défaut de ceux qui, pusillanimes, croyaient
en secret. Et il commence par mettre en avant leur dignité [n° 1707], puis
montre leur défaut [n° 1708], et enfin révčle la racine de ce défaut [n° 1709].
1707. La dignité de ceux qui croyaient en secret est grande parce que ce sont
des princes ; et ŕ cet égard il dit : CEPENDANT, MĘME PARMI LES PRINCES DU
PEUPLE, BEAUCOUP CRURENT EN LUI Comme s'il disait : J'ai dit que BIEN QU'IL
EŰT FAIT TANT DE SIGNES DEVANT EUX, ILS NE CROYAIENT PAS EN LUI ; et de
fait cela est vrai pour la plus grande partie, non pas cependant sans que
quelques-uns crussent en lui, puisque PARMI LES PRINCES, ŕ savoir LES PRINCES
DU PEUPLE, BEAUCOUP CRURENT EN LUI ; et parmi eux il y eut Nicodčme, qui
vint ŕ Jésus de nuit, comme il est dit plus haut1. Ainsi s'accomplit ce qui est dit
dans le psaume : Les grands des peuples se sont
assemblés2, et est aussi montré que ce que les pharisiens ont dit plus haut était faux : Y a-t-il quelqu'un
parmi les princes des prętres qui ait cru en lui, ou parmi les Pharisiens ?3
1708. Le défaut de ces princes est la pusillanimité, et c'est pourquoi il dit : MAIS
Ŕ CAUSE DES PHARISIENS ILS NE LE CONFESSAIENT PAS. Comme il a été dit, les pharisiens
s'étaient déjŕ entendus pour que, si quelqu'un confessait que Jésus est le
Christ, on l'excluât de la synagogue4. Ne voulant donc pas ętre exclus de la
synagogue, bien qu'ils crussent dans leur cur ILS NE LE CONFESSAIENT cependant
PAS de leur bouche. Mais leur foi était insuffisante puisque, comme il est dit
dans l'épître aux Romains : La foi du cur obtient la justice, et la
confession des lčvres se fait en vue du salut5. Et dans Luc : Celui qui aura rougi de moi
et de mes paroles, de celui-lŕ le Fils de l'homme rougira^.
1709. La racine de leur défaut est la vaine gloire7. D'oů ce qui suit : EN EFFET, ILS
AIMČRENT LA GLOIRE DES HOMMES PLUS QUE LA GLOIRE DE DIEU ; en effet, du
fait qu'ils confessaient publiquement, ils perdaient la gloire des hommes mais
obtenaient par lŕ la gloire de Dieu. Or ils ont choisi d'ętre privés de la
gloire de Dieu, ne voulant pas confesser leur foi publiquement, plutôt que
d'ętre privés de la gloire des nommes, car ils désiraient ętre glorifiés dans
les choses du monde
- Comment pouvez-vous croire, vous
qui tirez votre gloire les uns des autres, et qui ne cherchez pas la gloire qui
vient de Dieu seul ? 8
- Si je plaisais encore ŕ des
hommes, je ne serais plus le serviteur de Dieu9.
1. Cf. Jn 3, 2.
2. Ps46, 10.
3. Jn7, 48.
4. Jn 9, 22.
5. Rm 10, 10.
6. Le 9, 26.
7. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXIX, 1, PG 59, col. 377.
8. Jn 5, 44.
9. Ga 1, 10.
1710. L'Évangéliste montre ici comment le Christ confond l'incrédulité des
Juifs.
En premier lieu il montre le devoir de croire ; en second lieu, le fruit de la foi [n° 1713] ; et en troisičme lieu, il menace les incrédules d'un châtiment [n° 1715].
OR
JÉSUS CRIA ET DIT : Ť QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN MOI MAIS EN CELUI
QUI M'A ENVOYÉ. ET QUI ME VOIT, VOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ. ť (12, 44-45)
Parce que la vision succčde ŕ la foi,
il parle d'abord de la foi puis de la vision [n° 1712].
I
1711. Jean dit : OR JÉSUS CRIA, ŕ la fois ŕ cause de la grandeur de ce qui
allait ętre dit et de la liberté d'esprit avec laquelle il devait dénoncer les
péchés - Crie, ne t'arręte pas, fais retentir ta voix comme une trompette et
dénonce ŕ mon peuple ses crimes1.
ET DIT : Ť QUI CROIT EN MOI NE
CROIT PAS EN MOI MAIS EN CELUI QUI M'A ENVOYÉ ť, ce qui semble impliquer
une contradiction, puisqu'il dit : QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN MOI Pour
en avoir l'intelligence, il faut savoir que premičrement, selon Augustin2, cela fut dit par le Seigneur pour distinguer en lui la nature divine
et la nature humaine. Puisqu'en effet l'objet propre de la foi est Dieu, nous
pouvons croire qu'il a quelque chose d'une créature, mais nous ne devons pas
croire en une créature mais en Dieu seu1. Or dans le Christ il y a une nature
créée et une nature incréée. Il est donc requis, pour la vérité de la foi, que
notre foi porte sur le Christ quant ŕ sa nature incréée3 ; et selon cela il dit : QUI CROIT EN MOI, ŕ savoir en ma
personne, NE CROIT PAS EN MOI, en tant qu'homme, MAIS EN CELUI QUI M'A ENVOYÉ,
c'est-ŕ-dire en moi selon que j'ai été envoyé par le Pčre - Mon enseignement n'est pas le mien, mais il est de
celui qui m'a envoyé1.
1. Is 58, 1.
2. Tract, in Io., LIV 2-3, BA 73B, p. 379.
3. Le
Christ dans son mystčre est une personne divine, le Verbe, dans deux natures :
la nature divine et la nature humaine. C'est la vérité de notre foi. Saint
Thomas, dans son traité du Verbe incarné (Somme théol, III, q. 1 ŕ 26),
aprčs avoir exposé les convenances de l'Incarnation (q. 1), montre de quelle
maničre le Verbe s'unit ŕ la nature humaine. En reprenant les Actes du Concile
de Chalcédoine et du Concile d'Éphčse, et la tradition des Pčres avec saint
Jean Damascčne, il montre que l'union du Verbe ŕ la nature humaine, dans le
Christ, ne se fait pas dans la nature - en effet, dans le Christ existent la
nature humaine et la nature divine, et ainsi toutes les opérations du Christ
sont ŕ la fois humaines et divines - mais dans la personne (q. 2, a. 1 ŕ 6). L'Incarnation
du Verbe est une assomption (q. 2, a. 8) dont la conséquence est la relation
nouvelle de la nature humaine avec la personne du Verbe. Et c'est dans
l'article 2 de la question 17 oů il pose la question : Ť Y a-t-il dans le
Christ unité d'ętre ? ť que saint Thomas précise bien ce qu'implique
cette union hypostatique : Ť La nature humaine est unie au Fils de Dieu
hypostatiquement ou personnellement, mais non accidentellement ; il
s'ensuit que selon la nature humaine il ne résulte pas un nouvel ętre personnel
mais une nouvelle relation de son ętre personnel préexistant ŕ la nature
humaine : la personne du Fils de Dieu subsiste désormais non seulement sous le
rapport de la nature divine mais aussi sous le rapport de la nature
humaine ť (q. 17, a. 2, c). Saint Thomas, dans la question disputée De
unione Verbi Incarnati, affirme qu'il y a deux esse (voir A. Patfoort, o. p., L'unité d'ętre
dans le Christ d'aprčs saint Thomas. A la croisée de l'ontologie et de la
christologie, col1. Bibliothčque de théologie, théologie dogmatique, série
1, vol. 4. Desclée et Cie, Paris et Tournai 1964). Mais dans la Somme, il
conclut ŕ l'unicité de Vesse du Christ. Dans le Christ, il n'y a qu'une
seule réalité, celle du Verbe, qui subsiste dans la nature humaine. Dans la
manifestation, dans les effets, Jésus vit parfaitement sa vie de Dieu et sa vie
d'homme. Lesse divin assume la nature humaine en la respectant
complčtement. Il n'y a qu'un seul esse dans le Christ, qu'une unité
d'ętre, c'est l'esse du Verbe. Ainsi, en commentant cette parole du
Christ : Qui croit en moi ne croit pus en moi mais en celui qui m'a envoyé, saint
Thomas met en pleine lumičre la sagesse du Christ qui veut réveiller notre foi
contemplative : en Jésus, tout est lié au mystčre du Verbe et nous conduit au
Pčre.
Mais selon Chrysostome2, il faut remarquer que le Seigneur dit cela uniquement pour révéler
son origine. Et c'est la męme chose que si quelqu'un, puisant de l'eau d'un
fleuve, disait : cette eau n'est pas du fleuve mais de la source, c'est-ŕ-dire
: elle n'a pas son origine dans le fleuve lui-męme. Ainsi donc le Seigneur dit
: QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS EN MOI MAIS EN CELUI QUI M'A ENVOYÉ, comme s'il
disait : Je ne suis pas principe de moi-męme, mais la divinité est ŕ moi par un
autre, c'est-ŕ-dire par le Pčre, c'est pourquoi QUI CROIT EN MOI NE CROIT PAS
EN MOI, sinon en tant que je suis par le Pčre.
II
ET QUI ME VOIT, VOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ.
1712. Ŕ ce sujet il faut savoir que, de męme que le Pčre a envoyé son Fils
pour convertir les Juifs, de męme aussi le Christ a envoyé ses disciples
: Comme le Pčre m'a envoyé, moi aussi je vous envoie3. Or aucun des disciples n'a osé dire - et il
ne le devait pas - que l'on croyait en lui, bien qu'il eűt pu dire qu'on le
croyait. Parce que cela n'aurait pas pu ętre sans porter atteinte ŕ celui qui
l'envoyait, car si l'on croyait au disciple on cessait de croire au maître. Les
Juifs pourraient donc dire que de la męme maničre, puisque tu as été envoyé par
le Pčre, celui qui croit en toi cesse de croire en le Pčre. Voilŕ
pourquoi le Seigneur, contre cela, montre que celui qui ne croit pas en lui ne
croit pas en le Pčre : QUI ME VOIT, VOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ.
Ce qui est appelé ici vision, ce
n'est pas le regard sensible mais la considération du vrai par l'intelligence.
Et c'est pourquoi celui qui voit le Fils voit aussi le Pčre, parce que le Fils
est en lui par unité d'essence. On dit en effet qu'une chose est vue dans une
autre parce qu'elles sont ou bien identiques ou tout ŕ fait semblables. Or le
Pčre et le Fils sont identiques selon la nature et tout ŕ fait semblables,
puisque le Fils est l'image du Pčre sans aucune dissemblance4
- Il
est l'image du Dieu invisible5. - Lui qui est la splendeur de sa gloire et l'effigie de sa
substance 6. Voilŕ pourquoi, de męme qu'il croit
en le Pčre, de męme aussi il croit en moi
- Philippe, qui me voit, voit
aussi mon Pčre. Ne crois-tu donc pas que je suis dans le Pčre et que le Pčre
est en moi ?7 Autrement dit, voilŕ la raison pour
laquelle celui qui me voit, voit aussi le Pčre : le Pčre est en moi et moi en
lui.
Tel est donc le devoir de la foi :
qu'elle porte sur le Christ en tant que Dieu, de la męme maničre qu'elle porte
sur le Pčre.
1. Jn 7, 6.
2. In Ioannem hom., LXIX, 1, PG 59, col. 378.
3. Jn 20, 21.
4. Cf. Somme
théol, I, q. 35 saint Thomas rappelle que pour ętre vraiment l'image d'un
autre, il faut lui ętre semblable dans l'espčce, mais aussi Ť en procéder
de maničre ŕ lui ressembler dans l'espčce ť (a. 1). Et le Fils est seul
l'image du Pčre, car Ť il en procčde comme Verbe ŕ qui appartient
en propre la similitude dans l'espčce envers celui dont il procčde ť (a. 2).
5. Col 1,
15.
6. He 1,
3. Voir ci-dessus, n° 1662, note 2.
7. Jn 14, 9-10.
MOI, LA
LUMIČRE, JE SUIS VENU DANS LE MONDE AFIN QUE QUICONQUE CROIT EN MOI NE DEMEURE
PAS DANS LES TÉNČBRES. (12, 46)
I
MOI, LA
LUMIČRE, JE SUIS VENU DANS LE MONDE.
1713. Il montre ensuite le fruit de la foi et d'abord sa dignité et sa
puissance. De quelle maničre le Christ est lumičre, cela a été exposé plus haut
: Il était la lumičre, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde 1, et : Moi je suis la lumičre du monde 2.
En cela aussi il montre qu'il a une
nature divine. En effet ętre la lumičre est le propre de Dieu, les autres
n'étant que lumineux, c'est-ŕ-dire qu'ils participent de la lumičre. Mais Dieu
est lumičre par essence - Dieu est lumičre, et il n'y a pas en lui de
ténčbres3. Mais parce qu'il est dit qu'*7 habite
une lumičre inaccessible qu'aucun homme n'a vue ni ne peut voir4, nous ne pouvions pas aller vers lui, et pour
cette raison il fallait que lui-męme vînt vers nous. Et c'est ce qui est dit
ensuite : JE SUIS VENU DANS LE MONDE, c'est-ŕ-dire moi je suis la lumičre
inaccessible, qui arrache ŕ l'erreur et dissipe les ténčbres de l'intelligence5 - Je suis sorti du Pčre et je suis venu dans le monde6. - II est venu chez lui1. Bien que les Apôtres soient appelés lumičre -
Vous ętes la lumičre du monde8 - ils ne le sont pas cependant dans
le męme sens que le Christ. En effet, eux sont une lumičre illuminée, bien
qu'en un sens par leur ministčre ils soient ceux qui illuminent. Et il ne
convient pas que l'un des Apôtres dise : MOI, LA LUMIČRE, JE SUIS VENU DANS LE
MONDE, puisque, quand ils sont venus dans le monde, ils étaient encore ténčbres
et non lumičre car nous sommes tous enveloppés de ténčbres9.
1. Jn 1,
9.
2. Jn 8,
12.
3. 1 Jn
1, 5.
4. 1 Tm
6, 16. Sur la lecture propre de ce verset par saint Thomas, voir vol. I, n°
454, note 11, et surtout Ad 1 Tim. lect., VI, nos 268 et 269.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXIX, 1, PG 59, col. 378.
6. Jn 16,
28.
7. Jn 1,
11.
8. Mt 5,
14. Saint Thomas commente : Ť II montre ici qu'ils doivent illuminer par
la parole de leur enseignement. Lŕ on peut noter trois choses que doit avoir le
prédicateur de la parole divine : d'abord la stabilité afin de ne pas s'écarter
de la vérité, deuxičmement la lumičre afin de ne pas enseigner d'une maničre
obscure, troisičmement la finalité afin de chercher la louange de Dieu et non
pas la sienne ť (Sup. Matth. lect., V, n° 456). 9. Jb 37, 19.
II
AFIN
QUE QUICONQUE CROIT EN MOI NE DEMEURE PAS DANS LES TÉNČBRES.
1714. L'illumination est donc le fruit de la foi - Celui qui croit en moi
ne marche pas dans les ténčbres 10, NE DEMEURE PAS DANS LES TÉNČBRES, ŕ
savoir celles de l'ignorance, de l'incroyance et de la damnation
perpétuelle ; ce qui montre avec évidence que nous naissons tous dans les
ténčbres de la faute - Autrefois vous étiez ténčbres, mais ŕ présent vous
ętes lumičre dans le Seigneur11. Pareillement, nous naissons dans les ténčbres de l'ignorance - L'homme
dont la route est cachée et que Dieu a entouré de ténčbres12. Et enfin, si nous ne nous convertissons pas au Christ, nous sommes
conduits vers les ténčbres de la damnation perpétuelle. Qui donc ne croit pas
en moi, demeure dans les ténčbres - Celui qui refuse de croire au Fils ne
verra pas la vie, mais la colčre de Dieu demeure sur lui13.
10. Jn 8,
12. Voir vol. I, n° 1144.
11. Ep 5,
8.
12. Jb 3,
23. Pour le commentaire de ce verset, voir ci-dessus, n° 1684, note 4. Sur la
lumičre et les ténčbres, voir vol. I, n° 102.
13. Jn 3, 36.
1715. Le Christ laisse entendre le châtiment des incrédules : ET SI QUELQU'UN
ENTEND MES PAROLES ET NE LES GARDE PAS, MOI JE NE LE JUGE PAS - châtiment
qu'ils encourraient en vertu du jugement de condamnation.
Il montre qu'il remet le jugement,
puis il annonce qu'il y aura un jugement [n° 1718]. Enfin, il donne la raison
pour laquelle il le remet [n° 1719].
I
ET SI
QUELQU'UN ENTEND MES PAROLES ET NE LES GARDE PAS, MOI JE NE LE JUGE PAS. EN
EFFET, JE NE SUIS PAS VENU POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR SAUVER LE MONDE. (12,
47)
1716. Il faut donc remarquer que ceux-lŕ sont rendus bienheureux qui
entendent la parole de Dieu et la gardent, en croyant intérieurement dans leur
cur, et en la mettant en pratique extérieurement par une uvre. Mais ceux qui
l'entendent et ne s'efforcent pas de la garder sont, ŕ cause de cela, d'autant
plus ŕ blâmer - Ce ne sont pas les auditeurs de la Loi qui sont justes
devant Dieu, mais les observateurs de la Loi qui seront justifiés λ. - Soyez de ceux qui accomplissent la Loi, et non seulement de ceux
qui l'écoutent2. Et c'est pourquoi SI QUELQU'UN ENTEND
MES PAROLES ET NE LES GARDE PAS, MOI JE NE LE JUGE PAS.
Mais cela semble contraire ŕ ce qui
est dit plus haut : Le Pčre a remis tout jugement au Fils3. C'est pourquoi il faut comprendre : JE NE LE
JUGE PAS, c'est-ŕ-dire pas maintenant. En effet cela aurait pu lui ętre imputé
comme une faiblesse de laisser aller ceux qui le méprisent4. Et, pour cette raison, il dit qu'ils seront jugés de cette maničre,
mais pas maintenant - Tout ce que Dieu a fait, il le mčne au jugement5. - Fuyez ŕ la face de l'iniquité,
car il y a un glaive vengeur de l'iniquité, et sachez qu'il y a un jugement6.
1717. Il donne ensuite la cause de ce délai qui entraîne le doute : EN EFFET,
JE NE SUIS PAS VENU POUR JUGER LE MONDE, MAIS POUR SAUVER LE MONDE.
En effet, il y a deux venues du Fils
de Dieu. L'une oů il vient comme Sauveur, l'autre oů il vient comme juge7. Mais parce que tous étaient dans le péché, s'il était venu d'abord
comme juge il n'aurait sauvé personne, car tous nous étions des fils de la
colčre8. Et c'est pourquoi il fallait qu'il
vînt d'abord pour sauver les croyants et ensuite pour juger et les fidčles et
les pécheurs. Et c'est bien ce qu'il dit : c'est pourquoi je ne le juge pas
tout de suite, parce que JE NE SUIS PAS VENU - lors de ma premičre venue - POUR
JUGER LE MONDE, MAIS POUR SAUVER LE MONDE - Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le
monde soit sauvé par lui9.
II
QUI ME
REJETTE ET NE REÇOIT PAS MES PAROLES A QUELQU'UN QUI LE JUGE. (12, 48)
1. Rm2, 13.
2. Je 1,22.
3. Jn5, 22.
4. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXIX, 1, PG 59, col. 378.
5. Qo 12, 14.
6. Jb 19, 29.
7. Ť Nunc est tempus misericordiae, post erit
iudicII ť (saint
Augustin, Tract, in Io., LJV, 5, BA 73B, p. 387).
8. Cf. Ep 2, 3. 9. Jn 3, 17.
1718. Il annonce le jugement ŕ venir ; comme s'il disait : bien que ceux
qui ne gardent pas mes paroles ne soient pas jugés maintenant, cependant ils ne
resteront pas impunis, quels qu'ils soient, parce que QUI ME REJETTE ET NE
REÇOIT PAS MES PAROLES, en y croyant et en les mettant en pratique, A QUELQU'UN
QUI LE JUGE. La raison est que si on ne reçoit pas les paroles du Fils, on méprise
les paroles de Dieu dont il est le Verbe, comme celui qui n'obéit pas au
commandement de son maître [n° 1716] - Fuyez ŕ la face de l'iniquité car il
y a un glaive vengeur de l'iniquité, et sachez qu'il y a un jugement1. - Quant ŕ toutes les choses que
Dieu fait, il les appellera en jugement2. - Malheur ŕ toi qui méprises, est-ce que tu
ne seras pas toi-męme méprisé ?3 - Ceux au contraire qui me
méprisent seront avilisA.
III
1719. Il indique ensuite la cause de la remise du jugement, et aprčs l'avoir
indiquée, il montre que cette cause est suffisante [n° 1721].
1720. Il dit donc : je dis qu'un tel homme a quelqu'un qui le juge. Mais qui
sera celui-ci ? LA PAROLE, dit-il, QUE J'AI DITE, C'EST ELLE QUI LE JUGERA
AU DERNIER JOUR. Et cela revient au męme, comme le dit Augustin5, que s'il avait dit : Moi je le jugerai au dernier jour. C'est
vraiment lui-męme que le Christ a exprimé dans sa parole, lui-męme qu'il a
annoncé. Il est donc lui-męme la parole qu'il a dite parce que c'est de lui
qu'il a parlé - Męme si moi je me rends témoignage ŕ moi-męme, vrai est mon témoignage, parce
que je sais d'oů je suis
venu et oů je vais6. Autrement dit : cela męme que je
leur ai dit et qu'ils ont pourtant méprisé, voilŕ ce qui les jugera - C'est lui qui a été établi par
Dieu juge des vivants et des morts1.
PARCE
QUE MOI CE N'EST PAS DE MOI-MĘME QUE J'AI PARLÉ. MAIS LE PČRE QUI M'A ENVOYÉ
M'A LUI-MĘME COMMANDÉ CE QUE JE DOIS DIRE ET CE DONT JE DOIS PARLER. ET JE SAIS
QUE SON COMMANDEMENT EST VIE ÉTERNELLE. ET DONC CE QUE MOI JE DIS, COMME LE
PČRE ME L'A DIT AINSI JE LE DIS. (12, 49-50)
1721. Il montre que cette cause est suffisante ; d'abord d'aprčs
l'origine de cette parole, puis ŕ partir de sa dignité [n° 1725].
En ce qui concerne le premier point,
il exclut ce qui est faux, puis il établit la vérité [n° 1723].
CE
N'EST PAS DE MOI-MĘME QUE J'AI PARLÉ.
1722. Il est faux, certes, de penser que le Fils opčre, parle ou existe
uniquement par lui-męme et non par un autre, car ce serait affirmer que le Fils
n'est pas par le Pčre. Or voici ce qu'il dit : Je dis que la parole que j'ai
prononcée, c'est elle qui les jugera, parce que moi, CE N'EST PAS DE MOI-MĘME
QUE J'AI PARLÉ - Le Fils ne peut rien faire de lui-męme8. - Les paroles que moi je vous dis, je ne les dis pas de moi-męme9. Or c'est la męme chose de dire : CE N'EST PAS DE MOI-MĘME QUE J'AI
PARLÉ que de dire : Ť Moi, je ne suis pas né de moi-męme mais du
Pčre ť, comme s'il disait : Ť Je le jugerai au dernier jour,
apparaissant sous les traits d'un esclave 10 ť - Il lui a donné le pouvoir
d'exercer le jugement parce qu'il est le Fils de l'homme1. Mais cependant je ne le jugerai pas par un
pouvoir humain, ŕ savoir en tant que je suis le Fils de l'homme, mais par un
pouvoir divin, en tant que je suis le Fils de Dieu. Je ne jugerai donc pas de
moi-męme mais ŕ partir du Pčre, de qui je tiens la puissance de juger.
1. Jb 19, 29.
2. Qo 12, 14.
3. 1s 33, 1.
4. 1 S 2, 30c.
5. Tract, in Io., LTV, 6, BA 73B, p. 389.
6. Jn 8,
14.
7. Ac 10,
42.
8. Jn 5,
19.
9. Jn 14,
10.
10. Voir saint Augustin, La Trinité, I, xII, 26-27 ; xm, 28-30, BA 15, p. 159-173.
MAIS LE
PČRE QUI M'A ENVOYÉ M'A LUI-MĘME COMMANDÉ CE QUE JE DOIS DIRE ET CE DONT JE
DOIS PARLER.
1723. Il établit lŕ la vérité. Mais ces paroles, si on ne les comprenait pas
avec une piété filiale, donneraient lieu ŕ deux erreurs.
Une premičre erreur, parce que celui
qui commande est plus grand que celui ŕ qui il commande. C'est donc pour cela
que les ariens prétendaient : le Pčre commande, donc le Pčre est plus grand que
le Fils. Une deuxičme, parce que ce qui est donné ŕ quelqu'un n'était pas en sa
possession avant que cela lui soit donné ; et par conséquent il ne le
connaissait pas. Si donc le Pčre donne un commandement ŕ son Fils, il s'ensuit
que le Fils auparavant ne l'a pas eu et par conséquent l'a ignoré : c'est
quelque chose qui lui a été ajouté. Donc le Fils n'est pas vraiment Dieu2.
Lŕ il faut savoir que tous les
commandements divins sont dans la pensée du Pčre, puisque ces commandements
męmes ne sont rien d'autre que l'intelligibilité (rationes3) de ce qui doit ętre fait. Donc, de męme que
se trouve dans la pensée du Pčre l'intelligibilité de toutes les créatures qui
sont produites par Dieu - ce que nous appelons les Ť idées ť -, de
męme aussi c'est dans ces commandements que se trouve l'intelligibilité de tout
ce que nous devons faire. Donc, de męme que l'intelligibilité de toutes les
réalités se transmet du Pčre au Fils, qui est la Sagesse du Pčre, de męme aussi
l'intelligibilité de tout ce qui doit ętre fait. Ainsi donc le Fils dit : MAIS
LE PČRE QUI M'A ENVOYÉ M'A LUI-MĘME - en tant que Dieu - COMMANDÉ -
c'est-ŕ-dire : m'a communiqué par une génération éternelle - CE QUE JE DOIS
DIRE - intérieurement - ET CE DONT JE DOIS PARLER - extérieurement, comme aussi
notre parole (si nous voulons dire des choses vraies) énonce ce que
l'intelligence conçoit.
1. Jn 5, 27.
2. La
question a été posée par saint Augustin {Tract, in Io., LIV, 7j BA 73B,
p. 393), et la premičre réponse de saint Thomas en reprend en partie le développement.
3. Sur les différents sens du mot ratio,
voir vol. I, Préface, p. 18,
note 4.
1724. Chrysostome4, quant ŕ lui, explique tout cela
autrement et d'une maničre plus claire : SI QUELQU'UN ENTEND MES PAROLES ET NE
LES GARDE PAS, MOI JE NE LE JUGE PAS, comme s'il disait : moi je ne le condamne
pas. En effet on peut dire de deux maničres que quelqu'un condamne un autre :
ou bien comme le juge, ou bien comme la cause de condamnation. En effet,
l'homicide est condamné ŕ la pendaison et par le juge qui profčre la sentence,
et par l'homicide męme qu'il a commis et qui est cause de sa condamnation. Il
dit donc : MOI JE NE LE JUGE PAS, c'est-ŕ-dire : je ne suis pas cause de sa
condamnation, mais c'est lui-męme
- Ta perte, Israël, provient de
toi5. Et cela parce que JE NE
SUIS PAS VENU POUR JUGER LE MONDE, ŕ savoir : je n'ai pas été envoyé pour
condamner mais pour sauver.
Mais un tel homme ne sera-t-il pas jugé ? Si, parce que QUI ME
REJETTE ET NE REÇOIT PAS MES PAROLES A QUELQU'UN QUI LE JUGE. Or, qui est celui
qui juge, il le montre : LA PAROLE QUE J'AI DITE, que nous avons entendue, qui
se tiendra au rang d'accusateur, C'EST ELLE QUI LE JUGERA AU DERNIER JOUR - Si
je n'étais pas venu, et que je ne leur avais pas parlé, ils n'auraient pas de
péché, mais maintenant ils n'ont pas d'excuse ŕ leur péché1. Il montre que la parole qu'il a dite les jugera PARCE QUE MOI CE
N'EST PAS DE MOI-MĘME QUE J'AI PARLÉ. Cela certes n'est pas pris au sens
causal, mais pour ainsi dire matériellement, et le sens est donc : Tu dis que
ta parole le jugera, c'est-ŕ-dire le condamnera ; mais quelle est cette
parole ? Celle que j'ai dite, puisque moi ce n'est pas de moi-męme que
j'ai parlé ; c'est-ŕ-dire la parole que j'ai dite au nom du Pčre, et ce
qu'il m'a donné ŕ dire et ŕ faire entendre. D'ailleurs, si j'avais parlé contre
le Pčre ou dit des choses que je n'ai pas tenues de lui, et s'ils ne m'avaient
pas cru, ils auraient une excuse ; mais puisque j'ai parlé ainsi, il est
certain que ce n'est pas moi seulement, mais mon Pčre aussi qu'ils ont méprisé.
4. In Ioannem hom., LXVIII, 1, PG 59, col. 377.
5. Os 13,
9 (propre ŕ la Vulgate).
1725. Et selon cette explication, ce qu'il a dit : LE PČRE QUI M'A ENVOYÉ M'A
LUI-MĘME COMMANDÉ CE QUE JE DOIS DIRE ET CE DONT JE DOIS PARLER doit ętre
entendu du Christ en tant qu'homme. Par conséquent, lorsqu'il dit : ET JE SAIS
QUE SON COMMANDEMENT EST VIE ÉTERNELLE, cela montre que cette cause est
suffisante, en raison de la dignité de sa parole. Et tout d'abord il montre sa
dignité, puis, en conclusion, la réalisation de cette parole.
Il montre sa dignité en disant : ET
JE SAIS QUE SON COMMANDEMENT EST VIE ÉTERNELLE - par essence, si on comprend ce
commandement selon qu'il est dans l'Esprit divin ; car tout ce qui est en
Dieu est vie éternelle - C'est lui h véritable Dieu et la vie éternelle2. En effet le Fils lui-męme est le commandement
du Pčre, ou bien il est vie éternelle, c'est-ŕ-dire celui qui conduit ŕ la vie
éternelle - Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements3.
Donc, parce que le Pčre m'a donné ce
commandement, et que ce commandement est vie éternelle, moi c'est pour cela que
je suis venu, pour conduire les hommes ŕ la vie éternelle ; c'est pourquoi
ŕ travers tout j'accomplis le commandement du Pčre. Et c'est ce qu'il dit : ET
DONC CE QUE MOI JE DIS, COMME LE PČRE ME L'A DIT AINSI JE LE DIS. Ce qui, selon
Chrysostome4, est évident et signifie : CE QUE
MOI JE DIS, en pręchant extérieurement, COMME LE PČRE ME L'A DIT AINSI JE LE
DIS, c'est-ŕ-dire : en tant que j'ai reçu de lui la connaissance ; on le
comprend alors du Christ en tant qu'homme.
1726. Mais, selon Augustin5, si on l'entend du Christ en tant
que Fils de Dieu, comment le Pčre le lui dit-il, puisqu'il est lui-męme le
Verbe ?
Il faut dire qu'il ne le lui a pas
dit comme si c'était avec des paroles (verba) qu'il s'adressait ŕ son
unique Verbe, mais le Pčre a parlé au Fils comme il l'a engendré et lui a donné
d'avoir la vie en lui-męme - Le Seigneur m'a dit : Tu es mon fils. Moi,
aujourd'hui, je t'ai engendré6.
1. Jn 15,
22. Voir ci-dessus, n° 1700.
2. 1 Jn 5, 20.
3. Mt 19, 17.
4. In Ioannem hom., LXIX, 2, PG 59, col. 379.
5. Tract, in Io., LJV, 7, BA 73B, p. 391-395.
6. Ps 2,
7. Saint Thomas, en commentant ce verset, montre d'abord Ť le mode de la
génération, puis la propriété de la filiation, enfin l'éternité du Fils
engendré. Le mode est indiqué par ces mots : Le Seigneur a dit, c'est-ŕ-dire
qu'il a procédé par mode d'intelligence. Chaque génération a un mode propre. Le
mode de la nature divine n'est pas charnel mais intellectuel, bien plus il est
l'acte męme d'intelligence. Ensuite, la génération est une procession selon
l'origine, qui se trouve dans la réalité intelligible, qui procčde de
l'intelligence selon la conception du Verbe. Et c'est cela, dire le Verbe dans
son cur ; et c'est pourquoi il dit : Le Seigneur a dit, comme s'il
disait : en disant il m'a engendré. C'est pourquoi le Fils est le Verbe que le
Pčre a dit, c'est-ŕ-dire a produit en l'engendrant. La propriété est montrée en
ceci, qu'il dit : "mon fils" non pas "adoptif comme ceux dont
parle Jean Il leur a donné le pouvoir de devenir fils de Dieu (Jn 1,
12) -, mais selon une propriété de nature : c'est pourquoi tu es mon Fils par
nature, unique, consubstantiel - Celui-ci est mon Fils, mon bien-aimé (Mt
3, 17). L'éternité est donnée dans ce qu'il ajoute : Moi, je t'ai engendré
aujourd'hui, c'est-ŕ-dire éternellement. En effet cette génération n'est
pas une génération nouvelle mais éternelle, et c'est pourquoi le psalmiste dit
: aujourd'hui ; ce mot signifie le temps présent, et ce qui est
éternel est toujours. Il dit aussi : je t'ai engendré, et non pas :
"je t'engendre, pour désigner la perfection de la génération ; en
effet puisque cette génération est sans mouvement, ŕ la fois il est engendré et
a été engendré. Il dit encore aujourd'hui pour désigner l'éternel
présent et l'éclat qui conviennent au Christ - qui habite une
lumičre inaccessible (1 Tm 6, 16), et qui est vraiment celui
en qui il n'y a rien de passé ou de futur ou d'obscur mais seulement la lumičre ť
(Exp-" Psalmos, 2, n° 5).
COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES
DISCIPLES Ŕ VIVRE SA PASSION
Évangile
selon saint Jean Chapitre XIII
1 Avant
le jour de la fęte de la Pâque, Jésus, sachant qu'est venue son heure de passer
de ce monde vers le Pčre, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les
aima jusqu'ŕ la fin. 2 Et au cours d'un repas, alors que déjŕ le diable avait
jeté dans le cur de Judas Iscariote, [fils] de Simon, [le dessein] de le
livrer, 3 sachant que le Pčre lui a tout donné dans les mains, et qu'il est
sorti de Dieu et qu'il va vers Dieu, 4 il se lčve du repas, et dépose ses
vętements, et ayant pris un linge, il se ceignit. 5 Ensuite, il versa de l'eau
dans un bassin et commença ŕ laver les pieds des disciples et ŕ les essuyer
avec le linge dont il était ceint.
6 II
vient donc vers Simon-Pierre. Et Pierre lui dit : Ť Seigneur, toi, tu me
laves les pieds ? ť7 Jésus répondit et lui dit : Ť Ce que moi je
fais, tu ne le sais pas ŕ présent ; mais tu sauras plus tard. ť 8 Pierre
lui dit : Ť Tu ne me laveras pas les pieds, jamais ! ť Jésus lui
répondit : Ť Si je ne te lave pas, tu n'auras pas de part avec moi. ť 9
Simon-Pierre lui dit : Ť Seigneur, non seulement mes pieds, mais encore
les mains et la tęte. ť 10 Jésus lui dit : Ť Celui qui s'est baigné n'a
besoin que de se laver les pieds ; il est pur tout entier - Vous aussi,
vous ętes purs, mais non pas tous. ť n II savait en effet qui donc était celui
qui le livrerait. C'est pourquoi il dit : Ť Vous n'ętes pas tous purs. ť
12
Aprčs donc avoir lavé leurs pieds, il reprit ses vętements, et s'étant allongé
de nouveau, il leur dit : Ť Savez-vous ce que je vous ai fait ? 13
Vous, vous m'appelez "Maître et Seigneur", et vous dites bien : de
fait, je le suis. 14 Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le
Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. 15 En
effet c'est un exemple que je vous ai donné, pour que, comme moi je vous ai
fait, ainsi vous aussi vous fassiez. 16 Amen, amen, je vous le dis : le
serviteur n'est pas plus grand que son seigneur, ni l'envoyé plus grand que
celui qui l'a envoyé. 17 Sachant cela, heureux serez-vous, si vous le
faites ! 18 Ce n'est pas de vous tous que je parle ; moi, je connais
ceux que j'ai choisis. Mais c'est pour que l'Écriture s'accomplisse :
"Celui qui mange le pain avec moi, lčvera contre moi son talon. " 19
Dčs ŕ présent je vous le dis, avant que cela n'arrive : pour que quand cela
arrivera vous croyiez que moi je suis. 20 Amen, amen, je vous le dis : Qui
reçoit quelqu'un que j'aurai envoyé, c'est moi qu'il reçoit ; et qui me
reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé. ť
21
Ayant dit cela, Jésus fut troublé en son esprit et il attesta et dit :
Ť Amen, amen, je vous dis que l'un d'entre vous me livrera. ť 22 Les
disciples se regardaient donc les uns les autres, ne sachant pas de qui il
parlait. 23 Ŕ table, tout contre le sein de Jésus, était allongé un de ses
disciples, celui que Jésus aimait. 24 Simon-Pierre lui fait donc signe et lui
dit : Ť Qui est celui dont il parle ? ť 25 Celui-ci, se
renversant sur la poitrine de Jésus, lui dit : Ť Seigneur, qui
est-ce ? ť 26 Jésus répondit : Ť C'est celui ŕ qui moi
j'offrirai le pain trempé. ť Et ayant trempé le pain, il le donna ŕ Judas, fils
de Simon l'Iscariote.
27 Et
aprčs la bouchée, Satan entra en lui. Et Jésus lui dit : Ť Ce que tu fais,
fais-le trčs vite. ť 28 Or aucun de ceux qui étaient ŕ table ne sut pourquoi il
lui avait dit cela. 29 Parce que Judas avait la bourse, certains en effet
pensaient que Jésus lui avait dit : Ť Achčte ce dont nous avons besoin
pour le jour de la fęte ť, ou qu'il lui avait dit de donner quelque chose
aux pauvres. 30 Ayant donc pris la bouchée, il sortit aussitôt. Or c'était la
nuit.
31 Lors
donc qu'il fut sorti, Jésus dit : Ť Maintenant a été glorifié le Fils de
l'homme, et Dieu a été glorifié en lui. 32 Si Dieu a été glorifié en lui, Dieu
aussi le glorifiera en lui-męme et c'est bientôt qu'il le glorifiera. 33 Petits
enfants, pour peu de temps encore je suis avec vous. Vous me chercherez, et
comme j'ai dit aux Juifs : "Oů moi je vais, vous, vous ne pouvez
venir", ŕ vous aussi je le dis ŕ présent. 34 Je vous donne un commandement
nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres ; comme je vous ai
aimés, que vous aussi vous vous aimiez les uns les autres. 35 En cela tous
connaîtront que vous ętes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour
les autres. ť
36
Simon-Pierre lui dit : Ť Seigneur, oů vas-tu ? ť Jésus lui
répondit : Ť Oů moi je vais, tu ne peux pas me suivre ŕ présent ;
mais tu me suivras plus tard. ť 37 Pierre lui dit : Ť Pourquoi ne puis-je
te suivre ŕ présent ? Je livrerais mon âme pour toi. ť 38 Jésus lui
répondit : Ť Tu livreras ton âme pour moi ? Amen, amen, je te le dis
: le coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié trois fois. ť
1727. Plus haut, l'Évangéliste a exposé certaines occasions qui ont entraîné
le Christ vers la Passion et la mort ; dans cette partie, il montre
comment le Christ prépare ses disciples avant sa Passion. Il commence par
montrer [c'est le but du présent chapitre] comment il les forma par un exemple.
Ensuite, au chapitre 14, il montre comment il les réconforta par ses paroles
[n° 1848] ; enfin, au chapitre 17, comment il les fortifia par le soutien
de ses pričres [n° 2177].
Ici l'Évangéliste expose d'abord
l'exemple que le Christ a donné ŕ ses disciples. Puis il montrera la
défaillance des disciples qui n'étaient pas encore capables de le suivre [n°
1795].
II présente d'abord l'exemple, puis il en ajoute la finalité1 [n° 1751], enfin il entraîne ses disciples ŕ l'imiter [n° 1768].
Il montre d'abord l'amour2 du Christ donnant l'exemple. Puis il indique l'action par laquelle il
donna l'exemple [n° 1739].
1. Finalité
traduit ici le mot utilitas. Saint Thomas met en lumičre le fait que
Jésus, aprčs avoir donné cet exemple du lavement des pieds, l'explique ŕ ses
disciples en en donnant le pourquoi. Saint Thomas montre dans la Somme
théologique - voir I-II, q. 7, a. 2, ad 1 et q. 16, a. 3, c. - que le bien
utile est celui qui est ordonné ŕ la fin ; c'est pourquoi nous avons
préféré traduire militas par finalité.
2. Amour traduit ici le mot latin affectus. Affectus est un terme général que précédemment nous avons plusieurs fois traduit par Ť affection ť (voir vol. I, n" 1500, note 4). Il exprime la vulnérabilité affective qu'on éprouve ŕ l'égard de quelqu'un. Il renvoie au sujet, ŕ ce que le sujet porte en lui-męme. Saint Thomas emploie aussi souvent le terme appetitus, plus objectif, qui se traduit par Ť appétit ť, et qui montre la tendance vers l'autre. Aimer, c'est tendre vers le bien qui attire, qui suscite l'amour. Cependant il s'agit ici du Christ, qui aime ses disciples non pas ŕ cause de quelque chose qui existerait en eux et qui serait pour lui source d'amour, mais ŕ cause de lui-męme qui aime gratuitement tous les hommes.
AVANT
LE JOUR DE LA FĘTE DE LA PÂQUE, JÉSUS, SACHANT QU'EST VENUE SON HEURE DE PASSER
DE CE MONDE VERS LE PČRE, AYANT AIMÉ LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE, LES
AIMA JUSQU'Ŕ LA FIN. (13, 1)
Trois aspects sont abordés ici : la
fęte présente, ensuite la mort imminente du Christ [n° 1731], enfin la
dilection fervente1 du Christ [n° 1735].
La fęte présente.
AVANT
LE JOUR DE LA FĘTE DE LA PÂQUE
1728. La fęte présente était la Pâque2. Certains disent que ce nom Pâque
est grec et vient donc du verbe πασχείν (paschein),
comme si ŕ partir de lŕ cette fęte était appelée Pâque, parce qu'on
y célčbre la Passion du Seigneur. Et cela concorde avec le grec car
πασχείν en grec est la męme chose que pati
en latin (souffrir). Mais l'origine premičre de ce mot3 se prend de l'hébreu : pâque en effet signifie phase qui
en hébreu signifie passage ; et ici il s'agit du passage du
Seigneur4.
Ici, l'Évangéliste traduit ainsi en
fonction d'un double passage du Seigneur. Le premier, celui de l'ange frappant
les premiers-nés d'Égypte et sauvant les premiers-nés des Hébreux ; et
l'autre qui suit, celui des fils d'Israël traversant la mer Rouge. C'est
pourquoi on a bien fait d'appeler cette fęte Pâque. Et nous pouvons dire
ainsi que notre Pâque a la signification de l'une et de l'autre langue, ŕ
savoir de l'hébreu et du grec, parce que dans la Passion męme du Seigneur se
réalisa le passage du Christ de ce monde vers le Pčre -
Il a passé en faisant le bien et en guérissant5. De męme
notre passage ŕ tous se fait en suivant le Christ soit par la pénitence et le
martyre selon le psaume - Nous passions par le feu et par leau6 -, soit par le désir de l'esprit en aspirant aux choses célestes,
selon l'Ecclésiastique : Passez ŕ moi, vous tous qui me désirez''.
1. Dilection
fervente est ici la traduction de dilectio fervens. Sur le sens du mot dilectio,
voir vol. I, n° 1475, note 4.
2. Voir
vol. I, nos 375,
376, 377, 846 et 1586.
3. Cf. SAINT JÉRÔME, Liber interpretationis
hebraicorum nominum (Lag. 64, 22 ; 70, 20), CCL, vol. LXXII, p.
140-148 ; et Commentaire sur Saint Matthieu, IV, 26, SC 259, p. 235.
Ou plus immédiatement pour saint Thomas, qui le suit ici de prčs, voir saint Augustin, Tract, in Io., LV,
1, BA 74A, p. 57-59.
4. Voir
Ex 12.
1729. Or dire : LE JOUR DE LA FĘTE, c'est s'exprimer par antonomase8. Car, comme il est dit dans le livre de l'Exode9, il y avait dans l'année trois jours solennels oů les Juifs devaient
se rassembler dans le lieu que le Seigneur avait choisi : la Phase oů
était immolée la Pâque, la Pentecôte, et la fęte des Tentes, la Scénopégie.
Mais entre tous, le jour de la Pâque était le plus célébré.
5. Ac 10,
38.
6. Ps 65,
12.
7. Si 24,
26.
8. Dans
la Somme théologique, saint Thomas explique la signification du mot
Ť antonomase ť : Ť C'est une coutume dans le langage humain de
restreindre certains noms communs ŕ la désignation de ce qui est principal
parmi toutes les réalités qu'ils recouvrent ; ainsi, par antonomase, le
mot "Ville" est pris pour Rome ť (II-II, q. 141, a. 2, c). Et
aussi : Ť Une chose commune ŕ plusieurs s'attribue par antonomase ŕ celui
chez lequel elle convient par excellence. Ainsi le nom de force se trouve
réservé ŕ la vertu qui affermit l'âme devant les choses les plus difficiles, et
celui de tempérance ŕ la vertu qui modčre les plus grandes délectations ť
(II-II, q. 186, a. 1, c). Ici saint Thomas semble lire le texte de l'évangile :
Ť le jour de la fęte ť, et non Ť le jour de la fęte de la
Pâque ť. Sur le sens du mot Ť antonomase ť, voir aussi vol. I,
n° 1098, note 1.
9. Ex 23,
14-17 Trois fois chaque année vous célébrerez des fętes en mon honneur. Tu
garderas la solennité des azymes. Durant sept jours tu mangeras des azymes,
comme je t'ai ordonné, au temps du mois des nouveaux fruits, quand tu es sorti
de l'Égypte : tu ne paraîtras pas en ma présence les mains vides. Tu garderas
de plus la solennité de la moisson des prémices de ton travail, quoi que ce
soit que tu aies semé dans ton champ : et aussi la solennité ŕ la fin de
l'année, quand tu auras recueilli tous les fruits de ton champ. Trois fois dans
l'année paraîtront tous tes mâles en présence de moi, le Seigneur ton Dieu. Il
faut noter qu'au mois d'Abib, au printemps, la fęte de la Pâque, fęte Israélite
pour commémorer la sortie d'Égypte et la libération du joug du Pharaon, et la
fęte agraire des Azymes fusionnent. Pendant sept jours le peuple d'Israël ne
mange pas de pain levé - voir aussi Ex 12, 15-20 ; Lv 23, 5-14 ; Dt
16, 1-8. La fęte de la Moisson est aussi appelée fęte des Semaines. Célébrée
sept semaines aprčs la Pâque, le cinquantičme jour, elle clôt le temps de la moisson, comme l'ouvrait l'offrande
de la premičre gerbe. Voir aussi Lv 23, 15-22 ; Dt 16, 9-12. La fęte de la
récolte se dit aussi fęte des Huttes ou des Tentes, ou des Tabernacles. Voir Lv
23, 33-43 et Dt 16, 13-15. Voir aussi vol. I, n° 846, note 6. Elle commémore en
effet le temps oů les Israélites campaient dans le désert et habitaient donc sous des huttes, et recevaient
ainsi l'éducation forte mais aussi miséricordieuse de Yahvé, Dieu d'Israë1.
Ici un doute se présente ŕ propos de
: AVANT LE JOUR DE LA FĘTE DE LA PÂQUE. Car le jour de la Pâque était le jour
oů était immolé l'agneau, et c'était la quatorzičme lune. Donc, puisque
l'Évangéliste dit que cela se passa avant le jour de la fęte de la Pâque, il
semble que cela eut lieu ŕ la treizičme lune, qui précédait la quatorzičme
lune. Et les Grecs, en suivant cela, disent que le Seigneur a souffert ŕ la
quatorzičme lune, quand les Juifs devaient célébrer la Pâque. C'est pourquoi le
Seigneur, sachant que sa Passion était imminente, devança la célébration de la
Pâque en célébrant sa Pâque le jour précédent, avant la fęte de la Pâque des
Juifs. Mais parce que dans le livre de l'Exode J il est prescrit que, du soir du
quatorzičme jour au vingt et uničme jour du mois, on ne trouve pas de pain levé
chez les Hébreux, ils disent en outre que le Seigneur a tout réalisé non
pendant le temps des azymes, mais pendant le temps du pain levé. Car avant le
jour de la fęte de la Pâque, c'est-ŕ-dire la treizičme lune, on trouvait du
pain levé chez les Hébreux.
Mais les trois autres Évangélistes2 vont ŕ l'encontre de cette opinion. Eux disent que cela eut lieu le
premier jour des azymes au moment oů devait ętre immolée la Pâque. Il s'ensuit
que la Cčne du Seigneur fut accomplie le jour oů était immolée la Pâque des
Juifs.
1. Cf. Ex
12, 18-20.
2. Cf. Mt
26, 17 ; Me 14, 12 ; Lc 22, 7.
1730. Ŕ cela les Grecs répondent en disant que les autres Évangélistes n'ont
pas raconté ce fait d'une maničre vraie, et qu'ŕ cause de cela Jean, qui fut le
dernier ŕ écrire son Évangile, les a corrigés. Mais il est hérétique de dire
qu'il puisse se trouver quelque chose de faux, non seulement dans les
évangiles, mais encore dans n'importe quel écrit canonique, et c'est pourquoi
il est nécessaire de dire que tous les Évangélistes disent la męme chose, et ne
sont en désaccord sur aucun point. Pour avoir l'évidence de cela, il faut
savoir que, comme le rapporte le livre de l'Exode3, les solennités des Juifs
commençaient le soir du jour précédent. La raison en est qu'ils comptaient les
jours selon la lune, qui apparaît dčs le soir ; c'est pourquoi aussi ils
considéraient qu'un jour allait d'un soir ŕ un autre soir. Ainsi, chez eux, la
solennité de la Pâque commençait le soir du jour précédent et était terminée au
soir du jour de la Pâque ; c'est aussi de cette maničre que les fętes sont
célébrées chez nous.
Ainsi, ce qui se passe chez nous la
veille de la Nativité du Seigneur, on peut dire que cela s'est passé en la fęte
de la Nativité. Et assurément, en gardant cette maničre de faire, les autres
Évangélistes ont dit que la Cčne eut lieu le premier jour des azymes, parce
qu'elle eut lieu le jour précédent, au soir, qui déjŕ appartenait au premier
jour des azymes. Or ici l'Évangéliste Jean comprend le jour de la fęte de la
Pâque comme celui qui était tout entier célébré, et non pas celui dont le soir
seulement était célébré, qui était le jour précédant la Pâque ; c'est
pourquoi il dit AVANT LE JOUR DE LA FĘTE DE LA PÂQUE. Il est donc évident que
la Cčne du Seigneur eut lieu la quatorzičme lune au soir.
3. Cf. Ex
12, 6 et 18.
La mort imminente du Christ.
JÉSUS, SACHANT QU'EST VENUE SON HEURE DE PASSER DE CE
MONDE VERS LE PČRE
1731. La mort imminente du Christ était son passage hors de ce monde par le
moyen de la Passion ; et quant ŕ cela l'Évangéliste dit : JÉSUS, SACHANT
QU'EST VENUE SON HEURE, car cette solennité des Juifs était la figure de la
Passion du Christ - Tout en effet leur arrivait en figure, comme le dit
la premičre épître aux Corinthiens 1 -, et c'est pourquoi il expose
aussitôt la vérité, c'est-ŕ-dire la Passion du Christ. Et comme pour montrer
que pâque vient de phase, c'est-ŕ-dire de passage, il fait
mention du passage - DE PASSER, dit-il, DE CE MONDE VERS LE PČRE.
1732. L'Évangéliste expose lŕ trois aspects de la Passion du Christ. D'abord,
elle fut prévue ; ensuite, elle convenait [n° 1733] ; enfin, elle fut
cause pour nous de croissance et d'élévation [n° 1734].
Certes elle fut prévue, elle n'arriva
pas par hasard ; et quant ŕ cela il dit : JÉSUS, SACHANT, comme pour dire
: ce n'est ni malgré lui, ni par ignorance, mais en SACHANT et volontairement,
qu'il a souffert - Jésus, sachant tout ce qui allait lui arriver2... Et ŕ l'inverse il est dit de nous : L'affliction
de l'homme est grande parce qu'il ne sait pas ce qui sera, et il ne peut savoir
d'aucune maničre ce qui va arriver3.
1733. Elle convint4 quant au temps, et c'est pourquoi il
dit QU'EST VENUE SON HEURE, c'est-ŕ-dire le jour męme de la Pâque, oů il s'en
irait par la Croix - Pour toute affaire il y a un temps et un moment
favorable5. C'est cette heure dont il est dit plus haut :
Mon heure n'est pas encore venue6. Mais il ne faut pas comprendre cette heure comme fatale, comme soumise
ŕ la course et ŕ la position des étoiles, mais comme déterminée par la
disposition de la Providence divine. C'est pourquoi, dis-je, elle était
déterminée ŕ se réaliser dans la Pâque des Juifs, parce qu'il convenait ŕ la
solennité des Juifs que la vérité suivît la figure, c'est-ŕ-dire qu'au moment
oů l'agneau, qui figurait le Christ, était immolé, le Christ fut immolé, lui
qui est le véritable agneau de Dieu7 - Ce n'est pas par des choses corruptibles, or ou
argent, que vous avez été rachetés (...) mais par le sang précieux de l'agneau
immaculé8.
Elle convenait aussi ŕ ce qui était ŕ
accomplir. Déjŕ en effet le Christ avait été glorifié - Maintenant le Fils
de l'homme a été glorifié9. Désormais il avait manifesté le Pčre
au monde - Pčre, j'ai manifesté ton nom aux hommes10. Il restait donc que fűt consommée l'uvre de
la Passion et de la Rédemption humaine dont il est dit : Tout est achevé et
inclinant la tęte, il remit l'esprit11.
1734. La Passion du Christ fut pour nous cause de croissance et d'élévation
et non pas de destruction : SACHANT QU'EST VENUE SON HEURE DE PASSER DE CE
MONDE VERS LE PČRE, c'est-ŕ-dire en rendant la nature humaine participante de
la gloire du Pčre 12 - Je monte vers mon Pčre et votre
Pčre13. Mais il ne faut pas comprendre qu'il passe
d'un lieu ŕ un autre,
puisque Dieu le Pčre n'est pas contenu dans un lieu - Moi je remplis le ciel
et la terre1. Mais, de męme qu'on dit que le Christ
est venu du Pčre sans le quitter mais en assumant une nature inférieure
semblable ŕ nous, de męme aussi on dit qu'il est retourné vers lui dans la
mesure oů, jusque dans son humanité, il partage désormais la gloire du Pčre - Et
s'il vit, il vit pour Dieu2.
- Que toute langue confesse que Jésus Christ est Seigneur ŕ la gloire de Dieu
le Pčre 3.
1. 1 Co
10, 11.
2. Jn 18,
4.
3. Qo 8,
6-7.
4. Sur
les convenances de la Passion du Christ, voir Somme théol., III, q. 46,
a. 3. Voir aussi ci-dessus, n° 1640, note 6.
5. Qo 8,
6.
6. Jn 2,
4.
7. Cf. Jn
1, 29.
8. 1 Ρ
1, 18-19.
9. Jn 13,
31.
10. Jn
17, 6.
11. Jn
19, 30.
12. Voir
ci-dessous, nos 1829 et
1830.
13. Jn
20, 17.
La dilection fervente du Christ.
AYANT
AIMÉ LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE, LES AIMA JUSQU'Ŕ LA FIN.
1735. L'Évangéliste poursuit en mettant en lumičre la dilection fervente du
Christ, et cela sous quatre aspects. Tout d'abord en ce qu'elle fut prévenante
- Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui-męme qui nous a
aimés le premierˇ4.
Et quant ŕ cela il dit AYANT AIMÉ LES SIENS, comme pour signifier un
Ť avant ť. Il les a aimés avant de les créer - Tu aimes tout ce
qui est, et tu ne hais rien de ce que tu as fait5. Il les a aimés avant de les appeler - D'un
amour éternel je t'ai aimé6. Il les a aimés avant de les racheter. C'est pourquoi il est dit plus
bas : Personne n'a de plus grand amour que celui qui livre son âme pour ses
amis1.
1736. En second lieu, il met en lumičre la dilection du Christ en montrant
qu'elle convenait parce qu'il a AIMÉ LES SIENS. Lŕ, il faut savoir que les
hommes sont ŕ lui de diverses maničres, et que selon cela ils sont aimés par
Dieu de diverses maničres. Ils sont ŕ lui de trois maničres. D'abord par la
création. Et ceux-lŕ il les aime en conservant pour eux les biens de la nature
- Il est venu chez lui, et les siens, par la création, ne
l'ont pas reçu8. D'autres sont ŕ lui parce qu'il les
consacre : il s'agit de ceux qui lui ont été donnés par Dieu le Pčre par la
foi, ceux que lui-męme racheta - Ils étaient ŕ toi, et tu me les as donnés,
et ils ont gardé ta parole9. Et ceux-lŕ il les aime en les
conservant dans les biens de la grâce. Mais d'autres encore sont ŕ lui par un
amour 10 spécial - Nous sommes ŕ toi, ô
David11. Ceux-lŕ, il les aime spécialement en les
consolant12.
1. Jr 23,24.
2. Rm 6, 10. Saint Thomas commente : Ť Et
s'il vit, il vit pour Dieu, cest-ŕ-dire
pour la conformité ŕ Dieu. Il est dit en effet : S'il a été crucifié, cest ŕ cause de
sa faiblesse, s'il vit, cest par la puissance de Dieu (2 Co 13, 4). Or l'effet est conforme ŕ sa cause ;
c'est aussi pourquoi la vie que le
Christ a acquise en ressuscitant est déiforme. Et donc comme la vie de Dieu est éternelle et sans corruption - Le seul
qui Possčde l'immortalité (1
Tm 6, 16) - ainsi aussi la vie du Christ est Ťimmortelle ť {Ad Rom. lect., VI, n° 490).
3. Ph 2, 11.
4. 1 Jn 4, 10.
5. Sg 11,25.
6. Jr 31, 3.
7. Jn 15, 13.
1737. Ensuite, il met en lumičre la dilection du Christ en montrant qu'elle
fut nécessaire, parce qu'il a AIMÉ LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE. Il y en
a parmi les siens qui étaient déjŕ dans la gloire du Pčre, parce que męme les
pčres de l'ancien Testament étaient ŕ lui, en tant que tous ont espéré ętre
libérés par lui - Tous les saints sont dans sa main 13. Mais ceux-ci n'ont pas besoin d'un tel amour autant que ceux qui
étaient dans le monde, et c'est pourquoi il dit : LES SIENS QUI ÉTAIENT DANS LE MONDE, c'est-ŕ-dire par le corps, non par l'esprit \
8. Jn 1, 11.
9. Jn 17,
6.
10. Amour
traduit ici le terme devotio. Il s'agit de l'amour spécial que certains
hommes ont pour Dieu, et non de l'amour que Dieu a pour les hommes, évoqué
juste aprčs par le terme latin diligo. Voir vol. I, n° 843, note 5.
11. 1 Ch
11, 1.
12. Ceci
se rattache peut-ętre au don du Ť Consolateur ť, c'est-ŕ-dire de
l'Esprit Saint comme Ť Paraclet ť. Ŕ ce sujet, voir ci-dessous nos 1911-1912,
2058-2067, 2069, 2086-2115, 2182 et 2269.
13. Dt
33, 3.
1738. Enfin, il met en lumičre la dilection du Christ en montrant qu'elle fut
parfaite, c'est pourquoi il dit : [JÉSUS] LES AIMA JUSQU'Ŕ LA FIN. Or la fin
peut s'entendre de deux maničres : la fin de l'intention et la fin de
l'exécution.
La fin de l'intention est ce ŕ quoi
notre intention est ordonnée ; et une telle fin doit ętre la vie
éternelle, selon l'épître aux Romains : Vous avez pour fruit la
sanctification, et pour fin la vie éternelle2. Mais le Christ aussi doit ętre une telle fin - La fin de la Loi,
c'est le Christ3. Et ces deux réalités sont une seule
fin, parce que la vie éternelle n'est rien d'autre que de jouir du Christ selon
sa divinité - La vie éternelle est qu'ils te connaissent, toi le seul vrai
Dieu4. C'est en ce sens qu'il est dit : IL LES AIMA
JUSQU'Ŕ LA FIN, c'est-ŕ-dire de telle sorte qu'il les conduise lui-męme ŕ la
fin, ou ŕ la vie éternelle qui n'est rien d'autre - D'un amour éternel je
t'ai aimé5.
Quant ŕ la fin de l'exécution, c'est
le terme de la réalité ; et ainsi la mort peut ętre dite fin, de sorte
qu'il est dit : [JÉSUS] LES AIMA JUSQU'Ŕ LA FIN, c'est-ŕ-dire jusqu'ŕ la mort,
ce qui peut avoir trois significations. En un premier sens, selon Augustin,
cela revient ŕ dire d'une maničre humaine que le Christ aima les siens jusqu'ŕ
la mort seulement, et non au-delŕ. Mais ce sens est faux : en effet, il ne
saurait convenir que celui qui n'est pas limité par la mort ait limité l'amour
par la mort6.
En un autre sens, on peut comprendre
que Ť jusqu'ŕ ť (in) indique la cause. Et le sens est celui-ci
: [JÉSUS] LES AIMA JUSQU'Ŕ LA FIN, c'est-ŕ-dire jusqu'ŕ la mort, comme si
l'Évangéliste disait que son amour pour eux l'a conduit jusqu'ŕ la mort - Il nous
a aimés, et s'est livré lui-męme pour nous7.
En un troisičme sens, on peut comprendre que JUSQU'Ŕ LA FIN signifie : alors qu'il leur avait donné auparavant de nombreux signes d'amour, ŕ la fin, ŕ savoir au moment de la mort, il leur donna les plus grands signes d'amour - Je ne vous ai pas dit cela depuis le commencement8. Comme s'il disait : il ne fut nécessaire de vous montrer combien je vous aimais qu'au moment de mon départ, de telle sorte qu'ainsi l'amour et la mémoire de moi fussent imprimés plus profondément dans vos curs.
1739. L'Évangéliste poursuit en indiquant l'action par laquelle il donnait
l'exemple.
ET AU
COURS D'UN REPAS, ALORS QUE DÉJŔ LE DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CUR DE JUDAS
ISCARIOTE, [FILS] DE SIMON, [LE DESSEIN] DE LE LIVRER, SACHANT QUE LE PČRE LUI
A TOUT DONNÉ DANS LES MAINS, ET QU'IL EST SORTI DE DIEU ET QU'IL VA VERS DIEU,
IL SE LČVE DU REPAS, ET DÉPOSE SES VĘTEMENTS, ET AYANT PRIS UN LINGE, IL SE
CEIGNIT. ENSUITE, IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN ET COMMENÇA Ŕ LAVER LES
PIEDS DES DISCIPLES ET Ŕ LES ESSUYER AVEC LE LINGE DONT IL ÉTAIT CEINT. (13, 2-5)
1. Cf. SAINT Jean
Chrysostome, In Ioannem hom., LXX, 1, PG 59, col. 382.
2. Rm 6,
22.
3. Rm 10,
4. 4. Jn 17, 3. 5. Jr 31, 3.
D'abord il décrit l'heure de
l'action. Ensuite, il ajoute la dignité de celui qui la réalise [n° 1743],
enfin il poursuit en montrant l'humilité de cette action [n° 1744].
6. Tract, in Io., LV, 2, BA 74A, p. 63.
7. Ep 5,
2.
8. Jn 16,
5.
L'heure de Faction.
ET AU COURS D'UN REPAS, ALORS QUE DÉJŔ LE DIABLE AVAIT
JETÉ DANS LE CUR DE JUDAS ISCARIOTE, [FILS] DE SIMON, [LE DESSEIN] DE LE
LIVRER
Au sujet du moment, il souligne deux
aspects. L'un qui se rapporte ŕ la charité du Christ, et l'autre qui insiste
sur l'iniquité de Judas [n° 1741].
ET AU COURS D'UN REPAS
1740. Il dit donc : AU COURS D'UN REPAS, littéralement : le repas ayant été
fait. Or, qu'une chose ait été faite, cela se dit autrement pour les choses qui
demeurent et pour celles qui passent. Pour les choses qui demeurent, on dit
qu'une chose a été faite quand elle est parvenue ŕ la perfection de sa forme et
de son espčce propres, comme on dit qu'une maison a été faite quand elle a sa
forme propre. Mais pour les choses qui passent, on dit qu'une chose a été faite
quand elle est accomplie ; par exemple, on dit que le jeu a été fait quand
il est achevé \ Et on dit aussi qu'une chose a été faite en raison de ce
qu'elle reçoit son espčce propre.
Donc, quand il dit : ET AU COURS D'UN
REPAS, il ne faut pas comprendre que le repas ait été accompli et achevé ;
parce que, aprčs avoir lavé les pieds des disciples, il se remit ŕ table et
donna la bouchée ŕ Judas. Il faut donc comprendre qu'AU COURS D'UN REPAS signifie
: le repas ayant été préparé et amené ŕ sa forme propre. En effet ils avaient
déjŕ commencé ŕ prendre le repas, et c'est plus tard qu'il se leva. C'est donc
au milieu du repas [il s'agit du repas du soir] qu'il lava les pieds des
disciples2.
1. Saint Thomas a repris la recherche
d'Aristote sur la causalité. Aristote parle
de la recherche des causes en de nombreux passages de ses écrits. Voir notamment la Physique,
livre II, ch. 3, et la Métaphysique, A, ch. 3. Ici saint Thomas
regarde la perfection de la forme, qui est celle de l'uvre d'art, comme pour la maison, et celle de lefficience,
qui est celle d'une activité
transitive, comme pour le jeu. La forme est immanente, sa perfection est plus intérieure, plus qualitative. L'efficience implique un mouvement, une
succession et un terme. Ainsi cest la recherche
de la forme qui explique une réalité qui demeure, et recherche de l'efficience donnera l'intelligibilité d'une réalité
qui passe. Cependant, męme pour
une activité qui passe, l'accomplissement
a lieu quand elle atteint sa forme propre, avant de s'achever, comme pour un repas.
Au sujet du repas [pris le soir], Luc
rapporte dans le chapitre 14 Un homme fit un grand repas3. Or le déjeuner diffčre du dîner. Car on
appelle Ť déjeuner ť (prandium) le repas qui a lieu dans la
premičre partie du jour, et Ť dîner ť (coena) celui qui a lieu
dans la derničre. Ainsi, se refaire spirituellement est appelé
Ť déjeuner ť en tant que cela convient aux commençants ; et
Ť dîner ť (cčne) en tant que cela convient aux parfaits4.
ALORS QUE DÉJŔ LE DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CUR DE JUDAS
ISCARIOTE, [FILS] DE SIMON, [LE DESSEIN] DE LE LIVRER
1741. L'Évangéliste poursuit en décrivant le moment ŕ partir d'un fait qui
insiste sur l'iniquité du traître, et qu'il décrit pour deux raisons. D'abord
pour montrer davantage l'iniquité de Judas qui, entouré de tant de marques de
charité et de tant de gestes d'humilité, projetait de commettre une si grande
iniquité - Celui qui
mangeait mon pain a levé insolemment le talon contre moi5. En second lieu pour que fűt rendue plus
admirable la charité du Christ qui, tout en sachant cela, fit cependant ŕ son
égard un geste de charité et d'humilité en lui lavant les pieds - Avec ceux qui haďrent la paix, j'étais
pacifique !.
2. Cf. saint Augustin,
Tract, in Io., LV, 3, BA 74A, p. 65.
3. Le 14,
16. Luc dans cette citation : Un homme fit un grand repas et Jean ŕ
propos de la Cčne utilisent coena.
4. Cf. OrigČne, Commentaire sur saint Jean,
XXXII, II, § 5-6, SC 385, p. 189.
5. Ps 40,
10. Saint Thomas commente : Ť Celui qui mangeait mon pain, parce
que le Christ l'a désigné par le signe du pain - C'est celui ŕ qui je
présenterai du pain trempé (Jn 13, 26). Et, bien que Judas ait mangé le
pain du Christ, cependant il est allé contre lui - Il rassasiera et désaltérera
les ingrats (Si 29, 32 [propre ŕ la Vulg. ]). Mon pain peut
signifier aussi "mon enseignement" - Aser, son pain est
nourrissant et fera les délices des rois (Gn 49, 20). Un tel pain est le
pain du Christ, et il est nourrissant en raison de la douceur de son
enseignement - Que tes paroles sont douces ŕ mon palais (Ps 118,
103) ť (Exp. in Psalmos, 40, n° 6).
1742. Mais le diable peut-il jeter quelque chose dans le cur de
l'homme ? Il semble que oui. Un psaume, en effet, parle de l'indignation
et de la colčre envoyées par des anges mauvais2.
En réponse ŕ cela, il faut savoir que
ce qui est dans le cur de l'homme, c'est ce qui est dans sa pensée et dans sa
volonté. Aussi quand il dit : ALORS QUE DÉJŔ LE DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CUR...,
il faut comprendre dans sa volonté. Mais jeter ainsi dans le cur peut se
réaliser de deux maničres.
Directement, et ainsi seul celui qui
a la puissance de mouvoir intérieurement la volonté de l'homme peut jeter
quelque chose dans son cur ; et cela, Dieu seul le peut. Et c'est
pourquoi lui seul peut imprimer directement quelque chose dans la volonté de
l'homme - Le cur du roi est dans la main, c'est-ŕ-dire dans la
puissance, du
Seigneur ; partout oů il le veut, il l'inclinera 3.
Indirectement : quand la volonté est
mue par un objet extérieur comme un bien appréhendé. Ainsi celui qui suggčre
que quelque chose est un bien jette cela dans le cur de l'homme, en lui
faisant indirectement appréhender ce quelque chose comme un bien par lequel
[sa] volonté est mue. Or cela arrive de deux maničres : soit en suggérant
extérieurement, et de cette façon męme l'homme peut jeter quelque chose dans le
cur ; soit en suggérant intérieurement, et c'est de cette maničre que le
diable jette quelque chose dans le cur. Car, puisqu'elle est corporelle, la
puissance Imaginative, quand Dieu le permet, est soumise ŕ la puissance du
démon4. C'est pourquoi, que l'homme soit
éveillé ou endormi, le démon forme en lui certaines formes qui, lorsqu'elles
ont été appréhendées, meuvent la volonté de l'homme ŕ désirer quelque chose.
Ainsi le diable jette quelque chose dans le cur de l'homme, non pas
directement ŕ la maničre de celui qui meut, mais indirectement, ŕ la maničre de
celui qui suggčre.
La dignité de celui qui réalise cette action.
SACHANT
QUE LE PČRE LUI A TOUT DONNÉ DANS LES MAINS, ET QU'IL EST SORTI DE DIEU ET
QU'IL VA VERS DIEU (13, 3)
1743. L'Évangéliste poursuit en traitant de la dignité de celui qui réalise
l'action. Dans l'Ecclésiastique, il est dit : Humilie-toi en toutes choses d'autant plus que tu
es grand5. C'est pourquoi l'Évangéliste, devant dire la
trčs grande humilité du Christ, met en avant sa trčs grande dignité ; et cela de quatre maničres.
1. Ps
119, 7.
2. Ps 77,
49.
3. Pr 21,
1.
4. Voir
vol. I, n° 1577.
5. Si 3,
20.
D'abord quant ŕ la science. Et quant
ŕ cela il dit : SACHANT QUE LE PČRE LUI A TOUT DONNÉ. En effet, les dons
spirituels sont tels que, lorsqu'ils sont donnés, on ne peut les ignorer - Nous,
nous avons reçu l'Esprit qui n'est pas de ce monde, mais l'Esprit qui est de
Dieu, afin de connaître les dons qui nous ont été faits par Dieu6. Et c'est pourquoi le Christ connaissait tout ce qui
lui avait été donné par Dieu. L'Évangéliste dit cela précisément pour que son
humilité soit davantage mise en lumičre. En effet, parfois il arrive que
quelqu'un soit d'une grande dignité et cependant, ŕ cause de sa simplicité, ne
reconnaisse pas sa dignité. Si donc un tel homme faisait quelque chose
d'humble, il ne s'attribuerait pas ŕ lui-męme une grande humilité, selon cette parole du Cantique : Si tu
t'ignores, ô la plus belle d'entre les femmes1. Mais si quelqu'un connaît
l'état de sa dignité et que cependant sa volonté aimante est inclinée vers des
choses humbles, son humilité doit ętre reconnue. Et c'est pourquoi
l'Évangéliste dit que SACHANT QUE LE PČRE LUI A TOUT DONNÉ, il n'a cependant
pas omis de faire des choses qui sont humbles.
6. 1 Co
2, 12.
En second lieu quant au pouvoir :
SACHANT QUE LE PČRE LUI A TOUT DONNÉ DANS LES MAINS, c'est-ŕ-dire en son
pouvoir. Dieu a donné au Christ homme, dans le temps, ce qui avait cependant
été au pouvoir du Fils de toute éternité - Tout pouvoir m'a été donné au
ciel et sur la terre2. Et s'il dit que LE PČRE LUI A TOUT
DONNÉ DANS LES MAINS, c'est d'abord pour montrer que le Christ ne souffrait pas
contre son gré. Car si tout était dans sa main, c'est-ŕ-dire en son pouvoir, il
est donc manifeste que ses adversaires ne pouvaient rien lui faire contre sa
volonté. C'est ensuite parce que quand quelqu'un de peu d'importance est
exalté, il s'enorgueillit facilement et ne fait pas quelque chose d'humble, de
peur de paraître déroger ŕ sa dignité. Mais si quelqu'un de condition élevée
est exalté, il ne néglige pas les choses humbles. Et c'est pourquoi il fait
mention de la dignité du Christ.
En troisičme lieu quant ŕ sa
noblesse, et quant ŕ cela il dit : ET QU'IL EST SORTI DE DIEU ET QU'IL VA VERS
DIEU - Jouissant de l'intimité de Dieu3.
Enfin quant ŕ la sainteté, parce
qu'IL VA VERS DIEU. En ceci consiste la sainteté de l'homme : qu'il aille vers
Dieu. Et c'est pourquoi l'Évangéliste dit qu'IL VA VERS DIEU, parce que, du
fait que lui-męme va vers Dieu, il lui revient en propre de ramener les autres
vers Dieu, ce qui se réalise spécialement par l'humilité et la charité. Et c'est
pourquoi il leur donna un exemple d'humilité et de charité.
L'humilité de cette action.
IL SE
LČVE DU REPAS, ET DÉPOSE SES VĘTEMENTS, ET AYANT PRIS UN LINGE, IL SE CEIGNIT.
ENSUITE, IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN ET COMMENÇA Ŕ LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES
ET Ŕ LES ESSUYER AVEC LE LINGE DONT IL ÉTAIT CEINT. (13, 4-5)
1744. Aprčs avoir mis en lumičre la majesté du Christ, l'Évangéliste fait ici
valoir son humilité, humilité qu'il manifeste dans le lavement des pieds.
D'abord, il met en avant la préparation du Christ au geste d'humilité, ensuite
il décrit ce geste lui-męme [n° 1747].
1. Ct 1,7.
2. Mt 28, 18. Saint Thomas commente :
Ť Ce don, selon Hilaire, peut se comprendre
quant ŕ sa divinité, parce que de toute éternité le Pčre a communiqué sa propre essence au Fils ; et parce que
son essence est sa puissance,
aussi lui a-t-il donné de toute éternité sa puissance. On peut aussi le rapporter au Fils selon son humanité. Mais il faut comprendre que l'humanité
du Christ reçoit quelque chose par
la grâce de l'union, ŕ savoir toutes choses qui sont propres ŕ Dieu ; et il reçoit quelque
chose qui découle de cette union, qui est comme l'effet de l'union, telle la plénitude de grâce - Nous
l'avons *** comme Fils unique du Pčre, plein de grâce et de
vérité (Jn 1, 14). Donc, toutes les choses qui sont dans le Christ
selon la grâce de l'union, il ne faut pas dire qu'elles soient doubles mais
seulement celles qui en découlent. C'est pourquoi je dis que la puissance lui a
été donnée, non comme si une autre puissance lui avait été donnée, mais parce
qu'elle lui a été donnée en tant qu'elle est unie au Verbe comme au Fils de
Dieu par nature, et au Christ par la grâce de l'union ť (Sup. Matth. lect.,
XXVIII, n° 2460). Sur les différentes grâces reçues par le Christ et son
pouvoir de juger, voir aussi vol. I, nos 544 et 789. Sur l'union des deux natures
dans le Christ par la grâce et sur les rapports de la grâce de l'union
hypostatique et de la grâce habituelle dans le Christ, voir Somme théol., III, respectivement q. 2, a. 10 et q. 6,
a. 6, c. 3. Sg 8, 3.
I
IL SE LČVE DU REPAS, ET DÉPOSE SES VĘTEMENTS, ET AYANT
PRIS UN LINGE, IL SE CEIGNIT.
1745. Au sujet de ce premier fait il faut savoir que le Christ, dans ce geste
d'humilité, se montre serviteur, selon cette parole de Matthieu : Le Fils de l'homme
n'est pas venu pour ętre servi mais pour servir1.
Or, pour ętre un bon serviteur, trois
choses sont requises. D'abord, qu'il soit attentif ŕ voir tout ce qui peut
manquer au service, et il en serait empęché au plus haut point s'il s'asseyait
ou s'allongeait ; c'est pourquoi il est propre aux serviteurs de se tenir
debout. L'Évangéliste dit donc : IL SE LČVE DU REPAS - Qui est le plus grand, celui qui est ŕ table ou
celui qui sert ?2
En second lieu, le serviteur doit
ętre disponible pour accomplir jusqu'au bout, comme il convient, les choses qui
sont nécessaires au service ; et lŕ, un grand nombre de vętements
l'embarrasse beaucoup. C'est pourquoi le Seigneur DÉPOSE SES VĘTEMENTS. Et cela
est signifié dans la Genčse oů il est dit qu'Abraham choisit des serviteurs
disponibles3.
1. Mt 20,
28. Saint Thomas commente : Ť Le Fils de l'homme n'est pas venu pour
ętre servi mais pour servir, c'est-ŕ-dire : si quelqu'un désire avoir une
responsabilité dans l'Église, qu'il sache que ce n'est pas avoir un pouvoir,
mais une servitude. C'est en effet le propre du serviteur [de l'esclave] de se
dépenser tout entier pour le service de son maître ; ainsi les prélats de
l'Église doivent ŕ ceux qui leur sont soumis tout ce qu'ils ont, tout ce qu'ils
sont - Oui, libre ŕ l'égard de tous, je me suis fait l'esclave de tous (1
Co 9, 19). - Nous sommes vos serviteurs par le Christ Jésus (2 Co 4, 5).
(...) Et il est venu pour servir, c'est-ŕ-dire pour donner aux autres
l'abondance de la gloire. (...) Mais tu diras : Est-il esclave, puisqu'il est
prince (princeps) ? Oui. En effet on appelle esclave celui qui est
reçu contre argent : et lui-męme a payé ce prix, et s'est donné en rançon
pour la multitude (1 Tm 2, 6) ť (Sup. Matth. lect., XX, nos 1669-1670).
2. Lc 22,
27.
En troisičme lieu, il doit ętre
prompt ŕ servir, de sorte qu'il ait toutes les choses nécessaires pour son
service. Il est dit de Marthe
quelle était absorbée par les multiples soins du service*. Et de lŕ vient que le Seigneur, AYANT PRIS UN
LINGE, SE CEIGNIT, de sorte qu'ainsi il était pręt non seulement ŕ laver les
pieds, mais aussi ŕ les essuyer. Par lŕ il foule aux pieds tout orgueil,
puisque lui qui va vers Dieu et qui est sorti de Dieu lave les pieds.
1746. Au sens mystique ce fait peut se rapporter ŕ deux choses, ŕ savoir
l'Incarnation du Christ et sa Passion. S'il se rapporte ŕ l'Incarnation, ainsi
on reçoit du Christ trois choses. D'abord, certes, sa volonté de secourir le
genre humain, dans le fait qu'lL SE LČVE DU REPAS. Car Dieu, aussi longtemps
qu'il supporte que nous soyons dans l'épreuve, semble rester assis ; mais
quand il nous arrache de la tribulation, on le voit se lever - Lčve-toi, Seigneur, viens ŕ notre aide5.
Ensuite son anéantissement ; non
qu'il déposât la majesté de sa dignité mais qu'il la cachât en assumant notre
petitesse6. C'est pourquoi il est dit : Vraiment,
tu es un Dieu caché''. Et cela est signifié dans le fait qu'il DÉPOSE SES
VĘTEMENTS - Il s'anéantit lui-męme8.
Enfin l'assomption de notre nature
mortelle dans le fait qu'AYANT PRIS UN LINGE, IL SE CEIGNIT - Prenant la
condition d'esclave9.
Mais si cela se rapporte ŕ la Passion
du Christ, alors, au sens littéral, il déposa ses vętements quand les soldats
le dépouillčrent et tirčrent au sort son vętement1, et il fut ceint d'un linge dans le sépulcre.
Et dans sa Passion il a aussi déposé les vętements de notre mortalité et pris
UN LINGE, c'est-ŕ-dire la blancheur de l'immortalité - Le Christ, en
ressuscitant des morts, ne meurt plus2.
3. Cf. Gn
17, 23 Abraham prit (...) tous les serviteurs de sa maison et tous ceux
qu'il avait achetés...
4. Le 10, 40.
5. Ps 43, 26.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LV, 7, BA 74A, p. 71.
7. Is 45,
15.
8. Ph 2,
7.
9. Ibid.
II
ENSUITE,
IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN ET COMMENÇA Ŕ LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES ET
Ŕ LES ESSUYER AVEC LE LINGE DONT IL ÉTAIT CEINT.
1747. L'Évangéliste montre ensuite le geste d'obéissance du Christ, geste qui
met en lumičre son humilité, et cela de trois maničres. D'abord quant au genre
de ce service, qui fut assurément trčs humble puisque le Seigneur de majesté
s'abaissait pour laver les pieds de ses serviteurs. En second lieu quant ŕ la
multitude des gestes de ce service, parce qu'il versa l'eau dans un bassin,
lava les pieds, et les essuya, etc. En troisičme lieu quant ŕ sa maničre de
faire, parce qu'il n'agit pas par les autres, ni avec l'aide des autres, mais
par lui-męme - Humilie-toi en toutes choses d'autant plus que tu es grand3.
1748. Au sens mystique, par ces trois aspects on peut comprendre trois
choses. En premier lieu, par le fait qu'lL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN est
signifiée l'effusion de son sang sur la terre. En effet le sang de Jésus peut
ętre appelé eau parce qu'il a la puissance de laver - Il nous a lavés de nos péchés
par son sang*. Et de lŕ vient qu'il sortit en męme temps de son côté
du sang et de l'eau, pour donner ŕ entendre que ce sang était capable de laver
les péchés. Ou bien, par l'eau, on peut comprendre la Passion du Christ ;
car dans l'Écriture l'eau signifie les tribulations - Viens me sauver,
Seigneur, car les eaux, c'est-ŕ-dire les tribulations, sont entrées
jusque dans mon âme5. IL VERSA DE L'EAU DANS UN BASSIN,
c'est-ŕ-dire qu'il imprima dans les âmes des fidčles la mémoire de la Passion
par la foi et la dévotion - Souviens-toi de ma pauvreté0.
1749. En second lieu, il COMMENÇA Ŕ LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES suggčre
l'imperfection humaine. Car les Apôtres, aprčs le Christ, étaient les plus
parfaits, et cependant ils avaient besoin d'ętre lavés, ayant en eux des
impuretés. Cela pour nous donner ŕ comprendre qu'aussi parfait que soit un
homme, il a néanmoins besoin d'ętre rendu plus parfait et peut encore
contracter certaines impuretés - Qui peut dire : mon cur est pur ?1 Cependant c'est seulement aux pieds qu'ils
ont des impuretés de cette sorte. Mais certains sont souillés non seulement aux
pieds mais aussi entičrement. En effet, ceux qui se traînent dans les impuretés
terrestres sont tout entiers salis par elles, et c'est pourquoi ceux qui restent
complčtement attachés ŕ l'amour des biens terrestres, ŕ la fois selon leur
affection8 et selon leurs sens, sont
entičrement impurs.
Mais ceux qui restent debout,
c'est-ŕ-dire qui par l'esprit et par le désir tendent vers les réalités
célestes, ne contractent une impureté qu'aux pieds. En effet comme un homme qui
se tient debout doit toucher la terre au moins par ses pieds, de męme, aussi
longtemps que nous vivons dans cette vie mortelle qui a besoin des réalités
terrestres pour le soutien du corps, nous contractons quelque chose du monde au
moins du côté de nos puissances sensibles.
1. Jn 19,
24.
2. Rm 6,
9.
3. Si 3,
20.
4. Ap 1,
5.
5. Ps 68,
2.
6. Lm 3,
19.
7. Pr 20,
9.
8. Sur le
sens du mot affectus voir ci-dessus, n° 1727, note 2.
Et c'est pourquoi le Seigneur
commanda ŕ ses disciples de secouer la poussičre de leurs pieds1. Et lŕ il dit : COMMENÇA Ŕ LAVER, parce que la purification des
affections terrestres commence maintenant et s'achčve dans le futur. C'est
alors, en effet, que sera réalisé ce qui est dit : On l'appellera la voie sainte2.
Mais il faut remarquer, selon Origčne3, qu'il commença ŕ laver les pieds des disciples alors que sa Passion
était imminente, parce que s'il les avait lavés longtemps avant, ils auraient
été ŕ nouveau souillés. C'est pourquoi il commença, alors que peu de temps
aprčs il allait les laver par l'eau du Saint-Esprit, c'est-ŕ-dire aprčs sa Passion - Vous, c'est dans
l'Esprit Saint que vous serez baptisés, dans peu de jours 4. Ainsi, donc,
l'effusion de son sang est manifestée par le fait qu'IL VERSA DE L'EAU DANS UN
BASSIN, et la purification de nos péchés par le fait qu'il COMMENÇA Ŕ LAVER LES
PIEDS DES DISCIPLES.
1750. En troisičme lieu apparaît le fait qu'il a pris sur lui nos peines ; en effet non seulement il a lavé nos taches, mais il a pris sur lui les peines dues ŕ celles-ci. En effet, nos peines et nos pénitences ne suffiraient pas si elles n'étaient pas fondées sur le mérite et la puissance de la Passion du Christ. Et cela apparaît dans le fait qu'il essuya les pieds des disciples avec un linge, c'est-ŕ-dire avec le linge de son corps - Il porta jusqu'au bout nos péchés dans son corps sur le bois5.
1751. Ensuite l'Évangéliste montre la finalité de l'exemple ŕ travers une concertation entre le disciple et le maître : dans cette concertation, le Seigneur montre que cet exemple est mystique, ensuite qu'il est nécessaire [n° 1757], et enfin qu'il convient [n° 1760].
IL
VIENT DONC VERS SIMON-PIERRE. ET PIERRE LUI DIT : Ť SEIGNEUR, TOI, TU ME
LAVES LES PIEDS ? ť JÉSUS RÉPONDIT ET LUI DIT : Ť CE QUE MOI JE
FAIS, TU NE LE SAIS PAS Ŕ PRÉSENT ; MAIS TU SAURAS PLUS TARD. ť
PIERRE LUI DIT : Ť TU NE ME LAVERAS PAS LES PIEDS, JAMAIS ! ť
JÉSUS LUI RÉPONDIT : Ť SI JE NE TE LAVE PAS, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC
MOI ť (13, 6-8)
1. Cf. Le
9, 5.
2. Is 35,
8. En commentant ce verset, saint Thomas explique que cette Ť voie
sainte ť désigne, au sens mystique, ou bien l'Église militante, ou bien
l'Église triomphante (Voir Exp. super Isaiam, 35, 8, p. 154, 1. 53-54).
3. Comm.
sur saint Jean, XXXII, vIII, § 84-88, SC 385, p. 225.
4. Ac 1,
5.
5. 1
Ρ 2, 24.
En ce qui concerne le premier point,
il expose d'abord ce qui occasionna ces paroles du Christ, puis il ajoute les
paroles męmes du Christ [n° 1756].
IL
VIENT DONC VERS SIMON-PIERRE. ET PIERRE LUI DIT : Ť SEIGNEUR, TOI, TU ME
LAVES LES PIEDS ? ť
1752. L'occasion des paroles du Christ fut l'attitude de Pierre, qui refusa
de recevoir cet exemple d'humilité. Cela s'explique de trois maničres.
Premičrement, selon Origčne \ parce que le Seigneur commença ŕ laver les
pieds en partant des derniers. Et cela précisément parce que, de męme que le
médecin désirant soigner de trčs nombreux malades commence ses traitements
particuliers par ceux qui en ont le plus besoin, de męme aussi le Christ, pour
laver les pieds sales des disciples, commence par ceux qui étaient les plus
sales, et ainsi ŕ la fin il vient vers Pierre comme s'il en avait moins besoin
que les autres - En commençant par les derniers jusqu'aux premiers2. Et c'est bien ce que semblent faire entendre
ces paroles de l'Évangile : [IL] COMMENÇA Ŕ LAVER LES PIEDS DES DISCIPLES, et
ce qui vient ensuite : IL VIENT DONC VERS SIMON-PIERRE. Ŕ partir de lŕ il
semble que le Christ ait lavé d'abord les pieds des autres.
1753. Mais si on cherche pourquoi Pierre refusa cela devant les autres,
Origčne3 répond qu'il le fit ŕ cause de la
trop grande ferveur de son amour pour le Christ. Les autres disciples
révéraient le Christ avec une certaine crainte, et c'est pourquoi ils
recevaient son acte sans discuter sur sa cause. Mais Pierre était plus fervent
qu'eux, selon ce que saint Jean rapporte plus tard : Simon, fils de Jean,
m'aimes-tu plus que ceux-ci ?*, et tirant sa confiance de l'amour il
refuse de supporter cet acte et en cherche la cause - L'ami, s'il demeure constant, sera pour toi comme
un égal et il agira avec confiance ŕ l'égard de ceux de ta maison5.
Et c'est pourquoi, dans l'Écriture,
on trouve fréquemment Pierre en train d'interroger et de faire connaître avec
vivacité ce qui lui semble meilleur.
1754. La deuxičme explication est celle de Chrysostome6, ŕ savoir que le Christ a commencé ŕ laver les pieds des Apôtres ŕ
partir des premiers. Mais parce que le traître, c'est-ŕ-dire Judas, était sot
et orgueilleux, il s'étendit le premier pour l'ablution des pieds, avant
Pierre. En effet, aucun des autres n'aurait osé passer devant Pierre.
L'Évangéliste parle donc de Judas quand il dit : [IL] COMMENÇA Ŕ LAVER LES
PIEDS DES DISCIPLES, c'est-ŕ-dire de Judas qui, parce qu'il était orgueilleux
et sot, fut sans aucune résistance, et ne refusa pas de recevoir ce que le
Seigneur faisait. Mais quand Jésus vient vers Pierre, qui révérait et aimait le
Maître, Pierre refuse avec frayeur et cherche la cause de cet acte ;
n'importe lequel des autres aurait fait la męme chose.
1755. Selon la troisičme explication, celle d'Augustin7, nous ne devons pas comprendre, ŕ partir des paroles de
l'Évan-géliste, que le Seigneur a lavé d'abord les pieds des autres disciples,
et ensuite est venu vers Pierre, mais que l'Évangéliste, selon son habitude,
montre d'abord l'acte du Christ, et ensuite expose son ordre, comme il le fait
aussi plus haut8. C'est pourquoi il présente en
premier lieu le fait dans son ensemble, ŕ savoir que le Christ a lavé les pieds
de ses disciples.
Et par la suite, si on cherche
comment cela eut lieu, il dit que Jésus vint d'abord vers Simon-Pierre. Et
c'est pourquoi d'abord Pierre refusa en disant : SEIGNEUR, TOI, TU ME LAVES LES
PIEDS ? Ces paroles ont un grand poids. SEIGNEUR, dit-il, TOI, qui es le
Fils du Dieu vivant, TU ME LAVES LES PIEDS, ŕ moi qui suis Simon Bariona,
c'est-ŕ-dire Simon Iona, ŕ savoir Simon, fils de Jean9 ? De męme, SEIGNEUR, TOI qui es l'Agneau sans souillure l3 le miroir sans tache, léclat de la lumičre éternelle2, TU ME LAVES LES PIEDS, ŕ moi qui suis un homme pécheur ? Comme
Pierre l'avait dit dans ce passage
de Luc : Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur3. SEIGNEUR, TOI qui es le Créateur, TU ME LAVES
LES PIEDS, ŕ moi qui suis une créature, et de peu de foi4 ? Pierre disait cela effrayé en considérant la majesté du Christ
- J'ai considéré tes uvres, et j'ai craint5.
1. Comm.
sur saint Jean, XXXII, vi, § 68-69, SC 385, p. 217-219.
2. Mt 20,
8.
3. Comm.
sur saint Jean, XXXII, ν et VI, § 61 et 66, SC 385, p. 213 et 217.
4. Jn 21, 15.
5. Si 6, 11.
6. In Ioannem hom., LXX, 2, PG 59, col. 383.
7. Tract, in Lˇ., LVI, 1, BA 74A, p. 75-77.
8. Voir
Jn 6.
9. Cf. Mt
16, 17.
II
JÉSUS RÉPONDIT ET LUI DIT : Ť CE QUE MOI JE FAIS, TU
NE LE SAIS PAS Ŕ PRÉSENT ; MAIS TU SAURAS PLUS TARD. ť
1756. Par ces paroles, le Seigneur montre que ce geste a un sens mystique.
C'est pourquoi il dit ŕ Pierre : CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS Ŕ
PRÉSENT ; MAIS TU SAURAS PLUS TARD. Et ce qu'il a fait est assurément un
exemple et un mystčre.
Un exemple comme témoignage d'humilité - C'est un exemple que je vous a
donné, pour que, comme moi je vous ai fait ainsi vous aussi vous fassiez6 - et un mystčre de purification intérieure - Celui qui s'es baigné
n'a besoin que de se laver les pieds7.
On peut donc comprendre de deux
maničres ce qu'il dit : CE QUE MOI JE FAIS D'une premičre maničre, CE QUE MOI
JE FAIS, c'est-ŕ-dire la maničre dont j'agis en donnant l'exemple, TU NE LE
SAIS PAS Ŕ PRÉSENT, c'est-ŕ-dire tu ne le comprend : pas. MAIS TU SAURAS PLUS
TARD, ŕ savoir quand il leur aura expliqué en disant Savez-vous ce que je
vous ai fait ?8
D'une autre maničre9, CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS Ŕ PRÉSENT veut dire que c'est un mystčre et un secret et que cela signifie une purification intérieure qu ne peut se faire que par moi, et que tu ne peux pas comprendre ŕ présent. MAIS TU SAURAS PLUS TARD, quand tu recevra : l'Esprit Saint -J'ai beaucoup de choses ŕ vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter main tenant. Mais quand il viendra, lui, l'Esprit d vérité, il vous enseignera la vérité tout entičre10
PIERRE LUI DIT : Ť TU NE ME LAVERAS PAS LES PIEDS,
JAMAIS ! ť JÉSUS LUI RÉPONDIT : Ť SI JE NE TE LAVE PAS, TU
N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI ť
1757. L'Évangéliste montre d'abord les paroles de Pierre qui ont donné
occasion aux paroles du Christ, puis il ajoute les paroles du Christ [n° 1759].
1. Cf. 1
Ρ 1, 19.
2. Sg 7, 26.
3. Lc 5, 8.
4. Cf. Mt
14, 31 Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? Voir aussi 6,
30 ; 8, 26 ; 16, 8.
5. Ha 3,
2.
6. Jn 13,
15.
7. Jn 13,
10.
8. Jn 13,
12.
9. Cf. Origčne, Comm. sur saint Jean, XXXII,
VIII, § 87-88, SC 385, p. 225.
10. Jn
16, 12-13.
1758. Pierre dit donc tout d'abord : TU NE ME LAVERAS PAS LES PIEDS, JAMAIS
Comme s'il disait : Loin de moi de supporter cela du Maître, mon Seigneur et
mon Dieu1. Et bien que Pierre fît cela avec zčle, son zčle était cependant sans
discernement et désordonné - Ils ont le zčle d Dieu,
mais non selon la scienceI2.
Et ce zčle était désordonné pour
trois raisons. Parce qu'il refuse ce qui était utile et nécessaire ; car, comme le dit
l'épître aux Romains : Nous ne savons pas ce qu'il convient de demander dans
nos pričres 1. Et
c'est pourquoi nous refusons sans discernement de recevoir ce que Dieu nous
accorde largement, mais qui nous semble contraire - comme Paul, qui demandait
qu'on lui enlevât une écharde2 qui lui était cependant utile.
11. Cf. Jn
20, 28.
12. Rm
10, 2.
De męme, parce qu'il semble faire
preuve d'une certaine irrévérence ŕ l'égard du Christ en voulant briser son
ordre. De męme encore parce qu'il semble tendre ŕ se dissocier ses compagnons,
étant donné que, ce que les autres, selon Origčne 3, avaient reçu du Christ sans
contradiction, lui refusait de le recevoir en disant : TU NE ME LAVERAS PAS LES
PIEDS, JAMAIS !
1759. Et c'est pourquoi le Seigneur le reprend en disant : SI JE NE TE LAVE
PAS, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI Et cela peut se rapporter ŕ deux choses,
c'est-ŕ-dire ŕ l'action que le Christ accomplissait et ŕ sa signification.
Si cela se rapporte ŕ la
signification, alors ce qui est dit est clair. En effet nul ne peut devenir
participant de l'héritage éternel et cohéritier4 du Christ sans ętre purifié
spirituellement, puisqu'il est dit dans l'Apocalypse : Rien de souillé ne
pénétrera en elle5. Et dans le psaume : Seigneur,
qui habitera sous ta tente ?6 Le psalmiste répond en ajoutant : Celui qui a les mains innocentes
et le cur pur. C'est donc comme s'il disait : SI JE NE TE LAVE PAS, tu ne
seras pas pur, et si tu n'es pas pur, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI.
Mais si cela se rapporte ŕ ce que le Christ fait, alors on peut se demander si cette ablution est nécessaire au salut. Ŕ cela il faut répondre que, de męme que certaines choses sont interdites parce qu'elles sont mauvaises et que d'autres sont mauvaises parce qu'elles sont interdites, de męme certaines sont commandées parce qu'elles sont nécessaires et d'autres sont nécessaires parce qu'elles sont commandées. Donc cet acte d'ablution au sujet duquel le Seigneur dit : SI JE NE TE LAVE PAS, TU N'AURAS PAS DE PART AVEC MOI, considéré en lui-męme, n'est pas nécessaire au salut ; mais s'il est commandé par le Christ, cet acte est alors nécessaire - Meilleure est l'obéissance que le sacrifice''.
SIMON-PIERRE
LUI DIT : Ť SEIGNEUR, NON SEULEMENT MES PIEDS, MAIS ENCORE LES MAINS ET LA TĘTE. ť JÉSUS LUI DIT :
Ť CELUI QUI S'EST BAIGNE N'A BESOIN QUE DE SE LAVER LES PIEDS ; IL
EST PUR TOUT ENTIER - VOUS
AUSSI, VOUS ĘTES PURS, MAIS NON
PAS TOUS. ť (13, 9-10)
1. Rm 8, 26.
2. Cf. 2 Co 12, 7-8 II m'a été mis
une écharde dans la chair, un ange de
Satan chargé de me souffleter pour que je ne m'enorgueillisse pas !
Ŕ ce sujet, par trois fois, j'ai
prié le Seigneur pour qu'il s'éloigne de moi.
3. Comm. sur saint Jean, XXXII, VI, § 65, SC 385, p. 215.
4. Cf. Rm 8, 17 et 1 Ρ 3, 7.
5. Ap 21, 27.
6. Ps 14, 1-2
7. 1 S 15, 22.
1760. Ici l'Évangéliste montre que cet exemple convient. Il cite d'abord les
paroles de Pierre, puis la réponse du Christ [n° 1763].
SEIGNEUR,
NON SEULEMENT MES PIEDS, MAIS ENCORE LES MAINS ET LA TĘTE.
1761. Dans les paroles de Pierre se révčle son amour trčs fervent8 envers le Christ. Car, plus haut, quand le Seigneur lui avait dit : CE QUE MOI JE FAIS, TU NE LE SAIS PAS
8. Sur la ferveur de Pierre, voir ci-dessous, n°
2593.
Ŕ PRÉSENT, il lui avait fait
comprendre que cet acte serait utile. Cependant Pierre, ayant négligé l'utilité
de ce geste, ne pouvait pas ętre amené ŕ recevoir le lavement des pieds. Mais
quand le Seigneur le menaça de se trouver séparé de lui en disant : TU N'AURAS
PAS DE PART AVEC MOI, il s'offrit pour recevoir non seulement cette ablution,
mais d'autres encore, en disant : SEIGNEUR, NON SEULEMENT MES PIEDS, MAIS
ENCORE LES MAINS ET LA TĘTE. Dans cette réponse en effet, effrayé, il s'offre
tout entier pour ętre lavé, troublé par l'amour et la crainte. Comme on le lit
dans L'itinéraire de Clément1, Pierre était si sensible ŕ la
présence corporelle du Christ, présence qu'il avait aimée avec une trčs grande
ferveur, qu'aprčs l'Ascension du Christ, lorsqu'il se souvenait de sa présence
trčs douce et de sa maničre si sainte de vivre2, il se répandait tout entier en
larmes, si bien que ses joues semblaient enflammées.
1762. Il faut savoir que dans l'homme il y a trois choses : la tęte, qui est
le sommet ; les pieds, qui se trouvent en bas ; les mains, qui sont
au milieu. Et de męme ŕ l'intérieur de l'homme, ŕ savoir dans l'âme, il y a la
tęte, c'est-ŕ-dire la raison supérieure3 par laquelle l'âme est fixée en Dieu
- La tęte de
la femme, c'est l'homme4, c'est-ŕ-dire la raison supérieure ; les mains,
c'est-ŕ-dire la raison inférieure, qui vaque aux uvres actives ; et les
pieds qui sont la sensibilité. Mais le Seigneur savait ses disciples purs quant
ŕ la tęte parce qu'ils étaient unis ŕ Dieu par la foi et la charité, et quant
aux mains parce que leurs uvres étaient saintes. Mais quant aux pieds, ils
avaient quelques affections pour les choses terrestres qui provenaient de leur
sensibilité. Pierre, craignant la menace du Christ, consentit non seulement ŕ
l'ablution des pieds, mais aussi des mains et de la tęte, en disant : SEIGNEUR,
NON SEULEMENT MES PIEDS, MAIS ENCORE LES MAINS ET LA TĘTE. Comme s'il disait :
Je ne sais pas si j'ai besoin de l'ablution des mains et de la tęte A la
vérité, ma conscience ne me reproche rien, mais je n'en suis pas justifié pour
autant5 ; et c'est pourquoi je suis pręt ŕ laver NON
SEULEMENT MES PIEDS, c'est-ŕ-dire les affections inférieures - J'ai lavé mes
pieds 6 -, MAIS ENCORE LES MAINS,
c'est-ŕ-dire les uvres -Je laverai mes mains parmi les innocents7 -, ET LA TĘTE, c'est-ŕ-dire la raison supérieure - Lave ton visage8.
1. Saint
Thomas cite ici, comme dans la Somme théologique, I, q. 117, a. 4, un
ouvrage apocryphe du IVe ou ν sičcle
appelé ensuite Recognitionem. Mais on n'y trouve pas la remarque faite
ici ŕ propos de Pierre.
2. Cette
expression traduit conversatio. Sur le sens de ce mot voir vol. I, n°
1176, note 3.
3. Saint
Thomas distingue, ŕ la suite de saint Augustin, la raison supérieure et la
raison inférieure, non pas comme deux puissances différentes, mais comme deux
fonctions, deux habitus d'une męme puissance : Ť La raison
supérieure est celle qui est tendue vers les réalités éternelles pour les
considérer ou les consulter : les considérer en tant qu'elle les contemple en
elles-męmes, les consulter en tant qu'elle en reçoit des rčgles pour agir. La
raison inférieure est celle qui s'occupe des réalités temporelles. Or les
réalités éternelles et les réalités temporelles se rapportent ŕ notre
connaissance de cette maničre, que les unes sont le moyen de connaître les
autres. En effet, selon la voie de découverte, nous parvenons par les réalités
temporelles ŕ la connaissance des réalités éternelles, selon ce que dit l'Apôtre
: Les perfections invisibles de Dieu sont rendues visibles ŕ l'intelligence
parle moyen de ses uvres (Rm 1, 20) ť (Somme théol., I, q. 79,
a. 9, a). Voir aussi I-II, q. 15, a. 4, ad 1. Saint Thomas éclaire
donc la demande de Pierre pressant le Christ de lui laver non seulement les
pieds mais aussi les mains et la tęte par ces trois grands aspects de la vie
humaine : l'intelligence spéculative ordonnée d'une maničre ultime ŕ la
contemplation du mystčre de Dieu, l'intelligence pratique ordonnée ŕ la
réalisation des uvres, et la sensibilité liée ŕ l'imaginaire et aux passions,
qui est l'amour des biens sensibles.
JÉSUS
LUI DIT : Ť CELUI QUI S'EST BAIGNE N'A BESOIN QUE DE SE LAVER LES
PIEDS ; IL EST PUR TOUT ENTIER - VOUS AUSSI, VOUS ĘTES PURS, MAIS NON PAS
TOUS. ť (13, 10)
4. 1 Co
11, 3.
5. 1 Co
4, 4.
6. Ct 5,
3.
7. Ps 25,
6. Saint Thomas commente : Ť Je laverai mes mains parmi les innocents, c'est-ŕ-dire
mes uvres qui sont principalement lavées par Dieu au moyen de la grâce qu'il
infuse - Lave-moi tout entier, Seigneur, de mon iniquité (Ps 50, 4). Elles
sont aussi lavées par nous au moyen de la pénitence - Lavez-vous,
purifiez-vous (Is 1, 16). Je me laverai les mains, c'est-ŕ-dire je
m'appliquerai donc ŕ la pénitence pour qu'elles soient lavées. Et cela parmi
les innocents, parce que les murs se forment par la vie commune - Avec
l'innocent, tu seras innocent (Ps 17, 26) ť (Exp. in
Psalmos, 25, n° 4).
8. Mt 6,
17.
1763. La réponse du Seigneur est ensuite exposée. D'abord il donne un exemple
général, ensuite il l'adapte ŕ son propos [n° 1766]. Enfin, l'Évangéliste
explique les paroles du Christ [n° 1767].
1764. Le Seigneur dit donc d'abord : CELUI QUI S'EST BAIGNÉ N'A BESOIN QUE DE
SE LAVER LES PIEDS ; IL EST PUR TOUT ENTIER, sous-entendu excepté les
pieds par lesquels il touche la terre. Par cela il est donné ŕ entendre que les
Apôtres avaient déjŕ été baptisés. Il dit en effet : CELUI QUI S'EST BAIGNÉ N'A
BESOIN QUE DE SE LAVER LES PIEDS, et plus tard il ajoute : VOUS AUSSI, VOUS
ĘTES PURS, parce qu'ils avaient été baptisés.
1765. Certains disent qu'ils avaient été baptisés seulement du baptęme de
Jean. Mais cela ne semble pas vrai, parce qu'ainsi ils n'auraient pas été lavés
car le baptęme de Jean ne purifiait pas intérieurement de la faute. Et c'est
pourquoi il faut dire qu'ils avaient été baptisés du baptęme du Christ, selon
saint Augustin 1. Et si tu objectes que le Christ ne
baptisait pas, mais ses disciples, comme on le dit plus haut2, je dis qu'il ne baptisait pas les foules ; mais ses disciples,
eux qui lui étaient intimes et familiers, il les a baptisés.
Mais puisque le baptęme enlčve męme
la saleté des pieds, il semble que celui qui a été lavé, c'est-ŕ-dire baptisé,
n'a pas besoin de se laver les pieds. Ŕ cela il faut répondre que, si aussitôt
aprčs leur baptęme ils sortaient de ce monde, ils n'auraient de toutes façons
pas besoin de cette ablution, parce qu'étant purs tout entiers, ils
s'envoleraient aussitôt. Par contre, ceux qui, aprčs leur baptęme, vivent dans
cette vie mortelle, ne peuvent s'élever ŕ un si grand sommet de perfection sans
que surgissent encore des mouvements désordonnés de la sensibilité liés ŕ des
affections terrestres. Et c'est pourquoi, pour pouvoir s'envoler, il faut
qu'ils lavent leurs pieds soit par le martyre qui est un baptęme de sang, soit
par la conversion3 qui est un baptęme de feu.
1. Epistula 265 ad Seleucianam, 4-5, CSEL, vol. LVII, p. 641-644 (cf. vol. I, n° 555, note 7). Bien que, dans un
premier temps, saint Augustin nie
clairement que Jésus ait jamais baptisé Ť de ses propres mains ť, męme ses disciples les
plus proches, sinon Ť par la présence de sa majesté ť ŕ travers leur propre ministčre baptismal, il
est ensuite contraint d'admettre
que les disciples ont été réellement baptisés
Ť du baptęme du Christ ť et non seulement de celui de Jean. En effet, le Christ Ť n'a pas
dérogé au ministčre du baptęme, afin d'avoir
ses serviteurs baptisés, eux qui devraient baptiser tous les autres, de męme qu'il n'a pas dérogé
au ministčre de l'abaissement quand il leur
lava les pieds... ť (loc. cit., 5, p. 643). Dans la lettre 44 (aux évęques Eleusius, Glorius et
Félix), saint Augustin s'appuie précisément
sur le verset commenté ici pour en conclure que les disciples ont été baptisés du baptęme
du Christ dčs avant sa Passion. En effet,
Ť la purification parfaite ne se trouve pas dans le baptęme de Jean mais dans [celui qui est
accompli] au nom du Seigneur ť (10, CSEL, vol. XXXIV, p. 117-118).
2. Voir Jn 4, 2.
VOUS
AUSSI, VOUS ĘTES PURS, MAIS NON PAS TOUS.
1766. Le Seigneur adapte ensuite l'exemple général ŕ son propos. Mais s'ils
étaient purs, pourquoi le Seigneur les lavait-il ŕ nouveau ? Ŕ cela
Augustin4 répond
qu'ils étaient purs quant aux mains et ŕ la tęte, mais qu'ils manquaient [de
pureté] quant aux pieds.
Chrysostome5, lui, dit qu'ils étaient purs mais pas d'une maničre absolue, parce
qu'ils n'étaient pas encore purifiés de l'impureté originelle : puisque le
Christ n'avait pas encore souffert, le prix de notre rédemption n'avait pas
encore été payé. Mais ils étaient purs relativement, ŕ savoir purs des erreurs
des Juifs.
Origčne6 dit qu'ils étaient purs, mais qu'il
fallait encore une purification plus grande parce que la raison doit toujours
chercher ŕ égaler les meilleurs charismes, toujours s'élever jusqu'aux plus
hautes vertus, et s'efforcer de resplendir de l'éclat de la justice - Celui qui est saint, qu'il
se sanctifie encore 1. MAIS NON PAS TOUS : parce que l'un
d'eux avait ŕ la fois la tęte et les mains impures.
3. Le
terme poenitentia correspond au grec
μετάνοια qui signifie repentir,
conversion. Voir Le 3, 3 II [Jean Baptiste] clame un baptęme de conversion
pour la rémission des péchés, et Me 1, 4. Voir aussi Somme théol, III, q. 66, a. 11, c, oů saint Thomas
montre l'unité et l'ordre de ces trois baptęmes d'eau, de sang et de feu.
4. Tract, in Io., LVI, 3-4, BA 74A, p. 79-83.
5. In Ioannem hom., LXX, PG 59, 2, col. 384.
6. Comm.
sur saint Jean, XXXII, IX, § 101, SC 385, p. 231.
IL
SAVAIT EN EFFET QUI DONC ÉTAIT CELUI QUI LE LIVRERAIT. C'EST POURQUOI IL DIT :
Ť VOUS N'ĘTES PAS TOUS PURS. ť (13, 11)
1767. C'est pourquoi lÉvangéliste poursuit en expliquant les paroles du Seigneur : IL SAVAIT EN EFFET QUI DONC ÉTAIT CELUI QUI LE
LIVRERAIT ; autrement dit : s'il a dit VOUS N'ĘTES PAS TOUS PURS, c'est parce qu'il connaissait
l'impureté de Judas, le traître.
En effet, deux choses purifient l'homme : l'aumône et la miséricorde envers les pauvres - Faites l'aumône, et voici que tout sera pur pour vous2 -, et l'amour de Dieu - Ses nombreux péchés lui ont été remis, parce qu'elle a beaucoup aimé3. - La charité couvre toutes les fautes*. Or ces deux choses manquaient ŕ Judas : la miséricorde certes, parce qu'il était voleur et que, ayant la bourse, il dérobait les aumônes des pauvres, et de męme l'amour envers le Christ, parce que déjŕ le diable avait jeté dans son cur l'intention de le livrer aux chefs des prętres pour qu'ils le crucifient.
1768. Aprčs avoir montré que son geste d'humilité est nécessaire, le Seigneur invite ŕ l'imiter. Et d'abord l'Évangéliste annonce les circonstances de cette exhortation, en dévoilant son ordre. Puis il manifeste la condition de celui qui les exhorte [n° 1770]. Enfin il nous donne l'exhortation elle-męme [n° 1772].
APRČS
DONC AVOIR LAVE LEURS PIEDS, IL REPRIT SES VĘTEMENTS, ET S'ÉTANT ALLONGÉ DE
NOUVEAU, IL LEUR DIT (13, 12)
1769. L'ordre voulu par le Seigneur pour cette exhortation consiste ŕ
enseigner par la parole ce qu'il a fait tout d'abord par une uvre. Et quant ŕ
cela, l'Évangéliste dit : APRČS DONC AVOIR LAVÉ LEURS
PIEDS - Tout ce que Jésus a commencé ŕ faire et ŕ enseigner5. - Celui qui
les fera et les enseignera, celui-lŕ sera appelé grand dans le royaume des deux6.
1. Ap 22,
11.
2. Lc 11,
41.
3. Lc 7,
47.
4. Pr 10,
12.
5. Ac 1,
1.
1770. La condition de celui qui donne l'exhortation est indiquée par son
habit (habitus) et par sa position7.
Par son habit, parce qu'ŕ différentes
personnes conviennent des habits différents selon la diversité de leurs actes
propres - Le vętement
d'un homme parle de lui8. Donc, autre est l'habit qui convient au serviteur,
autre celui qui convient ŕ celui qui enseigne. Parce qu'il doit ętre libre pour
servir, il convient au serviteur de déposer les vętements qui le gęnent. Et
c'est pourquoi le Christ, lorsqu'il voulut servir, se lčve du repas et
dépose ses vętements1. Ŕ celui qui enseigne, qui doit ętre
grave et éminent par son autorité, il convient d'ętre bien habillé et élégant.
Et c'est pourquoi le Seigneur voulant enseigner REPRIT SES VĘTEMENTS.
6. Mt 5,
19.
7. Saint
Thomas, au lieu de reprendre le mot latin vestimentum, dit ici habitus.
Il se réfčre lŕ aux Ť catégories ť (Organon, I Catégories,
eh. 4) d'Aristote décrivant la maničre d'exister de tout ętre individuel,
et il parle des deux derničres : le situs, sa position dans l'espace, et
Lhabitus, son avoir (sa maničre de posséder). Sur les dix catégories,
voir ci-dessous, n° 2527, note 1.
8. Si 19,
27.
La condition de celui qui exhorte est
indiquée aussi par sa position : parce qu'il voulait servir, il se leva ;
c'est pourquoi lÉvangéliste dit : il se lčve du repas. Et maintenant,
voulant enseigner, le Christ se remet ŕ table, et c'est pourquoi il est dit :
ET S'ÉTANT ALLONGÉ DE NOUVEAU, IL LEUR DIT. Et cela parce que la doctrine doit
ętre enseignée dans la tranquillité. En effet, en s'asseyant et en se reposant,
l'âme devient sage et prudente.
1771. Ces trois choses sont porteuses d'un mystčre. En effet, le Christ a
donné ŕ ses disciples une doctrine parfaite quand il leur envoya l'Esprit Saint
- Mais le Paraclet, l'Esprit Saint que le Pčre enverra en mon nom, lui-męme3
vous enseignera tout2.
Trois choses ont précédé la mission
męme de l'Esprit Saint. D'abord le lavement des péchés par la Passion - Il nous
a lavés de nos péchés par son sang3 ; et quant ŕ cela il dit : APRČS DONC AVOIR
LAVÉ LEURS PIEDS, c'est-ŕ-dire la purification étant accomplie par son sang.
Ensuite la Résurrection : en effet le Christ, avant sa Passion, eut un corps mortel, et certes cette mortalité ne lui convenait pas selon sa personne de Fils de Dieu, mais selon la nature humaine qu'il a assumée ; mais aprčs qu'il fűt ressuscité par la puissance de sa divinité, il reçut l'immortalité du corps. Et quant ŕ cela il dit : IL REPRIT SES VĘTEMENTS, c'est-ŕ-dire qu'en ressuscitant il a été rendu immorte1. Et il dit SES, parce qu'il a reçu l'immortalité par sa propre puissance - Sa vie est une vie pour Dieu4 -, c'est-ŕ-dire qu'il vit par la puissance de Dieu. Au sujet de ces vętements, il est dit dans l'Apocalypse : Le vainqueur sera revętu de vętements blancs5.
Enfin la session ŕ la droite du Pčre,
et cela dans l'Ascension, comme il est dit plus bas : Si je ne pars pas, le
Paraclet ne viendra pas vers vous0. Et quant ŕ cela il dit : S'ÉTANT ALLONGÉ DE NOUVEAU, c'est-ŕ-dire
siégeant ŕ la droite du Pčre - Or le Seigneur Jésus, aprčs leur avoir parlé,
fut enlevé au ciel et il s'assit ŕ la droite de Dieu1. Et il dit DE NOUVEAU, non pas qu'en tant que
Fils de Dieu il ait jamais manqué de siéger - bien au contraire, de toute
éternité il est dans le sein du Pčre -, mais parce que, en tant qu'homme, il a
été élevé jusqu'aux biens les plus excellents du Pčre - Aussi Dieu
lα-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom8.
Ainsi donc, avant d'envoyer le
Saint-Esprit qui enseigne parfaitement, il lava par son sang versé ; il
reprit ses vętements en ressuscitant ; il se remit ŕ table en montant dans
la gloire9.
1. Jn 13, 4.
2. Jn 14, 26.
3. Ap 1, 5.
4. Rm 6, 10.
5. Ap 3, 5.
6. Jn 16, 7.
7. Mc 16, 19.
8. Ph 2, 9.
9. Cf. Alcuin, Comm.
in S. Ioannis Evang., VI, 32, PL 100, col. 926 B.
1772. Le Seigneur donne ensuite son exhortation ; d'abord il interroge,
ensuite il rappelle leur confession qu'il met en lumičre [n° 1774], puis il
conclut [n° 1778], et enfin il confirme la conclusion [n° 1780].
Selon Origčne 6, SAVEZ-VOUS CE QUE JE VOUS AI FAIT ? peut ętre pris d'une maničre
impérative. Autrement dit : VOUS SAVEZ CE QUE JE VOUS AI FAIT. Et le Seigneur
dit alors cela pour éveiller leur intelligence.
II
SAVEZ-VOUS
CE QUE JE VOUS AI FAIT ? (13, 12)
1773. Il interroge quand il dit : SAVEZ-VOUS CE QUE JE
VOUS AI FAIT ? Autrement
dit : vous avez vu les faits, mais la cause pour laquelle j'ai fait cela, vous
ne la comprenez pas. Et c'est pourquoi il cherche ainsi ŕ montrer la grandeur
de cet acte, et il conduit ŕ la considérer.
En effet les uvres de Dieu doivent
ętre considérées parce qu'elles sont profondes - Qu'elles sont magnifiques
tes uvres, Seigneur ! Tes pensées extręmement profondes \ Ŕ peine en
effet pouvons-nous connaître d'une façon suffisante la raison (ratio) des
uvres de Dieu - J'ai compris que la raison des uvres de Dieu, l'homme ne
pouvait en trouver aucune2. Elles sont aussi délectables ŕ
considérer - Tu m'as réjoui, Seigneur, dans tes actes3. De plus elles sont utiles car elles
conduisent ŕ la connaissance de leur Auteur - Ils n'ont pas, en considérant
les uvres, connu quel était l'ouvrier*. Et plus haut : Les uvres que
le Pčre m'a données pour que je les accomplisse, ces uvres męmes que je fais
rendent témoignage de moi5.
VOUS,
VOUS M'APPELEZ Ť MAÎTRE ET SEIGNEUR ť, ET VOUS DITES BIEN : DE FAIT,
JE LE SUIS. (13, 13)
1774. Il approuve leur confession ; d'abord il la présente, puis il la
loue [n° 1776].
1775. Il faut savoir que l'Apôtre, dans la premičre épître aux Corinthiens,
dit deux choses du Christ, ŕ savoir qu'il est puissance de Dieu et sagesse
de Dieu7. En tant qu'il est puissance de Dieu, il
domine sur toutes choses, comme le dit Ambroise8 le Seigneur est un nom de puissance.
En tant qu'il est sagesse de Dieu il les instruit tous, et c'est pourquoi les
disciples l'appelaient Seigneur - Seigneur, ŕ qui irons-nous ?9 - et Maître - Rabbi, mange 10. Et ceci ŕ juste titre. En effet, le
Seigneur lui-męme est le seul qui crée et recrée - Sachez que lui-męme est
Dieu n -, et lui seul est le Maître qui enseigne de
l'intérieur - Votre Maître unique, c'est le Christ12.
1. Ps 91,
6.
2. Qo 8,
17.
3. Ps 91,
5.
4. Sg 13,
1.
5. Jn 5,
36 (voir vol. I, n° 816).
6. Comm.
sur saint Jean, XXXII, x, § 113, SC 385, p. 237-239.
7. 1 Co
1, 24.
8. Il
s'agit en réalité d'un auteur écrivant ŕ Rome dans la deuxičme moitié du rv
sičcle appelé par la suite Ambrosiaster.
Cf. Commentarium in prima epistula ad
Corinthios, CSEL, vol. LXXXI, II, p. 17.
9. Jn 6,
69.
10. Jn 4,
31.
11. Ps
99, 3.
12. Mt
23, 10. Saint Thomas commente : Ť Le Christ s'attribue ŕ lui-męme le
magistčre, parce que le Christ est le Verbe ; et c'est pourquoi il lui
appartient d'enseigner, parce que nul n'enseigne si ce n'est par le Verbe. Il
est aussi maître quant ŕ sa nature humaine, parce qu'il a été envoyé pour
enseigner - Personne n'a jamais vu Dieu ; le
Fils unique qui est dans le sein du Pčre, lui l'a fait connaître (Jn 1,
18) ť (Sup. Matth. lect., XXIII, n° 1852).
ET VOUS
DITES BIEN : DE FAIT, JE LE SUIS.
1776. Il loue ensuite leur confession. Lŕ il faut savoir que quelque chose
est rendu louable de deux maničres. D'une premičre maničre si ce qui est dit
correspond ŕ la réalité dont on parle, ce qui se fait par la vérité, parce que
si c'est faux, cela ne correspond pas ŕ la réalité \ C'est pourquoi on dit bien
: Rejetant le mensonge, dites la vérité2. En effet on doit ŕ ce point éviter les mensonges que męme s'ils
semblent tourner ŕ la louange de Dieu, ils ne doivent pas ętre dits. Quant ŕ
cela donc, il dit : VOUS DITES BIEN, ce que vous dites est vrai, parce que cela
se rapporte ŕ moi : DE FAIT, JE LE SUIS, MAÎTRE ET SEIGNEUR. MAÎTRE, dis-je, ŕ
cause de la sagesse que j'enseigne par des paroles ; SEIGNEUR, ŕ cause de
la puissance que je manifeste par des miracles.
D'une autre maničre, quelque chose
est rendu louable si ce qui est dit correspond ŕ la personne qui le dit.
Certains, en effet, appellent le Christ MAÎTRE ET SEIGNEUR sans que cela leur
convienne puisqu'ils ne se soumettent pas ŕ la discipline et au commandement de
Dieu. Et ceux-lŕ ne le disent pas bien. C'est pourquoi ŕ ceux qui disent : Seigneur,
ouvre-nous3', il répond : Amen, Amen, je vous
le dis, je ne vous connais pas, parce qu'ils ne disent pas cela avec leur
cur, mais seulement avec leur bouche4. MAÎTRE ET SEIGNEUR : cela, les
Apôtres le disaient bien, parce qu'il leur revenait de le dire. C'est pourquoi
il leur dit : ET VOUS DITES BIEN, ŕ savoir : vous dites vrai, DE FAIT, JE LE
SUIS, c'est-ŕ-dire, pour vous, Maître et Seigneur, car vous m'écoutez comme
Maître - A qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle5 -, et vous me suivez comme Seigneur - Voici
que nous avons tout laissé et nous t'avons suivi6.
1. Saint
Thomas reprend ici toute la philosophie premičre d'Aristote, et
particuličrement la découverte du lien de l'intelligence avec le vrai - la
vérité -, découverte s'appuyant sur la recherche philosophique de l'ętre en
acte et de ses différentes modalités (voir Métaphysique, Θ, ch. 10).
En effet quand nous pensons, nous pensons toujours ŕ quelque chose qui existe. Sinon,
si la chose ŕ laquelle nous pensons n'existe pas, ce n'est plus une véritable
pensée, mais une imagination, un ręve. Nos jugements sont vrais dans la mesure
oů ce qu'ils affirment est conforme ŕ ce qui est dans la réalité. Ť Atteint
la vérité celui qui pense que ce qui est séparé est séparé et que ce qui est
uni est uni ; se trompe celui qui pense contrairement ŕ ce que sont les
réalités ť (Aristote, loc.
cit., 1051 b, 3-5). C'est donc le réel qui détermine notre capacité de
connaître, notre intelligence, et qui l'actue. Et notre intelligence, en
adhérant au réel en ce qu'il a de plus lui-męme, son acte d'ętre, se qualifie. La
vérité est ainsi cette qualité de l'intelligence correspondant ŕ l'adéquation
de l'intelligence et de la réalité. Ŕ plusieurs reprises saint Thomas, dans ses
écrits, précise ou évoque le lien de l'intelligence avec le vrai. Voir
notamment De veritate, q. 1, a. 1 ; Somme théol., I, q. 16,
a. 1, c. ; q. 21, a. 2, c. Voir aussi ci-dessous, nos 2364 et
2365.
2. Ep 4,
25.
3. Mt 25,
11-12.
1777. Mais contrairement ŕ cela, il est dit dans le livre des Proverbes : Qu'un
étranger te loue, et non ta bouche1. Il semble donc que le Seigneur n'ait pas bien agi en se recommandant.
Mais ŕ cela Augustin8 répond
de deux maničres.
D'une premičre maničre, en disant
qu'il est blâmable que quelqu'un se recommande lui-męme, ŕ cause du danger de
s'enorgueillir. Car se plaire ŕ soi-męme est dangereux pour celui qui veille ŕ
ne pas s'enorgueillir. Par conséquent, quand le danger de s'enorgueillir ne
menace pas, se recommander soi-męme n'est pas blâmable. Or chez le Christ ce
danger n'était pas ŕ craindre ; lui en effet qui est au-dessus de tout,
aussi grandement qu'il se loue, ne s'élčve pas trop haut.
D'une autre maničre, en disant que
parfois il est louable que l'homme se mette en avant quand cela sert ŕ
l'utilité des fidčles. Et c'est ainsi que l'Apôtre se met en avant9. Mais il nous est fort utile et nécessaire de toute maničre de
connaître Dieu parce qu'en cela consiste toute notre perfection. C'est pourquoi
il nous est utile qu'il nous révčle sa grandeur ; du reste nous ne
pourrions d'aucune façon la connaître s'il ne se révélait pas, lui qui la
connaît. Et c'est pourquoi il faut que lui-męme se loue pour nous, parce que,
comme le dit Augustin \ si en ne se louant pas il veut éviter une sorte
d'arrogance, il nous refusera la sagesse - La Sagesse louera son âme2.
4. Cf. Mt
12, 34-37 (Lc 6, 45) et Rm 10, 8-10.
5. Jn 6, 69.
6. Mt 19, 27.
7. Pr 27, 2.
8. Tract, in Io., LVIII, 3, BA 74A, p. 107-109.
9. Cf. 2
Co 11.
III
SI DONC
JE VOUS AI LAVE LES PIEDS, MOI LE SEIGNEUR ET LE MAÎTRE, VOUS AUSSI VOUS DEVEZ
VOUS LAVER LES PIEDS LES UNS AUX AUTRES. (13, 14)
1778. Il conclut, et ici il argumente ŕ partir de ce qui semble ętre moindre
vers ce qui semble ętre davantage. En effet, il semble moins [évident] que le
plus grand doive faire quelque chose d'humble plutôt que le plus petit. Et
selon cela, il conclut : SI DONC MOI, qui suis plus grand, parce que je suis LE
SEIGNEUR ET LE MAÎTRE, JE VOUS AI LAVÉ LES PIEDS, VOUS AUSSI, qui ętes plus
petits, qui ętes disciples et serviteurs, devez d'autant plus VOUS LAVER LES
PIEDS LES UNS AUX AUTRES - Celui qui est plus grand parmi vous, qu'il soit
votre serviteur (...)ˇ Le Fils de l'homme n'est pas venu pour ętre servi mais
pour servir0'.
1779. Or il semble que cela ait raison de précepte ; mais celui
qui néglige un précepte pčche mortellement. Donc celui qui ne lave pas les pieds
des autres pčche mortellement.
Il faut répondre, selon Augustin4, que tout homme doit laver les pieds de l'autre soit corporellement,
soit spirituellement. Et il est bien meilleur, et plus vrai sans controverse,
qu'il le fasse aussi de ses mains, afin que le chrétien ne dédaigne pas de
faire ce que fit le Christ. En effet, quand le corps est incliné vers les pieds
du frčre, en son cur aussi le sentiment d'humilité est éveillé ou, si déjŕ il
était présent, il est confirmé. Et si cela ne se fait pas par une uvre, nous
devons du moins le faire par le cur.
Dans le lavement des pieds est donné
ŕ entendre le lavement des taches. Donc, spirituellement, tu laves les pieds de
ton frčre toutes les fois que tu laves ses taches, dans la mesure de tes
moyens. Et cela se fait de trois maničres. En lui remettant son offense - Pardonnez-vous
mutuellement, si l'un a contre l'autre quelque sujet de plainte ; le
Seigneur vous a pardonnes, faites de męme ŕ votre tour5. De męme en priant pour ses péchés - Priez les uns pour les
autres, afin que vous
soyez sauvés6. Et cette double maničre de laver
les fautes est commune ŕ tous les fidčles. Une troisičme maničre appartient aux
prętres, qui doivent laver en remettant les péchés par le pouvoir des clefs7 - Recevez l'Esprit Saint. Ceux ŕ
qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis8.
Nous pouvons dire aussi que, dans cet
acte, le Seigneur montre toutes les uvres de la miséricorde. Car celui qui
donne du pain ŕ l'affamé lave ses pieds, et de męme celui qui l'accueille en
son logement et celui qui couvre celui qui est nu, et de męme pour les autres
choses - Prenez part aux besoins des saints9.
IV
1780. Il confirme maintenant la conclusion, et cela de quatre maničres : en
soulignant son intention [n° 1781], par son autorité [n° 1782], en rappelant la
récompense qui est due ŕ cette uvre [n° 1784], et ŕ cause de la dignité de
ceux auxquels il lave les pieds [n° 1793].
1. Tract, in Io., LVIII, 3, BA 74A, p. 105.
2. Si 24,
1.
3. Mt 20,
26 et 28. Voir ci-dessus, n° 1745, note 1.
4. Tract, in Io., LVIII, 4, BA 74A, p. 113.
5. Col 3,
13.
6. Je 5,
16.
7. Sur le
pouvoir des clefs, voir vol. I, n° 1561.
8. Jn 20,
22-23.
9. Rm 12,
13.
L'intention du Christ
EN
EFFET C'EST UN EXEMPLE QUE JE VOUS AI DONNÉ, POUR QUE, COMME MOI JE VOUS AI
FAIT, AINSI VOUS AUSSI VOUS FASSIEZ. (13, 15)
1781. Il dit donc : cela, je l'ai fait précisément pour vous donner un
exemple. Et c'est pourquoi vous aussi vous devez vous laver les pieds les
uns aux autres, parce que c'était mon intention ŕ travers cet acte. Car
pour les actions des hommes, les exemples touchent plus que les paroles. En
effet, un homme fait et choisit ce qui lui semble bon. C'est pourquoi il montre
que ce qu'il a lui-męme choisi est bon, plus qu'il ne montre qu'il faut choisir
ce qu'il enseigne. Et de lŕ vient que quand quelqu'un dit quelque chose et
cependant fait autre chose, ce qu'il fait influence plus les autres que ce
qu'il enseigne. Et c'est pourquoi il est grandement nécessaire de donner
l'exemple ŕ partir d'un acte męme.
Mais l'exemple de l'homme purement
homme dans le genre humain n'était pas suffisant ŕ imiter, soit parce que la
raison humaine ne possčde pas toute la connaissance, soit parce que dans la
considération męme des réalités elle se trompe. Et c'est pourquoi nous est
donné l'exemple du Fils de Dieu, exemple qui est infaillible et qui suffit ŕ
tout. Augustin 1 dit : Ť L'orgueil n'est pas
guéri s'il n'est pas guéri par l'humilité divine ť, et semblablement
l'avarice, et ainsi les autres défauts.
Remarque que le Fils de Dieu nous est
donné comme exemple de vertu d'une maničre trčs convenable. En effet il est
lui-męme l'art du Pčre, de sorte que, comme il fut l'exemplaire de la création2, il devait ętre aussi l'exemplaire de la justification - Le Christ a souffert pour vous,
en vous laissant un exemple3. - Mon pied a suivi ses traces*.
L'autorité du Christ
AMEN,
AMEN, JE VOUS LE DIS : LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR, NI
L'ENVOYÉ PLUS GRAND QUE CELUI QUI L'A ENVOYÉ. (13, 16)
1782. Ensuite, le Seigneur confirme la conclusion en vertu de son
autorité ; et d'abord il montre la condition des disciples, puis leur
office.
La condition des disciples est d'ętre
des serviteurs - Lorsque
vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites : Nous sommes des
serviteurs inutiles5 ; leur office est d'ętre des
apôtres, c'est-ŕ-dire des envoyés - Il en choisit douze, qu'il nomma Apôtres6. Ainsi donc, il dit : Je dis que vous aussi
vous devez vous laver les pieds les uns aux autres, comme moi je vous ai
lavé les pieds, parce que LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR
quant ŕ sa condition, NI l'apôtre, c'est-ŕ-dire L'ENVOYÉ, PLUS GRAND QUE CELUI
QUI L'A ENVOYÉ. Bien que
le Fils de Dieu lui-męme, qui est l'Apôtre de notre profession de foi, comme le
dit l'épître aux Hébreux7, soit égal ŕ celui qui l'a envoyé, ŕ
savoir au Pčre, il est vrai cependant pour tous les autres que
1. Le
combat chrétien (De agone christiano), XI, 12, ΒΑ 1, p. 397.
2. Cf. Somme
théol, I, q. 45, a. 6, c. : Ť Les personnes divines, selon la raison
de leur procession, ont une causalité ŕ l'égard de la création des réalités. Comme
on l'a montré antérieurement en traitant de la science et de la volonté de
Dieu, Dieu est cause des réalités par son intelligence et sa volonté, comme l'artisan
pour les produits de son art. Or l'artisan opčre d'aprčs le verbe conçu dans
son intelligence, et par l'amour que sa volonté porte ŕ son uvre. Aussi Dieu
le Pčre a-t-il produit la créature par son Verbe, qui est le Fils, et par son
Amour, qui est l'Esprit Saint ť.
3. 1
Ρ 2, 21.
4. Jb 23,
11. Voir vol. I, n° 1376, note 5.
5. Le 17,
10.
6. Le 6,
13.
7. Cf. He
3, 1.
L'ENVOYE N'EST PAS PLUS GRAND QUE CELUI QUI L'A ENVOYÉ.
1783. Mais plus bas, le Seigneur dit ŕ ses disciples : Désormais, je ne vous appellerai plus serviteurs,
parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître 1.
Il faut répondre qu'il existe deux
servitudes2 l'une qui procčde d'une crainte
filiale, et qui fait un bon serviteur - C'est bien, serviteur bon et fidčle3 -, et c'est de
cette maničre que le Seigneur les appelle serviteurs. L'autre est la servitude
qu'entraîne la crainte servile, au sujet de laquelle Matthieu dit : Serviteur
mauvais, je t'ai
remis toute cette somme parce que tu m'as supplié4. Et de cette servitude, le Seigneur dit : Je ne vous appellerai plus
serviteurs.
1. Jn 15,
15.
2. Saint
Augustin distingue la crainte Ť que bannit la charité ť de la crainte
Ť chaste ť (Ps 18, 10). Voir son Commentaire de la Premičre Épître
de S. Jean, IX, 4-8, SC 75, Cerf 1994, p. 385-395 ; La Cité de
Dieu, XIV, ix, 5, BA 35, p. 395-397. Saint Thomas, reprenant saint
Augustin, distingue plus précisément quatre sortes de crainte : la crainte
humaine ou mondaine, la crainte servile, la crainte filiale et la crainte
initiale. Ť Nous traitons ici de la crainte selon que, de quelque façon,
elle nous tourne vers Dieu ou nous détourne de lui. En effet, puisque l'objet
de la crainte est un mal, parfois l'homme s'éloigne de Dieu ŕ cause des maux
qu'il craint, et c'est la crainte humaine ou mondaine. Parfois au contraire
l'homme, en raison du mal qu'il craint, se tourne vers Dieu et s'attache ŕ lui.
Ce dernier mal est double : mal de peine et mal de faute. Si l'on se tourne
vers Dieu et que l'on s'attache ŕ lui par crainte de la peine, il y aura
crainte servile. Si c'est par crainte de la faute, il y aura crainte filiale,
car ce sont les fils qui craignent d'offenser leur pčre. Si l'on craint en męme
temps la faute et la peine, c'est la crainte initiale, qui est intermédiaire
entre la crainte filiale et la crainte servile ť (Somme théol, II-II,
q. 19, a. 2, c). Citons aussi ce trčs beau passage oů saint Thomas se demande
si la crainte est le commencement de la sagesse : Ť La crainte est le
commencement de la sagesse, de façon différente dans la crainte servile et dans
la crainte filiale. La crainte servile est commencement en ce sens qu'elle
dispose de l'extérieur ŕ la sagesse chrétienne : craignant la peine, le pécheur
s'éloigne du péché et ainsi se dispose ŕ recevoir l'effet de la sagesse - La
crainte du Seigneur bannit le péché (Si 1, 27 [verset propre ŕ la Vulgate]).
Mais la crainte chaste ou filiale est le commencement de la sagesse en ce sens
qu'elle est son premier effet. Puisqu'il appartient ŕ la sagesse d'ordonner la
vie humaine selon la pensée de Dieu, c'est en s'appuyant sur ce principe que
l'homme doit révérer Dieu et se soumettre ŕ lui ; c'est ainsi que, par
conséquent, il sera ordonné en toutes choses selon Dieu ť (loc. cit., a.
7, c). Et encore : Ť La crainte de Dieu joue, par rapport ŕ toute vie
humaine ordonnée par la sagesse de Dieu, le rôle de la racine ŕ l'égard de
l'arbre - La racine de la sagesse est la crainte du Seigneur
et ses rameaux sont une longue vie (Si 1, 20). Et c'est pourquoi, de
męme qu'on dit de la racine qu'elle est virtuellement tout l'arbre, de męme
dit-on de la crainte de Dieu qu'elle est la sagesse ť (loc. cit., ad
2). Au sujet de la distinction entre crainte filiale ou chaste et crainte
mondaine, voir vol. I, n° 969, note 9.
3. Mt 25,
23.
La récompense
1784. Ensuite, il confirme la conclusion en exposant la récompense. D'abord
il présente la récompense, puis il en écarte un de cette récompense [n° 1786].
SACHANT CELA, HEUREUX SEREZ-VOUS, SI VOUS LE FAITES !
(13, 17)
1785. Il dit donc : SACHANT CELA, autrement dit : tu nous dis ce qu'assurément nous n'ignorons pas.
Pourquoi donc nous le dis-tu ? Parce que, dis-je, SACHANT CELA, ce qui est
certes le propre de tous, cependant HEUREUX SEREZ-VOUS, SI VOUS LE FAITES, ce
qui est le propre d'un petit nombre.
Et il dit SACHANT et SI VOUS LE
FAITES parce que, comme il est dit dans Luc : Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu
et qui la gardent5.
- Une bonne intelligence ŕ tous ceux qui la pratiquent0. Et ŕ l'opposé : Celui qui sait faire le
bien et qui ne le fait pas, il y a péché pour lui1.
CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE ; MOI, JE
CONNAIS CEUX QUE J'AI CHOISIS. MAIS C'EST POUR QUE L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE :
<Ť CELUI QUI MANGE LE PAIN AVEC MOI, LČVERA CONTRE MOI SON
TALON. ť DČS A PRÉSENT JE VOUS LE DIS, AVANT QUE CELA N'ARRIVE : POUR QUE
QUAND CELA ARRIVERA VOUS CROYIEZ QUE MOI JE SUIS. (13, 18-19)
1786. Lŕ il en écarte un en disant : CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE.
D'abord il indique cette exception en
la montrant [n° 1787],
puis en répondant ŕ une question tacite [n° 1788]. Ensuite il donne la raison
de cette exception [n° 1790] et enfin la raison pour laquelle il montre
l'exception [n° 1792].
4. Mt 18,
32.
5. Lc 11,
28.
6. Ps
110, 10.
7. Je 4,
17.
CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE.
1787. Ici, il montre l'exception. Autrement dit : HEUREUX SEREZ-VOUS,
cependant non pas tous, parce que CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE PARLE quand
je dis que vous parviendrez ŕ la béatitude - Tous courent, mais un seul
remporte le ρήχ1. Il
y a en effet parmi vous quelqu'un, Judas, qui ne sera pas heureux, qui ne le
fera pas.
Mais, selon Origčne2, le Seigneur ne dit pas HEUREUX SEREZ-VOUS d'une maničre
absolue ; il pose une condition en disant : SI VOUS LE FAITES. Et cela
assurément est vrai pour tous, męme pour Judas. Si en effet Judas l'avait fait,
il aurait été heureux. C'est pourquoi il veut restreindre plus ce qu'il dit :
LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR, autrement dit : je dis que
vous ętes serviteurs et apôtres, cependant CE N'EST PAS DE VOUS TOUS QUE JE
PARLE. Judas, en effet, étant donné qu'il était serviteur du péché, n'était pas
serviteur du Verbe divin ni Apôtre, le diable étant entré dans son cur.
MOI, JE CONNAIS CEUX QUE J'AI CHOISIS.
1788. Mais on pourrait dire : du fait qu'il ne dit pas de tous qu'ils doivent
ętre heureux, ou ętre ses apôtres, c'est donc par imprévu que quelqu'un de son
collčge va périr. C'est pourquoi le Seigneur, répondant ŕ cela, dit : MOI, JE
CONNAIS CEUX QUE J'AI CHOISIS, autrement dit : ceux qui ont été choisis ne
périront pas.
Mais tous n'ont pas été choisis.
Celui-lŕ donc périra qui n'a pas été choisi, c'est-ŕ-dire Judas - Ce n'est
pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis3.
1789. Mais ŕ cela s'oppose ce qui est dit plus haut : N'est-ce pas moi qui
vous ai choisis, vous les Douze ?4 Donc, puisque Judas était l'un des Douze, il semble qu'il ait été
choisi.
Il faut dire qu'il y a deux choix.
L'un est pour la justice présente, et selon celui-lŕ Judas fut choisi. L'autre
choix est en vue de la grâce finale, et selon celui-lŕ Judas ne fut pas choisi5.
MAIS
C'EST POUR QUE L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE : Ť CELUI QUI MANGE LE PAIN AVEC
MOI, LČVERA CONTRE MOI SON TALON. ť
1790. La raison de cette exception est POUR QUE
L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE. Et ici l'Écriture annonce ŕ l'avance non parce qu'elle oblige, mais parce
que ce qui devait arriver, elle ne l'a pas tu - Il faut que s'accomplisse tout
ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moďse, les Prophčtes et les Psaumes6. - Pas un i, pas un point sur l'i, ne passera de la Loi, jusqu'ŕ ce
que tout cela arrive1. Ici l'Écriture dit : CELUI QUI MANGE
LE PAIN AVEC MOI, LČVERA CONTRE MOI SON TALON. Il existe de ce verset une autre
traduction oů nous lisons : Męme l'homme de ma paix, en qui j'espérais, lui
qui mangeait mon pain, a levé contre moi le talon8.
Lŕ est montrée la familiarité de
Judas ŕ l'égard du Christ, quand il dit : CELUI QUI MANGE LE PAIN AVEC MOI Judas
en effet, avec les
autres disciples, a mangé le pain avec le Christ, męme le pain consacré.
1. 1 Co
9, 24.
2. Comm.
sur saint Jean, XXXII, xm, § 148-151, SC 385, p. 253.
3. Jn 15,
16.
4. Jn 6,
71.
5. Voir saint Augustin, Tract, in Io., LIX,
1, BA 74A, p. 119 Judas a été choisi, certes, pour accomplir une uvre
nécessaire, mais non pour parvenir ŕ la béatitude, comme les onze autres
disciples. Sur la prédestination, voir surtout vol. I, n" 938, note
1 ; n° 1301, note 11 ; n° 1373, note 12 ; et aussi ci-dessous,
n° 2218.
6. Lc 24,
44.
7. Mt 5,
18.
8. Ps 40,
10.
De męme nous est montrée sa tentative
maligne contre le Christ : LČVERA CONTRE MOI SON TALON, c'est-ŕ-dire qu'il
essaiera de me fouler aux pieds. En effet, c'est avec le talon que nous
écrasons nos ennemis - Celle-ci te brisera la tęte, et toi, tu la viseras au
talon1. On dit donc
que quelqu'un lčve son talon contre un autre quand il essaie de l'écraser. Mais
cela Judas ne le pourra pas ; parce que lŕ oů il croit m'écraser, de lŕ je
serai exalté. Plus haut : Et moi, quand j'aurai été élevé de terre,
j'attirerai tout ŕ moi2.
1791. En regardant l'exemple de Judas qui, devenu possesseur de biens
infinis, récompensa son bienfaiteur dans le sens contraire, nous avons un
exemple pour ne pas ętre scandalisés si parfois nous souffrons quelques maux de
la part de serviteurs ou de gens de trčs peu de valeur. Le Seigneur a choisi
Judas, sachant qu'il serait mauvais, pour faire comprendre qu'aucune société
humaine n'existerait sans quelque mélange de mal - Comme le lis entre les
épines, ainsi est ma bien-aimée entre les jeunes femmes3". C'est pourquoi Augustin dit dans une lettre4 Ť Je n'ose pas prétendre que ma maison soit meilleure que
l'assemblée des Apôtres. ť
L'exemple nous est encore donné pour
que, s'il arrive que quelqu'un admis par un prélat dans la société de l'Église
devienne mauvais, cela ne soit par pour la condamnation de ce prélat. Voilŕ en
effet que Judas, choisi par le Christ, est devenu le traître. Ainsi aussi
Philippe prit Simon le magicien5 - Rend-on le mal pour le bien,
puisqu'ils ont creusé une fosse pour mon âme ?6 - Les ennemis de l'homme, les gens de sa maison (...)7
DČS Ŕ
PRÉSENT JE VOUS LE DIS, AVANT QUE CELA N'ARRIVE : POUR QUE QUAND CELA ARRIVERA
VOUS CROYIEZ QUE MOI JE SUIS. (13, 19)
1792. Il poursuit en indiquant la cause pour laquelle il a fait cette
exception. Autrement dit : longtemps, j'ai tu sa malice, mais parce que c'est
le moment de la faire paraître en public, DČS Ŕ PRÉSENT JE VOUS LE DIS,
c'est-ŕ-dire je le manifeste, AVANT QUE CELA N'ARRIVE : POUR QUE QUAND CELA
ARRIVERA VOUS CROYIEZ QUE MOI JE SUIS, moi qui prédis ce qui doit arriver et manifeste
les secrets du cur8, ce qui est le propre de Dieu - Pervers
est le cur de l'homme, et insondable : qui peut le pénétrer ? Moi, le
Seigneur, je scrute le cur et je sonde les reins9. - Annoncez-nous ce qui arrivera, et
nous saurons que vous ętes des dieux 10. - Moi je suis celui qui suis11.
La dignité de ceux auxquels il lave
les pieds
AMEN,
AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI QU'IL
REÇOIT ; ET QUI ME REÇOIT, REÇOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ. (13, 20)
1793. La conclusion qu'il a donnée, il la confirme ensuite ŕ partir de la
dignité de ceux auxquels il a lavé les pieds. Leur dignité est si grande que
les gestes de service empressés ŕ leur égard semblent en quelque sorte
rejaillir sur Dieu, mais cependant selon un certain degré, c'est-ŕ-dire parce que ce qui est fait aux
fidčles du Christ rejaillit sur Dieu le Pčre.
1. Gn 3,
15.
2. Jn 12,
32.
3. Ct 2,
2.
4. Lettre
78, § 8, CSEL, vol. XXXIII, p. 344.
5. Cf. Ac 8, 13.
6. Jr 18, 20.
7. Mt 10, 36.
8. 1 Co 14, 25 ; cf. Rm 2, 16.
9. Jr 17, 9-10.
10. Is
41, 23.
11. Ex 3,
14.
En premier lieu, il montre comment ce
qui est fait aux disciples du Christ rejaillit sur le Christ. Et quant ŕ cela
il dit : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS. Autrement dit : vraiment vous devez vous
laver les pieds, parce que QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI
QU'IL REÇOIT. Le service qui est prodigué ŕ ceux que moi j'envoie, je me
l'attribue - Qui vous accueille, m'accueille1.
En second lieu, il montre comment le
service prodigué au Christ rejaillit sur le Pčre, en disant : QUI ME REÇOIT,
REÇOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ. Plus haut il avait dit : Afin que tous honorent
le Fils comme ils honorent le Pčre2.
Selon Origčne 3, on peut comprendre cela de deux maničres. D'une premičre maničre en
unissant, et alors voici le sens : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ,
C'EST MOI QU'IL REÇOIT ; ET QUI ME REÇOIT, REÇOIT CELUI QUI M'A
ENVOYÉ ; c'est-ŕ-dire : qui reçoit ceux que j'ai envoyés, reçoit aussi le
Pčre. Qui donc reçoit quelqu'un que j'aurai envoyé, reçoit le Pčre.
D'une autre maničre, en distinguant,
et voici le sens : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI QU'IL
REÇOIT. C'est vrai d'une maničre sensible, mais QUI ME REÇOIT, c'est-ŕ-dire en
tant que je viens spirituellement dans les âmes - Que le Christ habite en
vos curs par la foi4 -, REÇOIT CELUI QUI M'A ENVOYÉ, c'est-ŕ-dire
le Pčre. Non seulement moi je demeurerai en lui, mais aussi le Pčre - Nous
viendrons ŕ lui, et nous ferons chez lui notre demeure5.
1794. Mais ŕ partir de cela, Arius s'efforce de confirmer son erreur : le
Seigneur dit que celui qui reçoit celui que lui-męme envoie, le reçoit
lui-męme, et que celui qui le reçoit lui-męme, reçoit le Pčre. Donc le rapport
est le męme entre le Pčre qui envoie et son Fils, et entre le Fils qui envoie
et ses disciples. Mais le Christ qui envoie est plus grand que les disciples
qui sont envoyés. Donc le Pčre est plus grand que le Fils.
Ŕ cela il faut répondre, selon
Augustin6, que dans le Christ il y eut deux
natures : la nature humaine et la nature divine7. Il parle donc d'une part selon la
nature humaine, en disant : QUI REÇOIT QUELQU'UN QUE J'AURAI ENVOYÉ, C'EST MOI,
en tant qu'homme, QU'IL REÇOIT, moi qui partage avec eux une męme nature ;
et, d'autre part, selon la divinité : QUI ME REÇOIT, comme Dieu, REÇOIT CELUI
QUI M'A ENVOYÉ, moi qui suis avec lui une seule nature. Ou bien : QUI REÇOIT
celui que moi j'envoie, ME REÇOIT, moi dont l'autorité est en eux ; et QUI
ME REÇOIT, reçoit le Pčre dont l'autorité est en moi. Ainsi dans ces paroles
est contenue comme la médiation8 du Christ entre Dieu et l'homme - Le
médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-męme (
)9
1. Mt 10,
40.
2. Jn 5,
23.
3. Comm.
sur saint Jean, XXXII, xvII, §
212-213, SC 385, p. 277.
4. Ep3, 17.
5. Jn 14, 23.
6. Tract, in Io., LIX, 3, BA 74A, p. 123-125.
7. Voir
ci-dessus n° 1711, note 3.
8. Voir
n° 2201, note 5.
9. 1 Tm
2, 5.
1795. Plus haut l'Évangéliste montre l'exemple que le Christ donna ŕ ses disciples. Ici il montre cette défaillance des disciples que Jésus leur annonce, ŕ eux qui n'étaient pas encore capables de le suivre. Il montre d'abord la défaillance du disciple qui le trahit, puis la défaillance du disciple qui le renia [n° 1840].
L'Évangéliste annonce la trahison du disciple, puis sa séparation d'avec eux, ou son départ [n° 1825].
L'annonce de la trahison future est
exposée, et d'abord le crime de trahison, ensuite la personne du traître [n°
1800].
Puis, pour confirmer la vérité de
cette prédiction, l'exécution de la trahison elle-męme [n° 1814].
La trahison.
I
AYANT
DIT CELA, JÉSUS FUT TROUBLE EN SON ESPRIT ET IL ATTESTA ET DIT : Ť AMEN,
AMEN, JE VOUS DIS QUE L'UN D'ENTRE VOUS ME LIVRERA. ť (13, 21)
1796. L'Évangéliste présente d'abord le sentiment de celui qui annonce, puis
ce qui est effectivement annoncé. Celui qui annonce est donc le Christ, qui est
affecté jusqu'au trouble. Et quant ŕ cela il dit : AYANT DIT CELA, en les
réinvitant ŕ la charité dont il voyait le disciple traître privé, JÉSUS FUT
TROUBLÉ EN SON ESPRIT.
Ŕ ce sujet il faut savoir que le
trouble désigne un certain mouvement. Cela apparaît dans ce qui a été dit plus
haut1 L'ange du Seigneur descendait de
temps en temps dans la piscine, et l'eau s'agitait. Et ensuite2 Seigneur, je n'ai personne pour me
jeter dans la piscine quand Veau a été troublée. Et il est dit indifféremment que l'eau est
troublée et qu'elle est mue. C'est aussi de cette maničre que nous disons que
la mer est troublée quand elle est agitée. Donc le trouble de l'âme désigne son
mouvement. Mais certains actes de l'âme sont sans mouvement du corps, ŕ savoir
les actes de la partie intellective.
1. Jn 5,
4.
2. Jn 5,
7.
Les actes de l'appétit sensible
s'accompagnent d'un mouvement du corps : c'est pourquoi les affections de
l'appétit sensible sont appelées passions. Et parmi toutes les affections ou
les passions de l'appétit sensible, c'est la tristesse1 qui a le plus la puissance de mouvoir. En
effet la jouissance, puisqu'elle exprime le repos dans le bien présent, a
davantage le sens de repos que de mouvement. De męme la crainte, puisqu'elle
porte sur un mal futur, meut moins que la tristesse qui porte sur le mal
présent. Et de lŕ vient que c'est surtout la tristesse qu'on appelle trouble de
l'âme. Jésus donc fut troublé, c'est-ŕ-dire attristé.
1797. Il faut remarquer ici que certains philosophes, ŕ savoir les stoďciens,
disent qu'un trouble et des passions de cette sorte ne viennent pas chez le
sage. Selon eux, en effet, le sage a beau craindre, se réjouir et désirer, en
aucune façon cependant il n'est attristé. Mais leur erreur apparaît clairement
du fait que Jésus, qui est la Sagesse souveraine, a été troublé.
Il faut cependant savoir qu'il existe
deux troubles. L'un provient de la chair, quand quelqu'un est triste ou troublé
ŕ partir d'une perception sensible, au-delŕ du jugement de la raison. Ce
trouble se borne parfois aux limites de la raison et ne l'obnubile en aucune
maničre. Et cette passion n'est pas parfaite, elle est appelée par saint Jérôme
Ť propassion2 ť. Et elle peut se trouver chez
le sage. Mais parfois elle excčde la limite de la raison et la trouble, alors
elle n'est pas seulement une passion, mais aussi un trouble ; et celui-ci
ne se produit pas chez le sage.
Autre est le trouble qui procčde de
la raison, c'est-ŕ-dire quand, ŕ partir d'un jugement et d'une délibération de
sa raison, quelqu'un est troublé dans son appétit sensible. Et c'est ce trouble
que connut le Christ. C'est pourquoi, l'Évangéliste dit clairement qu'il FUT
TROUBLÉ EN SON ESPRIT, et ce trouble qu'il y eut dans l'appétit sensible fut
dans le Christ ŕ partir du jugement de sa raison. C'est pourquoi, plus haut3, il dit qu'il se troubla. Dans le Christ, en effet, tout
provenait de la délibération de la raison, męme ce qui se trouve dans la partie
inférieure de l'appétit sensible. C'est pourquoi il n'y eut pas dans le Christ
ces mouvements soudains de sensibilité.
1798. Mais Jésus voulut ici ętre troublé pour deux raisons. D'abord certes
pour l'instruction de notre foi. Car sa Passion et sa mort, que la nature
humaine fuit naturellement, étaient imminentes ; et quand il les sent
imminentes pour lui, il s'en attriste comme d'un mal et un danger pour lui déjŕ
présents. Donc, pour montrer qu'il avait une vraie nature humaine, il voulut
ętre affecté jusque dans son âme elle-męme par ce trouble qui provient du
jugement de la raison. Par lŕ est exclue l'erreur d'Apollinaire qui dit que
dans le Christ il n'y eut pas d'âme, mais le Verbe ŕ la place de l'âme4.
En second lieu, pour notre édification.
En effet, selon Augustin5, le Christ voyait que le traître
allait sortir afin de conduire les Juifs vers lui pour qu'ils le prennent. Et,
par cela, il se trouvait séparé du collčge des saints et recevait contre lui la
sentence de mort. C'est pourquoi le Christ, par un sentiment de piété,
s'attristait pour lui, donnant par cela aux prélats cet exemple ; que si
parfois il leur arrive de proférer une sentence dure contre ceux qui leur sont
soumis, ils la profčrent d'un cur douloureux - Le juste me corrigera dans la miséricorde1. Car lui-męme, voulant manifester aux autres
la séparation de Judas, FUT TROUBLÉ EN SON ESPRIT ET IL ATTESTA, afin que Judas
ne trahît pas dans l'ignorance, ET [IL] DIT : Ť AMEN, AMEN, JE VOUS DIS
QUE L'UN D'ENTRE VOUS ME LIVRERA. ť
1. Au
sujet des passions voir ci-dessus, n" 1651, note 2. Sur la tristesse, voir
Somme théol, I-II, q. 35 ŕ 38.
2. Commentaire
sur Saint Matthieu, I, 1 (5, 28), SC 242, p. 119. Cf. aussi Lettre LXXIX
ŕ Salvina, § 9, éd. Labourt, p. 104 (oů saint Jérôme, deux ans ŕ peine
aprčs le commentaire de Matthieu, rend le terme grec propatheia non plus
par propassio mais par antepassio).
3. Jn 11,
33.
4. Voir
la réfutation d'Apollinaire par saint Thomas dans la Somme
théologique, III, q. 5, a. 4, c.
5. Tract, in Io., LX, 1, BA 74A, p. 129. (Le développement sur la charité que le prélat doit avoir
envers ceux qu'il condamne ne provient pas de l'homélie de saint Augustin.)
1799. Le Christ dit clairement L'UN D'ENTRE VOUS, de ceux qui ont été choisis
pour le collčge saint, pour donner ŕ entendre qu'aucun collčge ne sera si saint
qu'on ne puisse trouver en lui quelque pécheur et méchant - Alors que les
fils de Dieu étaient venus se présenter devant le Seigneur, Satan vint aussi
parmi eux2. Il dit UN, et non pas deux ou plusieurs, pour ne pas sembler maudire le
collčge, mais seulement le traître issu du collčge des Apôtres. Car le collčge
[tout entier] ne doit pas ętre jugé mauvais ŕ cause d'un seul homme mauvais
issu de ce collčge. Alors que s'il y avait plusieurs mauvais le collčge
pourrait ętre jugé mauvais.
L'UN, dit-il, D'ENTRE VOUS, quant au
nombre et non quant au mérite ou au lien de l'esprit - Ils sont sortis de chez nous, mais ils n'étaient pas
des nôtres. S'ils avaient été des nôtres, ils seraient restés avec nous3 -, ME LIVRERA, c'est-ŕ-dire : ME LIVRERA,
moi, dis-je, le Maître, moi le Seigneur, moi le Sauveur.
1. Ps
140, 5.
2. Jb 1,
6.
3. 1 Jn
2, 19.
II
LES
DISCIPLES SE REGARDAIENT DONC LES UNS LES AUTRES, NE SACHANT PAS DE QUI IL
PARLAIT. Ŕ TABLE, TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS, ÉTAIT ALLONGÉ UN DE SES
DISCIPLES, CELUI QUE JÉSUS AIMAIT. SIMON-PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT
: Ť QUI EST CELUI DONT IL PARLE ? ť CELUI-CI, SE RENVERSANT SUR
LA POITRINE DE JÉSUS, LUI DIT : Ť SEIGNEUR, QUI EST-CE ? ť JÉSUS
RÉPONDIT : Ť C'EST CELUI Ŕ QUI MOI J'OFFRIRAI LE PAIN TREMPÉ. ť ET
AYANT TREMPÉ LE PAIN, IL LE DONNA Ŕ JUDAS, FILS DE SIMON L'ISCARIOTE. ET APRČS
LA BOUCHÉE, SATAN ENTRA EN LUI (13, 22-27)
1800. L'Évangéliste désigne d'une maničre cachée la personne du traître. Et
tout d'abord il montre ce qui en fut l'occasion, puis la désignation de la
personne [n° 1808], enfin son effet [n° 1810].
Or l'occasion est double :
l'hésitation commune des disciples et l'interrogation du disciple aimé d'un
amour de prédilection [n° 1802].
L'occasion pour désigner le traître
LES
DISCIPLES SE REGARDAIENT DONC LES UNS LES AUTRES, NE SACHANT PAS DE QUI IL
PARLAIT.
1801. Il faut savoir que les bons disciples avaient pour le Christ une trčs
grande charité, et une trčs grande fermeté de foi. Assurément, en raison de
cette charité, chacun d'entre eux présumait qu'aucun ne le renierait. Mais, par
la fermeté de leur foi, ils tenaient pour absolument certain que la parole du
Christ ne pouvait ętre fausse. Et c'est pourquoi, bien qu'ils n'eussent pas
conscience d'avoir en eux-męmes quelque chose de mauvais, ils estimaient
cependant que la prédiction du Christ était plus vraie et plus crédible que
leurs propres pensées. C'est pourquoi, se rappelant qu'ils étaient des hommes
et que le sentiment de l'homme, męme celui des plus avancés, est changeant de
telle sorte qu'il peut vouloir le contraire de ce qu'il a d'abord voulu, ils
doutaient plus d'eux-męmes que de la vérité du Christ. Et c'est pourquoi ils SE
REGARDAIENT DONC LES UNS LES AUTRES, NE SACHANT PAS DE QUI IL PARLAIT - Que celui qui croit tenir debout, prenne garde de tomber1. -Si j'avais
été lavé comme dans de l'eau de neige, et si mes mains brillaient comme étant
trčs pures, cependant tu me plongerais dans la fange2.
Ŕ
TABLE, TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS, ÉTAIT ALLONGÉ UN DE SES DISCIPLES, CELUI
QUE JÉSUS AIMAIT. SIMON-PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT : Ť QUI EST
CELUI DONT IL PARLE ? ť CELUI-CI, SE RENVERSANT SUR LA POITRINE DE
JÉSUS, LUI DIT : Ť SEIGNEUR, QUI EST-CE ? ť
1802. Ici est exposée l'interrogation du disciple. D'abord est décrite sa
familiarité envers le Christ, puis ce qui l'a poussé ŕ interroger [n° 1805],
enfin son interrogation elle-męme [n° 1807].
Ŕ
TABLE, TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS, ÉTAIT ALLONGÉ UN DE SES DISCIPLES, CELUI
QUE JÉSUS AIMAIT. (13, 23)
1803. La familiarité du disciple envers le Christ est montrée dans le fait
qu'il reposa sur lui ; c'est pourquoi il dit : ÉTAIT ALLONGÉ
UN DE SES DISCIPLES.
Ce disciple fut Jean l'Évangéliste,
qui écrivit cet Évangile, et qui parle de lui ŕ la troisičme personne, voulant
éviter la vantardise, suivant la coutume de ceux qui écrivirent les Écritures
sacrées 3. Ainsi Moďse, dans ses livres, parle
de lui comme de quelqu'un d'autre, en disant : Le Seigneur a parlé ŕ Moďse en lui
disant4. De męme Matthieu : Jésus vit un homme
assis au bureau de percepteur d'impôts, du nom de Matthieu5. Et Paul : Je connais un homme dans
le Christ (...), cet homme-lŕ fut ravi jusqu'au troisičme ciel6.
1804. Jean évoque ici trois choses ŕ son sujet. En premier lieu l'amour avec
lequel il se reposait dans le Christ, en disant qu'il ÉTAIT ALLONGÉ,
c'est-ŕ-dire qu'il se reposait - Tu abonderas en délices dans le
Tout-Puissant, tu lčveras vers Dieu ton visage1'. - Vers les eaux du repos, il m'a conduit8. En second lieu, la connaissance de secrets
que le Christ lui révélait, et spécialement dans la rédaction de cet Évangile.
C'est pourquoi il dit qu'il ÉTAIT ALLONGÉ TOUT CONTRE LE SEIN DE JÉSUS. Par le
sein, en effet, on signifie le secret9. Plus haut
: L'unique engendré, qui est dans le sein du Pčre, lui-męme l'a fait connaître10. En troisičme lieu, la dilection spéciale dont le Christ
l'aimait ; c'est pourquoi il dit : CELUI QUE JÉSUS AIMAIT. Il l'aima non
d'une maničre singuličre, mais pour ainsi dire d'une façon plus excellente que
les autres.
1. 1 Co
10, 12.
2. Jb 9,
30-31.
3. C'est
ŕ cinq reprises que, dans son évangile, Jean parle du disciple que Jésus aimait, et cela sans se nommer explicitement -
Jn 13, 23 ; 19, 26 ; 20, 2 ; 21, 7 ; 21, 20. En effet, du
vivant des premiers disciples et Apôtres du Christ, il était difficile pour
Jean de parler de lui-męme comme du disciple bien-aimé, celui que Jésus aimait.
C'est la Tradition de l'Église, uvre de l'Esprit Saint dans le cur des saints,
qui permet cette explicitation. Avant saint Thomas, citons saint Augustin,
Tract, in Io., LXI, 4, BA 74A, p. 147-149 Ť C'était en effet la coutume
de ceux qui nous ont donné les Saintes Écritures : quand l'histoire divine
était racontée par l'un d'entre eux, lorsqu'il en arrivait ŕ lui-męme, il en
parlait comme d'un autre et il se situait dans le déroulement de son écrit
comme rapportant ce qui s'était passé, non comme se pręchant lui-męme. (...)
C'est pourquoi ici encore, si le bienheureux Évangéliste ne dit pas : Je
reposais sur le sein de Jésus, mais dit : L'un des disciples reposait, nous
avons ŕ reconnaître l'habitude de nos écrivains plus qu'ŕ nous étonner. En
effet, qu'est-ce que la vérité y perd, puisque la chose elle-męme est dite et
que d'une certaine maničre est évitée la vanité de la dire ? Il racontait
lŕ en effet ce qui avait été fait ŕ sa louange la plus grande ť. Voir
aussi op. cit., note complémentaire 12, p. 418.
4. Ex 6,
2. Voir aussi Ex 3, 14 ; 4, 4 ; 4, 19, etc.
5. Mt 9,
9.
6. 2 Co
12, 2.
7. Jb 22,
26.
8. Ps 22,
2.
9. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXI,
5 et 6, BA 74A, p. 149-151 Ť Le
sein de la poitrine est ici sans aucun doute le secret de la sagesse ť.
10. Jn 1,
18.
Comment il l'a aimé d'une façon plus
excellente que les autres, on le dit davantage ŕ la fin de ce livre !.
Mais pour le moment, il faut savoir que Jean fut plus aimé du Christ ŕ cause de
trois choses. En premier lieu ŕ cause de la limpidité de sa pureté : choisi
vierge par le Seigneur, il est toujours demeuré vierge - Celui qui aime la pureté du cur et qui a la grâce sur
ses lčvres aura
le roi pour ami2. En second lieu ŕ cause de la
sublimité de sa sagesse, parce que son regard a pénétré les secrets de la
divinité plus profondément que les autres. C'est aussi pourquoi on le compare ŕ
un aigle3 -
Le serviteur intelligent est agréable au roi4. Enfin ŕ cause de la ferveur véhémente de son amour pour le Christ - Moi
[dit la Sagesse]
j'aime ceux qui m'aiment5.
1. Voir
ci-dessous, n° 2639 et note 3.
2. Pr22,
11.
3. Saint
Thomas compare ici saint Jean ŕ un aigle. Dans son Commentaire sur haďe, ce
sont tous les saints qu'il compare aux aigles : Ť Les saints sont comparés
aux aigles ŕ cause de la hauteur de
leur vol - Est-ce ŕ ton ordre que l'aigle s'élčvera, et placera son
nid dans les lieux les plus élevés ? Dans les pierres il demeure et il
fait son séjour sur des rocs escarpés et des rochers inaccessibles (Jb 39,
27-28) ; par lŕ est
désignée l'éminence de leur contemplation - Ses yeux verront le roi dans sa
splendeur, ils apercevront la terre de loin (Is 33, 17). Ŕ cause
de la subtilité de leur odorat -
Lŕ oů sera le corps, lŕ aussi se rassembleront les aigles (Le 17,
37) ; par lŕ est désignée la ferveur de leur amour - Entraîne-moi aprčs
toi (Ct 1, 3). Ŕ cause de la sublimité de leur lieu - Trois choses sont
difficiles pour moi, et la quatričme je l'ignore entičrement : la voie de
l'aigle dans le ciel (...) (Pr 30,
18-19) ; par lŕ est désignée l'ardeur de leur
séjour céleste - Notre séjour se trouve dans les deux (Ph 3, 20). Ŕ
cause de la rapidité de leur mouvement - Nos persécuteurs ont été plus
rapides que les aigles du ciel (Lm 4, 19) ; par lŕ est désignée leur promptitude ŕ bien agir - As-tu vu un
homme prompt dans son uvre ? Il se tiendra devant les rois et il ne sera
pas devant les hommes obscurs (Pr 22, 29). A cause de leur rajeunissement -
Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l'aigle (Ps 102, 5) ; par lŕ est désigné leur zčle ŕ se
purifier et ŕ progresser - Bien qu'en nous l'homme extérieur se détruise,
cependant l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour (2 Co 4, 16). Ŕ
cause de la beauté de leurs membres - L'Aigle énorme aux grandes ailes, aux
longs membres, plein de plumes variées vint sur le Liban (...) (Ez 17,
3) ; par lŕ est désigné l'éclat de leurs vertus - Tu es toute belle ma
bien-aimée, et aucune tache n'est en toi (Ct 4, 7). Ŕ cause de leur
sollicitude pour leurs fils - Comme un aigle qui provoque ses petits ŕ voler
et voltige sur eux (Dt 32, 11) ; par lŕ est désignée la sollicitude
des saints - Qui est faible sans que je ne sois faible ? Qui est
scandalisé sans que je ne brűle ? (2 Co 11, 29) ť (Exp. super Isaiam, 40, 31, p. 172, 1. 289-303).
4. Pr 14,
35.
5. Pr8,
17.
SIMON-PIERRE
LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT : Ť QUI EST CELUI DONT IL
PARLE ? ť
1805. L'Évangéliste montre ici ce qui pousse Pierre ŕ interroger. Mais
puisque faire signe, c'est faire comprendre sans recourir ŕ la parole, pourquoi
dit-il : PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT ?
Il faut répondre : on dit que nous
Ť disons ť quelque chose quand nous pensons quelque chose
intérieurement, selon les paroles du psaume : L'insensé dit dans son cur6. On peut donc d'autant plus affirmer que nous
Ť disons ť quelque chose quand nous indiquons déjŕ extérieurement,
par telle ou telle sorte de signes, ce qui avait été conçu en notre cur. Et
voici le sens : SIMON-PIERRE LUI FAIT DONC SIGNE ET LUI DIT, ŕ savoir il dit en
faisant un signe7.
Ou bien on peut dire qu'il indique
tout d'abord par un signe, et qu'ensuite il dit par une parole ce qui suit :
QUI EST CELUI DONT IL PARLE ?, ŕ savoir qui est celui qui le livrera8.
1806. Mais puisque partout dans les évangiles on trouve Pierre toujours
audacieux et le premier ŕ répondre ŕ cause de la ferveur de son amour, pourquoi
se tait-il ici ? Pourquoi confie-t-il ŕ un autre son interrogation ?
Selon Chrysostome9, la raison en est peut-ętre que, puisque auparavant il fut réprimandé
par le Seigneur pour n'avoir pas supporté que celui-ci lave ses pieds et qu'il
avait entendu : Si je ne te lave pas, tu n'auras pas de part avec moi10, il hésitait maintenant ŕ l'importuner ŕ ce sujet. Une
autre raison est que Pierre ne voulait pas que le Seigneur manifestât cela
publiquement, de telle sorte que les autres puissent l'entendre. C'est
pourquoi, parce que lui-męme était éloigné du Christ et qu'il ne l'aurait pas
aussi bien entendu, il poussa Jean, qui était proche du Christ, ŕ l'interroger.
6. Ps 52, 1.
7. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXI, 6, p. 149.
8. Cf. Origčne, Comm. sur saint Jean, XXXII,
XXi, § 274, SC 385, p. 305.
9. In Ioannem hom., LXXII, 1, PG 59, col. 389.
10. Jn
13, 8.
Et il y a aussi ŕ cela une raison
mystique. Par Jean, en effet, on désigne la vie contemplative ; par
Pierre, la vie active. Or Pierre est instruit par le Christ par l'intermédiaire
de Jean, parce que la vie active est instruite des choses divines par la
médiation de la vie
contemplative l - Marie, en effet, assise aux pieds
du Seigneur, écoutait ses paroles. Mais Marthe était absorbée par les multiples
soins du service2.
CELUI-CI,
SE RENVERSANT SUR LA POITRINE DE JÉSUS, LUI DIT : Ť SEIGNEUR, QUI
EST-CE ? ť (13,25)
1807. Ici l'Évangéliste montre l'interrogation elle-męme. Il faut noter que
lorsque Pierre fit signe pour qu'il l'interroge, Jean reposait sur le sein de
Jésus. Mais ŕ présent, quand Jean interroge, il se penche sur sa poitrine. En
effet, la poitrine est plus proche de la bouche que le sein3. Donc Jean, voulant écouter la réponse plus secrčtement et plus
silencieusement, s'éleva du sein ŕ la poitrine.
Au sens mystique, il est ainsi donné
ŕ entendre que plus l'homme veut saisir les secrets de la sagesse divine, plus
il doit s'efforcer de se rapprocher de Jésus, selon le psaume : Approchez-vous
de lui et vous serez illuminés4. Car les secrets de la sagesse divine
sont révélés avant tout ŕ ceux qui sont liés ŕ Dieu par l'amour - Et il
annonce ŕ son ami
que la lumičre est son partage5.
- Son ami est venu et il lα sondé6.
La désignation du traître
JÉSUS
RÉPONDIT : Ť C'EST CELUI A QUI MOI J'OFFRIRAI LE PAIN TREMPÉ. ť ET
AYANT TREMPÉ LE PAIN, IL LE DONNA Ŕ JUDAS, FILS DE SIMON L'ISCARIOTE. (13, 26)
1808. Le Seigneur désigne ici la personne du traître, d'abord par la parole,
ensuite par un geste [n° 1809].
Par la parole en disant : C'EST CELUI
Ŕ QUI MOI J'OFFRIRAI LE PAIN TREMPÉ. Et cette parole peut signifier deux
choses, selon qu'elle peut ętre prise de deux maničres. Si on prend cette
parole ici dans un mauvais sens, elle signifie la simulation de Judas. Car de
męme que le pain trempé est imprégné de ce dans quoi on le trempe et change de
couleur, de męme aussi le simulateur, tandis qu'il porte une chose dans son
cur, en laisse entendre une autre par sa bouche. Et ainsi était Judas, qui
extérieurement prétendait aimer le Maître et dans son cur méditait la trahison
- Ils parlent
de paix ŕ leur prochain, et le mal est dans leur cur.7
Mais si cette parole est prise dans
un bon sens, elle est donnée pour amplifier son ingratitude. En effet le pain
trempé est plus savoureux. Donc pour montrer que bien que Judas ait reçu de
nombreux bienfaits de la part du Christ et que cependant, les oubliant, il le
trahit, le Seigneur lui présente le pain trempé - Mais toi, homme qui vivais avec moi dans un męme esprit, mon guide et mon intime, toi
qui partageais avec moi de douces nourritures (...)l
1. Sur les rapports des deux formes de
vie, la vie active et la vie contemplative, voir Somme théol., II-II, q. 182, oů saint Thomas montre que la vie contemplative
l'emporte en dignité sur la vie active.
Il se réfčre pour cela aux huit points qu'Aristote évoque dans \'Éthique
ŕ Nicomaque, X, 7-8. Voir ci-dessus, n" 1595, note 5.
2. Le 10,
39-40.
3. Sur le
terme sinus, voir vol. I, n° 218.
4. Ps 33,
6. Voir vol. I, n° 1089, note 6.
5. Jb 36,
33 (verset propre ŕ la Vulgate). Sur la lecture que fait saint Thomas de ce
verset, voir vol. I, n° 11, note 4. Saint Thomas commente : Ť II nous est
donné d'apprendre qu'auprčs de lui se trouve une lumičre plus excellente,
c'est-ŕ-dire spirituelle, que Dieu réserve aux hommes en récompense de leur
vertu (...). Il annonce ŕ son ami, c'est-ŕ-dire ŕ l'homme vertueux que Dieu
aime, qu'elle est son partage, ŕ savoir que cette lumičre spirituelle
est un trésor que Dieu réserve ŕ ses amis comme récompense, et qu'on peut
l'atteindre, c'est-ŕ-dire en la méritant par des uvres vertueuses et en se
préparant ŕ la posséder ť (Exp. super lob, 36, 33, p. 193, 1. 25-34).
6. Pr 18,
17.
7. Ps 27,
3.
1809. Le Seigneur révčle la personne du traître par un geste en disant :
AYANT TREMPÉ LE PAIN, IL LE DONNA Ŕ JUDAS, FILS DE SIMON L'ISCARIOTE.
Certains disent ŕ partir de lŕ que ce
pain fut le corps du Christ consacré mais, selon Augustin2, cela n'est pas vrai. Car, comme on le tient des autres évangiles, le
Seigneur alors qu'il était ŕ table donna son corps aux disciples. Et c'est
pourquoi il est évident que Judas reçut en męme temps que les autres disciples
le corps du Christ au cours du repas. Or le Christ, aprčs avoir ŕ peine
commencé le repas, se leva du repas, lava les pieds des disciples, et les ayant
lavés s'assit ŕ nouveau ; et c'est ensuite qu'il donna ŕ Judas le pain
trempé. Il est donc évident que ce n'était pas le corps du Christ3.
L'effet : comment Satan entre dans
l'homme
ET
APRČS LA BOUCHÉE, SATAN ENTRA EN LUI.
1810. Mais ici se pose la question : comment Satan entre-t-il dans
l'homme ?
Ŕ cela il faut répondre que le fait
que Satan entre dans l'homme peut se comprendre de deux maničres. Il peut
entrer dans le corps de l'homme, comme on le voit chez ceux qui sont tourmentés
d'une maničre corporelle par le démon, et ainsi le diable peut entrer
essentiellement dans l'homme.
1. Ps 54, 14-15.
2. Tract, in Io., LXII, 3, BA 74A, p. 157-159.
3. Soulignons
les autres passages (nos 1790 et
1823) oů saint Thomas évoque que Judas semble au contraire avoir mangé le pain
consacré.
Ou bien on peut comprendre qu'il
entre dans l'esprit de telle sorte que le démon pénčtre essentiellement dans
l'esprit. Mais nul ne peut entrer dans l'homme de cette maničre, sinon Dieu
seu1. En effet l'âme rationnelle ne possčde pas les dimensions de la quantité,
de telle sorte que l'on dise que quelque chose est en elle comme contenu dans
ses dimensions. Et ainsi il ne peut rien y avoir en elle sinon celui qui lui
donne d'ętre, qui est lŕ par sa puissance. Je dis donc que celui qui donne ŕ
l'âme d'ętre est dans l'âme par sa puissance. Or lŕ oů est la puissance de
Dieu, lŕ est aussi l'essence de Dieu. En Dieu, en effet, l'essence et la
puissance ne font qu'un. Il est donc manifeste que Dieu est essentiellement
dans l'âme.
On dit cependant que le diable
pénčtre dans l'esprit humain par l'effet et le sentiment de la malice, en tant
que l'homme séduit par lui le suit pour accomplir le mal qu'il suggčre. Et
c'est de cette maničre qu'il entra dans Judas.
1811. Mais puisque l'Évangéliste a dit plus haut : Alors que déjŕ le diable avait jeté dans le cur de
Judas Iscariote, [fils] de Simon, [le dessein] de le livrer*, et qu'il dit ici : SATAN ENTRA EN LUI, il semble
que ce soit autre de Ť jeter dans le cur ť et
d'Ť entrer ť. Mais lŕ il faut préciser que ce n'est pas dit pour
désigner une différence mais pour faire comprendre l'augmentation de sa malice.
En effet on dit que le diable Ť jette quelque chose de mauvais ť dans
le cur de l'homme quand l'homme lui offre son consentement au mal, et que
cependant il se demande avec une certaine agitation s'il doit faire cela. Mais
le diable Ť entre ť dans le cur quand l'homme se donne totalement
pour suivre son instinct et ne lui résiste en rien. Satan entra donc en lui,
pour le posséder pleinement et le pousser ŕ commettre la malice, lui en qui il
avait d'abord mis [l'intention] de tromper1.
4. Jn 13,
2.
1812. On se demande pourquoi, en Luc, on dit que Satan entra en lui avant
qu'il reçűt la bouchée. C'est contraire ŕ ce que Jean dit ici, ŕ savoir
qu'APRČS LA BOUCHÉE, SATAN ENTRA EN LUI.
Réponse : il faut dire qu'alors
(selon Luc) il entra pour susciter la trahison, mais que maintenant (selon
Jean) il entra pour l'exécuter jusqu'au bout et l'achever2.
1813. Mais est-ce que donner la bouchée ŕ Judas aprčs que Satan fut entré en
lui fut un mal ? Réponse : il faut dire que non. Mais Judas lui-męme,
puisqu'il était mauvais, a mal usé du bien. Ainsi quand quelqu'un reçoit d'une
maničre indigne l'Eucharistie, qui est un bien, et le bien le meilleur, il la
reçoit mal et la change pour lui en mal3 parce qu'il mange et boit son
propre jugement4.
L'exécution de la trahison.
ET JÉSUS
LUI DIT : Ť CE QUE TU FAIS, FAIS-LE TRČS VITE. ť OR AUCUN DE CEUX QUI
ÉTAIENT Ŕ TABLE NE SUT POURQUOI IL LUI AVAIT DIT CELA. PARCE QUE JUDAS AVAIT LA
BOURSE, CERTAINS EN EFFET PENSAIENT QUE JÉSUS LUI AVAIT DIT : Ť ACHČTE CE
DONT NOUS AVONS BESOIN POUR LE JOUR DE LA FĘTE ť, OU QU'IL LUI AVAIT DIT
DE DONNER QUELQUE CHOSE AUX PAUVRES. AYANT DONC PRIS LA BOUCHÉE, IL SORTIT
AUSSITÔT. OR C'ÉTAIT LA NUIT. (13, 27-30)
1814. Aprčs avoir exposé l'annonce de la trahison future, l'Évangéliste
expose ici l'accomplissement de la réalité annoncée, c'est-ŕ-dire l'exécution
de la trahison.
En premier lieu, le Seigneur permet ŕ
Judas d'accomplir ce qu'il avait dit. L'Évangéliste expose d'abord les paroles
du Seigneur qui lui permet, ensuite il manifeste l'obscurité des paroles
elles-męmes [n° 1816], enfin il ajoute comment ces paroles furent comprises par
les Apôtres [n° 1819]. En second lieu, l'Évangéliste montre comment cela a été
accompli [n° 1822].
I
CE QUE TU FAIS, FAIS-LE TRČS
VITE.
1815. Assurément ces paroles ne sont pas celles de celui qui commande ou qui
donne un conseil, puisque le péché ne peut arriver ni sous le commandement ni
sous le conseil divin, comme le dit le psaume : Le commandement limpide du
Seigneur illumine les yeux5. Mais ce sont les paroles de celui
qui permet. Car, comme on l'a dit, LE DIABLE AVAIT JETÉ DANS LE CUR DE JUDAS
[LE DESSEIN] DE LE LIVRER - lui, Jésus - et avait déjŕ traité de cela avec les
chefs des prętres ; mais il ne pouvait pas l'accomplir sans que le
Christ lui-męme le lui permît. Parce que, comme il est dit plus haut : Personne
ne m'enlčve mon âme, mais moi je la livre de moi-męme6. - II s'est offert parce que
lui-męme Va voulu7.
Ces paroles sont aussi les paroles de
celui qui blâme ce crime
de la trahison 1 pour montrer que, tandis que
celui-ci (le Christ) conférait des bienfaits, celui-lŕ (Judas) projetait sa
mort - J'argumenterai contre toi et je me dresserai devant ta face2.
1. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXII, 2, BA 74A, p. 157.
2. Cf. saint
Augustin, ibid.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXII, 1, BA 74A, p. 153-155.
4. 1 Co
11, 29.
5. Ps 18,
9. Saint Thomas commente : Ť C'est-ŕ-dire les yeux de
l'intelligence ť (Exp. in Psalmos, 18, n° 5).
6. Jn 10,
18.
7. Is 53,
7 (verset propre ŕ la Vulgate). Saint Thomas commente : Ť Le prophčte
montre ici la douceur de celui qui souffre et il expose tout d'abord cette
douceur par rapport ŕ l'oblation volontaire de lui-męme : Il s'est offert ŕ
Dieu le Pčre pour nous, comme hostie - Je t'offrirai
volontairement un sacrifice (Ps 53, 8) ť (Exp. super Isaiam, 53,
7, p. 215,1. 136-140).
Ce sont encore les paroles de celui
qui aspire ŕ l'uvre de notre rédemption, comme le dit Augustin3. Il n'a cependant pas prévu le crime, mais il l'a prédit, non pas tant
par colčre en vue de perdre le perfide que dans sa hâte de sauver les fidčles.
C'est pourquoi il disait : Je dois ętre baptisé
d'un baptęme, et quel souci m'étreint jusqu'ŕ ce qu'il soit accompliA.
OR AUCUN DE CEUX QUI ÉTAIENT Ŕ TABLE NE SUT POURQUOI IL
LUI AVAIT DIT CELA.
1816. Or les paroles du Seigneur étaient obscures pour les disciples. Et
c'est pourquoi il dit : OR AUCUN DE CEUX QUI ÉTAIENT Ŕ TABLE NE SUT POURQUOI IL
LUI AVAIT DIT CELA. En cela il est donné ŕ entendre que les paroles du Christ
sont tellement profondes et excčdent tellement l'intelligence humaine que nous
ne pouvons pas en saisir plus, si lui-męme ne le révčle - La gloire du
Seigneur est de cacher sa parole5.
1817. Mais ici se pose une question. Alors qu'en effet le Seigneur avait
désigné la personne du traître ŕ Jean, en disant : C'est
celui ŕ qui moi j'offrirai le pain trempé, et qu'il avait donné le pain trempé ŕ Judas,
les disciples semblent avoir été extręmement ignorants de ne pas avoir compris
la parole du Seigneur.
A cela il faut répondre que le
Seigneur avait dit ces paroles d'une maničre cachée, ŕ Jean seulement, pour que
le traître ne soit pas manifesté. La raison en est que Pierre était tellement
fervent dans son amour pour le Christ que s'il avait tenu pour certain que
Judas allait trahir le Christ, il l'aurait tué sur-le-champ6.
1818. Mais comme Jean était l'un des convives, surgit encore une autre
question, ŕ savoir, pourquoi PÉvangéliste a dit qu'AUCUN
DE CEUX QUI ÉTAIENT Ŕ TABLE NE SUT POURQUOI IL LUI AVAIT DIT CELA.
Ŕ cela il faut répondre que
généralement un esprit bon et innocent croit que les autres aussi sont loin de
l'iniquité, iniquité dont eux-męmes se reconnaissent exempts. Donc Jean, parce
qu'il était le plus innocent et qu'il était éloigné de l'iniquité du traître,
ne soupçonnait absolument pas qu'un disciple irait si loin dans l'iniquité7.
PARCE
QUE JUDAS AVAIT LA BOURSE, CERTAINS EN EFFET PENSAIENT QUE JÉSUS LUI AVAIT DIT
: Ť ACHČTE CE DONT NOUS AVONS BESOIN POUR LE JOUR DE LA FĘTE ť, OU
QU'IL LUI AVAIT DIT DE DONNER QUELQUE CHOSE AUX PAUVRES.
1819. Ce que les disciples, qui ignoraient la vraie cause de ces paroles,
pensaient ŕ leur sujet, l'Évangéliste l'ajoute ici. Lŕ, il faut savoir que le
Seigneur, le Dieu du ciel, qui donne la nourriture ŕ toute chair8, a possédé une bourse ; non qu'il
possédât quelque chose de terrestre, mais gardant les dons offerts par les
fidčles, il subvenait ŕ ses propres besoins et ŕ ceux des autres. Et c'est
Judas qui portait cette bourse.
Par lŕ on donne l'exemple, comme le
dit Augustin9, que l'Église peut avoir de l'argent
et le réserver pour les nécessités imminentes. En cela nous apprenons aussi que
l'argent de l'Église doit ętre dépensé seulement pour deux choses. En premier
lieu, pour les choses qui se rapportent au culte divin. C'est pourquoi il dit :
ACHČTE CE DONT NOUS AVONS BESOIN POUR LE JOUR DE LA FĘTE, ŕ savoir les choses
avec lesquelles nous pouvons honorer Dieu en ce jour de fęte - Apportez
toute la dîme au Trésor, pour qu'il y ait de la nourriture dans ma maison^. Et
enfin pour les choses qui relčvent du soutien ŕ donner aux pauvres, de sorte
qu'il ajoute : OU QU'IL LUI AVAIT DIT DE DONNER QUELQUE CHOSE AUX PAUVRES.
1. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, col. 391.
2. Ps 49,
21.
3. Tract,
in Io., LXII, 4, BA 74A, p. 161 ;
voir aussi XXVII, 10, BA 72, p. 557-559.
4. Lc 12, 50.
5. Pr 25, 2.
6. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, col. 391.
7. Cf. saint
Jean Chrysostome, ibid.
8. Ps 135, 25.
9. Tract, in Io., LXII, 5, BA 74A, p. 163. Cf. aussi De mendacio, XV, 29, BA 1, p. 309-311, et Contra
Adimantum, XXTV, BA 17, p. 355-357.
1820. Mais si tu objectes contre cela ce que dit le Seigneur : Ne pensez
pas au lendemain2) Augustin répond3 que cela ne fut pas enseigné par le Seigneur pour qu'aucun argent ni
rien du salaire du jour ne fűt gardé par les saints pour le lendemain. S'il a
dit cela, c'est pour que nous ne pręchions pas et ne fassions pas les autres
services de Dieu en vue de prévoir pour nous l'avenir. Ou bien pour que nous ne
nous dérobions pas ŕ ce qui relčve de la vertu ŕ cause de l'inquiétude du
lendemain. Ŕ partir de lŕ il est évident que le Seigneur, en disant : Ne
pensez pas au lendemain^ défend deux choses. L'une, de faire le bien pour
le lendemain, l'autre, de nous priver de biens par peur d'en manquer le
lendemain.
Chrysostome4 expose [cela] trčs clairement en disant : Ne pensez pas au
lendemain^ c'est-ŕ-dire : le souci qui incombe au lendemain, ne l'anticipez
pas aujourd'hui. En effet, ŕ chaque jour suffit sa peine5.
1821. Il y a ici un doute parce que le Seigneur a commandé ŕ ses disciples : N'emportez
pas en chemin de bourse, ni de besace, ni de sandales0. Comment donc lui-męme possédait-il une
bourse ?
Mais selon Chrysostome7, le Seigneur portait une bourse pour le service des pauvres pour que
tu apprennes qu'aussi pauvre soit-on et crucifié au monde, il faut avoir souci
des pauvres - Il dispersa et donna aux pauvres8.
Ou bien, il faut dire que ce qu'il
dit - N'emportez rien en chemin - doit se rapporter aux prédicateurs et
aux apôtres individuellement, qui ne doivent rien emporter quand ils vont
pręcher. Cela ne doit pas se rapporter ŕ tout le collčge parce qu'il faut
qu'ils aient quelque chose pour eux-męmes et pour les pauvres.
II
AYANT
DONC PRIS LA BOUCHÉE, IL SORTIT AUSSITÔT. OR C'ÉTAIT LA NUIT. (13, 30)
1822. Ensuite l'Évangéliste montre l'accomplissement de ce qui a été
annoncé ; d'abord il montre l'exécution [n° 1823], ensuite il en détermine
le moment [n° 1824].
1823. L'exécution est rapide parce qu'AYANT DONC PRIS LA BOUCHÉE, IL SORTIT
AUSSITÔT. Lŕ sois attentif, selon Origčne9, au fait que l'Évangéliste ne dit
pas Ť Ayant mangé la bouchée ť mais AYANT PRIS, ce qui peut se comprendre de
deux maničres.
1. M13, 10.
2. Mt 6, 34. 3. Tract, in Io., LXII, 5, BA 74A, p. 163.
4. Il
s'agit en fait du Pseudo-Chrysostome, In
Matthaeo opus imperfectum, XVI, PG 56, col. 724-725. Voir aussi In Matthaeum fiom., XXII, 3-4, PG
57, col. 303-304.
5. Mt 6, 34.
6. Lc 10,
4.
7. In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, col. 392.
8. Ps
111, 9.
9. Comm. sur
saint Jean, XXXII, XXiv, § 300-312, SC 385, p. 317-321.
D'abord que le traître, tellement
tourmenté d'obéir en cela au Maître, ayant pris le pain, ne le mangea
pas ; mais peut-ętre qu'ayant quitté la table, il ne contracta aucun
retard pour aller exécuter la trahison. La raison de cela peut ętre que le
diable, qui était déjŕ entré dans le cur de Judas, craignant de devoir se
retirer si celui-ci mangeait le pain, puisqu'il ne pouvait pas ętre dans le
męme lieu que Jésus, ne permit pas ŕ Judas de manger le pain - Quel rapport du Christ avec
Belial ?1 -Vous ne pouvez pas en męme temps
ętre participants de la table du Seigneur et de la table des démons2.
D'une autre maničre3 on peut comprendre qu'il a mangé le pain reçu. Et voici le sens :
AYANT DONC PRIS LA BOUCHÉE, non seulement dans la main mais aussi en la
mangeant, alors IL SORTIT AUSSITÔT, utilisant le bien pour le ma1. Et de męme
que celui qui mange le pain du Seigneur ou boit son calice indignement, mange
et boit ŕ son propre préjudice4 et est rendu plus lourd par ses
péchés, ainsi le pain donné par Jésus ŕ Judas fut pour sa perte de telle sorte
qu'aprčs que celui-ci eűt pris le pain, Satan entra en lui.
OR
C'ÉTAIT LA NUIT.
1824. Le moment est déterminé, c'est l'heure des ténčbres, et l'Évangéliste précise cela pour deux raisons. D'abord pour aggraver la malice de Judas5, qui était devenue tellement forte dans son cur qu'il n'avait pas attendu jusqu'au matin ŕ cause de l'inopportunité de ce moment - L'homicide se lčve dčs le grand matin (...) et pendant la nuit, il devient voleur^. En second lieu pour désigner la qualité de son esprit7 C'ÉTAIT LA NUIT, parce que l'esprit du traître Judas était obscurci loin de la lumičre divine - Si quelqu'un marche pendant le jour il ne bute pas, parce qu'il voit la lumičre de ce monde ; mais si quelqu'un marche la nuit, il bute parce que la lumičre n'est pas en lui8.
1825. Aprčs que Judas fut sorti pour comploter la mort du Seigneur, le Seigneur
traite de son propre départ vers la gloire. Il leur annonce d'abord la gloire
vers laquelle il va, pour qu'ils en soient consolés [n° 1826], puis son départ
[n° 1831].
1. 2 Co
6, 15.
2. 1 Co
10, 21.
3. Saint
Thomas s'inspire de nouveau du commentaire d'Origčne.
4. Voir 1 Co 11, 27-32.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, col. 391.
6. Jb 24,
14.
7. Cf. OrigČNE, Comm. sur saint Jean, XXXII,
XXiv, § 316, SC 385, p. 323.
8. Jn 11,
9-10.
La gloire vers laquelle il
va.
LORS
DONC QU'IL FUT SORTI, JÉSUS DIT : Ť MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE
L'HOMME, ET DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, DIEU
AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MĘME ET C'EST BIENTÔT QU'IL LE GLORIFIERA. ť
(13, 31-32)
1826. La gloire vers laquelle il va est la glorification et l'exaltation du
Christ en tant qu'il est Fils de l'homme. Et c'est ce qui est dit : LORS DONC
QU'IL FUT SORTI, ŕ savoir Judas, JÉSUS DIT ŕ ses disciples : MAINTENANT A ÉTÉ
GLORIFIÉ (clarificatus) LE FILS DE L'HOMME, ET DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ (clarificatus)
EN LUI.
Ici il faut savoir que clarificari
et glorificari ont la męme signification ; la gloire (gloria)
est dite en effet comme une clarté (claritas). D'oů, selon Ambroise
*, Ť la gloire est une connaissance lumineuse accompagnée de
louange ť. C'est pourquoi les commentateurs, lŕ oů dans le grec il y a clarificare,
transposent en glorificare, et inversement. Et ainsi ce qu'on dit
ici : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ [clarificatus] LE FILS DE L'HOMME est la
męme chose que si on disait glorificatus2.
Cela peut donc ętre expliqué de
quatre maničres, en se référant aux quatre aspects de la gloire du Christ.
D'abord certes ŕ la gloire de la Croix [n° 1827], ensuite ŕ la gloire du
pouvoir de juger [n° 1828], puis ŕ la gloire de la Résurrection [n° 1829],
enfin ŕ la gloire qui est la connaissance du Christ dans la foi des peuples [n°
1830]. En effet l'Écriture attribue ces quatre gloires au Christ.
1. Il s'agit en fait de saint Augustin,
qui cite par deux fois dans son commentaire de saint Jean (Tract, in Io., C,
1, BA 74B, p. 373 et CV, 3, BA 75, p. 63) une formule provenant de Cicéron et
devenue classique : Ť Gloria est frequens de aliquo fama cum
laude ť (De inventione, Π, 55, 166, éd. G. Achard, p. 228). Saint
Augustin la citera plus tard dans son
traité contre l'Évęque arien Maximin (voir Contra Maxi-minum, II, 13, 2, PL 42, col.
770). Ŕ plusieurs reprises saint Thomas,
dans son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean (voir vol. I,
n° 1278, et ci-dessous, n° 2183), s'y réfčre partiellement. Il s'y réfčre aussi en commentant l'épître aux Hébreux (Ad Heb. lect.,
I, n° 26), dans la Question
disputée De maio (q. 9, a. 1, c.) et dans la Somme théologique (I-II, q. 2, a. 3, c, et II-II, q. 103, a. 1, ad 3).
2. Au sujet de ce passage sur la gloire, voir
vol. I, nos 1277 et
1278 avec les notes 3 et 4.
I
1827. En premier lieu, le Christ fut donc glorifié dans l'exaltation de la
Croix, c'est pourquoi aussi Paul dit que sa gloire est dans la Croix elle-męme
- Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la Croix de notre
Seigneur Jésus Christ3. Et c'est de cette gloire que
Chrysostome parle4. Et le Seigneur traite de quatre
maničres de la gloire de la Croix : en premier la gloire elle-męme, en second
le fruit de la gloire, en troisičme l'auteur de la gloire, enfin l'heure de la
gloire.
Il faut savoir en effet que, quand
quelque chose commence ŕ exister, cela semble ętre comme déjŕ fait. Judas étant
sorti pour conduire les soldats [ŕ Jésus], il semble que le négoce de la
Passion du Christ par lequel il devait ętre glorifié ait commencé, et c'est pourquoi il dit : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME,
c'est-ŕ-dire commence la
Passion dans laquelle il sera glorifié. En effet le Christ a été glorifié par
la Passion de la Croix, parce que par elle il a triomphé de ses ennemis, ŕ
savoir la mort et le diable - Afin de détruire par la
mort celui qui avait l'empire de la mort5.
De męme, parce que par elle il a uni
les choses terrestres aux choses célestes - Pacifiant
par le sang de sa Croix, soit ce qui est sur la terre, soit ce qui est dans les
deux 6. De męme, parce que par
elle il reçut en sa possession toutes les royautés, selon cet autre passage du
psaume : Dites parmi les nations que le Seigneur a régné par le bois 1. De męme encore parce qu'en elle il a manifesté de nombreux miracles :
le voile du Temple se déchira, la terre fut ébranlée, les pierres furent
brisées, le soleil fut obscurci, et de nombreux corps de saints ressuscitčrent,
comme le dit Matthieu2. Ŕ cause de cela
donc, sa Passion étant imminente, il dit : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE
L'HOMME, comme pour dire : Maintenant commence ma Passion, qui est ma
glorification.
3. Ga 6,
14. Voir ci-dessous, n° 2560.
4. In Ioannem hom., LXXII, 2, PG 59, col. 392.
5. He 2,
14.
6. Col 1,
20. Cf. vol. I, n° 474 Ť Déjŕ, en effet, par la sainteté de sa vie, il
avait purifié ce qui est sur la terre ; il lui restait, par sa mort, ŕ
purifier ce qui est dans les airs ť. Saint Thomas commente aussi ce verset
ainsi : Ť Et ainsi a été pacifié soit ce qui est dans les deux - comme
les anges et Dieu -, soit ce qui est sur la terre - ŕ savoir les Juifs
et les Gentils ť (Ad Col. lect., I, n° 53).
Le fruit de cette gloire est que par lŕ Dieu soit glorifié. Et c'est
pourquoi il dit : ET DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, c'est-ŕ-dire dans le Fils de
l'homme glorifié, parce que la gloire de la Passion tend ŕ ce que Dieu soit par
lŕ glorifié. En effet, si Dieu est glorifié par la mort de Pierre Il dit
cela indiquant par quelle mort il devait glorifier Dieu3 -, il a été glorifié bien davantage par la mort du Christ.
L'auteur de cette gloire n'est ni un ange, ni un homme, mais Dieu
lui-męme. Et c'est pourquoi il dit : SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI Si la
gloire est telle que Dieu soit par lŕ glorifié, il ne devait pas ętre glorifié
par un autre. Mais DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MĘME, c'est-ŕ-dire par
lui-męme - Glorifie-moi, Pčre, de la gloire que j'ai eue auprčs de toi avant
que fűt le monde4.
L'heure de cette gloire est immédiate parce que BIENTÔT, c'est-ŕ-dire
tout de suite, IL LE GLORIFIERA, il lui donnera la glorification de la Croix.
En effet la Croix, bien qu'elle soit folie pour les Gentils et ceux qui périssent, est cependant pour nous, qui croyons, la plus grande sagesse de Dieu et la puissance de Dieu5.
II
1828. La seconde gloire du Christ est la gloire liée au pouvoir de juger - Alors
on verra le Fils de l'homme venant dans les nuées avec une grande puissance et
une grande gloire6. Augustin7 parle de cette gloire, comme on le voit dans la Glose, et il le fait
de quatre maničres. En premier lieu il expose la gloire liée au pouvoir de
juger. En second lieu il montre le mérite par lequel on parvient ŕ cette
gloire. En troisičme lieu il explique cela. Enfin il montre le principe de cette
gloire.
MAINTENANT
A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME.
Lŕ il faut savoir que, dans la Sainte Écriture, les réalités signifiées
sont désignées par le nom des réalités signifiantes 8, la signification n'étant pas exprimée, selon cet [exemple] : Or cette pierre était le Christ1. Lŕ il ne dit pas que Ť pierre ť
signifie Ť Christ ť. Or dans le fait que Judas quitta les Apôtres est
représentée la figure du jugement futur oů les mauvais seront séparés des bons,
quand il placera les brebis ŕ sa droite et les
boucs ŕ sa gauche,
comme Matthieu le
rapporte2. Donc dans le fait que Judas parte
était figuré le jugement futur. C'est pourquoi le Seigneur, aprčs le départ de
Judas, parle de la gloire de son pouvoir de juger, pouvoir en vertu duquel il
jugera, en disant : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, c'est-ŕ-dire
que par le départ de Judas a été représentée la gloire que le Fils de l'homme
possédera au jugement, oů aucun des mauvais ne sera plus et oů aucun bon ne
périra. Or il n'est pas dit : maintenant Ť a été signifiée la
glorification du Fils de l'homme ť, mais MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS
DE L'HOMME, selon l'usage de l'Écriture sainte dont nous avons parlé.
1. Cf. Ps95, 10.
2. Cf. Mt 27, 51 sq.
3. Jn 21,
19.
4. Jn 17,
5.
5. Cf. 1
Co 1, 30 Et c'est par lui que vous ętes dans le Christ Jésus, que Dieu a
fait notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption.
6. Mc 13, 26.
7. Tract, in Io., LXIII, 2, BA 74A, p. 175. On peut résumer ainsi les éléments que saint Thomas reprend
ŕ saint Augustin tout au long de ce paragraphe : la séparation de Judas d'avec
les autres Apôtres signifie et annonce le jugement dernier, quand les brebis
seront séparées des boucs, jugement qui sera en lui-męme un acte du Fils de
l'homme glorifié. De plus l'humanité du Christ elle-męme sera glorifiée par la
résurrection, laquelle est si imminente qu'on peut déjŕ en parler comme d'un
fait accompli. Par la résurrection, méritée du fait que le Christ n'a rien
voulu d'autre qu'accomplir la volonté de son Pčre, <> la nature
humaine du Christ reçoit la gloire de l'immortalité ť dans le Verbe.
8. Sur
les différents sens de l'Écriture et sur la distinction du sens littéral et du
sens spirituel, citons saint Thomas : Ť L'auteur de l'Écriture sacrée est
Dieu. Or il est au pouvoir de Dieu d'employer, pour signifier quelque chose,
non seulement des mots, ce que l'homme aussi peut faire, mais encore les
réalités elles-męmes. Et c'est pourquoi, s'il est commun ŕ toutes les sciences
de s'exprimer par des mots, cette science-ci [doctrina sacra] a ceci de
propre que les réalités exprimées par les mots signifient ŕ leur tour autre
chose. Donc la premičre signification, ŕ savoir celle par laquelle les mots
employés expriment certaines réalités, correspond au premier sens, qui est le
sens historique ou littéra1. La signification seconde, par laquelle les
réalités exprimées par les mots signifient de nouveau d'autres réalités, est
appelée le sens spirituel, qui se fonde sur le premier et le suppose ť (Somme
théol., I, q. 1, a. 10, c). Voir aussi vol. I, Préface, p. 17 sq.
ET DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI.
Le mérite de cette glorification est
que Dieu soit glorifié en lui. En effet, Dieu est glorifié en ceux qui
cherchent ŕ faire sa volonté, non la leur. Or tel était le Christ - Je suis
descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m'a
envoyé^". Et c'est pourquoi DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI.
SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, DIEU AUSSI LE GLORIFIERA
EN LUI-MĘME.
Il explique cela quand il dit : SI DIEU
A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI, c'est-ŕ-dire si en faisant la volonté de Dieu il
glorifie Dieu, C'est ŕ juste titre que DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MĘME,
pour qu'ŕ la nature humaine assumée par le Verbe éternel soit aussi donnée une
éternité immortelle ; et c'est pourquoi il dit EN LUI-MĘME, c'est-ŕ-dire
dans sa gloire - C'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui
est au-dessus de tout nom4. Donc cette glorification par laquelle
Dieu a été glorifié dans le Christ est le mérite par lequel le Christ en tant
qu'homme a été glorifié EN LUI-MĘME, c'est-ŕ-dire dans la gloire de Dieu. Et
cela se réalisa quand sa nature humaine, ayant déposé sa faiblesse par la mort
de la Croix, reçut la gloire de l'immortalité dans la Résurrection. De lŕ vient
que la Résurrection elle-męme fut le principe par lequel fut commencée cette
gloire. Et c'est pourquoi il dit : ET C'EST BIENTÔT QU'IL LE GLORIFIERA, dans
la Résurrection, qui sera aussitôt, selon ce psaume : Je me lčverai au point
du jour5. Et cet autre psaume : Tu ne laisseras pas ton saint voir la corruption6.
III
1829. La troisičme gloire du Christ est la gloire de la Résurrection dont il
est dit : Comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Pčre7. Et c'est cette gloire que commente Hilaire8, et en partie aussi Augustin9. Et selon cela, le Christ annonce
tout d'abord cette gloire qui est la sienne, en disant : MAINTENANT A ÉTÉ
GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME. Et il parle du futur en utilisant un temps du
passé, parce que ce que nous croyons ętre bientôt fait, nous le tenons pour
déjŕ fait. Or la gloire de la Résurrection était toute proche, et c'est
pourquoi il dit : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE L'HOMME, comme si son corps par son union ŕ la nature
divine avait acquis en quelque sorte la gloire de la divinité.
1. 1 Co 10, 4.
2. Mt 25, 33.
3. Jn 6, 38.
4. Ph 2,
9.
5. Ps 107, 3.
6. Ps 15, 10. Voir vol. I, n" 402.
7. Rm 6, 4.
8. La
Trinité, XI, 42, SC 462, p. 369.
9. Tract, in Io., LXIII, 3, BA 74A, p. 177-179.
En second lieu il ajoute la cause de
cette glorification, et cela fort subtilement ; car, comme le dit Hilaire \
l'humanité du Christ a été glorifiée dans la Résurrection par son union ŕ
la nature divine qui l'assumait dans la personne du Verbe, et cela est dit dans
le psaume : Tu n'abandonneras pas mon âme dans l'enfer, ni ne laisseras ton
saint - qui est le Saint des saints - voir la corruption2.
Une telle gloire est aussi due au
Christ homme en tant qu'il est Dieu. Nous aurons nous aussi la gloire de la
résurrection dans la mesure oů nous sommes participants de la divinité3 - Celui qui a ressuscité d'entre les morts le Christ Jésus,
ressuscitera aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous4. Et c'est pourquoi il dit que LE FILS DE L'HOMME, ŕ savoir le Christ,
selon sa nature humaine, A ÉTÉ GLORIFIÉ par sa Résurrection. Et qui le
glorifiera ? DIEU, dit-il, LE GLORIFIERA EN LUI-MĘME, de telle sorte que
le Christ homme, qui rčgne dans la gloire qui est la gloire venant de Dieu,
passe aussi lui-męme de lŕ dans la gloire de Dieu, pour demeurer tout entier en
Dieu, comme déifié en vertu de cette économie (dispensatio5) divine par laquelle il est homme. Comme si je
disais : la lampe est lumineuse parce que le feu brille en elle. Donc ce qui
envoie des rayons de gloire ŕ l'humanité sainte du Christ, c'est Dieu.
1. Dans
le commentaire de saint Augustin mentionné dans ce passage de saint Thomas,
saint Hilaire est beaucoup cité.
2. Ps 15,
10. Saint Thomas commente : Ť La raison est que la résurrection requiert
l'union du corps et de l'âme ; et c'est pourquoi son âme conjointe ŕ la
divinité ne devait pas demeurer dans les enfers ; mais elle devait se
tenir lŕ jusqu'ŕ ce que fűt prouvée la vérité de son humanité et de sa vraie
chair ; et il ne convenait pas davantage qu'elle fűt laissée dans les
enfers oů elle était descendue pour libérer les saints - Je pénétrerai
toutes les profondeurs de la terre et je visiterai tous ceux qui dorment (Si
24, 45 [verset propre ŕ la Vulgate]). De męme pour son corps, parce que tu
ne laisseras pas ton saint - c'est-ŕ-dire mon corps sanctifié par toi - voir
la corruption, celle de la putréfaction ou de la décomposition qu'il n'a
pas subie ; mais il a subi la corruption de la mort ť (Exp. in
Psalmos, 15, n° 7). Voir aussi vol. I, n° 402.
3. Participants
de la nature divine (2 Ρ 1, 4), participants ŕ la vocation céleste (He
3, 1), nous sommes devenus participants du Christ (3, 14), participants
de l Esprit Saint (6, 4). Déjŕ le livre de la Sagesse disait que ceux qui
ont reçu le trésor infini qu'est la Sagesse sont désormais participants de
l'amitié de Dieu (7, 14).
4. Rm 8,
11.
Et ainsi l'humanité du Christ est
glorifiée par la gloire de sa divinité et est conduite dans la gloire de la
divinité, non par changement de nature mais par une participation ŕ la gloire,
en tant que le Christ homme lui-męme est adoré comme Dieu - C'est pourquoi
Dieu l'a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom 6. Et c'est pourquoi il dit : SI DIEU A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI,
c'est-ŕ-dire si la gloire de sa divinité rejaillit sur la gloire de son
humanité, Dieu lα glorifié^ c'est-ŕ-dire l'a rendu participant de
sa gloire, en l'assumant dans sa propre gloire - Que toute langue confesse
que le Seigneur Jésus est dans la gloire de Dieu le Pčre1.
Et ainsi la gloire du Christ est
double : l'une est dans son humanité dérivée de sa divinité, et l'autre est
celle de sa divinité en laquelle est en quelque sorte assumée son humanité,
comme on l'a dit. Mais c'est tout autre. Car la premičre gloire a eu un
commencement dans le temps, et c'est pourquoi ŕ son sujet il parle au passé en
disant : et Dieu l'a glorifié en lui-męme^ ce qui eut lieu au jour de la
Résurrection, alors que la seconde gloire est éternelle, parce que de toute
éternité le Verbe de Dieu est Dieu. Et l'humanité du Christ assumée dans cette
gloire sera glorifiée ŕ jamais. C'est pourquoi au sujet de cette gloire il
parle au futur, disant : ET C'EST BIENTÔT, c'est-ŕ-dire toujours, QU'IL LE
GLORIFIERA, qu'il fera qu'il soit dans cette gloire ŕ jamais.
5. Sur le
sens du mot dispensatio, voir vol. I, n° 762, note 4, et n° 1520, note 1.
6. Ph 2,
9.
7. Ph 2,
11.
IV
1830. Le quatričme aspect de la gloire du Christ est la gloire de sa
connaissance par les peuples dans la foi. Et c'est cette gloire dont parle
Origčne \ Lŕ il faut noter que cette gloire, selon lui, est comprise
dans le langage commun des hommes autrement que dans les Écritures. Car selon
l'usage commun, la gloire n'est rien d'autre que des éloges proférés par
plusieurs ou bien Ť une connaissance lumineuse accompagnée de louanges ť,
comme le dit Ambroise2. Dans l'Écriture sacrée, la gloire
implique un certain signe divin au-dessus des hommes - La gloire du Seigneur
apparut au-dessus de la tente3, c'est-ŕ-dire qu'un signe divin reposa
sur elle. Et c'est également ce qui est dit du visage de Moďse qui avait été
glorifié4. Et de męme que la gloire exprime
d'une maničre sensible un signe divin au-dessus des hommes, de męme
spirituellement on dit que l'intelligence de l'homme est glorifiée quand elle a
été ainsi déifiée et que, transcendant toutes choses matérielles, elle est
élevée ŕ la connaissance de Dieu : par cela en effet elle est rendue
participante de sa gloire -
Nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la
gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette męme image5.
Si donc tout homme qui connaît Dieu
est glorifié et rendu participant de sa gloire, il est manifeste que le Christ,
qui connaît Dieu trčs parfaitement en tant qu'il est la splendeur de toute la gloire divine6 et qu'il peut prendre l'éclat de toute la gloire
divine, a été glorifié trčs parfaitement et que tous ceux qui connaissent Dieu
reçoivent cela du Christ. Mais les hommes ne savaient pas encore que le Christ
serait ainsi glorifié dans la plus parfaite connaissance et participation de la
divinité. Et c'est pourquoi, bien qu'il fut glorifié en lui-męme, il n'avait
cependant pas été glorifié dans la connaissance des hommes. Mais il commença ŕ
avoir cette gloire dans sa Résurrection et dans sa Passion par lesquelles les
hommes commencčrent ŕ connaître sa puissance et sa divinité.
1. Comm. sur
saint Jean, XXXII, XXVI, § 330-334,
SC 385, p. 329-331. Tout ce paragraphe, plus encore que le précédent (avec le recours ŕ saint Hilaire), est un
exemple étonnant de ce que peut avoir de
fécond la rencontre entre le théologien et un Pčre de l'Église quand ensemble, ŕ l'école de saint
Jean, ils se laissent guider vers ce qu'il
y a d'ultime dans le mystčre du Fils, Ť rayonnement de toute la gloire de Dieu ť.
2. Voir
ci-dessus, n° 1826, note 1.
3. Ex 40,
32.
4. Voir 2
Co 3, 7 (cf. Ex 34, 30).
5. 2 Co
3, 18.
6. He 1,
3.
Parlant ici de cette glorification
qui est la sienne, le Seigneur dit : MAINTENANT A ÉTÉ GLORIFIÉ LE FILS DE
L'HOMME, c'est-ŕ-dire selon son humanité, dans sa Passion et sa Résurrection
qui étaient imminentes, et il a été manifesté ŕ la connaissance des hommes. ET
DIEU, c'est-ŕ-dire le Pčre, A ÉTÉ GLORIFIÉ EN LUI Le Fils en effet non
seulement se révčle, mais révčle
aussi le Pčre - Pčre, j'ai manifesté ton nom7 ; et c'est pourquoi non
seulement le Fils a été glorifié mais aussi le Pčre - Personne ne connaît le Pčre si ce n'est
le Fils8. Et il dit EN LUI parce que celui qui
voit le Fils, voit aussi le Pčre9. Or c'est le propre du plus grand de rendre en retour
quelque chose de plus grand et c'est pourquoi il ajoute : SI DIEU A ÉTÉ
GLORIFIÉ EN LUI, c'est-ŕ-dire, si par la gloire du Fils de l'homme grandit en
quelque sorte la gloire pour Dieu le Pčre, en tant qu'il est plus connu par
tous les hommes, DIEU AUSSI LE GLORIFIERA EN LUI-MĘME, c'est-ŕ-dire fera
connaître que le Christ Jésus est dans sa gloire. Et cela sans délai parce que C'EST BIENTÔT QU'IL LE GLORIFIERA, ŕ savoir sur-le-champ.
7. Jn 17,
6.
8. Mt 11,
27. Saint Thomas commente : Ť Mais quoi ? Est-ce que l'Esprit Saint
ne le connaît pas ? Si. Mais il faut remarquer que parfois des phrases
exclusives sont ajoutées aux noms divins selon l'essence, parfois selon la
personne. Et quand elles qualifient des noms personnels, elles n'excluent pas
ce qui est identique selon la nature : aussi, ce qui est ajouté au Pčre
n'exclut pas le Fils. Aussi est-il dit : Au roi immortel,
invisible, au seul Dieu honneur et gloire (1 Tm 1, 17), et
cela n'exclut pas le Fils de męme nature. De męme, quand il dit : Si ce
n'est le Fils, n'est pas exclu l'Esprit Saint qui est le męme selon la
nature. Mais quand il dit : Nul ne connaît, il faut entendre : "nul
homme sinon le Fils". Et c'est ainsi que le Fils connaît le Pčre. En
effet, il le connaît par compréhension. Donc, parce qu'il le connaît parfaitement
et qu'il est connaissable, il a, comme le Pčre, le pouvoir de révéler ť (Sup.
Matth. lect., XI, nos 965-966).
9. Cf. Jn
14, 9.
Son départ.
1831. Plus haut le Seigneur a montré la gloire qu'il allait recevoir ŕ
travers son départ ; ici il leur annonce ce départ lui-męme : tout d'abord
il leur annonce son départ, puis il montre que les disciples n'étaient pas
encore capables de le suivre [n° 1834]. Enfin il leur enseigne comment le
devenir [n° 1835].
I
PETITS ENFANTS, POUR PEU DE TEMPS ENCORE JE SUIS AVEC
VOUS. (13, 33)
1832. Il leur annonce bričvement ce départ ŕ venir en disant : PETITS
ENFANTS, POUR PEU DE TEMPS ENCORE, et il emploie ce terme de filiation pour les
enflammer d'amour. Car quand des amis se séparent, c'est alors qu'ils brűlent
le plus d'amour1. Plus haut : Ayant aimé les siens
qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'ŕ la fin2.
Mais il dit PETITS ENFANTS, employant
le diminutif, pour leur montrer leur imperfection ; en effet ils n'étaient
pas encore parfaitement fils parce qu'ils n'aimaient pas encore parfaitement,
ils n'étaient pas encore parfaits dans la charité - Mes petits enfants que j'enfante ŕ nouveau
jusqu'ŕ ce que le Christ soit formé en vous3. Néanmoins ils avaient
suffisamment grandi en perfection, puisque de serviteurs ils sont devenus
petits enfants4, comme on le voit ici, et frčres -Va trouver mes frčres et dis-leur5.
1. Cette
remarque pleine de réalisme est suggérée par saint Jean Chrysostome (In Ioannem nom., LXXII, 3, PG 59, col.
393).
2. Jn 13,
1.
3. Ga 4,
19.
4. Origčne
avait indiqué en passant la connotation affectueuse du terme filioli avant
de développer longuement son caractčre d'imperfection puis de compléter par
l'appel ŕ devenir, par la croissance, des fratres (Comm. sur
saint Jean, XXXII, XXX, § 368-374, SC 385, p. 345-349). Saint
Thomas ne reprend que ce deuxičme point, en le résumant.
5. Jn 20, 17.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXIV, 1-2, BA 74A, p. 181-185. 7. Rm 6, 9. 8. Le 24, 44.
1833. Notons cependant que ce qui est dit : POUR PEU DE TEMPS ENCORE peut
ętre pris de trois maničres, selon que le Christ est avec ses disciples de
trois maničres6.
En effet le Christ était avec ses
disciples corporellement. Or son corps peut ętre considéré de deux maničres.
Tout d'abord en ce qu'il est semblable ŕ la condition de la nature humaine, car
le Christ selon son corps était mortel comme les autres hommes ; et ainsi
POUR PEU DE TEMPS ENCORE s'entend du temps qui allait s'écouler entre les
paroles de cet entretien et sa mort. Le sens de POUR PEU DE TEMPS ENCORE JE
SUIS AVEC VOUS est donc : je reste PEU DE TEMPS ENCORE, le temps que je sois
pris et que je meure, et alors je ressusciterai, désormais immortel aussi selon mon corps - Ressuscité des
morts, le Christ ne meurt plus, la mort ne dominera plus sur lui1. Et c'est pourquoi il leur dit : Je vous ai dit ces choses tant que
j'étais encore avec vous8.
Deuxičmement il fut avec eux présent
par son corps mais dans la mesure oů son corps avait déjŕ été glorifié. Et
ainsi PEU DE TEMPS ENCORE se rapporte au temps écoulé jusqu'ŕ son Ascension - Un
peu de temps et vous ne me verrez plus ; et
encore un peu, et vous me verrez ; parce que je vais vers le Pčre 1. - Un peu de temps encore et j'ébranlerai ciel, terre, mer et
désert2.
Troisičmement, cela s'explique en
tant qu'il fut avec eux spirituellement selon la présence de sa divinité et
dans les sacrements ; ainsi POUR PEU DE TEMPS ENCORE s'entend du temps qui
restait jusqu'ŕ la consommation des sičcles, et certes on peut dire de ce temps
qu'il est peu en comparaison de l'éternité - Mes petits enfants, c'est la
derničre heure3. Et c'est le sens de ces paroles :
POUR PEU DE TEMPS ENCORE JE SUIS AVEC VOUS, c'est-ŕ-dire : bien que je me
sépare de vous corporellement, cependant spirituellement je suis avec vous
encore un peu de temps, ce temps qui reste jusqu'ŕ la consommation des sičcles
- Voici que je suis avec vous jusqu'ŕ la fin du monde4. Mais cette explication ne convient pas selon
la présence de sa divinité, parce qu'il sera avec eux non seulement jusqu'ŕ la
fin du monde, mais encore pour toujours. Et c'est pourquoi Origčne l'explique5 autrement, en disant que le Christ est toujours avec les parfaits qui
ne pčchent pas mortellement, mais n'est pas toujours avec les imparfaits parce
que, lorsqu'ils pčchent, il s'éloigne d'eux.
Or, aprčs un peu de temps, les
disciples allaient ętre séparés du Christ, souffrir le scandale et l'abandonner
- Tous vous souffrirez le scandale ŕ cause de
moi cette nuit6. Et ainsi
le Christ se séparait d'eux męme spirituellement ; c'est ŕ ce propos qu'il
dit : POUR PEU DE TEMPS ENCORE JE SUIS AVEC VOUS, c'est-ŕ-dire que dans peu de
temps vous fuirez, m'ayant abandonné, et ainsi je ne serai plus avec vous.
1. Jn 16,
16.
2. Ag 2,
7.
3. 1 Jn
2, 18.
4. Mt 28,
20.
5. Comm.
sur saint Jean, XXXII, XXX, § 377-382, SC 385, P. 349-351.
6. Mt 26,
31.
II
VOUS ME
CHERCHEREZ, ET COMME J'AI DIT AUX JUIFS : Ť OŮ MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE
POUVEZ VENIR ť, Ŕ VOUS AUSSI JE LE DIS Ŕ PRÉSENT. (13, 33)
1834. En leur disant ensuite : VOUS ME CHERCHEREZ, il leur montre leur
incapacité ŕ le suivre ; d'abord il montre leur effort en disant : VOUS ME
CHERCHEREZ, moi que vous avez abandonné spirituellement par la fuite et par le
reniement. VOUS ME CHERCHEREZ, dis-je, par le repentir, comme Pierre qui pleura
amčrement - Cherchez le Seigneur tant qu'on peut le trouver7. - Dans leur détresse, au matin ils
reviendront vers moi8. VOUS ME CHERCHEREZ, c'est-ŕ-dire ma
présence corporelle, par le désir - Des jours viendront
oů vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l'homme et vous ne le
verrez pas9.
Ensuite il montre ce qui leur manque
en disant : ET COMME J'AI DIT AUX JUIFS : Ť OŮ MOI JE VAIS, VOUS, VOUS NE
POUVEZ VENIR. ť Mais c'est de maničre toute différente car, comme parmi
les Juifs il y en avait certains qui ne se convertiraient jamais, il leur a été
dit de maničre absolue qu'ils ne pouvaient pas aller lŕ oů le Christ allait.
Mais désormais, aprčs le départ de Judas, aucun parmi les disciples ne devait
se séparer du Christ, et c'est pourquoi il n'a pas dit de maničre absolue :
VOUS NE POUVEZ VENIR mais il a ajouté : Ŕ VOUS AUSSI JE LE DIS Ŕ PRÉSENT. Comme
s'il disait : J'ai dit aux Juifs Ť jamais ť dans la mesure oů je
m'adressais ŕ des obstinés, mais ŕ vous, je dis qu'Ŕ PRÉSENT vous ne pouvez me
suivre parce que vous n'ętes pas encore parfaits dans la charité, au point de
vouloir mourir pour moi ; moi, en effet, c'est par la mort que je vais
partir. De męme, moi je m'en vais vers la gloire du Pčre ŕ laquelle nul ne peut
venir s'il n'est parfait dans la charité1.
7. Is 55,
6.
8. Os 6,
1.
9. Lc 17,
22.
De męme, moi je dois ętre glorifié
maintenant parce que, comme on l'a dit : Maintenant le Fils de l'homme a été
glorifié, mais il n'est pas encore temps que vos corps soient
glorifiés ; et c'est pourquoi lŕ OŮ MOI JE VAIS, VOUS,
VOUS NE POUVEZ VENIR.
III
JE VOUS
DONNE UN COMMANDEMENT NOUVEAU : Ť QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES
AUTRES ; COMME JE VOUS AI AIMÉS, QUE VOUS AUSSI VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS
LES AUTRES. EN CELA TOUS CONNAÎTRONT QUE VOUS ĘTES MES DISCIPLES, SI VOUS AVEZ
DE L'AMOUR LES UNS POUR LES AUTRES. ť (13, 34-35)
1835. En conséquence, lorsqu'il dit : JE VOUS DONNE UN COMMANDEMENT NOUVEAU, il leur
enseigne comment se rendre
capable de le suivre. Premičrement il montre la condition du commandement.
Deuxičmement il montre la raison pour laquelle ils doivent l'accomplir [n°
1839].
Pour la premičre partie il fait trois
choses : d'abord il montre la qualité du commandement, puis son contenu dont il
donne ensuite un exemple.
1836. La qualité du commandement est mise en lumičre par sa nouveauté, et
c'est pourquoi il dit : UN COMMANDEMENT NOUVEAU. Pourtant, dans l'ancienne Loi,
le commandement de l'amour du prochain n'a-t-il pas été donné ? Il a été
donné certes parce que le Christ, ŕ un scribe qui lui demandait quel était le
premier commandement,
répondit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, et ajoute : et ton
prochain comme toi-męme2.
- Tu aimeras ton prochain comme toi-męme 3.
Mais ce commandement est dit NOUVEAU
spécialement pour trois raisons. D'abord pour l'effet de renouveau qu'il
réalise - Dévętez-vous du vieil homme avec ses actes et
revętez le nouveau qui se renouvelle dans la connaissance ŕ l'image de celui
qui l'a créé4. Ce renouveau se réalise par la charité ŕ laquelle ce commandement exhorte.
Deuxičmement pour la cause qui
réalise cela, parce qu'il provient d'un esprit nouveau. Il y a en effet deux
esprits, l'ancien et le nouveau. Or l'ancien est un esprit d'esclavage, le
nouveau un esprit d'amour5. Celui-lŕ engendre des esclaves,
celui-ci des fils adoptifs - Vous n'avez pas reçu un esprit d'esclaves pour
retomber dans la crainte6. - Je vous donnerai un cur
nouveau7. Et cet esprit enflamme en vue de la
charité - Parce que la charité de Dieu a été
répandue dans nos cur par l'Esprit Saint8.
Troisičmement par l'effet qu'il
établit, ŕ savoir le nouveau Testament. Car la petite différence qui existe
entre le nouveau et l'ancien Testament est celle qui existe entre la crainte et
l'amour, comme le dit Augustin9 - Je conclurai avec la maison d'Israël une alliance nouvelle10. Et parce que ce commandement dans l'ancien Testament
provenait d'une crainte et d'un amour saints, il appartenait au nouveau
Testament. C'est pourquoi ce commandement était dans la Loi ancienne, non pas
comme lui étant propre mais comme préparatoire ŕ la Loi nouvelle.
1. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXIV, 4, BA 74A, p. 191.
2. Mt 22, 37 et 39.
3. Lv 19, 18.
4. Col 3, 9-10.
5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXV, 1, BA 74A,
p. 193-195
6. Rm 8,
15. Sur l'esprit qui produit la crainte ou l'amour, voi vol. I, n° 1461, note 6.
7. Ez 36,
26.
8. Rm 5,
5.
9. La
formule est de saint Augustin, Contra
Adimantum, XVII 2, BA 17, p. 323. Au cur de la polémique qui l'oppose au
manichéen Adimante, ŕ propos de la haine des ennemis acceptée par l'ancien
Testament, saint Augustin montre qu'il est faux de dire non seulement que
l'ancien Testament est mauvais, mais aussi qu'il est en opposition avec le
nouveau. En guise d'illustration, il avance l'opinion suivante : au sein męme
du peuple d'Israël, il pouvait se trouver Ť des hommes spirituels qui
pouvaient comprendre que la conduite de Dieu était sans haine pour personne et
combien ce que le Seigneur nous commande dans l'Évangile n'y était pas
contraire ŕ savoir que nous aimions nos ennemis ť (XVII, 3, BA 17, p. 327.
10. Jr
31, 31. Saint Thomas commente : Ť Il promet le renouvellement de
l'alliance : Voici venir des jours, ŕ savoir de grâce, et je ferai
une alliance nouvelle, un nouveau testament : c'est l'Évangile. (ˇˇ) - Je
ferai avec vous une alliance éternelle, qui montrera véritables les miséricordes
promises ŕ David (Is 55, 3). Puis il pose la teneur de ce pacte. Mais
voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël aprčs ces jours-lŕ dit le
Seigneur : je mettrai ma Loi, l'Évangile, dans leurs entrailles (Jr
31 33), et non sur des tables de pierre - Je la conduirai dans la
solitude et je parlerai ŕ son cur (Os 2, 14) ť
(Exp. super Hier., XXX lectio 10).
1837. Le contenu de ce commandement est la dilection l mutuelle.
Aussi dit-il : QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES. C'est en effet le
propre (ratio) de l'amitié de ne pas ętre cachée, autrement elle ne
serait pas une amitié mais seulement une bienveillance. Et c'est pourquoi il
faut, pour une amitié vraie et ferme, que les amis s'aiment mutuellement2, parce qu'alors l'amitié est juste et ferme, comme doublée. Le
Seigneur donc, voulant qu'entre ses fidčles et ses disciples l'amitié soit
parfaite, leur donna le commandement de la dilection mutuelle - Qui craint
le Seigneur aura une bonne amitié3.
1838. Il donne un exemple de ce contenu en disant : COMME JE VOUS AI AIMÉS.
En effet le Christ nous a aimés de trois maničres : gratuitement, efficacement
et de façon droite.
Gratuitement parce que c'est lui qui
a commencé et qu'il n'a pas attendu que nous commencions ŕ l'aimer - Ce
n'est pas nous
qui avons aimé Dieu, c'est lui-męme qui nous a aimés le premier4. Ainsi nous aussi nous devons aimer les premiers nos proches,
et ne pas attendre leurs prévenances ou leurs bienfaits5.
1. Sur le sens du mot dilectio, voir
vol. I, n° 1475, note 4, p. 612.
2. Sur l'amour d'amitié et son
explicitation chez Aristote et saint Thomas, voir vol. I, n° 1475, note 7. Ajoutons
ici que saint Thomas, dans son
traité sur la charité, rappelle : Ť Cependant la bienveillance ne suffit
pas pour constituer l'amitié ; il faut de plus qu'il y ait réciprocité
d'amour, car un ami est l'ami de celui qui est lui-męme son ami. Une telle bienveillance mutuelle
est fondée sur une certaine mise en
commun ť (Somme théol, II-II,
q. 23, a. 1, a). Et plus
loin oů il se demande ce qui est le mieux, aimer son ami ou son ennemi, il
commente : Ť Cependant, comme un męme feu agit avec plus d'intensité sur
ce qui est proche que sur ce qui est éloigné, la charité nous fait aimer plus ardemment ceux
qui nous sont unis que ceux qui sont
éloignés. De ce point de vue, la dilection des amis, absolument considérée, est
plus ardente et meilleure que celle des ennemis ť (loc. cit., q. 27,
a. 7, c).
3. Si 6,
17.
4. 1 Jn
4, 10.
Il a aussi aimé de maničre efficace,
ce qui se manifeste dans une uvre : Ť La preuve de l'amour, c'est
l'accomplissement d'une uvre6. ť Ce qu'un homme peut faire de
plus grand pour son ami, c'est de se donner pour lui, et c'est ce que le Christ
a fait - Il nous
a aimés et s'est livré lui-męme pour nous7. C'est pourquoi il dit : Personne n'a de plus grand amour que celui
qui livre son âme pour ses amis8. Aimons-nous donc les uns les autres ŕ cet exemple, de
maničre efficace et fructueuse - N'aimons ni de mots ni de langue mais par des actes et
en vérité9.
De maničre droite puisque, toute
amitié étant fondée sur une certaine mise en commun (la similitude 10 en effet est cause d'amour), est droite l'amitié qui existe ŕ cause de
la similitude ou de la communication dans le bien. Or le Christ nous a aimés
dans la mesure oů nous lui sommes semblables par la grâce d'adoption, en nous
aimant selon cette similitude afin de nous attirer ŕ Dieu - D'un amour de charité
éternel je t'ai aimé, c'est pourquoi je t'ai attiré dans ma miséricorde11. Ainsi donc nous aussi nous devons aimer dans
l'ami non seulement le fait qu'il est source de bienfait ou de plaisir, mais le
fait qu'il est de Dieu1. Et dans un tel amour du prochain
est aussi inclus l'amour de Dieu2.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem nom., LXXII, 3, PG 59, col. 394.
6. Probatio dilectionis exhibitio est operis. Cf.
saint Grégoire le Grand, XL
hom. in Évang., II, hom. 30, 1, PL 76, col. 1220 C.
7. Ep 5,
2.
8. Jn 15,
13.
9. 1 Jn
3, 18.
10. Sur
la similitude dans l'amour, voir ci-dessous, n° 2034, note 8.
11. Jr
31, 3. Voir ci-dessus, n° 1673, note 5.
1839. Par suite, lorsqu'il dit : EN CELA TOUS
CONNAÎTRONT QUE VOUS ĘTES MES DISCIPLES, SI VOUS AVEZ DE L'AMOUR LES UNS POUR
LES AUTRES, il donne la raison d'accomplir ce commandement.
Lŕ il faut savoir que tout homme compté dans la milice d'un roi se doit d'en porter les insignes. Or les insignes du Christ sont les insignes de la charité. Donc quiconque veut ętre compté dans la milice du Christ doit ętre marqué du sceau de la charité. Et c'est ce qu'il dit : EN CELA TOUS CONNAÎTRONT QUE VOUS ĘTES MES DISCIPLES, SI VOUS AVEZ DE L'AMOUR LES UNS POUR LES AUTRES, je veux dire un amour saint une dilection sainte - Moi je suis la mčre du bel amour, de la crainte, de la connaissance et de la sainte espérance3. Mais remarque que, bien que les Apôtres aient reçu du Christ beaucoup de dons, comme la vie, l'intelligence, la santé du corps, et aussi des dons spirituels comme le pouvoir de faire des miracles - Moi je vous donnerai un langage et une sagesse4 -, toutes ces choses ne sont pas les signes qu'on est disciple du Christ, puisqu'elles peuvent ętre communes aux bons et aux mauvais. Mais, de maničre toute spéciale, le signe qu'on est disciple du Christ est la charité ainsi que l'amour mutuel - Il nous a marqués d'un sceau et donné l'Esprit5.
1840. Aprčs avoir exposé la défaillance d'un disciple, c'est-ŕ-dire la trahison de Judas, l'Évangéliste montre ŕ présent celle d'un autre disciple, le reniement de Pierre ; premičrement est rapportée l'occasion de cette prédiction et deuxičmement la prédiction du reniement elle-męme [n° 1844].
Concernant cette premičre partie, il
montre deux choses : il expose d'abord le désir de Pierre, ensuite il montre sa
hardiesse [n° 1843].
1. Dans
la Somme théologique, dans la question oů saint Thomas se demande si
Dieu seul doit ętre aimé de charité, ou aussi le prochain, il commente :
Ť Or la raison d'aimer le prochain, c'est Dieu ; car ce que nous
devons aimer dans le prochain, c'est qu'il soit en Dieu. Il est donc manifeste
que l'acte par lequel Dieu est aimé et celui par lequel est aimé le prochain
sont de męme espčce. Par conséquent {'habitus de la charité ne s'étend
pas seulement ŕ l'amour de Dieu mais aussi ŕ l'amour du prochain ť (II-II,
q. 25, a. 1, a). Et plus loin, dans la question sur l'ordre de la charité :
Ť L'amitié de charité est fondée sur la communication de la béatitude, qui
réside essentiellement en Dieu comme dans son premier principe, d'oů elle
dérive en tous les ętres qui sont aptes ŕ la posséder. C'est donc Dieu qui doit
ętre aimé de charité ŕ titre principal et par-dessus tout : il est aimé en
effet comme cause de la béatitude, tandis que le prochain est aimé comme
participant en męme temps que nous de la béatitude ť (loc. cit., q.
26, a. 2, a).
2. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXV,
2, BA 74A, p. 201 Ť Celui
qui aime son prochain d'un amour saint et spirituel, qu'aime-t-il en lui si ce
n'est Dieu ? ť
SIMON-PIERRE
LUI DIT : Ť SEIGNEUR, OŮ VAS-TU ? ť JÉSUS LUI RÉPONDIT :
Ť OŮ MOI JE VAIS, TU NE PEUX PAS ME SUIVRE Ŕ PRÉSENT ; MAIS TU ME
SUIVRAS PLUS TARD. ť (13, 36)
Dans cette premičre partie, il
commence par présenter Pierre manifestant son désir puis le retard avec lequel
il le réalise [n° 1842].
1841. Le désir de Pierre se manifeste dans la vivacité de cette interrogation
quand il dit : SEIGNEUR, OŮ VAS-TU ? En effet il avait appris du Seigneur
qu'il serait avec eux pour peu de temps encore : aussi est-il inquiet de ce que
le Christ s'éloigne d'eux, et c'est pourquoi il interroge : OŮ VAS-TU ?
Chrysostome1 dit ŕ ce propos : Ť Vraiment
l'amour de Pierre est grand et plus véhément que le feu lui-męme dont aucun
interdit ne peut entraver l'ardent élan. ť C'est pourquoi, alors męme que
le Christ avait dit : Oů moi je vais, vous, vous ne pouvez venir2, Pierre voulait le suivre ; aussi lui
demandait-il oů il allait, comme l'une des jeunes filles du Cantique qui
cherche [le bien-aimé] - Oů est parti ton bien-aimé, ô la plus belle des femmes, oů
est-il parti que nous le cherchions avec toi ?3
3. Si 24,
24 (verset propre ŕ la Vulgate).
4. Le 21,
15.
5. 2 Co
1, 22.
1842. Le retard de la réalisation de ce désir est dű au fait que, pour le
moment, il se trouve empęché de suivre le Christ. Et c'est ce que le Christ
lui-męme dit : OŮ MOI JE VAIS, TU NE PEUX PAS ME SUIVRE Ŕ
PRÉSENT ; MAIS TU ME SUIVRAS PLUS TARD, comme s'il disait : Tu es encore imparfait et c'est pourquoi tu ne
peux me suivre ŕ présent ; mais plus tard, quand tu seras parfait, tu me
suivras. C'est aussi ce qu'il dit plus loin : En vérité je te le dis, quand
tu étais plus jeune - ce qui signifie Ť imparfait ť - tu
mettais toi-męme ta ceinture ; quand tu seras vieux - et que tu auras
atteint le sommet de la perfection - tu étendras tes mains (...)4
PIERRE
LUI DIT : Ť POURQUOI NE PUIS-JE TE SUIVRE Ŕ PRÉSENT ? JE LIVRERAIS
MON ÂME POUR TOI ť (13, 37)
1843. Par ces paroles l'Évangéliste montre la hardiesse de Pierre. Pierre avait bien saisi que le Seigneur avait dit ces paroles comme en se défiant de la perfection de son amour. Or l'amour est parfait lorsque quelqu'un s'expose lui-męme ŕ la mort pour ses amis - Personne n'a de plus grand amour que celui qui livre son âme pour ses amis5. Et donc, parce que Pierre était pręt ŕ mourir pour le Christ, il se montrait parfait dans son amour en disant : JE LIVRERAIS MON ÂME POUR TOI, c'est-ŕ-dire : je suis pręt ŕ mourir pour toi. Il disait cela comme il lui semblait et non avec un esprit faux. Cependant l'homme ne peut savoir la force de son amour (affectus), surtout devant l'imminence d'un danger - Ma conscience, il est vrai, ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour autant6.
JÉSUS
LUI RÉPONDIT : Ť TU LIVRERAS TON ÂME POUR MOI ? AMEN, AMEN, JE TE LE
DIS : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES RENIÉ TROIS FOIS. ť (13, 38)
1844. En disant cela, il prédit le reniement de Pierre. Tout d'abord il lui
reproche sa présomption, puis prédit son reniement [n° 1846].
1845. Dans cette premičre partie il faut savoir que Pierre, présumant de
lui-męme, alors que le Christ disait : TU NE PEUX PAS ME SUIVRE Ŕ PRÉSENT,
affirmait qu'il pouvait le suivre et mourir pour lui. Aussi le Seigneur, le
corrigeant, lui dit : TU LIVRERAS TON ÂME POUR MOI ?, comme s'il disait :
Considčre ce que tu dis. Je sais mieux que toi-męme ce qu'il y a en toi. Toi,
tu ne sais pas mesurer le poids de ton amour ; ne présume donc pas de
toi-męme outre mesure - Ne
t'enorgueillis pas, crains plutôt1. Et Matthieu en donne la raison : L'esprit est prompt mais la chair est faible2.
1. In Ioannem hom., LXXIII, 1, PG 59, col. 395.
2. Jn 13, 33.
3. Ct 5, 17.
4. Jn 21, 18.
5. Jn 15, 13.
6. 1 Co 4, 4.
Le Seigneur a permis que Pierre fűt
tenté et tombât afin qu'une fois élevé ŕ la tęte de l'Église, il apprenne ŕ
connaître ses propres faiblesses et ŕ compatir aux pécheurs qui lui seraient
confiés. C'est pourquoi l'Apôtre dit aux Hébreux : Nous n'avons pas un grand prętre incapable
de compatir ŕ nos infirmités, ayant été éprouvé en tout d'une maničre
semblable, ŕ l'exception du péché3. Mais en Pierre la tentation est allée
jusqu'ŕ la faute, alors que dans le Christ elle alla jusqu'ŕ la similitude de
la peine parce qu'il n'a
pas commis de péché4.
AMEN,
AMEN, JE TE LE DIS : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES RENIÉ TROIS FOIS.
1846. On pourrait d'abord émettre un doute concernant cette affirmation. Il
semble qu'elle soit fausse, parce qu'aussitôt aprčs le premier reniement de
Pierre le coq chanta, comme le rapporte Marc5.
Mais saint Augustin6 répond ŕ cette objection de deux maničres. Selon la premičre, le
Seigneur a davantage exprimé le sentiment de Pierre que son acte : car une si
grande crainte avait envahi l'âme de Pierre que dčs le premier chant du coq il
était pręt ŕ renier, non seulement une fois, mais trois fois ; c'est ce
que signifie : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES
RENIÉ TROIS FOIS.
L'autre maničre regarde le
commencement du reniement : parce qu'on dit qu'une chose a lieu avant une autre
męme si elle commence seulement ŕ se réaliser.
Or le Seigneur a prédit le triple
reniement qui a commencé avant le premier chant du coq, bien qu'alors il n'ait
pas été entičrement réalisé. C'est ainsi qu'il faut comprendre cette parole :
LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES RENIÉ TROIS FOIS, c'est-ŕ-dire : Tu
commenceras ŕ me renier trois fois avant que le coq ne chante.
1847. On peut aussi s'interroger sur le lieu oů furent dites ces paroles, car
Matthieu et Marc disent que le Seigneur a dit cela ŕ Pierre aprčs avoir quitté
le lieu oů il avait pris le repas avec ses disciples. Mais Luc et Jean disent
qu'il a prononcé ces paroles ŕ l'endroit oů avait eu lieu la Cčne. Car aprčs
cet entretien, le Seigneur a dit : Levez-vous, partons d'ici7. Il faut répondre qu'il est vrai que le
Seigneur a dit ces paroles au lieu oů il avait pris le repas, mais que Matthieu
et Marc suivent l'ordre de leurs souvenirs et non pas l'ordre historique.
On peut dire aussi, selon Augustin8, que le Seigneur a prononcé trois fois ces paroles. Car si on
considčre attentivement les paroles du Seigneur qui nous conduisent ŕ la
prédiction du reniement de Pierre, on remarquera qu'elles ont été dites de
trois façons.
Chez Matthieu et Marc, il est écrit
que le Seigneur a dit : Vous
tous, vous souffrirez le scandale ŕ cause de moi durant cette nuit. Et
Pierre répond : Męme si tous se scandalisent ŕ cause de toi, moi je ne me
scandaliserai jamais. Et Jésus lui dit : Aujourd'hui, cette nuit męme,
avant que le coq chante, tu m'auras renié trois fois9.
Luc rapporte : Jésus leur dit :
Ť Voilŕ que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment. Mais
moi, j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas. ť Pierre lui
dit alors : Ť Seigneur, je suis pręt ŕ aller avec toi en prison et ŕ la
mort. ť Le Seigneur lui répondit : Ť Je te le dis, Pierre, le coq ne
chantera pas aujourd'hui que tu aies nié par trois fois me connaître ť 1.
1. Rm 11,
20.
2. Mt 26,
41.
3. He 4,
15.
4. 1
Ρ 2, 22.
5. Mc 14,
68.
6. De
consensu Evangelistarum, III, II, 7,
PL 34, col. 1161-1162.
7. Jn 14,
31.
8. Op.
cit., III, il, 5, PL 34, col. 1160.
9. Mt 26,
31. 33-34.
1. Lc 22,
31-34.
Or ici, alors que Pierre demandait au
Seigneur : OŮ VAS-TU ?, le Seigneur lui dit : AMEN,
AMEN, JE TE LE DIS : LE COQ NE CHANTERA PAS QUE TU NE M'AIES RENIÉ TROIS FOIS.
On constate donc bien que le Seigneur
avait prédit plusieurs fois le reniement de Pierre.
Évangile
selon saint Jean Chapitre XIV
1 Et il
dit ŕ ses disciples : Ť Que votre cur ne se trouble pas. Vous croyez en
Dieu, croyez aussi en moi. 2 Dans la maison de mon Pčre il y a beaucoup de
demeures. Sinon je vous l'aurais dit : je vais vous préparer un lieu. 3 Et
quand je m'en serai allé et que je vous aurai préparé un lieu, je viendrai de
nouveau et je vous prendrai prčs de moi, pour que lŕ oů moi je suis, vous soyez
aussi. 4 Et oů moi je vais vous le savez, et vous savez le chemin. ť
5
Thomas lui dit : Ť Seigneur, nous ne savons pas oů tu vas. Et comment
pouvons-nous savoir le chemin ? ť 6 Jésus leur dit : Ť Moi je
suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Personne ne vient au Pčre sinon par moi. 7
Si vous m'aviez connu, vous auriez connu aussi mon Pčre. Et dorénavant vous le
connaîtrez, et vous l'avez vu. ť
8
Philippe lui dit : Ť Seigneur, montre-nous le Pčre, et cela nous suffit. ť9
Jésus lui dit : Ť Je suis avec vous depuis si longtemps, et vous ne me
connaissez pas ? Philippe, qui me voit, voit aussi le Pčre. Comment
dis-tu, toi : "Montre-nous le Pčre" ? 10 Ne crois-tu pas que moi
je suis dans le Pčre et que le Pčre est en moi ? Les paroles que moi je
vous dis, je ne les dis pas de moi-męme. Mais le Pčre demeurant en moi fait
lui-męme les uvres. n Ne croyez-vous pas que moi je suis dans le Pčre et que
le Pčre est en moi ? 12 Du moins croyez ŕ cause des uvres elles-męmes. Amen,
amen, je vous le dis : Qui croit en moi fera lui-męme aussi les uvres que moi
je fais ; et il en fera de plus grandes, parce que moi je vais vers le
Pčre. 13 Et tout ce que vous demanderez au Pčre en mon nom, je le ferai, afin
que le Pčre soit glorifié dans le Fils. 14 Si vous me demandez quelque chose en
mon nom, je le ferai. 15 Si vous m'aimez, gardez mes commandements ; 16 et
moi je prierai le Pčre et il vous donnera un autre Paraclet afin qu'il demeure
avec vous éternellement, 17 l'Esprit de vérité que le monde ne peut pas
recevoir parce qu'il ne le voit pas ni ne le connaît. Mais vous, vous le
connaîtrez, parce qu'il demeurera auprčs de vous et qu'il sera en vous. 18 Je
ne vous laisserai pas orphelins : je viendrai vers vous. 19 Encore un peu de
temps, et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous me verrez, parce que moi
je vis et que vous, vous vivrez. 20 En ce jour-lŕ vous connaîtrez que moi je
suis dans mon Pčre, et vous en moi, et moi en vous. 21 Qui a mes commandements
et les garde, c'est celui-lŕ qui m'aime. Or celui qui m'aime sera aimé de mon
Pčre ; et moi je l'aimerai, et je me manifesterai moi-męme ŕ lui. ť
22
Judas, non celui appelé l'Iscariote, lui dit : Ť Seigneur, qu'est-il
advenu, que tu doives te manifester toi-męme ŕ nous et non au
monde ? ť 23 Jésus répondit et lui dit : Ť Si quelqu'un m'aime,
il gardera ma parole. Et mon Pčre l'aimera et nous viendrons ŕ lui, et nous
ferons chez lui notre demeure. 24 Celui qui ne m'aime pas ne garde pas mes
paroles. Et la parole que vous avez entendue n'est pas la mienne mais celle du
Pčre qui m'a envoyé. 25 Je vous ai dit cela, demeurant auprčs de vous ; 26
mais le Paraclet, l'Esprit Saint que le Pčre enverra en mon nom, celui-lŕ vous
enseignera tout, et vous rappellera tout ce que je vous aurai dit.
27 Je
vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Moi, je ne vous la donne pas comme
le monde la donne. Que votre cur ne soit pas troublé ni ne s'effraie. 28 Vous
avez entendu ce que moi je vous ai dit : Je m'en vais et je viens vers vous. Si
vous m'aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Pčre, parce que
le Pčre est plus grand que moi. 29 Et maintenant je vous ai dit cela avant que
cela n'arrive afin que, quand ce sera arrivé, vous croyiez. 30 Je ne parlerai
plus beaucoup avec vous. En effet, il vient le prince de ce monde, et sur moi
il n'a aucun pouvoir. 31 Mais afin que le monde connaisse que j'aime le Pčre et
comme le Pčre m'en a donné le commandement, ainsi je fais. Levez-vous, partons
d'ici ! ť
1848. Auparavant le Seigneur a formé ses disciples par des exemples, ici il
les fortifie par des paroles : en premier lieu est exposée sa longue
exhortation, en second lieu l'explication de ce qu'il a dit [chapitre 16, n°
2068]. Ŕ propos du premier point, il faut savoir que deux choses menaçaient les
disciples et pouvaient les troubler, l'une concernant le présent, ŕ savoir le
départ imminent du Christ, l'autre liée au futur : les tribulations qu'ils
auraient ŕ souffrir.
D'abord, donc, il les fortifie au
sujet du premier point, c'est-ŕ-dire son départ. Plus tard il les fortifiera
quant aux tribulations qu'ils auront ŕ souffrir [chapitre 15, n° 1978]. Ici il
les fortifie quant au fait qu'ils allaient rester lŕ, puis au sujet de son
départ [n° 1965].
En premier lieu, il annonce qu'il va vers le Pčre. En second lieu, il leur promet le don de l'Esprit Saint [n° 1907]. Et en troisičme lieu, il leur promet sa présence [n° 1921].
Il annonce qu'il va vers le Pčre, puis il parle du chemin par lequel il va aller vers lui.
D'abord il chasse le trouble de ses
disciples, puis il montre sa puissance [n° 1851], enfin il ajoute une promesse
[n° 1852].
Le Christ chasse leur trouble.
QUE
VOTRE CUR NE SE TROUBLE PAS. (14, 1)
1849. Il faut savoir que les disciples pouvaient ętre profondément troublés1 par les paroles du Seigneur prononcées plus
haut ŕ propos de la trahison de Judas, du reniement de Pierre, et de son propre
départ. Vraiment tout portait au trouble et ŕ la douleur - Tu as ébranlé la
terre, c'est-ŕ-dire les curs de tes disciples, et tu l'as bouleversée2. Et pour cette raison le Seigneur, voulant
guérir leur détresse, dit : QUE VOTRE CUR NE SE TROUBLE
PAS.
1850. Cependant, il est dit dans les Actes des Apôtres : Jésus commença ŕ
agir et ŕ enseigner3. Mais plus haut, il est dit : Jésus
fut troublé en son esprit4. Comment donc peut-il nous apprendre ŕ
ne pas ętre troublés, lui qui fut troublé le premier ? Je réponds : il
faut dire qu'il n'a pas enseigné le contraire de ce qu'il a fait. Mais ŕ propos
de ce trouble, on dit qu'il fut troublé en son esprit, et non pas que
son esprit fut troublé. Or ici, il ne leur défend pas d'ętre troublés en leur
esprit, mais il défend que leur cur, c'est-ŕ-dire leur esprit, soit troublé.
Il y a en effet un certain trouble provenant de l'esprit et de l'intelligence
qui est louable et n'est pas défendu - Ce qui en effet est une tristesse selon Dieu produit un
repentir salutaire
et durable5. Autre est la tristesse ou le trouble de la
raison elle-męme, et cela n'est pas louable parce que cela détourne de la vraie
droiture, et cela est interdit - Le juste ne sera pas troublé parce que le Seigneur le soutient de sa main6. En effet, qui a toujours Dieu, rien ne peut le troubler.
Le Christ montre sa puissance.
VOUS
CROYEZ EN DIEU, CROYEZ AUSSI EN MOI (14, 1)
1851. C'est pourquoi le Seigneur montre ensuite la puissance de sa divinité
en disant : VOUS CROYEZ EN DIEU, CROYEZ AUSSI EN MOI ; et lŕ il suppose
une chose et il en prescrit une autre.
Il suppose leur foi en Dieu en disant
: VOUS CROYEZ EN DIEU, car en cela ils avaient déjŕ été instruits par lui - II
faut que celui
qui s'approche de Dieu croie7.
Et il leur prescrit de croire en lui
en disant : CROYEZ AUSSI EN MOI Si en effet vous croyez en Dieu, vous devez
par conséquent croire en moi, puisque moi je suis Dieu. Et cette conséquence
est valable, soit que le terme DIEU soit pris essentiellement, puisque le Fils
lui-męme est Dieu, soit qu'il désigne la personne du Pčre. Car nul ne peut
croire en le Pčre s'il ne croit pas en le Fils - Qui n'honore pas le Fils,
n'honore pas le Pčre8. Et dans ce qu'il dit : CROYEZ AUSSI
EN MOI, il atteste qu'il est vraiment Dieu ; car bien qu'on puisse croire
ŕ l'homme ou ŕ quelque créature, cependant nous ne devons croire en personne9 si ce n'est en Dieu. Donc il faut croire en le Christ comme en Dieu - Afin que vous soyez dans son véritable
Fils Jésus Christ. Celui-ci est le vrai Dieu et la vie éternelle1. Et plus haut : L'uvre de Dieu, c'est que
vous croyiez en celui qu'il a envoyé2.
1. Voir
plus haut, n° 1801.
2. Ps 59, 4.
3. Ac 1, 1.
4. Jn 13, 21.
5. 2 Co 7, 10.
6. Ps 36, 24.
7. He 11, 6.
8. Jn 5,
23.
9. Sur la
distinction des trois modalités de l'acte de foi - croire Dieu, croire ŕ Dieu,
croire en Dieu -, voir vol. I, n° 1570, note 6. Et ici saint Thomas précise que
si l'on peut croire ŕ l'homme, on ne peut croire en l'homme. Voir aussi saint Augustin, Tract, in Io., XXIX,
6, ΒΑ 72, p. 607-609.
Le Christ ajoute une promesse.
DANS LA MAISON DE MON PČRE IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES.
SINON JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU. (14, 2)
1852. Ensuite, lorsqu'il dit DANS LA MAISON DE MON PČRE IL Y A BEAUCOUP DE
DEMEURES, il ajoute la promesse que, par le Christ, ils iront vers le Pčre et seront introduits auprčs de
lui. Or la promesse de l'accčs de quelques-uns en quelque lieu implique deux
choses : l'une précčde, ŕ savoir la préparation du lieu ; l'autre suit, ŕ
savoir l'introduction dans le lieu. Et c'est pourquoi le Seigneur fait ici deux
promesses : l'une concerne la préparation du lieu, l'autre l'introduction dans
le lieu. Or la premičre n'est pas nécessaire, puisque déjŕ le lieu a été
préparé ; mais la seconde l'est, et c'est pourquoi ŕ propos de
cela, il fait deux choses.
En premier lieu, il exclut la
nécessité de la premičre promesse : d'abord en écartant la nécessité d'une
préparation, puis en montrant qu'il aurait la faculté de préparer le lieu, si
c'était nécessaire [n° 1857]. En second lieu, il donne la seconde promesse [n°
1858].
I
DANS LA MAISON DE MON PČRE IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES.
1853. Lŕ il faut savoir que, puisque la maison de quelqu'un est celle oů il
habite, on appelle maison de Dieu celle oů Dieu habite ; or Dieu habite
dans les saints - Toi tu es en nous. Seigneur3. Dans certains, c'est par la foi - J'habiterai
en eux4. - Que le Christ habite en vos curs
par la foi5. Mais en d'autres c'est par la jouissance6 parfaite- Afin que Dieu soit tout
en tous1. La maison de Dieu est donc double.
L'une est l'Église militante, ŕ savoir l'assemblée des fidčles - Afin que tu
saches comment il faut te comporter dans la maison de Dieu2 -, et Dieu habite celle-ci par la foi - Voici
la tente de Dieu avec les hommes, et j'habiterai en eux3. L'autre est l'Église triomphante, ŕ savoir le
rassemblement des saints dans la gloire - Nous serons rassasiés des biens de
ta maison4.
1. 1 Jn 5, 20.
2. Jn 6, 29.
3. Jr 14, 9.
4. 2 Co 6, 16 ; Lv 26, 11 ; cf. Ez 37, 27-28.
Saint Thomas commente : Ť J'habiterai en eux, ŕ savoir
dans les saints, en les perfectionnant par la grâce. Or bien que Dieu soit dit
ętre en toutes les réalités par sa présence, sa puissance et son essence, on ne
dit cependant pas qu'il habite en elles, mais seulement dans les saints par la
grâce. La raison en est que Dieu est en toutes les réalités par son action en
tant qu'il s'unit ŕ elles en leur donnant l'exister et en les conservant dans
l'ętre, alors qu'il est dans les saints par l'opération des saints eux-męmes,
opération par laquelle ils atteignent Dieu et d'une certaine maničre le
saisissent en l'aimant et en le connaissant. En effet on dit que celui qui aime
et qui connaît a en lui-męme ce qu'il connaît et ce qu'il aime ť {Ad 2
Cor. lect., VI, n° 240). Dans la Somme théologique, saint Thomas
précise bien, ŕ la suite de saint Grégoire, que Dieu est en toute réalité qu'il
crée Ť par sa puissance parce que tout lui est soumis, par sa présence
parce que tout est ŕ découvert et comme ŕ nu devant ses yeux, par son essence
parce qu'il est présent ŕ tout comme cause d'ętre ť. Et il précise aussi
que Dieu est présent Ť dans les saints par sa grâce ť (I, q. 8, a. 3,
c). Outre ces deux grandes modalités de la présence de Dieu en nous - la présence
dite d'immensité, qui est celle du Créateur ŕ sa créature (actuellement Dieu
crée notre âme, et il nous garde dans l'ętre), et la présence de grâce oů Dieu
par le Christ nous communique la vie męme de la Trčs Sainte Trinité -, il y a
la présence sacramentelle oů Dieu se donne, et d'une maničre éminente dans
l'Eucharistie. Et il faut noter que l'unité de vie avec la Trčs Sainte Trinité,
qui est ce vers quoi nous tendons dans la foi, l'espérance et la charité, est
éminemment personnelle puisque chacun, aimé par Dieu d'un amour unique (cf. Somme
théol., I, q. 20, a. 3), y répond par des actes qui lui sont propres. Mais
nous sommes les membres du Corps mystique du Christ, l'Église qui est
Ť comme une seule personne mystique ť (voir De Veritate, q. 29,
a. 7, sed contra 3 et ad 11 ; Somme théol., III, q. 19, a. 4 ;
q. 48, a. 2, ad 1 ; q. 49, a. 1 ; Commentaire sur l'Évangile de
saint Jean, vol. I, n° 960).
5. Ep 3,
17.
6. Sur le
sens du mot fruitio voir vol. I, n° 527,
note 2. Dans la Somme théologique, I-II, q. 11, saint Thomas rappelle
que la joie est un acte de l'appétit, qu'elle appartient en propre ŕ la
créature rationnelle, qu'elle accompagne la quęte de la fin ultime et surtout
qu'elle est présente quand cette fin est, non certes possédée, mais touchée,
atteinte par notre cur et notre intelligence. Saint Thomas montre aussi que la
joie spirituelle est un effet de la charité (II-II, q. 28, a. 1). Et ŕ
plusieurs reprises il met en lumičre que la véritable joie, la jouissance
pléničre, sera celle de la béatitude. Ť Mais quand nous aurons atteint la
béatitude parfaite, il ne restera plus rien ŕ désirer parce que nous aurons la
pleine jouissance de Dieu, en laquelle nous obtiendrons aussi tout ce qui aura
pu ętre l'objet de nos désirs pour les autres biens, suivant la parole du
psaume : 77 comble de biens tous nos désirs (102, 5). (...) La joie des
bienheureux est donc absolument pléničre, et męme plus que pléničre puisqu'ils
obtiendront plus qu'ils n'auront pu désirer car, comme le dit l'Apôtre : Le
cur de l'homme n'a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux
qu'il aime (1 Co 2, 9). - C'est une bonne mesure, tassée, secouée,
débordante, qu'on versera dans le pli de votre vętement (Le 6, 38). Toutefois,
puisque nulle créature n'est capable d'une joie au sujet de Dieu qui soit
digne de lui, il faut dire que cette joie pléničre n'est pas contenue dans
l'homme, mais que c'est plutôt lui qui y pénčtre, selon cette parole de
Matthieu (25, 21) : Entre dans la joie de ton maître ť (II-II, q. 28,
a. 3, a). Voir aussi III, q. 23, a. 1, c.
Mais est appelée maison du Pčre non
seulement celle qu'il habite, mais aussi lui-męme parce que lui-męme est en
lui-męme. Et dans cette maison il nous rassemble. Or, que Dieu soit lui-męme
une maison, on le voit dans la deuxičme Épître aux Corinthiens : Nous avons
une maison venant de Dieu, qui n'est pas faite de main d'hommes5. Et cette maison est une maison de gloire, qui est Dieu lui-męme - Le
trône de ta gloire élevé depuis le commencement, lieu de notre
sanctification*'. Or l'homme demeure en ce lieu, ŕ savoir en Dieu lui-męme,
quant ŕ la volonté et l'amour7 par la jouissance de la charité - Qui
demeure dans la chanté, demeure en Dieu8 -, et quant ŕ l'intelligence par la
connaissance de la vérité - Sanctifie-les dans la venté9.
1. 1 Co
15, 28. Saint Thomas commente : Ť Afin que Dieu soit tout en tous, c'est-ŕ-dire
afin que l'âme de l'homme se repose totalement en Dieu et que Dieu seul soit sa
béatitude. En effet, pour le moment il y a d'une part la vie, de l'autre la
vertu, et de l'autre la gloire ; mais alors, Dieu sera la vie, et le
salut, et la vertu, et la gloire et toutes choses. Ou, dans un autre sens, afin
que Dieu soit tout en tous, parce qu'alors sera manifesté que tout ce que
nous avons de bon vient de Dieu ť {Ad 1 Cor. lect., XV, n° 950).
2. 1 Tm 3, 15.
3. Ap 21, 3.
4. Ps 64, 5.
5. 2 Co 5, 1.
6. Jr 17, 12.
7. Amour
traduit ici le latin affectus. Sur le sens du mot affectus, voir
ci-dessus, n° 1727, note 2.
8. 1 Jn
4, 16.
9. Jn 17,
17.
Donc, dans cette maison, c'est-ŕ-dire
dans la gloire qui est Dieu, IL Y A BEAUCOUP DE DEMEURES, c'est-ŕ-dire diverses
participations ŕ sa béatitude ; parce que celui qui aime plus et connaît
plus, aura une place plus grande. Donc les diverses participations ŕ la
connaissance et ŕ la jouissance divines sont les diverses demeures.
1854. Mais ici se pose la question de savoir si l'un peut ętre plus
bienheureux que l'autre. Il semble que non. En effet la béatitude est la fin,
et ce qui est parfait n'accepte pas le plus et le moins : donc elle ne peut
ętre possédée plus ou moins.
Je réponds : il faut dire que quelque
chose est dit parfait de deux maničres : absolument, et sous un certain aspect.
Certes, la perfection absolue de la béatitude appartient ŕ Dieu seul, parce que
lui seul se connaît et s'aime autant qu'il est connaissable et aimable (en
effet il connaît infiniment et il aime sa vérité et sa bonté infinies). Et
quant ŕ cela, le souverain bien lui-męme, qui est l'objet de la béatitude et sa
cause, ne peut pas ętre une béatitude plus grande qu'une autre, car il n'est
qu'un seul souverain bien, qui est Dieu. Et quelque chose est dit parfait sous
un certain aspect, c'est-ŕ-dire selon certaines conditions de temps, de nature
et de grâce ; ainsi l'un peut ętre plus bienheureux 10 que l'autre selon l'acquisition de ce bien et la capacité de chaque
homme. Parce que l'homme est d'autant plus capable de la béatitude qu'il y
participe plus en tant qu'il est mieux disposé et ordonné ŕ en jouir. Et on se
dispose ŕ cela de deux maničres. En effet, la béatitude consiste en deux choses
: en la vision divine, et ŕ celle-ci on se dispose par la pureté ; et pour
cette raison, plus quelqu'un a le cur élevé au-dessus des choses terrestres,
plus il verra Dieu, et plus parfaitement. De męme, la béatitude consiste en la
parfaite jouissance de cette vision, et ŕ celle-lŕ on se dispose par
l'amour ; et pour cette raison, celui dont le cur brűlera plus de l'amour
de Dieu, goűtera plus de joie dans la jouissance divine. Ŕ propos de la
premičre il est dit : Bienheureux
ceux qui ont le cur pur parce qu'ils verront Dieu 1.
10. Dans
la Somme théologique, saint Thomas montre que le degré de l'intensité de
notre vision béatifique ne dépendra pas en premier lieu de l'acquisition de nos
connaissances intellectuelles mais de l'intensité et de la ferveur de notre
charité : Ť Certainement, il faut dire que parmi ceux qui verront
l'essence de Dieu, l'un la verra plus parfaitement que l'autre. Mais ce ne sera
pas par une similitude de Dieu plus parfaite dans l'un que dans l'autre ;
car cette vision-lŕ ne se fera pas par similitude, ainsi qu'on l'a montré (a. 2).
Cela proviendra de ce que l'intelligence de l'un aura une capacité plus grande
ŕ l'égard de cette vision de Dieu. Et la faculté de voir Dieu n'appartient pas
ŕ l'intelligence créée selon sa nature mais résulte de la lumičre de gloire,
qui établit l'intelligence dans une sorte d'état déiforme, ainsi qu'on l'a
exposé (a. 2 et a. 5). C'est pourquoi l'intelligence qui participera davantage
ŕ cette lumičre de gloire verra Dieu plus parfaitement. Et celui qui
participera le plus ŕ la lumičre de gloire est celui qui a le plus de charité,
car plus grande est la charité, plus grand est le désir. Et le désir rend d'une
certaine maničre l'ętre qui désire apte et pręt ŕ recevoir ce qui est désiré. Ainsi,
celui qui aura plus de charité verra Dieu plus parfaitement et il sera plus
heureux ť (I, q. 12, a. 6, c.)- Saint Thomas montre l'importance du désir
pour cette connaissance de la vision béatifique qui dépasse la capacité naturelle
de l'intelligence humaine et qui nécessite une lumičre divine venant fortifier
et diviniser l'intelligence, de l'intérieur. Il nous aide ainsi ŕ dépasser tout
regard trop formel et intellectuel sur notre maničre de nous préparer ŕ voir
Dieu. C'est notre désir et notre soif d'aimer, au-delŕ des résultats toujours
inadéquats, qui agrandissent
notre cur et préparent notre intelligence ŕ la vision béatifique.
1855. De męme, on s'interroge sur ce qui est dit dans Matthieu2, qu'un seul denier est donné ŕ tous ceux qui ont travaillé. Or ce
denier n'est rien d'autre qu'une demeure dans la maison du Pčre. Il n'y a donc
pas de nombreuses demeures. Ŕ cela je réponds : il faut dire que la récompense
de la vie éternelle est une, et qu'elle est multiple. Multiple, certes, selon
la capacité différente des participants, selon laquelle il y a diverses
demeures dans la maison du Pčre. Mais une, de trois maničres. Premičrement, ŕ
cause de l'unité de l'objet : en effet, ce que tous les bienheureux voient et
ce dont tous jouissent est le męme ; et c'est pourquoi il y a un seul
denier, mais il sera vu et aimé de diverses maničres - Alors tu abonderas en délices
dans le Tout-Puissant2'. - En
ce jour-lŕ, le Seigneur des armées sera une couronne de gloire et un sceptre
d'exultation pour le reste de son peuple 4. Et c'est comme si quelqu'un indiquait ŕ un
autre une source, afin que tous y puisent ŕ volonté ; celui qui aurait un
plus grand vase, recevrait plus de la source, et celui qui en aurait un plus
petit, moins. Donc la source, quant ŕ elle, est unique, mais la mesure des
récipients, elle, n'est pas la męme. Et c'est l'avis du bienheureux Grégoire5. En second lieu, ŕ cause de la mesure męme de l'éternité, selon
Augustin6 parce que tous auront la béatitude
éternelle, puisque les justes iront vers la vie éternelle, mais diversement
selon leur capacité. En troisičme lieu, ŕ cause de la charité qui unit tout,
faisant des joies de chacun les joies de tous, et réciproquement - Se réjouir avec ceux qui se
réjouissent7.
1. Mt 5,
8. Saint Thomas commente : Ť Bienheureux ceux qui ont le cur pur parce
que, comme l'il qui voit la couleur doit ętre purifié, ainsi l'esprit qui voit Dieu - Cherchez-le
en simplicité de cur parce qu'use laisse trouver par ceux qui ne le tentent
pas ; il apparaît ŕ ceux qui ont foi en lui (Sg 1,
1-2). En effet, le cur est purifié par la foi, par la foi qui purifie les
curs (Ac 15, 9). Et parce que la vision succčde ŕ la foi, il est dit : Ils verront
Dieu ť (Sup. Matth. lect., V, n° 434).
2. Cf. Mt
20, 1-16.
1856. Mais il faut remarquer que cette parole fut pour les pélagiens8 une occasion
d'erreur. En effet, ils disent que les enfants qui meurent non baptisés seront
sauvés dans la maison de Dieu, mais non dans le royaume de Dieu, parce que plus
haut il est dit : Personne, ŕ moins de renaître de Veau et de l'Esprit
Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu 1.
3. Jb 22, 26.
4. Is 28, 5.
5. Moralium libri, IV, 36, 70, PL 75, col. 677
A-B. Voir aussi Homélies sur Ezechiel, II, 4, 6, SC 360, p. 197.
6. Tract,
in Io., LXVII, 2, BA 74A, p. 221-223 Dans
la vie éternelle, Ť nul ne vit plus que l'autre puisqu'il n'y a pas dans
l'éternité diverses longueurs de vie (vivendi mensura) ť.
7. Rm 12,
15.
8. Pélage
est un moine du ν sičcle, originaire des îles britanniques. Source
d'une hérésie qu'on a appelée pélagianisme, sa principale erreur fut, en
exaltant les forces du libre arbitre, de nier la transmission du péché
originel, la nécessité de la grâce divine, la distinction entre l'ordre naturel
et l'ordre surnature1. Il niait donc que la volonté humaine ait été affaiblie
par suite du péché d'Adam, et qu'elle soit donc inclinée au ma1. Ainsi, selon
lui, les petits enfants sont baptisés seulement pour ętre admis au Royaume de
Dieu, en passant du bien au mieux : le baptęme ne les délivre d'aucun mal, ils
en sont exempts. Quant aux adultes, ils n'ont besoin du baptęme que pour la
rémission de leurs péchés. Pelage a nié encore la nécessité de la grâce en tant
qu'elle est un don reçu dans l'âme pour la guérir, la fortifier, mais aussi
l'ennoblir et la surélever. Selon lui, l'homme peut, sans le secours de la
grâce, accomplir tous les préceptes divins. Cependant Pelage, ayant été blâmé
par ses frčres de ce qu'il rejetait le secours de la grâce divine pour l'accomplissement
des commandements, céda ŕ leur observation, mais en partie seulement. Il disait
alors que la grâce était donnée aux hommes afin qu'ils accomplissent plus
facilement, par son moyen, ce qu'ils devaient faire par le libre arbitre. La
grâce n'était pas pour lui un don premier, au-dessus de la nature. Mais il
affirmait encore que cette grâce, sans laquelle nous ne pouvons faire aucun
bien, n'est pas différente du libre arbitre que notre nature a reçu de Dieu, et
que Dieu aide par sa Loi et par sa doctrine. Aussi le Christ est-il simplement
un modčle qui nous encourage ŕ nous perfectionner dans la justice et ŕ devenir
meilleurs. Saint Augustin a combattu avec toute l'intensité de sa foi cette
hérésie, notamment par deux de ses écrits : De spiritu et littera et
De natura et gratia. Il y proclame la nécessité de la
grâce qui, loin d'ętre contre nature, la libčre et la surélčve. Parmi les actes
du Magistčre condamnant cette hérésie, citons notamment ceux du Concile de
Carthage de 418 qui la réfute en 9 canons.
Contre cela Augustin2 rapporte que le Seigneur dit que ces demeures sont dans la maison de
Dieu. Or rien n'est plus dans le royaume que la maison : car le royaume est
constitué de cités, et les cités de quartiers, et les quartiers de maisons.
Donc si les demeures sont dans la maison, il est manifeste qu'elles sont dans
le royaume.
SINON, JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN
LIEU.
1857. Ensuite, il montre qu'il serait capable de leur préparer un lieu si
cela était nécessaire.
En effet, quelqu'un pourrait dire :
C'est vrai que, dans la maison de son Pčre, de nombreuses demeures ont été
préparées ; parce que si cela n'était pas nécessaire, il n'aurait pas ŕ
les préparer. Et c'est pourquoi le Seigneur, excluant cela, dit que SINON,
c'est-ŕ-dire si les demeures n'avaient pas été préparées, JE VOUS L'AURAIS DIT
: JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU.
Lŕ il faut voir ce qu'il dit : VOUS
PRÉPARER UN LIEU. Or on prépare un lieu de deux maničres. D'une maničre, quand
on le dispose en lui-męme, par exemple quand on nettoie ou qu'on agrandit un
lieu - Élargis l'espace de ta tente3. D'une autre maničre, quand on donne ŕ quelqu'un la possibilité
d'entrer ; de lŕ vient que le psaume demandait : Sois-moi un Dieu
protecteur et un lieu fortifié4, comme s'il disait : que j'aie
toujours la possibilité d'entrer. Et on peut comprendre cela de deux maničres.
Si en effet ce lieu était quelque chose de tel qu'il eűt un défaut ou qu'il fűt
quelque chose de créé, il appartiendrait ŕ ma puissance de le perfectionner,
car toute créature est soumise ŕ la puissance du Verbe - Tout a été fait par
lui5. Si donc il était tel qu'il eűt un défaut, JE
VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU. Mais le lieu en lui-męme a
été préparé. En effet, ce lieu est Dieu lui-męme, comme il a été dit, en qui
réside l'excellence de toutes les perfections. Mais peut-ętre n'avez-vous pas
la possibilité d'entrer ; et c'est pourquoi SINON, c'est-ŕ-dire si vous
n'aviez pas la possibilité d'entrer et n'aviez pas été prédestinés ŕ ce lieu,
JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU. En effet il est en mon
pouvoir de vous prédestiner ŕ ce lieu. Car lui-męme, avec le Pčre et l'Esprit
Saint, nous a prédestinés ŕ la vie éternelle - Il nous a élus en lui-męme6.
1. Jn 3,
5. Voir vol. I, nos 431-435.
2. Loc. cit., LXVII, 3, BA 74A, p. 225-227. Les pélagiens n'acceptaient pas que les nouveau-nés morts
sans baptęme soient damnés, mais ils inventaient pour les besoins de la cause
une distinction entre des Ť maisons ť célestes, lieux intermédiaires
qui leur seraient accessibles, et le Ť royaume de Dieu ť, réservé aux
seuls baptisés.
II
ET
QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN LIEU, JE VIENDRAI DE
NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI PRČS DE MOI, POUR QUE LŔ OŮ MOI JE SUIS, VOUS SOYEZ
AUSSI (14, 3)
3. Is 54,
2.
4. Ps 70,
3.
5. Jn 1,
3.
6. Ep 1,
4.
1858. Mais parce que plus haut il avait dit : Oů moi je vais, tu ne peux
pas me suivre ŕ présent1, il ajoute, afin qu'ils ne croient pas
qu'ils seront définitivement séparés de lui : ET QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET
QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN LIEU, JE VIENDRAI DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI
PRČS DE MOI, POUR QUE LŔ OŮ MOI JE SUIS, VOUS SOYEZ AUSSI Lŕ, il présente la
seconde promesse, ŕ savoir celle de les faire entrer dans le royaume. Il semble
qu'il y ait lŕ une contradiction dans ses paroles. En effet il dit : SINON JE
VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU, indiquant par lŕ qu'il ne va
pas pour préparer un lieu. Or ici il dit : ET QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE
JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN LIEU, il indique qu'il va pour préparer un lieu. Mais
il faut dire que, d'une premičre maničre, on pourrait lire cela Ť ensemble2 ť, et alors le sens serait : SINON, c'est-ŕ-dire si cela était
nécessaire, JE VOUS L'AURAIS DIT : JE VAIS VOUS PRÉPARER UN LIEU. Et il redit :
SINON JE VOUS L'AURAIS DIT, c'est-ŕ-dire si je m'en vais et que je vous prépare
un lieu.
Mais selon Augustin on lit
Ť séparément ť, de sorte qu'il y a une conclusion autre que celle-lŕ.
Et il faut dire que le Seigneur a PRÉPARÉ en prédestinant de toute éternité et
qu'il a PRÉPARÉ en exécutant3. Et il a PRÉPARÉ par son départ.
Donc ce qu'il a dit en premier lieu, c'est-ŕ-dire que les demeures avaient été
préparées, on le comprend de la premičre préparation de toute éternité ;
mais ce qu'il dit ici - QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ
se comprend de
l'exécution de la prédestination éternelle4.
1859. Or le Seigneur par son départ nous a préparé un lieu de cinq maničres.
Premičrement en donnant le lieu de la
foi. En effet, puisque la foi porte sur des choses qu'on ne voit pas5, elle n'existait pas chez les disciples ŕ l'égard du Christ quand ils
le voyaient en personne. Donc, il s'éloigna d'eux pour que celui qu'ils avaient
par la présence corporelle et qu'ils voyaient par les yeux du corps, ils
l'aient par une présence spirituelle, et le distinguent par l'il de l'esprit :
et c'est cela, avoir par la foi6. En second lieu, en leur montrant le
chemin pour aller vers ce lieu - Il monte en ouvrant le chemin devant eux1. En troisičme lieu, en priant pour eux - Sy approchant par lui-męme de Dieu, il peut sauver8. - Celui qui monte sur le ciel est
ton aide9. En quatričme lieu, en les attirant en haut - Entraîne-moi
ŕ ta suite10. - Si vous ętes ressuscites avec
le Christ, recherchez les choses d'en haut11. En cinquičme
lieu, en leur envoyant l'Esprit-Saint - L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus
n'avait pas encore été glorifié 1.
1. Jn 13,
36.
2. A
savoir les versets 2 et 3 Sinon je vous l'aurais dit : je vais vous
préparer un lieu, et : Quand je m'en serai allé et que je vous aurai
préparé un lieu.
3. Saint
Thomas distingue les deux ordres liés ŕ la finalité : l'ordre d'intention oů la
finalité est premičre et oů tout est ordonné en fonction d'elle ; l'ordre
d'exécution qui est l'ordre des moyens en vue de la fin, impliquant l'aspect de
la réalisation.
4. Tract, in Io., LXVIII, 1, BA 74A, p. 231-233.
5. Cf. He
11, 1. Rappelons la maničre dont saint Thomas distingue la foi et l'opinion de
l'intelligence et de la science : Ť La foi implique une adhésion de
l'intelligence ŕ ce que l'on croit. Mais l'intelligence adhčre ŕ quelque chose
de deux façons. D'une maničre, elle adhčre parce qu'elle y est portée par
l'objet lui-męme, qui est connu soit par lui-męme, comme il se voit dans les
principes premiers, soit par autre chose, comme il se voit dans les conclusions
qui sont matičre de science. De l'autre maničre, l'intelligence adhčre ŕ
quelque chose sans y ętre pleinement portée par son objet propre, mais en
s'attachant volontairement par un choix ŕ un parti plutôt qu'ŕ un autre. Et si
l'on prend ce parti avec une hésitation ou une crainte ŕ l'égard de l'autre, on
aura une opinion ; mais si l'on prend parti avec certitude et sans aucun
reste d'une telle crainte, on aura une foi. Or lorsqu'on dit qu'on voit les
choses, c'est qu'elles forcent notre esprit ou nos sens ŕ prendre connaissance
d'elles. D'oů il est manifeste que ni la foi ni l'opinion ne peuvent avoir pour
objet des choses qui seraient vues soit par les sens soit par l'esprit ť {Somme
théol., II-II, q. 1, a. 4, c. ; voir aussi II-II, q. 1, a. 5, ad 4). Saint
Thomas montre ici que la foi en le mystčre de l'Incarnation ne porte pas
seulement sur la divinité du Christ. Lorsque la présence corporelle du Christ
disparaît, la foi des disciples porte également sur son nouveau mode de
présence, une Ť présence spirituelle ť.
6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXVIII,
3, BA 74A, p. 237 Ť Celui qui pérégrine loin du Seigneur a besoin de
vivre de la foi parce qu'il est préparé par elle ŕ contempler la réalité ť.
7. Mi 2,
13.
8. He 7,
25. Voir ci-dessous, n° 1910, note 2.
9. Dt 33,
26.
10. Ct 1,
3.
11. Col
3, 1.
1860. Or l'accomplissement de la glorification du Christ eut lieu dans son
Ascension ; et c'est pourquoi, aussitôt qu'il est monté, il a envoyé
l'Esprit Saint ŕ ses disciples. Ainsi, il leur a prédit un départ corporel, en
disant : ET QUAND JE M'EN SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN
LIEU ; et ensuite il leur promet un retour spirituel, en disant : JE
VIENDRAI DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI PRČS DE MOI Je viendrai ŕ la fin du
monde - Il reviendra de la męme maničre que vous l'avez vu monter au ciel2. ET JE VOUS PRENDRAI PRČS DE MOI, glorifiés en
votre âme et votre corps - Nous serons emportés avec eux dans les nuées,
au-devant du Christ, dans les airs3.
1861. Mais les esprits des Apôtres ne sont-ils pas pris par le Christ auprčs
de lui avant la fin du monde ? Ŕ cela il faut répondre que l'opinion des
Grecs est que les saints n'entrent pas au paradis avant le jour du jugement.
Mais s'il en était ainsi, alors c'est en vain que l'Apôtre aurait eu le désir
d'ętre avec le Christ4. Et c'est pourquoi il faut dire
qu'aussitôt que notre maison terrestre a été détruite5, quant ŕ notre âme nous sommes avec le Christ. Et ainsi, ce qu'il dit
- JE VIENDRAI DE NOUVEAU ET JE VOUS PRENDRAI PRČS DE MOI - peut s'entendre de
la venue spirituelle par laquelle le Christ visite toujours l'Église des
fidčles, et vivifie n'importe lequel des saints dans la mort. Et le sens serait
: JE VIENDRAI DE NOUVEAU vers l'Église de maničre spirituelle et continue, ET
JE VOUS PRENDRAI PRČS DE MOI, c'est-ŕ-dire je vous affermirai dans la foi et
dans mon amour - Mon bien-aimé est monté dans le parterre des aromates6, c'est-ŕ-dire dans l'assemblée des saints, pour qu'il paisse, c'est-ŕ-dire
qu'il se délecte dans leurs vertus, et cueille des lis, c'est-ŕ-dire
qu'il attire ŕ lui les âmes pures, quand il vivifie les saints dans la mort.
1862. Ensuite il montre le fruit, en disant : POUR QUE LŔ OU MOI JE SUIS, VOUS SOYEZ AUSSI, c'est-ŕ-dire : oů est la Tęte, que soient les membres ; oů est le Maître, que soient les disciples - Oů sera le corps, lŕ aussi s'assembleront les aigles7. - Oů moi je suis, lŕ aussi sera mon serviteur8.
1863. Plus haut le Seigneur a fortifié ses disciples quant ŕ son départ, leur
promettant qu'ils auraient accčs auprčs du Pčre ; ici il parle du chemin
par lequel ils vont vers le Pčre. Or on ne connaît pas un chemin sans son
terme, et c'est pourquoi il parle aussi du terme ; et il présente d'abord
le chemin et le terme, comme étant connus d'eux ; aprčs quoi il manifeste
ce qu'il a présenté [n° 1865].
1. Jn 7, 39.
2. Ac 1,
11.
3. 1 Th
4, 16.
4. Cf. Ph
1, 23 Et je me sens pressé des deux côtés, désirant d'ętre dissous et
d'ętre avec le Christ, chose bien meilleure pour moi.
5. Cf. 2
Co 5, 1.
6. Ct 6,
1. La Vulgate dit : Dilectus meus descendit, mon bien-aimé est descendu.
7. Mt 24,
28. Saint Thomas commente : Ť Remarquez qu'en hébreu on trouve anathe, ce
qui est la męme chose que cadavre, aussi a-t-il voulu désigner la
Passion du Christ, parce qu'alors le Christ viendra montrant les marques de sa
Passion, et il emploie une comparaison : Oů sera le corps, lŕ aussi
s'assembleront les aigles. - Nous serons emportés dans les nuées ŕ la rencontre
du Seigneur (1 Th 4, 16). Mais certains sont des aigles, et d'autres des
vautours et des corbeaux. Mais il ne dit pas "les vautours" ou
"les corbeaux", mais les aigles, qui désignent les saints - Ils
déploieront leurs ailes comme des aigles, ils voleront et ne s'épuiseront pas (Is
40, 31). Ainsi, comme le dit Jérôme, partout oů il sera fait mémoire de la
Passion du Christ, les saints doivent ętre rassemblés par la mémoire
continuelle de sa Passion - Rappelez-vous les jours d'autrefois oů,
illuminés, vous avez soutenu un grand assaut de souffrances (He 10,
32) ť (Sup. Matth. lect., XXIV, n° 1955). Voir aussi vol. I, n° 1558, note 10, le commentaire de 1 Th 4,
15. Voir aussi ci-dessous, n° 2256, note 4.
8. Jn 12,
26.
Le Christ présente le
chemin et le terme.
ET OU
MOI JE VAIS VOUS LE SAVEZ, ET VOUS SAVEZ LE CHEMIN. (14, 4)
1864. Ŕ ce propos, il faut savoir que le Seigneur avait dit : QUAND JE M'EN
SERAI ALLÉ ET QUE JE VOUS AURAI PRÉPARÉ UN LIEU, JE VIENDRAI DE NOUVEAU vers
vous. Parce que les
disciples lui demanderaient peut-ętre oů il allait, comme ci-dessus Pierre a
demandé : Seigneur, oů vas-tu ?, le Seigneur, sachant cela2, leur dit : ET OŮ MOI JE VAIS VOUS LE SAVEZ, ET VOUS SAVEZ LE CHEMIN.
En effet, je vais vers le Pčre, que vous connaissez, car je vous l'ai manifesté
- J'ai manifesté ton nom aux hommes3. Or le chemin par lequel je vais, je le suis, moi que vous connaissez - Nous
avons vu sa gloire4. C'est donc ŕ juste titre qu'il a dit
: OŮ MOI JE VAIS VOUS LE SAVEZ, ET VOUS SAVEZ LE CHEMIN, parce qu'ils
connaissaient le Pčre par le Christ, et avaient appris ŕ connaître le Christ en
vivant avec lui5, et par sa présence.
Il rend clair ce qu'il a
affirmé.
1865. Le Seigneur éclaire ensuite ce qu'il a affirmé ; et
l'Évangéliste commence par présenter l'occasion de cette révélation (manifestatio),
puis il donne cette révélation [n° 1867].
THOMAS
LUI DIT : Ť SEIGNEUR, NOUS NE SAVONS PAS OŮ TU VAS. ET COMMENT POUVONS-NOUS
SAVOIR LE CHEMIN ? ť (14, 5)
1866. L'occasion de la révélation faite ici par le Christ fut le doute de
Thomas qui interroge. THOMAS LUI DIT : Ť SEIGNEUR, NOUS NE SAVONS PAS OŮ
TU VAS. ET COMMENT POUVONS-NOUS SAVOIR LE CHEMIN ? ť Lŕ, remarque que
Thomas nie les deux choses que le Seigneur a affirmées ; car le Seigneur a
dit qu'ils savaient ŕ la fois le chemin et le terme du chemin ; or Thomas
dit qu'il ne sait pas le chemin, ni le terme ; cependant l'un et l'autre
sont vrais. Car il est vrai qu'ils savaient, cependant ils ne savaient pas
qu'ils savaient6. En effet, beaucoup savaient ŕ
propos du Pčre et du Fils des choses qu'ils avaient apprises du Christ ;
mais ils ignoraient que le Pčre était celui vers qui le Christ allait et
que le Fils était le chemin par lequel il allait. En effet, il est difficile
d'aller vers le Pčre ; et il n'est pas étonnant qu'ils l'aient ignoré,
parce que, bien qu'ils connussent parfaitement le Christ en tant qu'homme, ils
reconnaissaient cependant imparfaitement sa divinité - L'oiseau a ignoré son
sentier7.
Et il ajoute : COMMENT POUVONS-NOUS
SAVOIR LE CHEMIN ? La connaissance du chemin dépend en effet de la
connaissance du terme ; donc, parce que le terme nous est inconnu - Il habite
une lumičre inaccessible 8 -, son chemin nous est impénétrable,
selon ce passage de l'Épître aux Romains : Ses chemins sont impénétrables \
1. Jn 13, 36.
2. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem
hom., LXXIII, 2, PG 59, col. 387 Ť En disant : "Vous
savez", il dévoile le désir de leur
esprit et leur donne l'occasion de l'interroger ť.
3. Jn 17, 6.
4. Jn 1, 14.
5. Saint
Thomas utilise le mot conversatio.
6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXIX,
1, BA 74\ p. 245 Ť C'est donc qu'ils savaient et qu'ils
ignoraient qu'ils savaient. Que le Seigneur les convainque qu'ils savent déjŕ
ce qu'ils pensent ne pas savoir encore ť.
7. Jb 28, 7.
8. 1 Tm 6, 16. Voir vol. I, n° 454, note 11.
II
JÉSUS
LEUR DIT : Ť MOI JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE. PERSONNE NE VIENT
AU PČRE SINON PAR MOI SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON
PČRE. ET DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ, ET VOUS L'AVEZ VU. ť (14, 6-7)
1867. Le Seigneur révčle ensuite les deux choses qu'il leur avait annoncées.
D'abord le chemin et son terme ; ensuite le fait qu'ils connaissaient l'un
et l'autre [n° 1876].
MOI JE
SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE. PERSONNE NE VIENT AU PČRE SINON PAR MOI.
En premier lieu, il révčle ce qu'est
le chemin ; en second lieu ce qu'est le terme [n° 1873].
1868. Le chemin, comme il a été dit, est le Christ lui-męme, et c'est
pourquoi il dit : MOI JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE. Et cette
affirmation n'est pas sans raison, car par lui nous avons accčs auprčs du Pčre,
comme il est dit dans l'Épître aux Romains2. Cela convient aussi ŕ son propos :
il veut montrer clairement le doute du disciple qui l'interroge.
Et parce que ce chemin n'est pas
distant du terme mais lui est conjoint, il ajoute : LA VÉRITÉ ET LA VIE ;
et ainsi lui-męme est en męme temps le chemin et le terme. Le chemin, certes,
selon son humanité, le terme selon sa divinité. Ainsi donc, selon qu'il est
homme, il dit : MOI JE SUIS LE CHEMIN ; et selon qu'il est Dieu, il ajoute
: LA VÉRITÉ ET LA VIE. Ces deux mots désignent de maničre convenable le terme
de ce chemin.
Car le terme de ce chemin est la fin
du désir humain. Or l'homme désire avant tout deux choses : premičrement, la
connaissance de la vérité, ce qui lui est propre ; en second lieu la
conservation3 de son ętre, ce qui est commun ŕ
toutes les réalités. Or le Christ est le chemin pour parvenir ŕ la connaissance
de la vérité, bien que cependant il soit lui-męme la Vérité - Conduis-moi, Seigneur, dans ta
vérité et que je marche dans ta voie4. Le Christ est aussi le chemin pour parvenir ŕ la vie, bien qu'il soit lui-męme la Vie - Tu
m'as fait connaître les chemins de la vie5. Et c'est pourquoi il a désigné le
terme de ce chemin par la vérité et la vie ; ces deux mots ont été dits
plus haut ŕ propos du Christ. Il a d'abord été dit qu'il est lui-męme la Vie - En
lui-męme était la vie -, et ensuite qu'il est la Vérité, parce qu'il était la lumičre des hommes6, et que la lumičre est la vérité.
1869. Il faut noter que ces deux termes conviennent en propre, par eux-męmes,
au Christ. La vérité, en effet, lui convient par soi parce que lui-męme est le
Verbe. La vérité, en effet, n'est rien d'autre que l'adéquation de la réalité ŕ
l'intelligence], qui se fait quand l'intelligence conçoit la
réalité telle qu'elle est. Donc la vérité de notre intelligence appartient ŕ
notre verbe2, qui en est la conception. Mais
cependant bien que notre verbe soit vrai, il n'est pourtant pas la vérité
elle-męme, puisqu'il n'existe pas par lui-męme mais qu'il provient de
l'adéquation ŕ la réalité conçue. Donc la vérité de l'intelligence divine appartient
au Verbe de Dieu. Mais parce que le Verbe de Dieu est vrai par lui-męme,
puisqu'il n'est pas mesuré par les réalités mais que les réalités, dans la
mesure oů elles sont vraies, parviennent ŕ sa ressemblance, de lŕ vient que le
Verbe de Dieu est la Vérité elle-męme. Et parce que nul ne peut connaître la
vérité s'il n'adhčre pas ŕ la Vérité, il faut que tout homme qui désire
connaître la vérité adhčre ŕ ce Verbe.
1. Rm 11,
33.
2. Cf. Rm
5, 2 Lui ŕ qui nous devons d'avoir accčs, par la foi, ŕ cette grâce oů
nous sommes établis, et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de
Dieu.
3. Saint
Thomas, en disant sui esse continuationem, parle en effet de la
conservation de l'ętre, concernant toutes les réalités. Dans la question de la Somme
théologique oů il traite de la loi naturelle, saint Thomas distingue trois
niveaux : Ť C'est selon l'ordre des inclinations naturelles que se prend
l'ordre des préceptes de la loi naturelle. En effet, il y a en premier lieu
dans l'homme une inclination ŕ chercher le bien, selon la nature, qu'il a en
commun avec toutes les autres réalités : toute réalité recherche la
conservation de son ętre, selon sa nature propre. (...) En second lieu, il y a
dans l'homme une inclination ŕ chercher certains biens plus spéciaux,
correspondant ŕ la nature qui lui est commune avec les autres animaux. Ainsi
appartient ŕ la loi naturelle ce que "la nature enseigne ŕ tous les
animaux", comme l'union du mâle et de la femelle, le soin des petits, etc.
En troisičme lieu, il y a dans l'homme une inclination ŕ chercher le bien
correspondant ŕ sa nature rationnelle, qui lui est propre : ainsi a-t-il une
inclination naturelle ŕ connaître la vérité sur Dieu, et ŕ vivre en
communauté ť (Somme théol, I-II, q. 94, a. 2, c).
4. Ps 85,
11. La Vulgate dit l'inverse : Conduis-moi, Seigneur, dans ta voie, et que
je marche dans ta vérité.
5. Ps 15,
11. Saint Thomas commente : Ť Cela s'applique au Christ pour ses
membres ; et ces chemins sont ses enseignements et ses préceptes, qui sont
des chemins vers la béatitude - Garde mes commandements et tu vivras (Pr
7, 2). Et c'est pourquoi il dit : Tu m'as fait connaître les chemins de la
vie ť (Exp. in Psalmos, 15, n° 7).
6. Jn 1,
4.
Quant ŕ la vie, elle lui convient en
propre parce que toute réalité qui a par elle-męme quelque opération est dite
vivante. Et on dit non vivantes les réalités qui n'ont pas par elles-męmes le
mouvement. Parmi les opérations de la vie, il y a avant tout les opérations
intellectuelles : c'est pourquoi l'intelligence elle-męme est dite vivante, et
son action est une certaine vie. Or en Dieu l'acte d'intelligence et
l'intelligence ne font qu'un3 d'oů il est manifeste que le Fils,
qui est le Verbe de l'intelligence du Pčre, est sa vie. Ainsi donc le Christ
s'est désigné lui-męme comme le Chemin, et le chemin conjoint au terme : parce
que lui-męme est le terme ayant en lui tout ce qui peut ętre désiré, puisqu'il
est la Vérité et la Vie.
1870. Si donc tu cherches par oů passer, accueille le Christ, parce qu'il est
lui-męme le Chemin - Voici
le chemin, marchez-y 4. Et Augustin dit5 Ť Avance par l'homme, et tu
parviendras ŕ Dieu. ť II vaut mieux en effet boiter sur le chemin
qu'avancer fermement en dehors du chemin. Car celui qui boite sur le chemin,
męme s'il avance peu, s'approche du terme ; quant ŕ celui qui marche en
dehors du chemin, plus il court fermement, plus il s'éloigne du terme. Mais si
tu cherches oů aller, adhčre au Christ, parce que lui-męme est la Vérité ŕ
laquelle nous désirons parvenir - Ma bouche méditera ta vérité6. Si tu
cherches oů demeurer, adhčre au Christ parce que lui-męme est la Vie - Celui qui me
trouvera, trouvera la vie7.
Adhčre donc au Christ si tu veux ętre
en sűreté : en effet tu ne pourras pas dévier, parce qu'il est lui-męme le
Chemin. Aussi ceux qui adhčrent ŕ lui ne marchent pas oů il n'y a pas de route,
mais par un chemin droit - Je te montrerai le chemin de la sagesse8. Et, au contraire, il est dit de certains : Ils n'ont pas trouvé le
chemin vers une
cité habitée9. De męme on ne peut ętre trompé, parce
que lui-męme est la Vérité et enseigne toute vérité - Moi, je suis né et je suis venu dans le monde pour ceci
: rendre témoignage ŕ la venté10. De męme encore, on ne peut ętre troublé parce que
lui-męme est la Vie et donne la vie - Moi, je suis venu pour qu'on ait la vie, et qu'on l'ait
surabondante1. Car, comme dit Augustin2, le Seigneur dit : MOI JE SUIS LE CHEMIN, LA VÉRITÉ ET LA VIE comme
s'il disait : Par oů veux-tu aller ? MOI JE SUIS LE CHEMIN. Oů veux-tu
aller ? MOI JE SUIS LA VÉRITÉ. Oů veux-tu demeurer ? MOI JE SUIS LA
VIE. En effet, comme le dit Hilaire3, il ne conduit pas par des voies
trompeuses, lui qui est le Chemin, il ne trompe pas par des mensonges, lui qui
est la Vérité, il ne laisse pas dans l'erreur de la mort, lui qui est la Vie.
1. Pour
la créature rationnelle, la vérité est l'adéquation de l'intelligence ŕ la
réalité, mais pour l'intelligence divine, vraie en elle-męme, qui est mesure et cause de toutes les réalités, la vérité
est précisément l'adéquation de la réalité ŕ l'intelligence. Voir Somme
théol, I, q. 16, a. 5, c.
2. Sur le sens du mot verbum, voir
vol. I, n° 25.
3. C'est
Aristote qui le premier, en contemplant le mystčre de Dieu, met en lumičre que l'Intelligence premičre est son acte de penser, et qu'elle se pense elle-męme,
puisqu'elle est ce qu'il y a de plus excellent
et que Ť sa pensée est la pensée de la pensée ť {Métaphysique, A,
ch. 9, 1074 b 34). Voir aussi Somme théol, I, q. 14, a. 4.
4. Is 30,
21.
5. Sermones
de Scripturis, 141, IV, PL 38, col. 777-778. L'éd. Marietti met une seule
phrase entre guillemets mais en fait tout l'alinéa est une citation ad
litteram, morcelée, du texte de saint Augustin.
6. Pr 8,
7.
7. Pr 8,
35.
8. Pr4,
11.
9. Ps
106, 4.
10. Jn
18, 37.
1871. On peut expliquer cela autrement. Il y a trois choses dans l'homme qui
sont liées ŕ sa sainteté, ŕ savoir son action, sa contemplation et son
intention4 ; et ces choses sont menées ŕ
leur perfection par le Christ. Car pour ceux qui exercent une activité, le
Christ est le Chemin ; pour ceux qui persévčrent dans la contemplation, le
Christ est la Vérité ; mais il dirige l'intention des actifs et des
contemplatifs vers la Vie, c'est-ŕ-dire la vie éternelle5. Il enseigne en effet ŕ aller et ŕ pręcher pour le sičcle ŕ venir6. Ainsi donc, le Seigneur est pour nous le chemin par lequel nous
allons vers lui, et par lui vers le Pčre.
1872. Mais puisque lui, qui est le Chemin, va vers le Pčre, est-il ŕ lui-męme
son propre chemin ? Comme dit Augustin7, il est le Chemin et celui qui va
par le Chemin, et le lieu oů il va : c'est pourquoi lui-męme va par lui-męme
vers lui-męme. Car en tant qu'homme il est le Chemin : c'est pourquoi il est
venu par la chair, en demeurant oů il était ; et il s'en va par la chair,
sans quitter le lieu d'oů il est venu ; par la chair aussi il revient vers
lui, la Vérité et la Vie : car Dieu était venu par la chair vers les hommes, la
Vérité vers les menteurs, la Vie vers les mortels - Dieu, en effet, est
véridique, mais tout homme est menteur91. Or, quand il a quitté les hommes pour aller lŕ oů personne ne ment, il
a élevé sa chair, lui-męme qui est le Verbe fait chair, et par sa chair il est
retourné vers la Vérité qu'il est lui-męme. Et c'est comme si je disais : mon
esprit, tandis que je parle ŕ d'autres, part vers eux, et cependant ne me
quitte pas : mais quand je me suis tu, je retourne en quelque sorte vers moi,
et je demeure avec ceux ŕ qui je parle. Ainsi donc le Christ, qui pour nous est
le Chemin, s'est fait le chemin pour lui-męme aussi, c'est-ŕ-dire pour sa chair,
pour aller vers la Vérité et la Vie.
1. Jn 10, 10.
2. Serm. de Scr., 142, I, PL 38, col. 778.
3. La
Trinité, VII, 33, SC 448, p. 353-355.
4. Ce
sont les trois aspects de l'image de Dieu en l'homme : le dominium (l'action),
l'intelligence (la contemplation) et la volonté (l'intention). Mais ces trois
aspects sont ici liés ŕ la finalité, ŕ leur acte. Et par ces actes finalisés,
l'homme ressemble ŕ Dieu. Sur les différentes similitudes entre Dieu et
l'homme, voir ci-dessous, note 5 du n° 1879. Voir aussi Somme théol, I,
q. 93, a. 7 et a. 8.
5. Saint
Thomas reprend ici le commentaire de Théophylacte sur ce verset (Enarr. in
Ev. S. Ioannis. In h. foc., PG 124, col. 171 C).
6. Cf. Mc
10, 30 ; Ep 1, 21.
7. Ce
paragraphe reprend les affirmations principales d'un développement plus long du
Tract, in Io., LXIX, 2-4, BA 74A, p. 247-259.
PERSONNE
NE VIENT AU PČRE SINON PAR MOI.
1873. Il éclaire ensuite les questions qui s'étaient posées ŕ propos du terme
du chemin. Or le chemin, qui est le Christ, comme il a été dit, conduit vers le
Pčre. Mais parce que le Pčre et le Fils sont un, ce chemin conduit aussi ŕ
lui-męme. Et c'est pourquoi le Christ dit qu'il est le terme du chemin.
PERSONNE, dit-il, NE VIENT AU PČRE SINON PAR MOI.
1874. Mais il faut savoir que, comme dit l'Apôtre, personne ne connaît les choses
de l'homme si ce n'est son esprit qui est en lui9 ; il faut comprendre : si ce n'est dans la mesure oů l'homme veut se
manifester. Or quelqu'un manifeste son secret par son verbe, et c'est pourquoi
nul ne peut pénétrer le secret de l'homme si ce n'est par le verbe de l'homme.
Donc puisque personne ne sait les choses de Dieu si ce n'est l'Esprit de
Dieu *, nul ne peut venir ŕ la connaissance du Pčre si ce n'est par son
Verbe, qui est son Fils - Et nul ne connaît le Pčre si ce n'est le Fils2. Et de męme que l'homme, voulant se révéler
par le verbe de son cur qu'il profčre par sa bouche, revęt en quelque sorte ce
męme verbe de lettres ou d'une voix, ainsi Dieu, voulant se manifester aux
hommes3, revęt de la chair, dans le temps,
son Verbe conçu de toute éternité. Et ainsi nul ne peut parvenir ŕ la
connaissance du Pčre si ce n'est par le Fils. C'est pourquoi il dit : Moi je
suis la porte. Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé4.
8. Rm 3,
4, qui se réfčre au Ps 115, 11.
9. 1 Co
2, 11.
1875. Mais il faut noter, selon Chrysostome, que plus haut le Seigneur dit : Nul
ne peut venir ŕ moi si le Pčre qui m'a envoyé ne l'attire5, alors qu'ici il dit : PERSONNE NE VIENT AU
PČRE SINON PAR MOI En cela est montrée l'égalité du Fils et du Pčre6. Ce qui est le chemin apparaît donc, c'est le Christ ; et ce qui
est le terme, c'est le Pčre.
SI VOUS
M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PČRE. ET DORÉNAVANT VOUS LE
CONNAÎTREZ, ET VOUS L'AVEZ VU. (14, 7)
1876. Il montre ensuite que les disciples connaissent ces deux choses, ŕ
savoir le lieu oů il va et le chemin, et d'abord il en donne la
manifestation ; ensuite il exclut le doute qui s'élčve [n° 1882].
Premičrement, il montre que la connaissance qu'on a du Fils ne va pas sans la
connaissance qu'on a du Pčre. En second lieu il manifeste oů en sont les
disciples par rapport ŕ la connaissance du Pčre [n° 1880].
1. Ibid.
2. Mt 11, 27.
Cf. ci-dessus, n° 1830, note 8.
3. Somme
théol., III, q. 1, Sur les convenances de l'Incarnation. Citons
notamment : Ť Par le mystčre de l'Incarnation nous sont manifestées ŕ la
fois la bonté, la sagesse, la justice et la puissance de Dieu ť (a. 1, sed
contra).
4. Jn 10,9.
5. Jn 6, 44.
6. In Ioannem nom., LXXIII, 2, PG 59, col. 388.
Sitôt aprčs avoir rappelé une premičre parole du Christ (le Pčre
attire vers le Christ, rfˇ Jn 6, 44), saint Jean Chrysostome plaçait
conjointement une autre affirmation grâce ŕ laquelle la conclusion sur
l'égalité du Fils avec le Pčre est plus claire : Quand j'aurai été élevé de
terre, j'attirerai tout ŕ moi (Jn 12, 32). En effet, comment le Pčre et le
Fils peuvent-ils exercer la męme attraction s'ils ne sont pas égaux ?
SI VOUS
M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PČRE.
1877. Il dit donc en premier lieu : Je vous ai dit que je suis le Chemin, et
que vous connaissez le chemin, c'est-ŕ-dire moi ; donc vous savez aussi oů
je vais, parce qu'on ne peut avoir la connaissance de moi-męme sans la
connaissance du Pčre. Et c'est ce qu'il dit : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PČRE.
1878. Plus haut il dit aux Juifs : Si vous me connaissiez, vous
connaîtriez peut-ętre aussi mon Pčre !1 Pourquoi donc dit-il : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI
MON PČRE, alors que plus haut il dit peut-ętre ? Il semble que lŕ
il ait douté de ce qu'ici il affirme.
Mais il faut dire qu'alors il parlait
aux Juifs qu'il blâmait ; et c'est pourquoi il ajoute peut-ętre, non
qu'il doute, mais parce qu'il les blâme. Mais ici, il parle aux disciples qu'il
instruit : et c'est pourquoi il leur présente la vérité avec une affirmation,
en disant : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI MON PČRE, comme s'il
disait : Si vous connaissiez ma grâce et ma dignité, vous connaîtriez aussi
celles du Pčre. Car rien ne fait mieux connaître une réalité que son verbe et
son image ; or le Fils est le Verbe du Pčre - Dans le Principe
était le Verbe, et le Verbe était auprčs de Dieu8. - Et le Verbe s'est fait chair,
et il a habité parmi nous. Nous avons vu sa gloire, gloire quil tient de son
Pčre comme Fils unique, plein de grâce et de vérité1. Le Fils est aussi l'image du Pčre - [Lui]
qui est l'image du Dieu invisible2. - Lui qui étant la splendeur de sa gloire
et l'empreinte de sa substance3. Donc, c'est dans le Fils que le Pčre
est connu, comme dans son Verbe et sa propre image4.
7. Jn 8,
19.
8. Jn 1,
1.
1879. Mais il faut remarquer que, dans la mesure oů une chose accčde ŕ la
ressemblance du Verbe du Pčre, dans cette męme mesure le Pčre est connu en
elle, et de męme dans la mesure oů cette réalité a quelque chose de l'image du
Pčre. Or, puisque tout verbe créé est une certaine similitude de ce Verbe, et
que dans toute réalité on trouve une similitude de la divinité - ou une
similitude d'image ou une similitude de vestige5 -, mais une similitude imparfaite,
de lŕ vient que ce que Dieu est en lui-męme ne peut ętre connu parfaitement par
aucune créature ni par aucune intelligence ni conception d'une intelligence
créée6 ; mais seul le Verbe, l'unique
engendré, qui est parfait et qui est la parfaite image du Pčre, connaît et
comprend cela męme qui est du Pčre.
Aussi, selon Hilaire7, ces paroles peuvent s'enchaîner autrement. Car quand le Seigneur dit
: PERSONNE NE VIENT AU PČRE SINON PAR MOI, Arius, interrogé sur la maničre
d'aller au Pčre par le Fils, répond que c'est par l'enseignement de sa
doctrine, c'est-ŕ-dire dans la mesure oů le Fils instruit les hommes ŕ propos
du Pčre par sa doctrine - Pčre, j'ai manifesté ton nom aux hommes8. Mais le
Seigneur, excluant ceci, dit : SI VOUS M'AVIEZ CONNU, VOUS AURIEZ CONNU AUSSI
MON PČRE, comme pour dire : Arius ou tout autre homme peut bien parler du Pčre,
mais nul n'est assez grand pour que, étant connu, le Pčre soit connu, si ce
n'est le Fils qui est de męme nature que lui.
1. Jn 1, 14.
2. Col 1, 15.
3. He 1, 3. Cf. vol. I, n° 1278, note
4. Voir aussi ci-dessus, n° 1662, note 2.
4. Voir
ci-dessus, n° 1712 et note 4.
5. Voir Somme
théol, I, q. 33, a. 3 ; q. 45, a. 7. Saint Thomas, pour parler du lien
qu'une créature peut avoir avec Dieu, met en lumičre quatre similitudes : la
similitude de vestige, pour les créatures irrationnelles ; la similitude
d'image, pour les créatures rationnelles ; la similitude de grâce, pour
ceux qui, ayant reçu le don de la grâce, sont destinés ŕ l'héritage de la
gloire éternelle ; la similitude de gloire, pour ceux qui possčdent déjŕ
l'héritage de la gloire (voir q. 33, a. 3, a). Par rapport au mystčre de la
Trčs Sainte Trinité, il dit aussi que Ť dans les créatures rationnelles,
en qui il y a l'intelligence et la volonté, on trouve une similitude (similitudo)
de la Trinité par mode d'image, en tant qu'on trouve en elles le verbe qui
conçoit et l'amour qui procčde. Mais dans toutes les créatures on trouve une
similitude (similitudo) de la Trinité par mode de vestige ť (q. 45,
a. 7, a). Il montre également la différence entre le Verbe, Image du Pčre, et
la créature qui est ŕ l'image de Dieu (q. 35, a. 2, ad 3), ainsi que le rapport
du Verbe ŕ la créature (q. 34, a. 3). Sur l'image de Dieu chez l'homme, voir aussi
op. cit., I, q. 93.
6. Cf. Somme théol., I, q. 12, a. 7.
7. La
Trinité, VII, 33, SC 448, p. 355.
ET DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ, ET VOUS L'AVEZ VU.
1880. Il montre ensuite oů en sont les disciples par rapport ŕ la
connaissance du Pčre. Or le Seigneur avait dit plus haut ŕ ses disciples qu'ils
connaissaient le Pčre, en disant : Oů moi je vais vous le savez9. Et cela Thomas l'a nié, en disant : Seigneur,
nous ne savons pas oů tu vas 10. Et c'est pourquoi ici le Seigneur
montre que d'une certaine maničre ils connaissent le Pčre, afin de montrer que
sa parole est vraie, et que d'une autre maničre ils ne le connaissent pas, de
sorte que la parole de Thomas est vraie. Il expose par rapport ŕ cela une
double connaissance du Pčre : l'une ŕ venir, l'autre qui était dans le passé.
Donc il dit que DORÉNAVANT VOUS LE
CONNAÎTREZ. Il dit DORÉNAVANT puisqu'il y a deux connaissances ŕ propos du
Pčre. L'une parfaite, qui est par la vision immédiate de Dieu, et que nous
aurons dans la Patrie - Quand il apparaîtra, nous serons semblables ŕ lui11 ; l'autre imparfaite, qui existe par un miroir
et en énigme, et que nous avons par la foi - Nous voyons maintenant par un
miroir, en énigme 1. Donc cette parole peut s'entendre de chacune des
deux ; et le sens serait : DORÉNAVANT VOUS LE CONNAÎTREZ, selon une
connaissance parfaite, dans la Patrie - Je vous annoncerai
des choses ŕ propos du Pčre ouvertement2 -, comme s'il disait : C'est vrai que
vous ne le connaissez pas d'une connaissance parfaite, mais DORÉNAVANT VOUS LE
CONNAÎTREZ, quand le mystčre de ma Passion aura été accompli. Ou : DORÉNAVANT,
c'est-ŕ-dire aprčs ma Résurrection et mon Ascension et l'envoi de l'Esprit
Saint, VOUS LE CONNAÎTREZ d'une connaissance parfaite de foi, parce que, quand
viendra l'Esprit Paraclet, celui-lŕ vous enseignera tout3. Ainsi donc, tu dis vrai parce que tu ne le connais pas d'une
connaissance parfaite ; mais moi je dis vrai, parce que vous l'avez vu - Aprčs
cela il a été vu sur la terre et il a vécu avec les hommes4. Ils ont vu en effet le Christ, selon qu'il a
assumé notre chair en laquelle était le Verbe, et dans le Verbe, le Pčre :
c'est pourquoi en lui ils ont vu le Pčre - C'est de lui que je suis, et c'est lui qui m'a
envoyé5.
8. Jn 17,
6.
9. Jn 14,
4.
10. Jn
14, 5.
11. 1 Jn
3, 2.
1881. Mais remarque que le Pčre n'était pas dans la chair par l'unité de personne, mais il était dans le Verbe incarné par une unité de nature, et le Pčre était vu dans le Christ incarné - Nous avons vu sa gloire, gloire qu'il tient de son Pčre comme Fils unique, plein de grâce et de venté 6.
1882. Ici, le Seigneur dissipe le doute qui s'élčve chez son disciple, et
l'Évangéliste nous montre premičrement l'opinion de celui qui doute ; puis
il montre comment le Christ chasse ce doute [n° 1884].
L'opinion de celui qui doute.
PHILIPPE
LUI DIT : Ť SEIGNEUR, MONTRE-NOUS LE PČRE, ET CELA NOUS SUFFIT. ť
(14, 8)
1883. Il faut savoir qu'auparavant le Seigneur avait promis aux disciples une
chose ŕ venir : la connaissance parfaite de Dieu, lorsqu'il a dit : Et
dorénavant, vous le connaîtrez7 ; et une autre chose passée :
le fait qu'ils l'ont vu. Et Philippe, en entendant cela, croyait qu'il avait vu
le Pčre ; mais il réclame la connaissance en disant : SEIGNEUR,
MONTRE-NOUS LE PČRE - demande qui ne se rapporte pas ŕ la vision mais ŕ la
connaissance -, ET CELA NOUS SUFFIT. Cela n'est pas étonnant, puisque la vision
du Pčre est la fin de tous nos désirs et de toutes nos actions, de sorte qu'il
n'y a rien de plus ŕ rechercher - Tu me
rempliras de joie par ton visage8, c'est-ŕ-dire par la vision de ton visage. - C'est lui qui remplit de biens ton désir9.
1. 1 Co 13, 12.
2. Jn 16, 25.
3. Jn 14, 26.
4. Ba 3, 38.
5. Jn 7,
29.
6. Jn 1, 14.
7. Jn 14,
7.
8. Ps 15,
11. Voir ci-dessus, n° 1868, note 5.
9. Ps
102, 5.
Le Christ chasse ce doute.
1884. En premier lieu est exposé le rejet du doute, puis est ajoutée la
manifestation de ce qui a été dit [n° 1892].
JÉSUS
LUI DIT : Ť JE SUIS AVEC VOUS DEPUIS SI LONGTEMPS, ET VOUS NE ME
CONNAISSEZ PAS ? PHILIPPE, QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PČRE. COMMENT
DIS-TU, TOI "MONTRE-NOUS LE PČRE" ? NE CROIS-TU PAS QUE MOI JE
SUIS DANS LE PČRE ET QUE LE PČRE EST EN MOI ? ť (14, 9-10)
Le Seigneur commence par reprocher
[au disciple] sa lenteur, puis il établit la vérité [n° 1887]. Enfin, il blâme
sa demande [n° 1890].
I
JÉSUS
LUI DIT : Ť JE SUIS AVEC VOUS DEPUIS SI LONGTEMPS, ET VOUS NE ME
CONNAISSEZ PAS ? ť
1885. Autrement dit : du fait de l'intimité 1 prolongée dans laquelle j'ai vécu pendant si longtemps avec vous, vous
auriez dű me connaître. Et si vous m'aviez connu, vous connaîtriez aussi le
Pčre. Du fait donc que tu ne connais pas le Pčre, tu laisses entendre que tu ne
me connais pas : et en cela tu dois ętre blâmé pour ta lenteur - Vous aussi,
ętes-vous encore sans intelligence ?2 - Alors qu'avec le temps vous devriez ętre
devenus des maîtres, vous avez encore besoin qu'on vous enseigne les premiers
éléments de la parole de Dieu3.
1886. Mais lŕ un doute se présente : plus haut le Seigneur a dit aux
disciples qu'ils le connaissaient, quand il a dit : Vous savez le chemin4, or ici il semble dire le contraire en disant
: VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS.
Mais il faut dire, selon Augustin5, que parmi les disciples il y en avait qui connaissaient le Christ
aussi en tant qu'il était le Verbe de Dieu, et parmi eux, Pierre, qui dit : Tu
es le Christ, le Fils du Dieu vivant6 ; et il y en avait d'autres qui
ne le connaissaient pas vraiment, parmi lesquels Philippe. Ŕ l'égard des
premiers, le Seigneur dit donc : ET OŮ MOI JE VAIS, VOUS LE SAVEZ, mais ŕ
l'égard des seconds il dit : VOUS NE ME CONNAISSEZ PAS.
On peut dire autrement. Le Christ
pouvait ętre connu de deux maničres : selon sa nature humaine, et de cette
maničre tous le connaissaient ; quant ŕ cela il dit : ET OŮ MOI JE VAIS,
VOUS LE SAVEZ. Et selon sa nature divine, et de cette maničre-lŕ ils ne le
connaissaient pas encore parfaitement ; c'est pour cela qu'il dit : VOUS
NE ME CONNAISSEZ PAS. C'est évident d'aprčs ce qu'il ajoute : PHILIPPE, QUI ME
VOIT, VOIT AUSSI LE PČRE, comme pour dire : si vous me connaissiez, vous
connaîtriez le Pčre ; et ainsi tu ne dirais pas : MONTRE-NOUS LE PČRE,
puisque tu l'aurais déjŕ vu, m'ayant vu - Si vous me connaissiez, vous
connaîtriez peut-ętre aussi mon Pčre1.
II
PHILIPPE,
QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PČRE.
1887. Mais Sabellius8 a pris lŕ un appui pour son erreur,
en disant : pourquoi a-t-il dit : QUI ME VOIT, VOIT AUSSI
LE PČRE, sinon parce que
lui-męme est ŕ la fois le Pčre et le Fils ?
1. Saint
Thomas emploie le mot conversatio. Sur le sens de ce mot, voir vol. I, n° 1176, note 3 ; n° 1374, note 13 ; n°
1584, note 2.
2. Mt 15, 16.
3. He 5, 12.
4. Jn 14, 4.
5. Tract, in Io., LXX, 2, BA 74A, p. 267.
6. Mt 16,
16.
7. Jn 8,
19.
8. Au
sujet de Sabellius, voir vol. I, n° 64, note 3.
Ŕ cela Hilaire ! répond : s'il
en était ainsi, le Seigneur aurait dit : QUI ME VOIT, VOIT LE PČRE sans aucune
conjonction apposée ; mais puisqu'il a ajouté une conjonction, en disant :
QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PČRE, il montre la distinction. Et selon Augustin2, c'est comme si quelqu'un disait en parlant de deux réalités
semblables : Ť Si tu as vu celle-ci, tu as vu aussi celle-lŕ. ť Or
dans le Fils il y a une similitude du Pčre absolument parfaite3 ; c'est pourquoi il dit : QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PČRE. Mais
dans le Fils il y a une similitude encore plus grande que dans les hommes,
parce qu'en eux la similitude ne peut jamais ętre selon la męme forme ou la
męme qualité numériquement, mais seulement selon l'espčce ; alors que,
dans le Fils, il y a numériquement la męme nature que celle qui est dans le
Pčre ; et voilŕ pourquoi le Pčre est vu davantage dans la vision du Fils
que dans celle de n'importe quel homme, si semblables qu'ils paraissent.
1888. Il faut noter qu'ŕ partir des paroles qui sont dites ici est exclue
l'erreur d'Arius4 quant ŕ deux aspects. Premičrement
quant au fait qu'il nie la consubstantialité. En effet, il est impossible que
dans la vision d'une substance créée puisse ętre vue une substance incréée, de
męme que par la connaissance d'une substance d'un genre donné on ne peut avoir
la connaissance d'une substance d'un autre genre. Il est donc manifeste que le
Fils n'est pas une substance créée, mais qu'il est consubstantiel au Pčre :
autrement celui qui voit le Fils ne verrait pas le Pčre5.
Deuxičmement, par rapport ŕ ce que
les ariens disent sur ce passage de la premičre épître ŕ Timothée : Au roi
des sičcles, immortel,
invisible, au seul Dieu6, ŕ savoir que seul le Pčre est invisible, tandis que le
Fils dans sa nature aurait été vu souvent : si cela était, il s'ensuivrait
aussi que le Pčre aurait été vu fréquemment, puisque celui qui voit le Fils
voit aussi le Pčre. Donc, puisque le Pčre est invisible selon sa nature, il est
impossible que le Fils ait été vu dans sa nature.
1889. Mais on peut objecter : pourquoi le Seigneur a-t-il blâmé Philippe qui,
voyant le Fils, demandait ŕ voir le Pčre, alors que n'est pas blâmable celui
qui, voyant une représentation, voudrait voir la réalité représentée ?
Ŕ cela Chrysostome7 répond en disant que Philippe, entendant parler de la vision du Pčre
et de sa connaissance, voulait voir le Pčre lui-męme avec ses yeux de chair, de
la męme maničre qu'il pensait aussi avoir vu le Fils lui-męme ; et c'est
pourquoi le Seigneur a désapprouvé cela en lui montrant que ce n'est pas le
Fils lui-męme dans sa nature qu'il a vu avec son il de chair. Augustin8, quant ŕ lui, dit que le Seigneur n'a pas désapprouvé la demande mais
l'esprit de celui qui demandait. Car Philippe dit : MONTRE-NOUS LE PČRE, ET
CELA NOUS SUFFIT, comme pour dire : Ť Nous, nous te connaissons, mais cela
ne suffit pas. ť Et ainsi croyait-il que la satisfaction parfaite n'était
pas dans la connaissance du Fils mais dans la connaissance du Pčre. Et par lŕ
il semblait juger que le Fils était moindre que le Pčre. Et c'est cela que le
Seigneur a reproché, en disant : QUI ME VOIT, VOIT AUSSI LE PČRE, montrant par
lŕ qu'il y a dans la connaissance du Fils la męme satisfaction que dans la
connaissance du Pčre.
1. La
Trinité, VII, 38, SC 448, p. 363.
2. Tract, in Io., LXX, 2, BA 74A, p. 267-269.
3. Cf. Somme théol., I, q. 35.
4. Au
sujet d'Arius, voir vol. I, n° 61, note 2.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXPV, 1, PG59, col. 401.
6. 1 Tm 1, 17.
7. In Ioannem hom., LXXPV, 1, PG 59, col. 400.
8. Cf. Tract,
in Io., LXX, 3, BA 74A, p. 271-273 Ť Philippe
désirait connaître le Pčre comme si le Pčre était meilleur que le Fils et, de
ce fait, il ne connaissait męme pas le Fils puisqu'il croyait que quelque chose
était meilleur que lui ť.
III
COMMENT
DIS-TU, TOI Ť MONTRE-NOUS LE PČRE ť ? NE CROIS-TU PAS QUE MOI
JE SUIS DANS LE PČRE ET QUE LE PČRE EST EN MOI ?
1890. Voilŕ pourquoi ensuite lorsqu'il dit : COMMENT DIS-TU, TOI Ť MONTRE-NOUS LE PČRE ť ?,
il blâme sa demande d'abord en elle-męme, puis dans sa racine.
Il blâme sa demande en disant :
COMMENT DIS-TU, TOI Ť MONTRE-NOUS LE PČRE ť ?, puisque le Pčre
est vu dans le Fils. Philippe pouvait dire assurément : Moi qui ai parlé légčrement,
que puis-je répondre ? Je mettrai ma main sur ma bouche 1.
Il blâme cette demande dans sa racine
quand il dit : NE CROIS-TU PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PČRE ET QUE LE PČRE EST
EN MOI ?, comme s'il disait : Tu veux avoir le Pčre, croyant avoir en lui
l'absolu ; mais si tu crois ainsi, TU NE CROIS PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE
PČRE ET QUE LE PČRE EST EN MOL Car si tu croyais cela, tu espérerais avoir en
moi le męme absolu que dans le Pčre.
1891. Or ce qu'il dit : MOI JE SUIS DANS LE PČRE ET LE PČRE EST EN MOI, est
dit ŕ cause de l'unité d'essence - Moi et le Pčre, nous sommes un2.
Il faut savoir en effet que l'essence se rapporte autrement ŕ la personne dans les Personnes divines et dans les hommes. Car chez les hommes, l'essence de Socrate n'est pas Socrate, parce que Socrate est quelque chose de composé ; mais dans les Personnes divines, l'essence est identique ŕ la personne selon la réalité, et ainsi l'essence du Pčre est le Pčre et l'essence du Fils, le Fils. Donc partout oů est l'essence du Pčre, le Pčre lui-męme est ; et partout oů est l'essence du Fils, le Fils lui-męme est. Or l'essence du Pčre est dans le Fils et l'essence du Fils est dans le Pčre. Donc le Fils est dans le Pčre et le Pčre dans le Fils. Et c'est ainsi qu'Hilaire l'explique3.
1892. Ici le Seigneur manifeste sa réponse, en premier lieu ŕ travers les
uvres qu'il fait par lui-męme, et en second lieu ŕ travers les uvres qu'il
fera par ses disciples [n° 1897].
1. Jb 39,
34 [BJ 40, 4]. Saint Thomas commente : Ť II faut ici remarquer que devant
Dieu et sa conscience Job ne s'accuse pas de mauvaise foi en ses paroles ou
d'orgueil en son intention, car il avait parlé avec pureté de cur, mais
légčreté de langage. C'est-ŕ-dire que męme s'il n'avait pas parlé avec un
orgueil intérieur, cependant ses paroles semblaient avoir une note d'arrogance,
dont ses amis avaient pris occasion pour se scandaliser. Car il faut éviter non
seulement le mal mais aussi toute forme de mal - Abstenez-vous de toute
forme de mal (1 Th 5, 22) -, et c'est pourquoi il ajoute : Je mettrai ma
main sur ma bouche, c'est-ŕ-dire pour ne plus jamais laisser échapper de
semblables paroles, et de toutes celles que j'ai dites je me repens ť
(Exp. super lob, 39, 34, p. 212, 1. 345-357).
2. Jn 10,
30.
3. La
Trinité, VII ; 39-41, SC 448, p. 363-371.
Les uvres faites par le Seigneur lui-męme.
Il expose d'abord les uvres qu'il
fait lui-męme, puis il conclut par une exhortation sur la foi [n° 1896].
I
LES
PAROLES QUE MOI JE VOUS DIS, JE NE LES DIS PAS DE MOI-MĘME. MAIS LE PČRE
DEMEURANT EN MOI FAIT LUI-MĘME LES UVRES. NE CROYEZ-VOUS PAS QUE MOI JE SUIS
DANS LE PČRE ET QUE LE PČRE EST EN MOI ? DU MOINS CROYEZ Ŕ CAUSE DES
UVRES ELLES-MĘMES. (14, 10-12)
1893. La foi au Christ en tant que Dieu pouvait ętre manifestée de deux
maničres : ŕ partir de son enseignement et ŕ partir de ses miracles. Et plus
loin le Seigneur dit les deux : Si je n'avais pas fait parmi eux des
uvres que nul autre n'a faites, ils n'auraient pas de péché1 - quant aux miracles ; et si je
n'étais pas venu et que je ne leur avais pas parlé, ils n'auraient pas de péché2 - quant ŕ son enseignement. Et plus haut, les
serviteurs des princes des prętres disent de lui : Jamais un homme n'a parlé
ainsi, comme parle cet homme3. Et l'aveugle dit de lui : Jamais
on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né4.
En se servant de ces deux choses, le
Seigneur montre sa divinité. Quant au premier point il dit : LES PAROLES QUE
MOI JE VOUS DIS, ŕ savoir par l'instrument de mon humanité, JE NE LES DIS PAS
DE MOI-MĘME, mais de par celui qui est en moi, c'est-ŕ-dire le Pčre - Moi,
ce que j'ai entendu de mon Pčre, c'est ce que je dis dans le monde5. Donc le Pčre qui parle en moi est en moi.
Mais puisque tout ce que dit un homme, il est nécessaire qu'il le tienne du
Verbe premier - or le Verbe premier, c'est-ŕ-dire le Verbe de Dieu, est du Pčre
-, il est donc nécessaire que toutes les paroles (verba) que nous disons
viennent de Dieu. Quand donc quelqu'un dit des paroles qu'il tient du Pčre, le
Pčre est en lui.
Quant au second point il dit : LE
PČRE DEMEURANT EN MOI FAIT LUI-MĘME LES UVRES, parce que personne ne pourrait
faire les uvres que moi je fais, sans le Pčre - Le Fils ne peut rien faire
de lui-męme6.
1894. Mais Chrysostome7 demande comment le Christ,
commençant par des paroles, en est venu aux uvres. Il a dit en effet : LES
PAROLES QUE MOI JE VOUS DIS, et il dit ensuite : LE PČRE (...) FAIT LUI-MĘME
LES UVRES.
Cela se résout de deux maničres.
D'une premičre maničre selon Chrysostome, qui dit, ŕ la maničre dont on les a
liés plus haut, qu'il parle d'abord de son enseignement et ensuite de ses
miracles. Selon Augustin8, il faut dire que les paroles que le
Seigneur disait, il les appelle des uvres : L'uvre de Dieu, c'est que vous
croyiez en celui qu'il a envoyé9. C'est pourquoi, lorsqu'il dit : LE
PČRE FAIT LUI-MĘME LES UVRES, il fait comprendre que ses paroles elles-męmes
sont des uvres.
1895. Mais remarque que c'est ŕ partir de ces deux aspects pris séparément
que des hérésies ont trouvé leur appui : parce que ce qu'il dit - JE SUIS DANS
LE PČRE -, Sabellius l'interprčte en disant que le Pčre et le Fils sont le
męme. Et ce que Jésus dit : JE NE LES DIS PAS DE MOI-MĘME, Arius le comprend en
concluant ŕ partir de lŕ que le Fils est moindre que le Pčre. Mais par cela
męme les hérésies en question sont exclues. Car si le Pčre et le Fils étaient
identiques, comme Sabellius l'imagine, le Fils ne dirait pas : LES PAROLES QUE
MOI JE VOUS DIS, JE NE LES DIS PAS DE MOI-MĘME. Et si le Fils était moindre que
le Pčre, selon le blasphčme d'Arius, il ne dirait pas l : LE PČRE
DEMEURANT EN MOI FAIT LUI-MĘME LES UVRES.
1. Jn 15, 24.
2. Jn 15, 22.
3. Jn 7, 46.
4. Jn 9, 32.
5. Jn8, 26.
6. Jn 5, 19.
7. In Ioannem hom., LXXIV, 2, PG 59, col. 401.
8. Tract, in Io., LXXI, 3, BA 74A, p. 283-285.
9. Jn 6,
29.
II
NE CROYEZ-VOUS PAS QUE MOI JE SUIS DANS LE PČRE ET QUE LE
PČRE EST EN MOI ? DU MOINS CROYEZ Ŕ CAUSE DES UVRES ELLES-MĘMES.
1896. Puisqu'ŕ partir des deux affirmations précédentes est manifestée la foi
en la Trinité, il conclut en les exhortant ŕ croire : NE CROYEZ-VOUS PAS QUE MOI JE SUIS
DANS LE PČRE ET QUE LE PČRE EST EN MOI ? En grec il y a CROYEZ - ŕ savoir,
ŕ moi - QUE MOI JE SUIS DANS LE PČRE ET QUE LE PČRE EST EN MOI Ou bien : II
est étonnant que vous ne croyiez pas QUE MOI JE SUIS DANS LE PČRE ET QUE LE
PČRE EST EN MOI Comment cela doit ętre compris, cela a été expliqué plus
haut. Mais remarque qu'avant il a parlé seulement ŕ Philippe, alors qu'ŕ partir
du moment oů il dit : LES PAROLES QUE MOI JE VOUS DIS..., il parle ŕ tous les
Apôtres en męme temps2. Que si les paroles que moi je vous
dis ne suffisent pas ŕ montrer la consubstantialité, du moins CROYEZ Ŕ CAUSE
DES UVRES ELLES-MĘMES3. Plus haut : Les uvres que le
Pčre m'a données pour que je les accomplisse, ces uvres męmes que je fais,
rendent témoignage de moi4.
Si vous ne voulez pas croire en moi, croyez dans les uvres5.
Les uvres que le Seigneur devait faire par ses disciples.
AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI CROIT EN MOI FERA
LUI-MĘME AUSSI LES UVRES QUE MOI JE FAIS ; ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES,
PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PČRE. ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PČRE EN
MON NOM, JE LE FERAI, AFIN QUE LE PČRE SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS. (14, 12-13)
1897. Aprčs avoir manifesté ce qu'il avait dit par les uvres qu'il faisait
par lui-męme, ici le Seigneur le manifeste par les uvres qu'il accomplira par
ses disciples ; il expose tout d'abord les uvres des disciples, puis de
quelle maničre ils uvrent [n° 1903].
1. Ce
passage reprend un développement quelque peu polémique de saint Augustin (il
faut tenir les deux extręmes de la foi dans le Christ, homme et Dieu), dont on
perçoit encore le style ironique (cf. Tract, in Io., LXXI, 2, BA 74A, p. 279).
2. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXI, 2, BA 74A, p. 279.
3. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXIV, 2, PG 59, col. 401.
4. Jn 5,
36. 5. Jn 10, 38.
I
Il commence par exposer les uvres des
disciples et, en second lieu, il donne la raison de ce qui a été dit [n° 1902].
AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI CROIT EN MOI FERA
LUI-MĘME AUSSI LES UVRES QUE MOI JE FAIS ; ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES.
1898. Il dit donc d'abord : AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, comme s'il disait :
les uvres que moi je fais sont si grandes qu'elles donnent une preuve
suffisante de ma divinité ; mais si elles ne vous suffisent pas, regardez
les uvres que je vais faire par d'autres.
En effet, qu'un homme opčre, non seulement
par lui-męme mais encore par d'autres, des choses extraordinaires, c'est le
signe par excellence d'une grande puissance ; et c'est pourquoi il dit :
AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : QUI CROIT EN MOI FERA LUI-MĘME AUSSI LES UVRES
QUE MOI JE FAIS - et ces paroles montrent non seulement la vérité de la
divinité dans le Christ, mais aussi la puissance de la foi, et l'union du
Christ avec les croyants. De męme en effet que le Christ opčre ŕ cause du Pčre
qui demeure en lui par unité de nature, de męme aussi les croyants opčrent ŕ
cause du Christ qui demeure en eux par la foi - Que le Christ habite dans
vos curs par la foi !
Or les uvres que le Christ a faites
et que les disciples font par la puissance du Christ sont des uvres
miraculeuses - Or voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru :
en mon nom ils chasseront les démons, ils parleront en langues nouvelles, ils
saisiront des serpents, et s'ils boivent quelque poison mortel, il ne leur
nuira point ; ils imposeront les mains sur les malades, et ils seront
guéris2.
1899. Mais ce qu'il ajoute est étonnant : ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES.
D'une premičre maničre on peut comprendre que le Seigneur fait par ses Apôtres
des uvres plus nombreuses et plus grandes que par lui-męme. Le plus grand, en
effet, parmi les miracles du Christ, fut que des malades étaient guéris au
toucher de la frange de son vętement3, comme il est rapporté dans Matthieu4. Mais on lit de Pierre dans les Actes des Apôtres que les malades
étaient guéris au passage de son ombre5. Or il est plus grand de guérir par
son ombre que par la frange de son vętement6. Deuxičmement, on peut comprendre
que le Christ a fait des uvres plus nombreuses par les paroles de ses
disciples que par les siennes. En effet, le Seigneur parle ici des uvres qui
avaient été faites par des paroles, comme le dit Augustin, et il appelait alors
uvres ces paroles qu'il disait et dont le fruit était leur foi7. On lit en effet ŕ propos du Christ dans Matthieu8, qu'ŕ ses paroles le jeune homme ne fut pas déterminé ŕ vendre ce
qu'il avait et ŕ le suivre. Car, alors qu'il disait au jeune homme : Va, et
vends tout ce que tu as, on ajoute : Il
s'en alla triste. Mais ŕ
propos de Pierre et des autres Apôtres, on lit dans les Actes9 que ceux ŕ qui ils pręchaient vendaient leurs possessions et tout ce
qu'ils avaient et qu'ils en apportaient le prix aux pieds des Apôtres.
1900. Mais quelqu'un pourrait objecter que le Seigneur ne dit pas que ce sont
les Apôtres qui feront des uvres plus grandes, mais [CELUI] QUI CROIT EN MOI
Celui qui n'a pas fait des uvres plus grandes que le Christ ne doit donc pas
ętre compté parmi ceux qui croient dans le Christ ? Au contraire !
car ce serait dur10. Voilŕ pourquoi il faut comprendre
autrement, et dire que le Christ fait une uvre double. L'une sans nous, et
cela va de soi pour ce qui est de créer le ciel et la terre, relever des morts
et autres choses du męme genre ; l'autre opérée en nous, mais pas sans
nous ; et c'est l'uvre de la foi, par laquelle l'impie est justifié1. C'est donc de ces uvres-lŕ que le Seigneur parle ici, celles qui
sont communes au croyant et ŕ lui. Et c'est l'uvre que le Christ fait en nous,
mais pas sans nous : tout homme qui croit fait la męme chose, puisque ce qui
est fait en moi par Dieu est aussi fait en moi par moi-męme, ŕ savoir par mon
libre arbitre2. C'est pourquoi l'Apôtre dit : Non
pas moi - sous-entendu moi seul -, mais la grâce de Dieu avec moi3. Et de ces uvres-lŕ il dit : QUI CROIT EN MOI
FERA LUI-MĘME AUSSI LES UVRES QUE MOI JE FAIS, ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES
parce qu'il est plus grand de justifier l'impie que de créer le ciel et la
terre. Car la justification de l'impie, quant ŕ elle, demeure pour l'éternité -
La justice est perpétuelle et immortelle4. Le ciel et la terre, eux, passeront, comme il est
dit en Luc5. De męme, parce qu'une uvre
matérielle est ordonnée ŕ une uvre spirituelle : le ciel et la terre sont une
uvre matérielle, tandis que la justification de l'impie est une uvre
spirituelle.
1. Ep 3, 17. Voir vol. I, n° 1207, note 7.
2. Mc 16,
17-18.
3. Pourquoi
est-ce le plus grand miracle ? Ressusciter n'est-il pas Plus grand ? Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., XCI, 3, BA 74B, p. 207-209.
4. Voir Mt 9, 20.
5. Voir Ac 5, 15.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXI, 3, BA 74A, p. 283.
7. Ibid. Saint
Augustin donne comme exemple, outre la guérison par le seul effet de l'ombre et
la conversion de riches, le fait que les disciples aient conduit des foules ŕ
la foi, et il rapporte la parole du Christ : Sans moi, vous ne pouvez rien
faire (Jn 15,5 ; cf. LXXII, 1, BA 74A, p. 287).
8. Voir
Mt 19, 21-22.
9. Cf. Ac
4, 34-35.
10. Cf. saint
Augustin, auquel se rattache aussi tout le développement suivant (Tract, in Io.,
LXXII, 1, BA 74A, p. 287-291) contenant la formule : Ť Faire des choses
plus grandes par lui qu'en dehors de lui n'est pas abaissement, mais
condescendance ť.
1901. Mais ici se présente un doute. Car dans la création du ciel et de la
terre est incluse aussi la création des saints et des anges bienheureux. Celui
qui coopčre avec le Christ en vue de sa justification fait-il donc des choses
plus grandes que de créer un ange ?
1. Selon
saint Thomas, les deux grands effets de la grâce en nous sont la justification
de l'impie (effet de la grâce opérante) et le mérite (effet de la grâce
coopérante) : voir Somme théol, I-II, q. 113 et 114. Sur la grâce, voir
aussi ci-dessus n° 1698, note 7.
2. Au
sujet de la coopération de notre libre arbitre ŕ ce don reçu gratuitement de
Dieu, citons ce passage de la Somme théologique : Ť La nature
propre de l'homme, c'est d'ętre doué du libre arbitre. D'oů, quand il s'agit
d'un homme qui a l'usage de son libre arbitre, la motion que Dieu lui donne
pour l'amener ŕ la justice ne va pas sans que s'exerce ce libre arbitre. Dieu
communique la grâce de la justification de telle sorte qu'il meut en męme temps
le libre arbitre ŕ accepter le don de la grâce, et cela dans tous ceux qui sont
capables de recevoir cette motion ť (I-II, q. 113, a. 3, c). Saint Thomas
montre aussi que le caractčre méritoire de nos actions vient de cette
coopération de notre libre arbitre que Dieu permet et porte : Ť C'est
ainsi que les réalités naturelles parviennent par leurs mouvements et leurs
opérations propres ŕ ce ŕ quoi elles sont ordonnées par Dieu, mais cependant
différemment. La créature raisonnable se porte d'elle-męme ŕ l'action par son
libre arbitre, c'est pourquoi son action est méritoire, ce qui n'existe pas
dans les autres créatures ť (I-II, q. 114, a. 1, c).
3. 1 Co
15, 10.
4. Sg 1,
15.
5. Le 21,
33.
Cela, Augustin ne le détermine pas
mais il dit : Ť Que celui qui le peut juge s'il est plus grand de créer
des anges justes que de justifier des hommes impies : certainement, si ces deux
choses sont égales en puissance, cette derničre est d'une plus grande
miséricorde. ť6 Or si nous regardons avec grande
attention de quelles uvres le Seigneur parle ici, nous ne pouvons préférer la
création des anges ŕ la justification de l'impie. En effet, par ce qu'il dit :
ET IL EN FERA DE PLUS GRANDES, il ne faut pas entendre toutes les uvres du
Christ, mais peut-ętre seulement celles qu'il faisait ŕ ce moment-lŕ. Or c'est
par la parole de la foi qu'il les faisait : et certes il est moins grand de
pręcher les paroles de la justice - ce qu'il a fait sans nous - que de justifier
des impies - ce qu'il fait en nous de telle maničre que nous le fassions, nous
aussi.
PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PČRE
1902. Il donne ensuite la raison de ce qui a été dit - que celui-lŕ fera des
uvres plus grandes -, en disant : PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PČRE. Et cela
peut ętre interprété de trois maničres, selon Chry-sostome7. D'une premičre maničre, en ce sens : moi j'uvre aussi longtemps que
je suis dans le monde mais, une fois que je serai parti, c'est vous qui serez ŕ
ma place ; et c'est pourquoi ce que moi je fais, vous, vous le ferez, et
męme des uvres plus grandes PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PČRE, et ŕ partir de
ce moment-lŕ je ne fais rien par moi-męme, c'est-ŕ-dire en pręchant.
D'une autre maničre en ce sens : les
Juifs croient que, quand j'aurai été tué, la foi [des hommes] en moi va
disparaître ; et cela n'est pas vrai, au contraire elle va ętre
augmentée, et vous, vous ferez des uvres plus grandes PARCE QUE MOI JE VAIS
VERS LE PČRE ; c'est-ŕ-dire : je ne disparais pas, mais je demeurerai dans
ma dignité propre, et je serai dans les cieux - Maintenant a été glorifié le
Fils de l'homme \
6. Tract,
in Io., LXXII, 3, BA 74A, p. 297-299, repris par saint Thomas dans la Somme
théologique, III, q. 43, a. 4, ad 2.
7. In Ioannem hom., LXXIV, 2, PG 59, col. 402. Les trois
réponses proviennent de ce passage de saint Jean Chrysostome.
D'une troisičme maničre : vous ferez
des uvres plus grandes, et cela PARCE QUE MOI JE VAIS VERS LE PČRE ;
comme pour dire : étant donné que je serai glorifié davantage, il convient que
je fasse des uvres plus grandes et aussi, que je vous donne les capacités d'en
faire de plus grandes. Voilŕ pourquoi, avant que Jésus eűt été glorifié,
l'Esprit ne fut pas donné aux disciples dans la plénitude avec laquelle il a
été donné plus tard : L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus
n'avait pas encore été glorifié2.
II
ET TOUT
CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PČRE EN MON NOM, JE LE FERAI, AFIN QUE LE PČRE SOIT
GLORIFIÉ DANS LE FILS. (14, 13)
1903. Le Seigneur indique ici la maničre de réaliser les uvres ; il
montre d'abord son intention, puis il en donne la raison [1906].
ET TOUT
CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PERE EN MON NOM, JE LE FERAI.
1904. Ŕ ce propos il faut savoir que, puisque le Seigneur a dit : ET IL EN
FERA DE PLUS GRANDES, on pourrait croire, puisque c'est d'aprčs la grandeur des
uvres qu'est reconnue la grandeur de celui qui les fait, que celui qui croit
dans le Fils de Dieu deviendra plus grand que lui3 ; le Seigneur exclut cela
d'aprčs sa maničre de faire, puisque le Fils fait ses uvres de sa propre
autorité, tandis que celui qui croit en lui les fait en faisant appel ŕ lui, et
c'est pourquoi il dit : ET TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PČRE EN MON NOM, JE
LE FERAI.
Et lŕ l'égalité des croyants avec le
Fils est exclue de trois maničres. Premičrement, parce que ceux-lŕ, comme nous
l'avons dit, font les uvres en faisant appel ; c'est pourquoi il dit :
TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ - Quiconque demande, reçoit*. Deuxičmement,
parce qu'ils les font par la puissance du Fils : aussi dit-il EN MON NOM,
c'est-ŕ-dire par la puissance de mon nom - Il
n'est pas sous le ciel d'autre nom
donné aux hommes, par lequel nous devions ętre sauvés5. Ce nom en effet est au-dessus de tout nom6 - Non pas ŕ nous, Seigneur, non pas ŕ nous, mais ŕ ton nom donne la
gloire7. Troisičmement, parce que c'est le Fils
lui-męme qui fait en eux et par eux toutes les uvres, c'est pourquoi il dit :
JE LE FERAI Et remarque que c'est au Pčre qu'on demande et que c'est le Fils
qui fait : parce que les uvres du Pčre et du Fils sont indivisibles - Tout
ce que le Pčre fait, cela le Fils aussi le fait pareillement8. Car le Pčre fait tout par le Fils -
Tout a été fait par lui9.
1905. Mais pourquoi dit-il : TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PČRE EN MON NOM,
JE LE FERAI, alors que nous voyons de ses fidčles demander10 et ne pas recevoir ?
1. Jn 13, 31.
2. Jn 7, 39.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXII, 1, BA 74A, p. 287-289.
4. Mt 7,
8.
5. Ac 4,
12.
6. Ph 2, 9
C'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de
tout nom.
7. Ps 113
[B], 1.
8. Jn 5,
19.
9. Jn 1,
3.
10. Sur
la pričre de demande, voir ci-dessous n° 2142, et surtout n° 2177, note 2, et nos 2205-2207.
Mais, selon Augustin1, ici il faut d'abord considérer ce qu'il dit, ŕ savoir EN MON NOM,
puis ce qu'il ajoute : JE LE FERAI.
En effet, le nom2 du Christ est le nom du salut - Tu l'appelleras du nom de Jésus : car c'est lui qui
sauvera son peuple de ses péchés3. Celui donc qui demande quelque chose
se rapportant au salut, demande au nom du Christ. Mais il arrive que quelqu'un
demande des choses qui ne se rapportent pas au salut pour deux raisons. En
raison d'une affection mauvaise ; par exemple, lorsqu'il demande que lui
soit accordée quelque chose qui cependant, s'il l'avait, empęcherait son salut.
Et c'est pourquoi celui qui demande ainsi n'est pas exaucé parce qu'il demande
mal - Vous demandez et vous ne recevez pas parce que vous demandez mal4. En effet, lorsque quelqu'un, ŕ cause d'une
affection mauvaise, usera mal de ce qu'il veut recevoir, ce sera une plus
grande miséricorde du Seigneur qu'il ne le reçoive pas, parce que le Seigneur
ne l'aura pas exaucé selon sa demande mais plutôt en vue de son bien. Car le
Seigneur, qui est bon, refuse souvent ce que nous demandons afin d'accorder ce
que nous aurions préféré.
Deuxičmement, en raison d'une
ignorance, étant donné que parfois quelqu'un demande ce qu'il croit ętre
avantageux pour lui et qui cependant ne l'est pas. Mais c'est plutôt parce
qu'il veille sur eux que le Seigneur ne fait pas ce qu'ils demandent. Car Paul,
qui a travaillé plus que tous, a demandé par trois fois au Seigneur que
s'éloignât de lui l'aiguillon de la chair, et cependant il n'obtint pas ce
qu'il demandait parce que cela n'était pas avantageux pour lui5 - En effet, nous ne savons pas ce
qu'il convient de demander dans nos pričres6. - Vous ne savez pas ce que vous demandez7. Il apparaît donc que lorsque nous demandons quelque chose en son nom,
c'est-ŕ-dire au nom de Jésus Christ, cela, lui-męme le fera.
Or il dit : JE LE FERAI, dans le
futur, et non pas : je le fais, ŕ présent, parce que parfois il tarde ŕ faire
ce que nous demandons en vue d'augmenter notre désir, et pour que cela se fasse
au moment qui convient -
Je vous donnerai les pluies en leur temps8. - Au jour du salut je t'ai
exaucé9. Il arrive aussi quelquefois que nous
demandions pour un autre, pour lequel peut-ętre nous ne sommes pas
exaucés ; c'est qu'alors sa conduite y fait obstacle - Toi donc, ne prie pas pour ce peuple
(...) parce que je ne t'exaucerai point10. - Quand męme Moďse et Samuel se
présenteraient devant moi, mon âme ne serait pas pour ce peuple11.
AFIN QUE LE PČRE SOIT GLORIFIE DANS LE FILS. SI VOUS ME
DEMANDEZ QUELQUE CHOSE EN MON NOM, JE LE FERAI (14, 13-14)
1906. Ce passage est lu ainsi par Augustin 12
ET TOUT CE QUE
VOUS DEMANDEREZ AU PČRE EN MON NOM, JE LE FERAI Comme s'il y avait ici un
point. Et il reprend : AFIN QUE LE PČRE SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS, SI VOUS ME
DEMANDEZ QUELQUE CHOSE EN MON NOM, JE LE FERAI ; comme pour dire : la
raison pour laquelle je ferai ce que vous demanderez en mon nom, c'est AFIN QUE LE PČRE SOIT GLORIFIÉ DANS LE FILS, et tout ce que fait le Fils est ordonné ŕ la gloire du Pčre - Je ne cherche pas
ma gloire1.
1. Tract, in Io., LXXIII, 3, BA 74A, p. 309.
2. Sur
les noms de Dieu, voir ci-dessus n° 1660, note 7.
3. Mt 1,
21.
4. Je 4,
3.
5. Voir 2
Co 12, 8-9.
6. Rm 8,
26.
7. Mt 20, 22.
8. Lv 26, 3.
9. Is 49, 8.
10. Jr 7, 16.
11. Jr 15, 1. Saint Thomas commente : Ť Ce n'est
pas par un défaut de l'orant que la pričre n'est pas exaucée, mais ŕ cause d'un
défaut du peuple pour lequel il prie - Et si ces trois justes, Noé, Daniel et Job,
sont au milieu d'elle fia maison d'Israël], eux-męmes, par leur justice, délivreront
leurs âmes. (...) Ils ne délivreront ni leurs fils ni leurs filles, mais eux
seuls seront délivrés (Ez 14, 14 et 16) ť (Exp. super
Hier., XV, lectio 1).
12. Tract, in Io :, LXXIII, 4, BA 74A, p. 311.
Ainsi, nous aussi devons ordonner toutes nos uvres ŕ la gloire de Dieu - Faites tout pour la gloire de Dieu2.
SI VOUS
M'AIMEZ, GARDEZ MES COMMANDEMENTS ; ET MOI JE PRIERAI LE PČRE ET IL VOUS
DONNERA UN AUTRE PARACLET AFIN QU'IL DEMEURE AVEC VOUS ÉTERNELLEMENT, L'ESPRIT
DE VÉRITÉ QUE LE MONDE NE PEUT PAS RECEVOIR PARCE QU'IL NE LE VOIT PAS NI NE LE
CONNAÎT. MAIS VOUS, VOUS LE CONNAÎTREZ, PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRČS DE VOUS ET
QU'IL SERA EN VOUS. (14, 15-17)
1907. Plus haut le Seigneur a consolé ses disciples de son départ en leur promettant l'accčs auprčs du Pčre3 [n° 1848], mais parce qu'il pouvait leur sembler long [d'attendre] d'avoir accčs auprčs de lui et d'avoir ŕ souffrir, pendant ce temps, d'ętre sans maître, il les console en leur promettant l'Esprit Saint. Et lŕ il commence par préparer ses disciples ŕ recevoir l'Esprit Saint, puis il leur promet le don de l'Esprit Saint [n° 1911], et en troisičme lieu il leur explique la promesse de l'Esprit Saint [n° 1913].
SI VOUS
M'AIMEZ, GARDEZ MES COMMANDEMENTS ; ET MOI JE PRIERAI LE PČRE.
Cette préparation en vue de recevoir
l'Esprit Saint était nécessaire, d'une part du côté des disciples, d'autre part
du côté du Christ [n° 1910].
SI VOUS
M'AIMEZ, GARDEZ MES COMMANDEMENTS.
1908. Pour les disciples, une double préparation était nécessaire, ŕ savoir
l'amour du cur et l'obéissance des uvres. Le Seigneur suppose qu'ils ont déjŕ
l'une de ces deux choses, et quant ŕ cela il dit : SI VOUS M'AIMEZ,
c'est-ŕ-dire parce que vous m'aimez, ce qui est clair puisque vous vous
attristez de mon départ -
Vous m'avez aimé4,
et vous aussi vous rendrez témoignage, parce que vous ętes avec moi depuis le
commencement5. Mais l'autre, il la commande pour le futur ; et quant
ŕ cela il dit : GARDEZ MES COMMANDEMENTS, autrement dit : Ne montrez pas
l'amour que vous avez pour moi en pleurant mais en obéissant ŕ mes
commandements : car c'est cela, le signe manifeste de l'amour - Si quelqu'un m'aime, il gardera
ma parole6.
Ces deux choses, donc, préparent ŕ
recevoir l'Esprit Saint. En effet, puisqu'il est amour, l'Esprit Saint n'est
donné qu'ŕ ceux qui aiment - J'aime ceux qui m'aiment7. De męme, il est donné ŕ ceux qui obéissent - Nous, nous sommes
témoins de cette chose, nous et l'Esprit Saint que Dieu a donné ŕ tous ceux qui
lui obéissent1.
- Sur lui repose mon Esprit2.
1. Jn8, 50.
2. 1 Co 10, 31.
3. Voir Ep 2, 18 ; He
10, 19.
4. Jn 16, 27.
5. Jn 15, 27.
6. Jn 14, 23.
7. Pr8, 17.
1909. Mais l'obéissance des disciples et leur amour ŕ l'égard du Christ les
préparent-ils au Saint-Esprit ? Il semble que non, puisque l'amour3 dont nous aimons Dieu est par (per) l'Esprit Saint - La
chanté de Dieu est répandue dans nos curs par l'Esprit Saint qui nous a été
donné 4. Quant ŕ l'obéissance, elle est ŕ
nous par l'Esprit Saint : Ceux qui sont menés par l'Esprit de Dieu, ceux-lŕ
sont fils de Dieu5. - J'ai couru sur la voie de tes
commandements quand tu as dilaté mon cur6.
Mais quelqu'un pourrait dire que par
l'amour du Fils nous méritons le Saint-Esprit et que, l'ayant reçu, nous aimons
le Pčre ; mais c'est contradictoire, puisque l'amour du Pčre et du Fils
est le męme. C'est pourquoi il faut plutôt dire7 qu'il y a ceci de particulier dans
les dons de Dieu, que celui qui utilise bien le don qui lui a été accordé
mérite de recevoir une grâce et un don plus grands ; et qu'ŕ celui qui
l'utilise mal, cela męme qu'il a reçu est enlevé. Car, comme on le lit en
Matthieu8, au serviteur paresseux a été retiré
le talent qu'il avait reçu de son maître parce qu'il ne l'a pas bien utilisé,
et ce męme talent a été donné ŕ celui qui en avait reçu cinq grâce auxquels il
en avait gagné cinq autres. Il en va de męme du don du Saint-Esprit. Nul, en
effet, ne peut aimer Dieu s'il n'a le Saint-Esprit : car ce n'est pas nous qui
devançons la grâce de Dieu, mais c'est elle-męme qui nous devance9. Car lui-męme nous a aimés le premier10. C'est pourquoi il faut dire que les Apôtres
ont d'abord reçu le Saint-Esprit pour aimer Dieu et obéir ŕ ses commandements,
mais que, en vue de recevoir le Saint-Esprit avec une plus grande plénitude, il
leur était nécessaire de bien utiliser, en aimant et en obéissant, le don du
Saint-Esprit qu'ils avaient d'abord reçu. Et le sens est alors : SI VOUS M'AIMEZ,
par le Saint-Esprit que vous avez, et si vous obéissez ŕ mes commandements,
vous recevrez le Saint-Esprit dans une plus grande plénitude.
1. Ac 5,
32.
2. Is 11,
2 et 42, 1.
3. Saint
Thomas emploie le mot dilectio. Sur le sens de ce mot, voir vol. I, n° 1475, note 4, p. 612.
4. Rm 5, 5. Voir vol. I, n° 1234, note 8.
5. Rm 8,
14. Saint Thomas commente : Ť On peut comprendre : Tous ceux
qui sont menés par l'Esprit de Dieu en ce sens qu'ils sont menés par
quelqu'un qui les conduit et les dirige, ce que l'Esprit fait assurément en
nous, en tant qu'il nous illumine intérieurement sur ce que nous devons faire -
Ton bon Esprit me conduira (Ps 142, 10). Mais parce que celui qui est
conduit n'opčre pas par lui-męme, l'homme spirituel n'est pas seulement instruit
par l'Esprit Saint de ce qu'il doit faire, mais son cur aussi est mű par
l'Esprit Saint, c'est pourquoi il y a plus ŕ comprendre dans l'expression : Tous
ceux qui sont menés par l'Esprit de Dieu. En effet, de ceux qui sont menés
par un instinct supérieur, on dit qu'ils sont mus. C'est pourquoi nous disons
des bętes sauvages qu'elles n'agissent pas mais qu'elles sont menées, parce
qu'elles sont mues par leur nature et non par leur propre mouvement commandant
leurs actions. Semblablement l'homme spirituel est incliné ŕ faire quelque
chose non principalement par le mouvement de sa propre volonté mais par
l'instinct de l'Esprit Saint - Car il viendra comme un fleuve violent
que l'Esprit de Dieu pousse devant lui (Is 59, 19). Et
Luc (4, 1) dit que le Christ était mené par l'Esprit au désert. Cependant cela
n'exclut pas le fait que les hommes spirituels agissent par leur propre volonté
et leur libre arbitre puisque l'Esprit Saint est source en eux du mouvement
męme de leur volonté et de leur libre arbitre - C'est Dieu qui opčre en nous et
le vouloir et le faire selon son bon plaisir (Ph 2, 13) ť
(Ad Rom. lect., VIII, n° 635).
6. Ps
118, 32.
7. Saint
Thomas intčgre de nouveau ici une de ces remarques dont saint Augustin a le
génie, ŕ la fois pleine de réalisme et riche de sens théologique (voir Tract,
in Io., LXXIV, 1-2, ΒA 74A, p. 319-321).
ET MOI JE PRIERAI LE PČRE.
1910. Une autre préparation était nécessaire, et cette fois de la part du
Christ : ET MOI JE PRIERAI LE PČRE. Ici, il faut savoir que Notre-Seigneur
Jésus Christ, en tant
qu'homme, est médiateur entre Dieu et les hommes1. De lŕ vient qu'en tant qu'homme, en
allant vers Dieu il nous obtient les dons célestes, et en venant vers nous il
nous élčve et nous ramčne ŕ Dieu. Donc, puisqu'il était déjŕ venu vers nous, et
qu'en nous donnant les commandements de Dieu il avait ramené ŕ lui les
croyants, il lui restait ŕ retourner vers le Pčre et ŕ obtenir les dons
spirituels - S'approchant par lui-męme de Dieu, il peut sauver de façon définitive2. Et il fait cela en priant le Pčre, comme il
le dit lui-męme : ET MOI JE PRIERAI LE PČRE - Montant dans les hauteurs il a fait captive la
captivité, il a donné des dons aux hommes3.
8. Voir
Mt 25, 24 sq.
9. Saint
Thomas précise que la grâce sanctifiante peut se diviser d'une maničre
convenable en grâce prévenante (qui devance) et grâce subséquente (qui suit) :
Ť II y a cinq effets de la grâce en nous le premier est que notre âme est
guérie. Le second est qu'elle veut le bien, le troisičme, qu'elle réalise avec
efficacité ce bien, le quatričme, qu'elle persévčre dans ce bien et enfin le
cinquičme qu'elle parvient ŕ la gloire. La grâce selon qu'elle cause en nous le
premier effet est appelée prévenante ŕ l'égard du second effet, et selon
qu'elle cause en nous le second effet, elle est appelée subséquente ŕ l'égard
du premier effet ť (Somme théol., I-II, q. 111, a. 3 a). La grâce
prévenante manifeste cette présence de Dieu qui nous aime le premier et nous
devance dans tout ce que nous faisons. La grâce subséquente nous montre combien
Dieu nous relčve et nous entraîne toujours ŕ aller plus loin.
10. 1 Jn
4, 10.
Mais ici sois attentif : c'est le męme qui demande que le Paraclet soit donné, et qui le donne. Il demande en tant qu'homme, il donne en tant que Dieu. Et il dit : ET MOI JE PRIERAI, pour chasser leur tristesse concernant son départ, puisque c'est ce départ lui-męme qui est la raison pour laquelle ils vont recevoir le Saint-Esprit.
ET IL
VOUS DONNERA UN AUTRE PARACLET.
1911. Le Christ maintenant promet l'Esprit Saint. Mais remarque que le mot
Ť Paraclet ť est grec et signifie soit le consolateur, soit celui qui
intercčde ; et c'est pourquoi il a dit : IL - ŕ savoir le Pčre, mais
cependant pas sans le Fils - VOUS DONNERA UN AUTRE PARACLET, c'est-ŕ-dire
l'Esprit Saint, qui est le consolateur, puisqu'il est l'Esprit d'amour et que
l'amour réalise la consolation et la joie spirituelles4 - Le fruit de l'Esprit est
chanté, joie
(...) 5 -, et qui est aussi celui qui intercčde : En effet, nous ne
savons ce qu'il convient de demander dans nos pričres ; mais l'Esprit
lui-męme demande pour nous avec des gémissements inénarrables 6.
1. Voir 1 Tm 2, 5. Et He 8, 6 ; 9, 15 ; 12, 24.
2. He 7, 25. Saint Thomas cite ce verset autrement que la Vulgate,
qui lit ici : II peut męme sauver de façon définitive ceux qui par son
entremise s'approchent de Dieu. Et il commente : Ť On pourrait objecter
que celui qui accčde ŕ quelqu'un en est distant. Or le Christ n'est pas distant
de Dieu. Ŕ cela il faut répondre que l'Apôtre par ces mots montre la double nature
du Christ, c'est-ŕ-dire la nature humaine selon laquelle il lui convient
d'accéder, puisqu'en elle il est distant de Dieu - certes, il n'accčde pas d'un
état de faute ŕ un état de grâce, mais par la contemplation de l'intelligence
portée par l'amour, et l'acquisition de la gloire ; et la nature divine,
du fait qu'il dit que c'est par
lui-męme qu'il a accčs ŕ Dieu. En effet, s'il n'était qu'homme il ne pourrait
pas par lui-męme accéder ŕ Dieu - Nul ne peut venir ŕ moi si le Pčre qui m'a envoyé ne l'attire (Jn 6,
44). C'est pourquoi, en disant que le Christ a accčs par lui-męme,
l'Apôtre montre sa puissance - Il marche dans la grandeur de sa puissance (Is
63, 1) ť (Ad Heb. lect, VII, n° 371).
3. Ep 4,
8 (cf. Ps 67, 19). Dans la Somme théologique, saint Thomas commente :
Ť Ceux qui avaient été faits captifs par le démon, il les a emmenés avec
lui au Ciel, comme en un lieu étranger ŕ la nature humaine, captifs d'une bonne
captivité, puisqu'il les avait acquis par sa victoire ť (III, q. 57, a. 6, a).
Et s'il a dit : UN AUTRE, c'est pour
désigner une distinction personnelle7 dans les personnes divines,
contrairement ŕ ce qu'a prétendu Sabellius.
4. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXV, 1, PG 59, col. 403.
5. Ga 5,
22.
6. Rm 8,
26.
7. Dieu
révčle son mystčre trinitaire dans l'Écriture et dans le cur des hommes ŕ qui
il donne la foi. Dans la Somme théologique, saint Thomas précise que les
deux processions révélées sont la génération du Verbe - Au
commencement était le Verbe, et le Verbe était auprčs de Dieu, et le Verbe
était Dieu (Jn 1, 1) - et la procession de l'Amour - Je prierai le Pčre
et il vous donnera un autre Paraclet (Jn 14, 16) (Voir I, q. 27,
a. 3). Chaque procession implique des relations personnelles, qui sont donc au
nombre de quatre : la paternité et la filiation, qui proviennent de la
procession du Verbe, la spiration et la procession, qui proviennent de la
procession de l'Amour (q. 28, a. 4). Saint Thomas explicite aussi le lien entre
les relations et les personnes divines. Ť En Dieu, nous l'avons dit [q. 28,
a. 3], il n'y a de distinction que par les relations d'origine. Et la relation
en Dieu n'est pas comme un accident inhérent ŕ un sujet, elle est l'essence
divine elle-męme. Elle est donc subsistante, comme l'essence divine. De męme
donc que la déité est Dieu, de męme aussi la paternité divine est Dieu le Pčre,
qui est une personne divine. Ainsi la personne divine signifie la relation en
tant que subsistante ť (q. 29, a. 4, c). Ť Comme on l'a montré plus
haut [q. 29, a. 4], le nom de personne signifie en Dieu la relation comme
réalité subsistante dans la nature divine. Or en Dieu il y a plusieurs
relations réelles [q. 28, a. 1, a. 3 et a. 4], c'est pourquoi plusieurs
réalités subsistantes existent en Dieu. Il y a donc plusieurs personnes en
Dieu ť (q. 30, a. 1, c). Ť Les trois relations de paternité,
filiation et procession sont qualifiées de propriétés personnelles, comme
constituant les personnes : la paternité est la personne du Pčre, la filiation
est la personne du Fils, la procession est la personne de l'Esprit Saint ť
(q. 30, a. 2, ad 1). Voir aussi saint
Augustin, De Trinitate, VII Voir aussi le Symbole Quicumque,
qui fut longtemps attribué ŕ saint Athanase d'Alexandrie, in : H. Denzinger, Symboles et définitions
de la foi catholique, éd. du Cerf 1996, nos 75-76, p. 27-29. Sur le mystčre de la
Trčs Sainte Trinité, voir aussi ci-dessous, nos 1971 et 2063-2065.
1912. Ŕ cela on objectera : puisque ce qui est dit Ť Paraclet ť
exprime l'action de l'Esprit Saint, en disant UN AUTRE PARACLET il semble
désigner une altérité de nature ; car l'altérité d'opération désigne une
altérité de nature. L'Esprit Saint est donc d'une autre nature que le Fils.
Je réponds : il faut dire que
l'Esprit Saint est consolateur2 et avocat, et de męme le Fils. Qu'il
soit avocat, cela est dit dans la premičre épître de Jean : Nous avons un avocat auprčs du Pčre, Jésus Christ,
le Juste3. Et qu'il soit consolateur, cela est dit dans Isaďe : L'Esprit du Seigneur (...)
m'a envoyé (...) consoler ceux qui ont pris le deuil dans Sion 4.
1. Sur
Sabellius et le sabellianisme, voir vol. I, n° 64 et note 3.
2. Saint
Thomas, en parlant de chacune des personnes de la Trčs Sainte Trinité, en se
fondant sur l'Écriture, cherche quels sont les noms et les propriétés qui
peuvent lui convenir, qui sont les plus propres ŕ exprimer son mystčre. Au
sujet de la troisičme personne de la Trinité, il dit : Ť Dans le monde
corporel, le terme spiritus paraît signifier une impulsion et une motion.
On donne ce nom de spiritus au souffle et au vent. Or le propre de
l'amour est de mouvoir et de pousser la volonté de l'aimant vers l'aimé. Quant
ŕ la sainteté, on l'attribue aux choses qui sont ordonnées ŕ Dieu. Donc
puisqu'il y a une personne divine qui procčde par mode d'amour, de l'amour dont
Dieu s'aime, il convient qu'on l'appelle l'Esprit Saint ť (Somme théol.,
I, q. 36, a. 1, c). Saint Thomas montre ensuite qu'amour et don sont
aussi des noms appropriés convenablement ŕ l'Esprit Saint. Ť On dit que
l'Esprit Saint est le nud (nexus) du Pčre et du Fils, en tant qu'il est
l'Amour. Le Pčre s'aime lui-męme et aime le Fils par une dilection unique, et
réciproquement, aussi dans l'Esprit Saint qui est Amour y a-t-il un rapport
réciproque entre le Pčre et le Fils, de celui qui aime ŕ celui qui est aimé. Mais
du fait que le Pčre et le Fils s'aiment mutuellement, il faut que leur amour
mutuel qui est l'Esprit Saint procčde des deux. Selon l'origine, l'Esprit Saint
n'est pas au milieu mais la troisičme personne de la Sainte Trinité. Mais selon
ce rapport réciproque, il est le nud qui les unit, procédant de chacun
d'eux ť (I, q. 37, a. 1, ad 3). Saint Thomas, en assumant la pensée des
Pčres de l'Église, dira que l'Esprit Saint est aussi usus, Ť l'usage
dans lequel le Pčre et le Fils jouissent l'un de l'autre ť, connexio, l'union,
qui est l'unité du Pčre et du Fils, bonitas, la bonté Ť qui est la
raison et l'objet de l'amour et qui a donc une similitude avec l'Esprit
divin ť. Et enfin l'expression en lui est appropriée ŕ l'Esprit
Saint (cf. I, q. 39, a. 8, c). C'est dans le Contra Gentiles, IV, XXII,
que saint Thomas parle de l'Esprit Saint comme le Paraclet, le consolateur :
Ť C'est le propre de l'amitié que de se réjouir de la présence de l'ami,
de trouver sa joie dans ses paroles et dans ses gestes, de trouver en lui une
consolation face ŕ toutes les angoisses. Et dans les tristesses aussi, nous
trouvons refuge chez nos amis pour ętre consolés. Or c'est l'Esprit Saint qui
fait de nous des amis de Dieu, et qui le fait habiter en nous, et nous en lui. Il
s'ensuit que par l'Esprit Saint nous avons la joie de Dieu et la consolation
contre toutes les oppositions et les assauts du monde - Rends-moi la joie de
ton salut et soutiens-moi par l'Esprit souverain (Ps 50, 14). - Le
royaume de Dieu, c'est la justice, la paix et la joie dans l'Esprit Saint (Rm
14, 17). - L'Église avait la paix, elle se développait et marchait dans la
crainte de Dieu, remplie de la consolation de l'Esprit Saint (Ac 9, 31). Et
c'est pourquoi le Seigneur appelle l'Esprit Saint, Paraclet, c'est-ŕ-dire
consolateur : Le consolateur, l'Esprit Saint... (Jn 14, 26) ť. Voir
aussi Super Matth. lect., V, n° 423. Ŕ part ces quelques textes, saint
Thomas parle peu de l'Esprit Saint comme Paraclet. Le lieu oů il en parle le
plus reste son Commentaire sur l'Évangile de saint Jean.
Cependant, le Fils et l'Esprit Saint
sont consolateur et avocat pour des raisons différentes5, si nous entendons cela selon ce qui est propre aux personnes : en
effet, le Christ est dit avocat en tant que, comme homme, il intercčde pour
nous auprčs du Pčre, et l'Esprit Saint en tant qu'il nous fait demander. De
męme, l'Esprit Saint est dit consolateur en tant qu'il est l'Amour,
formellement ; et le Fils en tant qu'il est le Verbe. Et cela de deux
maničres : par son enseignement, et en tant qu'il est le Fils, il donne
l'Esprit Saint et fait brűler l'amour dans nos curs. Ainsi le mot UN AUTRE ne
désigne pas une altérité de nature entre le Fils et l'Esprit Saint, mais le
mode différent selon lequel l'un et l'autre sont consolateur et avocat.
3. 1 Jn
2, 1.
4. Is 61,
1.
5. Saint Thomas évoque peu le Christ comme le premier Paraclet, le Consolateur. Ce passage du Commentaire sur l'Évangile de saint Jean est sans doute l'un des plus précis dans les uvres de saint Thomas. Voir aussi Catena aurea in Ioannem, XIV, n° 5 Ť Paraclet en latin veut dire avocat. Et on le dit du Christ : Nous avons un avocat auprčs du Pčre, Jésus Christ, le Juste (1 Jn 2, 1), ou le Paraclet, c'est-ŕ-dire le Consolateur. Ils avaient en effet un unique consolateur qui avait l'habitude de relever et de réconforter par la douceur des miracles et par la prédication. Il nomma l'Esprit Saint un autre Paraclet Qn 14, 16), non ŕ cause de sa nature différente, mais ŕ cause d'une diversité d'opération ť.
AFIN
QU'IL DEMEURE AVEC VOUS ÉTERNELLEMENT, L'ESPRIT DE VÉRITÉ QUE LE MONDE NE PEUT
PAS RECEVOIR PARCE QU'IL NE LE VOIT PAS NI NE LE CONNAÎT. MAIS VOUS, VOUS LE
CONNAÎTREZ, PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRČS DE VOUS ET QU'IL SERA EN VOUS. (14,
16-17)
1913. Le Christ explique ici la promesse : premičrement quant ŕ l'action męme
de donner, deuxičmement quant au don lui-męme [n° 1916] et troisičmement quant
ŕ ceux qui reçoivent le don [n° 1917].
I
1914. La donation est vraie, puisqu'elle est perpétuelle ; voilŕ
pourquoi il dit : AFIN QU'IL DEMEURE AVEC VOUS ÉTERNELLEMENT.
En effet, quand quelque chose est
donné ŕ quelqu'un pour un temps seulement, ce n'est pas une vraie
donation ; mais celle-ci est vraie quand c'est donné pour ętre possédé ŕ
jamais ; et puisqu'il est donné pour demeurer avec eux ŕ jamais, l'Esprit
Saint est vraiment donné : ici-bas en éclairant, en enseignant et en suggérant,
et plus tard en introduisant ŕ [la réalité] qui va ętre vue - L'Esprit du Seigneur descendit sur David dčs ce jour-lŕ et ŕ
jamais1.
Judas, lui, a reçu l'Esprit Saint et
cependant l'Esprit Saint n'est pas demeuré toujours avec lui car Judas ne l'a
pas reçu pour qu'il demeurât avec lui ŕ jamais, mais seulement selon la justice
présente.
Selon Chrysostome2, on peut dire que le Seigneur dit cela pour exclure un soupçon trop
humain de la part des disciples. Ils auraient pu en effet soupçonner que ce
Paraclet qui leur avait été donné se retirerait d'eux ensuite par la Passion,
comme le Christ ; c'est pourquoi il exclut cela en disant : AFIN QU'IL
DEMEURE AVEC VOUS ÉTERNELLEMENT, comme pour dire : II ne souffrira pas la mort
comme moi, ni ne s'éloignera de vous.
1915. Mais ŕ cela s'oppose ce qui a été dit plus haut ŕ Jean Baptiste : Celui
sur qui tu verras l'Esprit descendre et demeurer,
c'est lui qui baptise3 ; car ŕ partir de lŕ il semble que le fait que l'Esprit Saint
demeure toujours avec lui soit propre au Christ, ce qui n'est pas vrai s'il
demeure éternellement avec les disciples.
Je réponds : selon Grégoire4, il faut dire que le Saint-Esprit demeure en nous par ses dons. Or
certains dons du Saint-Esprit sont nécessaires au salut : et ceux-lŕ sont
communs ŕ tous les saints et demeurent toujours en nous, comme la charité, qui ne
passe jamais (ainsi que le dit la premičre épître aux Corinthiens5) puisqu'elle existera męme dans le futur. Alors que d'autres ne sont
pas nécessaires au salut, mais sont donnés aux fidčles en vue d'une manifestation de l'Esprit - A chacun la manifestation de l'Esprit est
donnée pour le bien des autres6. Ainsi donc, quant aux premiers dons,
l'Esprit Saint demeure avec les disciples et les saints pour l'éternité ;
mais quant aux seconds dons, il est propre au Christ que l'Esprit Saint demeure
toujours avec lui, parce qu'il possčde toujours en plénitude le pouvoir de
faire des miracles, et de prophétiser, et de réaliser d'autres choses de cette sorte \ Mais il n'en est pas ainsi
des autres parce que, comme le dit Grégoire, les esprits des prophčtes ne sont
pas soumis aux prophčtes.
1. 1 S 16, 13.
2. In Ioannem hom., LXXV, 1, PG 59, col. 405.
3. Jn 1,
33.
4. L'éd. Marietti
met saint Jean Chrysostome, mais
tout ce passage provient en réalité de saint
Grégoire le Grand, Morales sur Job, II, lvi, 90-92, SC 32bis, p. 389-393.
5. 1 Co 13, 8.
6. 1 Co
12, 7. Saint Thomas parle ici des charismes qui sont donnés pour le bien des
autres. Il les distingue des dons qui proviennent de la grâce sanctifiante et
qui sont nécessaires au salut, ŕ la sanctification personnelle. Voir Somme
théol, I-II, q. 111, a. 1 sq.
II
L'ESPRIT
DE VÉRITÉ
1916. Ce don est le plus excellent, puisque c'est l'ESPRIT DE VÉRITÉ. Le
Christ dit ESPRIT pour manifester la subtilité de sa nature. En effet, est
appelé Ť esprit ť ce qui est caché et invisible, et c'est pourquoi ce
qui est invisible est habituellement appelé esprit. Ainsi l'Esprit Saint lui
aussi est caché et invisible - L'Esprit souffle oů il veut, et tu entends sa
voix, mais tu ne sais d'oů il vient ni oů il va2. C'est également pour montrer sa puissance, puisqu'il nous meut ŕ bien
agir et opérer. L'Esprit, en effet, donne une certaine impulsion, et c'est pour
cela que nous appelons aussi le vent Ť esprit ť
[Ť souffle ť] - Ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu, ceux-lŕ
sont fils de Dieu3.
- Ton Esprit qui est bon me conduira dans une terre droite4.
Et il ajoute DE VÉRITÉ, parce que
l'Esprit Saint procčde de la Vérité et conduit ŕ la Vérité. En effet, l'Esprit
Saint n'est rien d'autre que l'Amour de Dieu. Or la premičre chose qui pousse ŕ
aimer, c'est l'amour. Quand donc quelqu'un est poussé ŕ aimer les réalités
terrestres et le monde, il est alors poussé par l'esprit du monde - Or nous
n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais l'Esprit qui est de Dieu5. Quand il est poussé ŕ des uvres de la chair, il n'est pas poussé par
l'Esprit Saint - Malheur aux prophčtes insensés qui suivent leur esprit0.
1. La
plénitude des charismes dans le Christ a pour origine sa plénitude de grâce et
sa mission d'annoncer la Bonne Nouvelle. Ť II est donc manifeste que le
Christ a dű, comme premier et principal Docteur de la foi, posséder
excellemment tous les charismes ť {Somme théol, III, q. 7, a. 7, c).
2. Jn 3,
8. Sur le sens du mot spiritus, voir vol. I, n° 449, note 3.
3. Rm 8, 14.
4. Ps 142, 10.
5. 1 Co
2, 12.
Mais cet Esprit conduit ŕ la
connaissance de la vérité, puisqu'il procčde de la Vérité qui dit plus haut : Moi,
je suis le Chemin, la Vérité et la Vie7. Car, comme en nous c'est de la vérité conçue et considérée que découle
l'amour de la vérité elle-męme, de męme en Dieu l'Amour procčde de la Vérité
conçue qui est le Fils. Et comme il procčde d'elle, ainsi il conduit ŕ sa
connaissance. Plus loin : Lui me glorifiera car il prendra de ce qui est
mien8. Et c'est pourquoi Ambroise9 dit que toute vérité, dite par qui que ce soit, est de l'Esprit Saint
- Personne ne peut dire Ť Seigneur Jésus ť que dans l'Esprit Saint10. - Lorsque sera venu le Paraclet que moi je vous enverrai d'auprčs
du Pčre, l'Esprit de vérité qui procčde du Pčre, c'est lui qui rendra
témoignage de moi11.
Or manifester la
vérité convient ŕ la propriété de l'Esprit Saint. En effet, c'est l'amour qui
réalise la révélation des secretsI2 - Je vous ai appelés amis, parce
que tout ce que j'ai entendu de mon Pčre, je vous l'ai fait connaître13. - Il annonce ŕ son ami que la lumičre (ŕ savoir la vérité) est son partage14.
6. Ez 13,
3.
7. Jn 14,
6.
8. Jn 16,
14.
9. Voir
vol. I, n° 103, note 8.
10. 1 Co 12, 3.
11. Jn 15, 26.
12. Voir Contra
Gentiles, IV, XXi : Ť C'est le propre de l'amitié que l'ami révčle ses
secrets ŕ son ami. En effet, puisque l'amitié unit les affections, et fait de
deux curs comme un seul cur, celui qui révčle quelque chose ŕ un ami ne
semble pas le sortir de son propre cur. C'est pourquoi le Seigneur dit ŕ ses
disciples : Je ne vous appellerai plus serviteurs mais mes
amis, car tout ce que j'ai entendu de mon Pčre je vous l'ai
fait connaître (Jn 15, 15). Donc, puisque par l'Esprit Saint nous devenons
des amis de Dieu, il convient de dire que c'est par l'Esprit Saint que les
mystčres divins sont révélés aux hommes - Il est écrit que l'il n'a pas
vu, ni l'oreille entendu, ni qu'il soit monté au cur de l'homme, ce que Dieu a
préparé pour ceux qui l'aiment ; mais Dieu nous l'a révélé par son Esprit
Saint (1 Co 2, 9-10) ť.
13. Jn
15, 15.
14. Jb
36, 33 (verset propre ŕ la Vulgate). Voir ci-dessus, n° 1807, note 5.
III
1917. Or ce sont les croyants qui reçoivent l'Esprit Saint, et ŕ ce sujet il
dit : QUE LE MONDE NE PEUT PAS RECEVOIR. Et il commence par montrer qui sont
ceux ŕ qui il n'est pas donné, puis ceux ŕ qui il est donné [n° 1920].
Il montre d'abord que l'Esprit Saint
n'est pas donné au monde, puis il donne la cause pour laquelle il n'est pas
donné [n° 1919].
QUE LE
MONDE NE PEUT PAS RECEVOIR.
1918. Ici le Seigneur appelle Ť monde ť ceux qui aiment le monde.
Ceux-lŕ, aussi longtemps qu'ils aiment le monde, ne peuvent recevoir l'Esprit
Saint, car il est l'Amour de Dieu : or on ne peut pas aimer ŕ la fois Dieu et
le monde d'un amour2 qui finalise - Si quelqu'un aime
le monde, la charité du Pčre n'est pas en lui3. En effet, comme le dit Grégoire : Ť Le Saint-Esprit enflamme
chacun de ceux qu'il a remplis pour qu'ils désirent les réalités invisibles. Et
puisque les curs mondains n'aiment que les réalités visibles, le monde ne
reçoit pas l'Esprit Saint, car il ne s'élčve pas ŕ l'amour des réalités
invisibles. Et, de fait, plus les esprits profanes se répandent au-dehors par
leurs désirs, plus ils diminuent la capacité qu'a leur cur de le recevoir4 ť - L'Esprit Saint qui nous éduque fuira le mensonge5.
PARCE
QU'IL NE LE VOIT PAS NI NE LE CONNAÎT.
1919. Les dons spirituels ne sont pas reçus s'ils ne sont pas désirés - Elle,
la sagesse divine, prévient
ceux qui la désirent6 ; et ils ne sont pas désirés s'ils ne sont pas
connus de quelque maničre7.
Or s'ils ne sont pas connus, cela
vient soit de ce que l'homme n'a pas l'intention de les connaître, soit du fait
qu'il ne peut pas ętre capable de cette connaissance. Or les gens du monde n'en
ont ni l'intention ni la capacité. En effet, ils n'ont pas l'intention de
désirer les dons spirituels, et par rapport ŕ cela il dit : PARCE QU'IL NE LE
VOIT PAS, c'est-ŕ-dire : il n'a pas l'intention de le connaître - Ils ont
résolu d'incliner
leurs yeux vers la terre8. Et, de plus, ils ne peuvent pas connaître les dons
spirituels, et c'est pourquoi il dit : NI NE LE CONNAÎT : car, comme le dit
Augustin, Ť l'amour du monde n'a pas ces yeux invisibles par lesquels
l'Esprit Saint ne peut ętre vu qu'invisiblement9 ť - L'homme charnel ne perçoit pas ce qui est de
l'Esprit de Dieu 10. De męme que la langue infectée ne goűte pas la bonne saveur ŕ cause
de la corruption de son humeur, de męme l'âme infectée par la corruption du
monde ne goűte pas la douceur des choses célestes 11.
Ou bien, selon Chrysostome 12, je dis qu'IL VOUS DONNERA UN AUTRE PARACLET, L'ESPRIT DE
VÉRITÉ ; mais celui-ci n'assumera pas la chair, parce que LE MONDE NE LE
VOIT PAS NI NE LE CONNAÎT, c'est-ŕ-dire : il ne le recevra pas ; c'est
vous seuls qui le recevrez.
MAIS
VOUS, VOUS LE CONNAÎTREZ, PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRČS DE VOUS ET QU'IL SERA EN
VOUS.
1. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXIV, 4, BA 74A, p. 327.
2. Saint
Thomas emploie ici le mot dilectio.
3. 1 Jn2,
15.
4. Moralium
libri, V, XXvIII, 50, PL 75, col.
706 A. Saint Grégoire emploie l'expression
sinum cordis, littéralement : Ť le sein de leur cur ť.
5. Sg 1, 5.
6. Sg 6, 14.
7. Saint
Thomas rappelle ici que l'amour et le désir présupposent toujours la
connaissance. Je ne peux pas aimer ou désirer un bien si je ne le connais pas. Les
biens sensibles réclament la connaissance sensible, et les biens spirituels la
connaissance de l'esprit. Mais la connaissance ne détermine pas l'amour ;
elle en est une condition nécessaire, et c'est le bien qui le détermine.
8. Ps 16, 11.
9. Tract, in Io., LXXIV, 4, BA 74A, p. 327.
10. 1 Co
2, 14. La Vulgate dit homo animalis. Voir ci-dessous, n° 2356, note 4.
11. Cf. ci-dessous, n° 1959.
12. In Ioannem hom., LXXV, 1, PG 59, col. 404-5.
1920. Ici le Seigneur commence par montrer ceux ŕ qui l'Esprit Saint est
donné, puis il en donne la raison.
C'est aux fidčles qu'il est donné, et
c'est pourquoi il dit : MAIS VOUS, qui ętes mus par l'Esprit Saint, VOUS LE
CONNAÎTREZ - Or nous, nous n'avons pas reçu l'esprit du monde, mais l'Esprit
qui est de Dieu1 -, et cela parce que vous méprisez le
monde - Nous ne contemplons pas ce qui se voit mais ce qui ne se voit pas2.
Or la raison de cela, c'est PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRČS DE VOUS. Lŕ, note d'abord la familiarité de l'Esprit Saint ŕ l'égard des Apôtres, PARCE QU'IL DEMEURERA AUPRČS DE VOUS, c'est-ŕ-dire pour votre bien - Ton Esprit qui est bon me conduira sur une voie droite3. - Qu'il est bon, ton Esprit, Seigneur, en toutes choses !4 Note ensuite son inhabitation5 intime, puisqu'il sera en nous, c'est-ŕ-dire au plus intime de notre cur - Et je mettrai dans leurs entrailles un esprit nouveau 6.
1921. Plus haut7, le Seigneur a promis l'Esprit Saint consolateur. Mais parce que les Apôtres ne s'appliquaient pas beaucoup ŕ connaître l'Esprit Saint et restaient fixés sur la présence du Christ, une consolation de cette sorte leur paraissait petite ; et pour cette raison, dans cette partie, il leur promet en premier lieu son retour et ensuite ses dons [n° 1952].
Il leur promet d'abord une nouvelle
venue puis il leur en donne la raison [n° 1931] ; enfin, il exclut le
doute du disciple [n° 1938].
La promesse d'une nouvelle venue.
JE NE
VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS : JE VIENDRAI VERS VOUS. ENCORE UN PEU DE TEMPS,
ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS. MAIS VOUS, VOUS ME VERREZ, PARCE QUE MOI JE VIS
ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ. EN CE JOUR-LŔ VOUS CONNAÎTREZ QUE MOI
1. 1 Co
2, 12.
2. 2 Co
4, 18.
3. Ps
142, 10.
4. Sg 12,
1.
5. Saint
Thomas emploie le mot inhabitatio pour désigner la présence des
personnes divines dans les créatures spirituelles par la grâce (voir Somme théol.,
I, q. 43, a. 3, c. et a. 6, c, et I-II, q. 114, a. 3, ad 3). Voir aussi Ad
1 Cor. lect., III, nos 172-173.
6. Ez 11,
19.
7. Cf. n°
1848.
JE SUIS
DANS MON PČRE, ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS. (14, 18-20)
Le Seigneur commence par leur
promettre son retour ; il manifeste ensuite la maničre dont il reviendra [n°
1924], et en dernier lieu il annonce déjŕ le fruit de ce retour [n° 1926].
JE NE
VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS : JE VIENDRAI VERS VOUS.
Au sujet du premier point, il montre
premičrement la nécessité de revenir, puis il promet son retour [n° 1923].
JE NE
VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS.
1922. Il est nécessaire qu'il revienne pour que les disciples ne demeurent
pas orphelins. En effet, en grec les orphelins sont ceux qu'on appelle pupilles
en latinl ; et de ces petits privés de pčre, il est dit
selon ce passage des Lamentations : Nous sommes devenus comme des orphelins (pupilli)
sans pčre, et nos mčres sont comme des veuves2.
Or il faut considérer qu'un homme
peut avoir un pčre de trois maničres. Ŕ savoir : le pčre de son origine
charnelle - Nous avons eu les pčres de notre
chair pour nous corriger (...) 3. Et encore, le pčre par une
imitation faussée - Vous,
vous ętes issus du diable, votre pčre4. Enfin, le pčre par une adoption gratuite - Vous avez reçu l'esprit
d'adoption des
fils5. Mais ceux qui imitent leur pčre le diable,
Dieu ne les adopte pas comme fils puisqu'il n'y a pas d'accord entre la lumičre
et les ténčbres, comme il est dit dans la deuxičme épître aux Corinthiens6. Et de maničre semblable, il n'adopte pas non plus ceux qui sont
attachés d'une façon trop sensible ŕ leurs parents car il est dit en Matthieu : Qui aime son pčre ou
sa mčre plus que moi n'est pas digne de moi7. Celui donc qui
sera devenu orphelin, c'est-ŕ-dire qui aura quitté son attachement au péché et
abandonnera un attachement sensible ŕ l'égard de ses parents, celui-lŕ Dieu
l'adopte comme son fils - Parce que mon pčre et ma mčre m'ont abandonné, le Seigneur,
lui, m'a recueilli8. Et encore beaucoup plus celui qui les
quitte - Oublie ton peuple et la maison de ton pčre, et le roi désirera ta
beauté9. Mais il faut noter que le Christ se présente
ŕ ses disciples comme un pčre 10 en effet, quoique ce nom de pčre,
pris d'une maničre personnelle, soit propre ŕ la personne du Pčre, cependant,
pris d'une maničre essentielle, il convient ŕ toute la Trinité. Voilŕ pourquoi
il leur a dit plus haut
: Petits enfants, pour peu de temps encore je suis avec vous11.
1. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXV, 1, BA 74A, p. 331-333.
2. Lm 5, 3.
3. He 12, 9.
4. Jn 8, 44.
5. Rm 8, 15. Voir vol. I, n° 1461, note 6.
6. Voir 2 Co 6, 15.
7. Mt 10,
37.
JE VIENDRAI VERS VOUS.
1923. Il leur promet sa venue en disant : JE VIENDRAI VERS VOUS. Le Christ
était déjŕ venu vers eux en assumant la chair - Le Christ est venu en ce
monde12. Il restait donc trois de ses venues, dont deux sont
corporelles : l'une aprčs la Résurrection et avant l'Ascension, c'est-ŕ-dire
quand, s'étant éloigné d'eux par sa mort, Jésus vint aprčs sa Résurrection et
se tint au milieu des disciples, comme il est dit plus loin 13. L'autre qui aura lieu ŕ la fin du monde - Il viendra
de la męme maničre que vous l'avez vu allant au ciel14. Ils verront le Fils de l'homme
venir dans une nuée avec grande puissance et majesté15. Mais la troisičme est spirituelle et invisible : ŕ savoir quand il
vient vers ceux qui ont foi en lui, par la grâce, dans la vie ou dans la mort - S'il
vient ŕ moi, je
ne le verrai pas 1.
8. Ps 26,
10.
9. Ps 44,
11-12.
10. Cette
remarque vient de saint Augustin {Tract, in Io., LXXV, 1, BA 74A, p. 331-333)
qui l'illustre aussitôt par une affirmation de Jésus différente de celle que
saint Thomas rapporte : Viendront des jours oů l'époux leur sera enlevé, et
alors ils jeűneront (Mt 9, 15).
11. Jn
13, 33.
12. 1 Tm
1,15. Saint Thomas commente : Ť Le fait qu'il soit venu dans le monde
exprime sa double nature : celle de sa divinité, dans laquelle il était avant
que le monde apparűt - Je suis sorti du Pčre et venu dans le monde (Jn
16, 28) -, et celle de son humanité, dans laquelle il est apparu. Et, parce
qu'il est Dieu, il emplit le ciel et la terre [cf. Jr 23, 24], c'est pourquoi
il ne lui convient pas selon sa nature divine d'ętre dans un certain lieu, mais
cela lui convient selon sa nature humaine - Il
était dans le monde (Jn 1,
10). - Il est venu chez les siens (Jn 1, 11) ť (Ad 1 Tim. lect.,
I, n° 39).
13. Cf. Jn
20, 19.
14. Ac 1,
11. 15. 1x21, 27.
Il dit donc : JE VIENDRAI VERS VOUS,
aprčs la Résurrection quant ŕ sa premičre venue - Mais je vous verrai de
nouveau2. De męme ŕ la fin du monde - Le Seigneur viendra pour le jugement3. Et encore dans la mort pour vous prendre
auprčs de moi - Je viendrai vers vous et je vous emporterai prčs de
moi4. Enfin, JE VIENDRAI VERS VOUS en vous visitant
spirituellement - Nous viendrons ŕ lui, et nous ferons chez lui notre demeure5.
II
ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS.
MAIS VOUS, VOUS ME VERREZ, PARCE QUE MOI JE VIS ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ.
1924. Le Seigneur expose ici le mode de sa venue en montrant que cette venue
doit ętre manifestée uniquement aux Apôtres. Et parce qu'ils pouvaient croire
qu'il reviendrait encore vers eux selon une existence mortelle, il exclut
ensuite cela en disant : ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS.
En expliquant cela premičrement en
fonction de son retour aprčs la Résurrection, le sens est : ENCORE UN PEU DE
TEMPS, c'est-ŕ-dire : je suis avec vous pour un peu de temps dans cette chair
mortelle, et ensuite je serai crucifié, mais aprčs, LE MONDE NE ME VERRA PLUS.
Et cela parce qu'aprčs la Résurrection il ne s'est pas manifesté ŕ tous, mais ŕ
des témoins fixés d'avance par Dieu6, ŕ savoir ses disciples ; voilŕ
pourquoi il dit : MAIS VOUS, VOUS ME VERREZ, c'est-ŕ-dire glorifié dans mon
corps et immorte1.
De cela il leur donne la raison en
disant : PARCE QUE MOI JE VIS ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ. Par lŕ, il écarte le
doute. En effet, les disciples pourraient dire : Comment te verrons-nous,
puisque tu vas mourir ? Est-ce que nous aussi nous mourrons avec
toi ? Et c'est pourquoi il dit qu'il n'en sera pas ainsi, puisque MOI JE
VIS, c'est-ŕ-dire je vivrai aprčs ma Résurrection - Je fus mort et me voici
vivant pour les sičcles des sičcles7 -, ET QUE VOUS, VOUS VIVREZ, parce
que vous ne serez pas tués tout de suite avec moi - Si c'est moi que vous
cherchez, laissez partir ceux-lŕ8. Ou bien : MOI JE VIS, par ma
Résurrection, et VOUS, VOUS VIVREZ, c'est-ŕ-dire, vous vous en réjouirez,
puisque les disciples se réjouirent ŕ la vue du Seigneur9.
C'est de cette maničre que le mot
vivre est pris dans ce passage de la Genčse : Quand Jacob eut entendu [que Joseph régnait
en terre d'Egypte] (...) son esprit reprit vie10, ŕ savoir ŕ cause de la joie n.
1925. Mais Augustin12 fait une objection ŕ cette
explication : parce que de ce que dit le Seigneur - ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET
LE MONDE NE ME VERRA PLUS -, il s'ensuit que les hommes de ce monde ne le
verront jamais, ce qui est faux puisqu'ils le verront au jugement - Tout il
le verra 13. Ŕ cela, on pourrait dire qu'il est
vrai que les hommes de ce monde ne le verront plus : ENCORE UN PEU DE TEMPS ET
LE MONDE NE [LE] VERRA PLUS dans cette chair mortelle ; et ŕ cause
de cela, Augustin explique ce ENCORE UN PEU DE TEMPS en se référant au second
avčnement, oů il viendra pour juger.
1. Jb 9, 11.
2. Jn 16, 22.
3. Is 3, 14.
4. Jn 14, 3.
5. Jn 14, 23.
6. Ac 10, 41.
7. Ap 1, 18.
8. Jn 18, 8.
9. Jn 20, 20.
10. Gn 45, 26-27.
11. Le
lien de cause ŕ effet entre la joie et le renouveau de la vie provient du
commentaire de Théophylacte sur ce verset (Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 182 C-D).
12. Tract, in Io., LXXV, 3, BA 74A, p. 335.
13. Ap 1,
7.
Et on dit que ce temps jusqu'au
jugement est court, en considération de l'éternité - Car mille ans, devant
tes yeux, sont comme le jour d'hier qui est passé 1. Et c'est de cette maničre que l'Apôtre, dans l'épître aux Hébreux,
appelle ce temps Ť court ť, en expliquant ce verset d'Aggée : Encore un peu de temps, et moi j'ébranlerai le ciel et la terre 2. ET LE MONDE NE ME VERRA PLUS, puisque aprčs le jugement les hommes
qui aiment le monde et qui sont mauvais ne le verront plus, eux qui iront dans
le feu éternel3. Voilŕ pourquoi, selon une autre
lecture d'Isaďe : Que l'impie soit supprimé, afin qu'il ne voie pas la
gloire de Dieu4. Mais vous, qui m'avez suivi et qui
ętes demeurés avec moi dans mes épreuves, vous me verrez pour toujours dans
l'éternité - Tes yeux verront le roi dans sa beauté5. - Nous serons avec le Seigneur
toujours 6. Et cela PARCE QUE MOI JE VIS ET QUE
VOUS, VOUS VIVREZ ; comme pour dire : De męme que moi j'ai une vie
glorieuse dans mon âme et dans mon corps, ainsi vous aussi
- Il réformera le corps de notre misčre en le configurant ŕ son corps de
gloire7. Et il dit cela parce que notre vie
glorieuse est créée ŕ partir de la vie glorieuse du Christ : De męme que tous
meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ8. Mais, de lui, il dit au présent : JE VIS,
parce que sa Résurrection ne devait pas tarder aprčs sa mort, mais la suivre
aussitôt - Je me lčverai au point du jour9 - puisque, comme il est dit dans le psaume : Tu ne laisseras pas ton
Saint voir la corruption 10. Mais des disciples il dit : VOUS
VIVREZ, au futur, parce que la résurrection de leur corps devait ętre différée
jusqu'ŕ la fin du monde - Tes morts vivront, ceux
qui m'ont été tués ressusciteront11.
1. Ps 89, 4.
2. Ag2, 7. Cf. He 12, 26.
3. Cf. Mt 25, 41.
4. Is 26,
10. La Vulgate dit : Ayons pitié de l'impie, et il n'apprendra pas la justice : dans la terre des
saints il fit le mal, et il ne verra pas la gloire de Dieu.
5. Is 33, 17.
Voir vol. I, n° 1393, note 2.
6. 1 Th 4, 16.
7. Ph3, 21.
8. 1 Co 15, 22.
9. Ps 107, 3.
III
EN CE
JOUR-LŔ VOUS CONNAÎTREZ QUE MOI JE SUIS DANS MON PČRE, ET VOUS EN MOI, ET MOI
EN VOUS.
1926. Ici est montré le fruit de cette venue, qui est la connaissance de ce
que les Apôtres ignoraient. En effet, comme il a été dit plus haut12, Pierre ignorait oů allait le Christ, c'est pourquoi il disait : Seigneur,
oů vas-tu ? Cela, Thomas également l'ignorait, ainsi que le chemin par
lequel il allait ; c'est pourquoi il disait : Nous ne savons pas oů tu
vas. Et comment pouvons-nous savoir le chemin ?13 Philippe, quant ŕ lui, ignorait le Pčre ; c'est pourquoi il
demandait : Seigneur, montre-nous le Pčre, et
cela nous suffit14. Et tout cela était causé par leur ignorance d'une seule chose, ŕ savoir
comment le Pčre est dans le Fils et le Fils dans le Pčre ; c'est aussi
pourquoi le Christ dit ŕ Philippe : Ne crois-tu pas
que moi je suis dans le Pčre et que le Pčre est en moi ?15 Il leur en promet donc la connaissance,
disant ici : EN CE JOUR-LŔ VOUS CONNAÎTREZ QUE MOI JE SUIS DANS MON PČRE, ET
VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS. Et par le fait męme tout doute se trouve exclu des
curs des disciples.
1927. Or cela peut ętre expliqué de sa venue au moment de la Résurrection, et
de sa venue pour le jugement. Mais il faut distinguer une double connaissance
des mystčres de la divinité. L'une est imparfaite, qui est reçue par la
foi ; l'autre parfaite, qui est reçue par la vision (per
speciem) ; de ces deux connaissances il est dit : Nous voyons
maintenant ŕ travers un miroir, en énigme, quant ŕ la premičre, mais
alors nous verrons face ŕ face1, quant ŕ la seconde.
10. Ps
15, 10. Voir ci-dessus, n° 1829 et note 2.
11. Is
26, 19. Voir vol. I, n° 1513, note 3, oů saint Thomas lit interfecti tui, ceux
qui t'ont été tués.
12. Jn
13, 36.
13. Jn
14, 5.
14. Jn
14, 8.
15. Jn
14, 10.
Il dit donc : EN CE JOUR-LŔ, aprčs ma
Résurrection, VOUS CONNAÎTREZ QUE MOI JE SUIS DANS MON PČRE, et cela par la
connaissance de la foi, puisque alors, en voyant qu'il était ressuscité et
qu'il était avec eux, ils eurent de lui la foi la plus certaine, surtout ceux
qui reçurent l'Esprit Saint qui leur enseignait tout2. Ou bien : EN CE JOUR-LŔ, de
l'ultime résurrection lors du jugement, vous CONNAÎTREZ, c'est-ŕ-dire
clairement par vision (per speciem) - Alors je connaîtrai comme je suis
connu3.
1928. Mais que connaîtront-ils ? Deux choses dont il parle plus haut :
l'une, que le Pčre demeurant en moi fait lui-męme les uvres4 ; et quant ŕ cela il dit : QUE MOI JE SUIS DANS MON PČRE,
c'est-ŕ-dire par la consubstantialité de nature. L'autre, qu'il fera des uvres
par ses disciples, quand il dit : Qui croit en moi fera lui-męme aussi les
uvres que moi je fais5 ;
et par rapport ŕ
cela il dit : ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS.
1929. Il faut remarquer ici que, parce que le Seigneur semble établir un
rapport semblable entre lui et son Pčre et entre lui et ses disciples, les
ariens voulaient que, de męme que les disciples sont moindres que le Christ et
ne lui sont pas consubstantiels, de męme le Fils soit moindre que le Pčre et
d'une autre substance que lui. Et c'est pourquoi il faut dire que ce qu'il dit
: MOI JE SUIS DANS MON PČRE, est dit par consubstantialité de nature. Plus haut
: Moi et le Pčre nous sommes un6 et le Verbe était auprčs de Dieu \
ET VOUS EN MOI, ET MOI EN VOUS
1930. Cela se comprend d'une premičre maničre, c'est-ŕ-dire en tant que les
disciples sont dans le Christ. En effet, on dit que ce qui est protégé par
quelqu'un est en lui, comme le contenu dans ce qui le contient : et de cette
façon, on dit que les choses qui sont dans le royaume sont dans le roi. Et ŕ
cause de cela il est dit dans les Actes des Apôtres : C'est en lui que nous
vivons et que nous nous mouvons, et que nous sommes91. ET MOI je suis EN VOUS, en vous dirigeant de
l'intérieur, en uvrant et en habitant en vous par la grâce - Que le Christ
habite dans vos curs par la foi9.
- Voulez-vous une preuve de celui qui parle en moi, le Christ ?I0
D'une autre maničre, selon Hilaire11. VOUS EN MOI, sous-entendu : vous ętes en moi par votre nature, que
j'ai assumée : car en assumant notre nature, il nous a tous assumés - Car
nulle part il ne prend des anges, mais c'est la race d'Abraham qu'il prend12. ET MOI je suis EN VOUS, par le fait que vous
preniez mon sacrement : car celui qui prend le corps du Christ, le Christ est
en lui - Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui13.
D'une autre maničre : VOUS EN MOI, ET
MOI EN VOUS, sous-entendu : nous le sommes, par un amour mutuel, car il est dit
: Dieu est charité : et qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu
en lui14. Et ces choses étaient inconnues de
vous, mais en ce jour-lŕ vous les connaîtrez.
1. 1 Co 13, 12.
2. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXV, 2, PG 59, col. 406.
3. 1 Co 13, 12.
4. Jn 14,
10.
5. Jn 14, 12.
6. Jn 10, 30.
7. Jn 1, 1.
8. Ac 17,
28.
9. Ep 3,
17.
10. 2 Co
13, 3.
11. La
Trinité, VIII, 15, SC 448, p. 401.
12. He 2, 16.
13. Jn 6, 57.
14. 1 Jn 4, 16.
La raison de cette nouvelle venue.
QUI A MES COMMANDEMENTS ET LES GARDE, C'EST CELUI-LŔ QUI M'AIME. OR
CELUI QUI M'AIME SERA AIMÉ DE MON PČRE ; ET MOI JE L'AIMERAI, ET JE ME
MANIFESTERAI MOI-MĘME Ŕ LUI (14, 21)
1931. Le Seigneur donne une double raison pour laquelle il doit ętre vu de
ceux qui croient en lui et non du monde. La premičre, c'est leur amour
véritable pour Dieu ; la seconde, l'amour véritable de Dieu pour eux [n°
1934].
I
QUI A
MES COMMANDEMENTS ET LES GARDE, C'EST CELUI-LŔ QUI M'AIME.
1932. Ici, il faut remarquer que l'amour véritable est celui qui se montre et
se prouve dans une uvre ; car c'est par la réalisation d'une uvre que
l'amour est manifesté 2. Puisqu'en effet aimer quelqu'un
c'est lui vouloir du bien et désirer ce que lui-męme veut3, celui qui ne fait pas la volonté de l'aimé, et n'accomplit pas ce
qu'il sait que l'ami veut, ne semble pas aimer vraiment. Celui donc qui ne fait
pas la volonté de Dieu ne semble pas l'aimer vraiment ; et c'est pourquoi
il dit : QUI A MES COMMANDEMENTS ET LES GARDE, C'EST CELUI-LŔ QUI M'AIME,
c'est-ŕ-dire qui a un amour véritable envers moi.
1933. Mais remarque bien qu'un homme a d'abord les commandements de Dieu dans
son cur par la mémoire et la méditation continuelle - Dans mon cur j'ai
caché tes paroles*. Mais cela ne suffit pas, s'il ne les garde pas dans une
uvre - Le commencement
de la sagesse est la crainte du Seigneur. La bonne intelligence est ŕ tous ceux
qui agissent conformément ŕ cette crainte5. Certains les ont dans leur bouche, en enseignant et exhortant - Que
tes paroles sont douces ŕ mon palais Ie Et ceux-lŕ aussi doivent les accomplir par
une uvre car celui
qui les accomplira et les enseignera, celui-lŕ sera appelé grand dans le
royaume des deux7. Voilŕ pourquoi ceux qui disent et ne font pas sont blâmés par le
Seigneur8.
1. Amour
traduit ici dilectio.
2. Cf. Saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 30, 1, PL 76, col. 1220 C.
3. Sur l'amour d'amitié, voir vol. I, n° 1475, note 7, p. 611, et ci-dessus, n° 1837, note 2.
4. Ps 118, 11.
Certains, d'autre part, les ont dans
l'oreille, en les écoutant volontiers et avec attention - Celui qui est de Dieu écoute
les paroles de Dieu9. Mais cela ne suffit pas, s'ils ne
les gardent pas, car ce ne sont pas les auditeurs de la Loi mais ceux qui
l'accomplissent qui seront justifiés10. - Travaillez non pas en vue de la nourriture qui périt, mais en vue
de celle qui demeure pour la vie éternelle n.
Celui donc qui a ainsi les
commandements de Dieu les garde d'une certaine maničre, mais il lui est encore
imposé de les garder en persévérant. C'est pourquoi Augustin dit : Ť Celui
qui les a dans sa mémoire et qui les garde dans sa vie, celui qui les a dans
ses paroles et les garde dans ses uvres, celui qui les a par son écoute et qui
les garde par son agir, ou celui qui les a par son agir et qui les garde par sa
persévérance, c'est celui-lŕ qui m'aime 12. ť
5. Ps 110, 10.
6. Ps 118, 103.
7. Mt 5, 19.
8. Cf. Mt 23, 3.
9. Jn 8, 47.
10. Rm 2, 13.
11. Jn 6, 27.
12. Tract, in Io., LXXV, 5, BA 74A, p. 339.
II
OR
CELUI QUI M'AIME SERA AIMÉ DE MON PČRE ; ET MOI JE L'AIMERAI, ET JE ME
MANIFESTERAI MOI-MĘME Ŕ LUI.
1934. Mais cela, au premier regard, semble absurde. En effet, est-ce que le
Seigneur nous aime parce que nous l'aimons ? Loin de lŕ ! Car il est
dit : Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais lui-męme qui nous a aimés
le premier1. C'est pourquoi il faut dire que nous en avons
l'intelligence ŕ partir de ce qui a été dit auparavant :
QUI A MES COMMANDEMENTS ET LES GARDE, C'EST CELUI-LŔ QUI M'AIME.
En effet, il ne dit pas lŕ qu'il aime
parce qu'il garde les commandements ; mais que parce qu'il aime, il
accomplit les commandements. Et ainsi il faut dire ici que si quelqu'un aime le
Christ, c'est parce qu'il est aimé par le Pčre, et non pas qu'il est aimé parce
qu'il aime. Nous aimons donc le Fils parce que le Pčre nous aime. Car le propre
du véritable amour, c'est qu'il entraîne ceux qui sont aimés ŕ l'amour de celui
qui les aime - D'un amour éternel je t'ai aimé, c'est pourquoi je t'ai
attiré, ayant pitié de toi2.
1935. Mais parce que l'amour du Pčre n'est pas sans l'amour du Fils, l'amour
de l'un et de l'autre étant le męme - Car tout ce que le Pčre fait, cela le
Fils aussi le fait pareillement3 -, il ajoute : ET MOI JE L'AIMERAI Mais
puisque le Pčre et le Fils aiment toutes choses de toute éternité, pourquoi
dit-il JE L'AIMERAI, au futur ?
Il faut donc dire que l'amour, en
tant qu'il est dans la volonté divine, est éternel ; mais que, en tant
qu'il est manifesté dans la réalisation d'une uvre et d'un effet, il est
tempore1. Et c'est pourquoi le sens est : ET MOI JE L'AIMERAI, c'est-ŕ-dire :
je montrerai l'effet de mon amour (dilectio), puisque de fait JE ME
MANIFESTERAI MOI-MĘME Ŕ LUI, Ť c'est-ŕ-dire je l'aimerai pour me
manifester4 ť.
1936. Or il faut savoir que l'amour de quelqu'un pour un autre est tantôt
relatif ŕ quelque chose, tantôt absolu5 relatif ŕ quelque chose quand il veut
pour lui quelque bien particulier, et absolu quand il veut pour lui le bien
tout entier. Or Dieu aime toutes les réalités causées d'une maničre relative
puisqu'il veut un certain bien pour toute créature, męme pour les démons, ŕ
savoir qu'ils vivent, qu'ils pensent et qu'ils soient - et ce sont des biens.
Mais il aime d'une maničre absolue ceux pour qui il veut le bien tout entier,
c'est-ŕ-dire qu'ils possčdent Dieu lui-męme, ce qui est posséder la vérité,
puisque Dieu est la Vérité. Or la vérité est possédée quand elle est connue.
Dieu aime donc véritablement et d'une maničre absolue ceux ŕ qui il se
manifeste lui-męme, lui qui est la Vérité. Et c'est ce qu'il dit : JE ME
MANIFESTERAI MOI-MĘME Ŕ LUI, c'est-ŕ-dire dans le futur par la gloire, qui est
l'effet ultime de la béatitude future - Il
annonce ŕ son ami que la lumičre est
son partage6. - La sagesse prévient ceux qui
la désirent''.
1937. Mais quelqu'un pourrait dire : le Pčre ne se manifestera-t-il
pas ? Si : et le Pčre, et le Fils ; car le Fils manifeste en męme
temps et le Pčre et lui-męme, puisqu'il est son Verbe - Nul ne connaît le Pčre si ce n'est le
Fils et celui ŕ qui le Fils veut le révéler1. Cependant si, pour un temps, le Fils se manifeste ŕ quelqu'un d'une
maničre particuličre, c'est un signe de l'amour divin. Cela peut donc ętre la
raison pour laquelle le monde ne le verra pas : il ne se manifestera pas ŕ lui,
et cela parce que le monde ne l'aime pas.
1. 1 Jn 4, 10.
2. Jr 31, 3.
3. Jn 5, 19.
4. Saint
Augustin, Tract, in 7o.,. LXXV, 5, BA 74A,
p. 341.
5. Cette
distinction entre ce qui est relatif, secundum quid, et ce qui est
absolu, simpliciter, est souvent employée par saint Thomas. Il s'en sert
pour mettre en lumičre la réalité qui, découverte comme principe, absolu, n'est
jamais choisie pour autre chose, mais au contraire pour elle-męme car elle est
premičre et source de ses effets qui sont relatifs. Ainsi, elle lui permet ici
de distinguer l'amour du bien-fin, c'est-ŕ-dire l'amour de Dieu, de l'amour des
biens relatifs, utiles, l'amour des biens particuliers, des moyens.
6. Jb 36,
33 (propre ŕ la Vulgate). Voir ci-dessus, n° 1807, note 5.
7. Sg 6,
14.
Le Christ écarte le doute de son disciple.
1938. Plus haut le Seigneur a promis sa venue ŕ ses disciples [n°
1921] ; ici il écarte le doute du disciple. L'Évangéliste expose d'abord
le doute du disciple, puis la réponse du Christ [n° 1940].
JUDAS,
NON CELUI APPELÉ L'ISCARIOTE, LUI DIT : Ť SEIGNEUR, QU'EST-IL ADVENU, QUE
TU DOIVES TE MANIFESTER TOI-MĘME Ŕ NOUS ET NON AU MONDE ? ť (14, 22)
1939. Il faut savoir ŕ ce propos que c'est une habitude des saints et des
humbles, quand ils entendent de grandes choses ŕ leur sujet, d'ętre stupéfaits
et de s'étonner. Or les disciples avaient entendu le Seigneur dire : Encore
un peu de temps, et le monde ne me verra plus. Mais vous, vous me verrez, parce
que moi je vis et que vous, vous vivrez2. En cela il semblait préférer les Apôtres au monde entier : et c'est
pourquoi Judas, le frčre de Jacques dont l'épître fait partie des écrits
canoniques, en état d'étonnement et de stupéfaction, dit : SEIGNEUR, QU'EST-IL
ADVENU, QUE TU DOIVES TE MANIFESTER TOI-MĘME Ŕ NOUS ? Comme pour dire :
Quelle en sera la cause ? Sommes-nous au-dessus du monde tout
entier ? David a dit quelque chose de semblable : Qui suis-je, moi, et
quelle est ma maison ?3 Dans Matthieu, les justes disent : Seigneur,
quand t'avons-nous vu ayant faim et t'avons-nous rassasié ? 4
1. Mt 11, 27 ; Le 10, 22. Saint Thomas commente : Ť Le Fils
connaît par compréhension. Parce qu'il connaît parfaitement et qu'il est
connaissable, il a donc le pouvoir de révéler comme le Pčre. C'est pourquoi il
dit : Et celui ŕ qui le Fils veut le révéler. En effet, la manifestation se fait par le Verbe
- Pčre, j'ai manifesté ton nom aux hommes Gn 17, 6). - Personne n'a
jamais vu Dieu (Jn 1, 18), mais lui
le connaît. Donc il a pu manifester. Ce qu'il avait donc dit du Pčre, il se 1
attribue. Il avait dit en effet
: Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, tu les as révélées aux tout-petits (Mt 11, 25). Cela aussi le Fils le
peut, du fait qu'il a le męme pouvoir ť (Super Matth. lect.,
XI) n° 966). Voir aussi ci-dessus,
n° 1830, note 8.
2. Jn 14, 19.
1940. Le Christ commence par donner la cause de sa manifestation aux
disciples et non au monde, puis il manifeste ce qu'il vient de dire [n° 1950].
JÉSUS
RÉPONDIT ET LUI DIT : Ť SI QUELQU'UN M'AIME, IL GARDERA MA PAROLE. ET MON
PČRE L'AIMERA ET NOUS VIENDRONS Ŕ LUI, ET NOUS FERONS CHEZ LUI NOTRE DEMEURE.
CELUI QUI NE M'AIME PAS NE GARDE PAS MES PAROLES. ť (14, 23-24)
II montre d'abord pourquoi il va se
manifester aux disciples ; ensuite pourquoi il ne va pas se manifester au
monde [n° 1949].
En premier lieu est montrée la
capacité qu'avaient les disciples de recevoir une manifestation du Christ, et
en second lieu, le déroulement de cette manifestation et son ordre [n° 1943].
Au sujet du premier point, il indique deux choses qui rendent l'homme capable
de recevoir une manifestation de Dieu : la premičre est la charité ; la
seconde, l'obéissance [n° 1942].
SI
QUELQU'UN M'AIME
1941. Quant ŕ la premičre, il dit : SI QUELQU'UN M'AIME. Trois choses, en
effet, sont nécessaires ŕ l'homme qui veut voir Dieu. Premičrement, qu'il
s'approche de Dieu - Ceux qui s'approchent de ses pieds recevront de sa
doctrine1. Deuxičmement, qu'il élčve les yeux pour le
voir - Levez vos yeux en haut et voyez qui a créé ces choses2. Troisičmement, qu'il vaque ŕ cette vision :
car les réalités spirituelles ne peuvent ętre vues si l'on ne se vide pas de
celles de la terre - Vaquez et voyez que je suis Dieu3. Et c'est la charité qui réalise ces trois
choses. En effet, c'est elle qui unit l'âme de l'homme ŕ Dieu - Celui qui
demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui4. C'est elle qui élčve le regard vers Dieu - Lŕ
oů est ton trésor, lŕ aussi est ton cur5. Voilŕ pourquoi on dit : Ť Lŕ oů est ton amour, lŕ sont tes yeux6. ť C'est elle encore qui fait qu'on se vide des réalités de ce
monde - Celui qui aime le monde, la charité parfaite de Dieu nest pas
en lui7. Par conséquent, au contraire, celui qui aime
Dieu parfaitement, l'amour du monde n'est pas en lui.
3. 2 S 7,
18.
4. Mt 25,
37.
IL GARDERA MA PAROLE.
1942. Or de la charité découle l'obéissance ; c'est pourquoi il dit : IL
GARDERA MA PAROLE. Comme le dit Grégoire8 Ť La preuve de l'amour, c'est la
réalisation d'une uvre. (...) L'amour de Dieu n'est jamais oisif ; en
effet, si c'est l'amour, il opčre de grandes choses, mais s'il a refusé
d'uvrer, ce n'est pas l'amour. ť Car la volonté, et surtout celle qui
regarde la fin, meut toutes les autres puissances vers leurs actes : en effet,
l'homme ne se repose pas s'il ne fait pas ce par quoi il peut parvenir ŕ la fin
vers laquelle il tend, en particulier si sa volonté est tendue vers cette fin.
Quand donc la volonté de l'homme est tendue vers Dieu, qui est sa fin, elle
meut toutes ses forces ŕ faire tout ce qui conduit vers lui. Or c'est par la
charité qu'elle est tendue vers Dieu ; et voilŕ pourquoi c'est la charité
qui nous fait garder les commandements - La charité du Christ nous presse9. - Ses lampes sont des lampes de feu et de flammes10.
1. Dt 33,
3.
2. Is 40,
26.
3. Ps 45,
11 Vacate et videte quoniam ego sunt Deus. Ť Vaquer ŕ ť et
Ť se vider de ť traduisent ici le męme verbe latin vacare. Saint
Jean de la Croix cite ce verset pour montrer que si elle acceptait Ť de se
bien purifier et évacuer de toutes les formes et images appréhensibles, (...)
l'âme, désormais simple et pure, se transformerait en la simple et pure
Sagesse, qui est le Fils de Dieu ť, et il ajoute : Ť C'est ce que
Notre-Seigneur nous demande par David, disant : Apprenez ŕ vous évacuer de
toutes choses (ŕ savoir intérieurement) et vous verrez que je suis
Dieu ! ť (La Montée du Carmel, II, ch. 15 et 32, uvres
complčtes, DDB 1967, p. 174 et 328).
4. 1 Jn
4, 16.
5. Mt 6,
21.
6. On
retrouve souvent dans l'Écriture des expressions qui associent le cur et les
yeux. Voir par exemple Qo 11, 9 ; Jn 12, 40 ; 1 Jn 2, 16.
7. 1 Jn
2, 15. La Vulgate dit : Si quelqu'un aime le monde, la charité du Pčre n'est
pas en lui.
8. XL
hom. in Évang., II, nom. 30 (pour le jour de la Pentecôte), 1-2, PL
76, col. 1220 C et 1221 Β (voir ci-dessus vol. I, n° 477, note 4).
Et par l'obéissance, l'homme est
rendu capable de voir Dieu : Par tes commandements - sous-entendu gardés
par moi -j'ai eu l'intelligence 11. Et encore : J'ai été plus intelligent que les vieillards12.
ET MON PČRE L'AIMERA.
1943. Le Seigneur expose ensuite le déroulement et l'ordre de cette
manifestation. Or il y a trois choses par lesquelles une manifestation divine
est faite ŕ un homme.
La premičre est l'amour divin ;
et quant ŕ cela il dit : MON PČRE L'AIMERA. Plus haut [n° 1935] on a expliqué
pourquoi il dit AIMERA au futur, quant ŕ l'effet de l'amour du Pčre, qui
cependant a aimé de toute éternité quant ŕ sa volonté de faire du bien - J'ai
aimé Jacob13. Et il ne dit pas : MOI JE
L'AIMERAI, parce que cela leur a déjŕ été montré clairement auparavant - J'aime
ceux qui m'aiment14.
Il restait donc ŕ
leur faire comprendre que le Pčre les aimait - II a aimé les peuples ;
tous les saints sont dans sa main15.
9. 2 Co 5, 14.
10. Ct 8, 6.
11. Ps 118, 104.
12. Ps 118, 100.
13. Ml 1, 2.
14. Pr 8,
17.
15. Dt
33, 3.
ET NOUS
VIENDRONS A LUI.
1944. La deuxičme est la Visitation divine ; et ŕ ce sujet il dit : ET
NOUS VIENDRONS Ŕ LUI Mais on objecte : venir signifie un changement de lieu,
mais Dieu ne change pas. Donc...
Je réponds : on dit que Dieu vient
vers nous, non que lui-męme soit mű vers nous, mais parce que nous, nous sommes
mus vers lui. En effet, on dit que quelque chose vient dans un lieu oů il
n'était pas auparavant ; or cela ne convient pas ŕ Dieu, puisqu'il est
partout - Moi je remplis le ciel et la terre1. On dit encore que quelque chose vient en un lieu dans la mesure oů il y
est d'une maničre nouvelle selon laquelle il n'y avait pas été auparavant,
c'est-ŕ-dire par l'effet de la grâce ; et par cet effet de la grâce il
nous fait accéder ŕ lui.
1945. Mais il faut remarquer, selon Augustin2, que c'est de trois maničres que
Dieu vient vers nous et que nous, nous allons vers lui.
Premičrement, il vient vers nous en
nous remplissant de ses effets, et nous, nous allons vers lui en les recevant -
Venez ŕ moi, vous tous qui me désirez, et remplissez-vous de tout ce qui
vient de moi3. Deuxičmement, il vient vers nous en
nous illuminant et nous, nous allons vers lui en le considérant - Approchez-vous
de lui, et vous serez illuminés4. Troisičmement, il vient vers nous en
nous aidant et nous vers lui en lui obéissant, car nous ne pouvons pas obéir si
nous ne sommes pas aidés par le Christ - Venez, montons ŕ la montagne du
Seigneur5.
1946. Mais pourquoi n'a-t-il pas fait mention de l'Esprit Saint ?
Selon Augustin6, il n'est pas dit que l'Esprit Saint doive ętre exclu lors de la venue
du Pčre et du Fils puisqu'il est dit plus haut : Afin quil demeure avec
vous éternellement7. Mais comme il y a deux aspects dans
la Trinité - ŕ savoir la distinction des personnes et l'unité d'essence8 -, tantôt il est fait mention de trois personnes pour signifier la
distinction des personnes, tantôt il fait mention de deux personnes sans la
troisičme, pour signifier l'unité d'essence.
Ou bien il faut dire que puisque
l'Esprit Saint n'est rien d'autre que l'amour du Pčre et du Fils, dčs qu'on
parle du Pčre et du Fils, on sous-entend l'Esprit Saint.
ET NOUS FERONS CHEZ LUI NOTRE DEMEURE.
1947. La troisičme chose nécessaire ŕ la manifestation de Dieu est la
persévérance dans l'amour de Dieu et dans son habitation en nous (visitatio) ;
et par rapport ŕ cela il dit : ET NOUS FERONS CHEZ LUI NOTRE DEMEURE - par
lŕ il touche deux choses.
D'abord la fermeté de l'adhésion ŕ
Dieu, quand il dit NOTRE DEMEURE. Car Dieu vient vers certains par la foi mais
ne demeure pas avec eux parce qu'ils croient pour un temps, et au temps de
la tentation ils se retirent9. Il vient vers certains par le regret10 du péché mais ne demeure pourtant pas
avec eux parce qu'ils retournent ŕ leurs péchés 11 - Comme le chien qui retourne ŕ son
vomissement, ainsi est l'imprudent qui réitčre sa folie12. Mais dans ses prédestinés il demeure toujours - Voici que je suis avec vous
tous les jours jusquŕ la consommation du sičcle1.
1. Jr23, 24.
2. Tract, in Io., LXXVI, 4, BA 74A, p. 351.
3. Si 24,
26.
4. Ps 33,
6. Voir vol. I, n° 1089, note 6.
5. Is 2, 3.
6. La
Trinité, I, IX, 19, BA 15, p. 141.
7. Jn 14,
16.
8. Sur
les processions, les relations et la distinction des personnes dans la Trinité,
voir ci-dessus, n° 1911 et note 7.
9. Le 8,
13. Cf. Le 19, 44 Tu n'as pas connu le temps oů tu fus visitée !
10. Saint
Thomas emploie le mot compunctio. Sur le sens de ce mot, voir ci-dessus,
n° 1702, note 13.
11. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 30, 2, PL 76, col.
1221 A.
12. Pr
26, 11.
Puis il montre la familiarité2 du Christ ŕ l'égard des hommes : NOUS FERONS NOTRE DEMEURE CHEZ LUI,
c'est-ŕ-dire chez celui qui aime et qui obéit, en tant qu'il se réjouit avec
nous et nous fait nous réjouir en lui - Mes délices sont d'ętre avec les
fils des hommes^". - Tu feras l'allégresse de ton Dieu4.
1948. Chrysostome5, rapportant cela ŕ une autre
intention, dit que Judas (non pas l'Iscariote), en entendant : Je ne vous laisserai
pas orphelins : je viendrai vers vous. Encore un peu de temps, et le monde ne
me verra plus. Mais vous, vous me verrez, parce que moi je vis et que vous,
vous vivrez6, a pensé que le Christ viendrait vers
eux aprčs sa mort comme les morts viennent vers nous dans notre sommeil ;
c'est pourquoi il demande : QU'EST-IL ADVENU, QUE TU DOIVES TE MANIFESTER
TOI-MĘME Ŕ NOUS ET NON AU MONDE ?, comme pour dire : Malheur ŕ nous,
puisque tu seras mort et que c'est comme mort que tu dois te présenter ŕ nous.
Donc pour exclure cela, il dit : Moi et le Pčre NOUS VIENDRONS Ŕ LUI,
c'est-ŕ-dire, de męme que le Pčre se manifeste, de męme moi aussi, ET NOUS
FERONS CHEZ LUI NOTRE DEMEURE : or cela ne relčve pas des ręves, oů il n'y a
aucun retard.
CELUI QUI NE M'AIME PAS NE GARDE PAS MES PAROLES.
1949. Le Seigneur expose ici la cause pour laquelle il ne va pas se
manifester au monde : cette cause est la suppression de ce pour quoi il se
manifestera aux hommes.
Car une fois la cause supprimée, son
effet est supprimé ; or ils n'ont pas en eux la cause qui pourrait leur
susciter une manifestation divine, donc Dieu ne va pas se manifester au monde
ni aux hommes de ce monde.
Qu'ils n'aient pas en eux la cause,
cela est clair, Ť puisque le monde ne m'aime pas ť ; et ŕ propos
de cela il dit : CELUI QUI NE M'AIME PAS. Et de plus il ne m'obéit pas, c'est
pourquoi il dit : NE GARDE PAS MES PAROLES. En effet, comme le dit Grégoire7 Ť Quand il s'agit de l'amour du Créateur, la langue, l'esprit et
la vie sont requis. ť La cause pour laquelle il va se manifester aux siens
et non aux étrangers est donc évidente : c'est parce qu'assurément ceux-lŕ
aiment. Et de fait, l'amour sépare les saints du monde - A ceux qu'enfle la
démesure, c'est-ŕ-dire aux orgueilleux, il cache sa lumičre ; et il
annonce ŕ son ami que la lumičre est son partage 8. - L'abîme dit : Elle [la Sagesse] n'est pas en moi ; et la
mer, c'est-ŕ-dire celui qui est agité : Elle n'est pas avec moi9.
ET LA PAROLE QUE VOUS AVEZ ENTENDUE N'EST PAS LA MIENNE
MAIS CELLE DU PČRE QUI M'A ENVOYÉ. (14, 24)
1950. Le Christ met ensuite en lumičre ce qu'il a dit plus haut : Si
quelqu'un m'aime,
il gardera ma parole. Et mon Pčre l'aimera... On pourrait dire en effet que ce qui a été
dit n'a aucune signification (ratio) 10 et qu'il eűt dit d'une maničre plus
raisonnable : Moi je l'aimerai et je viendrai ŕ lui. Et c'est pourquoi il
exclut cela en disant : ET LA PAROLE QUE VOUS AVEZ ENTENDUE N'EST PAS LA
MIENNE, c'est-ŕ-dire elle n'est pas ŕ moi de moi-męme, mais d'un autre, ŕ
savoir du Pčre (a Patre) qui m'a envoyé. Comme pour dire1 Celui qui n'écoute pas cette parole,
ce n'est pas seulement moi qu'il n'aime pas, mais aussi le Pčre. Et voilŕ
pourquoi celui qui l'aime et qui aime le Pčre mérite une manifestation de l'un
et de l'autre. Il dit donc : ET LA PAROLE QUE VOUS AVEZ
ENTENDUE, que j'ai
proférée en tant qu'homme, est bien la mienne dans la mesure oů je la prononce,
et elle N'EST PAS LA MIENNE, dans la mesure oů elle est d'un autre - Mon enseignement n'est pas le mien2. - Les paroles que moi je vous dis, je ne les dis pas de moi-męme 3.
1. Mt 28,
20.
2. Sur le
sens du mot familiaritas, voir vol. I, n° 1475, note 5.
3. Pr 8, 31.
4. Is 62, 5.
5. In Ioannem hom., LXXV, 3, PG 59, col. 406-407.
6. Jn 14, 18-19.
7. XL hom. in Évang., II, hom. 30, 2, PL 76, col.
1221 B. 8. Jb 36, 32-33 (verset propre ŕ la Vulgate). Voir ci-dessus,
n° 1807, note 5. 9. Jb 28, 14. 10. Sur le sens du mot ratio, voir vol. I,
Préface, p. 18, note 4.
1951. Mais remarque, selon Augustin4, que lorsque le Seigneur parle de ses paroles, il dit au pluriel : Mes paroles ; mais quand il parle de la parole du Pčre, il parle au singulier, disant : ET LA PAROLE QUE VOUS AVEZ ENTENDUE N'EST PAS LA MIENNE, parce qu'il a voulu ętre compris lui-męme ŕ travers le Verbe du Pčre, qui est son unique Verbe. Aussi ne dit-il pas qu'il est ŕ lui-męme mais qu'il est au Pčre, puisqu'il n'est ni sa propre image ni son propre Fils, mais ceux du Pčre. Or toutes les paroles qui sont dans nos curs proviennent de l'unique Verbe du Pčre.
1952. Ici le Seigneur promet aux disciples ses dons. Il leur avait promis
l'Esprit Saint et lui-męme, et c'est pourquoi il leur montre d'abord les dons
qui proviennent de la venue de l'Esprit Saint, puis les dons qui proviennent de
lui-męme : Je vous
laisse la paix5 [n° 1961].
Les dons qui proviennent de la venue de l'Esprit Saint.
JE VOUS
AI DIT CELA, DEMEURANT AUPRČS DE VOUS ; MAIS LE PARACLET, L'ESPRIT SAINT
QUE LE PČRE ENVERRA EN MON NOM, CELUI-LŔ VOUS ENSEIGNERA TOUT, ET VOUS
RAPPELLERA TOUT CE QUE JE VOUS AURAI DIT. (14, 25-26)
De la venue de l'Esprit Saint
proviennent de grands dons, ŕ savoir l'intelligence de toutes les paroles du
Christ. Et c'est pourquoi ŕ ce sujet il commence par leur rappeler ses
enseignements, puis il leur en promet l'intelligence [n° 1954].
JE VOUS
AI DIT CELA, DEMEURANT AUPRČS DE VOUS.
1953. Il dit donc, quant au premier point : CELA, que j'ai dit, JE VOUS L'AI
DIT par l'instrument de mon humanité, DEMEURANT AUPRČS DE VOUS d'une présence
corporelle. Et certes, c'est un trčs grand bienfait que le Fils lui-męme nous
parle et nous enseigne - Aprčs avoir ŕ bien des
reprises et de bien des maničres parlé jadis ŕ nos pčres par les prophčtes,
Dieu, en ces temps qui sont les derniers, nous a parlé par le Fils6. - Quelle est toute chair pour qu'elle entende son Seigneur ?7
1. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXV, 3, PG 59, col. 407.
2. Jn7, 16.
3. Jn 14, 10.
4. Tract, in Io., LXXVI, 5, BA 74A, p. 353-355.
5. Jn 14, 27.
6. He 1, 1.
7. Dt 5,
26.
MAIS LE
PARACLET, L'ESPRIT SAINT QUE LE PČRE ENVERRA EN MON NOM, CELUI-LŔ VOUS
ENSEIGNERA TOUT, ET VOUS RAPPELLERA TOUT CE QUE JE VOUS AURAI DIT. (14, 26)
1954. L'intelligence de ses enseignements, il la leur promet par l'Esprit
Saint qu'il leur donnera. Et concernant l'Esprit Saint il fait ici trois choses
: d'abord il le présente, puis il décrit sa mission [n° 1956], et enfin son
effet [n° 1958].
MAIS LE
PARACLET, L'ESPRIT SAINT
1955. Le Seigneur présente l'Esprit Saint de plusieurs maničres : comme
Paraclet, comme Esprit et comme Saint. Il est le Paraclet parce qu'il nous
console quant aux tristesses provenant des perturbations de ce monde - Au-dehors,
des luttes ; au-dedans, des craintes 1. - Lui qui nous console dans
toute notre tribulation2. Et il fait cela en tant qu'il est
Amour, nous faisant aimer Dieu et reconnaître sa grandeur, et c'est pourquoi
nous souffrons les outrages avec joie - Les Apôtres s'en allčrent tout
joyeux de devant le grand conseil, parce qu'ils avaient été jugés dignes de
souffrir des outrages pour le nom de Jésus3. - Réjouissez-vous et exultez, car votre
récompense est grande dans les deux4.
De męme il nous console des
tristesses des péchés passés, dont il est dit : Bienheureux ceux qui
pleurent5. Et cela il le fait en tant qu'il nous donne
l'espérance de son pardon6 - Recevez l'Esprit Saint ;
les péchés seront remis ŕ ceux ŕ qui vous les remettrez1. Pour que je donne la consolation
ŕ ceux qui pleurent en Sion8.
1. 2 Co 7, 5.
2. 2 Co 1, 4.
3. Ac 5,41.
4. Mt 5, 12.
5. Mt 5, 5. Saint Thomas commente : Ť Ŕ
trois types de pleurs répondent trois sortes de consolations. Pour les pleurs
dus au péché, la rémission des péchés nous est donnée, celle que réclamait
David - Rends-moi la joie de ton salut (Ps 50, 14). Ŕ l'attente de la
patrie céleste et ŕ la misčre de notre état présent répond la consolation de la vie
éternelle Je changerai leurs pleurs en cris de joie ; et je les
consolerai, je les réjouirai aprčs leur peine (Jr 31, 13). - Dans
Jérusalem vous serez consolés (Is 66, 13). Aux troisičmes pleurs
répond la consolation de l'amour divin : en effet, quand quelqu'un souffre de
l'absence de la réalité aimée, il est consolé s'il reçoit une autre réalité
davantage aimée. C'est pourquoi les hommes sont consolés quand ŕ la place des
réalités temporelles ils reçoivent des réalités spirituelles et éternelles, et
c'est cela, recevoir l'Esprit Saint ; c'est pourquoi il est appelé
Paraclet (cf. Jn 15, 26). En effet, par l'Esprit Saint qui est l'amour divin,
les hommes se réjouissent - Votre tristesse se changera en joie (Jn 16,
20) ť (Super Matth, lect., V, n° 423).
Il est l'Esprit parce qu'il meut nos
curs ŕ obéir ŕ Dieu - Quand il sera venu comme un fleuve impétueux que
l'Esprit du Seigneur agite9.
- Ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu, ceux-lŕ sont fils de Dieu10.
Il est Saint parce qu'il nous
consacre ŕ Dieu et que tout ce qui est consacré ŕ Dieu est appelé saint - Ne
savez-vous pas que nos corps sont le temple de l'Esprit Saint ?11 - L'impétuosité du fleuve réjouit la cité de Dieu : le Trčs-Haut a
sanctifié son tabernacle 12.
QUE LE PČRE ENVERRA EN MON NOM
1956. Il parle ensuite de sa mission : QUE LE PČRE ENVERRA EN MON NOM. Lŕ, ne
comprenons pas qu'il vient vers nous par un mouvement local, mais qu'il doit
ętre en nous d'une maničre nouvelle, autre que celle selon laquelle il était en
nous auparavant - Envoie ton Esprit et ils seront créés13 -, c'est-ŕ-dire dans un exister (esse) spiritue1.
Mais remarque ici que l'Esprit Saint
est envoyé par le Pčre et le Fils, et qu'en vue de montrer cela le Christ dit
parfois, comme ici, que le Pčre envoie l'Esprit Saint, et parfois que c'est
lui-męme qui l'envoie - Que moi je vous enverrai (...) 14 Mais jamais il ne dit que l'Esprit
Saint est envoyé par le Pčre sans faire mention de lui-męme ; aussi dit-il ici : QUE LE
PČRE ENVERRA EN MON NOM. Et il ne dit pas non plus qu'il est envoyé par lui, le
Fils, sans mentionner le Pčre, et c'est pourquoi il dit : Que moi je vous
enverrai d'auprčs du Pčre1.
6. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 30, 3, PL 76, col.
1221 D.
7. Jn 20, 23.
8. Is 61, 3.
9. Is 59, 19.
10. Rm 8, 14.
11. 1 Co 6, 19.
12. Ps
45, 5. Voir vol. I, n° 1090, note 4.
13. Ps
103, 30.
14. Jn
15, 26.
1957. Mais pourquoi dit-il : EN MON NOM ? L'Esprit Saint sera-t-il nommé
Fils ? On pourrait dire que l'Esprit Saint était donné aux fidčles ŕ
l'invocation du nom du Christ, mais il vaut mieux dire que, de męme que le Fils
vient au nom du Pčre - Moi je suis venu au nom de mon Pčre2 -, de męme l'Esprit Saint vient au nom du
Fils. Or le Fils est venu au nom du Pčre, non qu'il fűt le Pčre mais parce
qu'il était le Fils du Pčre, et de męme (similiter) l'Esprit Saint est venu
au nom du Fils, non qu'il fűt dit Fils, mais parce qu'il était l'Esprit du Fils
- Si quelqu'un n'a pas l'Esprit du Christ, il ne lui appartient pas3. Dieu a envoyé dans vos curs
l'Esprit de son Fils4.
- Il les a prédestinés ŕ ętre conformes ŕ l'image de son Fils5, et cela ŕ cause de la consubstantialité du
Fils ŕ l'égard du Pčre et de l'Esprit Saint ŕ l'égard du Fils. De męme, comme
le Fils venant au nom du Pčre a soumis au Pčre ceux qui croient en lui - Tu
as fait de nous pour notre Dieu un royaume et des prętres6 -, de męme l'Esprit Saint nous configure au Fils en tant qu'il nous
adopte comme fils de Dieu7 - Vous avez reçu un Esprit
d'adoption dans lequel nous crions : Abba, Pčre !8 - Dieu a envoyé dans vos curs
l'Esprit de son Fils qui crie : Abba, Pčre !9
1. Idem.
2. Jn 5,
43.
3. Rm 8,
9. Saint Thomas commente : Ť II faut cependant noter que l'Esprit du Christ et l'Esprit de
Dieu le Pčre sont un męme Esprit ;
mais on dit l'Esprit de Dieu le Pčre en tant qu'il procčde du Pčre, et l'Esprit du Christ en tant
qu'il procčde du Fils. Aussi le Seigneur
attribue-t-il partout cet Esprit ŕ lui-męme comme ŕ son Pčre : Le Paraclet, l'Esprit Saint
que le Pčre enverra en mon nom, celui-lŕ
vous enseignera tout, et vous rappellera tout ce que je vous aurai dit (Jn 14, 26) ; et encore : Lorsque sera venu le Paraclet
que moi je vous enverrai d'auprčs
du Pčre, l'Esprit de vérité qui procčde du Pčre, il rendra témoignage de moi (]n 15,
26) ť (Ad Rom. lect., VIII,
n° 627).
4. Ga 4,
6.
5. Rm 8,
29.
6. Ap 5, 10.
7. Cf. Didyme l'Aveugle, Traité du
Saint-Esprit, § 139, SC 386, Pˇ 273-275.
Dans son Commentaire des Sentences, saint Thomas précise :
Ť Par le Saint-Esprit qui est donné aux hommes, ceux-ci sont dit
adoptés ť (III Sent., d. 10, q. 2, a. 2b, sed contra 1). Sur
l'adoption des fils de Dieu, voir aussi Somme théol, III, q. 45, a. 4.
CELUI-LŔ
VOUS ENSEIGNERA TOUT.
1958. Le Seigneur parle ensuite de l'effet de l'Esprit Saint.
Car, comme l'effet de la mission du
Fils fut de conduire au Pčre, ainsi l'effet de la mission de l'Esprit Saint est
de conduire les croyants au Fils. Or le Fils, étant la Sagesse engendrée, est
la Vérité elle-męme - Moi je suis le Chemin, la Vérité et la Vie10 -, et c'est pourquoi l'effet de sa mission est de rendre les hommes
participants de la sagesse divine et de leur donner la connaissance de la
vérité. Le Fils donc nous transmet son enseignement, puisqu'il est le Verbe,
mais l'Esprit Saint nous rend capables de le recevoir11.
Il dit donc CELUI-LŔ VOUS ENSEIGNERA
TOUT parce que, quoi que l'homme enseigne au-dehors, si l'Esprit Saint n'en
donne de l'intérieur l'intelligence, c'est en vain qu'il travaille : car si
l'Esprit Saint n'est pas présent au cur de celui qui écoute, la parole de
celui qui enseigne sera inutile - L'inspiration du Tout-Puissant donne
l'intelligence 12 ; ŕ tel point que męme le Fils,
parlant par l'instrument de son humanité, ne peut rien s'il n'est lui-męme mű
de l'intérieur par l'Esprit Saint13.
1959. Mais remarque que plus haut il dit : Quiconque s'est mis ŕ l'écoute
du Pčre et ŕ son école vient ŕ moi1. Ici le Seigneur parle de l'enseignement que l'homme a reçu, et qu'il
ne reçoit qu'en étant enseigné par l'Esprit Saint ; autrement dit, celui
qui reçoit du Pčre et du Fils l'Esprit Saint, celui-lŕ connaît le Pčre et le
Fils et il vient ŕ eux. Or l'Esprit Saint nous fait connaître toutes choses en
nous inspirant de l'intérieur, en nous dirigeant, et en nous élevant vers les
réalités spirituelles. En effet, de męme que celui qui a le goűt infecté n'a
pas la vraie connaissance des saveurs, de męme aussi celui qui est infecté par
l'amour du monde ne peut goűter les réalités divines2 - L'homme charnel (animalis) ne perçoit pas ce qui
est de l'Esprit de Dieu3.
8. Rm 8,
15.
9. Ga 4, 6.
10. Jn 14, 6.
11. Voir / Sent., ŕ. 18, q. 1, a. 3,
ad 3 Ť Bien que l'Esprit Saint ne soit pas principe du Fils, il est
cependant principe de l'effet selon lequel le Fils est dit ętre donné ou
envoyé, et c'est pourquoi le Fils lui-męme est donné par le don qui est
l'Esprit Saint ť.
12. Jb 32, 9.
13. Cf. saint
Grégoire : LE Grand, XL
hom. in Évang., II, hom. 30, 3, PL 76, col. 1222A.
1960. Mais parce qu'il appartient aux inférieurs de rappeler les choses ŕ
d'autres, par exemple aux acolytes dans les services divins, va-t-on dire que
l'Esprit Saint, qui nous rappelle tout, est inférieur ŕ nous ? Lŕ il faut
répondre, selon Grégoire4, que s'il est dit que l'Esprit Saint
rappelle, ce n'est pas qu'il mette en nous radicalement la science, mais que
dans le secret il procure des forces pour connaître, qu'il enseigne en tant
qu'il nous fait participer ŕ la sagesse du Fils. Il rappelle en tant qu'il nous
meut, étant l'amour. Ou bien [IL] VOUS RAPPELLERA TOUT, c'est-ŕ-dire il vous le
remettra en mémoire - Ils
se souviendront du Seigneur et se convertiront ŕ lui, tous les confins de la
terre5.
Il faut savoir en effet que parmi les
choses que le Christ a dites ŕ ses disciples, il y en a que ceux-ci n'ont pas
comprises, et d'autres dont ils ne se souvenaient pas. Le Seigneur dit donc :
CELUI-LŔ VOUS ENSEIGNERA TOUT ce que vous ne pouvez pas comprendre maintenant,
et VOUS RAPPELLERA TOUT ce dont vous ne pouvez pas vous souvenir. En effet,
comment l'Évangéliste Jean, quarante ans aprčs, aurait-il pu avoir le souvenir
de toutes les paroles du Christ qu'il a écrites dans son Évangile, si l'Esprit
Saint ne les lui avait rappelées ?
Les dons qui proviennent du Christ lui-męme.
JE VOUS
LAISSE LA PAIX, JE VOUS DONNE MA PAIX. MOI, JE NE VOUS LA DONNE PAS COMME LE
MONDE LA DONNE. (14, 27)
1961. Plus haut, le Seigneur a promis ŕ ses disciples quelque chose qu'ils
allaient obtenir grâce ŕ la présence de l'Esprit Saint ; or ici il promet
un don qu'ils allaient obtenir par sa venue et sa présence.
Cependant, il faut savoir que si l'on
considčre la propriété des personnes, ŕ savoir du Fils et de l'Esprit Saint, le
Seigneur semble alterner les dons. En effet, puisque le Fils est le Verbe, il
semble que le don de la sagesse et de la connaissance lui appartienne en
propre. Mais ŕ l'Esprit Saint est appropriée la paix, puisqu'il est l'amour qui
est cause de paix. Mais cependant, parce que l'Esprit Saint est celui du Fils,
et que ce que donne l'Esprit Saint, il le tient du Fils, il attribue ce don de
la connaissance ŕ l'Esprit Saint, quand il dit : CELUI-LŔ VOUS ENSEIGNERA TOUT,
ET VOUS RAPPELLERA TOUT CE QUE JE VOUS AURAI DIT, ce qui est cependant
approprié au Fils. Mais parce que l'Esprit Saint procčde du Fils, ce que
l'Esprit Saint fait en propre est attribué au Fils. Et selon ce mode, le Christ
s'attribue ŕ lui-męme la
paix, disant : JE VOUS LAISSE LA PAIX. En premier lieu, il promet le don de la
paix qu'il laisse, en second lieu il distingue cette paix de la paix du monde
[n° 1964].
1. Jn 6,
45.
2. Cf. ci-dessus
n° 1919.
3. 1 Co
2, 14. Pour la traduction du mot animalis, voir vol. I, n° 138, note 6.
4. XL hom. in Évang., II, hom. 30, 3, PL 76, col.
1222 B.
5. Ps 21,
28.
JE VOUS LAISSE LA PAIX.
1962. Il faut savoir que la paix n'est rien d'autre que la tranquillité de
l'ordre * : en effet on dit que des choses sont dans la paix quand leur ordre
demeure non troublé. Or dans l'homme il y a un ordre triple : de l'homme vers
lui-męme, de l'homme vers Dieu, et de l'homme vers le prochain ; et ainsi
il y a dans l'homme une triple paix. Une certaine paix intrinsčque selon laquelle
il est pacifié en lui-męme sans trouble de ses puissances - Paix abondante
pour ceux qui aiment ta loi2. Une autre par laquelle l'homme est en
paix avec Dieu, totalement soumis ŕ son ordre - Étant donc justifiés par la
foi, ayons la paix avec Dieu3. La troisičme paix est ŕ l'égard du
prochain - Recherchez la paix avec tous les
saints et la sainteté sans laquelle nul ne verra Dieu 4.
Mais il faut remarquer qu'en nous,
trois choses doivent ętre mises en ordre, ŕ savoir l'intelligence, la volonté
et l'appétit sensible : la volonté doit ętre dirigée selon l'esprit, ou la
raison ; et l'appétit sensible selon l'intelligence et la volonté. Et
c'est pourquoi Augustin dans le livre Des paroles du
Seigneur, définissant
la paix des saints, dit : Ť La paix est la sérénité de l'esprit, la
tranquillité de l'âme, la simplicité du cur, le lien de l'amour, la communion
de la charité5. ť La sérénité de l'esprit se
rapporte ainsi ŕ la raison, qui doit ętre libre, non pas liée ou absorbée par
quelque affection désordonnée ; la tranquillité de l'âme se rapporte ŕ la
puissance sensible, qui doit se reposer du tracas des passions ; la
simplicité du cur se rapporte ŕ la volonté, qui doit ętre totalement portée
vers Dieu, son objet ; le lien de l'amour se rapporte au prochain et la
communion de la charité ŕ Dieu.
1. Cf. saint Augustin, La Cité de Dieu, XIX,
xin, 1, BA 37, p. 111 Ť La
paix de toutes choses, c'est la tranquillité de l'ordre ť. Voir Somme théol, II-II, q. 29, a. 1, c. et ad 1. Et
pour saint Thomas la paix est la
béatitude qui relčve du don de sagesse parce que le propre du sage est d'ordonner (voir loc. cit., q. 45, a. 6,
c).
2. Ps
118, 165.
3. Rm 5,
1. Saint Thomas commente : Ť Étant donc justifiés par la foi, ŕ
savoir, en tant que par la foi en la Résurrection nous participons ŕ son effet,
ayons la paix avec Dieu, en nous soumettant ŕ lui et en lui obéissant - Soumets-toi
donc ŕ Dieu, et tu auras la paix (Jb 22, 21). Et : Qui lui a résisté et
a eu la paix ? (Jb 9, 4). Et cela par notre Seigneur Jésus Christ qui nous a conduits jusqu'ŕ cette paix -
C'est lui Ť w ť est notre paix (Ep 2, 14) ť (Ad
Rom. lect., V, n° 382).
4. He 12,
14.
Cette paix, les saints l'ont ici-bas
et ils l'auront dans le futur ; mais ici-bas imparfaitement, parce que ni
envers nous-męmes, ni envers Dieu, ni envers le prochain, nous ne pouvons avoir
la paix sans quelque perturbation ; mais dans le futur nous l'aurons
parfaitement, quand nous régnerons sans ennemi : lŕ, jamais nous ne pourrons
ętre en désaccord6.
Et ici le Seigneur nous promet l'une
et l'autre. La premičre quand il dit : JE VOUS LAISSE LA PAIX, ŕ savoir dans ce
sičcle, afin que vous vainquiez l'ennemi, et afin que vous vous aimiez les uns
les autres, ce qui est comme le testament établi pour nous par le Christ pour
que nous le gardions - II a fait avec lui une
alliance de paix, et il l'a fait prince7. Comme dit
Augustin8, ne pourra pas parvenir ŕ l'héritage
du Seigneur celui qui n'aura pas voulu observer son testament, et celui qui
aura voulu ętre en désaccord avec le chrétien ne peut avoir de concorde avec le
Christ. Et le Seigneur nous promet la seconde quand il dit : JE VOUS DONNE MA
PAIX, ŕ savoir dans le futur - Je ferai couler sur elle, ŕ savoir la
Jérusalem céleste, comme un fleuve de paix9.
1963. Mais puisque, soit dans le monde, soit dans la Patrie, toute la paix
des saints leur parvient par le Christ - En moi vous aurez la paix -,
pourquoi le Seigneur ne dit-il pas JE VOUS DONNE MA PAIX quand il parle de la
paix des saints qui sont en chemin, mais seulement quand il parle de la paix
des saints dans la Patrie ?
5. Serm.
de Scr. (ou de Verbis Domini), Appendix, 97, PL 39, col. 1932.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXVII, 3, BA 74A, p. 363.
7. Si 45,
30 [BJ45, 24].
8. Serm.
de Scr., Appendix, 97, PL 39, col. 1932.
9. Is 66,
12.
Ŕ cela il faut dire que l'une et
l'autre paix, ŕ savoir la présente et la future, sont celles du Christ ;
mais la présente est du Christ en tant qu'il en est seulement l'auteur, tandis
que la paix future est de lui en tant qu'il en est l'auteur et le possesseur
car il a toujours eu cette paix, ayant toujours été sans contradiction. Or la
paix présente existe avec une certaine contradiction, comme il a été dit : et
c'est pourquoi, bien que ce soit lui qui la réalise, cependant il ne la possčde
pas.
Et selon ce qui a été dit plus haut,
l'explication traite de la paix de ce sičcle et de la paix de l'éternité. Mais,
selon Augustin2, l'une et l'autre chose peuvent ętre
expliquées de la paix de ce sičcle ; et il dit : JE VOUS LAISSE LA PAIX
par l'exemple, mais : JE VOUS DONNE MA PAIX par la puissance et la force.
MOI, JE NE VOUS LA DONNE PAS COMME LE MONDE LA DONNE.
1964. Ensuite, il distingue cette paix-lŕ de la paix du monde. Or on
distingue la paix des saints de la paix du monde quant ŕ trois choses.
Premičrement quant ŕ l'intention : car la paix du monde est ordonnée ŕ la
jouissance calme et paisible des choses qui ne durent qu'un temps, ce qui
entraîne qu'elle coopčre parfois avec les hommes pour qu'ils pčchent - Vivant
dans une grande lutte causée par l'ignorance, ils appellent paix tant de maux,
et de si grands maux3. Mais la paix des saints est
ordonnée aux biens éternels. Le sens est donc : MOI, JE NE VOUS LA DONNE PAS COMME
LE MONDE LA DONNE, c'est-ŕ-dire ce n'est pas en vue de la męme fin, parce que
le monde donne de posséder en toute tranquillité des choses extérieures, alors
que moi je donne ce qui concerne l'acquisition des biens éternels.
En second lieu on la distingue quant
ŕ l'apparence et la vérité, parce que la paix du monde est fausse, étant
seulement extérieure - Ils parlent de paix avec leur prochain et ont le mal
dans leurs curs4. Mais la paix du Christ est vraie
parce qu'elle est intérieure et extérieure. Et ainsi le sens est : Ce n'est pas
COMME LE MONDE LA DONNE, c'est-ŕ-dire ce n'est pas une apparence de paix que je
donne, comme le monde, mais la vraie paix.
En troisičme lieu on la distingue
quant ŕ la perfection : parce que la paix du monde est imparfaite puisqu'elle
est seulement liée au repos de l'homme extérieur et non pas de l'homme
intérieur - Il n'est pas de paix pour les impies, dit le Seigneur5 ; mais la paix du Christ donne le repos intérieurement et
extérieurement - Paix abondante pour ceux qui aiment ta loi0. Et le sens est : PAS COMME LE MONDE LA DONNE,
c'est-ŕ-dire qu'il ne s'agit pas d'une paix imparfaite.
1. Jn 16,
33.
2. Nous
n'avons pu retrouver la source de cette interprétation ni chez saint Augustin,
ni chez saint Jean Chrysostome, Théophylacte ou Alcuin.
3. Sg 14,
22.
4. Ps 27,
3 Ne m'entraîne pas en compagnie des pécheurs, et ne me perds pas avec
ceux qui opčrent l'iniquité : qui parlent de paix avec leur prochain et ont le
mal dans leurs curs. Saint Thomas commente : Ť Ŕ propos de la fraude
il dit qui parlent de paix avec leur prochain, et il mentionne deux
choses : les douces paroles qu'ils ont dans la bouche - Par
de douces paroles et des flatteries, ils séduisent les curs des innocents (Rm
16, 18). - L'homme qui parle ŕ son ami en des termes flatteurs et déguisés
tend un filet sous ses pas (Pr 29, 5). Cependant ils ont autre chose
dans leur cur ; d'oů ce qui suit : et qui ont le mal dans leurs curs,
c'est-ŕ-dire ce qu'ils préparent pour leurs propres ennemis : chacun en
sa bouche parle de paix avec son ami, et en cachette il lui
tend des pičges (Jr 9, 8). Toutes ces choses peuvent ętre appliquées au
Christ, qui sur la Croix a été compté parmi les scélérats (Is 53, 12). Mais
le psalmiste demande de ne pas ętre entraîné en męme temps, c'est-ŕ-dire pour
la męme cause, ŕ savoir de ne pas ętre crucifié avec eux, car leur passion ou
condamnation eut lieu ŕ cause de leur propre péché, tandis que la Passion du
Christ eut lieu ŕ cause de notre iniquité. De męme, ne me livre pas ŕ la męme
fin que les pécheurs impies, c'est-ŕ-dire dans l'intention qu'ils avaient
d'effacer le nom du Christ. Et tels sont ceux qui parlaient de paix avec leur
prochain, et ŕ l'égard du Christ lorsqu'ils tentaient de le surprendre dans sa
parole ; mais ils ont le mal dans leur cur, c'est-ŕ-dire
l'intention mauvaise : car c'était afin de le saisir, dans le but de pouvoir le
blâmer ť (Exp. in Psalmos, 27, n° 3).
5. Is 57,
21.
6. Ps
118, 165.
1965. Plus haut, le Seigneur a consolé ses disciples en donnant des raisons prises du côté des disciples eux-męmes, leur promettant l'accčs auprčs du Pčre, la venue de l'Esprit Saint et son propre retour ; mais ici il les console en donnant des raisons prises de son côté ŕ lui, de qui pouvait leur venir une double cause de consolation : l'une provenant de l'utilité du fruit qui suivrait le départ du Christ, et l'autre provenant de la cause de sa mort. Il montre d'abord la premičre, puis la seconde [n° 1974].
QUE
VOTRE CUR NE SOIT PAS TROUBLÉ NI NE S'EFFRAIE. VOUS AVEZ ENTENDU CE QUE MOI JE
VOUS AI DIT : JE M'EN VAIS ET JE VIENS VERS VOUS. SI VOUS M'AIMIEZ, VOUS VOUS
RÉJOUIRIEZ DE CE QUE JE VAIS VERS LE PČRE, PARCE QUE LE PČRE EST PLUS GRAND QUE
MOI ET MAINTENANT JE VOUS AI DIT CELA AVANT QUE CELA N'ARRIVE AFIN QUE, QUAND
CE SERA ARRIVÉ, VOUS CROYIEZ. (14, 27-29)
1966. Or le fruit qui suivrait le départ du Christ était son exaltation,
aussi les disciples pouvaient-ils ętre consolés. En effet, quand un ami va vers
son exaltation, ce sont les murs des amis d'ętre moins affligés de son départ,
et c'est pourquoi le Seigneur montre cette cause pour leur consolation. Et en
premier lieu il exclut le doute de leur cur ; en second lieu, il rappelle
une chose qui les consolait en partie et les troublait en partie [n°
1968] ; en troisičme lieu, il ajoute la cause qui les console totalement
[n° 1969] ; puis il répond ŕ une question tacite [n° 1973].
QUE
VOTRE CUR NE SOIT PAS TROUBLÉ NI NE S'EFFRAIE.
1967. Il exclut le trouble de leur cur en disant : QUE VOTRE CUR NE SOIT
PAS TROUBLÉ NI NE S'EFFRAIE. Le trouble se rapporte ŕ la tristesse, la peur ŕ
la crainte. Or la tristesse et la crainte se rejoignent en ceci, que l'une et
l'autre portent sur le mal ; mais elles diffčrent, parce que la tristesse
porte sur le mal présent et la crainte sur le mal futur. Or le Seigneur dit :
QUE VOTRE CUR NE SOIT PAS TROUBLÉ du mal présent - Le juste ne sera pas
ébranlé1 -, NI NE S'EFFRAIE du mal futur - Qui
es-tu pour craindre un homme mortel ?2, ce qu'il faut comprendre de la crainte humaine car il
n'exclut pas la crainte divine3.
VOUS
AVEZ ENTENDU CE QUE MOI JE VOUS AI DIT : JE M'EN VAIS ET JE VIENS VERS VOUS.
1968. Il rappelle ensuite ce qui les troublait en partie. En effet, d'une
part ils étaient troublés ŕ cause du départ du Christ, mais d'autre part ils se
consolaient de ce qu'il ajoute : ET JE VIENS VERS VOUS4. Cependant ils ne s'en consolaient pas entičrement, craignant que
peut-ętre pendant ce temps le loup n'attaque le troupeau en l'absence du
pasteur5, selon cette parole : Frappe le pasteur et les
brebis seront dispersées6. Donc il dit : QUE VOTRE CUR NE
SOIT PAS TROUBLÉ parce que JE M'EN VAIS, NI NE S'EFFRAIE, parce que JE VIENS
VERS VOUS.
1. Ps
111, 6.
2. Is 51,
12.
3. Sur
les différentes sortes de crainte, voir ci-dessus, n° 1783, note 2.
4. Cf. Jn 14, 3.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXVIII, 1, BA 74A, p. 373.
6. Za 13,
7 ; cf. Mt 26, 31.
Il s'en est allé, certes, en mourant
de son propre pouvoir, et il vient en ressuscitant - Le Fils de l'homme sera
livré aux princes des prętres et aux scribes, et ils le condamneront ŕ mort
(...) et le troisičme jour il ressuscitera \ II s'en est allé en montant - Il est
beau dans sa robe, il marche dans la
grandeur de sa force2. Il viendra
pour juger - Ils verront le Fils de l'homme venant dans une nuée, avec
grande puissance et majesté3.
SI VOUS M'AIMIEZ, VOUS VOUS RÉJOUIRIEZ DE CE QUE JE VAIS
VERS LE PČRE, PARCE QUE LE PČRE EST PLUS GRAND QUE MOI.
1969. Mais il les console totalement quand il dit : SI VOUS M'AIMIEZ, VOUS
VOUS RÉJOUIRIEZ DE CE QUE JE VAIS VERS LE PČRE, PARCE QUE LE PČRE EST PLUS
GRAND QUE MOI, comme s'il disait : Si vous m'aimez, vous ne devez pas ętre contristes mais vous devez plutôt
vous réjouir de mon départ, parce que je vais vers mon exaltation, c'est-ŕ-dire
que JE VAIS VERS LE PČRE, PARCE QUE LE PČRE EST PLUS GRAND
QUE MOI.
1970. Ŕ partir de cela, Arius donne cours ŕ son insolence en disant que le
Pčre est plus grand que le Fils, mais son erreur est exclue par les paroles
męmes du Seigneur. Car d'aprčs ce qu'il comprend, LE PČRE EST PLUS GRAND QUE
MOI se comprend de la męme maničre que JE VAIS VERS LE PČRE. Or le Fils ne va
pas vers le Pčre ni ne vient vers nous en tant qu'il est Fils de Dieu, selon
qu'il fut avec le Pčre de
toute éternité - Dans le Principe était le Verbe, et le Verbe était auprčs
de Dieu4. Mais on dit qu'il va vers le Pčre selon sa nature humaine. Ainsi, quand il
dit : LE PČRE EST PLUS GRAND QUE MOI, il ne le dit pas en tant que Fils de
Dieu, mais en tant que Fils de l'homme, et lŕ il est non seulement moindre que
le Pčre et l'Esprit Saint mais aussi que les anges eux-męmes - Mais ce Jésus qui a été abaissé un peu au-dessous des anges, nous le voyons, ŕ
cause de la mort qu'il a soufferte, couronné de gloire et d'honneur5. De męme, il était soumis ŕ certains
hommes, ŕ savoir ses parents, sous un certain aspect, comme on lit en Luc : Et
il leur était soumis6. Ainsi donc, il est moindre que le
Pčre selon son humanité, mais égal selon sa divinité - II n'a pas considéré comme une usurpation d'ętre
égal ŕ Dieu, mais il s'est anéanti lui-męme, prenant la condition d'esclave,
devenant semblable aux hommes1.
1971. On peut dire aussi, selon Hilaire8, que męme selon sa divinité le Pčre
est plus grand que le Fils, mais cependant que le Fils n'est pas moindre, mais
éga1. En effet, le Pčre est plus grand que le Fils non pas par la puissance,
l'éternité et la grandeur, mais par l'autorité de celui qui donne ou qui est
principe. Car le Pčre ne reçoit rien d'un autre, mais le Fils reçoit sa nature,
pour ainsi dire, du Pčre par la génération éternelle. Donc le Pčre est plus
grand, parce qu'il donne ; mais le Fils n'est pas moindre, mais égal,
parce que tout ce que le Pčre a, il le reçoit9 - II lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom x. En effet,
il n'est désormais pas
moindre que celui qui donne, avec qui il lui est donné d'ętre un.
1. Mt 20, 18-19.
2. Is 63, 1.
3. Lc 21, 27.
4. Jn 1, 1.
5. He 2, 9. Saint Thomas commente : Ť Cet
abaissement ne doit ętre compris dans le Christ qu'en vue de souffrir la mort. Et
ce n'est pas étonnant parce que quant ŕ cela il est non seulement plus petit
que les anges mais encore plus petit que les hommes - Nous l'avons méprisé,
lui, le dernier des hommes (Is 53, 3). Or la Glose dit, et c'est d'Augustin
contre Maximin, que le Christ n'a pas été abaissé au-dessous des anges ŕ cause
de la condition de la nature humaine mais ŕ cause de la Passion. Car il n'y a
rien de plus grand que la nature de l'esprit humain assumée sans le péché par
le Christ, sinon la seule Trinité. Il est donc plus petit que les anges par son
corps, puisque la Passion est selon le corps ť (Ad Heb. lect., II,
n° 122).
6. Lc 2,
51.
7. Ph 2,
6-7.
8. La
Trinité, IX, 54, SC 462, p. 127-129.
9. Voir
vol. I, n° 947, ci-dessus n° 1911 et ci-dessous nos 2061 sq., 2108 et 2113. Voir aussi Ad
Heb. lect., VII, n" 333 ; et Denzinger,
Symboles et définitions de la foi catholique, n° 1331,
p. 382 Ť En raison de cette unité le Pčre est tout entier
dans le Fils, tout entier dans le Saint-Esprit, le Fils est tout entier dans le
Pčre, tout entier dans le Saint-Esprit, le
Saint-Esprit est tout entier dans le Pčre, tout entier dans le Fils. Aucun ne précčde l'autre par son éternité ou ne
l'excčde en grandeur ou ne le
surpasse en pouvoir. Car c'est éternellement et sans commencement que le Fils naît du Pčre, et éternellement et sans commencement que le Saint-Esprit
procčde du Pčre et du Fils. Tout ce
que le Pčre est ou a, il l'a non pas d'un autre, mais de soi, et il est principe sans principe. Tout ce
que le Fils est ou a, il l'a du Pčre, et
il est principe issu d'un
principe. Tout ce que le Saint-Esprit est
ou a, il l'a ŕ la fois du Pčre et du Fils. Mais le Pčre et le Fils ne sont pas deux principes du Saint-Esprit,
mais un seul principe, de męme que
le Pčre, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois principes de la créature, mais un seul principe ť (Concile de
Florence [1442], Bulle Cantate
Domino).
1972. Mais Chrysostome2 explique cela en disant que le
Seigneur parle ŕ cause de la suspicion des Apôtres, qui n'avaient pas encore
connu ce qu'est la Résurrection et ne le croyaient pas égal au Pčre. Et c'est
pourquoi il leur dit : Et si vous ne croyez pas en moi et dans le fait que je
peux me relever moi-męme et si vous n'avez pas confiance que, aprčs la Croix,
je vous verrai de nouveau, cependant croyez-moi parce que JE VAIS VERS LE PČRE
qui EST PLUS GRAND QUE MOI.
ET MAINTENANT JE VOUS AI DIT CELA AVANT QUE CELA N'ARRIVE
AFIN QUE, QUAND CE SERA ARRIVÉ, VOUS CROYIEZ.
1973. Ici il répond ŕ une question tacite, en disant : ET MAINTENANT JE VOUS AI DIT CELA
AVANT QUE CELA N'ARRIVE AFIN QUE, QUAND CE SERA ARRIVÉ, VOUS CROYIEZ. Ils
pouvaient, en effet, demander pourquoi il disait ces paroles et c'est pourquoi,
les devançant, il dit : MAINTENANT JE VOUS AI DIT CELA...
Mais Augustin3 demande : puisque la foi porte sur des choses qu'on ne voit pas, l'homme ne doit-il pas croire avant qu'elles se soient réalisées, et non aprčs ? Lŕ il faut dire qu'ils voyaient une chose et en croyaient une autre. En effet, ils virent la mort du Christ et sa Résurrection, et ayant vu cela, ils crurent qu'il était le Christ, le Fils de Dieu. C'est pourquoi, lorsque cela fut accompli, ils ne crurent pas d'une foi nouvelle, mais augmentée. Ou bien, aprčs sa mort, d'une foi affaiblie ; mais aprčs sa Résurrection, d'une foi renouvelée, comme dit encore Augustin4.
1974. Il donne encore une autre cause de consolation concernant son départ,
cause qui se prend de celle de la mort. Or il faut savoir que la cause de la
mort peut amener soit la douleur, quand quelqu'un est tué pour une faute, soit
la consolation, quand quelqu'un meurt pour un bien relevant de la vertu - Qu'aucun
de vous ne souffre
comme homicide, ou voleur, ou médisant, ou avide du bien d}autrui. Mais si c'est comme chrétien, qu'il ne rougisse pas5. Ŕ propos de cela le Seigneur montre donc en
premier lieu que le péché ne fut pas la cause de sa mort, et en second lieu que
la cause de celle-ci fut la vertu d'obéissance et de charité [n° 1976].
1. Ph 2, 9.
2. In Ioannem hom., LXXV, 4, PG 59, col. 407-408.
JE NE PARLERAI PLUS BEAUCOUP AVEC VOUS. EN EFFET, IL
VIENT LE PRINCE DE CE MONDE, ET SUR MOI IL N'A AUCUN POUVOIR. (14, 30)
1975. Il dit donc : JE NE PARLERAI PLUS BEAUCOUP AVEC VOUS, ŕ cause de la
bričveté du temps - Petits enfants, pour peu de temps encore je suis avec
vous1. Ou parce que vous n'ętes pas encore capables - J'ai
encore beaucoup ŕ
vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter maintenant2. Ou bien JE NE PARLERAI
PLUS BEAUCOUP AVEC VOUS parce
qu'en une seule brčve parole je vous expliquerai que je ne mourrai pas par
suite de ma faute. Et cela il le fait ensuite quand il dit : EN EFFET, IL VIENT LE PRINCE DE CE
MONDE, ET SUR MOI IL N'A AUCUN POUVOIR, ŕ savoir le diable qui est dit prince non selon la raison (ratio)
de création, ni en vertu d'un pouvoir naturel comme blasphčment les
manichéens, mais selon la raison (ratio) de faute, et c'est pourquoi il
est dit PRINCE DE CE MONDE, c'est-ŕ-dire de ceux qui aiment le monde et le péché - Nous n'avons pas ŕ
lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances,
contre les dominations de ce monde de ténčbres3. Donc il n'est pas le prince des créatures, mais des pécheurs et des ténčbres - C'est lui qui est le roi de
tous les fils de l'orgueil4.
3. Tract, in Io., LXXIX, 1, BA 74A, p. 389-391.
4. Ibid.,
p. 391.
5. 1
Ρ 4, 15-16.
Ce prince est donc venu pour
persécuter : en effet, il est entré dans le cur de Judas afin qu'il trahisse,
et des Juifs afin qu'ils tuent ; mais SUR MOI IL N'A AUCUN POUVOIR : car
en nous il n'a de pouvoir qu'ŕ cause du péché - Tout homme qui commet le péché est esclave du péché5. Or dans le
Christ il n'y avait aucun péché, ni selon son âme - Lui qui n'a pas commis
de faute $ -, ni selon sa chair parce qu'il a été conçu de l'Esprit Saint
et de la Vierge sans le
péché originel - C'est pourquoi l'ętre saint qui naîtra de toi sera appelé
Fils de Dieu7. Donc, parce que le diable a attaqué
męme le Christ sur lequel il n'a aucun droit8, il a mérité de perdre ce qu'il
possédait avec justice -
Qu'importe ŕ moi et ŕ toi, Jésus, Fils du Dieu Trčs-Haut ?9 Ainsi donc il est évident
que la cause de la mort du Christ ne fut pas la faute, et qu'il n'avait pas de
raison de mourir puisqu'il n'a pas de péché.
1. Jn 13,
33.
2. Jn 16,
12.
3. Ep 6,
12.
4. Jb 41,
25. Saint Thomas commente : Ť Le Leviathan dispose d'un pouvoir d'exercer
de grandes et fortes opérations, et en exposant cela Job dit : Il regarde
vers ce qui est sublime, c'est-ŕ-dire que l'intention du démon est
de s'attaquer ŕ tout ce qui est sublime. Et comme ces choses sont le fait de
l'orgueil, il montre en conséquence que le diable non seulement est orgueilleux
en lui-męme, mais qu'il dépasse toutes les créatures par son orgueil et qu'il
est la source de l'orgueil des autres, et c'est pourquoi il ajoute : Il est
lui-męme roi sur tous les fils de l'orgueil, c'est-ŕ-dire sur ceux
qui sont les esclaves de l'orgueil et qui le suivent tous comme un guide ť
(Exp. super lob, 41, 25, p. 227, 1. 438-448).
5. Jn 8,
34.
6. 1
Ρ 2, 22.
MAIS AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PČRE ET
COMME LE PČRE M'EN A DONNÉ LE COMMANDEMENT, AINSI JE FAIS. LEVEZ-VOUS, PARTONS
D'ICI ! (14, 31)
1976. Ensuite il ajoute la vraie cause qui est le bien relevant de la
vertu ; et c'est pourquoi il dit : MAIS AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE QUE
J'AIME LE PČRE, ce qui, selon Augustin10, est ainsi ponctué : MAIS AFIN QUE
LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME LE PČRE ET COMME LE PČRE M'EN A DONNÉ LE
COMMANDEMENT, AINSI JE FAIS... LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI !
Lŕ il faut savoir que deux choses ont
poussé le Christ ŕ supporter la mort, ŕ savoir l'amour (amor) de Dieu et
l'amour (dilectio) du prochain - Marchez dans l'amour11. Et il en donne une preuve en indiquant qu'il
accomplit ses commandements - Si vous m'aimez, gardez mes commandements 12. Et quant ŕ cela il dit : MAIS AFIN QUE LE MONDE CONNAISSE QUE J'AIME
LE PČRE, et ceci d'une maničre efficace, puisque je meurs. Aussi ajoute-t-il :
ET COMME LE PČRE M'EN A DONNÉ LE COMMANDEMENT, AINSI JE
FAIS, c'est-ŕ-dire selon
que le Pčre le pousse ŕ subir la mort, par l'obéissance qui est causée par
l'amour. Ce commandement, le Pčre ne l'a pas donné au Fils de Dieu qui,
puisqu'il est le Verbe, est aussi le commandement du Pčre ; mais il l'a
donné au Fils de l'homme, en tant qu'il a inspiré ŕ son âme la nécessité, pour
le salut des hommes, que le Christ mourűt dans sa nature humaine. Donc AFIN QUE
LE MONDE CONNAISSE (...) LEVEZ-VOUS, du lieu oů ils avaient pris le repas, et
PARTONS vers le lieu oů je dois ętre livré, afin que vous voyiez que ce n'est
pas par nécessité, mais par charité et obéissance que je meurs - Avec audace, il court
au-devant des hommes armés1.
7. Lc 1,
35.
8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., LXXIX,
2, BA 74A, p. 395, dont saint Thomas s'inspire largement dans tout ce
paragraphe mettant en valeur ŕ la fois la parfaite innocence du Christ (il ne
mérite aucunement la mort) et sa totale liberté (il veut seulement manifester
son amour pour le Pčre).
9. Mc 5, 7.
10. Loc. cit., p. 395.
11. Ep 5, 2.
12. Jn
14, 15.
1977. Mais selon Chrysostome2 il faut lire autrement : AINSI JE
FAIS est la fin de la phrase, et LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI est le commencement
de l'autre phrase, de sorte que le sens est : Je ne meurs pas, comme si le
prince de ce monde avait sur moi quelque pouvoir, mais c'est parce QUE J'AIME
LE PČRE que je fais cela. Mais vous, LEVEZ-VOUS, PARTONS D'ICI ! En effet,
il voyait qu'ils avaient peur, ŕ la fois ŕ cause du moment, parce que la nuit
était profonde, et ŕ cause du lieu, parce qu'ils se trouvaient manifestement
dans une maison et tournaient toujours les yeux vers la porte comme s'attendant
ŕ ce que des ennemis les envahissent, et qu'ŕ cause de cela ils n'étaient pas
attentifs aux choses qui leur étaient dites. Et c'est pourquoi, afin qu'ils
comprennent mieux les paroles qu'il allait leur dire, il les conduit dans un
autre lieu secret afin que, s'estimant en sécurité, ils écoutent plus
attentivement les choses qu'il leur dirait - Je la conduirai dans la solitude, et je parlerai ŕ son cur3.
1. Jb 39, 21.
2. In Ioannem hom., LXXVI, 1, PG 59, col. 410-411.
3. Os 2,
14.
Évangile
selon saint Jean Chapitre XV
1 Moi,
je suis la vigne véritable, et mon Pčre est le vigneron. 2 Tout sarment qui ne
porte pas de fruit en moi, il l'enlčve ; et tout sarment qui porte du
fruit, il l'émonde, pour qu'il en porte davantage.
3 Vous,
déjŕ, vous ętes purs, ŕ cause de la parole que je vous ai dite. 4 Demeurez en
moi, et moi en vous. Comme le sarment ne peut porter du fruit par lui-męme,
s'il ne demeure en la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez en moi. 5
Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en moi et moi
en lui, celui-lŕ porte beaucoup de fruit : parce que sans moi vous ne pouvez
rien faire. 6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il sera jeté dehors comme le
sarment, et il séchera ; et on le ramassera, et on le jettera au feu, et
il brűlera. 7 Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous,
vous demanderez tout ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé. 8 En ceci
mon Pčre est glorifié : que vous portiez beaucoup de fruit et que vous deveniez
mes disciples.
9 Comme
le Pčre m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. 10 Si
vous observez mes préceptes, vous demeurerez dans mon amour ; comme moi
aussi j'ai observé les préceptes de mon Pčre, et je demeure dans son amour. n
Je vous ai dit cela, pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit en
plénitude. 12 Tel est mon précepte : que vous vous aimiez les uns les autres
comme je vous ai aimés. 13 Personne n'a de plus grand amour que celui qui livre
son âme pour ses amis.
14 Vous
ętes, vous, mes amis, si vous faites ce que moi je vous commande. 15Je ne vous
appellerai plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son
seigneur. Mais je vous ai appelés amis, parce que tout ce que j'ai entendu de
mon Pčre, je vous l'ai fait connaître. I6 Ce n'est pas vous qui m'avez choisi,
mais c'est moi qui vous ai choisis et vous ai établis pour que vous alliez et
portiez du fruit, et que votre fruit demeure, pour que tout ce que vous
demanderez au Pčre en mon nom, il vous le donne. 17 Ce que je vous commande,
c'est que vous vous aimiez les uns les autres.
18 Si
le monde vous hait, sachez qu'il m'a pris en haine avant vous. I9 Si vous aviez
été du monde, le monde aimerait ce qui est ŕ lui ; mais parce que vous
n'ętes pas du monde, et que moi je vous ai choisis du milieu du monde, c'est
pour cela que le monde vous hait.
20
Souvenez-vous de la parole que moi, je vous ai dite : le serviteur n'est pas
plus grand que son seigneur. S'ils m'ont persécuté, vous aussi ils vous
persécuteront ; s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre. 2I
Mais tout cela, ils vous le feront ŕ cause de mon nom, parce qu'ils ne
connaissent pas celui qui m'a envoyé.
22 Si
je n'étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils n'auraient pas de péché. Mais
maintenant ils n'ont pas d'excuse ŕ leur péché. 23 Celui qui me hait, hait
aussi mon Pčre. 24 Si je n'avais pas fait parmi eux des uvres que nul autre
n'a faites, ils n'auraient pas de péché. Mais maintenant, ils ont vu, et ils
nous ont haďs, moi et mon Pčre ! 25 Mais c'est pour que s'accomplisse la
parole qui est écrite dans leur Loi : ils m'ont haď gratuitement.
26
Lorsque sera venu le Paraclet que moi je vous enverrai d'auprčs du Pčre,
l'Esprit de vérité qui procčde du Pčre, c'est lui qui rendra témoignage de moi.
27 Et vous aussi, vous rendrez témoignage, parce que vous ętes avec moi depuis
le commencement.
COMMENT LE CHRIST PRÉPARE SES DISCIPLES Ŕ VIVRE SA PASSION EN LES
FORTIFIANT PAR DES PAROLES
1978. Dans ce qu'il a dit précédemment ŕ ses disciples, le Seigneur avait
spécialement l'intention d'affermir leur âme face ŕ deux choses : l'une qui
était alors imminente, sa Passion, et l'autre qu'ils craignaient pour l'avenir,
c'est-ŕ-dire la tribulation qui allait survenir pour eux. C'est pourquoi il
leur avait dit ŕ l'égard de ces deux choses : Que votre cur ne soit pas troublé, quant ŕ la
premičre, ni ne s'effraie1, quant ŕ la seconde.
Les ayant donc affermis au sujet de
son départ (n° 1848] ; il les affermit ici face aux
tribulations qui allaient leur arriver. Il commence par leur proposer une
allégorie, puis il en vient ŕ son propos [n° 1986].
L'ALLEGORIE DE LA VIGNE ET DU VIGNERON
MOI, JE
SUIS LA VIGNE VÉRITABLE, ET MON PČRE EST LE VIGNERON. TOUT SARMENT QUI NE PORTE
PAS DE FRUIT EN MOI, IL L'ENLČVE ; ET TOUT SARMENT QUI PORTE DU FRUIT, IL
L'ÉMONDE, POUR QU'IL EN PORTE DAVANTAGE. (15, 1-2)
Cette allégorie2 porte sur la vigne et le vigneron. Le Seigneur présente d'abord la
vigne, puis le vigneron [n° 1981] et met ensuite en lumičre le souci du
vigneron ŕ l'égard des sarments [n° 1983].
MOI, JE
SUIS LA VIGNE VÉRITABLE.
1979. Mais la vigne, c'est le Christ lui-męme : JE SUIS LA VIGNE, dit-il sous
forme d'allégorie. Car
de męme que la vigne, bien qu'elle paraisse méprisable, bien qu'elle soit de
petite taille, surpasse tous les autres bois par la douceur de son fruit, de
męme le Christ, bien qu'il ait paru du monde parce qu'il était pauvre, qu'il
semblait ętre de basse naissance et supportait l'ignominie, a cependant donné
les fruits les plus doux - Son fruit est doux ŕ mon palais \
1. Jn 14, 1 ; 14, 27.
2. Similitudo,
qui est traduit ici par Ť allégorie ť, exprime une modalité d'analogie. En effet, nous pouvons
distinguer plusieurs niveaux d'analogie,
^analogie de l'ętre, découverte par le philosophe, se fonde sur la diversité des réalités
existantes ; et au-delŕ de ces maničres
d'exister, le philosophe saisit l'unité qui caractérise l'ętre. Ainsi, dans la réalité expérimentée,
l'ętre existe en étant lié au devenir. Mais
en Dieu, l'Ętre premier, l'ętre est découvert comme au-delŕ du devenir, totalement séparé de lui. Si le philosophe se
sert de l'analogie de l'ętre
pour découvrir l'ętre dans ce qu'il a de plus lui-męme, et pour découvrir sa maničre d'exister ultime, l'Ętre premier, le théologien, lui, emploie
des analogies de similitude qui présupposent
la foi. En effet, parce que le mystčre le dépasse totalement il ne peut pas le rejoindre
directement, par l'analogie propre de
l'ętre ; c'est dans la foi qu'il adhčre au mystčre révélé. Et pour mieux le mettre en lumičre sans
risquer de le diminuer et de le réduire
ŕ une compréhension humaine, il se sert d'analogies de similitude,
données par l'Écriture. Ces analogies ne regardent pas l'ętre mais la vie, les
qualités, les fonctions. Par exemple, dire que Jésus est le Verbe - Et le
Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous, et nous avons contemplé sa
gloire (Jn 1, 14) - est une analogie de similitude, révélée par l'Écriture
et que le théologien peut expliciter (voir Somme théol, I, q. 27, a. 1
et 2), entre la génération du Verbe en Dieu et la conception, dans
l'intelligence humaine, du verbe, fruit de la pensée. Et dire que le Christ est
tęte de l'Église (cf. Col 1, 18), ou que le Pčre est le vigneron et le Christ
la vigne qui porte les sarments (cf. Jn 15, 1 sq.), est encore une analogie de
similitude, mais impliquant des éléments sensibles. On la nomme alors plus
précisément analogie métaphorique. Sur les métaphores utilisées dans
l'Écriture, voir ci-dessus, n° 1696, note 12.
Et c'est pourquoi le Christ est une
vigne dont le vin enivre intérieurement et est un vin de componction2 - Tu nous as fait boire un vin de componction3. Ce vin est également fortifiant, c'est le vin
qui nous refait - Mon sang est vraiment une boisson 4. C'est ainsi, en effet, que plus haut il s'est comparé au grain de blé5, parce que sa chair est vraiment une nourriture.
C'est de cette vigne-lŕ qu'il est
écrit : Je voyais en songe une vigne portant trois rejetons6, c'est-ŕ-dire le Christ en qui sont trois
substances, ŕ savoir le corps, l'âme et la divinité7. C'est encore la vigne dont parle
Jacob : Mon fils, ŕ la vigne tu attacheras ton ânesse8, c'est-ŕ-dire l'Église.
1980. Et cette vigne est VÉRITABLE. Ici, il faut savoir que
Ť véritable ť se distingue parfois de Ť ressemblant ť,
comme l'homme véritable de l'homme en peinture, et que parfois il se distingue
de Ť corrompu ť, comme le vin par rapport au vinaigre, parce que
c'est du vin corrompu. La phrase MOI, JE SUIS LA VIGNE VÉRITABLE est donc prise
au second sens9, Jésus se distinguant de la vigne
corrompue, c'est-ŕ-dire du peuple des Juifs, dont il est dit : Comment donc
t'es-tu changée en amertume, ô vigne étrangčre ?10 Et ceci parce qu'elle ne donnait pas de raisins, mais des grappes
sauvages - J'en attendais des raisins, et elle a donné des grappes sauvages11.
1. Ct 2,
3.
2. Sur le
sens du mot componction, voir ci-dessus, n° 1702, note 13.
3. Ps 59, 5.
4. Jn 6, 56.
5. Cf. Jn 12, 24.
6. Gn 40, 9-10.
7. Saint
Thomas éclaire la convenance du mystčre de l'Incarnation et l'union de ces
trois substances dans le Christ en disant : Ť II appartient ŕ la raison de
bien de se communiquer aux autres, comme l'enseigne Denys (De Div. Nom., IV,
20). Il appartient par conséquent ŕ la raison du bien souverain de se
communiquer souverainement ŕ sa créature. Et cette souveraine communication se
réalise quand Dieu "s'unit ŕ la nature créée de façon ŕ ne former qu'une
seule personne de ces trois réalités : le Verbe, l'âme et la chair" (saint
Augustin, De Trinitate, XIII, 17). Il est donc manifeste qu'il convenait
que Dieu s'incarnât ť (Somme théol., III, q. 1, a. 1, c). Ť Dans
le Christ il n'y eut pas deux natures assumées, mais une seulement : une nature
humaine constituée d'âme et de chair ť (ibid., q. 5, a. 3, c).
8. Gn 49,
11. Le verset est littéralement : Il liera ŕ la vigne son ânon, et
au cep son ânesse. Il lavera dans le vin sa robe, et dans le sang du raisin son
manteau.
ET MON PČRE EST LE VIGNERON.
1981. Mais remarquons que dans le Christ il y a une double nature 12, divine et humaine ; selon sa nature humaine, il est semblable ŕ
nous et il est moindre que le Pčre ; selon sa nature divine, il est
semblable ŕ Dieu et il est au-dessus de nous. Il est donc la vigne véritable en
tant qu'il est la tęte de l'Église13, l'homme Christ Jésus. C'est ce
qu'il laisse entendre en présentant le vigneron qui est le Pčre : ET MON PČRE
EST LE VIGNERON [AGRICOLA]. En effet, si le Fils était la vigne selon sa
nature divine, le Pčre serait la vigne tout comme le Fils ; mais c'est
parce qu'il est la vigne selon sa nature humaine que le Pčre est ŕ son égard
comme le vigneron pour sa vigne. En tant que Dieu, lui-męme aussi est le
vigneron14. Or le mot Ť cultivateur ť
(agricola) est lié au mot Ť culture ť (cultura) 15, c'est pourquoi le vigneron aussi, en tant qu'il cultive, est un
cultivateur.
9. Alors
que saint Augustin se contentait de noter le caractčre imagé de la formule et
d'expliquer que le qualificatif Ť vrai ť met Jésus en opposition avec
le peuple visé par les deux versets prophétiques cités ŕ la fin de ce n° 1980 (Tract,
in Io., LXXX, 1, BA 74B, p. 71), saint Thomas précise le type de vérité
qualifiant la vigne, et nomme Ť le peuple des Juifs ť.
10. Jr 2,
21.
11. Is 5,
2.
12. Sur
les deux natures dans le Christ et l'unité de personne, voir ci-dessus, n°
1711, note 3.
13. Cf. Ep
1, 22-23 ; 4, 15-16 ; 5, 23 ; Col 1, 18. Voir Somme théol., III,
q. 8, a. 1 sq.
14. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXX, 2, BA 74B, p. 71-73.
15. Les
mots agricola et cultura viennent l'un et l'autre du verbe colo,
colere, qui signifie Ť culture ť.
1982. Mais puisque cultiver, c'est dépenser son zčle pour quelque chose, nous
cultivons quelque chose de deux maničres : soit pour que soit amélioré ce que
nous cultivons, et en ce sens nous cultivons un champ ou quelque chose de te1.
Soit pour que nous soyons améliorés par cela, et de cette maničre l'homme
cultive la sagesse. Dieu nous Ť cultive ť donc pour que nous soyons
améliorés par son travail, en tant qu'il extirpe de nos curs les mauvaises
semences. Il ouvre notre cur par la charrue de sa parole ; il plante les
semences de ses commandements ; il recueille un fruit de piété, comme le
dit Augustin1. Nous, nous lui rendons un culte
pour ętre améliorés par lui, mais cela en adorant (adorando) et non en
labourant (arando) Si quelqu'un rend un culte ŕ Dieu (...), celui-lŕ
[Dieu] l'exauce2.
Le Pčre est donc le cultivateur de
cette vigne en vue du bien d'un autre. C'est lui, en effet, qui plante - Moi,
je t'ai plantée comme
une vigne de choix, comme une vraie semence3. C'est lui qui fait croître - Moi,
j'ai planté,
Apollos a arrosé, mais c'est Dieu qui a donné la croissance4 -, car Dieu
seul, de l'intérieur,
fait croître et fructifier ; et, dans la mesure oů l'homme coopčre de
l'extérieur, Dieu lui-męme garde et conserve, comme le dit Matthieu, qui cite
Isaďe : Il a bâti une tour dans la vigne, et lα entourée d'une clôture5.
TOUT SARMENT QUI NE PORTE PAS DE FRUIT EN MOI, IL
L'ENLČVE ; ET TOUT SARMENT QUI PORTE DU FRUIT, IL L'ÉMONDE, POUR QU'IL EN
PORTE DAVANTAGE. (15, 2)
1983. Le souci du vigneron porte sur deux choses : sur la vigne et sur les
sarments. Mais la vigne dont il s'agit ici était parfaite et n'avait pas besoin
du soin du vigneron ; c'est pourquoi le vigneron devait dépenser tout son
zčle pour les sarments : TOUT SARMENT QUI NE PORTE PAS DE FRUIT EN MOI, IL
L'ENLČVE. Or les sarments font partie de la nature de la vigne ; aussi
ceux qui adhčrent au Christ sont-ils des sarments de cette vigne - La vigne s'est développée en sarments6.
En ce qui concerne les sarments, le
Christ montre le souci de ce vigneron ŕ l'égard des mauvais [n° 1984], puis des
bons sarments [n° 1985].
1984. Son souci ŕ l'égard des mauvais sarments est de les couper de la vigne
: TOUT SARMENT, c'est-ŕ-dire tout croyant, QUI NE PORTE PAS DE FRUIT, sur la
vigne, EN MOI, sans qui rien ne peut fructifier, IL L'ENLČVE de la vigne. De lŕ
apparaît que ce n'est pas seulement parce qu'ils font le mal que certains sont
retranchés du Christ, mais aussi parce qu'ils négligent de faire le bien - Nous
vous exhortons ŕ ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu7. Aussi l'Apôtre disait-il de lui-męme : C'est
par la grâce de Dieu
que je suis ce que je suis, et sa grâce en moi n'a pas été vaine8. Selon Matthieu9, le talent a été retiré ŕ celui qui ne l'a pas
fait fructifier mais l'a caché ; et selon Luc 10, le Seigneur a ordonné de couper le
figuier stérile.
1. Serm. de Scr., 87, I, PL 38, col. 530-531.
2. Jn 9, 31.
3. Jr 2, 21.
4. 1 Co 3, 6.
5. Mt 21, 33 ; cf. Is 5, 2.
6. Ez 17,
6.
7. 2 Co
6, 1.
8. 1 Co
15, 10. Ŕ propos de ce verset saint Thomas rappelle la distinction entre grâce
opérante et grâce coopérante : Ť Dieu non seulement infuse la grâce par
laquelle nos uvres sont rendues agréables et méritoires, mais il meut aussi ŕ
bien user de la grâce infuse, et c'est ce qu'on appelle la grâce coopérante ť
(Ad 1 Cor. lect., XV, n" 909). Voir aussi Somme théol, I-II, q. 111, a. 2.
9. Cf. Mt
25, 28.
10. Cf. Le
13, 7.
ET TOUT SARMENT QUI PORTE DU FRUIT, IL L'ÉMONDE, POUR
QU'IL EN PORTE DAVANTAGE.
1985. Le souci du Christ ŕ l'égard des bons sarments, c'est de les entourer
de soins pour qu'ils fructifient davantage.
Au sens littéral, en effet, pour la
vigne naturelle, il arrive que le sarment aux nombreux rejetons porte moins de
fruit, parce que sa sčve doit se diffuser partout ; et c'est pourquoi les
vignerons, pour qu'il fructifie plus, l'émondent des rejetons superflus.
Il en va de męme pour l'homme : car
l'homme qui est bien disposé et uni ŕ Dieu, s'il incline son affection vers
diverses réalités, voit sa vertu s'amoindrir et perd de son efficacité en vue
de bien agir. Aussi, pour qu'il fructifie bien, Dieu enlčve fréquemment de
telles entraves et Ť émonde ť cet homme, en envoyant tribulations et
tentations pour que, par elles, il devienne plus fort pour agir1. Voilŕ pourquoi il dit : IL L'ÉMONDE, męme s'il était pur ; car
personne n'est assez pur en cette vie pour ne pas avoir ŕ ętre
Ť émondé ť encore
et encore2 - Si nous disons que nous n'avons
pas de péché, nous nous égarons nous-męmes, et la vérité nest pas
en nous3.
Et tout cela, c'est POUR QU'IL PORTE
DAVANTAGE [DE FRUIT], c'est-ŕ-dire qu'il croisse en vertu, afin que les
croyants soient d'autant plus féconds qu'ils seront plus purs
- Que le juste devienne encore plus juste et que le saint se sanctifie
encore4 - La parole de lÉvangile (...) ne cesse de fructifier et de
croître5. - Ils iront de vertu en vertu6.
1986. De cette allégorie, le Seigneur en vient maintenant ŕ son propos. Deux aspects sont mis en lumičre dans le rapport des sarments ŕ la vigne : l'union des sarments ŕ la vigne, et la taille des sarments. Il traite donc premičrement de l'union, puis de la taille [n° 2030].
En premier lieu, il exhorte ses
disciples ŕ demeurer attachés ŕ la vigne ; puis il donne les raisons de
cette adhésion [n° 1989] ; enfin il montre la maničre de demeurer en lui
[n° 1997].
1. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXVI, 1, PG59, col. 411.
2. Ici et
jusqu'ŕ la fin du verset, saint Thomas reprend les remarques de saint Augustin {Tract,
in Io., LXXX, 2, BA 74B, p. 73-75).
3. 1 Jn
1, 8.
4. Ap 22,
11.
5. Col 1,
5-6.
6. Ps 83, 8.
VOUS,
DÉJŔ, VOUS ĘTES PURS, Ŕ CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS AI DITE. DEMEUREZ EN
MOI, ET MOI EN VOUS. (15, 3-4)
Dans son exhortation aux disciples,
le Seigneur leur rappelle le bienfait reçu, puis il les exhorte ŕ demeurer en
lui [n° 1988].
VOUS,
DÉJŔ, VOUS ĘTES PURS, Ŕ CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS AI DITE.
1987. Ils ont reçu ce bienfait de la taille, c'est pourquoi il dit : VOUS,
DÉJŔ, VOUS ĘTES PURS, comme pour dire : voilŕ ce que j'ai dit des sarments,
mais vous, vous ętes des sarments que la taille a préparés ŕ produire du fruit,
et cela Ŕ CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS AI DITE.
En effet la parole du Christ commence
par purifier des erreurs en instruisant - Attaché ŕ la parole digne de foi, conforme ŕ renseignement, pour
ętre capable d'exhorter dans la saine doctrine et de confondre ceux qui la contredisent1. Et cela parce que dans les paroles de Dieu ne
se trouve aucune fausseté
- Toutes mes paroles sont justes, (...) droites pour ceux qui ont
l'intelligence 2. Il dit donc : VOUS ĘTES PURS, des erreurs des Juifs.
En second lieu, la parole du Christ purifie les curs des affections
terrestres, en enflammant d'amour pour les réalités célestes. En effet, la
parole de Dieu secoue par sa puissance le cur de l'homme enfoncé dans les
réalités terrestres, si bien qu'il s'enflamme - Mes paroles ne sont-elles pas comme un feu et
comme un marteau ?3
1. Tt 1, 9.
2. Pr 8,
8-9.
3. Jr 23,
29. Saint Thomas commente : Ť Un feu pour enflammer - Ta
parole a été trčs éprouvée par le feu et ton serviteur l'a aimée (Ps 118, 140). - La parole du Seigneur
l'enflamma (Ps 104, 19) -, et un marteau, pour adoucir les curs
durs - Ŕ cause de cela je les ai massacrés par les prophčtes, et je les ai
tués par les paroles de ma bouche (Os 6, 5). Et c'est pourquoi elles
ne doivent pas ętre męlées ŕ des épines - Quelle
alliance entre la lumičre et les ténčbres ? Quel accord entre le
Christ et Belial ? (2 Co 6, 14-15) ť (Exp. super
Hier., XXIII, lectio 7). Voir
aussi ci-dessus, n° 1700.
En troisičme lieu la parole de Dieu,
invoquée lors du baptęme, purifie des péchés. En effet, par le baptęme les
hommes sont lavés, parce que la parole purifie dans l'eau. En effet, comme le
dit Augustin : Ť Supprime la parole : qu'est-ce que l'eau, sinon de
l'eau ? La parole s'ajoute ŕ l'élément et [ainsi] se réalise le sacrement.4 ť La parole fait donc que l'eau touche le corps et lave le cur.
La parole, dis-je, non pas parce qu'elle est dite, mais parce qu'elle est crue.
En effet, cette parole de foi a une telle force dans l'Église qu'elle purifie
męme les petits enfants bien qu'ils ne soient pas capables de croire, du fait qu'elle
est proférée par ceux qui croient, qui offrent, qui bénissent et qui opčrent l'immersion - Les baptisant au nom
du Pčre, et du Fils, et du Saint-Esprit5. En quatričme lieu,
la parole de Dieu purifie par la puissance de la foi - Purifiant leur cur par la foi6.
Le Seigneur leur dit donc : VOUS, qui
avez été DÉJŔ instruits, déjŕ touchés, déjŕ baptisés, déjŕ affermis dans la foi7, VOUS ĘTES PURS, Ŕ CAUSE DE LA PAROLE QUE JE VOUS AI DITE - Vous
aussi, vous ętes purs, mais non pas tous8.
Mais parce qu'il a dit auparavant que
l'office du vigneron est d'émonder, il montre clairement qu'il est ce vigneron
en disant ŕ présent que sa parole a la vertu d'émonder. Et vraiment il est bien, en tant
que Dieu, celui qui taille les sarments, et le vigneron.
4. Tract, in Io., LXXX, 3, BA 74B, p. 75-77.
5. Mt 28,
19.
6. Ac 15,
9.
7. Saint
Thomas reprend ici les quatre maničres selon lesquelles la parole de Dieu
purifie. On pourrait faire le lien avec les quatre effets de la Sainte Écriture
qu'il évoque en commentant la deuxičme épître ŕ Timothée : Toute
Écriture divinement inspirée est utile pour enseigner, argumenter, corriger et
éduquer dans la justice (2 Tm 3, 16). Ces quatre effets sont
l'enseignement de la vérité, l'argumentation contre les erreurs, léloignement
du mal et la conduite vers le bien. Saint Thomas montre combien l'intelligence
se purifie par la parole de Dieu. Voir vol. I, n° 1366, note 8.
8. Jn 13,
10.
DEMEUREZ EN MOI, ET MOI EN VOUS.
1988. Ici, le Seigneur incite ses disciples ŕ la persévérance comme pour dire : puisque vous ętes purs, et avez reçu un si grand bienfait, vous devez persévérer. Aussi dit-il : DEMEUREZ EN MOI, par la charité - Celui qui demeure dans la chanté demeure en Dieu l - et par la participation aux sacrements - Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi2. Il dit donc DEMEUREZ EN MOI, en recevant la grâce, ET MOI EN VOUS, en vous aidant.
1989. Ensuite le Christ donne les raisons de demeurer en lui, qui sont au
nombre de quatre. La premičre raison de demeurer est la sanctification de ceux
qui demeurent ; la deuxičme, la punition de ceux qui ne demeurent pas [n°
1994] ; la troisičme est que ceux qui demeurent en lui voient leur volonté
s'accomplir [n° 1995] ; la quatričme est la glorification de Dieu [n°
1996].
I
En ce qui concerne la premičre raison
de demeurer, le Seigneur montre d'abord que l'adhésion au Christ est nécessaire
pour porter du fruit ; il montre ensuite qu'elle est efficace [n° 1991].
COMME LE SARMENT NE PEUT PORTER DU FRUIT PAR LUI-MĘME,
S'IL NE DEMEURE EN LA VIGNE, AINSI VOUS NON PLUS, SI VOUS NE DEMEUREZ EN MOI MOI,
JE SUIS LA VIGNE, ET VOUS, LES SARMENTS. (15, 4-5)
1990. Le Seigneur présente d'abord une allégorie, puis il montre qu'elle
convient.
Il dit donc : Je dis que vous devez
demeurer en moi afin de porter du fruit, parce que COMME LE SARMENT - au sens
littéral, le sarment matériel - NE PEUT PORTER DU FRUIT PAR LUI-MĘME, S'IL NE
DEMEURE EN LA VIGNE, dont la sčve montant de la racine donne vie aux sarments,
AINSI VOUS NON PLUS - sous-entendu : vous ne pouvez pas porter de fruit par
vous-męmes -, SI VOUS NE DEMEUREZ EN MOI, qui suis la vigne. Le fait de
demeurer dans le Christ est donc la raison (ratio) de la fructification.
Aussi est-il dit de ceux qui ne demeurent pas en lui : Quel fruit avez-vous
donc retiré de tout ce qui, maintenant, vous fait rougir ?3 - Tout ce qu'assemble l'hypocrite est stérile4.
MOI, JE SUIS LA VIGNE, ET VOUS, LES SARMENTS.
Cette allégorie convient bien parce
que MOI, JE SUIS LA VIGNE, ET VOUS, LES SARMENTS, autrement dit : le rapport de
vous ŕ moi est le męme que celui des sarments ŕ la vigne. De ces sarments il
est dit : La vigne étendit ses sarments jusqu'ŕ la mer5.
CELUI QUI DEMEURE EN MOI ET MOI EN LUI, CELUI-LŔ PORTE
BEAUCOUP DE FRUIT : PARCE QUE SANS MOI VOUS NE POUVEZ RIEN FAIRE.
(15, 5)
1. 1 Jn
4, 16.
2. Jn 6,
57.
3. Rm6,
21.
4. Jb 15,
34.
5. Ps 79,
12.
1991. Ici, le Christ montre que le fait de demeurer en lui est efficace : il
en montre d'abord l'efficacité, puis il indique la cause de cette efficacité
[n° 1993].
1992. Il dit donc : Je dis que non seulement il est nécessaire que l'homme
demeure en moi afin de porter du fruit, mais encore que cela est
efficace ; car CELUI QUI DEMEURE EN MOI, en croyant, en obéissant et en
persévérant, ET MOI EN LUI, en l'illuminant, en lui venant en aide, en lui
donnant la persévérance, CELUI-LŔ, et non un autre, PORTE BEAUCOUP DE FRUIT.
Il porte, dis-je, un triple fruit en
cette vie. Le premier est qu'il s'abstient des péchés - Tout
son fruit, c'est que son péché soit ôté 1. Le second
est qu'il se consacre aux uvres de la sainteté - Votre fruit, vous l'avez
dans la sanctification2. Le troisičme est qu'il se donne pour
l'édification des autres - Du fruit de tes
uvres la terre se rassasiera3.
Il porte également un quatričme fruit
dans la vie éternelle Il amasse du fruit pour la vie éternelle4. C'est lŕ le fruit ultime et parfait de nos
labeurs - Le fruit des bons labeurs est plein de gloire5.
PARCE QUE SANS MOI VOUS NE POUVEZ RIEN FAIRE.
1993. Par ces mots, le Seigneur donne la raison de cette efficacité. Par lŕ
il instruit les curs des humbles en męme temps qu'il ferme la bouche des
orgueilleux6, principalement des pélagiens7, qui disent pouvoir faire par eux-męmes, sans l'aide de Dieu, les
uvres bonnes des vertus et de la Loi ; en voulant ainsi défendre le libre
arbitre, ils le renversent plutôt.
En effet, le Seigneur dit ici que
sans lui nous ne pouvons faire de grandes choses, ni męme de petites, ni
d'ailleurs rien du tout. Et ce n'est pas étonnant, puisque Dieu lui-męme ne
fait rien sans lui - Sans lui, rien n'a été fait8. En effet, nos uvres sont faites soit en
vertu de la nature, soit en vertu de la grâce divine. Dans le premier cas,
puisque tous les mouvements de la nature viennent du Verbe de Dieu lui-męme,
sans lui aucune nature ne peut ętre mue pour faire quoi que ce soit. Quant aux
actes accomplis en vertu de la grâce, puisqu'il est lui-męme l'auteur de la
grâce - La grâce et la vérité nous sont venues de Jésus Christ9 -, il est manifeste qu'aucune uvre méritoire
ne peut ętre faite sans lui10 -
Ce n'est pas que de nous-męmes nous suffisions ŕ penser quelque chose comme
venant de nous ; non, notre suffisance vient de Dieu 11. Si donc nous ne pouvons męme pas penser si ce
n'est par Dieu, encore moins pourrons-nous d'autres choses.
II
SI
QUELQU'UN NE DEMEURE PAS EN MOI, IL SERA JETÉ DEHORS COMME LE SARMENT, ET IL
SÉCHERA ; ET ON LE RAMASSERA, ET ON LE JETTERA AU FEU, ET IL BRŰLERA. (15,
6)
1994. Le Christ donne ici la deuxičme raison de demeurer en lui, liée ŕ la
menace d'une peine ; car si nous ne demeurons pas en lui, nous
n'échapperons pas ŕ la peine.
Il présente cinq éléments qui
aggravent cette peine ; certains d'entre eux se rapportent ŕ la peine du
dam1, ŕ savoir l'expulsion hors de la
gloire : ON LE JETTERA dehors. Parfois nous voyons que sur la vigne matérielle,
un sarment demeure attaché par un lien extérieur, mais non pas par
participation ŕ la sčve ; ainsi certains demeurent dans le Christ
seulement par la foi, sans toutefois avoir part ŕ la sčve de la vigne, parce
qu'ils ne sont pas dans la charité. C'est pourquoi ceux-lŕ seront jetés dehors,
c'est-ŕ-dire séparés de l'assemblée des bons2.
1. Is 27, 9.
2. Rm 6, 22.
3. Ps 103, 13. 4. Jn4, 36.
5. Sg3, 15.
6. Cf. saint Augustin, Tract,
in Io., LXXXI, 2, BA 74B, p. 83.
7. Sur Pelage et le pélagianisme, voir
ci-dessus, n° 1856, note 8.
8. Jn 1,
3.
9. Jn 1,
17.
10. Voir Somme
théol, I-II, q. 113 et 114,
oů saint Thomas distingue les deux effets de la grâce opérante et de la grâce
coopérante, la justification et le mérite.
11. 2 Co
3, 5.
La deuxičme peine du dam est le
dessčchement : ET IL SÉCHERA. C'est-ŕ-dire, si le sarment tenait quelque chose
de sa racine, il le perdra, dépouillé du secours et de la vie de cette racine.
Car les mauvais chrétiens semblent avoir quelque verdeur ; mais quand ils
seront séparés des saints et du Christ, leur sécheresse apparaîtra - Ma
force s'est desséchée comme un tesson^.
La troisičme peine, c'est que ces
sarments seront associés aux mauvais : ET ON LE RAMASSERA - c'est ce que feront
les anges moissonneurs ŕ l'égard des mauvais, ce qui est bien la plus grande
des peines. Si, en effet, ętre pour une heure avec des mauvais est une grande
peine, combien plus ętre pour toujours avec les pires hommes et les
démons ? Ils se retrouveront réunis en un seul fagot dans le lac4. - Ramassez d'abord l'ivraie, et
liez-la en bottes pour la brűler5.
La quatričme peine, c'est la peine du
sens : ET ON LE JETTERA AU FEU, c'est-ŕ-dire au feu éternel - Qu'adviendra-t-il
du bois de la vigne entre tous les arbres des bois ? (...) Voici quil a
été donné en pâture au feu 6. Car les bois de vigne, s'ils ne
demeurent pas sur la vigne, sont plus méprisables que tous les autres bois,
mais s'ils demeurent sur la vigne, ils sont les plus glorieux. Voilŕ pourquoi
Augustin dit : Ť Une de ces deux choses convient au sarment : la vigne ou
le feu ; s'il n'est pas sur la vigne, il sera dans le feu7 ť - Allez, maudits, au feu éternel8.
La cinquičme peine, c'est l'épreuve
perpétuelle du feu : ET IL BRŰLERA, ŕ perpétuité - Les impies s'en iront au
supplice éternel9.
III
SI VOUS
DEMEUREZ EN MOI, ET QUE MES PAROLES DEMEURENT EN VOUS, VOUS DEMANDEREZ TOUT CE
QUE VOUS VOUDREZ, ET CELA VOUS SERA ACCORDÉ (15, 7)
1995. Le Christ donne ici la troisičme raison de demeurer en lui, qui se
prend de l'efficacité de leur demande, comme pour dire : SI VOUS DEMEUREZ EN
MOI, vous obtiendrez ce fruit, ŕ savoir que VOUS DEMANDEREZ TOUT CE QUE VOUS
VOUDREZ, ET CELA VOUS SERA ACCORDÉ.
Mais remarquons qu'il reprend lŕ deux
points qu'il avait touchés en les exhortant ŕ demeurer en lui. Le premier point
: Demeurez en moi10, il le reprend en disant : SI VOUS
DEMEUREZ EN MOI Le second : et moi en vous 11, il dit ŕ la place : ET QUE MES
PAROLES DEMEURENT EN VOUS Parce que le Christ est le Verbe du Pčre toute parole
(verbum) de sagesse vient de lui - La source de la sagesse, c'est le
Verbe de Dieu au plus haut des deux 12. Il est donc manifeste que le Christ
est en nous lorsque les paroles (verba) de sa sagesse sont en nous - Vous
n'avez pas la parole de Dieu (verbum Dei) demeurant en vous1.
1. Ŕ ce
sujet, voir vol. I, n° 548, note 12.
2. Cf. Ez
34, 17 Voici que moi, je juge entre bétail et bétail, entre celui des
béliers et celui des boucs. Ez 34, 20 Me voici moi-męme, je juge entre
la brebis grasse et la brebis maigre. Ez 20, 36-38 Je vous jugerai,
dit le Seigneur Dieu (...) et je séparerai de vous les transgresseurs et les
impies.
3. Ps 21,
16.
4. Is 24,
22.
5. Mt 13,
30.
6. Ez 15,
2 et 4.
7. Tract, in Io., LXXXI, 3, BA 74B, p. 87.
8. Mt 25, 41.
9. Mt 25, 46.
10. Jn 15, 4.
11. Idem.
12. Si 1,
5 (verset propre ŕ la Vulgate).
Voilŕ pourquoi il dit : ET QUE MES
PAROLES DEMEURENT EN VOUS, ce qui se fait de quatre maničres : en aimant, en
croyant, en méditant et en accomplissant - Mon fils, écoute mes paroles en
croyant, et incline l'oreille ŕ mes propos en obéissant ou en
accomplissant, ne les quitte pas des yeux en méditant, et garde-les
au milieu de ton cur2 en aimant. - Tes paroles se sont
présentées, et je les ai dévorées^".
Les paroles du Christ sont donc en
nous lorsque nous faisons ce qu'il a commandé, et que nous aimons ce qu'il a
promis. Et de lŕ suit également que nous sommes instruits de ce que nous devons
demander - Nous ne savons ce que nous devons demander dans la pričre, mais
l'Esprit lui-męme demande pour nous par des gémissements ineffables*. Voilŕ
pourquoi, selon Matthieu5 et Luc6, avec ses propres paroles, il nous a
également appris ŕ prier.
Ainsi donc, crues et méditées, les
paroles de Dieu nous forment pour que nous demandions ce qui est nécessaire ŕ
notre salut. Mais, aimées et accomplies, elles nous aident ŕ mériter ; et
c'est pourquoi il ajoute : vous demanderez
tout ce que VOUS VOUDREZ, avec discernement et persévérance, ET CELA
VOUS SERA ACCORDÉ ; et plus tard il dira : Si vous demandez quelque
chose au Pčre en mon nom, il vous le donnera''.
1. Jn 5, 38.
2. Pr 4, 20-21.
3. Jr 15, 16.
4. Rm 8,
26.
5. Cf. Mt
6, 9. Saint Thomas commente : Ť Pourquoi donc faut-il prier ? Je réponds. Non pas pour
enseigner mais pour fléchir le genou,
pour devenir un familier de Dieu, pour t'humilier et te souvenir de tes péchés. (...) Le
Seigneur dit : Priez ainsi, et non pas : "Priez ceci". Il n'interdit pas de prier autrement mais
il nous apprend ŕ prier ainsi. Cette
pričre a donc trois caractčres : elle est brčve, parfaite et efficace. Elle est brčve pour que tous puissent
la saisir, aussi bien les gens
érudits que les gens sans instruction, et aussi pour donner confiance qu'on sera facilement exaucé. (...) De
męme elle est parfaite ; en
effet, c'est Dieu lui-męme qui l'a donnée, et les uvres de Dieu sont parfaites. Elle est aussi efficace, c'est pourquoi les Apôtres disaient : Apprends-nous
ŕ prier (Le 11, 1). Et lui-męme a dit : Vous
prierez ainsi : "Notre Pčre qui es aux deux... "Ť (Sup. Matth.
lect., VI, nos 581 et
583).
6. Cf. Le
11, 2.
IV
EN CECI
MON PČRE EST GLORIFIE : QUE VOUS PORTIEZ BEAUCOUP DE FRUIT ET QUE VOUS DEVENIEZ
MES DISCIPLES. (15, 8)
1996. Le Christ donne ici la quatričme raison de demeurer en lui, tirée de la
gloire du Pčre. Toutes nos uvres, nous devons les rapporter ŕ la gloire de
Dieu - Non pas ŕ nous, Seigneur, non pas ŕ nous, mais ŕ ton nom donne la
gloire8. - Que vous mangiez ou buviez, et
quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu9.
Le Seigneur montre donc que nous
sommes dans le Christ parce qu'ŕ partir de cela nous portons du fruit, et que
par ce fruit le Pčre est glorifié, et c'est pourquoi il dit : EN CECI MON PČRE
EST GLORIFIÉ, QUE VOUS PORTIEZ BEAUCOUP DE FRUIT, c'est-ŕ-dire que ce fruit
rejaillisse pour la gloire du Pčre.
Il présente ici, dans l'ordre
inverse, trois faits qui se suivent les uns les autres. L'un concerne cette
adhésion : QUE VOUS DEVENIEZ MES DISCIPLES, ce qui est la męme chose que : Demeurez
en moi10.
Et de cela s'ensuit le deuxičme point
: QUE VOUS PORTIEZ BEAUCOUP DE FRUIT. Et par lŕ mon Pčre est glorifié. Comme
pour dire : C'est la gloire du Pčre que vous portiez du fruit, et vous portez
beaucoup de fruit du fait que vous ętes mes disciples. D'abord en vous
conduisant bien, et par lŕ Dieu est glorifié - Qu'ils voient vos bonnes
uvres, et glorifient votre Pčre11.
Ensuite par un enseignement droit, ce qui
glorifie également Dieu
- Tout homme qui invoque mon nom, c'est ŕ ma gloire que je l ai créé1. Les Apôtres sont donc cette terre qui porte
beaucoup de fruit2, comme il est dit ensuite : ET QUE
VOUS DEVENIEZ MES DISCIPLES, en demeurant en moi et en étant fervents dans la charité.
7. Jn 16, 23.
8. Ps 113 B, 1.
9. 1 Co 10, 31.
10. Jn 15, 4.
11. Mt 5, 16.
Tels sont en effet les signes qui
caractérisent les disciples du Christ : en premier lieu, l'adhésion au Christ -
Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples3. Par lŕ ils sont rendus capables de porter le fruit de la doctrine.
En second lieu, l'observance de la charité - En ceci tous connaîtront que vous ętes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres4. C'est par lŕ qu'ils sont rendus capables de porter un fruit de bonnes uvres - Si j'avais le don de prophétie, et si je connaissais tous les mystčres et toute la science, si j'avais toute la foi jusqu'ŕ déplacer des montagnes, si je n'ai pas la chanté, je ne suis rien5 on montre lŕ que sans la charité rien ne vaut.
1997. Précédemment, le Seigneur a exhorté ses disciples ŕ demeurer en lui. Ŕ
présent il montre ce qu'est demeurer en lui, et cela en trois points. Il montre
d'abord que demeurer en lui, c'est demeurer dans son amour ; ensuite, que
demeurer dans son amour, c'est garder ses commandements [n° 2001] ; enfin,
que garder ses commandements, c'est observer la charité [n° 2005].
Demeurer en l'amour du Christ.
COMME
LE PČRE M'A AIME, MOI AUSSI JE VOUS AI AIMÉS. DEMEUREZ DANS MON AMOUR. (15, 9)
Le Seigneur rappelle d'abord le
bienfait accordé aux disciples ; puis il les exhorte ŕ persévérer [n°
2000].
1998. Premičrement, donc, il dit que le fait que nous demeurions dans le
Christ provient de sa grâce ; et cette grâce est l'effet de l'amour
lui-męme - D'un amour éternel je t'ai aimée6. Par lŕ il apparaît évident que toutes nos uvres bonnes sont nôtres en
vertu du bienfait de l'amour divin. En effet, elles ne seraient pas nôtres si
la foi n'opérait pas par l'amour7 ; et nous n'aimerions pas si
nous n'étions d'abord aimés8. Voilŕ pourquoi le Seigneur dit,
rappelant ce bienfait : COMME LE PČRE M'A AIMÉ, MOI AUSSI JE VOUS AI AIMÉS.
1. Is 43,
7. Saint Thomas commente : Ť Et tout homme qui invoque mon nom, je
l'introduirai dans ma gloire pour qu'il me glorifie et qu'en lui
j'apparaisse glorieux ť (Exp. super Isaiam, 43, 7, p. 181, 1. 45-47).
2. Cf. Mt
13, 23 ; Me 4, 8 ; Le 8, 15.
3. Jn 8,
31.
4. Jn 13,
35.
5. 1 Co
13, 2.
6. Jr31,3.
7. Cf. Ga
5, 6 La foi opčre par la charité. Cf. Somme théol., II-II, q. 4,
a. 5, oů saint Thomas montre que la foi est une vertu, principe d'un acte bon,
quand elle est liée ŕ la charité. Il distingue ainsi (par la charité) la foi
informe et la foi formée (par la charité) qui seule est une vertu.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXXII, 2, BA 74B, p. 97.
1999. Mais remarquons que le mot Ť comme ť exprime tantôt une
égalité de nature, tantôt une similitude d'action. Les ariens, dans leur
erreur, voulaient que le Ť comme ť implique l'égalité de
nature ; et du fait que ce qui est supérieur est exprimé plus souvent, ils
en concluaient que le Fils est moindre que le Pčre. Mais c'est faux ;
aussi faut-il dire, selon Augustin 1, que le Ť comme ť indique
une similitude de grâce et d'amour, car l'amour dont le Fils aime les disciples
est une certaine similitude de l'amour dont le Pčre aime le Fils. Puisqu'en
effet aimer quelqu'un, c'est lui vouloir du bien, le Pčre aime le Fils selon sa
nature divine, en tant qu'il veut pour lui le bien infini et souverain que
lui-męme possčde, et cela en communiquant au Fils sa propre nature, la męme
numériquement que celle qu'il possčde lui-męme - Le Pčre aime le Fils, et il
lui montre tout ce qu'il fait2. Il l'aime aussi selon sa nature
humaine - Quand Israël était enfant, je l'ai aimé, et d'Égypte j'ai appelé
mon fils3 ; et ceci pour qu'il fűt
ŕ la fois Dieu et homme.
Or ce n'est pour rien de tout cela
que le Fils a aimé les disciples : il ne les a aimés ni pour qu'ils soient Dieu
par nature, ni pour qu'ils soient unis ŕ Dieu dans leur personne. Mais c'est
pour une similitude de tout cela qu'il les a aimés, c'est-ŕ-dire pour qu'ils
soient dieux par participation ŕ la grâce 4 - Moi, j'ai dit : Vous ętes des
dieux5. - Par lui, il nous a donné les
grandes et précieuses promesses, afin que nous soyons rendus participants de la
nature divine6. C'est aussi pour qu'ils soient
assumés dans une unité d'amour, car celui qui s'attache ŕ Dieu n'est avec
lui qu'un seul esprit7.
- Ceux que d'avance il a connus, il les a aussi prédestinés ŕ ętre conformes ŕ
l'image de son Fils, pour qu'il soit le premier-né parmi de nombreux frčres8. Ainsi donc, le bien donné par Dieu le Pčre au
Fils selon l'une et l'autre nature est plus grand que le bien donné par le Fils
aux disciples ; toutefois c'est un bien semblable, comme on l'a dit.
DEMEUREZ DANS MON AMOUR.
2000. Le Seigneur ajoute ces mots, comme pour dire : du fait que vous avez
reçu de mon amour un si grand bienfait, DEMEUREZ dans cet amour, pour que vous
m'aimiez. Ou encore : DEMEUREZ DANS MON AMOUR, l'amour dont moi je vous aime,
c'est-ŕ-dire demeurez dans ma grâce, afin de ne pas ętre dépossédés des biens
que je vous ai préparés. Cette derničre explication convient davantage9 ; le sens est donc : Persévérez dans cet état, d'ętre ainsi aimés
de moi par l'effet de la grâce - Que chacun demeure dans la vocation męme oů
il a été appelé 10. - Celui qui demeure dans la
charité demeure en Dieu, et Dieu en lui11.
1. Ibid.
2. Jn 5, 20.
3. Os 11,
1.
4. Cf. Somme
théol., I-II, q. 110, a. 3 Ť La grâce est une participation ŕ la
nature de Dieu ť.
5. Ps 81,
6.
6. 2
Ρ 1, 4.
7. 1 Co
6, 17.
8. Rm 8,
29.
9. Saint
Thomas reprend une remarque de saint Augustin, qu'il prolongera dans le n° 2002
quel est le Ť sujet ť de l'amour dans lequel les disciples doivent
demeurer ? S'agit-il de l'amour que le fidčle a pour le Christ, ou de
l'amour du Christ pour le fidčle (cf. Tract, in Io., LXXXII, 3, BA 74B,
p. 99-101) ? Les deux étant grammaticalement possibles, le choix dépendra
du contexte. Dans son commentaire d'une formule parallčle : L'amour de Dieu
a été répandu dans nos curs (...) (Rm 5, 5), saint Thomas n'a pas tranché,
le contexte ne permettant pas d'orienter le choix vers l'un ou l'autre sens {Ad
Rom. lect., V, nos 392-393).
10. 1 Co
7, 20.
11. 1 Jn
4, 16.
Garder ses préceptes.
2001. Le Seigneur montre ŕ présent ce qu'est demeurer dans son amour : il
montre d'abord que c'est garder ses commandements1 ; puis il le manifeste par son exemple [n° 2003] ; enfin il
chasse un doute [n° 2004].
SI VOUS OBSERVEZ MES PRÉCEPTES, VOUS DEMEUREREZ DANS MON
AMOUR. (15, 10)
2002. Il dit donc : DEMEUREZ DANS MON AMOUR, et vous le ferez SI VOUS
OBSERVEZ MES PRÉCEPTES ; car c'est ainsi que VOUS DEMEUREREZ DANS MON
AMOUR.
En effet, l'observation des
commandements est l'effet de l'amour divin, non seulement de l'amour dont nous
aimons Dieu, mais de l'amour dont Dieu lui-męme nous aime. Car du fait qu'il
nous aime, il nous meut et nous aide ŕ accomplir ses commandements, que nous ne
pouvons accomplir que par la grâce - En cela est la charité : ce n'est pas
que nous ayons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés (...) le premier2.
1. En ce
qui concerne praeceptum et mandatum, saint Thomas précise dans la
Somme théologique certaines nuances : Ť Le dű moral est double : en
effet l'intelligence dicte ce que nous devons faire soit comme nécessaire, sans
quoi l'ordre de la vertu ne peut ętre ; soit comme utile ŕ mieux conserver
l'ordre de la vertu. Et en ce sens certains points de la morale sont prescrits
ou interdits de façon précise par la Loi. Par exemple : Tu ne tueras pas, tu ne
voleras pas (Ex 20, 13. 15). Ce sont lŕ les préceptes proprement dits (praecepta).
Mais d'autres choses sont prescrites ou interdites non parce qu'elles
seraient dues au sens précis, mais pour un mieux. C'est ce qu'on peut appeler
commandements (mandata), parce qu'ils incitent et persuadent. Par
exemple, il est dit dans l'Exode (22, 26) : Si tu as reçu de
ton prochain un vętement en gage, tu dois le lui rendre avant le coucher
du solei1. C'est pourquoi Jérôme dit que "dans les préceptes est
la justice, mais dans les commandements la charité"Ť (III, q. 99, a. 5,
a). En fait saint Thomas, dans ce chapitre, utilise les deux mots praeceptum
et mandatum de maničre souvent équivalente. Du reste le mot grec est
unique : εντολή.
2. Cette
citation est l'union de deux versets : 1 Jn 4, 10 En cela est la
charité : ce n'est pas que nous ayons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a
aimés, et 1 Jn 4, 19 Pour nous, aimons, puisque lui nous a
aimés le premier.
COMME MOI AUSSI J'AI OBSERVE LES PRÉCEPTES DE MON PČRE,
ET JE DEMEURE DANS SON AMOUR. (15, 10)
2003. Le Seigneur ajoute ŕ cela un exemple. De męme en effet que l'amour dont
le Pčre l'aime est l'exemple de l'amour dont lui-męme nous aime, de męme il a
voulu que son obéissance soit l'exemple de la nôtre. Et c'est par lŕ que le
Christ montre qu'il demeure dans l'amour du Pčre, parce qu'en toutes choses il
a gardé ses commandements. Car il a męme supporté la mort Il s'est fait obéissant au Pčre jusqu'ŕ la mort.,
et la mort de la
croix3. Et de tout péché, il s'est abstenu - Lui qui n'a pas commis de péché
et dans la bouche duquel on n'a pas trouvé de ruse4. Et cela il faut le comprendre du Christ en tant qu'homme Il ne m'a
pas laissé seul, parce que moi, ce qui lui plaît, je le fais toujours5. Voilŕ pourquoi il dit : JE DEMEURE DANS SON
AMOUR parce qu'en moi, en tant qu'homme, il n'y a rien de contraire ŕ son
amour.
JE VOUS AI DIT CELA, POUR QUE MA JOIE SOIT EN VOUS, ET
QUE VOTRE JOIE SOIT EN PLÉNITUDE. (15, 11)
2004. Pour qu'ils ne croient pas que ce fűt en vue de son intéręt propre, et
non du leur, qu'il les a exhortés ŕ garder ses commandements, il dit ŕ ses
disciples : JE VOUS AI DIT CELA, c'est-ŕ-dire d'observer mes commandements,
pour votre bien, c'est-ŕ-dire POUR QUE MA JOIE SOIT EN VOUS. L'amour, en effet,
est cause de joie, car on trouve sa joie dans la réalité aimée. Or Dieu aime
lui-męme et la créature, principalement la créature raisonnable, ŕ laquelle il
communique le bien infini. Le Christ, donc, de toute éternité, trouve sa joie
dans deux réalités : dans le bien lui venant du Pčre - Je trouvais mes délices en jouant devant lui en
tout temps, en jouant sur le globe de la terre1 - et dans le bien lié ŕ la créature
raisonnable - Mes délices sont d'ętre avec les fils des hommes2 -, bien qui est d'ętre en communion avec les fils des hommes ;
et dans ces deux biens, le Christ trouve sa joie de toute éternité - En toi,
ton Dieu trouvera sa joie3.
3. Ph 2,
8 ; Ť au Pčre ť n'est pas dans la Vulgate.
4. 1
Ρ 2, 22.
5. Jn 8,
29.
Par l'observation de ses
commandements, le Seigneur veut donc nous rendre participants de sa propre joie4 ; voilŕ pourquoi il dit : QUE MA JOIE, celle dont moi je me
réjouis ŕ cause de ma divinité et de celle du Pčre, SOIT EN VOUS : et ce n'est
rien d'autre que la vie éternelle qui est, selon Augustin5, la joie de la vérité ; autrement dit : Que vous ayez la vie
éternelle - Alors tu abonderas de délices ŕ cause du Tout-Puissant6. ET QUE VOTRE JOIE, celle dont moi je me
réjouis ŕ cause de mon humanité, SOIT EN PLÉNITUDE. Car pour nous [les hommes],
les biens dont nous nous réjouissons sont soit imparfaits, soit imparfaitement
possédés ; et c'est pourquoi la joie en cette vie ne peut pas ętre
pléničre. Mais elle le sera lorsque nous atteindrons parfaitement les biens
parfaits - Entre dans la joie de ton Seigneur7.
Observer la chanté.
2005. Ici le Seigneur expose d'abord quel est son précepte ; il nous
donne ensuite un exemple [n° 2008] ; enfin il rappelle le bienfait accordé
aux disciples [n° 2010].
1. Pr8, 30 et 31a.
2. Pr 8, 31b.
3. Is 62, 5.
4. Joie traduit ici le mot latin gaudium.
Sur la joie de la vie éternelle, voir
ci-dessus, n° 1853, note 6, p. 157, ŕ propos du sens du mot fruitio.
5. Les
confessions, X, XXIII, 33, BA 14, p. 201-203 Ť La vie bienheureuse est la joie [qui naît] de la vérité,
c'est-ŕ-dire la joie qui vient de toi, ô Dieu, ma lumičre, le salut de ma
face, mon Dieu ! (Ps 41, 6-7) qui es la Vérité. Cette vie
bienheureuse, tous la veulent ; cette vie qui seule est bienheureuse, tous la veulent. La joie
[qui naît] de la vérité, tous la
veulent ť.
6. Jb 22, 26.
7. Mt 25,
21. Saint Thomas commente : Ť Pourquoi dit-il : Entre dans la joie et non pas :
"reçois" ? Il y a deux joies : celle qui relčve de biens extérieurs et celle qui
relčve de biens intérieurs. Celui qui se
réjouit des biens extérieurs n'entre pas dans la joie mais la joie entre en lui. Mais celui qui se
réjouit des biens spirituels entre dans la
joie - Le roi m'a introduit en ses appartements (Ct 1,3). Ou
encore : ce qui est dans quelque chose est contenu par lui, et c'est celui qui
le contient qui est plus grand. Quand donc la joie vient d'une chose qui est moindre que ton cur, alors la
joie entre dans ton cur. Mais Dieu est
plus grand que ton cur (cf. 1 Jn 3, 20), aussi celui qui se réjouit ŕ cause de Dieu entre dans la joie. De męme il
entre dans la joie de son
Seigneur, c'est-ŕ-dire venant du Seigneur, parce que le Seigneur est la vérité. Aussi la béatitude n'est-elle rien
d'autre Que la joie [qui vient] de la vérité (gaudium de veritate). Ou
bien : Entre dans la joie de
ton Seigneur, c'est-ŕ-dire dans la joie dont il réjouit et par laquelle ton Seigneur se réjouit, c'est-ŕ-dire la
jouissance de lui-męme. Alors donc l'homme se réjouit comme le Seigneur puisqu'il jouit comme le
Seigneur - Et moi, je dispose pour vous du Royaume comme mon Pčre en a
disposé pour moi, pour que vous mangiez
et buviez ŕ ma table en mon Royaume (Le 22, 29-30), cest-ŕ-dire pour que vous soyez heureux
dans ce en quoi je suis heureux ť (Sup. Matth. lect., XXV, n° 2054).
I
TEL EST
MON PRÉCEPTE : QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES. (15, 12)
2006. Le précepte qu'il donne, c'est celui de la charité, qu'il veut que nous
observions. Mais puisqu'il y a beaucoup d'autres préceptes du Seigneur dans les
paroles sacrées, on peut se demander pourquoi c'est seulement l'observance de
la charité qu'il appelle son précepte.
Il faut dire, selon Grégoire8, que la charité est la racine et la fin de toutes les vertus. La
racine, parce que c'est par la charité affermie dans son cur que l'homme est
mű ŕ accomplir tous les autres préceptes - Celui qui aime le prochain a
accompli la loi1. Tous les préceptes sont donc, pour
ainsi dire, ordonnés ŕ ce que l'homme fasse du bien ŕ son prochain et ne lui
fasse pas de tort, ce que réalise par excellence la charité.
8. XL hom. in Evang., II, hom. 27, 1, PL 76, col.
1205 A.
Elle est encore la fin des vertus,
parce que tous les préceptes sont ordonnés ŕ elle et ne se consolident qu'en
elle - La fin des préceptes est la charité qui vient d'un cur pur2. Il dit donc : TEL EST MON PRÉCEPTE : QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES
AUTRES, comme s'il disait que tout procčde de la charité comme d'un principe,
et y est ordonné comme ŕ une fin. Selon Grégoire3 en effet, de męme que les nombreuses
branches d'un arbre s'élčvent d'une racine unique, de męme les nombreuses
vertus sont engendrées ŕ partir d'une racine unique ; et aucune branche
n'a la vigueur d'une uvre bonne si elle ne demeure enracinée dans la charité4.
2007. Mais puisqu'il est dit en Matthieu5 que la Loi et les prophčtes sont
suspendus non seulement ŕ l'amour de Dieu, mais aussi ŕ l'amour du prochain,
pourquoi ne mentionne-t-il ici que l'amour du prochain ?
Il faut dire que l'un est inclus dans
l'autre : car celui qui aime Dieu aime nécessairement son prochain et ce qui
appartient ŕ Dieu6 ; et qui aime le prochain ŕ
cause de Dieu, aime nécessairement Dieu : en effet, quoique les objets soient
divers, les actes męmes sont un quant ŕ la conséquence.
1. Rm 13,
8.
2. 1 Tm
1, 5.
3. Ibid.
4. Voir
aussi Somme théol., II-II, q. 23, a. 7 et a. 8. Il ne peut y avoir de
véritable vertu sans la charité, explique saint Thomas en reprenant Aristote,
parce que Ť la vertu absolument véritable est celle qui ordonne au bien
principal de l'homme ť (a. 7, c). Et c'est parce que Ť la charité
ordonne les actes de toutes les autres vertus ŕ la fin ultime qu'elle donne
aussi ŕ ces actes leur forme ť (a. 8, c.)ˇ Voir aussi la réponse ŕ la
seconde objection de l'article 8 Ť On compare la charité au fondement et
ŕ la racine pour signifier que par elle sont soutenues et nourries toutes les
autres vertus ť. Et la réponse ŕ la troisičme objection : Ť On doit
dire que la charité est la fin des autres vertus parce qu'elle les ordonne
toutes ŕ sa fin propre. Et, parce qu'une mčre est celle qui conçoit en
elle-męme par un autre, on peut dire que la charité est la mčrç des autres
vertus, parce que, ŕ partir de l'appétit de la fin ultime, elle conçoit les
actes des autres vertus en les commandant. ť
5. Cf. Mt
223 40.
6. Saint
Thomas précise : Ť La raison d'aimer le prochain est Dieu : en effet ce
que nous devons aimer dans le prochain, c'est qu'il soit en Dieu. Il est donc manifeste
que l'acte par lequel Dieu est aimé et celui par lequel le prochain est aimé
sont de męme espčce ť (Somme théol., II-II, q. 25, a. 1, c). Mais
au sujet de la différence entre l'amour de Dieu et l'amour du prochain, il
indique : Ť C'est donc Dieu qui doit ętre aimé de charité principalement
et par-dessus tout. Il est aimé en effet comme cause de la béatitude. Mais le
prochain est aimé comme participant en męme temps que nous de la
béatitude ť (loc. cit., q. 26, a. 2, c). Voir aussi De cantate, a.
4, in : Quaestiones disputatae (De virtutibus in communi).
S'il fait davantage mention de
l'amour du prochain que de l'amour de Dieu, c'est pour une double raison :
l'une est qu'en cela son intention est de les instruire et de les amener ŕ
comprendre la maničre d'édifier leurs proches, et l'autre la maničre de devenir
forts pour supporter jusqu'au bout les tribulations des persécuteurs ; et
pour l'une et l'autre chose la charité envers le prochain est nécessaire.
II
COMME
JE VOUS AI AIMES (15, 12)
2008. Ici, le Christ manifeste par un exemple comment nous devons aimer le
prochain, c'est-ŕ-dire comment lui-męme nous a aimés.
Or le Christ nous a aimés d'une
maničre ordonnée et efficace. D'une maničre ordonnée, parce qu'il n'a rien aimé
en nous sinon Dieu et tout ce qui, en nous, est ordonné ŕ lui - Moi je suis la mčre du bel
amour''. D'une maničre efficace, parce qu'il a
tant aimé qu'il s'est livré lui-męme pour nous - Il
nous a aimés, et s'est livré lui-męme
pour nous, oblation et hostie pour Dieu, en parfum de bonne odeur8. Nous donc, nous devons aimer nos proches9 ŕ la fois saintement, en vue du bien, et efficacement, c'est-ŕ-dire de
telle sorte que nous manifestions cet amour par des actes - N'aimons pas en parole ni de langue, mais en
acte et dans la vérité1.
7. Si 24,
24 (verset propre ŕ la Vulgate).
8. Ep 5,
2.
9. Voir Somme
théol., II-II, q. 25, a. 1 ; q. 26, a. 2, a. 6 et a. 7.
PERSONNE
N'A DE PLUS GRAND AMOUR QUE CELUI QUI LIVRE SON ÂME POUR SES AMIS. (15, 13)
2009. Ici, le Seigneur montre l'efficacité de l'amour qui est telle qu'un
homme puisse supporter la mort pour ses amis ; et c'est ce qui est le
signe du plus grand amour.
Mais on peut objecter ŕ cela que le
signe du plus grand amour c'est que quelqu'un livre son âme pour ses ennemis,
comme l'a fait le Christ
- Dieu confirme sa charité envers nous : au temps oů nous étions encore
pécheurs, le Christ est mort pour nous2. Ŕ cela il faut répondre
que le Christ n'a pas livré son âme pour nous comme pour des ennemis,
c'est-ŕ-dire pour que nous demeurions ennemis, mais pour faire de nous ses
amis ; ou encore il faut dire que bien que [ceux pour qui il mourait] ne
fussent pas des amis comme ceux qui aiment, ils l'étaient toutefois en tant
qu'aimés.
Or il est manifeste que le signe du
plus grand amour, c'est de livrer son âme pour son ami, parce qu'on peut
ordonner quatre choses dans l'ordre des réalités capables d'ętre aimées : Dieu,
notre âme, le prochain, et notre corps3. Et c'est Dieu que nous devons aimer
plus que nous-męmes et que nos proches, de telle sorte que pour Dieu nous
devons nous donner nous-męmes, c'est-ŕ-dire notre âme et notre corps, et donner
le prochain. Pour notre âme nous devons exposer notre corps, mais notre âme,
nous ne devons pas la donner. En ce qui concerne le prochain, c'est notre vie
corporelle et notre corps que nous devons exposer pour son salut. Voilŕ
pourquoi, puisque la vie corporelle est ce que nous possédons de plus important
aprčs notre âme, l'exposer pour le prochain est ce qu'il y a d'essentiel, et le
signe du plus grand
amour - En cela est apparue la charité de Dieu envers nous : Dieu a envoyé
son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui4.
Le bienfait accordé aux disciples.
2010. Précédemment, le Seigneur nous a exhortés ŕ la charité fraternelle, et
cela par son exemple [n° 2005] ; ici il montre aux disciples le bienfait
qui leur a été accordé et qui les engageait ŕ l'imiter : c'est que lui, le
Christ, les a élevés 5 jusqu'ŕ l'amour dont lui-męme aime (ad
amorem suum). Et d'abord il donne le signe de leur amitié, puis il en
dévoile la cause [n° 2019].
VOUS
ĘTES, VOUS, MES AMIS, SI VOUS FAITES CE QUE MOI JE VOUS COMMANDE. JE NE VOUS
APPELLERAI PLUS SERVITEURS, PARCE QUE LE SERVITEUR NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON
SEIGNEUR. MAIS JE VOUS AI APPELÉS AMIS, PARCE QUE TOUT CE QUE J'AI ENTENDU DE
MON PČRE, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE. (15, 14-15)
Le Seigneur montre ici un double
signe de l'amitié : l'un, pris du côté des disciples ; l'autre, de son
côté ŕ lui [n° 2013].
1. 1 Jn
3, 18.
2. Rm 5,
8.
3. Sur l'ordre de la charité, voir Somme
théol, II-II, q. 25, a. 12,
et q. 26.
4. 1 Jn
4, 9.
5. Assumpsit
eos. Cette expression, qui vient du Deutéronome, se retrouve, avec le sens d'élever jusqu'ŕ soi, dans le commentaire
du Psaume 16, oů saint Thomas
cite tout le verset : Ť Ŕ l'ombre de tes ailes protčge-moi, c'est-ŕ-dire
sous la garde des anges (...). Les deux ailes sont les deux bras du Christ
étendus sur la croix - II a déployé ses ailes, et l'a pris, et il l'a porté (assumpsit)
sur ses épaules (Dt 32, Π) ť (Exp. in Psalmos, 16, n°
3).
VOUS
ĘTES, VOUS, MES AMIS, SI VOUS FAITES CE QUE MOI JE VOUS COMMANDE.
2011. En ce qui concerne les disciples, le signe qu'ils sont amis du Christ,
c'est qu'ils observent ses commandements. Il leur dit donc : VOUS ĘTES, VOUS,
MES AMIS, SI VOUS FAITES CE QUE MOI JE VOUS COMMANDE. Comme pour dire : jusqu'ŕ
présent je vous ai avertis de vous aimer les uns les autres, mais maintenant je
vous avertis et je vous parle de votre amitié envers moi.
L'affirmation VOUS ĘTES MES AMIS peut
ętre entendue de deux maničres, selon que le mot Ť ami ť désigne ŕ la
fois celui qui aime et celui qui est aimé ; et selon ces deux sens, ce
qu'ajoute le Seigneur est vrai : SI VOUS FAITES CE QUE MOI JE VOUS COMMANDE. En
effet ceux qui aiment Dieu observent ses commandements ; car puisque l'ami
est comme un gardien de l'âme [de son ami], comme l'affirme Grégoire \ c'est
ŕ juste titre que celui qui garde la volonté de Dieu dans ses préceptes est
appelé son ami.
De męme, ceux que Dieu aime observent
ses commandements, dans la mesure oů il les aide ŕ les observer en leur
conférant sa grâce : Dieu, en nous aimant, fait de nous [ses amis], ceux qui
l'aiment (dilectores) - Moi, j'aime ceux qui m'aiment2 ; non que ceux-ci aient aimé les premiers, mais parce que Dieu
lui-męme, en les aimant, les rend aimants3.
2012. Mais il faut savoir que l'observation des commandements n'est pas la
cause4 de l'amitié divine, mais son
signe ; le signe ŕ la fois que Dieu nous aime et que nous, nous l'aimons -
L'amour de la sagesse est la garde de ses lois5. - Celui qui dit aimer Dieu et ne garde pas
ses commandements est un menteur6.
2013. Le Christ montre maintenant le signe de leur amitié, de son côté ŕ lui.
Il exclut d'abord ce qui semble contraire ŕ l'amitié, puis il donne le signe de
la véritable amitié [n° 2016].
JE NE
VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS, PARCE QUE LE SERVITEUR NE SAIT PAS CE QUE FAIT
SON SEIGNEUR. (15, 15)
2014. Ce qui est contraire ŕ l'amitié, c'est la servitude ; il commence
donc par l'exclure en disant : JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS. Autrement
dit : męme si autrefois vous avez été comme des serviteurs sous la Loi,
maintenant vous ętes comme des hommes libres sous la grâce Vous n'avez pas
reçu un esprit de servitude pour retomber dans la crainte ; mais vous avez
reçu l'esprit d'adoption des fils7.
Ensuite, le Seigneur dit pourquoi il
exclut la servitude : PARCE QUE LE SERVITEUR NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON
SEIGNEUR. Le serviteur, en effet, est comme étranger ŕ son seigneur. Plus haut
: Le serviteur ne demeure pas dans la maison éternellement8. Or aux étrangers, on ne doit pas confier les
secrets - Ne révčle pas les secrets ŕ un étranger9 ; il ne faut donc pas confier les secrets aux
serviteurs.
Mais ce passage peut ętre rattaché ŕ
ce qui précčde de la maničre suivante. Les disciples pourraient dire : si nous
observons tes préceptes, nous sommes tes amis ; mais observer les
préceptes relčve plus de la servitude que de l'amitié. Et c'est pourquoi,
excluant cela, le Seigneur dit : JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS.
1. XL hom. in Évang., II, hom. 27, 4, PL 76, col. 1207 A.
2. Pr 8,
17.
3. Voir
ci-dessus, n° 1622, note 8.
4. En
effet, comme le rappelle saint Thomas, Dieu seul est cause de l'amour divin :
Ť La charité ne peut pas venir en nous naturellement ni ętre acquise par
nos forces naturelles. Elle ne peut venir que d'une infusion de l'Esprit Saint,
qui est l'amour du Pčre et du Fils, dont la participation en nous est la
charité elle-męme ť (Somme theol, II-II, q. 24, a. 2, a).
5. Sg 6,
19.
6. 1 Jn
2, 4 ; mais les premiers mots : Celui qui dit le connaître ont été
remplacés par les premiers mots de 1 Jn 4, 20 Celui qui dit aimer Dieu (et
a de la haine pour son frčre).
7. Rm 8,
15. 8. Jn 8, 35. 9. Pr 25, 9.
2015. Mais ici, il y a un doute. Les Apôtres eux-męmes disent qu'ils sont les
serviteurs du Christ - Paul, serviteur du Christ Jésus, Apôtre1 ; David dit également : Moi, je suis ton
serviteur2 ; et męme ceux qui doivent ętre
introduits dans la vie éternelle sont appelés serviteurs : C'est bien,
serviteur bon et fidčle (...) ; entre dans la joie de ton Seigneur2. Pourquoi
alors le Seigneur dit-il : JE NE VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS ?
Il y a encore un doute sur le point
suivant. Puisque les seigneurs fréquemment révčlent leurs secrets ŕ leurs
serviteurs, et de męme Dieu - Dieu ne fait rien qu'il n'ait révélé son
secret ŕ ses serviteurs les prophčtes 4 -, ce qu'il dit ici : LE SERVITEUR
NE SAIT PAS CE QUE FAIT SON SEIGNEUR ne semble pas vrai.
Je réponds : il faut dire, selon Augustin5, que la servitude est causée proprement par la crainte. Or il y a une
double crainte6 la crainte servile, que bannit la
charité - Il n'y a pas de crainte dans la charité7 -, et la crainte filiale, qui est engendrée
par la charité parce qu'on craint de perdre ce qu'on aime. Celui donc qui aime
Dieu craint de le perdre ; voilŕ la crainte bonne et chaste, dont il est
dit dans le psaume : La crainte du Seigneur est sainte, elle demeure pour
les sičcles des sičcles8. Et d'aprčs cela, ily a deux servitudes.
La premičre procčde de la crainte filiale ; et c'est d'une telle servitude
que sont serviteurs tous les justes, et les fils de Dieu, comme on l'objectait.
L'autre servitude, qui procčde de la crainte du châtiment, est contraire ŕ
l'amour ; et c'est en parlant d'elle que le Seigneur dit : JE NE
VOUS APPELLERAI PLUS SERVITEURS. Il faut savoir aussi que le serviteur, ŕ
proprement parler, est celui qui n'est pas cause pour lui-męme, alors que
l'homme libre est celui qui est cause pour lui-męme. Il y a donc une différence
entre les opérations du serviteur et celles de l'homme libre : le serviteur
travaille pour un autre (causa alterius), tandis que l'homme libre
travaille pour lui-męme (causa sui), ŕ la fois quant ŕ la cause finale
de l'uvre et quant ŕ la cause motrice9. En effet, l'homme libre travaille
pour lui-męme, comme pour une fin, et travaille de lui-męme, puisque c'est de
sa propre volonté qu'il est mű ŕ [réaliser] une uvre ; le serviteur, par
contre, ne travaille pas pour lui-męme, mais pour son seigneur, ni de lui-męme,
mais de par la volonté de son seigneur, et comme par une certaine contrainte.
Mais il arrive parfois qu'un serviteur, travaillant pour un autre qui est comme
sa cause finale, travaille cependant de lui-męme, en tant qu'il se meut lui-męme
en vue de réaliser une uvre. Et telle est la bonne servitude ; car c'est
par la charité qu'on est mű ŕ faire des uvres bonnes, mais toutefois on
n'opčre pas pour soi-męme, puisque dans la charité nous ne cherchons pas ce qui
est nôtre, mais ce qui appartient ŕ Jésus Christ et au salut du prochain. En revanche, ceux qui
opčrent entičrement ŕ cause d'un autre sont de mauvais serviteurs. Il est donc
évident que les disciples étaient des serviteurs, mais selon cette servitude
bonne qui procčde de l'amour.
1. Rm 1, 1.
2. Ps 118, 125.
3. Mt 25, 23. Cf. Ap 7, 3.
4. Am 3, 7.
5. Tract, in Io., LXXXV, 3, BA 74B, p. 133-134.
6. Sur les différentes craintes, voir
ci-dessus, n° 1783, note 2.
7. 1 Jn
4, 18.
8. Ps 18,
10. En commentant ce psaume saint Thomas évoque les deux sortes de crainte : Ť Toute crainte est engendrée par
l'amour, parce que l'homme
craint de perdre ce qu'il aime. Aussi, de męme qu'il y a un double amour, de męme il y a une double crainte : une
crainte sainte qui est engendrée
par un amour saint ; une crainte non sainte qui est engendrée par un amour non saint. L'amour saint est
celui dont Dieu est
aimé - La charité de Dieu a été répandue en nos curs par l'Esprit Saint qui
nous a été donné (Rm 5, 5). Cette sainte crainte fait
trois choses : elle craint d'abord d'offenser Dieu. Ensuite elle se refuse ŕ
ętre séparée de lui. Enfin elle se soumet ŕ Dieu par respect. Et cette crainte
est appelée chaste et filiale. N'est pas sainte la crainte qui est engendrée
par un amour non saint, un amour qui est selon le monde ; et un tel amour
non saint est engendré par une double crainte non sainte : la crainte servile
qui est issue d'un amour de soi, et la crainte mondaine qui procčde de l'amour
du monde ť (Exp. in Psalmos, 18, n° 6).
9. Sur
les quatre causes, voir ci-dessus, n° 1740, note 1.
Ŕ la seconde question il faut
répondre que le serviteur qui est mű seulement par un autre, et non par
lui-męme, est ŕ l'égard de celui qui le meut comme l'instrument ŕ l'égard de
l'artisan. Or l'instrument est associé ŕ l'artisan dans la réalisation de
l'uvre, mais non pas dans la raison (ratio1) de l'uvre ; de męme, donc, de tels serviteurs participent
seulement ŕ l'uvre. Mais quand le serviteur opčre de sa propre volonté, il est
nécessaire qu'il ait connaissance de la raison de l'uvre, et qu'on lui révčle
certaines choses cachées par lesquelles il puisse connaître ce qu'il fait - Si
un serviteur t'est fidčle, qu'il soit pour toi comme ta propre âme2. Or les Apôtres, comme on l'a dit, étaient mus
par eux-męmes pour faire de bonnes uvres, c'est-ŕ-dire par leur propre volonté
orientée par l'amour ; et c'est pourquoi le Seigneur leur a révélé ses
secrets.
Quant aux mauvais serviteurs, il est
vrai qu'ils ne savent pas ce que fait leur seigneur. Mais quelles sont donc ces
choses qu'ils ne savent pas ? Celles-lŕ męmes que Dieu fait en nous. En
effet, tout le bien que nous faisons, c'est Dieu qui l'opčre en nous - C'est
Dieu qui opčre en nous le vouloir et le faire3. Donc le mauvais serviteur, enténébré par l'orgueil de son cur, NE SAIT
PAS CE QUE FAIT SON SEIGNEUR tant qu'il attribue ŕ lui-męme ce qu'il fait.
MAIS JE
VOUS AI APPELÉS AMIS, PARCE QUE TOUT CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PČRE, JE VOUS
L'AI FAIT CONNAÎTRE. (15, 15)
2016. Ici, le Seigneur montre le vrai signe de l'amitié, de son côté ŕ
lui ; c'est que TOUT CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PČRE, JE VOUS L'AI FAIT
CONNAÎTRE. En effet, le vrai signe de l'amitié, c'est que l'ami révčle ŕ son
ami les secrets4 de son cur. En effet, puisque c'est
le propre des amis d'ętre un seul cur et une seule âme5, il semble que l'ami ne dépose pas en dehors
de son cur ce qu'il révčle ŕ son ami - Ta cause, traite-la avec ton ami, et
ne révčle pas les secrets ŕ un étranger6. - De son visage, je ne me cacherai pas7. Or Dieu, en nous rendant participants de sa
sagesse, nous révčle ses secrets - Parmi les nations elle passe en des âmes
saintes, elle forme des amis de Dieu et des prophčtes8.
CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PČRE
2017. Mais ici surgit un premier doute : qu'est-ce que le Fils entend du
Pčre, et de quelle maničre ? Cela, assurément, a déjŕ été manifesté
plusieurs fois. En effet, puisque entendre, c'est recevoir la science d'un
autre, pour le Fils entendre du Pčre n'est rien d'autre que recevoir de lui la
science ; or la science du Fils est sa propre essence : donc pour le Fils,
entendre de son Pčre, c'est recevoir de lui son essence.
TOUT CE QUE J'AI ENTENDU DE MON PČRE, JE VOUS L'AI FAIT
CONNAÎTRE.
2018. Cette derničre affirmation suscite encore un doute. Car s'il leur a
tout fait connaître, il s'ensuit que les disciples en savaient autant que le
Fils.
Réponse : il faut dire, selon Chrysostome1,TOUT CE QUE J'AI ENTENDU, c'est-ŕ-dire tout ce qu'il fallait que vous entendiez, JE VOUS L'AI
FAIT CONNAÎTRE, mais non pas tout d'une maničre absolue ; le Seigneur ne
dit-il pas plus loin : J'ai encore beaucoup de choses ŕ vous dire, mais vous ne pouvez les porter ŕ
présent2 ?
1. Sur
les différents sens du mot ratio, voir vol. I, Préface, p. 18,
note 4.
2. Si 33,
31.
3. Ph 2,
13. Voir aussi Is 26, 12.
4. Voir
ci-dessus, n° 1916, note 12.
5. Ac 4,
32.
6. Pr 25,
9.
7. Si 22,
31.
8. Sg 7,
27.
Ou bien il faut dire, selon Augustin3, que le Seigneur, ayant la certitude de ce qui doit nous ętre dit,
utilise le passé pour le futur ; le sens est alors le suivant : TOUT CE
QUE J'AI ENTENDU DE MON PČRE, JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE, c'est-ŕ-dire, je
vous le ferai connaître en plénitude, cette plénitude dont l'Apôtre dit : Alors
je connaîtrai
comme j'ai été moi aussi connu 4 ; et plus loin le Seigneur dira : Je vous
annoncerai
ouvertement ce qui concerne mon Pčre, en ce jour-lŕ5 ; et ce sera lorsqu'il nous
introduira dans la vision du Pčre. En effet, tout ce que sait le Fils, le Pčre
le sait6. Lors donc qu'il nous révélera le
Pčre, il révélera tout ce qu'il sait, et ce que nous savons [ŕ présent, comme
en énigme7].
Ou bien il faut dire, selon Grégoire8, et cela convient mieux : on peut avoir d'une męme réalité une
connaissance parfaite et une connaissance imparfaite, comme cela apparaît dans
les sciences, parce qu'on dit que celui qui connaît tous les principes d'une
science connaît cette science, mais il la connaît imparfaitement. Voilŕ
pourquoi celui qui enseigne ŕ quelqu'un les principes d'une science peut dire
qu'il lui a enseigné cette science, parce que tout ce qui appartient ŕ cette
science se trouve, en puissance, dans ses principes ; mais il connaît plus
parfaitement cette męme science quand il connaît chacune des conclusions, qui
était en puissance dans les principes9. De męme, donc, pour les réalités
divines, on peut avoir une double connaissance. La premičre est imparfaite :
elle est reçue par la foi qui est un avant-goűt de la béatitude future et de la
connaissance que nous aurons dans la patrie - La foi est la substance des réalités qu'on doit espérer,
l'argument de ce qui n'est pas apparent10. Voilŕ pourquoi le
Seigneur dit, en parlant de cette connaissance : JE VOUS L'AI FAIT CONNAÎTRE,
c'est-ŕ-dire dans la foi, par une certaine anticipation, ŕ la maničre dont les
conclusions se trouvent en puissance dans les principes. C'est pourquoi
Grégoire dit : Ť Tout ce qu'il a fait connaître ŕ ses serviteurs, ce sont
les joies de la charité intérieure et les fętes de la patrie d'en haut, qu'il
imprime chaque jour dans nos esprits par l'aspiration de son amour ; car
quand nous aimons ces choses que nous avons entendues d'en haut, les ayant
aimées, déjŕ nous les connaissons, parce que l'amour lui-męme est connaissance 1. ť
1. In Ioannem hom., LXXVII, 1, PG 59, col. 415.
2. Jn 16, 12.
3. Tract, in Io., LXXXVI, 1, BA 74B, p. 139-141.
4. 1 Co 13, 12.
5. Jn 16,
25 ; saint Thomas reprend le en ce jour-lŕ du verset 26.
6. Voir ci-dessus, nos 1722 ŕ 1726.
7. Cf. 1
Co 13, 12.
8. Saint
Thomas prépare, en l'interprétant et en l'élargissant, le passage du
commentaire de saint Grégoire qu'il citera en fin de paragraphe (cf. XL hom. in Evans., II, hom. 27, 4, PL 76, col.
1206 D-1207 A).
9. Saint
Thomas distingue ici deux connaissances, celle des principes et celle des
conclusions connues ŕ la lumičre de ces principes. En cela, il est bien le
disciple d'Aristote qui nous montre comment nous pouvons connaître la réalité :
Ť N'oublions pas la différence existant entre les raisonnements qui
partent des principes et ceux qui tendent ŕ en établir. Platon lui-męme se
trouvait sur ce point, et ŕ juste titre, embarrassé, et il cherchait ŕ préciser
si la marche ŕ suivre allait aux principes ou partait des principes, de męme
qu'on peut se demander si les coureurs dans le stade doivent partir des
athlothčtes vers l'extrémité du stade ou inversement. Ce qu'il y a de sűr,
c'est qu'il faut partir du connu. Or ce qui nous est connu l'est de deux façons
: relativement ŕ nous [l'expérience] et absolument [les principes] ť (Éthique
ŕ Nicomaque, I, 2, 1095 a 30 - 1095 b 2). Et Aristote montre que c'est dans
la lumičre des principes que nous pouvons connaître la réalité en profondeur,
dans ses conclusions ; voir entre autres Physique, I, 1, 184 a 10-15
Ť Puisque nous parvenons au savoir et au connaître scientifique dans tous
les ordres de recherche pour lesquels il existe des principes, des causes, ou
éléments, ŕ partir de l'acquisition de la connaissance de ceux-ci - en effet
nous pensons connaître chaque chose lorsque nous connaissons les causes
premičres, les principes premiers, et jusqu'aux éléments -, il est évident que
pour la science de la nature aussi il faut d'abord essayer de distinguer ce qui
concerne les principes ť. Voir aussi Métaphysique, Z, III, 1029 b 3-12.
10. He
11, 1. Voir Somme theol, II-II, q.
4, a. 1, c, oů saint Thomas
commente cette définition de la foi. Voir aussi loc. cit., q. 2, a. 3, c.
: Ť L'ultime béatitude de l'homme consiste dans une vision surnaturelle de
Dieu. Ŕ cette vision, il est sűr que l'homme ne peut parvenir s'il ne se met ŕ
apprendre ŕ l'école męme de Dieu, selon le passage de saint
Jean : Quiconque pręte l'oreille au Pčre et a reçu son enseignement
vient ŕ moi (Jn 6, 45). Mais l'homme n'entre pas d'un seul coup dans un
enseignement de cette sorte : il y entre progressivement, selon la maničre męme
de sa nature. Et quiconque se met ainsi ŕ apprendre doit nécessairement
commencer par croire, pour se trouver en état de parvenir ŕ la science parfaite.
Le Philosophe lui-męme le dit bien : "II faut croire lorsqu'on veut
apprendre". De lŕ vient que, pour ętre en état de parvenir ŕ la vision
parfaite qu'on a dans la béatitude, l'homme doit auparavant croire ŕ Dieu,
comme un disciple au maître qui l'enseigne ť. Saint Thomas nous montre
donc que la foi est l'école de la vision, et de męme, analogiquement, que la
connaissance des principes nous conduit ŕ la connaissance des conclusions.
II
CE
N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI, MAIS C'EST MOI QUI VOUS AI CHOISIS ET VOUS AI
ÉTABLIS POUR QUE VOUS ALLIEZ ET PORTIEZ DU FRUIT, ET QUE VOTRE FRUIT DEMEURE,
POUR QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PČRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNE. CE
QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES. (15,
16-17)
2019. Le Seigneur montre ici la cause de l'amitié. En effet, chez les hommes,
il est fréquent qu'on s'attribue ŕ soi-męme la cause de l'amitié - Tout ami
dit : moi aussi, j'ai lié amitié2. Et ainsi, beaucoup s'attribuent la
cause de l'amitié divine, en attribuant ŕ eux-męmes et non ŕ Dieu le principe
de leurs uvres bonnes. Mais le Seigneur exclut cela en disant : CE N'EST PAS
VOUS QUI M'AVEZ CHOISI, comme pour dire : que celui qui a été appelé ŕ la
dignité de cette amitié n'attribue pas la cause de l'amitié ŕ lui-męme, mais ŕ
moi qui le choisis pour cela.
Et d'abord il met en lumičre la
gratuité du choix de Dieu, puis il explique en vue de quoi sont choisis ses
disciples [n° 2025].
CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI, MAIS C'EST MOI QUI
VOUS AI CHOISIS.
2020. Le Seigneur dit donc : CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI pour que je
sois votre ami, MAIS C'EST MOI QUI VOUS AI CHOISIS pour faire de vous mes amis
- Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés le
premier^. Or il y a un double choix de Dieu. L'un, éternel, selon lequel
nous sommes prédestinés - Il nous a choisis en lui avant la fondation du
monde4. L'autre, temporel, selon lequel nous
sommes appelés par lui, et qui n'est autre que l'accomplissement de cette
prédestination éternelle : car ceux qu'il a choisis en les prédestinant, il les
a aussi choisis en les appelant - Ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi
appelés5. - II en choisit douze, ceux qu'il
nomma aussi Apôtres6.
2021. Certains disent que le choix temporel de Dieu est causé par les mérites
des élus. Mais cela est contraire ŕ ce qui est dit ici. Car s'il t'a choisi
parce que tu étais bon, tu ne pouvais, toi, ętre bon que si tu choisissais le
bien ; or ce bien, éminemment, c'est Dieu ; donc tu aurais d'abord
choisi le bien, qui est Dieu, avant d'ętre choisi. Mais le Seigneur dit le
contraire : CE N'EST PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI, MAIS C'EST MOI QUI VOUS AI
CHOISIS. Il ne faut donc pas dire qu'il y a en nous un bien qui précčde
totalement le choix de Dieu. Je dis bien Ť totalement ť, parce qu'un
bien particulier en nous peut ętre cause de ce que nous soit donné un autre
bien, et ce dernier d'un autre encore, puisqu'il y a un certain ordre dans les
dons divins ; mais, d'une maničre universelle, rien ne peut ętre cause du
choix divin et le précéder, car tous nos biens nous les tenons de Dieu.
2022. Mais, de ce choix éternel il serait encore plus erroné de dire qu'il
est précédé de notre propre choix. Certains cependant affirmčrent que nos
mérites antécédents sont cause de ce choix. Et ce fut lŕ l'erreur d'Origčne :
pour lui, les âmes des hommes ont été créées ensemble et égales ; puis,
alors que certaines tenaient bon, d'autres péchčrent, les unes davantage et les
autres moins, c'est pourquoi certaines méritčrent d'avoir la grâce et d'autres
non. Mais contre cela, voilŕ ce que le Seigneur dit : CE N'EST
PAS VOUS QUI M'AVEZ CHOISI.
1. Voir
ci-dessus note 9, p. 229.
2. Si 37,
1.
3. 1 Jn
4, 10.
4. Ep 1,4.
5. Rm 8,
30.
6. Le 6,
13.
2023. Selon d'autres encore, il est vrai que ce ne sont pas les mérites
existant en acte qui sont cause de la prédestination, mais les mérites
préexistant dans la prescience de Dieu ; car, disent-ils, parce que Dieu a
connu ceux qui seraient bons et useraient bien de la grâce, il a eu comme
dessein de leur donner la grâce. Mais si cela était, il s'ensuivrait qu'il nous
aurait choisis parce qu'il aurait su d'avance que nous le choisirions. Et ainsi
notre choix serait préalable au choix divin, ce qui va contre la parole du
Seigneur.
2024. On dira peut-ętre : quel pouvait ętre ce choix puisque nous n'étions
rien et qu'entre nous il n'y avait aucune prééminence ? Mais celui qui
parle de la sorte, le mode du choix humain le trompe, en ce sens qu'il croit
que le choix divin est selon ce mode. Or autre est le mode du choix humain,
autre celui du choix divin ; car notre choix est causé par un bien déjŕ
préexistant, tandis que le choix divin est cause en ce sens qu'il communique un
bien plus grand en telle personne qu'en telle autre. En effet, puisque le choix
est un acte de la volonté, dans la mesure oů la volonté de Dieu et celle de
l'homme se rapportent diversement aux biens, divers aussi est le mode de leur
choix. Or la volonté de Dieu se rapporte au bien créé comme sa cause - Comment cela
aurait-il pu exister, si tu ne l'avais voulu ?1 Et ainsi le bien s'étend de la volonté de Dieu aux réalités
créées. Voilŕ pourquoi Dieu préfčre (praeeligit) un tel ŕ tel autre, en
tant qu'il lui influe plus de bien qu'ŕ cet autre. La volonté de l'homme, en
revanche, est mue vers quelque chose ŕ partir du bien préexistant qui a été
appréhendé par lui : c'est pour cela que, dans notre choix, il faut qu'un bien
préexiste ŕ un autre.
Or si Dieu influe plus de bien ŕ
telle personne qu'ŕ telle autre, c'est pour que brille un ordre dans les
réalités2. Ainsi, dans les réalités
matérielles, il apparaît clairement que la matičre premičre, pour ce qui relčve
d'elle, est uniformément disposée ŕ toutes les formes ; les réalités
elles-męmes également, avant d'exister, ne sont pas davantage disposées ŕ ętre
ceci ou cela. Mais pour qu'entre ces réalités un ordre soit gardé, elles
reçoivent de Dieu, en partage, des formes et un ętre différents.
Et d'une maničre semblable, en ce qui
concerne la créature raisonnable, certains sont élus pour la gloire, d'autres
sont condamnés ŕ la
peine - Le Seigneur sait qui sont les siens (...). Dans une grande maison,
il n'y a pas que des vases d'or et d'argent, il y en a aussi de bois et d'argue
: les uns sont pour des usages nobles, les autres pour des usages vils3. Et ainsi apparaît un ordre divers : tandis que la miséricorde de Dieu brille en certains,
qu'il prépare ŕ la grâce sans aucun mérite antécédent, en d'autres brille la
justice de Dieu, lorsque pour leurs propres fautes, mais en deçŕ de ce qu'ils
méritent, il leur impose une peine.
Ainsi donc, Dieu nous a élus en nous
prédestinant4 de toute éternité et en nous
appelant ŕ la foi dans le temps.
1. Sg 11, 26.
2. Voir Somme
théol, I-II, q. 112, a. 4, c. : Ť La premičre cause de cette diversité
doit se prendre du côté de Dieu qui dispense différemment les dons de sa grâce,
en vue de faire ressortir la beauté et la perfection de l'Église, de męme qu'il
a établi les divers degrés des ętres pour la perfection de l'univers ť. Sur
la diversité dans l'Église, voir II-II,
q. 183, a. 2 ; et sur la diversité des prédestinés, voir I, q. 23,
a. 5, ad 3.
3. 2 Tm
2, 19-20.
4. Sur la
prédestination, voir surtout vol. I, n" 938, note 1, nos 1373 et note 12,
mais aussi ci-dessus, n" 1789, et ci-dessous nos 2218, 2262, 2589 et 2605.
ET [JE]
VOUS AI ÉTABLIS POUR QUE VOUS ALLIEZ ET PORTIEZ DU FRUIT, ET QUE VOTRE FRUIT
DEMEURE, POUR QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PČRE EN MON NOM, IL VOUS LE
DONNE. CE QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES.
2025. Ici le Seigneur précise en premier lieu ce en vue de quoi il a choisi
ses disciples. D'abord il montre qu'il les a choisis pour accomplir quelque
chose [n° 2026], puis qu'il les a choisis pour recevoir quelque chose [n°
2028]. En second lieu, il donne la raison de tout ce qu'il a dit.
ET [JE] VOUS AI ÉTABLIS POUR QUE VOUS ALLIEZ ET PORTIEZ
DU FRUIT, ET QUE VOTRE FRUIT DEMEURE.
2026. Le Seigneur dit donc : JE VOUS AI ÉTABLIS, c'est-ŕ-dire j'ai établi par
vous un ordre dans mon Église - Dieu a établi dans l'Église, premičrement
des Apôtres1. Aussi JE VOUS AI ÉTABLIS,
c'est-ŕ-dire je vous ai disposés avec fermeté - Dieu fit les grands
luminaires (...) et il les établit au firmament du ciel2. - Les étoiles, restant en ordre
selon leur cours, ont combattu contre Sisara3. Établir implique en effet ordre et
fermeté.
2027. [JE] VOUS AI ÉTABLIS, dis-je, pour trois choses. D'abord pour aller :
POUR QUE VOUS ALLIEZ en parcourant le monde, pour le convertir tout entier ŕ la
foi - Allez dans le monde entier pręcher l'Évangile ŕ toute créature4. Ou encore POUR QUE VOUS ALLIEZ, c'est-ŕ-dire
que vous avanciez de vertu en vertu - Ils iront de vertu en vertu : le Dieu
des dieux apparaîtra en Sion5.
Ses rameaux s'étendront, sa gloire sera comme celle de
l'olivier et son odeur comme celle du Liban6.
Deuxičmement, pour porter du fruit :
que VOUS PORTIEZ DU FRUIT, le fruit de la conversion des croyants, selon un premier chemin - Afin de
recueillir quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres nations7. Ou bien un fruit spirituel, intérieur, selon
un second chemin - Le fruit de l'Esprit est charité, joie, paix (...)8. - Mes fleurs sont un fruit
d'honneur et d'honnęteté9.
Troisičmement, pour porter un fruit
qui ne se perde pas par la mort ou le péché : QUE VOTRE FRUIT DEMEURE,
c'est-ŕ-dire que l'ensemble des croyants soit conduit ŕ la vie éternelle, et que
le fruit spirituel croisse davantage - Il
amasse du fruit pour la vie éternelle 10.
POUR
QUE TOUT CE QUE VOUS DEMANDEREZ AU PČRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNE.
2028. Ici, le Seigneur montre qu'il les a choisis pour qu'ils reçoivent
quelque chose, ŕ savoir tout ce qu'ils demanderont. Comme pour dire : si je
vous ai établis, c'est pour que vous soyez dignes de recevoir de la part du
Pčre tout ce que vous lui demanderez en mon nom - Si notre cur ne nous fait pas de reproche, nous
avons de l'assurance auprčs de Dieu, et quoi que nous demandions, nous le
recevrons de lui11.
CE QUE
JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES AUTRES.
2029. Le Christ précise ici la raison de ce qu'il a dit. En effet, quelqu'un
pourrait dire : Pourquoi le Christ leur a-t-il dit tout cela ? Aussi le
Seigneur donne-t-il comme
réponse : CE QUE JE VOUS COMMANDE, C'EST QUE VOUS VOUS AIMIEZ LES UNS LES
AUTRES ; autrement dit, tout ce que je dis vous conduit ŕ l'amour de vos
proches - La fin du précepte est la chanté \
1. 1 Co 12, 28.
2. Gn 1, 16-17.
3. Jg 5, 20.
4. Mc 16, 15.
5. Ps 83, 8. Voir vol. I,
n° 254.
6. Os 14, 7.
7. Rm 1,
13.
8. Ga 5,
22.
9. Si 24,
2. 3.
10. Jn4,
36.
11. 1 Jn
3, 21-22.
Ou bien, selon Chrysostome2, il faut dire que les disciples pourraient demander : Seigneur, pourquoi nous rappeler tant de fois ton amour ? Ne serait-ce pas pour nous faire un reproche ? Mais le Seigneur dit : Non, c'est au contraire pour vous inciter ŕ l'amour du prochain - Tel est le commandement que nous tenons de Dieu : que celui qui aime Dieu aime aussi son frčre3.
2030. Ayant exposé l'allégorie de la vigne et de ses sarments qu'il a explicitée tout d'abord en regardant l'union des sarments ŕ la vigne, le Seigneur regarde ensuite la taille des sarments qui se fera par des tribulations. Il console donc ses disciples des tribulations qu'ils auront ŕ souffrir ; et d'abord il expose, puis explicite, ce par quoi il va les consoler ; enfin il repousse ce qui pourrait excuser les persécuteurs [n° 2044].
SI LE
MONDE VOUS HAIT, SACHEZ QU'IL M'A PRIS EN HAINE AVANT VOUS. SI VOUS AVIEZ ÉTÉ
DU MONDE, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST Ŕ LUI ; MAIS PARCE QUE VOUS N'ĘTES
PAS DU MONDE, ET QUE MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MILIEU DU MONDE, C'EST POUR CELA
QUE LE MONDE VOUS HAIT. (15, 18-19)
Le Seigneur donne ici deux raisons
pour leur consolation : la premičre se fonde sur l'exemple, et la seconde sur
la cause [n°2033].
I
SI LE
MONDE VOUS HAIT, SACHEZ QU'IL M'A PRIS EN HAINE AVANT VOUS.
2031. Le Seigneur console donc ses disciples par son propre exemple, lui qui
a aussi souffert les persécutions des tyrans : SI LE MONDE
VOUS HAIT, SACHEZ QU'IL M'A PRIS EN HAINE AVANT VOUS. Car, sachons-le bien, de męme que le
principe de tous les bienfaits est l'amour, de męme aussi le principe de toutes
les persécutions est la haine : voilŕ pourquoi le Seigneur leur prédit la haine
ŕ venir - Vous serez haďs de tous les hommes 4. - Heureux serez-vous quand les
hommes vous haďront (...) ŕ cause du Fils de l'homme5.
Il dit donc : SI LE MONDE VOUS HAIT,
c'est-ŕ-dire bientôt le monde vous haďra et il manifestera sa haine en vous
persécutant, SACHEZ QU'IL M'A PRIS EN HAINE AVANT VOUS - Le monde ne peut
pas vous haďr, mais moi il me hait6. Mais c'est lŕ la grande
consolation du juste, pour lui permettre de supporter les persécutions avec
force - Repensez ŕ celui qui a supporté de la part des pécheurs une telle
contradiction, afin de ne pas ętre accablés par la défaillance de vos âmes1 - Le Christ a souffert pour nous,
vous laissant un exemple, pour que vous suiviez ses traces2. Aussi, selon Augustin3, les membres ne doivent pas s'élever au-dessus de la tęte, ni refuser
d'ętre dans le corps, en ne voulant pas supporter la haine du monde en union
avec la tęte.
1ˇ 1 Tm 1, 5.
2. In Ioannem hom., LXXVII, 2, PG 59, col. 416.
3. 1 Jn 4, 21.
4. Mt 24,
9.
5. Lc 6,
22.
6. Jn7, 7.
2032. Mais le monde s'entend en deux sens4. Parfois en bien, quand il s'agit de
ceux qui, dans le monde, vivent selon le bien - C'était Dieu qui, dans le
Christ, se réconciliait le monde5. Parfois en mal, et il s'agit alors de
ceux qui aiment le monde - Le monde entier a été mis sous l'influence du
mauvais6. Ainsi donc, le monde entier a en
haine le monde entier ; parce que ceux qui aiment le monde, qui sont
répandus dans le monde entier, haďssent le monde entier, c'est-ŕ-dire l'Église
des bons, affermie dans le monde entier7.
II
SI VOUS
AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST Ŕ LUI ; MAIS PARCE
1. He 12,
3. Saint Thomas commente : Ť En toutes tes voies, pense ŕ lui (Pr
3, 6). La raison de cela est que le remčde ŕ toute tribulation se trouve dans
la Croix. Lŕ est en effet l'obéissance ŕ Dieu - Il s'est humilié, en se
faisant obéissant jusqu'ŕ la mort, et la mort de la Croix (Ph 2,
8) ť (Ad Heb. lect., XII, n° 667).
2. 1 Ρ 2, 21.
3. Tract, in Io., LXXXVII, 2, BA 74B, p. 159.
4. Saint
Thomas, ŕ plusieurs reprises, explicite les deux sens du mot
Ť monde ť. Voir plus haut, n° 1669, et ci-dessous, nos 2129, 2206,
2249, 2250. Saint Jean emploie souvent le mot Ť monde ť dans le
deuxičme sens : Ayez confiance : moi, j'ai vaincu le monde (Jn 16,
33) ; Ils ne sont pas du monde comme moi je ne suis pas du monde (Jn
17, 16). Et dans sa premičre épître : N'aimez ni le monde, ni ce qui est
dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Pčre n'est pas en lui. Car
tout ce qui est dans le monde - la convoitise de la chair, la convoitise des
yeux et l'orgueil de la richesse - vient non pas du Pčre mais du monde. Or le
monde passe avec ses convoitises mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure
éternellement (1 Jn 2, 15-17). Le mot Ť monde ť est alors entendu
en opposition avec ce qui est divin et pur.
5. 2 Co 5, 29.
6. 1 Jn 5, 19.
7. Cf. saint
Augustin, loc cit.
QUE
VOUS N'ĘTES PAS DU MONDE, ET QUE MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MILIEU DU MONDE,
C'EST POUR CELA QUE LE MONDE VOUS HAIT.
2033. Voici la seconde raison, liée ŕ la cause de cette haine. Car lorsque
quelqu'un supporte la haine d'un autre par sa propre faute, il doit s'en
affliger et s'en attrister ; mais quand c'est ŕ cause de sa vertu, il doit
s'en réjouir.
Le Seigneur montre donc,
premičrement, la cause pour laquelle certains sont aimés du monde ; puis
il montre pourquoi les Apôtres sont haďs du monde [n° 2037].
SI VOUS
AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST Ŕ LUI.
2034. La cause pour laquelle certains sont aimés du monde, c'est leur
ressemblance avec le monde. Toute chose aime ce qui lui est semblable - Toute
chair s'unit ŕ ce qui lui est semblable8. Et c'est pourquoi le monde - c'est-ŕ-dire ceux qui aiment le monde -
aime ceux qui aiment le monde : SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, c'est-ŕ-dire de
ceux qui suivent le monde, LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST Ŕ LUI, comme étant sien
et semblable ŕ lui. Ne lisait-on pas précédemment : Le monde ne peut pas
vous haďr ? 9 - Ils sont du monde, aussi
parlent-ils d'aprčs le monde, et le monde les écoute 10.
2035. Contrairement ŕ cela, on objectera que, par Ť monde ť, le
Seigneur entend ici les princes du monde, qui allaient persécuter les Apôtres.
Or ces męmes princes pourchassent aussi certains hommes qui vivent selon le
monde, par exemple les assassins et les brigands ; le monde n'aime donc
pas ce qui est ŕ lui, pas plus qu'il n'aime les Apôtres.
8. Si 13,
20. Sur la similitude dans l'amour, voir Éthique ŕ Nicomaque, VIII, 2, 1155
a 32 sq. : Ť Certains estiment l'amitié comme une similitude et la disent
des amis qui sont semblables ť. Voir aussi Somme théol., I-II, q. 27,
a. 3.
9. Jn 7,
7.
10. 1 Jn
4, 5.
Je réponds : il faut dire qu'on peut
trouver quelque chose de purement bon, mais qu'on ne trouve rien de purement
mauvais, puisque le sujet du mal, c'est le bien. Le mal de la faute se fonde
donc sur le bien de la nature. Aussi ne peut-il y avoir d'homme pécheur et
mauvais qui n'ait quelque chose de bon. Les hommes, donc, selon le mal qu'ils
ont, ŕ savoir leur infidélité, appartiennent au monde, et haďssent les Apôtres
et ceux qui ne sont pas du monde ; mais selon le bien qu'ils ont, ils ne
sont pas du monde, et ils ont en haine ceux qui sont du monde, ŕ savoir les voleurs,
les brigands et autres de ce genre. Il y en avait cependant certains qui dans
le monde vivaient selon le bien ; ils aimaient les Apôtres et approuvaient
leurs actes.
2036. Mais il semble encore davantage y avoir un doute du fait que tout péché
se rapporte au monde, et qu'ainsi n'importe quel péché nous fait ętre du monde.
Et nous voyons que certains hommes se rassemblant dans le péché se prennent
mutuellement en haine, par exemple les orgueilleux - Entre les orgueilleux, ce sont toujours des disputes1. L'avare aussi a en haine l'avare. Et c'est pourquoi, selon le
Philosophe, les potiers rivalisent entre eux2. Le monde a donc en haine le monde.
Ce que le Seigneur dit : LE MONDE AIMERAIT CE QUI EST Ŕ LUI, ne semble donc pas
ętre vrai.
Ŕ cela il faut répondre qu'il y a
deux sortes d'amour : l'amour d'amitié et l'amour de concupiscence, qui sont
deux amours différents. Par l'amour de concupiscence, en effet, nous ramenons ŕ
nous les choses qui nous sont extérieures puisque par cet amour nous aimons les
réalités autres en tant qu'elles nous sont utiles ou agréables3. Dans l'amour d'amitié, c'est le contraire : nous sortons de
nous-męmes pour aller vers ce qui est extérieur ŕ nous, puisqu'ŕ l'égard de
ceux que nous aimons d'amitié, nous nous comportons comme envers nous-męmes, en
nous communiquant d'une certaine maničre nous-męmes ŕ eux. Aussi, dans l'amour
d'amitié, la similitude est cause d'amour4, puisqu'on n'aime ainsi quelqu'un
que dans la mesure oů l'on est un avec lui ; or la similitude est une
certaine unité. Dans l'amour de concupiscence, au contraire, qu'il soit utile
ou agréable, la similitude est cause de séparation et de haine. En effet,
puisque dans un tel amour j'aime quelqu'un dans la mesure oů il m'est utile ou
agréable, tout ce qui peut empęcher l'utilité ou le plaisir, je le hais comme
contraire. Voilŕ pourquoi les orgueilleux se querellent, dans la mesure oů l'un
s'arroge la gloire que l'autre aime, et dans laquelle il se complaît. Il en est
de męme chez les potiers, dans la mesure oů l'un prend pour lui le gain qu'un
autre voulait pour lui-męme.
1. Pr l3,10.
2. Cf. Aristote, Éthique ŕ
Nicomaque, VIII, 2, 1155 b 1. Voir vol-I, n°511.
3. Saint
Thomas reprend cette distinction dans la Somme théologique en assumant
la pensée d'Aristote sur l'amour d'amitié : Ť Aimer, comme le dit le
Philosophe (2 Rhétorique, IV), c'est "vouloir du bien ŕ
quelqu'un". Le mouvement de l'amour tend donc vers deux réalités : vers le
bien que l'on veut ŕ quelqu'un - soi-męme ou un autre -, et vers celui ŕ qui
l'on veut ce bien. Ŕ l'égard du bien qu'on veut ŕ un autre, il y a amour de
concupiscence ; ŕ l'égard de celui ŕ qui nous voulons du bien, il y a
amour d'amitié ť (I-II, q. 26,
a. 4, c). Et aussi : Ť D'aprčs le Philosophe {Éthique ŕ Nicomaque, VIII, 2), ce n'est pas n'importe quel
amour qui a raison d'amitié, mais l'amour qui s'accompagne de bienveillance,
quand nous aimons quelqu'un de telle sorte que nous lui voulons du bien. Si
nous ne voulons pas le bien des réalités aimées, mais accaparer pour nous ce
qu'elles ont de bon, comme quand nous disons aimer le vin, aimer un cheval ou
d'autres choses semblables, ce n'est plus l'amour d'amitié (amor amicitiae),
mais l'amour de concupiscence (amor concupiscentiae). Car il serait
ridicule de dire de quelqu'un qu'il a de l'amitié pour du vin ou pour un
cheval ť (II-II, q. 23, a. 1,
c). Saint Thomas précise : Ť Dans l'amitié utile et l'amitié agréable, on
veut vraiment du bien ŕ son ami, et quant ŕ cela est sauve la raison d'amitié. Mais
ce bien de l'autre, on le veut pour son plaisir ŕ soi, ou son utilité, ce qui
fait dire qu'ŕ cette amitié utile ou agréable la véritable raison d'amitié fait
défaut parce qu'elle est faussée par l'amour de concupiscence ť (I-II, q. 26, a. 4, ad 3). Aristote,
dans son Éthique, en distinguant l'amour d'amitié spirituel de l'amitié
utile et agréable, remarque : Ť Ceux dont l'amitié est fondée sur
l'utilité aiment pour leur propre bien, et ceux qui aiment en raison du
plaisir, pour leur propre agrément, et non pas dans l'un et l'autre cas la
personne aimée pour ce qu'elle est en elle-męme, mais en tant qu'elle est utile
ou agréable. Dčs lors ces amitiés ont un caractčre accidentel, puisque ce n'est
pas en ce qu'elle est essentiellement que la personne aimée est aimée, mais en
tant qu'elle procure quelque bien ou quelque plaisir, suivant le cas. Les
amitiés de ce genre sont par suite fragiles, dčs que les deux amis ne demeurent
pas pareils ŕ ce qu'ils étaient : s'ils ne sont plus agréables ou utiles l'un ŕ
l'autre, ils cessent d'ętre amis ť (Éthique ŕ Nicomaque, VIII, 3, 1156 a 14-21).
4. Voir
plus haut, n° 2034, note 8.
Il faut savoir que l'amour de
concupiscence n'est pas un amour pour la réalité convoitée, mais plutôt l'amour
de celui qui convoite pour lui-męme. Et pour cette raison, si l'on aime quelqu'un
d'un tel amour, c'est dans la mesure oů il nous est utile, nous l'avons
dit ; voilŕ pourquoi, par cet amour, on aime plus soi-męme que l'autre.
Ainsi, celui qui aime le vin parce qu'il lui est agréable s'aime lui-męme
plutôt qu'il n'aime le vin. Mais l'amour d'amitié est davantage l'amour de la
réalité aimée que de celui qui aime, parce qu'on aime quelqu'un pour lui-męme,
et non pas pour soi en tant qu'on aime. Ainsi donc, puisque dans l'amour
d'amitié la similitude est cause d'amour, et la dissemblance cause de haine, le
monde a en haine ce qui n'est pas ŕ lui et ne lui est pas semblable, et il aime
d'un amour d'amitié1 ce qui est ŕ lui. Mais pour l'amour
de concupiscence, c'est le contraire. Aussi le Seigneur dit-il : SI VOUS AVIEZ ÉTÉ DU MONDE, LE MONDE AIMERAIT, d'un amour d'amitié, CE QUI
EST Ŕ LUI.
MAIS
PARCE QUE VOUS N'ĘTES PAS DU MONDE, ET QUE MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MILIEU DU
MONDE, C'EST POUR CELA QUE LE MONDE VOUS HAIT. (15, 19)
2037. Le Seigneur indique ici la cause pour laquelle les Apôtres sont haďs du
monde, qui est la dissemblance : VOUS N'ĘTES PAS DU MONDE, sous-entendu : par
l'élévation de votre esprit, bien que vous le soyez par votre origine - Vous,
vous ętes d'en bas,
moi, je suis d'en haut. Vous, vous ętes de ce monde, moi, je ne suis pas de ce
monde2. Et cela, c'est bien parce que vous avez été
élevés du monde, non pas par vous-męmes, mais par ma grâce, c'est-ŕ-dire parce
que MOI JE VOUS AI CHOISIS DU MILIEU DU MONDE - C'est moi qui vous ai
choisis 3. C'EST POUR CELA QUE, parce que vous
n'ętes pas du monde, LE MONDE, c'est-ŕ-dire ceux qui l'aiment, VOUS HAIT, en
tant que vous leur ętes dissemblables - Les justes ont en horreur les impies, et les
impies ont en horreur ceux qui sont dans le droit chemin 4. - Les hommes sanguinaires haďssent celui qui est sans détour5.
2038. On peut préciser trois raisons pour lesquelles le monde a en haine les
saints. La premičre est la différence de condition : le monde est dans la mort,
tandis que les saints sont dans l'état de la vie - Ne vous étonnez pas, frčres, si le
monde vous hait. Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort ŕ la vie,
parce que nous aimons nos frčres6. - Sa vue męme nous est ŕ charge7.
La deuxičme raison est le désagrément
de la correction. Car les hommes saints reprennent, par leurs paroles comme par
leurs actes, les agissements du monde ; aussi le monde les a-t-il en haine
- Ils l'ont haď,
celui qui les reprenait ŕ la Porte8. - II me hait, ŕ savoir le
monde, parce que moi je rends témoignage ŕ son sujet que ses uvres sont
mauvaises9.
La troisičme raison est l'injuste
jalousie par laquelle les méchants envient les hommes justes lorsqu'ils les
voient croître et devenir nombreux en bonté et en sainteté ; ainsi les
Égyptiens, voyant croître les fils d'Israël, les avaient en haine et les
persécutaient1 ; et selon la Genčse, les frčres de Joseph,
voyant qu'il était plus aimé qu'eux tous, l'avaient pris en haine2.
1. Nous
avons gardé ici l'expression de l'édition Marietti, amor amicitiae, sans
tenir compte de la correction de l'édition léonine qui indiquait amor
concupiscentiae, cela pour respecter plus le sens de l'explication de saint
Thomas qui précčde.
2. Jn 8,
23.
3. Jn 15,
16. Voir aussi Jn 6, 71 N'est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous les
Douze ?
4. Pr 29,
27.
5. Pr 29,
10.
6. 1 Jn
3, 13-14.
7. Sg2,
15.
8. Am 5,
10. Selon Osty, la justice se rendait sur la place publique, qui se trouvait
prčs de la porte des villes et des villages.
9. Jn 7, 7.
SOUVENEZ-VOUS
DE LA PAROLE QUE MOI, JE VOUS AI DITE : LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE
SON SEIGNEUR. S'ILS M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS AUSSI ILS VOUS PERSÉCUTERONT ;
S'ILS ONT GARDÉ MA PAROLE, ILS GARDERONT AUSSI LA VÔTRE. MAIS TOUT CELA, ILS
VOUS LE FERONT Ŕ CAUSE DE MON NOM, PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT PAS CELUI QUI
M'A ENVOYÉ. (15, 20-21)
2039. Le Seigneur développe ici les raisons qu'il vient de donner pour la
consolation des disciples : la premičre, qui se rapporte ŕ son propre exemple,
puis la seconde, qui concerne la haine du monde [n° 2043].
I
Le Seigneur rappelle d'abord la
diversité de rang entre lui et ses disciples ; puis il montre la
similitude des faits [n° 2042].
SOUVENEZ-VOUS
DE LA PAROLE QUE MOI, JE VOUS AI DITE : LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE
SON SEIGNEUR.
2040. Il y avait une différence de rang entre le Christ et ses disciples,
parce que lui était le Seigneur, et eux, des serviteurs. Il rappelle donc cette
différence lorsqu'il dit : SOUVENEZ-VOUS DE LA PAROLE QUE MOI, JE VOUS
AI DITE précédemment, ŕ savoir
: Le serviteur n'est pas plus grand que son Seigneur3. Cela ne doit donc pas vous indigner si vous souffrez ce que votre
Seigneur a souffert ; vous devez au contraire le considérer comme une
grande gloire. Voilŕ pourquoi, selon Matthieu, aux disciples qui demandent de
siéger l'un ŕ sa droite et l'autre ŕ sa gauche, il dit : Pouvez-vous boire la coupe que moi,
je suis destiné ŕ boire ?4 - C'est une grande gloire de
suivre le Seigneur5.
- II suffit au disciple d'ętre comme son maître*'.
2041. Mais plus haut, le Seigneur ne disait-il pas au contraire : Je ne
vous appellerai plus serviteurs7, alors qu'ici il déclare : LE SERVITEUR N'EST PAS PLUS GRAND QUE SON SEIGNEUR ?
Je réponds en disant qu'il y a une
double servitude : l'une qui procčde de la crainte servile, c'est-ŕ-dire de la
crainte du châtiment et, en ce sens, les Apôtres n'étaient pas
serviteurs ; l'autre qui procčde de la crainte chaste, et une telle
servitude existait chez les Apôtres - Bienheureux les serviteurs que le maître, ŕ sa venue,
trouvera en train de veiller8.
S'ILS
M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS AUSSI ILS VOUS PERSÉCUTERONT ; S'ILS ONT GARDÉ MA
PAROLE, ILS GARDERONT AUSSI LA VÔTRE.
1. Cf. Ex
1, 9 sq. : Voici que le peuple des fils d'Israël est nombreux et trop fort pour nous.
2. Cf. Gn
37, 4.
3. Jn 13,
16.
4. Mt 20,
22.
5. Si 23,
38 (verset propre ŕ la Vulgate).
6. Mt 10,
25.
7. Jn 15,
15.
8. Le 12,
37. Au sujet des différentes sortes de crainte, voir ci-dessus, n° 1783, note
2, et n° 2015 et note 8 rapportant le commentaire de saint Thomas du psaume 18,
10.
2042. Si donc vous ętes des serviteurs et moi le Seigneur, vous devez ętre
contents qu'on vous fasse ce qu'on m'a fait. Or moi, certains m'ont méprisé, et
d'autres m'ont reçu - Il est venu chez lui, et les siens ne Vont pas
reçu. Mais ŕ tous ceux qui Vont reçu, il a donné pouvoir de devenir enfants de
Dieu1. Vous aussi, de męme, si certains vous
méprisent, d'autres cependant vous honoreront.
Voilŕ pourquoi le Seigneur dit :
S'ILS M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS AUSSI ILS VOUS PERSÉCUTERONT. Par ces mots, il
expose la similitude des faits ; en effet, que leur persécution s'exerce
sur les disciples ou sur le Christ, la raison en est la męme, puisque dans les
disciples, c'est le Christ qu'ils persécutent. Lors de la persécution de ses
disciples, le Christ le disait bien : Saul, Saul, pourquoi me
persécutes-tu ?2 Et c'est pourquoi, du fait de
l'identité de cause, suit cette conséquence : S'ILS M'ONT PERSÉCUTÉ, VOUS AUSSI
ILS VOUS PERSÉCUTERONT - S'ils ont traité le maître de maison de Béelzéboul,
combien plus le feront-ils pour les gens de sa maison ?3 Au sujet de cette persécution, il est dit : Voici que moi, j'envoie
vers vous des sages et des scribes. Vous en tuerez et crucifierez, vous en
fouetterez dans vos synagogues, et en pourchasserez de ville en ville4.
En ce qui concerne l'honneur, la
raison est également la męme. Aussi le Seigneur dit-il : S'ILS ONT GARDÉ MA
PAROLE, ILS GARDERONT AUSSI LA VÔTRE, car VOS paroles sont mes paroles - Vous
cherchez ŕ tester celui qui parle en moi, le Christ5. - Ce n'est pas vous en effet qui parlez,
mais l'Esprit de votre Pčre qui parle en vous6 -, c'est pourquoi il dit : Qui vous écoute, m'écoute7.
1. Jn 1, 11-12.
2. Ac 9, 4.
3. Mt 10, 25.
4. Mt 23, 34.
5. 2 Co 13, 3.
6. Mt 10,
20.
7. Lc 10,
16.
Que les Apôtres aient été reçus et
honorés par certains, on le voit clairement : Et vous, quand vous avez reçu
de nous la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l'avez
accueillie non comme une parole d'hommes, mais selon ce qu'elle est vraiment,
la parole de Dieu 8.
II
MAIS TOUT CELA, ILS VOUS LE FERONT Ŕ CAUSE DE MON NOM,
PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT PAS CELUI QUI M'A ENVOYÉ.
2043. Ici le Seigneur explique la raison de la consolation des disciples,
liée ŕ la cause de la haine. Les Apôtres, en effet, avaient été choisis et
élevés au-dessus du monde, en tant qu'ils avaient été rendus participants de la
divinité et unis ŕ Dieu ; et c'est parce qu'ils étaient au-dessus du monde
et unis ŕ Dieu que le monde les avait en haine : il s'ensuit que le monde
haďssait plutôt Dieu dans les Apôtres que les Apôtres eux-męmes. Et la cause de
cette haine, c'est qu'ils n'avaient pas la vraie connaissance de Dieu, celle
qui s'acquiert par une foi vraie et un amour livré9 sans réserve. D'ailleurs, s'ils les
avaient reconnus comme amis de Dieu, ils ne les auraient pas persécutés. Et
voilŕ pourquoi le Seigneur dit : TOUT CELA, la haine et la persécution ŕ votre
égard, ILS VOUS LE FERONT Ŕ CAUSE DE MON NOM, et donc cela doit ętre pour vous
un sujet de gloire - Qu'aucun
de vous ne souffre comme meurtrier, ou voleur, ou médisant, ou envieux des
biens d'autrui ; mais si c'est comme chrétien, quil ne rougisse pas,
qu'il glorifie Dieu pour ce nom 10. Tout cela, ils le feront Ŕ CAUSE DE
MON NOM, non pas qu'ils l'aiment, mais parce qu'ils l'ont en haine ; tandis que vous, au contraire, vous
souffrirez ŕ cause de mon nom parce que vous l'aimez. Et ils feront cela PARCE
QU'ILS NE CONNAISSENT PAS CELUI QUI M'A ENVOYÉ - Si vous me connaissiez, vous
connaîtriez peut-ętre aussi mon Pčre !1 Ils ne savaient pas, en effet, qu'il était agréable ŕ
Dieu qu'ils adhčrent au Christ.
8. 1 Th
2, 13.
9. Ť Livré ť
traduit ici le mot latin devotum. Sur le sens du mot devotio, voir
vol. I, n° 843, note 5, et n° 1391, note 6.
10. 1
Ρ 4, 15-16.
Mais remarquons qu'il parle ici de la connaissance parfaite, consistant dans la foi qui mčne l'intelligence ŕ son achčvement et unit la volonté aimante ŕ Dieu. D'une telle connaissance il est dit : Celui qui se glorifie, qu'il se glorifie de ceci : de la science et de la connaissance qu'il a de moi2. - Te connaître, c'est l'intelligence accomplie3.
2044. Précédemment, en traitant de la persécution qui allait survenir pour
les disciples de la part des Juifs, le Seigneur en précisait la raison : c'est
que ces derniers ne connaissent pas celui qui l'a envoyé. Mais parce que
d'ordinaire l'ignorance excuse, il montre ici qu'ils sont absolument
inexcusables, et cela pour deux raisons : ŕ cause de ce que lui-męme en
personne a fait pour eux et leur a enseigné ; et ŕ cause de ce qui allait
arriver en son absence [n° 2058].
Ce que le Christ a
personnellement fait et enseigné.
Le Seigneur montre que les Juifs sont
inexcusables d'abord ŕ cause de son enseignement de la vérité, puis ŕ cause de
l'évidence des signes [n° 2053].
I
SI JE
N'ÉTAIS PAS VENU ET NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ. MAIS
MAINTENANT ILS N'ONT PAS D'EXCUSE A LEUR PÉCHÉ. CELUI QUI ME HAIT, HAIT AUSSI
MON PČRE. (15, 22-23)
II montre d'abord ce qui pourrait
ętre invoqué pour leur excuse, ensuite que cet appui leur fait défaut [n° 2049]
et enfin il montre ce qui est ŕ la racine de leur persécution [n° 2050].
SI JE
N'ÉTAIS PAS VENU ET NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ.
2045. Le Seigneur dit donc : Tout cela, ils vous le feront ŕ cause de mon
nom ; et assurément,
on pourrait les en excuser, SI JE N'ÉTAIS PAS VENU ET NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ. Autrement dit, si je ne
m'étais pas montré en personne et ne les avais pas enseignés personnellement,
ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ.
2046. Contre cela, l'épître aux Romains affirme : Tous ont péché, et ont
besoin de la
grâce de Dieu1. Mais il faut dire que le Seigneur ne
parle pas ici de n'importe quel péché mais du péché d'infidélité, parce qu'ils
ne croient pas dans le Christ. Un tel péché est dit par antonomase2, parce que lorsqu'un tel péché existe, aucun autre ne peut ętre remis,
puisque aucun péché n'est remis sinon par la foi en Jésus Christ, de laquelle
vient toute justice, selon l'épître aux Romains3.
1. Jn8, 19.
2. Jr 9, 24. Saint Thomas commente : Ť II
exclut ici la fausse confiance qu'apporte
la fuite : Qu'il ne se glorifie pas, comme s'il croit se libérer par lŕ, dans sa sagesse,
qui est ce qu'il y a de préférable parmi
les biens humains de l'âme, ni dans sa force, qui est ce qu'il y a de préférable parmi les biens
humains du corps, ni dans les richesses Or 9, 23), qui sont les
préférables parmi les biens extérieurs - Ne multipliez pas les paroles hautaines en vous glorifiant (1 S 2, 3). Et il montre la vraie confiance : Mais qu'il se glorifie de cela,
celui qui se glorifie de la
science de moi, par la connaissance qui est dans l'intelligence, et de la connaissance de moi, par
l'expérience de la douceur dans
l'affection - En Dieu est mon salut et ma gloire (...) ; et mon
espérance est en Dieu (Ps 61, 8). - Celui qui se glorifie, qu'il se
glorifie dans Ť Seigneur (2
Co 10, 17) ť (Exp. super Hier., IX, lectio 6).
3. Sg 15,
3. La Vulgate emploie le mot Ť justice ť (iustitia) ŕ la place de sensus que nous avons
traduit ici par Ť intelligence ť.
Et voilŕ pourquoi ce qu'il dit : ILS
N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ, revient ŕ dire : le fait qu'ils ne croient pas en moi
ne leur serait pas imputé. Et ceci premičrement parce que la foi vient de
l'audition, selon l'épître aux Romains4. Aussi, s'il n'était pas venu et ne
leur avait pas parlé, ils n'auraient pas pu croire. Or, ne pas faire ce qu'on
ne peut faire d'aucune maničre, cela n'est compté comme péché ŕ personne.
2047. Et si l'on dit qu'ils étaient tenus de croire, et qu'ils le pouvaient
męme si le Christ n'était pas venu, puisqu'il leur avait été annoncé par les
prophčtes - [L'Évangile de Dieu] que d'avance il avait promis par ses prophčtes dans les
Saintes Écritures au sujet de son Fils5 -, voici ce qu'il faut répondre :
les paroles męmes des prophčtes, les Juifs ne pouvaient pas les croire et les
comprendre par eux-męmes, sans qu'elles leur fussent montrées par un secours
divin - Ces paroles sont fermées et scellées jusqu'au temps fixé0. Aussi l'eunuque disait-il dans les Actes : Comment puis-je comprendre si
personne ne me montre ?7
Ainsi donc, si le Christ n'était pas
venu, ils n'auraient pas ce péché, celui d'infidélité, mais ils auraient eu
cependant d'autres péchés actuels pour lesquels ils auraient été punis. Et une
raison semblable vaut pour tous ceux ŕ qui la prédication de la parole de Dieu
n'a pu parvenir. Par le fait męme, le péché d'infidélité ne leur est pas imputé
pour leur condamnation ; mais, privés du bienfait de la foi en raison de
leurs autres péchés, actuels et originel, ils sont condamnés8.
1. Rm 3,
23. Voir vol. I, n° 714, note 3.
2. Sur le
sens du mot antonomase, voir vol. I, n° 1098, note 1, ou ci-dessus, n°
1729, note 8.
3. Voir
Rm 3, 21 ŕ 5, 21.
4. Rm 10,
17. Voir ci-dessus, n° 1619, note 5.
5. Rm 1,
2.
6. Dn 12,
9.
7. Ac 8,
31.
2048. Il faut savoir que, pour beaucoup, l'avčnement et l'enseignement du
Christ ont tourné ŕ leur bien, pour ceux qui l'ont reçu et ont gardé sa
parole ; et que pour beaucoup ils ont tourné ŕ leur mal, c'est-ŕ-dire pour
ceux qui n'ont voulu ni l'écouter, ni le croire - Il sera pour vous une sanctification, une pierre
d'achoppement, un rocher oů l'on trébuche, pour les deux maisons d'Israël, un
filet et un pičge pour les habitants de Jérusalem9. - Celui-ci a été établi pour la
ruine et la résurrection de beaucoup10.
MAIS
MAINTENANT ILS N'ONT PAS D'EXCUSE Ŕ LEUR PÉCHÉ.
2049. Le Seigneur vient donc d'exposer ce par quoi on pourrait excuser les
persécuteurs de leur infidélité. Mais ŕ cela il n'y a pas de fondement, parce
que le Christ s'est présenté personnellement ŕ eux et les a enseignés. Aussi
dit-il : MAIS MAINTENANT, c'est-ŕ-dire du fait que je suis venu et leur ai
parlé, ILS N'ONT PAS
D'EXCUSE, c'est-ŕ-dire l'excuse de l'ignorance, Ŕ LEUR PÉCHÉ - Ils sont donc
inexcusables puisque, connaissant Dieu, ils ne Vont pas glorifié ni remercié
comme Dieu1. Or, qu'ils aient connu le Christ, cela est évident - Voici l'héritier ; venez, tuons-le2. Mais ils ont connu qu'il était le Christ promis dans
la Loi, non pas qu'il était Dieu ; car s'ils l'avaient connue [cette sagesse], ils
n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire3. L'ignorance ne sert donc pas ŕ les excuser,
puisqu'ils n'ont pas fait cela par ignorance, mais pour un autre motif, ŕ
savoir par haine et en raison de leur malice bien déterminée.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., LXXXIX, 1, BA 74B, p. 181.
9. Is 8,
14. Saint Thomas commente : Ť Il sera pour vous. Il montre ici le
fruit de l'obéissance : une sanctification, c'est-ŕ-dire il vous fera
saints - C'est moi le Seigneur qui vous sanctifie (Lv 22, 32). Une
pierre d'achoppement : (...) il montre l'occasion de la peine (...) grâce ŕ
la métaphore de la pierre sur le chemin, qui est un obstacle pour le voyageur
de deux maničres : en blessant son pied et en étant une occasion de chute. De
męme le Christ fut, pour ceux des Juifs qui étaient incrédules, occasion de
blessure et de chute, non pas par sa faute, mais par la leur. Il dit donc : Il sera
pour les deux maisons d'Israël, c'est-ŕ-dire pour les infidčles des
douze tribus, ou les scribes et les pharisiens, une pierre d'achoppement quant
ŕ la blessure - Ils ont buté contre la pierre d'achoppement (Rm 9, 32) -
et un rocher oů l'on trébuche (in petram scandali), oů le pied se heurte
jusqu'ŕ faire tomber : σκάνδαλον
en grec, en latin "pierre d'achoppement" - Mais nous, nous
pręchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les paďens (1
Co 1, 23) ť (Exp. super Isaiam, 8, 14, p. 65, 1. 409-430).
10. Le 2,
34.
CELUI QUI ME HAIT, HAIT AUSSI MON PČRE.
2050. Le Seigneur ajoute cela comme pour dire : leur péché, ce n'est pas
l'ignorance, mais la haine qu'ils ont eue ŕ mon égard, et cela parce qu'elle
rejaillit en haine pour le Pčre.
En effet, puisque le Fils et le Pčre
sont un dans leur essence, leur vérité et leur bonté, et que toute connaissance
d'une réalité se fait par la vérité qui est en elle, et que semblablement tout
ce qui est aimé l'est par la bonté qui est en lui, quiconque aime le Fils, aime
aussi le Pčre ; et quiconque connaît l'un, connaît l'autre semblablement.
C'est pourquoi celui qui hait le Fils, hait aussi le Pčre.
2051. Mais ici surgissent deux questions. La premičre : quelqu'un peut-il
avoir Dieu en haine ? Il faut dire que Dieu, en tant qu'il est Dieu,
personne ne peut l'avoir en haine, puisque Dieu est la pure essence de la
bonté, qui, étant aimable en elle-męme, ne peut ętre haďe en elle-męme par qui
que ce soit. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il est impossible que
quelqu'un de mauvais voie Dieu. Car il est impossible que Dieu soit vu de
quelqu'un qui ne l'aime pas ; mais celui qui aime Dieu est bon. Aussi
est-il incompatible que quelqu'un voie Dieu et soit mauvais.
Cependant, on peut avoir Dieu en
haine selon un autre point de vue : par exemple celui qui aime la volupté hait
Dieu en tant qu'il réprouve les jouissances des voluptés, et celui qui cherche
l'impunité hait la justice punitive de Dieu.
2052. La deuxičme question est la suivante : personne ne peut avoir en haine
ce qu'il ignore ; or les Juifs ignoraient le Pčre, comme l'a dit le
Seigneur auparavant : Ils ne connaissent pas celui qui m'a envoyé4. Ce qu'il dit : [IL] HAIT AUSSI MON PČRE ne
semble donc pas vrai.
Mais on doit dire, selon Augustin5, que l'on peut aimer ou haďr quelqu'un qu'on n'a jamais vu, et qu'on
ne connaît pas en vérité mais seulement d'aprčs ce que l'opinion dit de lui en
bien ou en ma1. Et ceci peut arriver de deux maničres. Soit on l'a en haine ou
on l'aime pour sa propre personne, soit c'est ŕ cause de ce qu'on raconte de
lui : par exemple, si j'entends dire que quelqu'un est un voleur, je le hais,
non pas que je connaisse ou haďsse sa propre personne, mais parce que j'ai de
la haine pour tout voleur en général ; c'est pourquoi, si quelqu'un était
voleur et que moi je ne le sache pas, je l'aurais en haine, sans toutefois
savoir que je le hais.
Les Juifs, quant ŕ eux, avaient en
haine le Christ et la vérité qu'il pręchait. Et comme la vérité męme que le
Christ pręchait était dans la volonté de Dieu le Pčre, ainsi que les uvres
qu'il faisait, de męme, comme ils haďssaient le Christ, ils haďssaient le Pčre,
sans savoir que tout cela était dans la volonté du Pčre.
1. Rm 1,
20-21.
2. Mt 21,
38.
3. 1 Co
2, 8.
4. Jn 15,
21.
5. Tract,
in Io., XC, 1 et 3, BA 74B, p. 191-193 et 197-201. Saint Augustin distingue
une opinion qui transmet une connaissance vraie de telle personne, d'une
opinion mensongčre (quant ŕ cette personne) qui nous laisse au niveau d'une
connaissance générale du bien et du ma1.
II
SI JE
N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES UVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES, ILS N'AURAIENT
PAS DE PÉCHÉ. MAIS MAINTENANT, ILS ONT VU, ET ILS NOUS ONT HAĎS, MOI ET MON
PČRE ! MAIS C'EST POUR QUE S'ACCOMPLISSE LA PAROLE QUI EST ÉCRITE DANS
LEUR LOI ILS M'ONT HAĎ GRATUITEMENT. (15, 24-25)
2053. Que les persécuteurs soient inexcusables, le Seigneur le montre ici par
l'évidence des signes. Car ils pourraient dire que ses paroles contre eux ne
les ont pas convaincus ; aussi confirme-t-il ses paroles par des faits
prodigieux, en disant : SI JE N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX
DES UVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ.
Tout d'abord, il montre qu'ils
pourraient ętre excusables jusqu'ŕ un certain point ; puis il montre la
racine de leur péché [n° 2056] ; enfin, il fait intervenir une autorité [n°
2057].
SI JE
N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES UVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES, ILS N'AURAIENT
PAS DE PÉCHÉ.
2054. Quant au premier point, deux questions se posent. La premičre concerne
la vérité de l'affirmation précédente : SI JE N'AVAIS PAS
FAIT PARMI EUX DES UVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES. Lŕ, on se demande si le Christ a fait parmi eux
des uvres bonnes que nul autre n'avait faites. Et il semble que non ; car
si l'on dit que le Christ a ressuscité des morts, cela Élie 1 et Elisée2 l'ont fait, eux aussi. Si le Christ
a marché sur la mer3, Moďse a partagé la mer en deux4. Mais Josué, lui, a fait quelque chose de plus grand : que le soleil
s'immobilise5. Le Christ les confond donc d'une
maničre inconvenante et ce qui s'ensuit semble dépourvu de vérité.
Je réponds que, selon Augustin6, le Seigneur ne parle pas ici de n'importe quels miracles réalisés
parmi eux, c'est-ŕ-dire en leur présence, mais de ceux réalisés PARMI EUX,
c'est-ŕ-dire en leurs personnes. Car en ce qui concerne la guérison de malades,
personne n'en a fait parmi eux autant que le Christ ; du reste, dans
d'autres domaines également, il a fait DES UVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES
parce qu'il n'y a aucun autre homme qui ait été fait Dieu7, et qu'aucun homme n'est né d'une vierge sinon le Christ.
Il a donc FAIT PARMI EUX DES UVRES
QUE NUL AUTRE N'A FAITES quant ŕ la guérison de malades, et cela de trois
maničres. Premičrement, en grandeur, puisqu'il a relevé d'entre les morts un
mort de quatre jours8, qu'il a rendu la lumičre ŕ un
aveugle de naissance9, ce qu'on n'a jamais entendu dire10. Deuxičmement, en nombre, comme le dit Matthieu11, car il guérissait, quel qu'en soit le nombre, tous ceux qui avaient
quelque maladie, ce que personne d'autre n'avait fait. Troisičmement, dans la
maničre de faire : car les autres procédaient en invoquant, montrant ainsi
qu'ils ne le faisaient pas par leur propre puissance, tandis que le Christ
procédait en commandant, comme de sa propre puissance - Quel est ce nouvel enseignement, donné avec
autorěté ? Il commande męme aux esprits impurs, et ils lui
obéissent !1 Ainsi donc, bien que d'autres aient
ressuscité certains morts et fait d'autres actions miraculeuses que le Christ a
faites, ce n'était toutefois pas de la męme maničre ni par leur propre
puissance comme le Christ. De męme, ce qu'on rapporte de l'immobilisation du
soleil est moins important que ce que le Christ a fait en mourant : il fit
reculer la lune et changea toute la course du firmament, comme le dit Denys2.
1. Voir 1 R 17, 17-24.
2. Voir 2 R4, 18-37.
3. Cf. Mt 14, 25 ; Mc 6, 48 ; Jn 6, 19.
4. Voir Ex 14, 21.
5. Voir Jos 10, 12-14.
6. Tract, in Io., XCI, 2,
BA 74B, p. 205-209.
7. Voir ci-dessus, n° 1711, note 3.
8. Voir Jn 11, 17-44.
9. Voir Jn 9, 1-7.
10. Jn 9, 32.
11. Cf. Mt
14, 35-36 Et on lui présenta tous ceux qui allaient ma1. Et on le priait
de leur laisser seulement toucher la frange de son manteau ; et tous ceux
qui la touchčrent furent complčtement sauvés.
2055. La deuxičme question concerne la vérité de la proposition conditionnelle
suivante : SI [LE CHRIST] N'AVAIT PAS FAIT PARMI EUX LES UVRES QUE NUL AUTRE
N'A FAITES, ils seraient exempts du péché d'infidélité.
La réponse est : si nous parlions de
n'importe quels miracles, les persécuteurs auraient une excuse si le Christ ne les
avait pas réalisés parmi eux. Car personne ne peut venir au Christ par la foi
s'il n'est attiré - Nul ne peut venir ŕ moi si le Pčre qui m'a envoyé ne
l'attire3. C'est pour cela que, dans le Cantique des
cantiques, l'épouse dit : Attire-moi ŕ ta suite, nous courrons ŕ
l'odeur de tes parfums4. Voilŕ pourquoi, s'il n'y avait
personne pour les attirer ŕ la foi, ils seraient excusables de leur infidélité.
Mais remarquons que le Christ a
exercé une attraction par sa parole, par des signes visibles et invisibles,
c'est-ŕ-dire en remuant et en éveillant de l'intérieur leurs curs - Le cur
du roi est dans la main de Dieu5. L'uvre de Dieu en nous est donc un
instinct intérieur qui nous pousse ŕ bien agir, et ceux qui y résistent
pčchent ; autrement, c'est en vain qu'Etienne aurait dit : Toujours
vous résistez, vous, ŕ l'Esprit-Saint6. - Le Seigneur m'a ouvert l'oreille, celle du cur, et moi je ne le
contredis pas7. Ce que le Seigneur dit : SI JE
N'AVAIS PAS FAIT PARMI EUX DES UVRES QUE NUL AUTRE N'A FAITES, doit donc
s'entendre non seulement des uvres visibles, mais aussi de cet instinct
intérieur et de l'attraction de son enseignement ; et assurément, s'il
n'avait pas réalisé cela parmi eux, ILS N'AURAIENT PAS DE PÉCHÉ. Ainsi donc, on
voit clairement de quelle maničre ils pourraient ętre excusés, c'est-ŕ-dire si
le Seigneur n'avait pas fait d'uvres miraculeuses parmi eux.
MAIS
MAINTENANT, ILS ONT VU, ET ILS NOUS ONT HAĎS, MOI ET MON PČRE ! (15, 24)
2056. Ici le Seigneur montre ce qui est ŕ la racine du péché d'infidélité
qu'ils encouraient : c'est la haine, ŕ cause de laquelle ils ne croyaient pas
aux uvres qu'ils avaient vues. Aussi dit-il : MAIS MAINTENANT, ILS ONT VU -
sous-entendu les uvres que j'ai faites parmi eux -, ET ILS NOUS ONT HAĎS, MOI
ET MON PČRE - Puisqu'ils ont eu en haine la discipline et n'ont pas reçu la
crainte du Seigneur8. Et, comme le dit Grégoire, dans l'Église il y
en a qui non seulement ne font pas le bien, mais aussi persécutent, et ce
qu'ils négligent de faire eux-męmes, ils le détestent encore chez les
autres ; aussi leur péché n'est-il pas commis par faiblesse ou ignorance,
mais par leur seule application9.
MAIS
C'EST POUR QUE S'ACCOMPLISSE LA PAROLE QUI EST ÉCRITE DANS LEUR LOI ILS M'ONT
HAĎ GRATUITEMENT. (15, 25)
1. Mc 1, 27.
2. Lettres,
VII, 2, PG 3, col. 1082.
3. Jn 6,
44.
4. Ct 1,
3 (propre ŕ la Vulgate).
5. Pr 21,
1.
6. Ac 7,
51.
7. Is 50,
5.
8. Pr 1,
29.
9. Moralium
libri, XXV, 11, PL 76, col. 339 C. Saint Grégoire avait auparavant
fait remarquer que l'on commet le péché de trois maničres : par ignorance, par
faiblesse ou avec application (studio). Et il ajoutait que si pécher par
faiblesse est plus grave que par ignorance, s'y appliquer l'est encore
davantage.
2057. On pourrait dire : si c'est un fait que les Juifs t'ont haď, toi et ton
Pčre, pourquoi fais-tu des miracles pour eux ? Aussi le Seigneur répond-il
en disant qu'il fait
cela POUR QUE S'ACCOMPLISSE LA PAROLE QUI EST ÉCRITE DANS LEUR LOI ILS M'ONT
HAĎ GRATUITEMENT.
Mais ŕ ce propos, un doute s'élčve :
pourquoi le Seigneur dit-il que cela est écrit dans leur Loi, alors qu'en fait
cela est écrit dans les Psaumes ?
Ŕ cela il faut répondre que, dans
l'Écriture, la Loi peut s'entendre en trois sens. Parfois, en effet, il s'agit
communément de tout l'Ancien Testament ; et c'est ainsi qu'on le comprend
ici, parce que toute la doctrine de l'Ancien Testament est ordonnée ŕ
l'observance de la Loi -
Souviens-toi de moi lorsque tu viendras dans ton royaume1. Parfois la Loi désigne la partie de l'Ancien Testament qu'on distingue
des hagiographes et des Prophčtes
- II faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de
Moďse, et les Prophčtes, et les Psaumes2, auxquels s'ajoutent aussi les
hagiographes. Et parfois la Loi désigne la partie de l'Ancien Testament qu'on
distingue des Prophčtes seulement ; les hagiographes sont alors comptés
avec les Prophčtes.
Le Seigneur dit donc : c'est POUR QUE S'ACCOMPLISSE LA PAROLE QUI EST ÉCRITE DANS LEUR LOI (c'est-ŕ-dire au psaume 34, 19 3) : ILS M'ONT HAĎ GRATUITEMENT, c'est-ŕ-dire non pas pour obtenir un avantage ou éviter un inconvénient, car c'est bien pour cela que l'homme déteste certaines choses, qui n'ont pas existé chez le Christ ; celui-ci, bien au contraire, leur donnait l'occasion d'aimer, en les guérissant et en les enseignant - Lui qui a passé en faisant le bien 4. - Le mal se rend-il pour le bien, quils creusent une fosse pour mon âme ?5 - Qu'est-ce que vos pčres ont trouvé d'injuste en moi pour s'éloigner de moi ?6
Le témoignage de l'Esprit Saint et des Apôtres.
2058. Le Seigneur montre ŕ présent que les persécuteurs sont inexcusables en
raison de ce qui allait survenir aprčs lui, parce qu'ils allaient avoir
d'autres témoignages : celui de l'Esprit Saint, et aussi celui des Apôtres. Il
expose d'abord ce qui leur adviendrait de la part de l'Esprit Saint, puis ce
qui leur serait donné par les Apôtres [n° 2067].
I
LORSQUE SERA VENU LE PARACLET QUE MOI JE VOUS ENVERRAI
D'AUPRČS DU PČRE, L'ESPRIT DE VÉRITÉ QUI PROCČDE DU PČRE, C'EST LUI QUI RENDRA
TÉMOIGNAGE DE MOI (15, 26)
En ce qui concerne l'Esprit Saint, il
touche quatre points : sa liberté ou sa puissance (potestas), sa douceur
[n° 2060], sa procession [n° 2061], son opération [n° 2066].
LORSQUE SERA VENU LE PARACLET
2059. D'abord la liberté ou la puissance de l'Esprit Saint - LORSQUE SERA
VENU LE PARACLET -, car on dit proprement de quelqu'un qu'il vient lorsqu'il va de lui-męme, de sa
propre autorité, et cela convient ŕ l'Esprit Saint qui souffle oů il veut1 -J'ai supplié, et l'Esprit de sagesse
est venu en moi2. L'expression JE VOUS ENVERRAI ne
désigne donc pas une contrainte, mais l'origine.
1. Lc 23,
42.
2. Lc 24,
44.
3. Ou Ps
68, 5.
4. Ac 10,
38.
5. Jr 18,
20. Et la suite : Souviens-toi que je me suis tenu devant toi pour dire du
bien ŕ leur sujet, pour détourner d'eux ta fureur.
6. Jr 2,
5.
2060. Le Seigneur fait allusion ŕ la douceur de l'Esprit Saint en disant LE
PARACLET, c'est-ŕ-dire le Consolateur3. Car puisqu'il est l'Amour de Dieu,
il nous fait mépriser les réalités terrestres et adhérer ŕ Dieu, et par lŕ il
éloigne de nous douleur et tristesse, et nous procure la joie des réalités
divines - Le fruit de l'Esprit est charité, joie, paix (...)4 - L'Église était remplie de la consolation de l'Esprit Saint5.
QUE MOI
JE VOUS ENVERRAI D'AUPRČS DU PČRE, L'ESPRIT DE VÉRITÉ QUI PROCČDE DU PČRE
2061. En troisičme lieu, le Seigneur révčle une double procession de l'Esprit
Saint, et d'abord sa procession temporelle.
LE
PARACLET QUE MOI JE VOUS ENVERRAI D'AUPRČS DU PČRE
Lŕ il faut considérer que, lorsqu'on
dit que l'Esprit Saint est envoyé, ce n'est pas comme s'il changeait de lieu,
puisqu'il emplit le monde entier, comme le dit le livre de la Sagesse6 ; mais c'est parce qu'il commence ŕ habiter d'une nouvelle
maničre, par la grâce, en ceux dont il fait le temple de Dieu7 - Ne savez-vous pas que vous ętes le temple de Dieu, et que
l'Esprit de Dieu habite en vous ?8 Et il n'est pas contradictoire de
dire que l'Esprit Saint est envoyé et qu'il vient, car dire de lui qu'il vient
nous fait voir manifestement la majesté de sa divinité - [lui] qui opčre (...)
comme il le veut9. Et on dit qu'il est envoyé pour
montrer qu'il procčde d'un autre, car le fait de sanctifier la créature
rationnelle en habitant en elle, il le tient d'un autre, de qui il tient
d'ętre, comme le Fils tient d'un autre tout ce qu'il opčre.
Remarquons aussi que la mission de
l'Esprit Saint vient du Pčre et du Fils communément, comme l'indique
symboliquement l'Apocalypse : L'Ange me montra un fleuve d'eau de la vie -
c'est-ŕ-dire l'Esprit Saint - procédant du trône de Dieu et de l'Agneau 10 - c'est-ŕ-dire du Christ. Voilŕ pourquoi, pour la mission de l'Esprit
Saint, il est fait mention du Pčre et du Fils par lesquels, en vertu d'une
égale et męme puissance, il est envoyé. Aussi le Christ présente-t-il parfois
le Pčre comme celui qui envoie, mais cependant pas sans le Fils - Mais le
Paraclet, l'Esprit Saint que le Pčre enverra en mon nom11 -, et parfois il se présente lui-męme comme
celui qui envoie, mais pas sans le Pčre : QUE MOI JE VOUS ENVERRAI D'AUPRČS DU
PČRE, parce que tout ce qu'opčre le Fils, il le tient du Pčre - Le Fils ne
peut rien faire de lui-męme1.
1. Jn3, 8.
2. Sg 7, 7.
3. Voir
ci-dessus, n° 1912, note 2.
4. Ga 5,
22. Saint Thomas commente : Ť La fin ultime par laquelle l'homme
est rendu parfait intérieurement est la joie, qui procčde de la présence de la
réalité aimée. Or celui qui a la charité a déjŕ ce qu'il aime - Celui qui demeure dans la
charité, demeure en Dieu et Dieu en lui (1 Jn 4, 16). Et de lŕ jaillit la
joie - Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur (Ph 4, 4). Or cette
joie doit ętre parfaite, et pour cela deux choses sont requises. Premičrement,
que la réalité aimée suffise ŕ celui qui aime ŕ cause de sa perfection. Et
quant ŕ cela, il dit : paix ; en effet, celui qui aime a la paix quand il possčde suffisamment
la réalité aimée - Aussi
ai-je ŕ ses yeux trouvé la paix (Ct 8, 10). Deuxičmement, que l'on jouisse
parfaitement de la réalité aimée (...) car, quoi qu'il arrive, si quelqu'un jouit parfaitement de la réalité
aimée, notamment de Dieu, il ne peut ętre écarté de la jouissance de cette réalité - Grande paix pour ceux qui
aiment ta Loi [et] il n'y a pas pour eux de scandale (Ps 118, 165). Ainsi
donc la joie exprime la jouissance de la charité, mais la paix la perfection de
la charité. Et par elles l'homme est rendu parfait intérieurement relativement
aux biens ť {Ad Gai. lect.,
V, n° 330).
5. Ac 9,
31.
6. Cf. Sg 1, 7.
7. Voir Il Sent.,
ŕ. 26, q. 1, a. 1, c. : Ť II y a un don gratuitement donné qui
est incréé, ŕ savoir le Saint-Esprit. Mais que ce don soit maintenant possédé
alors qu'il ne l'était pas avant, cela n'arrive pas par un changement
quelconque dans le Saint-Esprit mais par une mutation dans celui ŕ qui il est
donné ť. Voir aussi Somme théol., I-II, q. 114, a. 3, ad 3 Ť Par la grâce, le Saint-Esprit
qui est la cause suffisante de la vie éternelle habite dans l'homme ť.
8. 1 Co 3, 16.
9. 1 Co 12, 6 et 11.
10. Ap 22, 1.
11. Jn 14, 26. Voir ci-dessus, n° 1956.
L'ESPRIT DE VÉRITÉ QUI PROCČDE DU PČRE
2062. En second lieu, le Seigneur révčle la procession éternelle2. Et lŕ il montre également que l'Esprit Saint appartient au Fils, en
disant : L'ESPRIT DE VÉRITÉ, car lui-męme en effet est la Vérité - Moi je
suis le Chemin, la Vérité et la Vie3 ; et que l'Esprit Saint appartient au Pčre,
lorsqu'il dit : QUI PROCČDE DU PČRE. Ainsi donc, quand il dit : L'ESPRIT DE
VÉRITÉ, cela revient au męme que s'il disait : l'Esprit du Fils - Dieu a
envoyé dans nos curs l'Esprit de son Fils4.
Et puisque ce nom
Ť esprit ť exprime une certaine impulsion, et que tout mouvement a un
effet qui convient ŕ son principe (comme la chaleur rend chaud), il s'ensuit
que l'Esprit Saint rend ceux auxquels il est envoyé semblables ŕ celui dont il est
l'Esprit. Et parce qu'il est L'ESPRIT DE VÉRITÉ, il enseigne la vérité tout
entičre, comme il est dit plus loin : Mais quand il viendra, lui, l'Esprit
de vérité, il vous enseignera la vérité tout entičre5. - L'inspiration du Tout-Puissant donne l'intelligence6. De męme, parce qu'il est l'Esprit du Fils, il
fait des fils - Vous avez reçu un esprit d'adoption filiale7
1. Jn 5,
19. Saint Thomas met souvent cela en lumičre, comme par exemple dans le Contra
Gentiles, IV, ch. 25 Ť II n'y a rien d'étonnant ŕ ce que le Seigneur
ait dit que l'Esprit Saint procčde du Pčre sans faire aucune mention de
lui-męme ; car il a coutume de référer tout au Pčre, de qui il a tout ce
qu'il a, comme quand il dit : Ma doctrine n'est pas de moi mais de celui qui
m'a envoyé, le Pčre (Jn 7, 16) ť.
2. Sur
l'Esprit Saint procédant du Pčre et du Fils, voir entre autres vol. I, n° 1004,
note 10, et ci-dessus, n° 1911, note 7 ; n° 1912 et note 2 ; n° 1971,
note 9. Voir aussi Somme théol., I, q. 36.
3. Jn 14,
6.
4. Ga 4,
6.
5. Jn 16,
13.
6. Jb 32,
8.
7. Rm 8,
15. Au sujet de Rm 8, 29 saint Thomas commente : Ť L'adoption des enfants
n'est autre que cette conformité [ŕ l'image du Fils]. Car celui qui est adopté
comme fils devient conforme au Fils véritable, d'abord par le droit ŕ participer
ŕ l'héritage (cf. Rm 8, 17). (...) Ensuite, par la participation ŕ sa splendeur.
Lui-męme en effet est engendré du Pčre en tant que splendeur de sa gloire (cf. He
1,3). Aussi, en illuminant les saints de la lumičre de la sagesse et de la
grâce, le Fils les fait devenir conformes ŕ lui-męme ť (Ad Rom. lect., VIII,
n° 704). 8. 1s 19, 14.
Si le Seigneur dit L'ESPRIT DE
VÉRITÉ, c'est pour le différencier de l'esprit du mensonge - Le Seigneur a
répandu au milieu de l'Égypte un esprit d'égarement8. - Je sortirai, et je serai un esprit
menteur dans la bouche de tous ses prophčtes9.
2063. Mais parce qu'il dit : QUI PROCČDE DU PČRE, sans ajouter Ť et du
Fils ť, les Grecs disent que l'Esprit Saint ne procčde pas du Fils, mais
seulement du Pčre, ce qui ne peut absolument pas ętre.
En effet, l'Esprit Saint ne pourrait
pas ętre distingué du Fils s'il ne procédait du Fils ou, inversement, si le
Fils ne procédait de lui, ce que personne ne dit. Car on ne peut pas dire
qu'entre les personnes divines, qui sont tout ŕ fait immatérielles et simples,
il y ait une distinction matérielle, celle qui se fait selon la division de la
quantité (la matičre étant le fondement de la quantité). Il faut donc que la
distinction 10 des personnes divines soit selon le
mode d'une distinction formelle, parce qu'il faut qu'elle soit selon une
opposition. Car des formes non opposées, quelles qu'elles soient, peuvent se
trouver ensemble dans une męme réalité sans diversifier le sujet ; par
exemple, le blanc et le grand. C'est pourquoi, pour les personnes divines,
l'innascibilité 11 et la paternité, parce qu'elles ne
s'opposent pas, appartiennent ŕ une seule personne. Si donc le Fils et l'Esprit
Saint sont des personnes distinctes procédant du Pčre, on doit les distinguer
par des propriétés opposées ! : non pas opposées selon l'affirmation et la
négation, ni selon la privation et l'avoir, parce qu'alors le Fils et l'Esprit
Saint seraient l'un par rapport ŕ l'autre comme l'ętre et le non-ętre, ou comme
le parfait et le dépourvu, ce qui répugne ŕ leur égalité ; ce n'est pas
non plus selon l'opposition de contrariété, parce qu'entre des contraires, l'un
est toujours plus parfait que l'autre. Il reste donc que l'Esprit Saint se
distingue du Fils par la seule opposition relative.
9. 1 R
22, 22.
10. Voir Somme
théol., I, notamment q. 28, a. 3. Voir aussi ci-dessus, n° 1911 et note
7 ; n° 1946 ; n° 2112 et note 7.
11. Saint
Thomas emploie ce terme pour signifier que le Pčre est celui qui ne procčde
d'aucun autre. Voir Somme théol., I, q. 32, a. 3.
Or cette opposition ne peut exister
que du fait que l'un des opposés se rapporte ŕ l'autre. Car des relations
diverses entre deux réalités et une troisičme ne s'opposent pas directement, si
ce n'est peut-ętre accidentellement dans les conséquences. Aussi reste-t-il,
pour que l'Esprit Saint se distingue du Fils, ŕ leur attribuer des relations
opposées, par lesquelles ils s'opposent mutuellement. Et on ne peut trouver
d'autres relations que des relations d'origine, selon que l'un vient de
l'autre. Il est donc impossible, supposée la Trinité des personnes, que
l'Esprit Saint ne vienne pas du Fils.
2064. Certains disent que l'Esprit Saint et le Fils se distinguent selon la
différence des processions, en tant que le Fils est ŕ partir du Pčre en
naissant, et l'Esprit Saint en procédant.
Mais on revient encore ŕ la męme
question : comment ces deux processions diffčrent-elles ? En effet, on ne
peut pas dire qu'elles se distinguent par ce qui serait reçu de divers dans la
génération, ŕ la maničre dont la génération de l'homme et celle du cheval
diffčrent selon les diverses natures communiquées ; en effet, c'est la
męme nature divine que le Fils reçoit du Pčre en naissant, et l'Esprit Saint en
procédant. Il reste donc qu'ils se distinguent seulement selon l'ordre d'origine,
c'est-ŕ-dire en tant que la naissance du Fils est principe de la procession de
l'Esprit Saint. C'est pourquoi, si l'Esprit Saint n'était pas [ŕ partir] du
Fils, il ne serait pas distinct de lui, pas plus que la procession ne serait
distincte de la naissance.
1. Voir Somme
théol, I, q. 30, a. 2.
C'est pourquoi męme les Grecs
reconnaissent un certain ordre entre le Fils et l'Esprit Saint : ils disent que
l'Esprit Saint est l'Esprit du Fils, et que le Fils opčre par l'Esprit Saint,
mais non pas l'inverse. Certains aussi concčdent que l'Esprit Saint est [ŕ
partir] du Fils et cependant ils ne veulent pas concéder que l'Esprit Saint
procčde du Fils ; mais lŕ ils parlent manifestement avec impudence. Nous
utilisons en effet le mot Ť procession ť pour tout ce qui est, d'une
maničre ou d'une autre, [ŕ partir] d'un autre (ab alio), et c'est
pourquoi, en raison de son caractčre trčs commun, ce mot convient pour désigner
l'existence de l'Esprit Saint ŕ partir du Fils, existence dont on ne peut
trouver dans les créatures aucun exemple ŕ partir duquel on pourrait lui donner
un nom propre, comme le nom de Ť génération ť pour le Fils. Car si
dans les créatures on trouve bien une personne procédant selon la nature comme
fils, on n'en trouve pas qui procčde selon la volonté comme amour. Voilŕ
pourquoi on peut conclure que l'Esprit Saint, quelle que soit la maničre dont
il se rapporte au Fils, procčde de lui.
2065. Cependant, certains parmi les Grecs affirment qu'on ne doit pas dire
que l'Esprit Saint procčde du Fils parce que cette préposition Ť de ť
(a ou ab) désigne chez eux un principe ne dépendant pas d'un
principe, ce qui convient au Pčre seu1. Mais cette raison n'est pas
contraignante parce que le Fils est avec le Pčre un seul principe de l'Esprit
Saint, comme aussi des créatures. Or, bien que le Fils tienne du Pčre d'ętre
principe des créatures, on dit cependant que les créatures sont [ŕ partir] du
Fils ; aussi peut-on dire, pour la męme raison, que l'Esprit Saint procčde
du Fils. Et rien ne s'oppose ŕ ce que le Seigneur dit ici : QUI PROCČDE DU
PČRE, et non pas Ť du Pčre et du Fils ť, car il dit semblablement :
QUE MOI JE VOUS ENVERRAI, et cependant on comprend que c'est le Pčre qui
envoie, du fait qu'il ajoute : D'AUPRČS DU PČRE. De męme encore, le fait qu'il
ajoute : L'ESPRIT DE VÉRITÉ, c'est-ŕ-dire du Fils, fait comprendre qu'il
procčde du Fils. Car toujours, comme nous l'avons dit, le Fils est conjoint au
Pčre et réciproquement, en ce qui concerne la procession de l'Esprit
Saint ; ainsi emploie-t-on des expressions diverses pour signifier la
distinction des personnes.
C'EST LUI QUI RENDRA TÉMOIGNAGE DE MOI.
2066. En quatričme lieu le Seigneur, en disant : C'EST LUI QUI RENDRA
TÉMOIGNAGE DE MOI, révčle les opérations de l'Esprit Saint qui rend témoignage
d'une triple maničre : premičrement, en instruisant les disciples et en leur
donnant confiance pour témoigner - Car ce n'est pas vous qui parlez, mais
l'Esprit de votre Pčre qui parle en vous1. Deuxičmement, en communiquant ŕ ceux qui croient en le Christ son enseignement
- Dieu y joignant son témoignage par des signes et des prodiges, et par des
miracles divers et des répartitions variées d'Esprit Saint2. Troisičmement, en attendrissant les curs de
ceux qui écoutent - Envoie ton esprit, et ils seront créés3.
II
ET VOUS
AUSSI, VOUS RENDREZ TÉMOIGNAGE, PARCE QUE VOUS ĘTES AVEC MOI DEPUIS LE
COMMENCEMENT. (15, 27)
2067. Enfin, le Seigneur révčle ce qui allait se passer du côté des disciples
: ET VOUS AUSSI, VOUS RENDREZ TÉMOIGNAGE, inspirés par l'Esprit Saint - Vous
serez mes témoins ŕ Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusquaux
extrémités de la terre4. Les Actes parlent de ce double
témoignage : Nous sommes témoins de ces choses, nous et l'Esprit Saint que
le Seigneur a donné ŕ tous ceux qui lui obéissent5.
Et il ajoute que leur témoignage
convient parfaitement [est idoine] en disant : PARCE QUE VOUS ĘTES AVEC MOI
DEPUIS LE COMMENCEMENT, c'est-ŕ-dire le commencement de la prédication et de
l'accomplissement des miracles ; ainsi ils pourraient témoigner de ce
qu'ils ont vu et entendu, selon cette parole de la premičre épître de Jean : Ce
que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons6.
Par lŕ aussi on peut comprendre que
le Christ n'a pas fait de miracles dans son enfance, comme le rapportent certains
apocryphes, mais seulement ŕ partir du moment oů il a rassemblé les disciples.
1. Mt 10, 20.
2. He 2, 4.
3. Ps 103, 30.
4. Ac 1, 8.
5. Ac 5,
32.
6. 1 Jn
1, 3.
Évangile
selon saint Jean Chapitre XVI
1
Ť Je vous ai dit ces choses afin que vous ne soyez pas scandalisés. 2 Ils
vous excluront des synagogues. Mais l'heure vient oů quiconque vous tuera
croira rendre hommage ŕ Dieu. 3 Et ils vous feront ces choses parce qu'ils ne
connaissent ni le Pčre, ni moi. 4 Mais je vous ai dit cela pour qu'une fois
leur heure venue, vous vous rappeliez que moi, je vous l'ai dit. 5 Et je ne
vous l'ai pas dit dčs le commencement, parce que j'étais avec vous.
Et
maintenant je vais vers celui qui m'a envoyé ; et aucun d'entre vous ne
m'interroge : Oů vas-tu ? 6 Mais parce que je vous ai dit ces choses, la
tristesse a rempli votre cur. 7 Mais moi, je vous dis la vérité : II est bon
pour vous que moi je m'en aille. Car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra
pas vers vous ; mais si je pars, je vous l'enverrai.
8 Et
quand il sera venu, il convaincra le monde au sujet du péché, et de la justice,
et du jugement. 9 Du péché, parce qu'ils n'ont pas cru en moi ; 10 de la
justice, parce que je vais vers le Pčre, et vous ne me verrez plus ; n du
jugement, parce que le prince de ce monde a déjŕ été jugé.
12 J'ai
encore beaucoup de choses ŕ vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter
maintenant. 13 Mais quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous
enseignera la vérité tout entičre. Car il ne parlera pas de lui-męme ;
mais tout ce qu'il entendra, il le dira, et ce qui va venir, il vous
l'annoncera. 14 Lui, il me glorifiera, parce qu'il recevra de ce qui est ŕ moi
et vous l'annoncera. 15 Tout ce qu'a le Pčre est ŕ moi. Voilŕ pourquoi j'ai dit
qu'il recevra de ce qui est ŕ moi, et vous l'annoncera. 16 Un peu de temps et
vous ne me verrez plus ; et encore un peu, et vous me verrez ; parce
que je vais vers le Pčre. ť
17
Quelques-uns de ses disciples se dirent donc entre eux : Ť Qu'est-ce qu'il
nous dit lŕ : Un peu de temps et vous ne me verrez plus ; et encore un
peu, et vous me verrez, et : Parce que je vais vers le Pčre ? ť 18
Ils disaient donc : Ť Qu'est-ce qu'il dit : encore un peu ? Nous ne
savons pas de quoi il parle. ť 19 Jésus connut qu'ils voulaient l'interroger,
et il leur dit : Ť Vous vous demandez les uns aux autres ce que j'ai dit :
Un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu, et vous me verrez ?
20 Amen, amen, je vous le dis, vous vous lamenterez et vous pleurerez ; le
monde, lui, se réjouira, et vous, vous serez tristes, mais votre tristesse se
changera en joie. 21 La femme, quand elle enfante, a de la tristesse, parce que
son heure est venue. Mais quand elle a donné naissance ŕ l'enfant, elle ne se
souvient plus de son affliction ŕ cause de la joie de ce qu'un homme est né
dans le monde. 22 Vous donc aussi, maintenant vous avez de la tristesse ;
mais de nouveau je vous verrai, et votre cur sera dans la joie, et votre joie,
nul ne vous l'enlčvera.
23 Et
en ce jour-lŕ vous ne m'interrogerez plus sur rien. Amen, amen, je vous le dis
: Si vous demandez quelque chose au Pčre en mon nom, il vous le donnera. 24
Jusqu'ŕ présent vous n'avez rien demandé en mon nom ; demandez, et vous
recevrez, pour que votre joie soit pléničre.
25 Ces
choses-lŕ, je vous les ai dites en proverbes ; elle vient, l'heure oů je
ne vous parlerai plus en proverbes, mais oů je vous parlerai ouvertement de mon
Pčre. 26 En ce jour-lŕ vous demanderez en mon nom, et je ne vous dis pas que
moi je prierai le Pčre pour vous ; 27 car le Pčre lui-męme vous aime,
parce que vous, vous m'avez aimé, et vous avez cru que je suis sorti de Dieu. 28
Je suis sorti du Pčre et je suis venu dans le monde ; de nouveau je quitte
le monde et je vais vers le Pčre. ť
29 Les
disciples lui disent : Ť Voici ŕ présent que tu parles ouvertement, et ne
dis aucun proverbe. 30 Nous savons maintenant que tu sais tout, et que tu n'as
pas besoin qu'on t'interroge. En ceci nous croyons que tu es sorti de Dieu. ť
31 Jésus leur répondit : Ť Ŕ présent vous croyez ? 32 Voici qu'elle
vient, l'heure, et elle est déjŕ venue, oů vous serez dispersés, chacun de son
côté, et vous me laisserez seul ; et cependant je ne suis pas seul, parce
que le Pčre est avec moi. 33 Je vous ai dit ces choses, pour qu'en moi vous
ayez la paix. Dans le monde vous aurez de l'affliction j mais ayez confiance :
moi j'ai vaincu le monde. ť
2068. Auparavant, en leur en donnant les raisons, le Seigneur a consolé ses
disciples de son départ1, ainsi que des persécutions et tribulations qui allaient leur advenir2 ; ŕ présent, il explique d'une maničre plus manifeste les raisons
propres par lesquelles il console ses disciples.
L'Évangéliste nous rapporte donc
l'explication des raisons données précédemment ; puis il expose l'effet de
cette explication sur les disciples [n° 2164].
Si on considčre bien les paroles des
deux chapitres précédents, on voit que le Seigneur avait l'intention de
consoler ses disciples de deux choses : de son départ et des tribulations qui
allaient leur advenir. Les raisons qu'il donnait alors dans ce double but, il
les explique maintenant, mais selon l'ordre inverse. En voici la raison : au
chapitre 14, comme son départ était tout ŕ fait imminent, et qu'il ne leur
annonçait pas encore les tribulations qui allaient leur advenir, il les consola
d'abord de son départ. Mais au chapitre 15, parce que des tribulations leur
avaient été annoncées, les disciples paraissaient davantage affectés par elles
que par le départ du Christ ; aussi, dans ce chapitre 16, les
console-t-il d'abord des tribulations qui allaient survenir, puis de son départ
[n° 2082].
1. Jn
14 ; voir ci-dessus, n° 1848.
2. Jn 15 ; voir ci-dessus, n° 1978.
JE VOUS
AI DIT CES CHOSES AFIN QUE VOUS NE SOYEZ PAS SCANDALISÉS. ILS VOUS EXCLURONT
DES SYNAGOGUES. MAIS L'HEURE VIENT OŮ QUICONQUE VOUS TUERA CROIRA RENDRE
HOMMAGE Ŕ DIEU. ET ILS VOUS FERONT CES CHOSES PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT NI LE
PČRE, NI MOI MAIS JE VOUS AI DIT CELA POUR QU'UNE FOIS LEUR HEURE VENUE, VOUS
VOUS RAPPELIEZ QUE MOI, JE VOUS L'AI DIT. ET JE NE VOUS L'AI PAS DIT DČS LE
COMMENCEMENT, PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS. (16, 1-5)
Le Seigneur manifeste d'abord son intention ; puis il annonce aux disciples une persécution avec des tribulations [n° 2070] ; enfin il ajoute la raison de cette persécution [n° 2075].
JE VOUS
AI DIT CES CHOSES AFIN QUE VOUS NE SOYEZ PAS SCANDALISÉS.
2069. Il dit donc : J'ai dit que les Juifs m'ont haď et vous ont haďs aussi,
parce qu'ils n'ont pas connu celui qui m'a envoyé. En cela ils sont
inexcusables, et l'Esprit Saint et vous-męmes témoignerez contre eux. Mais
toutes CES CHOSES \ JE VOUS LES AI DITES, AFIN QUE VOUS NE SOYEZ PAS
SCANDALISÉS, c'est-ŕ-dire pour que vous ne vous scandalisiez pas lorsque
viendront les tribulations que je vous annonce2.
Et c'est avec raison3 que le Seigneur, aprčs avoir promis l'Esprit Saint, interdit le
scandale, parce que l'Esprit Saint est amour4 - La chanté de Dieu a été
répandue dans nos curs par lEsprit Saint qui nous a été donné5 -, et qu'il chasse tout scandale - Grande paix pour ceux qui aiment
ta loi, pour eux il n'est pas de scandale6. Selon les
Proverbes7, n'est-ce pas le propre des amis que
de ne pas faire cas d'un dommage ŕ cause de leur ami ? Pour les amis de
Dieu, ce n'est donc pas un scandale de souffrir peines et dommages pour le
Christ. Mais parce qu'avant la mort du Christ les disciples n'avaient pas reçu
le Saint-Esprit, ils ont été scandalisés de sa Passion - Vous tous, vous serez
scandalisés ŕ mon sujet en cette nuit8. Tandis qu'aprčs l'avčnement de l'Esprit Saint, ils ne furent absolument
pas scandalisés.
1. Il
s'agit de ce qui a été dit en Jn 15, 18-27.
2. Cf. 1
Co 1, 23 Nous, nous pręchons le Christ crucifié ; pour les Juifs, il
est vrai scandale, et pour les Gentils, folie.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., XCIII, 1, BA 74B, p. 229.
4. Sur
l'Esprit Saint Paraclet, consolateur, voir ci-dessus, n° 1912, note 2 ; et
n"s 2058 sq. Voir
aussi plus loin, nos 2086 sq.
5. Rm 5,
5. Voir vol. I, n" 1234, note 8.
6. Ps
118, 165. Voir Somme théol, II-II, q. 45, a. 6, ad 1 Ť II
appartient ŕ la charité d'avoir la paix. Mais faire la paix est le propre de la
sagesse qui ordonne. Semblablement, l'Esprit Saint est appelé Esprit d'adoption
en tant que par lui nous est donnée la similitude de celui qui est Fils par
nature, qui est la sagesse engendrée ť.
7. Pr 12,
26 (verset propre ŕ la Vulgate) : Qui néglige un dommage ŕ cause d'un ami
est juste.
8. Mt 26,
31.
ILS
VOUS EXCLURONT DES SYNAGOGUES. MAIS L'HEURE VIENT OŮ QUICONQUE VOUS TUERA
CROIRA RENDRE HOMMAGE Ŕ DIEU.
2070. Mais les disciples pourraient dire : Y a-t-il pour nous matičre ŕ scandale ?
Et comment ! puisque beaucoup de tribulations s'abattront sur nous :
l'exclusion, d'abord, puis la mise ŕ mort [n° 2073].
ILS
VOUS EXCLURONT DES SYNAGOGUES.
2071. D'abord l'exclusion de la communauté des Juifs ; comme il est dit
plus haut : Les Juifs
s'étaient déjŕ entendus pour que, si quelqu'un confessait que Jésus est le
Christ, on l'exclűt de la synagogue1. Et cela fut tel, nous rapporte l'Évangile, que certains
chefs des Juifs, qui croyaient dans le Christ, craignaient pour cela de le
confesser publiquement2. C'est cette exclusion que le
Seigneur annonce ŕ ses disciples - Bienheureux serez-vous lorsque les hommes vous
haďront, et lorsqu'ils vous excluront et qu'ils insulteront et rejetteront
votre nom comme mauvais, ŕ cause du Fils de l'homme3.
2072. Mais était-ce vraiment un mal pour les Apôtres, d'ętre exclus de la
synagogue des Juifs, puisqu'ils allaient eux-męmes s'en retirer ?
Répondons avec Augustin4 que leur tribulation consistait en ce que le Seigneur laissait ainsi
entendre que les Juifs ne recevraient pas le Christ. Car, s'ils l'avaient reçu,
la synagogue des Juifs aurait été identique ŕ l'Église du Christ ; et
ceux qui se convertiraient ŕ l'Église du Christ seraient convertis ŕ la
synagogue des Juifs.
1. Jn9,
22.
2. Jn 12,
42 Cependant, męme parmi les chefs, beaucoup crurent en lui ;
mais ŕ cause des pharisiens ils ne le confessaient pas, de peur d'ętre exclus
de la synagogue. Sur la confession de foi, voir ci-dessus, n° 1601, note 2. Le
manque de courage de ces chefs des Juifs les maintient dans le mensonge et les
écarte de la béatitude des persécutés que Jésus promet ŕ ses disciples (cf. Mt
5, 10 ; Lc 6, 22-23 ; 1 Ρ 3, 14 et 4, 13-14).
3. Lc 6, 22.
4. Tract, in Io., XCIII, 2, ΒΑ 74Β, p. 231. Tout ce passage (nos
2072-2074) reprend son commentaire.
MAIS
L'HEURE VIENT OŮ QUICONQUE VOUS TUERA CROIRA RENDRE HOMMAGE Ŕ DIEU.
2073. Il s'agit lŕ de la mise ŕ mort. On peut assurément recevoir ces paroles
comme destinées ŕ consoler les disciples, le MAIS étant pris dans un sens d'opposition,
ce qui signifie alors : Vous devez pour ainsi dire vous consoler de ce qu'ils
vous feront, parce que L'HEURE VIENT OŮ QUICONQUE VOUS TUERA
CROIRA RENDRE HOMMAGE Ŕ DIEU 5.
Mais quelle consolation pouvait-il y
avoir pour eux ŕ ce que quiconque les tue croie RENDRE
HOMMAGE Ŕ DIEU ?
Ŕ cela il faut répondre, selon
Augustin6, que l'affirmation ILS VOUS
EXCLURONT DES SYNAGOGUES donnait ŕ entendre que ceux qui se convertiraient au
Christ devraient aussitôt ętre tués par les Juifs. Aussi, pour les consoler, le
Seigneur leur dit qu'expulsés des assemblées des Juifs, ils allaient gagner au
Christ un tel nombre de personnes qu'on ne pourrait pas les détruire. Et pour
cela on chercherait ŕ les mettre ŕ mort, de peur qu'ils ne convertissent tout
le monde au nom du Christ, par leur prédication.
Ou bien on doit répondre qu'en cela
le Seigneur leur a
annoncé la tribulation de leur mise ŕ mort.
5. Le
texte grec a la conjonction adversative αλλά. Ici elle est
généralement comprise dans le sens de : Ť bien plus ť (cf. M. -J. Lagrange, L'Évangile selon saint
Jean [Études bibliques], Gabalda-Lecoffre, Paris, 19252, p. 415). En considérant presque
systématiquement que les paroles de Jésus ont pour but principal de consoler
ses disciples, saint Thomas suit de prčs la pensée de saint Augustin. Plutôt
que de donner au Ť mais ť (sed) une note plus large que la
simple indication d'opposition, ils se demandent comment, malgré tout, la
séparation d'avec les Juifs qui refusent de suivre le Christ est promesse de
bienfait pour les disciples, Ť comme si [le Christ] annonçait quelque
chose de bon aprčs ces maux ť (cf. saint
Augustin, Tract, in Io., XCIII, 3, ΒΑ 74Β, ρ.
235-239).
6. Tract, in Io., XCIII, 4, ΒΑ 74Β, ρ. 241.
2074. Le Seigneur dit toutefois qu'on CROIRA RENDRE HOMMAGE Ŕ DIEU, et non pas Ť aux dieux ť ; pour donner ŕ entendre qu'il s'agit seulement de la persécution venant des Juifs - Voici que moi j'envoie vers vous des prophčtes., et des sages, et des scribes. Vous en tuerez et crucifierez 1. Les martyrs du Christ, en effet, ont été tués par les Gentils, mais ceux-ci cependant n'ont pas cru rendre hommage ŕ Dieu, mais seulement ŕ leurs dieux. Or si les Juifs, en tuant les prédicateurs du Christ, estimaient rendre hommage ŕ Dieu, c'est parce qu'ils avaient pour Dieu un zčle, mais qui n'était pas éclairé par la connaissance ; car ils croyaient que quiconque se convertissait au Christ abandonnait le Dieu d'Israël2. Parlant de cette mise ŕ mort, le psaume dit : C'est ŕ cause de toi qu'on nous met ŕ mort tout le jour ; nous sommes considérés comme des brebis d'abattoir3.
ET ILS
VOUS FERONT CES CHOSES PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT NI LE PČRE, NI MOI MAIS JE
VOUS AI DIT CELA POUR QU'UNE FOIS LEUR HEURE VENUE, VOUS VOUS RAPPELIEZ QUE
MOI, JE VOUS L'AI DIT. ET JE NE VOUS L'AI PAS DIT DČS LE COMMENCEMENT, PARCE
QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS. (16, 3-5)
2075. Ici, le Seigneur précise la raison de ce qui a été dit : d'abord la
raison de la persécution qui va survenir, puis la raison de l'annonce qu'il en
fait [n° 2077].
I
2076. Il dit donc : Ils vous persécuteront, ET ILS VOUS FERONT CES CHOSES non
pas par zčle de la vérité, mais PARCE QU'ILS NE CONNAISSENT NI LE PČRE,
c'est-ŕ-dire en tant qu'il est Pčre, NI MOI, son Fils - Si vous me connaissiez,
vous connaîtriez peut-ętre aussi mon Pčre 4. - Moi qui étais auparavant
blasphémateur, persécuteur, insolent, j'ai obtenu miséricorde de Dieu parce que
j'avais agi par ignorance, dans l'incrédulité5.
II
MAIS JE
VOUS AI DIT CELA POUR QU'UNE FOIS LEUR HEURE VENUE, VOUS VOUS RAPPELIEZ QUE
MOI, JE VOUS L'AI DIT.
2077. Mais on pourrait dire aux disciples : Si c'est par ignorance de la foi
que les Juifs vont vous persécuter, pourquoi donc le Seigneur vous l'a-t-il
prédit ? Aussi le Seigneur explique pourquoi il l'a annoncé, puis pourquoi
il a tardé ŕ l'annoncer [n° 2079].
UNE
FOIS LEUR HEURE VENUE
2078. On dit que l'heure de certaines personnes vient lorsqu'elles peuvent
accomplir ce qu'elles désirent, et faire ce qu'elles veulent - Ne laissons
pas passer la fleur de l'âge6, de l'âge qui nous permet de
réaliser nos volontés. Elle viendra donc, l'heure des Juifs, lorsqu'ils
pourront mettre en uvre
leurs persécutions contre vous. Mais cette heure est une heure nocturne - C'est votre heure et le pouvoir
des ténčbres \
1. Mt 23, 34.
2. Cf. Ga 1, 13-14.
3. Ps 43, 22.
4. Jn 8, 19.
5. 1 Tm 1, 13.
6. Sg 2,
7.
POUR
QUE (...) VOUS VOUS RAPPELIEZ QUE MOI, JE VOUS L'AI DIT.
Ceci est efficace de deux maničres.
D'abord, lorsqu'au milieu des tribulations les disciples se souvinrent que le
Christ les leur avait prédites, ils reconnurent sa divinité et se confičrent
davantage en son secours. Et aussi parce que, lorsqu'on prévoit les
tribulations qui vont nous arriver, on en est moins affecté, car les traits
[qu'on nous lance], aperçus ŕ l'avance, blessent moins. Cicéron2 en précise la raison dans Les Tusculanes : plus on connaît les
biens et les maux temporels, plus on les estime de peu d'importance. Les
hommes, en effet, estiment davantage les richesses quand ils n'en ont pas que
lorsqu'elles sont en leur possession. De męme pour les tribulations, avant
qu'elles surviennent on les redoute et on les croit plus éprouvantes que
lorsqu'elles surviennent et sont présentes. Quant au mal, lorsqu'on y pense ŕ
l'avance, il en devient comme présent, et du fait de cette présence est tenu
pour moindre 3. C'est pourquoi Cicéron dit que le
sage, en se préparant par la réflexion, peut trouver une consolation ŕ une
tristesse future, tristesse que les autres reçoivent avec le poids constant
d'une tristesse imminente.
1. Le 22,
53. Le mot Ť heure ť est employé dans les évangiles en deux sens. Soit il signifie l'heure
des ténčbres, de la nuit, l'heure utilisée
pour faire le mal, et c'est lŕ son sens dans ce verset de saint Luc. Soit il signifie l'heure du jour,
l'heure de la victoire de l'amour, l'heure
du Christ, celle que Jésus annonce comme le temps pour lui de réaliser jusqu'au bout la volonté
du Pčre. C'est particuličrement l'heure
de la Croix, que Jésus annonce déjŕ ŕ Cana Qn 2, 4) et dont il parle durant sa derničre semaine
(cf. Jn 12, 23 et 27), spécialement dans la pričre
du chapitre 17 Pčre, l heure est venue, glorifie ton Fils (Jn 17,
1). Voir plus haut, n° 1733, oů l'heure du Christ est indiquée par saint Thomas comme déterminée par
la disposition de la Providence divine ; et ci-dessous, n° 2180, oů elle
est indiquée comme l'heure de la
Sagesse.
2. Tusculanes,
III, xiv, 29 - xv, 31, Les
Belles Lettres, p. 19-21.
3. Saint Thomas, en s'appuyant sur Cicéron, montre
ici le réalisme de la
connaissance et de l'amour. Seule la réalité dans son actualité d'ętre peut déterminer l'intelligence et l'affectivité. Le
futur nest-il pas souvent
source d'angoisse et d'un primat de l'imaginaire parce qu'il n'est pas encore lŕ ? Et n'est-ce pas le propre
de Dieu de connaître les choses
futures ? Ainsi, pour mieux vivre des événements difficiles qui vont arriver et qui lui font peur s'il
s'attarde a les imaginer,
l'homme peut se préparer par une certaine réflexion. Saint Thomas montre que cette réflexion sur les événements futurs
ne peut exister pour nous que si nous avons un regard de science, et surtout de
sagesse, explicitant les liens des effets par rapport ŕ leurs causes :
Ť II faut savoir que les choses futures peuvent ętre connues de deux
façons. D'une premičre maničre en elles-męmes, d'une seconde maničre dans leurs
causes. En elles-męmes les réalités futures ne peuvent ętre connues que par
Dieu. Ŕ lui en effet elles sont présentes tandis que dans le cours des choses
elles sont ŕ venir, en tant que son regard éternel se porte au-delŕ de toute la
course du temps. Mais en tant qu'elles existent dans leurs causes, elles
peuvent ętre connues aussi par nous. Et si elles existent dans leurs causes de
telle sorte qu'elles en proviennent par nécessité, elles sont connues par la
certitude de la science, comme l'astrologue connaît par avance l'éclipsé future.
Mais si elles existent ainsi dans leurs causes de telle sorte qu'elles
proviennent d'elles la plupart du temps, ainsi elles peuvent ętre connues par
une conjecture plus ou moins certaine, selon que les causes sont plus ou moins
inclinées vers leurs effets ť (Somme théol, I, q. 86, a. 4, c). Et
n'est-ce pas en définitive le regard de la Providence divine que le sage
découvre par sa réflexion ? 4. Voir Somme théol, I-II, q. 38, a. 3,
oů saint Thomas montre que la compassion d'un ami révčle son amour et ainsi
atténue la tristesse.
Ainsi donc, si le Seigneur annonce
aux disciples leurs tribulations, c'est pour une double raison : pour affermir
leur espérance en son secours, et pour atténuer leur tristesse 4.
III
ET JE
NE VOUS L'AI PAS DIT DES LE COMMENCEMENT, PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS.
2079. Ŕ présent le Seigneur donne la raison pour laquelle il ne leur a pas
prédit cela plus tôt : PARCE QUE J'ÉTAIS AVEC VOUS.
Cela peut se rapporter aux deux
raisons précédentes. D'abord pour affermir leur espérance, car Ť lorsque
j'étais avec vous, confiants en mon secours, vous ne doutiez pas ; mais
bientôt, quand vous me verrez mourir, vous pourrez douter de ma puissance.
Aussi est-il nécessaire que je vous annonce les événements ŕ venir, pour que
par eux vous reconnaissiez ma divinité et ma puissance ť.
Cela peut se rapporter aussi ŕ la
seconde raison ; le sens est alors le suivant : J'ÉTAIS AVEC VOUS, vous
protégeant et prenant sur moi tout poids - Pčre, lorsque j'étais avec eux,
moi, je les gardais1. Mais parce que je vais m'éloigner de
vous, tout le poids de la tribulation vous restera ; aussi faut-il que ces
tribulations ne vous arrivent pas ŕ l'improviste2.
2080. Toutefois, d'aprčs le récit des trois autres Évangélistes, il semble
qu'avant cette heure le Seigneur avait déjŕ fait une prédiction : avant ce
moment-lŕ, il avait prédit aux disciples qu'ils devraient comparaître devant
des rois et des gouverneurs, et ętre flagellés dans les synagogues des Juifs3.
On doit répondre que cela ne
contredit pas ce que dit le Seigneur : JE NE VOUS L'AI PAS DIT DČS LE
COMMENCEMENT, puisque [selon ces męmes Évangélistes] le Seigneur a dit cela au
mont des Oliviers4, ce qui eut lieu alors que sa
Passion était imminente, trois jours avant qu'il vînt pour la Cčne5. Aussi l'expression DČS LE COMMENCEMENT ne se réfčre-t-elle pas au
temps de la Passion, mais aux premiers moments oů il fut avec ses disciples,
comme le dit Augustin6.
2081. Mais Matthieu dit autrement : il dit que le Seigneur a annoncé ŕ ses
disciples les tribulations qui allaient s'abattre, non seulement alors que sa
Passion était imminente, mais dčs le commencement, quand il choisit les Douze -
Voici, dit-il, que je vous envoie comme
des brebis au milieu des loups7.
Ŕ cela il faut répondre que
l'affirmation : JE NE VOUS L'AI PAS DIT DČS LE COMMENCEMENT, ne doit pas
s'entendre seulement des tribulations qui vont survenir, mais également de la
venue de l'Esprit Saint, qu'il ne leur avait pas prédit dčs le commencement,
ainsi que le dit Augustin8.
Ou bien disons, selon Chrysostome9, que cela doit s'entendre des tribulations. Donc, ce qu'il dit : DČS LE COMMENCEMENT, il le dit ŕ cause de deux aspects nouveaux qu'il vient de leur prédire : l'un, c'est qu'ils allaient souffrir des tribulations de la part des Juifs, ce qu'il ne leur avait pas dit auparavant - il leur avait seulement dit qu'ils souffriraient de la part des Gentils -, comme il apparaît clairement au męme chapitre de Matthieu10. L'autre, qu'il leur avait prédit précédemment, c'est qu'ils souffriraient la flagellation ; mais il ajoute ici un aspect qui pouvait les frapper de stupeur : c'est que leur mort serait considérée comme un hommage rendu ŕ Dieu.
2082. Précédemment, le Seigneur a expliqué les raisons données aux disciples
pour les consoler face aux tribulations qui allaient leur advenir. Ici il
explique les raisons données pour les consoler de son départ ; or [au
chapitre 14], il les en a consolés par trois raisons. Premičrement, parce
qu'ils auront accčs auprčs du Pčre, accčs qu'il avait promis ; il disait
alors : Que votre cur ne se trouble pas (...). Dans la maison de mon Pčre
il y a beaucoup de demeures11.
Deuxičmement, ŕ
cause du Paraclet qu'il allait leur envoyer ; aussi disait-il : Et moi
je prierai le Pčre, et il vous donnera un autre Paraclet1. Troisičmement, parce qu'ŕ nouveau ils verront
le Christ, ce qu'il affirmait en ces termes : Je ne vous laisserai pas
orphelins : je viendrai vers vous2. Ces trois raisons, il les explique ici, mais selon l'ordre inverse : en
premier lieu, la promesse de l'Esprit Paraclet ; puis la promesse de le
voir de nouveau [n° 2116] ; enfin, l'introduction auprčs du Pčre [n°
2135].
1. Jn 17, 12.
2. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXVIII, 1, PG 59, col. 421.
3. Voir
Mt 10, 17-18 ; Me 13, 9 ; Lc 21, 12.
4. Mt 24,
3 ; Me 13, 3.
5. Mt 26, 2 ; Me 14, 1.
6. Tract, in Io., XCIV, 1, ΒΑ 74Β, ρ. 243-245.
7. Mt 10,
16. Saint Thomas commente : Ť II les compare ŕ des brebis ŕ cause de leur
douceur, mais leurs persécuteurs aux loups ŕ cause de leur rapacité. En effet,
le Christ lui-męme fut une brebis - Comme une brebis qu'on mčne ŕ l'abattoir
(Is 53, 7) -, et les disciples aussi - Nous, son peuple, et les brebis
de son bercail (Ps 94, 7) ť (Sup. Matth., X, n° 838).
8. Tract, in Io., XCIV, 1, ΒΑ 74Β, ρ. 245.
9. In Ioannem hom., LXXVIII, 1, PG 59, col. 421.
10. Mt
10, 22 Vous serez haďs de tous ŕ cause de mon nom.
11. Jn 14, 1-2. Voir ci-dessus, n° 1848.
En ce qui concerne cette promesse, le
Seigneur montre d'abord la nécessité d'une consolation, puis il présente cette
consolation [n° 2086].
La nécessité d'une consolation.
ET
MAINTENANT JE VAIS VERS CELUI QUI M'A ENVOYÉ ; ET AUCUN D'ENTRE VOUS NE
M'INTERROGE : OŮ VAS-TU ? MAIS PARCE QUE JE VOUS AI DIT CES CHOSES, LA
TRISTESSE A REMPLI VOTRE CUR. (16, 5-6)
Ici, le Seigneur annonce son
départ ; puis il montre l'effet de cette annonce [n° 2085].
2083. Il se retire donc, en allant vers son Pčre, et c'est pourquoi il dit :
J'étais avec vous, jusqu'ŕ présent, mais MAINTENANT JE VAIS VERS CELUI QUI M'A
ENVOYÉ, c'est-ŕ-dire le Pčre : ce qui est en vérité la perfection. Chaque
réalité, en effet, trouve sa perfection lorsqu'elle retourne ŕ son principe 3 - Le temps est venu pour moi de retourner auprčs de celui qui m'a
envoyé*. - Vers le lieu d'oů ils sortent, les fleuves retournent pour de
nouveau couler5. C'est dans son humanité qu'il allait
vers Celui auprčs de qui, de toute éternité, il était dans sa divinité. Cela,
on l'a expliqué d'une maničre plus étendue dans ce qui précčde6.
2084. Mais il ajoute : AUCUN D'ENTRE VOUS NE M'INTERROGE : OŮ VAS-TU ?
Mais pourquoi dit-il cela ? Pierre ne l'a-t-il pas interrogé précédemment
: Seigneur, oů vas-tu ?7, ainsi que Thomas : Nous ne
savons pas oů tu vas8 ?
Ŕ cette question, Chrysostome et
Augustin répondent, mais de maničres différentes. Chrysostome9 dit en effet que les disciples, en entendant qu'ils devaient ętre mis
ŕ mort et exclus des synagogues, furent tellement attristés et frappés de
stupeur que, ayant comme oublié le départ du Christ et perdant presque la
parole, ils ne l'interrogeaient pas ŕ propos de son départ. Aussi le Christ
enchaîne-t-il : MAIS PARCE QUE JE VOUS AI DIT CES CHOSES, LA TRISTESSE A REMPLI
VOTRE CUR. Et Chrysostome affirme qu'en disant ainsi : ET MAINTENANT JE VAIS
VERS CELUI QUI M'A ENVOYÉ, le Seigneur leur fait davantage un reproche. Et
c'est pourquoi ils ne l'interrogeaient pas - Interroge ton pčre, et il te l'annoncera1. [La sagesse], recherche-la, et elle te sera manifestée2.
1. Jn 14,
16. Voir ci-dessus, n" 1907.
2. Jn 14,
18. Voir ci-dessus, n° 1921.
3. On trouve
cette affirmation ŕ plusieurs reprises dans la Somme théologique, oů
saint Thomas note (entre autres) : Ť Selon la foi, la perfection derničre
de la créature raisonnable doit se trouver dans Celui qui est pour elle
principe d'existence, vu qu'une chose est parfaite dans la mesure oů elle
atteint ŕ son principe ť (I, q. 12, a. 1, c). Et aussi : Ť Chaque
réalité, en effet, trouve sa perfection par le fait qu'elle est soumise ŕ son
principe, comme le corps par le fait qu'il est animé par l'âme et l'air par le
fait qu'il est illuminé par le soleil ť (II-II, q. 81, a. 7, c).
4. Tb 12,
20.
5. Qo 1,
7.
6. Voir
Jn 14, 28 et le commentaire de ce verset, ci-dessus, au n° 1970.
7. Jn 13, 36.
8. Jn 14, 5.
9. In Ioannem hom., LXXVIII, 1, PG 59, col. 420-421.
Augustin3, lui, veut que l'affirmation :
MAINTENANT JE VAIS VERS CELUI QUI M'A ENVOYÉ ne soit pas pour l'instant męme oů
le Seigneur parlait, mais pour le temps oů il allait monter au cie1. Comme s'il
disait : Précédemment vous m'avez demandé oů j'allais, mais maintenant je m'en
vais de telle maničre qu'il n'est pas nécessaire que l'un de vous m'interroge :
OŮ VAS-TU ? Car selon les Actes, sous leurs regards il fut élevé 4.
MAIS PARCE QUE JE VOUS AI DIT CES CHOSES, LA TRISTESSE A
REMPLI VOTRE CUR.
2085. Par ces mots le Seigneur montre la tristesse qui est, selon Chrysostome5, l'effet de cette annonce. Selon Augustin6, c'est de son départ qu'ils
s'attristent ; car ils trouvaient leur joie dans la présence du Christ,
étant d'une certaine maničre attachés d'une affection terrestre7 ŕ son aspect (species) humain, comme l'homme trouve sa joie
dans la présence de l'ami ; c'est pour cela qu'ils s'attristaient de son départ - Au soir de la
Passion, seront réservés les pleurs chez les Apôtres, et au matin de
la Résurrection la joie8.
Cependant, s'il est humain que la
tristesse touche le cur, il est vicieux qu'elle le remplisse parce qu'alors la
raison en est troublée9 ; aussi dit-il, comme pour les
reprendre : LA TRISTESSE A REMPLI VOTRE CUR - Ne livre pas ton âme ŕ la
tristesse10. - Que votre cur ne se trouble
pas 11.
La consolation par la promesse de l'Esprit Saint.
2086. Ici, le Seigneur donne la raison de la consolation qui est la promesse
de l'Esprit Saint. D'abord il promet l'Esprit Saint, puis il annonce son effet
[n° 2091].
I
MAIS MOI, JE VOUS DIS LA VÉRITÉ : IL EST BON POUR VOUS
QUE MOI JE M'EN AILLE. CAR SI JE NE PARS PAS, LE PARACLET NE VIENDRA PAS VERS
VOUS ; MAIS SI JE PARS, JE VOUS L'ENVERRAI (16, 7)
2087. Au sujet de la promesse de l'Esprit Saint, le Seigneur montre en
premier lieu la nécessité de son départ, puis l'utilité de ce départ.
1. Dt 32, 7.
2. Si 6,
28.
3. Tract, in Io., XCIV, 3, BA 74B, p. 247.
4. Ac 1,
9.
5. Voir
ci-dessus, n° 2084.
6. Tract, in Io., XCIV, 4, BA 74B, p. 249.
7. Carnaliter
affecti. Sur la traduction Ť terrestre ť, voir vol. I, n° 1209,
note 5.
Il dit donc : LA TRISTESSE -
sous-entendu : de mon départ - A REMPLI VOTRE CUR ; mais vous devez
plutôt vous réjouir, parce qu'IL EST BON POUR VOUS QUE MOI JE M'EN AILLE,
c'est-ŕ-dire : cela vous est grandement nécessaire, CAR SI JE NE PARS PAS, LE
PARACLET NE VIENDRA PAS VERS VOUS. De męme, c'est pour vous fécond et Utile,
car SI JE PARS, JE VOUS L'ENVERRAI, ŕ savoir l'Esprit Saint.
8. Ps 29,
6. Saint Thomas commente : Ť Au sens mystique, le texte est clair : car au
soir de l'ensevelissement du Seigneur ce fut la tristesse, parce que les
fidčles pleuraient la mort du Christ. Mais au matin, ŕ cause de
l'annonce de la Résurrection, ce fut la joie. Si on applique cela au genre
humain tout entier, alors au soir, c'est-ŕ-dire lors du péché de nos
premiers parents (Gn 3), ce fut la tristesse car aprčs le milieu du jour,
tandis que le soleil déclinait déjŕ pour se coucher, Adam pécha. Et on ne peut
pas dire que ce gémissement fut de courte durée, puisque męme aprčs la
restauration de la grâce ses séquelles demeurent. Mais au matin, c'est-ŕ-dire
dans le Christ, c'est la joie. Ou bien au soir, c'est-ŕ-dire lorsque la
lumičre spirituelle commence ŕ s'affaiblir dans l'homme, alors vient en lui le
gémissement, mais lorsque la lumičre brille de nouveau en lui, alors c'est la joie -
Dčs le matin, je me présenterai ŕ toi et je verrai (Ps 5,5) ť (Exp.
in Psalmos, 29, n° 4).
9. Voir
ci-dessus, n° 1651, note 2.
10. Si
30, 22 et Si 38, 21.
11. Jn
14, 27.
2088. Mais le Christ n'aurait-il pas pu donner l'Esprit Saint lorsqu'il
vivait dans la chair ? Il faut répondre que si, puisque l'Esprit Saint est
męme descendu sur lui lors de son baptęme sous la forme d'une colombe et ne l'a
jamais quitté, puisqu'il l'a reçu sans mesure 1 dčs l'instant de sa conception2. Mais il n'a pas voulu le donner aux
disciples lorsqu'il était avec eux, pour quatre raisons.
Premičrement parce qu'ils n'étaient
pas disposés ŕ cela3 ; car l'Esprit Saint étant
amour spirituel, l'amour terrestre (carnalis) lui est contraire. Or les
disciples étaient attachés ŕ l'humanité du Christ d'un amour terrestre (carnalis),
et n'avaient pas encore été élevés jusqu'ŕ sa divinité par un amour
spirituel ; et c'est pourquoi ils n'étaient pas encore capables de
l'Esprit Saint : Ainsi
donc, désormais nous ne connaissons personne selon la chair - c'est-ŕ-dire
selon l'affection terrestre - et si nous avons connu le Christ selon la
chair - ŕ savoir le Christ avant sa Passion - maintenant ce n'est plus
ainsi que nous le connaissons4.
Deuxičmement ŕ cause de la condition
du secours divin : c'est dans les nécessités qu'il est le plus présent - Le
Seigneur s'est fait refuge pour le pauvre, son aide aux moments opportuns, dans
la tribulation5 ; et encore : Puisque mon
pčre et ma mčre m'ont abandonné, le Seigneur, lui, m'a pris avec lui6. Or tant que le Christ était avec eux, il était pour eux une aide
suffisante ; mais avec son départ ils se trouvaient exposés ŕ de
nombreuses tribulations, et c'est pour cela qu'il leur a été donné aussitôt un
autre Consolateur pour les aider. Aussi le Seigneur dit-il expressément : Et
il vous donnera
un autre Paraclet7.
- A qui enseignera-t-il la science ? A qui fera-t-il comprendre ce qui
aura été entendu ? A des enfants ŕ peine sevrés, qui viennent de quitter
le sein 8.
1. Cf. Jn
3, 34.
2. Jésus
a eu dčs le début l'Esprit Saint sans mesure, et pourtant l'Esprit Saint est descendu sur lui au
baptęme : comment le comprendre ? Saint Thomas répond ŕ cette interrogation
dans la question de la Somme théologique sur le baptęme du Christ (III, q. 39, voir spécialement a. 1 et a. 6), en reprenant toute la Tradition
de l'Église. Le Christ n'a pas eu besoin du baptęme pour recevoir l'Esprit Saint. Ce sont ceux qui sont
baptisés par la puissance de son baptęme qui le reçoivent et que le Christ
Ť préfigure ť. Et il cite ce trčs
beau passage de saint Augustin : Ť II est absurde de dire que le Christ, quand il eut trente ans accomplis, reçut l'Esprit Saint. Il vint au baptęme sans péché, mais non sans
l'Esprit Saint ! Si en effet on écrit
de Jean qu'il est rempli d'Esprit Saint depuis le ventre de sa mčre, que faut-il dire du Christ homme
dont sa conception de chair ne fut pas charnelle mais toute spirituelle ?
Ainsi, au baptęme, il a daigné préfigurer
son corps, c'est-ŕ-dire l'Église, dans laquelle les baptisés reçoivent surtout
l'Esprit Saint (De Trinitate, XV) ť (a. 6, ad 1).
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., XCIV, 4, BA 74B, p. 249-251.
4. 2 Co 5, 16. Voir vol. I, n° 1074, note 6.
5. Ps 9,
10. Saint Thomas commente : Ť Ce jugement se fonde sur le temps car c'est
lorsqu'ils sont privés du temps favorable qu'ils accueillent sa
miséricorde - Belle est la miséricorde de Dieu au temps de la tribulation,
comme la nuée de la pluie au temps de la sécheresse (Si 35, 26) -, et
c'est pourquoi il ajoute dans la tribulation, car c'est au temps de la
tribulation que les hommes se convertissent ŕ Dieu, et c'est alors qu'il leur
faut pręcher ť (Exp. in Psalmos, 9, n° 7).
Troisičmement, en considération de la dignité du Christ : car selon Augustin dans son traité sur La Trinité9, le Christ en tant qu'homme n'a pas ŕ donner l'Esprit Saint, c'est en tant que Dieu qu'il le donne 10. Or quand il était avec les Apôtres, il semblait ętre comme un homme, l'un d'entre eux. Il ne l'a donc pas donné avant son Ascension, pour qu'on ne puisse pas penser qu'un homme donnerait l'Esprit Saint- L'Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'avait pas encore été glorifié1. - Du trône de ta grandeur, envoie-la [la Sagesse]2.
Quatričmement, pour sauvegarder
l'unité de l'Église. Car, comme il a été dit plus haut, Jean n'a fait aucun
signe3, pour que le peuple ne se divise pas
ŕ l'égard du Christ, et pour qu'apparaisse avec plus d'évidence l'éminence du
Christ par rapport ŕ Jean. Les disciples, quant ŕ eux, devaient ętre remplis de
l'Esprit lui-męme pour faire des uvres plus grandes que celles que le Christ a
faites - Celui qui croit en moi fera lui-męme
aussi les uvres que moi je fais ; et il en fera de plus grandes 4 ; c'est pourquoi,
si l'Esprit leur avait été donné avant la Passion, le peuple aurait pu mettre
en doute qui était le Christ, et il y aurait eu ainsi division au sein du
peuple - Montant dans
les hauteurs (...), il a donné des dons aux hommes5.
6. Ps 26,
10.
7. Jn 14,
16.
8. Is 28,
9.
9. La
Trinité, I, XII, 25, BA 15, p. 157.
10. Cf. Somme
théol., III, q. 7, a. 5, ad 2
Ť Ce n'est pas sous le męme rapport que le Christ reçoit et communique
les dons du Saint-Esprit. Il les donne comme Dieu, il les reçoit comme
homme ť. La théologie mystique viendra pourtant préciser que l'humanité du
Christ est associée ŕ la spiration de l'Esprit Saint. Le Pčre et le Fils, dans
une uvre commune, spirent l'Esprit Saint. Cf. Somme théol., I, q. 43, a.
5, ad 2 ; voir aussi vol. I, n° 946 Ť La Parole, le Verbe de Dieu
le Pčre, est celui qui spire l'amour ť. Or le Christ, dans sa pričre que
saint Jean nous rapporte au chapitre 17, vient demander au Pčre la
glorification de son humanité : Pčre, glorifie-moi
auprčs de toi de la gloire que j'avais auprčs de toi avant que le monde
fűt (Jn 17, 5). En quoi consiste cette gloire pour lui qui, de toute
éternité, voit le Pčre ? Il s'agit que son humanité sainte, totalement
offerte par l'immolation de la Croix, puisse participer ŕ cette gloire ŕ
laquelle il est associé en tant que Verbe de Dieu, c'est-ŕ-dire faire uvre
commune avec le Pčre en spirant l'Esprit Saint. Sur la spiration de l'Esprit
Saint, voir saint Jean de la Croix, Cantique
spirituel, strophe 39, 1, in : uvres complčtes, DDB 6č éd. 1989, p. 680-681. Et saint Jean de
la Croix montre comment cette pričre de Jésus - Pčre, ceux que tu
m'as donnés, je veux que lŕ oů je suis, ils soient aussi avec moi... (17,
24) - se réalise. Voir loc. cit.,p. 681-682 ; La vive flamme
d'amour, strophe III, 5 et
6, op. cit., p. 799-801.
2089. Selon Chrysostome6, on peut tirer de lŕ un argument
contre les macédoniens, qui disent que l'Esprit Saint est une créature, et
ministre du Pčre et du Fils. Car s'il en était ainsi, l'avčnement de l'Esprit
Saint ne serait pas une consolation ŕ l'égard du départ du Christ, de męme que
ce ne serait pas une consolation suffisante au départ d'un roi si on mettait ŕ
sa place l'un de ses ministres. C'est donc parce que l'Esprit Saint est égal au
Fils7 que le Seigneur les console par la
promesse de l'Esprit Saint.
1. Jn7,
39.
2. Sg 9,
10.
3. Jn 10,
41. Voir vol. I, n° 1470.
4. Jn 14,
12.
5. Ps 67,
19, cité par Paul d'aprčs les Septante (Ep 4, 8 Montant dans les
hauteurs, il a fait captive la captivité, il a donné des dons aux hommes). Le texte
du psaume, selon la Vulgate, est le suivant : Tu es monté sur la hauteur, tu
as emmené des captifs, tu as reçu des hommes en présent.
6. In Ioannem hom., LXXVIII, 1, PG 59, col. 421.
7. Dans le
Compendium theologiae, XLVIII, n° 85, saint Thomas explique pourquoi
l'Esprit Saint n'est pas moins que Dieu : Ť De męme que la pensée de Dieu
est son ętre, de męme elle est son amour. Dieu donc ne s'aime pas lui-męme
selon quelque chose survenant ŕ son essence, mais selon son essence. Donc,
comme il s'aime lui-męme selon ce qu'il est en lui-męme, comme l'aimé dans
l'aimant, il n'est pas Dieu aimé en Dieu aimant de maničre accidentelle, comme
les choses aimées sont en nous qui les aimons de maničre accidentelle : Dieu
est en lui-męme comme l'aimé dans l'aimant substantiellement. Donc l'Esprit
Saint lui-męme, par qui nous est donné l'amour divin, n'est pas quelque chose
d'accidentel en Dieu, mais il est une réalité subsistant dans l'essence divine,
comme le sont le Pčre et le Fils ť.
2090. Mais si le Fils et l'Esprit Saint sont égaux, pourquoi est-il bon que
le Fils s'en aille pour que vienne l'Esprit Saint ? C'est parce qu'il s'en
allait corporellement, et qu'en męme temps que l'Esprit Saint il venait invisiblement.
Car si le Fils avait habité invisiblement et disait : Ť II est bon que je
m'en aille, parce que l'Esprit Saint viendra ť, l'Esprit Saint serait
considéré comme plus grand que lui.
II
2091. Précédemment, le Seigneur a consolé les Apôtres en leur promettant
l'Esprit Saint ; ŕ présent il montre l'utilité de la venue de l'Esprit
Saint pour eux. Et il montre trois aspects de cette utilité : pour le monde,
pour les disciples et pour le Christ.
Pour le monde parce que l'Esprit
Saint, en venant, convaincra le monde ; pour les disciples, parce qu'il
les instruira [n° 2099] ; pour le Christ, parce qu'il le glorifiera [n°
2105].
L'Esprit Saint convaincra le monde
Le Christ expose donc d'abord
l'utilité de la venue de l'Esprit Saint pour le monde ; puis il l'explique
[n° 2095].
ET
QUAND IL SERA VENU, IL CONVAINCRA LE MONDE AU SUJET DU PÉCHÉ, ET DE LA JUSTICE,
ET DU JUGEMENT. DU PÉCHÉ, PARCE QU'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI ; DE LA
JUSTICE, PARCE QUE JE VAIS VERS LE PČRE, ET
VOUS NE ME VERREZ PLUS ; DU JUGEMENT, PARCE QUE LE PRINCE DE CE MONDE A
DÉJŔ ÉTÉ JUGÉ. (16, 8-11)
2092. Il dit donc : IL EST BON POUR VOUS QUE MOI JE M'EN AILLE, parce que je
vous enverrai l'Esprit Saint, ET QUAND IL SERA VENU, IL CONVAINCRA LE MONDE AU
SUJET DU PÉCHÉ, ET DE LA JUSTICE, ET DU JUGEMENT. Il y a deux maničres de lire
cela : celle d'Augustin et celle de Chrysostome [n° 2098].
2093. Selon Augustin1, de cette maničre : QUAND IL,
c'est-ŕ-dire l'Esprit Saint, SERA VENU, IL CONVAINCRA (arguet), c'est-ŕ-dire
reprendra (reprehendet) LE MONDE - Reprends le sage, et il t'aimera2.
Mais le Christ n'a-t-il pas lui aussi
convaincu le monde ? Certes, il l'a convaincu auparavant : Vous ętes
issus du diable, votre pčre3 ;
et, selon Matthieu,
lorsqu'il a dit beaucoup de choses contre les pharisiens et les scribes4. Pourquoi donc dit-il : IL CONVAINCRA, comme si lui-męme n'avait pas
convaincu ? On pourrait peut-ętre dire que le Christ a convaincu seulement
les Juifs, tandis que l'Esprit Saint, dans les disciples et par eux, a
convaincu le monde entier. Mais ŕ cela s'oppose le fait que le Christ parle
dans les Apôtres et par eux, comme l'Esprit Saint : Vous cherchez ŕ tester
celui qui parle en moi, le Christ ?5
Ŕ cela il faut répondre que si le
Seigneur a dit : IL CONVAINCRA LE MONDE, c'est parce que l'Esprit, en pénétrant
invisiblement vos curs, répandra en eux la charité par laquelle, toute crainte
chassée, vous aurez autorité pour convaincre6. En effet, tant que les disciples
étaient attachés au Christ d'une maničre terrestre (carnalis), l'Esprit
Saint n'était pas en eux, comme nous l'avons dit, de la maničre dont il y fut
par la suite ; et c'est pourquoi ils n'étaient pas aussi audacieux qu'ils
le furent aprčs sa venue - Par le souffle de sa bouche, toute force des
deux, c'est-ŕ-dire des Apôtres, a été affermie7. - L'Esprit de Dieu revętit Zacharie8.
Également, IL CONVAINCRA LE MONDE
parce qu'en emplissant les curs qui avaient été autrefois mondains, il les a
fait se reprendre - J'examinerai mes voies en sa présence9. Et cela, c'est l'Esprit Saint qui le fait : Renouvelle
en mon sein un esprit droit10.
2094. Mais de quoi convaincra-t-il ? De trois choses. Au sujet DU PÉCHÉ
qu'ils ont commis - Dénonce ŕ mon peuple ses forfaits, ŕ la maison de Jacob
ses péchés 11. Et
cela, les Apôtres l'ont fait - Par toute la terre a retenu leur voix1. De męme, au sujet DE LA JUSTICE, qu'ils ont
négligée - ILˇ n'ont pas accompli la justice2. Et cela aussi les Apôtres l'ont fait - II n'y a pas de juste, pas un
seul3, dit saint Pau1. Enfin au sujet DU JUGEMENT,
qu'ils ont méprisé4 ; car comme le disent les
Proverbes, l'impie, une fois arrivé ŕ un abîme de
péchés, méprisera5. - II a
méprisé mes jugements, au point d'ętre plus impie que les paďens 6.
1. Tract, in Io., XCV, 1, BA 74B, p. 257-259.
2. Pr 9, 8.
3. Jn 8, 44.
4. Cf. Mt 23. 5. 2 Co 13, 3.
6. Selon
saint Augustin (loc. cit.), le Saint-Esprit donnera aux Apôtres la
Ť liberté ť (libertas) et non le Ť pouvoir ť
d'accuser (potestas arguendi).
7. Ps 32,
6. Voir le début du verset : Par la parole du Seigneur, les deux ont été
affermis, que saint Thomas commente ainsi : Ť Au sens mystique, par deux
on entend les Apôtres ; ceux-ci ont été affermis par le Verbe du
Seigneur, c'est-ŕ-dire du Christ, ou par le Fils du Seigneur ; et telles
sont sa supplication et sa doctrine : Moi, j'ai prié pour toi
afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand tu seras revenu, affermis
tes frčres (Le 22, 32) ť (Exp. in Psalmos, 32, n° 5). En Rm
10, 18, saint Paul applique l'image des deux ŕ la prédication des
Apôtres ; et en commentant le psaume 18 saint Thomas dit : Ť Selon la
vérité, par deux on comprend les Apôtres, dans lesquels Dieu habite
comme dans les deux. Et ils sont appelés deux ŕ cause de la hauteur de
la cité - Notre cité est dans les deux (Ph 3, 20). Ils sont aussi étoiles
en raison de l'abondance de leurs vertus - C'est la beauté du dei
que l'éclat des étoiles (Si 43, 18). - Autant les deux sont
élevés au-dessus de la terre, autant sont élevées mes voies au-dessus de vos
voies (Is 55, 9). Car ils sont lumineux par la doctrine et par l'exemple
- Qu'ainsi votre lumičre brille devant les hommes, afin qu'ils
voient vos bonnes uvres et glorifient votre Pčre qui est dans les deux (Mt
5, 16). Car ils sont empressés dans l'obéissance et volubiles dans le
discours de leur prédication - J'ai fait seule le tour du ciel et j'ai
pénétré le profond de l'abîme, et j'ai marché sur les flou de la mer, et j'ai
posé le pied sur toute la terre, et chez tous les peuples et chez toutes les
nations j'ai eu le premier rang (Si 24, 8-10). Ceux-ci racontent la
gloire de Dieu, c'est-ŕ-dire du Pčre, gloire dans laquelle est
le Christ, et parce qu'il est égal au Pčre, et parce qu'il est Dieu et qu'il
remet gratuitement les péchés - Vous avez été vendus pour rien et sans argent
vous serez rachetés (Is 52, 3). De męme les Apôtres sont
appelés firmament parce qu'ils ont été affermis par la force du
Saint-Esprit - Restez dans la ville jusqu'ŕ ce que
vous soyez revętus de la force d'en haut (Le 24,
49) ť (Exp. in Psalmos, 18, n" 1).
8. 2 Ch
24, 20. La suite est : fils du prętre Yehoyada. Il se posta au-dessus du
peuple et lui dit : Ainsi parle le Seigneur : Pourquoi transgressez-vous le
précepte du Seigneur, ce qui ne vous réussira pas, et avez-vous abandonné le
Seigneur, si bien qu'il vous abandonne ?
9. Jb 13,
15.
10. Ps
50, 12.
11. Is
58, 1.
DU
PÉCHÉ, PARCE QU'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI ; DE LA JUSTICE, PARCE QUE JE
VAIS VERS LE PČRE, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS ; DU JUGEMENT, PARCE QUE LE
PRINCE DE CE MONDE A DÉJŔ ÉTÉ JUGÉ. (16, 9-11)
2095. Ŕ présent le Seigneur explique ce qu'il a dit, d'abord AU SUJET DU
PÉCHÉ, et cela PARCE QU'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI L'Esprit Saint convainc
seulement du péché d'incroyance, car par la foi tous les autres péchés sont
remis7. Selon Matthieu8, au jugement dernier le Seigneur n'impute aux damnés que le manque de
miséricorde, parce que par la miséricorde tous les péchés sont purifiés9. Il en va de męme ici, parce que lorsque l'incroyance demeure, tous
les autres péchés sont retenus, et lorsqu'elle disparaît ils sont remis 10.
Il dit bien : PARCE QU'ILS N'ONT PAS
CRU EN MOI, et non pas : Ť Ils n'ont pas cru ŕ moi ť ni : Ť Ils
ne m'ont pas cru 11 ť, parce que les démons croient
que le Christ existe, et ils se mettent ŕ trembler12. Mais ILS N'ONT PAS CRU EN MOI, avec
une foi formée par l'espérance et l'amour13.
2096. En second lieu, l'Esprit Saint convainc le monde AU SUJET DE LA
JUSTICE, et cela PARCE QUE JE VAIS VERS LE PČRE ET VOUS NE ME VERREZ PLUS. On
peut expliquer cela de deux maničres, selon qu'il s'agit de la justice du
Christ ou de celle des Apôtres.
En ce qui concerne la justice des
Apôtres, AU SUJET DE LA JUSTICE est ŕ comprendre ainsi : au sujet de notre
justice, qu'ils [ceux du monde] n'ont pas imitée - je veux dire : la justice
provenant non pas de la Loi, mais de la foi - Maintenant a été manifestée
(...) la justice de Dieu, par la foi en Jésus Christ1. La foi porte sur les réalités
invisibles, selon l'Épître aux Hébreux2 ; or il y avait quelque chose
que les disciples voyaient, son humanité, et quelque chose qu'ils ne voyaient
pas, sa divinité, mais cela il le leur promet en récompense - Celui qui
m'aime (...), je me manifesterai moi-męme ŕ lui3. Au sujet du Christ, les disciples avaient donc la foi quant ŕ sa
divinité seulement ; mais quand l'humanité du Christ leur fut retirée,
leur foi porta alors sur les deux. Voilŕ pourquoi, selon le commentaire
d'Augustin 4, le Seigneur dit : PARCE QUE JE VAIS
VERS LE PČRE, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS, autrement dit : Vous, vous croyez en
moi selon ma divinité, mais PARCE QUE JE VAIS VERS LE PČRE VOUS croirez en moi
aussi quant ŕ mon humanité. Et cette justice de la foi, le monde, assurément,
ne l'imite pas.
1. Ps 18,
5.
2. Saint
Thomas renvoie-t-il ŕ Isaďe 59, 4 (II n'est personne qui invoque la justice,
ni qui juge en vérité) ? Voir aussi Is 59, 14, et Jr 5, 1 Parcourez
les rues de Jérusalem (...) et cherchez sur ses places publiques si vous
trouvez un homme faisant la justice et cherchant la vérité.
3. Rm 3,
10, citant le Ps 13, 3. Saint Thomas commente : Ť Cela peut se comprendre
de deux maničres. D'une premičre maničre : nul n'est juste en lui-męme par
lui-męme, mais par lui-męme tout homme est pécheur, c'est de Dieu seul qu'il
détient la justice - Dominateur, Seigneur Dieu, miséricordieux et clément (...),
qui efface l'iniquité et les péchés, et nul auprčs de toi n'est innocent par
lui-męme (Ex 34, 6). D'une autre maničre, nul n'est juste en tout, non sans
avoir quelque péché - Qui peut dire : "Mon cur est pur" ? (Pr
20, 9) - Car il n'est pas d'homme juste sur la terre qui fasse le bien et ne
pčche point (Qo 7, 21). Cela peut se comprendre encore d'une troisičme
maničre, en se rapportant aux gens mauvais^ parmi lesquels nul n'est juste. C'est
en effet un usage courant de l'Écriture de parler de tout le monde parfois en
désignant les mauvais, parfois en désignant les bons. (...) Mais les deux
premiers sens sont plus selon l'intention de l'Apôtre ť (Ad Rom. lect.,
III, n° 277).
4. Saint
Thomas montrera aussi comment l'Esprit Saint meut les Apôtres ŕ travers ses
dons : ŕ travers le don de science qu'il leur donne pour discerner les péchés (Somme
théol., II-II, q. 9, a. 4, c), et le don de piété qu'il leur donne pour
accomplir la justice (loc. cit., q. 121, a. 1), enfin, ŕ travers le don
de crainte qui les soumet ŕ la sagesse de Dieu (loc. cit., q. 19, a. 9).
5. Pr 18,
3.
6. Ez 5,
6.
7. Voir
Mt 10, 32 Quiconque donc se déclarera pour moi devant les hommes, je me
déclarerai pour lui, moi aussi, devant mon Pčre qui est dans les deux. Voir
aussi Rm 4, 5-8.
8. Mt 25,
34 sq. et 41 sq. Il s'agit du jugement dernier : Car j'ai eu faim, et vous
m'avez donné ŕ manger...
9. Voir Pr
15, 27 Qui s'adonne ŕ l'avarice trouble sa maison, mais qui déteste les
présents vivra, et Pr 21, 21 Qui poursuit la justice et la miséricorde
trouvera la vie, la justice et la gloire. C'est donc par la miséricorde et
la foi qu'on est purifié de ses péchés.
10. Saint
Thomas s'inspire ici, comme annoncé au n° 2093, du commentaire de saint
Augustin.
11. Sur
Ť croire en ť, Ť croire ŕ ť, Ť croire ť, voir
vol. I, n° 485, note 2 et n° 901.
12. Cf. Je
2, 19 Tu crois qu'il n'y a qu'un Dieu. Tu fais bien. Les démons le croient
aussi, et ils tremblent. Sur la foi des démons, voir Somme théol., I,
q. 64, a. 1. : Ť II y a une double connaissance de la vérité, celle qui
vient de la grâce et celle qui vient de la nature. Celle qui vient de la grâce
est double : soit spéculative, comme lorsque les secrets divins sont révélés ŕ
quelqu'un, soit affective, produisant l'amour de Dieu et relevant du don de
sagesse. De ces trois connaissances, celle qui est naturelle n'est chez les
démons ni enlevée, ni diminuée. Elle est, en effet, une propriété de la nature
de l'ange, qui selon sa nature est intelligence et esprit. (...) Quant ŕ la
connaissance spéculative issue de la grâce, elle ne leur est pas totalement
enlevée mais elle est diminuée : les secrets divins ne leur sont révélés que
dans la mesure nécessaire, par l'intermédiaire des bons anges ou par les
"manifestations temporelles de la puissance divine" dit saint Augustin.
Mais cette connaissance n'a pas l'étendue et la clarté de celle des saints
anges qui voient dans le Verbe les vérités révélées. Enfin, pour ce qui est de
la connaissance affective issue de la grâce, ils en sont totalement privés,
aussi bien que de la charité ť. Voir aussi op. cit., II-II, q. 5, a.
2.
13. Ť Nam
si [quis] fidem habet sine spe ac sine dilectione, Christum esse credit, non in
Christum credit ť (saint
Augustin, Serm. de Scr., 144, II, 2, PL 38, col. 788).
Mais le Seigneur dit : ET VOUS NE ME
VERREZ PLUS : non pas qu'ils ne puissent plus jamais le voir, mais parce qu'ils
ne le verraient plus dans cette chair mortelle. Ils l'ont vu aprčs sa
Résurrection, mais vivant d'une existence immortelle ; ils le verront
aussi lors du jugement, mais venant dans sa majesté.
En ce qui concerne la justice du
Christ, voici comment [l'ouvrage d'Augustin] Les Paroles du Seigneur5 explique cette parole. Les Juifs n'ayant pas
voulu reconnaître que le Christ était juste - Nous savons, nous, que cet
homme est un pécheur6 -, il les convaincra de cette
justice en disant : PARCE QUE JE VAIS VERS LE PČRE. En effet, le fait męme que
j'aille vers le Pčre relčve de ma justice. Car si la venue du Christ relevait
de la miséricorde, son Ascension lui était due selon la justice - Il s'est
abaissé (...). C'est pourquoi Dieu l'a exalté7.
2097. En troisičme lieu, l'Esprit Saint convainc le monde au sujet DU
JUGEMENT ; et cela PARCE QUE LE PRINCE DE CE MONDE, ŕ savoir le diable,
qui est prince du monde, c'est-ŕ-dire de ceux qui sont du monde non pas selon
la création mais en se laissant séduire et en l'imitant - Ils l'imitent,
ceux qui sont de son parti8.
- C'est lui qui est le roi de tous les fils de l'orgueil^ -, parce que ce prince, disions-nous,
A DÉJŔ ÉTÉ JUGÉ, c'est-ŕ-dire expulsé au-dehors - C'est maintenant le
jugement du monde, c'est-ŕ-dire, en faveur du monde, c'est maintenant
que le prince de ce monde sera jeté dehors 10. Et il parle ainsi pour éliminer
l'excuse de ceux qui se disculpent de leur péché en raison de la tentation du
diable, comme s'il disait11 On ne peut pas les excuser, parce que
le diable a été chassé du cur des croyants par la grâce, par la foi au Christ
et par l'Esprit Saint, si bien qu'il ne tente plus de l'intérieur comme avant,
mais seulement de l'extérieur par les tentations que Dieu lui permet d'exercer,
et c'est pourquoi ceux qui veulent adhérer au Christ peuvent lui résister.
C'est ainsi que de faibles femmes ont vaincu le diable12 alors que des hommes trčs forts se sont laissé dominer par lui. Le
monde est donc convaincu au sujet de ce JUGEMENT parce qu'il est vaincu par le
diable lorsqu'il ne veut pas résister, et qu'en consentant au péché il fait revenir celui qui avait été expulsé
loin de lui - Que le
péché ne rčgne pas dans votre corps mortel1.
1. Rm 3,
22. Voir vol. I, n° 1361, note 1.
2. He 11,1
La foi est la substance de ce qu'on espčre, la preuve des réalités qu'on
ne voit pas.
3. Jn 14, 21.
4. Tract, in Io., XCV, 2-3, BA 74B, p. 265-269.
5. Serm.
de Scr., 144, II-III, PL 38, col. 788-789.
6. Jn 9,
24.
7. Ph 2,
8-9.
8. Sg 2,
25.
9. Jb 41,
25. Voir ci-dessus, n° 1975, note 4.
10. Jn
12, 31.
11. Cf. saint Augustin, Serm. de Scr., 143,
V, 5, PL 38, col. 787.
12. Voir
ci-dessous, n" 2176.
Selon une autre interprétation, Augustin,
dans le męme ouvrage2, dit que : A DÉJŔ ÉTÉ JUGÉ s'entend
du jugement de condamnation3 ; autrement dit, le diable a
déjŕ été condamné, et donc aussi tous ceux qui adhčrent ŕ lui - Allez, maudits, au
feu éternel, qui a été préparé pour le diable et ses anges4. Le monde lui aussi est convaincu au sujet du jugement car, sachant que
le prince de ce monde a été condamné, il n'échappe pas non plus ŕ ce jugement,
mais il est jugé avec son prince puisqu'il imite son orgueil et son impiété.
2098. Selon Chrysostome5 le texte, depuis le début,
s'explique autrement : QUAND l'Esprit Saint SERA VENU, IL CONVAINCRA (arguet),
c'est-ŕ-dire confondra (convincet) LE MONDE AU SUJET DU PÉCHÉ,
autrement dit l'Esprit Saint lui-męme sera comme l'accusateur du monde - Dieu y joignant son
témoignage par des signes et prodiges, et par des miracles divers et des
communications d'Esprit Saint selon sa volonté*. Et au sujet de ce PÉCHÉ, il montrera qu'ils
ont péché gravement du fait qu'ILS N'ONT PAS CRU EN MOI7, lorsqu'ils verront que l'Esprit Saint sera donné en mon nom aux fidčles - Nous en sommes
témoins, nous et l'Esprit Saint, que Dieu a donné ŕ tous ceux qui lui obéissent91.
1. Rm 6,
12. Saint Thomas commente : Ť II a été dit que notre vieil homme a été
crucifié avec le Christ pour que fut détruit notre corps de péché, ce qui fait
comprendre que le pouvoir du péché a été diminué de telle maničre qu'il ne peut
nous dominer. Donc, que le péché, dorénavant, ne rčgne pas dans votre
corps morte1. Or il ne dit pas : Qu'il n'y ait pas de péché dans votre
corps mortel, car aussi longtemps que notre corps est mortel, c'est-ŕ-dire voué
ŕ la nécessité de la mort, il est impossible que dans notre corps mortel il n'y
ait pas de péché, c'est-ŕ-dire le foyer du péché. Mais du fait que nous avons
été libérés par Dieu du rčgne du péché, nous devons nous efforcer de faire que
le péché dans notre corps ne reprenne pas sur nous le pouvoir qui lui a déjŕ
été retiré ť (Ad Rom. lect., VI, n° 493).
2. Serm. de
Scr., 144, V, 6, PL 38, col. 790, ŕ travers le commentaire de SAINT BEDE
LE Vénérable (In S. Ioannis
Εν. exp. In h. loc., PL 92, col. 858 B).
3. Sur le
jugement de condamnation, voir vol. I, n°
1360, note 3.
4. Mt 25, 41.
5. In Ioannem hom., LXXVIII, 1-2, PG 59, col. 421-422.
6. He 2,
4.
7. Cf. 1
Jn 2, 22 L'Antichrist est celui qui refuse de croire que Jésus est le Christ.
Par contre les fidčles ont reçu l'onction de l'Esprit Saint et ils ont tous la
science (cf. 1 Jn 2, 20).
L'Esprit Saint convaincra aussi au
sujet DE LA JUSTICE, c'est-ŕ-dire de celle que moi je possčde, mais que le
monde ne m'a pas reconnue ; et cela PARCE QUE JE VAIS VERS LE PČRE et que
je vous enverrai l'Esprit, c'est-ŕ-dire celui qui montrera que je suis juste et
que j'ai mené une vie irréprochable - Le Paraclet que moi je vous enverrai
d'auprčs du Pčre, l'Esprit de vérité qui procčde du Pčre, c'est lui qui rendra
témoignage ŕ mon sujet9. C'est bien ce qui est dit dans le
psaume : le Christ, une fois monté dans les hauteurs, a donné des dons aux
hommes 10.
L'Esprit Saint convaincra enfin au
sujet DU JUGEMENT, PARCE QUE LE PRINCE DE CE MONDE A DÉJŔ ÉTÉ JUGÉ, du fait
męme qu'il est jugé par l'Esprit Saint, c'est-ŕ-dire expulsé du cur des
fidčles - Les prophčtes
et l'esprit d'impureté, je les expulserai du pays 11.- Nous, nous n'avons pas reçu
l'esprit de ce monde, mais l'esprit qui vient de Dieu 12. Et au sujet de ce jugement il
convaincra le monde, parce qu'ils ont jugé ŕ tort que le Christ avait un démon 13 et qu'il chassait les démons par Béelzéboul14 ; de cela ils seront convaincus
parce que l'Esprit Saint, que moi j'enverrai, condamnera le démon lui-męme et
le jettera dehors.
8. Ac 5,
32.
9. Jn 15,
26. Voir aussi 1 Jn 5, 6 C'est l'Esprit qui rend témoignage, parce que
l'Esprit est la vérité ; et 1 Jn 5, 9 Si nous recevons le
témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus grand. Car tel est le
témoignage de Dieu, qui est plus grand : il a témoigné au sujet de son Fili.
10. Cf. Ps
67, 19. Voir ci-dessus, n° 2088, note 5, p.
260.
11. Za
13, 2.
12. 1 Co 2,
12. Voir aussi 1 Jn 4, 1-2.
13. Cf. Jn
7, 20 ; 8, 48 et 52 ; 10, 20 ; Me 3, 30.
14. Cf. Le
11, 15 ; Me 3, 22 ; Mt 9, 34 et 12, 24.
L'Esprit Saint instruira les disciples
J'AI
ENCORE BEAUCOUP DE CHOSES Ŕ VOUS DIRE, MAIS VOUS NE POUVEZ PAS LES PORTER
MAINTENANT. MAIS QUAND IL VIENDRA, LUI, L'ESPRIT DE VÉRITÉ, IL VOUS ENSEIGNERA
LA VÉRITÉ TOUT ENTIČRE. CAR IL NE PARLERA PAS DE LUI-MĘME ; MAIS TOUT CE
QU'IL ENTENDRA, IL LE DIRA, ET CE QUI VA VENIR, IL VOUS L'ANNONCERA. (16,
12-14)
2099. Par ces mots le Seigneur expose l'utilité de l'avčnement de l'Esprit
Saint pour les disciples, ŕ savoir leur instruction. En premier lieu, il met en
avant la nécessité de leur instruction, puis il promet cette instruction [n°
2102] ; enfin il écarte un doute [n° 2103].
J'AI
ENCORE BEAUCOUP DE CHOSES Ŕ VOUS DIRE, MAIS VOUS NE POUVEZ PAS LES PORTER
MAINTENANT.
2100. Il dit donc : L'avčnement de l'Esprit Saint sera utile au monde,
puisqu'il le convaincra, mais ŕ vous aussi il sera utile pour votre
instruction. Et vous avez besoin de cette instruction, parce que J'AI ENCORE
BEAUCOUP DE CHOSES Ŕ VOUS DIRE, MAIS VOUS NE POUVEZ PAS LES PORTER MAINTENANT.
Autrement dit : Moi, je vous ai instruits, mais vous n'ętes pas encore comblés - Voici ce qui a été dit d'une partie de ses paroles ;
et si c'est avec peine que nous avons entendu une petite goutte de ses paroles,
qui pourra contempler l'éclat du tonnerre de sa grandeur ?1 Mais qu'est ce BEAUCOUP qu'ils ne peuvent pas porter ? Il est
stupide de s'en enquérir, comme le dit Augustin2, car si eux-męmes ne pouvaient pas
le porter, nous le pouvons encore bien moins !
2101. Mais divers hérétiques se servent de cette affirmation : VOUS NE POUVEZ
PAS LES PORTER MAINTENANT pour voiler leur erreur, en disant dans l'ombre ŕ
leurs partisans des choses tout ŕ fait honteuses qu'ils n'oseraient pas dire au
grand jour ; comme si c'était lŕ ce que les disciples ne pouvaient pas
alors porter, et que l'Esprit Saint avait enseigné ce que l'esprit de l'homme a
honte d'enseigner et de pręcher ouvertement.
Il ne faut donc pas comprendre ici
que l'on taise aux plus petits des croyants certains secrets de doctrine qu'on
devrait dire en privé aux plus grands : c'est ŕ tous les croyants qu'on expose
ce qui relčve de la foi
- Ce que vous entendez ŕ l'oreille, proclamez-le sur les toits3. Toutefois il y a une maničre d'exposer aux gens incultes, et
une autre aux gens cultivés. Ainsi, ce qu'il y a de subtilités dans le mystčre
de l'Incarnation ou d'autres mystčres ne doit pas ętre exposé aux gens incultes
car, ne pouvant pas comprendre, ils seraient scandalisés4. Le Seigneur exposa donc aux disciples tout ce qui relevait de la foi,
mais pas de la maničre dont il le révéla ensuite, surtout dans la vie
éternelle.
Ainsi, donc, les choses qu'ils ne
pouvaient pas porter sont remplies de la connaissance des réalités divines,
qu'ils n'avaient pas alors : par exemple, l'égalité du Fils avec le Pčre et
autres choses de cette sorte. Aussi Paul dit-il : Il entendit des paroles
secrčtes, qu'il n'est pas permis ŕ l'homme de dire5 ; ces paroles ne se rapportaient pas ŕ une vérité autre que celle
de la foi, mais elles s'y rapportaient d'une maničre plus profonde. Ce qu'ils
ne pouvaient pas encore porter, c'est aussi l'intelligence spirituelle de
toutes les Écritures, qu'ils n'avaient pas ŕ ce moment-lŕ mais qu'ils eurent
quand le Christ leur ouvrit l'esprit ŕ l'intelligence
des Écritures1. Et c'était encore les souffrances et les
dangers qu'ils allaient endurer, ce dont ils n'étaient alors pas capables parce
que leur esprit était faible - Courbe ton épaule, et porte-la [la sagesse,
comme ton joug]2. L'instruction leur était donc
nécessaire.
1. Jb 26,
14.
2. Tract, in Io., XCVI, 1, BA 74B, p. 275-279.
3. Mt 10,
27.
4. Saint
Thomas suit dans ce paragraphe la progression du commentaire de saint Augustin
(cf. Tract, in Io., XCVIII, 3-4, BA 74B, p. 319-325).
5. 2 Co
12, 4.
MAIS
QUAND IL VIENDRA, LUI, L'ESPRIT DE VÉRITÉ, IL VOUS ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT
ENTIČRE.
2102. Ici le Seigneur leur promet l'instruction qu'ils recevront par la venue
de l'Esprit Saint, qui leur ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT ENTIČRE3. En effet, puisqu'il est de la Vérité, il lui appartient d'enseigner
la vérité et de rendre [les autres] semblables ŕ son principe [la Vérité]. Et
le Christ dit : LA VÉRITÉ TOUT ENTIČRE, c'est-ŕ-dire la vérité de la foi, que
l'Esprit nous enseignera par une certaine élévation de notre intelligence en
cette vie, et enfin de maničre pléničre dans la vie éternelle4 oů nous connaîtrons comme nous sommes connus5 - L'onction vous enseignera tout0. On pourrait aussi comprendre LA VÉRITÉ TOUT
ENTIČRE des figures de la Loi, vérité que les disciples ont acquise grâce ŕ
l'Esprit Saint. C'est ainsi que Daniel dit que le Seigneur a donné sagesse et
intelligence aux quatre jeunes gens7.
CAR IL
NE PARLERA PAS DE LUI-MĘME ; MAIS TOUT CE QU'IL ENTENDRA, IL LE DIRA, ET
CE QUI VA VENIR, IL VOUS L'ANNONCERA.
1. Lc 24,
45.
2. Si 6,
26.
3. Sur le
lien entre l'Esprit Saint et la vérité, voir ci-dessus, n° 1916.
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., XCVI, 4, BA 74B, p. 289-291.
5. 1 Co
13, 12 Mais alors je connaîtrai tout comme je suis connu.
6. 1 Jn
2, 27.
7. Dn 1,
17 Et ŕ ces quatre jeunes gens Dieu donna savoir et intelligence en toute
littérature et sagesse. Voir aussi 1, 20.
2103. Ici, le Seigneur écarte un doute qui pouvait exister. Si l'Esprit Saint
doit instruire les disciples, il semble qu'il soit plus grand que le Christ8. Mais il n'en est pas ainsi, puisqu'il les instruira par le pouvoir (virtus)
du Pčre et du Fils ; CAR IL NE PARLERA PAS DE LUI-MĘME, mais de moi (a
me), puisque c'est de moi qu'il sera. En effet, de męme que le Fils n'opčre
pas de lui-męme parce qu'il n'est pas de lui-męme mais du Pčre, de męme
l'Esprit Saint, parce qu'il est d'un autre (ab alio), c'est-ŕ-dire du
Pčre et du Fils, NE PARLERA PAS DE LUI-MĘME ; MAIS TOUT CE QU'IL
ENTENDRA en recevant la science comme il reçoit l'essence de toute éternité, IL
LE DIRA, non pas de maničre sensible, mais intérieurement, en illuminant
intérieurement l'esprit - Je la conduirai dans la solitude et je parlerai ŕ
son cur9. -J'écouterai ce que dit en moi le
Seigneur Dieu 10.
2104. Mais puisque l'Esprit Saint a entendu de toute éternité, pourquoi le
Christ dit-il : IL ENTENDRA, au futur ? Lŕ il faut dire que l'éternité
inclut tout le temps, et c'est pourquoi on peut dire de l'Esprit Saint, qui
entend de toute éternité, qu'il entend, ou a entendu, ou entendra 11.
Cependant, si parfois on emploie le
futur (il entendra), c'est parce que ces réalités dont il a connaissance sont
des réalités ŕ venir. Donc TOUT CE QU'IL ENTENDRA, IL LE DIRA en ce sens qu'il
enseignera non seulement les réalités éternelles, mais aussi les réalités
futures ; aussi le Seigneur ajoute-t-il : ET CE QUI VA VENIR, IL VOUS
L'ANNONCERA, ce qui est le propre de la divinité - Les
signes et les prodiges, elle [la Sagesse] les sait avant qu'ils ne se réalisent12. -
Annoncez-nous ce qui viendra plus tard ; et nous saurons que vous ętes des
dieux1. Et cela est propre ŕ l'Esprit Saint - Je répandrai
de mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront2 ; or les Apôtres eurent l'esprit de prophétie3.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., C, 4, BA 74B, p. 383-385.
9. Os 2, 14.
10. Ps 84, 9.
11. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., XCIX, 5, BA 74B, p. 359.
12. Sg 8,
8.
Ou bien l'Esprit ENSEIGNERA LA VÉRITÉ
TOUT ENTIČRE, c'est-ŕ-dire celle des préfigurations 4. Mais afin qu'ils ne doutent pas de
la maničre dont ils vont connaître les tribulations futures qu'il leur a
annoncées, il ajoute : ET CE QUI VA VENIR, sous-entendu sur VOUS, IL VOUS
L'ANNONCERA.
L'Esprit Saint glorifiera le Christ
LUI, IL
ME GLORIFIERA, PARCE QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST Ŕ MOI ET VOUS L'ANNONCERA.
TOUT CE QU'A LE PČRE EST Ŕ MOI VOILŔ POURQUOI J'AI DIT QU'IL RECEVRA DE CE
QUI EST Ŕ MOI, ET VOUS L'ANNONCERA. (16, 14-15)
2105. Précédemment5, on a montré un double fruit de la
venue de l'Esprit Saint : le fait de convaincre le monde et l'instruction des
disciples ; l'Évangéliste nous donne ŕ présent le troisičme fruit : la
glorification du Christ. Le Seigneur commence donc par mettre en avant ce finit
qu'est la glorification, puis il donne la raison de cette glorification [n°
2107] ; enfin, il explicite cette raison [n° 2109].
LUI, IL
ME GLORIFIERA.
2106. Il dit donc de l'Esprit Saint : IL VOUS ENSEIGNERA LA VÉRITÉ TOUT
ENTIČRE, parce que LUI, IL ME GLORIFIERA, moi en qui existe toute la vérité - Moi
je suis le Chemin, la Vérité et la Vie6. - Le Christ, en qui se
trouvent tous les trésors de la sagesse et de la science (...) 7.
IL ME GLORIFIERA8, c'est-ŕ-dire il rendra claire la connaissance qu'on a de moi9. Premičrement en illuminant les disciples ; car ils étaient
encore soumis ŕ la chair et attachés au Christ selon la chair, c'est-ŕ-dire
selon la faiblesse de la chair, eux qui ne connaissaient pas la majesté de sa
divinité mais qui en furent rendus capables plus tard par l'Esprit Saint - C'est
ŕ nous que Dieu lα révélé par son Esprit10.
Deuxičmement, en leur donnant la
hardiesse de l'annoncer clairement. Car auparavant les disciples étaient
craintifs au point de ne pas oser confesser publiquement le Christ ; mais
une fois remplis de l'Esprit Saint, la crainte étant chassée, ils annoncčrent
le Christ aux hommes, poussés en quelque sorte par l'Esprit Saint lui-męme - Lorsqu'il
viendra comme un fleuve impétueux que le souffle du Seigneur agite11. Aussi l'Apôtre disait-il : La charité du Christ nous presse12.
Troisičmement, en réalisant dans les
Apôtres, et par eux, des uvres étonnantes - Tout cela,
c'est l'unique et męme Esprit qui l'opčre, répartissant ses dons ŕ chacun en
particulier comme il le veut13.
PARCE
QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST Ŕ MOI ET VOUS L'ANNONCERA.
2107. Le Seigneur donne ici la raison de la glorification : c'est que le Fils
est principe de l'Esprit
Saint. Car tout ce qui est d'un autre1 manifeste ce ŕ partir de quoi il est
: le Fils en effet manifeste le Pčre, parce qu'il est de lui. Donc, puisque
l'Esprit Saint est du Fils2, il lui appartient en propre de le
glorifier.
1. Is 41, 23.
2. Jl 2, 28.
3. Cf. Somme théol., I, q. 43, a. 3, ad 4.
4. Cf. Didyme l'Aveugle, Traité du
Saint-Esprit, § 150, SC 386, P. 285.
5. NT
2091 et 2099. 6. Jn 14, 6.
7. Col 2,
3.
8. Clarificabit.
Sur gloria et claritas, voir vol. I, n° 1278 et notes 3 et 4.
9. Les
deux premičres explications sont reprises du commentaire de saint Augustin {Tract, in Io., C,
1, BA 74B, p. 371-373).
10. 1 Co
2, 10.
11. Is
59, 19. Saint Thomas commente : Ť Remarque que le Christ est un fleuve
impétueux d'abord ŕ cause de la multitude des eaux - Le fleuve de Dieu est
rempli d'eau (Ps 64, 10) ; deuxičmement ŕ cause de la ferveur de
l'amour - Un fleuve de feu rapide sortait de sa face (Dn 7, 10) ;
troisičmement en raison de la rapidité de son cours - L'assaut du fleuve
réjouit la cité de Dieu (Ps 45, 5) ; quatričmement en raison de la
grandeur de son origine - Il me montra un fleuve profond (Ap
22, 1) ť ť (Exp. super Isaiam, 59, 19, p. 234, 1. 186-194).
12. 2 Co
5, 14.
13. 1 Co
12, 11.
Le Seigneur dit donc : Et il me
glorifiera PARCE QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST Ŕ MOI Mais comprenons que ce
n'est pas recevoir ŕ la maničre des créatures. Car dans la maničre dont les
créatures reçoivent il y a trois aspects, dont deux n'existent pas dans les
réalités divines. D'abord, chez les créatures, autre est ce qui reçoit, autre
ce qui est reçu ; et il n'en est pas ainsi dans les réalités divines,
puisque les personnes divines sont simples et qu'en elles il n'y a pas telle
chose et telle autre. Au contraire l'Esprit Saint, quel que soit celui dont il
reçoit, reçoit toute sa substance, et de męme aussi le Fils.
L'autre différence, c'est que dans
les créatures, ce qui reçoit a été, ŕ un certain moment, dépourvu de ce qu'il
reçoit, comme lorsque la matičre reçoit la forme, ou le sujet l'accident. Car ŕ
un moment, la matičre a été dépourvue de telle forme, et le sujet de tel
accident. Or il n'en est certes pas ainsi dans les réalités divines, parce que
le Fils possčde de toute éternité ce qu'il reçoit du Pčre, et l'Esprit Saint ce
qu'il reçoit du Pčre et du Fils. Et donc l'Esprit Saint reçoit du Fils comme le
Fils reçoit du Pčre - Ce que m'a donné le Pčre est plus
grand que tout3. Ainsi donc, dans les réalités divines,
recevoir du Pčre exprime un ordre.
2108. Mais remarque que lorsqu'il dit : IL RECEVRA DE CE QUI EST Ŕ MOI, le DE
n'implique pas participation, mais consubstantialité4, parce que l'Esprit reçoit tout ce
que le Fils a. En effet, de męme que l'on dit : Ť Le Fils est de la
substance du Pčre ť parce qu'il reçoit toute la substance du Pčre, de męme
dit-on que Ť l'Esprit Saint est de la substance du Fils ť parce qu'il
reçoit toute sa substance. Et donc, puisqu'IL RECEVRA DE CE QUI EST Ŕ MOI, et
que moi je suis le Verbe de Dieu, IL VOUS L'ANNONCERA. En effet l'esprit d'un
ętre vivant ne peut exister qu'en procédant d'un verbe conçu intérieurement.
1. Est
ab alio. Voir ci-dessus, n° 2061, note 1.
2. Cf. Somme
théol., I, q. 36, a. 2 et a. 3. Citons notamment : Ť On a dit que le
Fils procčde selon le mode propre ŕ l'intelligence comme Verbe, et que le
Saint-Esprit procčde selon le mode propre ŕ la volonté, comme amour. Or il est
nécessaire que l'amour procčde du Verbe : nous n'aimons rien en dehors de ce
que nous appréhendons dans une conception de l'esprit. Selon cela, il est donc
manifeste que le Saint-Esprit procčde du Fils ť (loc. cit., a. 2,
c).
3. Jn 10,
29.
TOUT CE
QU'A LE PČRE EST Ŕ MOI VOILŔ POURQUOI J'AI DIT QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST Ŕ
MOI, ET VOUS L'ANNONCERA.
2109. Le Christ va maintenant expliciter la raison de sa glorification, en
prouvant que l'Esprit Saint recevait de ce qui est ŕ lui en raison de l'unité
et la consubstantialité du Pčre et du Fils. Il commence par montrer la
consubstantialité du Pčre et du Fils ; puis il met en avant la conclusion
qu'il avait en vue [n° 2114].
TOUT CE
QU'A LE PČRE EST Ŕ MOI.
2110. Il dit donc : L'Esprit recevra de ce qui est ŕ moi, parce que TOUT CE
QU'A LE PČRE EST Ŕ MOI, autrement dit : Quoique l'Esprit de vérité procčde du
Pčre, cependant, comme TOUT CE QU'A LE PČRE EST Ŕ MOI, et que cet Esprit est
l'Esprit du Pčre, il recevra aussi de ce qui est ŕ moi.
Mais remarquons que lorsque nous
disons que nous Ť avons ť quelque chose, cela peut ętre de deux
maničres : soit comme une possession, soit comme ce qui est en nous, par
exemple ŕ la maničre d'une forme ou d'une partie. Le Pčre Ť a ť donc,
comme une possession et comme une réalité soumise ŕ lui, toute créature - Au Seigneur est la terre et sa plénitude1 ; il Ť a ť aussi quelque chose qui est en lui,
ou plutôt qui est lui-męme, car il est lui-męme tout ce qui est en lui, puisqu'il
est lui-męme son essence, sa bonté, sa vérité et son éternité. C'est donc de
cette deuxičme maničre d'avoir que nous parlons ici. Et ainsi, tout ce qu'a le
Pčre appartient au Fils, parce que la sagesse, l'essence, la bonté qu'a le Fils
sont celles-lŕ męmes qu'a le Pčre2 - Comme le Pčre a la vie en lui-męme, ainsi
a-t-il aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui-męme3. - Toutes choses m'ont été remises par mon Pčre4.
4. Sur la
consubstantialité, voir ci-dessous, n° 2115, note 3.
2111. Mais, au dire de Didyme5, certains objectent : Si tout ce
qu'a le Pčre, le Fils l'a aussi, alors, puisque le Pčre a la paternité, il
s'ensuit que le Fils l'a aussi.
Didyme répond que ce raisonnement
aurait bien une apparence [de vérité] si le Seigneur disait : Tout ce qu'a Dieu
est ŕ moi. Mais en disant : TOUT CE QU'A LE PČRE, il sauve la distinction du
Pčre et du Fils, en donnant ŕ entendre que tout ce qu'a le Pčre est ŕ lui6, hormis ce en quoi le Pčre se distingue du Fils. En effet, c'est au
nom du Pčre qu'il s'est déclaré Fils ; et la paternité, il ne l'a pas
usurpée, lui qui était Fils.
1. Ps 23,
1.
2. Cf. Didyme l'Aveugle, Traité du
Saint-Esprit, § 171, SC 386, p. 301. 3. Jn 5, 26.
4. Mt 11,
27. Saint Thomas commente : Ť Remarque l'égalité, mais cependant l'origine
: par mon Pčre. Mais pourquoi dit-il toutes choses ? Cela
peut s'expliquer de trois maničres : Tout, c'est-ŕ-dire au-dessus de toute
créature - Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre (Mt 28,
18). Ou bien tout, c'est-ŕ-dire les élus et ceux qui ont été prédestinés, eux qui ont été donnés de maničre
particuličre - Ils étaient ŕ toi et tu me les as donnés (Jn 17, 6). Ou
encore tout, ŕ savoir les choses intérieures, toute la perfection de la
divinité - Comme le Pčre a la vie en lui-męme, ainsi a-t-il aussi donné au
Fils d'avoir la vie en lui-męme (Jn 5, 26). Et nous ne devons pas le
comprendre selon la chair, parce que s'il l'a donné, il l'a aussi gardé Pour
lui. Mais on pourrait dire : Comment l'a-t-il donné ? Aussi a-t-il ajouté le mode : par mon
Pčre. Aussi est-ce par la génération qu'il a reçu cela ť (Super Matth. lect., XI, n° 964).
5. Traité
du Saint-Esprit, § 172, SC 386, p. 301.
6. Voir
vol. I, nos 947 et
977 ; ci-dessus nos 2061 et
note 1,2110, et ci-dessous, nos 2113,
2114, 2199, 2208, etc. Voir aussi Ad Heb. lect., VII, n° 333.
2112. Précisons toutefois que nous concédons purement et simplement
l'affirmation : Ť Tout ce qu'a le Pčre, le Fils l'a ť, mais non pas
cependant que le Fils l'ait selon l'ordre par lequel le Pčre l'a. Car le Fils
l'a comme celui qui reçoit d'un autre, alors que le Pčre l'a comme celui qui
donne ŕ un autre. La distinction n'est donc pas dans ce qui est possédé, mais
dans l'ordre selon lequel cela est possédé. Or les relations de cette sorte,
c'est-ŕ-dire la paternité et la filiation, impliquent la distinction de cet
ordre ; car la paternité implique de donner ŕ un autre, tandis que la
filiation implique de recevoir d'un autre7.
2113. Mais on peut se demander si, dans les réalités divines, la relation est
réellement quelque chose. Il semble que oui : autrement, puisque les personnes
divines se distinguent par les relations, leur distinction ne serait pas
réelle.
Il faut donc dire que dans les
réalités divines, il y a deux façons de considérer la relation. La premičre,
par rapport ŕ l'essence du Pčre ou ŕ sa personne ; et ainsi [la relation
de paternité] n'est pas une réalité autre que l'essence ou la personne du Pčre.
L'autre maničre de considérer la relation est par rapport ŕ la relation
opposée, en l'occurrence ŕ la filiation ; et ainsi la paternité est une
relation réelle, parce que selon cela elle implique un ordre de nature que le
Pčre donne au Fils par génération éternelle ; et cet ordre existe bien en
Dieu selon la vérité de la réalité8.
7. Cf. Somme
théol, I, q. 40, a. 2, c. : Ť En toute pluralité oů l'on trouve un
élément commun, il faut bien chercher un élément distinctif. Et puisque les
trois personnes communient en l'unité d'essence, il faut nécessairement
chercher quelque chose qui les distingue et fasse qu'elles soient plusieurs. Or,
en ces divines personnes, il y a deux choses en quoi elles diffčrent :
l'origine et la relation. Non qu'origine et relation fassent deux en réalité,
mais leur mode de signification n'est pas le męme. On signifie l'origine comme
une action : la génération, par exemple ; la relation comme une forme : la
paternité (...) ť.
8. Voir Somme
théol., I, q. 39, a. 1, c. Voir aussi ci-dessus, n° 1911, note 7.
Ainsi donc, si la paternité se
rapporte ŕ l'essence du Pčre, tout ce qu'a le Pčre, le Fils l'a, la paternité
n'étant pas autre chose que l'essence du Pčre ; cependant le Fils ne l'a
pas selon le męme ordre, comme nous l'avons dit.
2114. En disant : VOILŔ POURQUOI J'AI DIT QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST Ŕ MOI,
ET VOUS L'ANNONCERA, le Seigneur met en avant la conclusion qu'il avait en vue,
ŕ savoir que l'Esprit Saint reçoit du Fils. En effet, si tout ce qu'a le Pčre
appartient au Fils, et que le Fils est consubstantiel au Pčre, il faut
nécessairement que l'Esprit Saint procčde du Fils comme il procčde du Pčre,
comme le montrent Hilaire1 et Didyme2.
Ŕ ce sujet, il faut savoir qu'en
toute procession ou origine d'une réalité créée, nous disons que ce par quoi
l'agent agit ou donne ce qu'il a, et ce que la réalité réceptrice reçoit, est une
seule et męme chose. Ainsi, le feu généré reçoit la forme de feu, que le feu
générateur donne par sa propre forme. Or dans l'origine des personnes divines
il y a d'une certaine maničre quelque chose de semblable, car ce par quoi le
Pčre donne, et ce que le Fils reçoit, c'est la męme chose. Le Pčre donne en
effet sa nature au Fils, non par volonté, mais par nature, c'est-ŕ-dire par sa
propre nature. Mais il y a une dissemblance : pour les créatures, ce qui est
communiqué et ce par quoi cela est communiqué n'est pas la męme chose
numériquement, mais seulement spécifiquement ; tandis que dans les
réalités divines, la nature que le Pčre donne au Fils est numériquement la męme
que celle par laquelle il la donne ou communique.
2115. Mais remarque que nous disons : le Fils reçoit de (de) la
substance du Pčre, c'est-ŕ-dire reçoit la substance du Pčre ; et l'Esprit
Saint reçoit de la substance du Pčre et du Fils ; et nous disons aussi que
le Pčre, par le pouvoir de sa nature, donne sa propre substance au Fils, et le
Pčre et le Fils ŕ l'Esprit Saint. Et cependant nous ne disons pas que le Pčre
est de la substance du Fils, ni que le Pčre et le Fils sont de la substance de
l'Esprit Saint, parce que la préposition de implique la
consubstantialité avec un ordre d'origine3. Ainsi donc, ŕ l'Esprit Saint est
communiqué ce qui est commun au Pčre et au Fils. Or dans les réalités divines,
le principe de communication doit ętre la męme réalité que ce qui est
communiqué. Si donc l'essence est communiquée ŕ l'Esprit Saint, ce qui
communique doit ętre l'essence. Mais l'essence est commune au Pčre et au
Fils ; il faut donc que si le Pčre donne l'essence ŕ l'Esprit Saint, le
Fils aussi la donne de maničre semblable. Et c'est pourquoi il dit : TOUT CE QU'A LE PČRE
EST Ŕ MOI Et l'Esprit Saint reçoit du Pčre ; VOILŔ POURQUOI J'AI DIT
QU'IL RECEVRA DE CE QUI EST Ŕ MOI, ET VOUS L'ANNONCERA, car c'est en tant qu'il
reçoit de moi, qu'il vous l'annoncera.
1. La
Trinité, VIII, 20-21, SC 448, p. 409-411.
2. Traité
du Saint-Esprit, § 170-173, SC 386, p. 299-303.
3. Dans la Somme théologique, saint Thomas précise ce mystčre de la consubstantialité en mettant en lumičre l'aspect du mystčre qui échappe ŕ la raison, et en utilisant pour cela des analogies. Que veut exprimer en effet le théologien en disant que Ť le Fils reçoit la substance du Pčre ť ? En s'appuyant sur l'autorité de saint Augustin qui écrit : Ť Dieu le Pčre seul a engendré de sa propre nature et sans commencement un Fils égal ŕ lui-męme ť (De Fide ad Petrum), saint Thomas expose : Ť Le Fils n'est pas engendré de rien, mais bien de la substance du Pčre. En effet, on a montré plus haut (q. 27, a. 2 ; q. 33, a. 2, ad 3 et 4 ; a. 3) qu'il y a en Dieu véritablement et proprement paternité, filiation et naissance. Or entre "engendrer" vraiment, acte par lequel un fils procčde, et "faire", il y a cette différence que l'on fait une chose avec une matičre extérieure - le menuisier fait un escabeau avec du bois -, mais c'est de lui-męme que l'homme engendre un fils. Et tandis que l'artiste créé fait quelque chose ŕ partir d'une matičre, Dieu, lui, fait quelque chose de rien (...). Non que le rien passe dans la substance de la chose, mais parce que toute la substance de la chose est produite par Dieu sans rien de présupposé. Si donc le Fils procédait du Pčre comme existant ŕ partir de rien, il serait par rapport au Pčre comme l'uvre d'art pour l'artiste. Et il est clair que l'uvre ne peut pas prendre le nom de fils au sens propre mais seulement par similitude. Il s'ensuit que si le Fils de Dieu procédait du Pčre comme tiré de rien, il ne serait pas véritablement Fils au sens propre, ce qui va contre l'affirmation de Jean : Nous sommes dans son vrai Fils Jésus Christ (1 Jn 5, 20). (...) Il reste donc que le Fils de Dieu est bien engendré de la substance du Pčre, d'une autre maničre cependant que le fils d'un homme. En effet, une part de la substance de l'homme qui engendre passe dans la substance de celui qui est engendré. Mais la nature divine est indivisible. Il faut donc que le Pčre, en engendrant le Fils, ne lui transmette pas une partie de sa nature, mais la lui communique tout entičre et ne se distingue de lui que par une relation d'origine comme on l'a montré plus haut (q. 40, a. 2) ť (I, q. 41, a. 3, c). Au sujet de la préposition de qui implique la consubstantialité avec un ordre d'origine, saint Thomas poursuit : Ť La préposition latine de dénote toujours un principe consubstantie1. Ainsi on ne dit pas que la maison est faite du constructeur, car celui-ci n'est pas cause consubstantielle. Par contre, on dit qu'une chose est faite (dune autre dčs qu'elle signifie un principe consubstantie1. Soit qu'elle soit un principe actif, comme le fils est dit ętre du pčre, soit qu'elle soit un principe matériel, comme un couteau est dit ętre de fer, soit qu'elle soit un principe formel, pour les réalités en qui la forme est elle-męme subsistante et n'advient pas ŕ un sujet distinct - d'un ange on peut dire qu'il est de nature intellectuelle. C'est en ce sens qu'on dit que le Fils est engendré de l'essence du Pčre, car l'essence du Pčre, communiquée au Fils par génération, subsiste en celui-ci ť (I, q. 41, a. 3, ad 2).
2116. Auparavant1, le Seigneur a expliqué la premičre
raison donnée pour consoler les disciples, ŕ savoir la promesse de l'Esprit
Saint ; ici, il explique la seconde2, liée au fait qu'ils le verront de
nouveau.
L'Évangéliste présente d'abord la
promesse de le voir de nouveau, puis le doute des disciples [n° 2121] ;
enfin, il ajoute une réponse pour dissiper ce doute [n° 2125].
La promesse de le voir de nouveau.
UN PEU
DE TEMPS ET VOUS NE ME VERREZ PLUS ; ET ENCORE UN PEU, ET VOUS ME
VERREZ ; PARCE QUE JE VAIS VERS LE PČRE. (16, 16)
2117. Le Seigneur, en leur annonçant son départ, leur promet qu'ils le
verront de nouveau ; et s'il leur rappelle si souvent son départ, c'est
pour qu'en pensant fréquemment ŕ ce qui va arriver, ils supportent avec plus de
patience ce départ, une fois venu.
Le Seigneur présente trois faits
propres ŕ les consoler : une absence brčve, une présence renouvelée et un
départ digne d'honneur.
2118. L'absence certes est brčve : UN PEU DE TEMPS ET VOUS NE ME VERREZ PLUS,
en comprenant que le UN PEU DE TEMPS se rapporte ŕ VOUS NE ME VERREZ
PLUS ; autrement dit : Bientôt je serai enlevé d'auprčs de vous par la
mort, ET
VOUS NE ME VERREZ PLUS. Mais vous ne
devez pas en ętre accablés de tristesse, parce que ce temps oů vous ne me
verrez plus sera court, puisque je me relčverai au point du jour3) le troisičme jour - Cache-toi un peu pour
un moment, jusqu'ŕ ce que soit passée l'indignation 4.
2119. Mais ŕ nouveau je serai présent, car ENCORE UN PEU, c'est-ŕ-dire
pendant un certain temps aprčs ma Résurrection, ŕ savoir quarante jours - Il se
présenta (...), se faisant voir d'eux pendant quarante jours5 -, ET VOUS ME
VERREZ - Les disciples furent dans la joie ŕ la vue du Seigneur6.
2120. Et ceci, puisque je pars d'une maničre honorable, PARCE QUE JE VAIS VERS LE PČRE - Sous leurs regards,
il fut élevé7.
On peut interpréter autrement, en comprenant que le UN PEU se réfčre
au temps précédant sa mort, le sens étant alors : UN PEU DE TEMPS, ŕ savoir il
y aura un temps oů je vous serai retiré, et ce sera le lendemain
męme - Petits enfants, pour peu de temps encore je suis avec vous1 -, ET VOUS NE ME
VERREZ PLUS, sous-entendu, morte1. Nous lisions en effet : Encore un peu, et
le monde ne me voit plus2, comme mortel, puisqu'il verra le
Christ au jugement venant en majesté ; les disciples, par contre, le
voient aprčs la Résurrection, immortel, car Dieu lui a donné de se
manifester, non ŕ tout le peuple, mais aux témoins choisis d'avance3. Aussi ajoute-t-il : ET ENCORE UN PEU,
c'est-ŕ-dire cela durera encore un peu, ET VOUS ME VERREZ, puisqu'il est resté
peu de temps dans la mort - Dans un moment d'indignation, je t'ai caché un
instant ma face4.
1. Voir n° 2082.
2. La
seconde raison était exposée au n° 1907.
3. Ps 56, 9.
4. Is 26, 20.
5. Ac l, 3.
6. Jn 20, 20.
7. Ac l, 9.
On peut encore rapporter le UN PEU DE
TEMPS ŕ la durée de toute notre vie, jusqu'au jugement ; nous le
verrons alors au jugement et dans la gloire. Et s'il est dit UN PEU DE TEMPS,
c'est en comparaison avec l'éternité - Mille ans ŕ tes yeux sont comme le
jour d'hier qui est passé, comme une veille dans la
nuit5. PARCE QUE JE VAIS VERS LE PČRE, par la
Résurrection et l'Ascension - Jésus, sachant quétait venue son heure de
passer de ce monde vers le Pčre (...)6
Le doute des disciples.
QUELQUES-UNS
DE SES DISCIPLES SE DIRENT DONC ENTRE EUX Ť QU'EST-CE QU'IL NOUS DIT LŔ
: UN PEU DE TEMPS ET VOUS NE ME VERREZ PLUS ; ET ENCORE UN PEU, ET VOUS ME
VERREZ, ET : PARCE QUE JE VAIS VERS LE PČRE ? ť ILS DISAIENT DONC :
Ť QU'EST-CE QU'IL DIT : ENCORE UN PEU ? NOUS NE SAVONS PAS DE QUOI IL
PARLE. ť (16, 17-18)
2121. Ici, l'Évangéliste expose le doute des disciples. Il présente d'abord
les propos qu'ils échangent ; puis il nous donne ce qui amena ce
doute ; enfin, il décrit la disposition d'esprit et le sentiment7 de ceux qui doutent.
2122. Du fait des paroles du Seigneur, les disciples échangeaient entre eux,
en disant : QU'EST-CE QU'IL NOUS DIT LŔ : UN PEU DE TEMPS ? On remarque lŕ
leur respect ŕ l'égard du Christ, respect si grand qu'ils n'osaient pas
l'interroger. Et les anges font de męme - Quel est celui qui vient d'Edom,
de Bosra, les vętements teints ? Ŕ cela cependant il répond en disant
: C'est moi qui proclame la justice, et qui
combats pour le salut8. Mais par lŕ, il nous est donné ŕ entendre que
les disciples n'avaient pas encore une intelligence parfaite des paroles du
Christ, soit ŕ cause de la tristesse qui les absorbait, soit ŕ cause de
l'obscurité de ses paroles9 - Ętes-vous encore, vous aussi, sans intelligence ?10
1. Jn 13, 33.
2. Jn 14, 19.
3. Ac 10, 40-41.
4. Is 54, 8.
5. Ps 89, 4.
6. Jn 13,
1.
7. Sentiment
traduit ici le mot latin affectio. Voir ci-dessus n° 1727, note 2,
et vol. I, n" 1500, note 4.
8. Is 63, 1.
9. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXIX, PG 59, col. 427.
10. Mt
15, 16.
2123. L'occasion du doute, c'était l'enchaînement męme des paroles, qui
semblaient impliquer une certaine contrariété. Car ils comprenaient assez bien
ce qu'il dit : VOUS NE ME VERREZ PLUS, et : PARCE QUE JE VAIS VERS LE
PČRE ; mais ce qui suscitait leur doute, c'était qu'alors qu'il allait
partir et mourir, ils allaient le revoir peu de temps aprčs. En effet, ils n'avaient pas encore
connaissance de la Résurrection, car selon le psaume : Quel est l'homme qui
vivra et ne verra pas la mort, et qui arrachera son âme de la main des
enfers ?1 De męme, selon le livre de la Sagesse, on ne connaît personne qui
soit revenu des enfers2.
2124. Et voilŕ pourquoi ils disent : QU'EST-CE QU'IL DIT : ENCORE UN
PEU ? - sous-entendu, ce PEU de temps pendant lequel vous me verrez. Mais
dans ce doute ils restaient modestes : NOUS NE SAVONS PAS, disent-ils, DE QUOI
IL PARLE. En effet, comme le dit Augustin3, il y a certaines personnes qui, ne
comprenant pas les paroles de l'Écriture, blasphčment en préférant leur
jugement propre ŕ l'autorité de l'Écriture ; tandis que d'autres,
modestes, quand elles ne comprennent pas, reconnaissent leur ignorance - Je
suis un homme faible et éphémčre, et peu capable de comprendre les jugements et
les lois4. C'est ce que font ici les disciples ; en
effet ils ne disent pas : Ť II a mal parlé 5 ť, et ne se taisent pas non
plus, mais ils attribuent ŕ leur ignorance le fait de ne pas comprendre.
La réponse qui dissipe le doute.
2125. Voici ŕ présent la connaissance que le Christ a de leur doute, puis
l'explication qu'il en donne [n° 2127] ; enfin il présente une comparaison
[n° 2131].
I
JÉSUS
CONNUT QU'ILS VOULAIENT L'INTERROGER, ET IL LEUR DIT : Ť VOUS VOUS
DEMANDEZ LES UNS AUX AUTRES CE QUE J'AI DIT : UN PEU DE TEMPS ET VOUS NE ME
VERREZ PLUS, ET ENCORE UN PEU, ET VOUS ME VERREZ ? ť (16, 19)
2126. L'Évangéliste montre en premier lieu comment le doute des disciples est
connu du Christ : JÉSUS CONNUT, en vertu de sa divinité, QU'ILS VOULAIENT
L'INTERROGER, sur ce dont ils doutaient - Car il savait, lui, ce qu'il y a
dans l'homme6.
- Les hommes voient ce qui paraît, mais le Seigneur regarde le cur7.
1. Ps 88, 49.
2. Sg 2, 1.
3. Enarrationes in psalmos, 48, 1, PL 36, col. 545 et 146,
12-13, PL 37, col. 1907-1908.
4. Sg 9,
5.
5. Cf. Jn
18, 23.
6. Jn 2, 25.
En deuxičme lieu, l'Évangéliste
montre comment ce doute est manifesté par la parole du Christ, puisqu'IL LEUR
DIT : VOUS VOUS DEMANDEZ LES UNS AUX AUTRES - Les premiers événements (...)
depuis longtemps je les ai fait entendre, je les ai accomplis tout d'un coup et
ils sont arrivés8.
II
AMEN,
AMEN, JE VOUS LE DIS, VOUS VOUS LAMENTEREZ ET VOUS PLEUREREZ ; LE MONDE,
LUI, SE RÉJOUIRA, ET VOUS, VOUS SEREZ TRISTES, MAIS VOTRE TRISTESSE SE CHANGERA
EN JOIE. (16, 20)
2127. Ici le Seigneur explique ce qu'il a dit pour dissiper le doute, sans
reprendre expressément les paroles qu'il avait dites, afin de satisfaire ses
disciples plus que lui-męme. D'abord il montre l'alternance de la joie et de la
tristesse ; puis la tristesse intérieure [n° 2129] ; enfin, la joie qui viendra ensuite [n° 2130].
7. 1 S 16, 7.
8. Is 48,
3.
2128. AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS, dans ce peu de temps oů vous ne me verrez
pas, VOUS VOUS LAMENTEREZ, en poussant un gémissement de douleur, ET VOUS
PLEUREREZ, en versant des larmes - Durant la nuit, elle a pleuré en gémissant,
c'est le premier aspect, et ses larmes [coulent] sur ses joues1, c'est le
deuxičme aspect. - Que ta voix se repose de ses
pleurs, et tes yeux de leurs larmes2.
2129. Leur tristesse intérieure, elle, sera en contraste avec l'allégresse du
monde3 LE MONDE, LUI, SE RÉJOUIRA. On peut
le comprendre particuličrement du temps de la Passion du Christ, oů LE MONDE,
c'est-ŕ-dire les scribes et les pharisiens, SE RÉJOUIRA de la mise ŕ mort du
Christ - Le voilŕ,
le jour que nous attendions : nous l'avons trouvé, nous l'avons vu4. Ou bien LE MONDE, c'est-ŕ-dire les mauvais qui sont
dans l'Église, SE RÉJOUIRA de la persécution des saints - Et ceux qui
habitent sur la terre se réjouiront ŕ cause d'eux et seront en fęte5. Ou bien LE MONDE pris universellement, c'est-ŕ-dire
les hommes qui vivent d'une maničre terrestre, SE RÉJOUIRA dans les réalités de
ce monde - Ce n'est que joie et allégresse : on tue des veaux, on égorge des
béliers, on mange des viandes et on boit du vin6.
Vient ensuite la tristesse des
disciples : ET VOUS, VOUS SEREZ TRISTES, ŕ cause des souffrances que vous
endurerez dans le monde, ou plutôt de ma mise ŕ mort. C'est ainsi que les
saints eux-męmes s'attristent des souffrances que le monde leur inflige, et des péchés - Car la tristesse
qui est selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable7.
2130. Mais la tristesse est suivie de l'allégresse, puisque VOTRE TRISTESSE,
celle que vous aurez lors de la Passion, SE CHANGERA EN JOIE, ŕ la Résurrection
- Les disciples furent dans la joie ŕ la vue du Seigneur8. Et d'une maničre générale la tristesse de tous les saints se changera
en la joie de la vie et de la gloire futures - Bienheureux ceux qui pleurent, parce
qu'ils seront consolés9. - Ils s'en allaient, ils s'en
allaient tout en pleurs, en jetant la semence ; ils viendront, ils
viendront débordant de joie, en portant leurs gerbes10. En effet, lorsque c'est le temps de mériter, les saints pleurent en
semant ; mais au temps de la récompense, ils se réjouiront en récoltant.
III
LA
FEMME, QUAND ELLE ENFANTE, A DE LA TRISTESSE, PARCE QUE SON HEURE EST VENUE.
MAIS QUAND ELLE A DONNÉ NAISSANCE Ŕ L'ENFANT, ELLE NE SE SOUVIENT PLUS DE SON
AFFLICTION Ŕ CAUSE DE LA JOIE DE CE QU'UN HOMME EST NÉ DANS LE MONDE. VOUS DONC
AUSSI, MAINTENANT VOUS AVEZ DE LA TRISTESSE ; MAIS DE NOUVEAU JE VOUS
VERRAI, ET VOTRE CUR SERA DANS LA JOIE, ET VOTRE JOIE, NUL NE VOUS L'ENLČVERA.
(16, 21-22)
2131. Ici le Seigneur propose une comparaison, puis il l'applique ŕ ses
disciples [n° 2134]. Il fait une comparaison avec la femme qui enfante ;
il expose donc la tristesse de la femme face ŕ l'accouchement, puis son
allégresse devant celui qu'elle a enfanté [n° 2133].
1. Lm 1,
2.
2. Jr 31,
16.
3. Au
sujet de l'expression Ť le monde ť, voir ci-dessus, n° 2032, note 4.
4. Lm 2, 16.
5. Voir Ap 11, 10.
6. Is 22, 13.
7. 2 Co 7, 10.
8. Jn 20,
20.
9. Mt 5,
5. Voir ci-dessus, n° 1955, note 5.
10. Ps
125, 6.
LA
FEMME, QUAND ELLE ENFANTE, A DE LA TRISTESSE, PARCE QUE SON HEURE EST VENUE.
2132. Il dit donc, quant au premier point : LA FEMME, QUAND ELLE ENFANTE, A
DE LA TRISTESSE, une tristesse sensible, et la plus grande, PARCE QUE SON
HEURE, celle de la douleur, EST VENUE - Ils ont ressenti comme les douleurs
d'une femme qui enfante1. Par cette douleur est signifiée la
douleur de la Passion du Christ, qui fut la plus grande douleur - Ο
vous tous qui passez par le chemin, regardez, et voyez s'il est une douleur pareille ŕ ma
douleur2. De męme cela nous fait comprendre celle des saints faisant
pénitence pour les péchés - Comme une femme enceinte, sur le point d'enfanter,
souffre et crie dans ses douleurs, tels nous étions devant toi, Seigneur3.
MAIS
QUAND ELLE A DONNÉ NAISSANCE Ŕ L'ENFANT, ELLE NE SE SOUVIENT PLUS DE SON
AFFLICTION Ŕ CAUSE DE LA JOIE DE CE QU'UN HOMME EST NÉ DANS LE MONDE.
2133. Ici, le Seigneur expose la joie de la délivrance. Car l'enfantement est
suivi d'une double joie : celle d'ętre délivrée de la douleur, et elle est
grande, mais une autre plus grande encore, celle de la naissance de l'enfant.
Et assurément cette derničre joie est trčs grande si l'enfant est de sexe
masculin, car le mâle est quelque chose de parfait, alors que la femelle est
quelque chose d'imparfait et d'incomplet4 -
Avant d'ętre en travail, elle a enfanté, avant que lui viennent les douleurs
elle a accouché d'un
mâle5. Et selon la Genčse, quand Sarah conçut, elle
dit : Dieu m'a donné de quoi rire, et quiconque l'apprendra en rira avec moi6. Aussi le Seigneur dit-il : MAIS QUAND ELLE A DONNÉ NAISSANCE Ŕ
L'ENFANT, ELLE NE SE SOUVIENT PLUS DE SON AFFLICTION7, dans sa joie d'ętre délivrée de la
douleur, et plus encore, Ŕ CAUSE DE LA JOIE DE CE QU'UN HOMME EST NÉ DANS LE
MONDE.
Cette similitude convient bien pour
le Christ qui, en souffrant, nous a délivrés des afflictions de la mort, et
qui, régénérant l'homme, en a fait un homme nouveau, c'est-ŕ-dire qui retourne
ŕ la nouveauté de la vie8 et de la gloire qui n'était pas
encore connue des hommes. Aussi ne dit-il pas : Ť Un enfant est né ť,
mais : UN HOMME EST NÉ DANS LE MONDE ; puisque le Christ lui-męme, étant
homme, ressuscitait nouveau d'entre les morts, comme un enfant9.
Elle convient de męme ŕ l'Église, qui
chemine dans la nouveauté de la vie en l'Église militante. Et le Seigneur ne
dit pas : Ť II n'y aura plus d'affliction ť, mais : ELLE NE SE
SOUVIENT PLUS DE SON AFFLICTION ; car męme si les saints se rappelleront
les misčres qu'ils ont souffertes, lorsqu'ils seront dans la béatitude de la
gloire, cependant ils n'expérimenteront plus rien de ces misčres dans leur
affectivité.
1. Ps 47, 7.
2. Lm 1, 12.
3. 1s 26, 17.
4. Voir Aristote,
De Generatione Animalium, II,
3, 737 a 27.
5. Is 66,
7. Tous les manuscrits lisent ce verset (qui convient mieux ici que Jr 20, 15, la
référence donnée dans le texte : Maudit soit l'homme qui a annoncé ŕ mon
pčre : II t'est né un enfant mâle). Saint Thomas commente : Ť Avant
d'ętre en travail, c'est-ŕ-dire que soudainement et en męme temps les fils
de Jérusalem se rassembleront vers elle, comme si la femme subitement
engendrait un fils, sans avoir été en travail auparavant. (...) Mystiquement
cela se dit de l'enfantement de la Bienheureuse Vierge, et de l'enfantement de
l'Église dans la conversion des fidčles, et de l'enfantement de la génération
éternelle ť {Exp. super Isaiam, 66, 7, p. 254, 1. 66-73).
6. Gn 21,
6.
7. Le mot
pressura (pression, fardeau, tribulation, malheur, affliction) est
employé par saint Thomas pour désigner la femme qui enfante dans une tristesse
sensible extręme et dans la douleur (nos 2132-2133) ; face ŕ la mort {mortis
pressuras, au n° 2133) ; pour les misčres souffertes par les saints
sur cette terre (n° 2133) ; comme synonyme de l'angoisse, face au monde
qui oppresse et ŕ sa haine (n° 2175) ; ŕ propos du feu {pressura
flammae : la suffocation du brasier, selon Osty) au n° 2175.
8. Rm 6,
4 (in novitate vitae).
9. Ce
paragraphe reprend le développement de saint Jean Chrysostome, associant
l'image des douleurs de l'enfantement d'un Ť homme ť, et non d'un
Ť enfant ť, ŕ la Résurrection de Jésus, P ťhomme ť nouveau
(cf. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG
59, col. 427).
VOUS
DONC AUSSI, MAINTENANT VOUS AVEZ DE LA TRISTESSE.
2134. Ici, le Seigneur applique la comparaison. En premier lieu ŕ la
tristesse présente, celle qu'éprouvaient alors les Apôtres : VOUS DONC AUSSI,
MAINTENANT, c'est-ŕ-dire ŕ l'heure de la Passion, VOUS AVEZ DE LA TRISTESSE, ŕ
cause de ma mort - Quels sont ces propos que vous échangez entre vous, et
pourquoi ętes-vous tristes ?1 Ou bien : MAINTENANT, c'est-ŕ-dire dans toute la vie présente, VOUS
AVEZ DE LA TRISTESSE. Plus haut : Vous vous
lamenterez et vous pleurerez2.
MAIS DE NOUVEAU JE VOUS VERRAI, ET VOTRE CUR SERA DANS LA JOIE, ET
VOTRE JOIE, NUL NE VOUS L'ENLČVERA. (16, 22)
En second lieu, il applique la
comparaison ŕ leur joie future. Il leur promet premičrement qu'ils le verront,
lorsqu'il dit : MAIS DE NOUVEAU JE VOUS VERRAI, ce qui revient ŕ dire :
Ť Vous me verrez ť, puisque nous ne pouvons pas le voir si lui-męme
ne se montre. Toutefois, il ne dit pas : Ť Vous me verrez ť, mais JE
VOUS VERRAI, parce que le fait de se montrer lui-męme vient de sa miséricorde,
qui est signifiée par son regard3. Il dit donc : MAIS DE NOUVEAU JE
VOUS VERRAI, c'est-ŕ-dire je vous prendrai auprčs de moi de maničre ŕ ętre vu
de vous, ou encore, je vous visiterai, ŕ la Résurrection et dans la gloire
future - Tes yeux verront le roi dans sa beauté4.
ET
VOTRE CUR SERA DANS LA JOIE.
Le Seigneur promet ensuite la joie du
cur et l'exultation : ET VOTRE CUR SERA DANS LA JOIE, ŕ savoir celle de me
voir ŕ la Résurrection. Aussi l'Église chante-t-elle : Voici
le jour que fit le Seigneur, exultons et soyons dans l'allégresse5. ET VOTRE CUR SERA DANS LA JOIE également ŕ cause de la vision de la
gloire - Tu m'empliras d'allégresse prčs de ta face6. - Alors tu verras, tu t'épancheras, tu seras dans l'admiration et
ton cur se
dilatera7. Pour tout ętre, en effet, il est naturel de
trouver sa joie dans la contemplation de la réalité aimée. Or personne ne peut
voir l'essence divine s'il ne l'aime - Et il annonce ŕ son ami que la
lumičre est son partage8. Voilŕ pourquoi il est nécessaire que
cette vision donne lieu ŕ la joie - Vous le verrez, en le connaissant
par l'intelligence, et votre cur se réjouira9 ; et cette joie elle-męme rejaillira jusque sur le corps, lorsqu'il sera
glorifié ; aussi Isaďe enchaîne-t-il : Et vos os seront florissants
comme l'herbe. - Entre dans la joie de ton Seigneur10.
ET
VOTRE JOIE, NUL NE VOUS L'ENLČVERA.
Enfin le Seigneur leur promet une
joie qui durera toujours, lorsqu'il dit : ET VOTRE JOIE, celle que vous aurez ŕ
cause de moi ŕ la Résurrection - Je me réjouirai d'une grande joie dans le Seigneur11 -, NUL NE VOUS
L'ENLČVERA comme le firent auparavant les Juifs par la Passion, puisque ressuscitant
des morts, le Christ ne meurt plus ; la mort sur lui n'aura plus d'empire12. Ou encore, VOTRE JOIE, la joie de jouir de la
gloire, NUL NE VOUS L'ENLČVERA, puisqu'elle ne peut ętre perdue et qu'elle est perpétuelle - Une allégresse éternelle sera sur leur tęte13. Cette joie, en effet, nul ne se l'enlčvera lui-męme par le péché, puisque lŕ, la volonté de chacun
aura été confirmée dans le bien ; et personne non plus n'enlčvera cette
joie ŕ un autre, puisqu'il n'y aura lŕ aucune violence et que nul ne portera
préjudice ŕ un autre.
1. Lc 24,
17.
2. Jn 16,
20.
3. Ejus
visionem. Selon le sens, il semble bien qu'il s'agisse de la vision que le
Christ a de nous.
4. 1s 33,
17.
5. Graduel
de la messe du jour de Pâques, d'aprčs le Ps 117, 24. Le graduel
poursuit : Célébrez le Seigneur, car il est bon ; car sa miséricorde
est pour les sičcles (Ps 117, 1 ; voir aussi Ps 135, 1).
6. Ps 15,
11.
7. Is 60,
5.
8. Jb 36,
33 (propre ŕ la Vulgate). Voir ci-dessus, n° 1807, note 5.
9. Is 66,
14.
10. Mt
25, 21.
11. Is
61, 10.
12. Rm 6, 9. 13. 1s 35, 10.
2135. Précédemment1, le Seigneur s'est attaché ŕ donner deux
raisons capables de réconforter ses Apôtres : la promesse du Paraclet et de son
propre retour ; ŕ présent, il donne la troisičme raison qui les réconforte
: la promesse de leur accčs auprčs du Pčre. Il leur promet d'abord l'accčs
intime2 auprčs
du Pčre ; puis il en précise la raison [n° 2147].
La promesse de l'accčs intime auprčs du Pčre.
En ce qui concerne cette promesse, le
Seigneur affermit d'abord la confiance des Apôtres ; puis il les exhorte ŕ
vivre de cette confiance [n° 2143].
I
ET EN
CE JOUR-LŔ VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN. AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS :
SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PČRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNERA. (16, 23)
D'abord il écarte la nécessité d'une
interrogation, puis il leur promet qu'ils seront exaucés [n° 2141].
ET EN
CE JOUR-LŔ VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN.
2136. Selon Augustin3, lŕ oů dans cette phrase nous avons
INTERROGEREZ (rogabitis), les Grecs ont un verbe qui signifie deux
choses : Ť chercher ŕ obtenir ť (petere) et Ť interroger ť (interrogare).
Aussi peut-on comprendre
la phrase de deux maničres : Ť Vous ne chercherez pas ŕ obtenir de moi
quoi que ce soit ť, ou Ť Vous ne m'interrogerez sur rien ť.
Le Seigneur dit donc : EN CE JOUR-LŔ.
Quel est ce jour, cela paraît évident ŕ partir de ce qu'il a dit précédemment -
Mais de nouveau je vous verrai4 -, ce qui peut s'entendre de la Résurrection
et aussi de la vision dans la gloire [n° 2139].
2137. De la Résurrection, selon Chry-sostome5 EN CE JOUR-LŔ, ŕ savoir : quand je
serai ressuscité des morts, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN, c'est-ŕ-dire
vous ne direz pas : Montre-nous le Pčre6, ni rien de ce genre.
Ŕ l'encontre de cette interprétation,
Augustin7 objecte qu'aprčs la Résurrection,
les disciples disent : Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu rétabliras le royaume d'Israël ?8 Et dans
l'Évangile de Jean, plus
loin, Pierre interroge en disant : Et de lui, qu'en sera-t-ďl ?1
1. Nos 2082 et 2116.
2. Familiarem
: sur le sens du mot familiaritas, voir vol. I, n° 1475, note
5, p. 612.
3. Tract, in Io., CI, 4, BA 74B, p. 391-393. Le verbe
έρωτάν signifie
interroger. Il peut ętre employé aussi pour demander quelque
chose, ce qui est le sens normal du verbe αίτέω,
utilisé dans le reste du verset. Et il peut avoir encore celui de prier
quelqu'un en vue de (donc, selon l'interprétation de saint Jean Chrysostome
reprise par saint Thomas au n°
2138 prier le Christ Ť médiateur ť ; cf. In Ioannem
hom., LXXIX, 1, col. 428). Sur l'opportunité de ces trois interprétations,
voir la discussion de M. -J. Lagrange, L'Évangile
selon saint Jean, p. 429.
4. Jn 16, 22.
5. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG 59, col. 428.
6. Jn 14, 8.
7. Tract, in Io., CI, 4, BA 74B, p. 393.
8. Ac 1,
6.
Mais en soutenant l'interprétation de
Chrysostome, il faut dire que le Seigneur appelle CE JOUR-LŔ non seulement le
jour de la Résurrection, mais aussi le jour oů les disciples devaient ętre
enseignés par l'Esprit Saint - Mais quand il viendra, lui, lEsprit de
venté, il vous enseignera la vérité tout entičre2. Et ainsi, lorsqu'il parle de ce temps-lŕ sans précision, il inclut
aussi la venue de l'Esprit Saint ; c'est comme s'il disait : EN CE
JOUR-LŔ, c'est-ŕ-dire une fois l'Esprit Saint donné, vous ne m'interrogerez
pas, puisque vous saurez tout grâce ŕ l'Esprit Saint - Son onction vous
enseigne sur tout3.
Pareillement, selon le męme auteur,
EN CE JOUR de la venue de l'Esprit Saint, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN,
c'est-ŕ-dire il n'y aura pour vous aucune nécessité de m'interroger.
2138. Mais aprčs la Résurrection, les Apôtres n'ont-ils pas fait de pričre au
Christ ? On verra que si, puisque l'Apôtre Paul dit : A ce sujet, trois
fois j'ai sollicité le Seigneur 4S c'est-ŕ-dire le Christ.
Voici la réponse : on doit dire que
dans le Christ il y avait une double nature : une nature humaine, par laquelle
il est médiateur entre Dieu et les hommes5, et une nature divine, par laquelle
il est un seul Dieu avec le Pčre. Or, en tant qu'homme, le Christ n'était pas
un médiateur tel qu'il ne pourrait jamais nous unir ŕ Dieu, comme les
médiateurs qui n'unissent jamais les extręmes. Il nous unit donc au Pčre6. Or l'union ŕ Dieu le Pčre et l'union au Christ selon sa nature divine
est la męme ; aussi dit-il : il ne sera plus nécessaire d'utiliser ma
médiation, en tant que je suis homme. Ainsi donc, EN CE JOUR-LŔ VOUS NE
M'INTERROGEREZ PLUS comme médiateur, parce que vous aurez par vous-męmes accčs
auprčs de Dieu ; mais vous me solliciterez comme Dieu. Et quoique le
Christ intercčde en notre faveur, comme le dit l'Apôtre Paul7, l'Église toutefois ne le sollicite pas comme un intercesseur, et
c'est pourquoi nous ne disons pas : Ť Ô Christ, prie pour
nous ť ; mais l'Église le sollicite en tant qu'il est Dieu, en
adhérant ŕ lui comme ŕ Dieu, par l'amour et la foi.
1. Jn 21,
21.
2. Jn 16,
13.
3. 1 Jn
2, 27.
4. 2 Co
12, 8.
5. 1 Tm
2, 5-6 II n'y a qu'un Dieu ; il n'y a aussi qu'un médiateur entre
Dieu et les hommes, un homme, Christ Jésus (c'est-ŕ-dire Jésus, Christ,
comme homme) qui s'est donné pour le rachat de tous.
6. Cf. Somme
théol., III, q. 22, a. 1 et a. 3 ; le sacerdoce du Christ est un
sacerdoce qui réconcilie l'homme avec Dieu. Voir aussi loc. cit., q. 26
sur la médiation du Christ, et ci-dessous, n° 2201 et note 5.
2139. Selon Augustin8, il s'agit du jour de la vision de
gloire, de la maničre suivante : EN CE JOUR-LŔ, quand je vous verrai dans la
gloire, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR RIEN, c'est-ŕ-dire vous ne chercherez
pas ŕ obtenir quoi que ce soit, car il ne restera rien ŕ désirer, puisque dans
la patrie tous les biens surabondent pour nous - Tu m'empliras d'allégresse
prčs de ta face9 ; et encore : Je serai
rassasié quand apparaîtra ta gloire 10. De męme, vous ne m'interrogerez sur
rien, parce que vous serez comblés de la connaissance de Dieu - Dans ta
lumičre nous verrons la lumičre11.
7. Rm 8,
34 Qui est-ce qui condamnera ? Le Christ Jésus, qui est mort, ou
plutôt qui est ressuscité, qui est ŕ la droite de Dieu, et qui intercčde pour
nous ?
8. Tract, in Io., CI, 6, BA 74B, p. 399.
9. Ps 15,
11.
10. Ps
16, 15.
11. Ps
35, 10. Sur la vision béatifique, voir Somme théol, I, q. 12 (a. 2 et a.
5). Saint Thomas montre que l'intelligence de la créature sera fortifiée de
l'intérieur par une lumičre, la lumičre de gloire, remplaçant la foi et lui
permettant de voir toutes choses créées dans la lumičre du Verbe et par lui. L'intelligence
ne connaîtra plus par le moyen des formes créées, mais sera possédée, ravie par
la lumičre du Verbe lui-męme qui la fera sortir de son mode naturel de
connaître. Elle sera ainsi déiforme et verra Dieu tel qu'il est, par essence,
sans intermédiaire, et par lui toutes choses. Cependant cette connaissance de
vision n'est pas une connaissance de compréhension, connaissance qui appartient
ŕ Dieu seu1. L'intelligence du bienheureux reste l'intelligence d'une créature,
bien que possédée par une lumičre supérieure. Voir aussi ci-dessous n° 1854,
note 10. Sur le mot lumen, et sur la différence avec lux, voir
vol. I, n° 1145, note 5.
2140. Ŕ ces deux interprétations d'Augustin on peut objecter que les saints
prient dans la patrie, selon ce passage du livre de Job : Appelle donc, s'il y a
quelqu'un pour te répondre, et tourne-toi vers l'un des saints. Et au
second livre des Maccabées, il est dit qu'une personne [du ciel] priait pour
son peuple2. Et l'on ne peut pas dire qu'un
saint prie pour les autres et non pour lui-męme, puisque l'Apocalypse dit : Jusques
ŕ quand, Seigneur saint et véridique, ne juges-tu pas, et ne venges-tu pas
notre sang ?3
De męme, les saints interrogent. Car
ils seront égaux aux anges, d'aprčs Matthieu4 ; or les anges interrogent,
lorsqu'ils disent : Qui
est ce roi de gloire ?5 Et au livre d'Isaďe : Qui est-il
donc, celui qui arrive d'Édom ?6, c'est selon Denys7 la voix des anges. Les saints interrogent donc, eux aussi.
Mais il y a une double réponse ŕ
l'une et l'autre objection. La premičre, c'est que le temps de la gloire peut
ętre considéré de deux points de vue : selon le commencement de la gloire, et
selon sa consommation pléničre. Or le temps du commencement de la gloire va
jusqu'au jour du jugement ; car quant ŕ leur âme, les saints ont reçu la
gloire, mais ils attendent encore de recevoir quelque chose : pour eux-męmes,
la gloire du corps, et pour les autres, que soit complet le nombre des élus.
C'est ainsi que jusqu'au jour du jugement ils peuvent chercher ŕ obtenir et interroger,
mais cependant pas en ce qui concerne l'essence de la béatitude. Quant au temps
de la gloire pleinement consommée, il vient aprčs le jour du jugement ;
aprčs ce jour, il ne reste rien ŕ demander, et rien non plus ŕ connaître, et
c'est de ce jour que le Seigneur dit : EN CE JOUR-LŔ, c'est-ŕ-dire au jour de
la gloire consommée, vous ne chercherez plus ŕ obtenir quoi que ce soit, vous
n'interrogerez plus sur rien.
1. Jb 5,
1.
2. 2 M
15, 12 Voici ce qu'il avait vu : Onias (...), étendant les mains, prier
pour tout le peuple des Juifs.
3. Ap 6,
10.
4. Mt 22,
30 A la résurrection (...) on est comme les anges de Dieu dans le cie1. Saint
Thomas commente : Ť Ils seront comme des anges, parce qu'ils seront libres
des passions. Ŕ présent l'homme a son intelligence liée ŕ ses sens, et en cela
les anges le dépassent ; mais alors ce sera purifié. C'est pourquoi ils
seront comme des anges ť (Sup. Matth. lect., XXII, n° 1800).
5. Ps 23,
8.
6. Is 63,
1.
7. La
hiérarchie céleste, VII, 3, SC 58 bis, p. 113-115.
Quant ŕ ce qui est dit des anges, ŕ
savoir qu'ils interrogent, cela est vrai en ce qui concerne les mystčres de
l'humanité et de l'Incarnation du Christ, mais non en ce qui concerne sa
divinité.
AMEN, AMEN, JE VOUS LE DIS : SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE
CHOSE AU PČRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNERA.
2141. Ici le Seigneur leur promet qu'ils seront exaucés : il y a lŕ une
continuité avec ce qui précčde, continuité qui peut ętre comprise de deux
maničres. D'une premičre maničre, selon Chrysostome 8, cela se réfčre au temps de la
Résurrection et ŕ la venue de l'Esprit Saint. Comme s'il disait : II est vrai
qu'EN CE JOUR de la Résurrection et de l'Esprit Saint, VOUS NE M'INTERROGEREZ
PLUS SUR RIEN, et cependant vous aurez mon aide, parce que vous demanderez EN
MON NOM, AU PČRE, auprčs de qui vous aurez accčs par moi.
D'une autre maničre, selon Augustin9 EN CE JOUR-LŔ, celui de la gloire, VOUS NE M'INTERROGEREZ PLUS SUR
RIEN, mais en attendant, tant que vous vivez ensemble le pčlerinage de la
misčre présente, SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PČRE (...) IL VOUS LE
DONNERA. Et en ce sens, SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PČRE ne se réfčre pas
ŕ CE JOUR-LŔ, mais ŕ ce qui précčde ce jour-lŕ.
2142. Or le Seigneur donne sept conditions d'une bonne pričre10. La premičre,
c'est de demander des biens spirituels, et cela lorsqu'il dit : SI VOUS
DEMANDEZ QUELQUE CHOSE. Car ce qui est entičrement terrestre, męme si c'est en
soi quelque chose, n'est rien comparativement aux réalités spirituelles 1 - En comparaison
de la sagesse, j'ai tenu les richesses pour rien2. - J'ai regardé la terre, et voici qu'elle
était vide, une terre de néant3. Mais en Matthieu, le Seigneur n'enseigne-t-il pas
au contraire ŕ demander des biens temporels - notre pain de chaque jour* ? Mais il faut dire que la demande d'un bien
temporel, si elle se réfčre ŕ celle d'un bien spirituel, est déjŕ QUELQUE
CHOSE.
8. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG 59, col. 428.
9. Tract, in Io., CI, 6, BA 74B, p. 399.
10. Sur
la pričre, voir aussi ci-dessus, n" 1905 et ci-dessous, au chapitre 17, n°
2177, note 2 (mais tout le chapitre 17 expose la pričre du Christ). Voir aussi
le commentaire du Ť Notre Pčre ť, in : Le Pater et l'Ave, Nouvelles
Éditions Latines (Col1. Docteur commun) 1967, Prologue, I, n° 1,
oů saint Thomas donne cinq qualités requises pour toute pričre : la confiance,
la droiture, l'ordre, la dévotion, l'humilité.
La deuxičme condition, c'est que la
pričre soit faite avec persévérance. Aussi le Seigneur dit-il ŕ ce propos :
DEMANDEZ, sous-entendu, en persévérant - Il
faut prier toujours, et ne jamais se décourager5 ; et : Priez sans cesse6.
La troisičme condition, c'est que la
pričre soit faite dans la concorde ; c'est pourquoi le Seigneur parle au
pluriel : SI VOUS
DEMANDEZ - Si deux d'entre vous se mettent d'accord sur la terre pour
demander quoi que ce soit, ils l'obtiendront de mon Pčre qui est dans les deux7. Aussi est-il impossible, selon la Glose de l'épître aux
Romains, que la pričre de beaucoup ne soit pas exaucée8.
1. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., Cil, 2, BA 74B, p. 407.
2. Sg 7, 8. 3. Jr4, 23.
4. Mt 6, 11.
5. Lc 18, 1.
6. 1 Th 5, 17. Saint Thomas commente :
Ť Mais comment cela est-il possible ? Je réponds : il faut dire que
cela est possible de trois maničres. Premičrement, parce que celui-lŕ prie
toujours, qui ne manque pas les heures fixées - on trouve une chose semblable
au second livre de Samuel : Tu mangeras toujours ton pain ŕ ma table (2
S 9, 7). Deuxičmement : Priez sans cesse, c'est-ŕ-dire priez continuellement,
mais alors la pričre est prise au sens de l'effet de la pričre. En effet, la
pričre est l'interprétation ou l'explication d'un désir, puisque quand je
désire quelque chose, je le demande en priant. C'est pourquoi la pričre est la
demande ŕ Dieu de ce qui convient et, pour cette raison, le désir a la force de
la pričre - Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres (Ps 68, 34). Donc
tout ce que nous faisons provient d'un désir. La pričre demeure donc en
puissance (in virtute) dans le bien que nous faisons, puisque le bien
que nous faisons provient d'un bon désir. Comme le dit la Glose : "II ne
cesse pas de prier, celui qui ne cesse pas de faire le bien". Troisičmement,
quant ŕ la cause de la pričre, ŕ savoir en faisant l'aumône. Et dans la vie des
Pčres on lit : "Celui-lŕ prie toujours, qui donne des aumônes, parce que
celui qui reçoit l'aumône prie pour toi, męme quand tu dors"Ť (Ad 1
Thess. lect., V, n° 130).
La quatričme condition, c'est que la
pričre provienne d'un amour filial (ex filiali affectu), quand il dit :
AU PČRE. Car celui qui demande par crainte, ce n'est pas au pčre qu'il demande,
mais au maître de maison ou ŕ l'ennemi - Si donc vous, mauvais que vous ętes, vous savez
donner de bonnes choses ŕ vos enfants, combien plus votre Pčre qui est dans les
deux en donnera-t-il de bonnes ŕ ceux qui les lui demandent ?9
La cinquičme condition, c'est que la
pričre soit faite avec piété, c'est-ŕ-dire avec humilité - II a regardé la pričre des
humbles, et n'a pas méprisé leur supplication 10 -, avec la confiance d'ętre exaucé - Mais qu'il demande dans la foi, sans hésiter en
rien 11 -et selon un ordre juste - Vous demandez,
et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal12. Et quant ŕ cela le Seigneur dit : EN MON NOM, qui est le nom du Sauveur13. C'est au nom du Sauveur que l'on demande ce qui se rapporte au salut,
et c'est de cette maničre qu'on peut obtenir le salut - Il n'est pas sous le ciel
d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions ętre sauvés 14.
La sixičme condition, c'est que la
pričre soit faite en temps opportun ; aussi le Seigneur dit-il : IL VOUS
LE DONNERA. Car si on ne reçoit pas, il ne faut pas se décourager aussitôt : ce
sera donné certainement, męme si c'est différé pour ętre donné au moment qui
convient, afin que notre désir croisse davantage - Les yeux de tous espčrent en toi, et toi, tu
leur donnes la nourriture au moment opportun1.
7. Mt 18, 19.
8. Glossa ordinaria. Ad Rom., 15, 30, PL 114, col.
517 C.
9. Mt 7,
11.
10. Ps
101, 18.
11. Je 1,
6.
12. Je 4,
3.
13. Cette
condition ainsi que les deux suivantes sont tirées du commentaire de saint
Augustin (Tract, in Io., Cil, 1, BA 74B, p. 403-405).
14. Ac 4,
12.
La septičme condition, c'est qu'on
demande pour soi ; c'est pourquoi le Seigneur dit : IL VOUS LE DONNERA.
Car parfois on n'est pas exaucé pour d'autres, leur manque de mérite faisant
obstacle - Toi donc, ne prie pas pour ce peuple-lŕ2. - Męme si Moďse et Samuel se
tenaient devant moi, mon âme ne se tournerait pas vers ce peuple3.
II
JUSQU'Ŕ PRÉSENT VOUS N'AVEZ RIEN DEMANDÉ EN MON NOM ;
DEMANDEZ, ET VOUS RECEVREZ, POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIČRE. (16, 24)
2143. Ici, le Seigneur les exhorte ŕ vivre dans la confiance qui leur a été
donnée : il rappelle d'abord leur défaillance passée, puis il les exhorte ŕ
progresser ŕ l'avenir [n° 2145].
JUSQU'Ŕ PRÉSENT VOUS N'AVEZ RIEN DEMANDÉ EN MON NOM.
2144. Leur défaillance passée consiste ŕ n'avoir rien demandé ; aussi
dit-il : JUSQU'Ŕ PRÉSENT VOUS N'AVEZ RIEN DEMANDÉ EN MON NOM. Mais Matthieu et
Luc n'affirment-ils pas au contraire : Il
leur donna puissance sur tous les
démons, et pour guérir les maladies 4 ? Or cela, les disciples le
faisaient en priant : ils ont donc demandé quelque chose au nom du Christ, et
d'autant plus qu'ils disaient : Seigneur, en ton nom, męme les démons nous
sont soumis !5
C'est pourquoi on doit dire que la
phrase peut s'expliquer de deux maničres. Voici la premičre 6 JUSQU'Ŕ PRÉSENT VOUS N'AVEZ RIEN DEMANDÉ, c'est-ŕ-dire rien qui soit
quelque chose de grand, EN MON NOM. Car les demandes de guérisons corporelles sont
peu de chose en comparaison des grandes choses qui allaient se faire par la
pričre ; et ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit d'adoption, par qui ils
aspireraient aux réalités spirituelles et célestes. Et si vous dites que
précédemment, ils ont demandé quelque chose de grand - Seigneur, montre-nous
le Pčre7 -, précisons qu'ils ne le
demandaient pas au Pčre, dont il est question ici ; mais, confiants
seulement dans le Christ homme, ils s'adressaient ŕ lui comme médiateur, pour
qu'il leur montre le Pčre.
Il y a une autre maničre8 d'expliquer la phrase, du fait que le Seigneur avait dit : SI VOUS
DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PČRE EN MON NOM ; c'est qu'auparavant, ils
n'avaient pas demandé en ce nom, n'ayant pas une parfaite connaissance du nom
du Christ.
DEMANDEZ, ET VOUS RECEVREZ, POUR QUE
VOTRE JOIE SOIT PLÉNIČRE.
2145. Ici, suite ŕ ce qui précčde, le Seigneur exhorte ses disciples ŕ
progresser ŕ l'avenir, c'est-ŕ-dire ŕ demander - Demandez et il vous sera
donné9. DEMANDEZ, dis-je, ET VOUS RECEVREZ,
ŕ savoir ce que vous demandez, pour que votre joie soit complčte - Les
soixante-douze s'en retournčrent avec joie, disant : Seigneur, en ton nom, męme
les démons nous sont soumis !10 Et de cette maničre, ce qu'il dit :
POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIČRE est présenté comme la fin de l'exaucement. Ou
bien cela peut ętre présenté comme la réalité demandée, le sens étant alors :
DEMANDEZ ET VOUS RECEVREZ : et demandez, vous dis-je, POUR QUE VOTRE JOIE SOIT
PLÉNIČRE.
1. Ps 144, 15.
2. Jr 7, 16 ; la suite du verset est
: ne profčre en leur faveur ni louange nt supplication, n'interviens pas
auprčs de moi, car je ne t'écouterai pas.
3. Jr 15, 1.
4. Lc 9, 1.
5. Lc 10, 17.
6. Cf. saint
Augustin, Serm. de Scr., 145, VI, PL 38, col. 795.
7. Jn 14, 8.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., Cil,
2, BA 74B, p. 407.
9. Mt 7,
7.
10. Lc
10, 17.
2146. Précisons ici que l'objet de la joie, c'est le bien ardemment désiré.
En effet, le désir étant le mouvement de l'appétit vers le bien, et la joie son
repos dans ce bien, l'homme est dans la joie lorsqu'il se repose dans le bien
désormais possédé, vers lequel se portait son désir. Mais la joie est
proportionnée au bien possédé ; et un bien créé ne peut pas nous donner
une joie pléničre, parce que le désir et l'appétit de l'homme ne s'y reposent
pas pleinement. Notre joie sera donc enfin pléničre lorsque nous posséderons ce
bien dans lequel existent, d'une maničre surabondante, tous les biens que nous
pouvons désirer. Et ce bien ne peut ętre que Dieu, lui qui comble de biens notre
désir, d'aprčs le psaume1. Voilŕ pourquoi le Seigneur dit :
DEMANDEZ POUR QUE VOTRE JOIE SOIT PLÉNIČRE, autrement dit, demandez de jouir de
Dieu et de la Trinité ; comme le dit Augustin2, il n'y a rien de plus grand - Tu
m'empliras d'allégresse prčs de ta face3. Et pourquoi cela ? Parce qu'en męme temps qu'elle - c'est-ŕ-dire la contemplation de la divine sagesse - me sont venus tous les
biens4.
La raison de l'intimité promise avec le Pčre.
2147. Plus haut le Seigneur a promis aux disciples l'accčs intime auprčs du
Pčre ; il précise maintenant la raison de cette familiarité. Or il y a
deux choses qui donnent ŕ l'homme la confiance de faire une demande ŕ quelqu'un
et l'intimité [avec lui] : ce sont la connaissance et l'amour. Aussi le
Seigneur donne-t-il cette double raison : la premičre est tirée de la claire
connaissance du Pčre ; la seconde, de son amour spécial [n° 2153].
I
CES CHOSES-LŔ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES ;
ELLE VIENT, L'HEURE OŮ JE NE VOUS PARLERAI PLUS EN PROVERBES, MAIS OŮ JE VOUS
PARLERAI OUVERTEMENT DE MON PČRE. (16, 25)
2148. Le Seigneur rappelle d'abord la connaissance imparfaite que les
disciples avaient du Pčre ; puis il promet la connaissance parfaite.
C'est bien une connaissance
imparfaite qu'ils avaient ; aussi le Christ dit-il : CES CHOSES-LŔ, JE
VOUS LES AI DITES EN PROVERBES5. Ŕ proprement parler, on appelle
Ť proverbe ť ce qui est communément sur la bouche de tous ;
ainsi, c'est un proverbe qu'un jeune homme qui suit son chemin, męme devenu
vieux, ne s'en écartera pas6. Mais parce que tout cela est parfois
obscur et métaphorique, Ť proverbe ť est parfois pris pour
Ť parabole ť, oů autre chose est ce qui est dit, autre chose ce qui
est désigné. Et c'est ainsi que Ť proverbe ť est pris ici pour
Ť parabole ť, c'est-ŕ-dire Ť expression parabolique ť.
2149. La phrase peut alors avoir quatre sens. En premier lieu, au sens
littéral, elle se rapporte ŕ ce qu'il avait dit juste avant. On comprendra donc
: Je vous ai dit que jusqu'ŕ présent vous n'avez nen demandé, et que
vous demanderez en mon nom, et j'ai parlé1 pour ainsi dire d'une maničre
obscure et EN PROVERBES. Mais ELLE VIENT, L'HEURE oů, ce que je vous ai dit
obscurément, je vous le dirai clairement ; aussi ajoute-t-il : Le Pčre
lui-męme vous aime2 et : Je suis sorti du Pčre3. C'est ainsi que les Apôtres semblent l'avoir
compris car, aprčs avoir entendu cela du Seigneur, ils lui disent : Voici ŕ
présent que tu parles ouvertement, et ne dis aucun proverbe*.
1. Ps
102, 5 Lui qui rassasie de biens ton désir.
2. La
Trinité, I, vm, 18, BA 15, p. 135.
3. Ps 15,
11.
4. Sg7,
11.
5. Sur
l'expression in proverbIIs (en grec : έν
παροιμίαις : Ť en
proverbes ť, Ť en paraboles ť, ou plus précisément, Ť en
discours énigmatiques ť), voir Jn 10, 6 ; 16, 25 et 29 ; 2
Ρ 2, 22. Nous traduisons Ť proverbes ť parce que Jean n'utilise
jamais le mot παραβολή, et parce que
παροιμία signifie premičrement
Ť proverbe ť (voir, par exemple, le titre du livre des Proverbes). Les
proverbes étant souvent obscurs et métaphoriques, l'expression Ť en proverbes ť
signifiera ici Ť en expressions paraboliques ť, Ť dans un
enchevętrement de paroles ť, Ť obscurément et par énigmes ť (n°
2151).
6. Pr 22,
6.
2150. Au second sens5, la phrase CES CHOSES-LŔ, JE VOUS
LES AI DITES EN PROVERBES se réfčre ŕ tout ce qu'on lit sur l'enseignement du
Christ dans cet Évangile, tandis que l'affirmation ELLE VIENT, L'HEURE OŮ JE NE
VOUS PARLERAI PLUS EN PROVERBES, MAIS OŮ JE VOUS PARLERAI OUVERTEMENT DE MON
PČRE se réfčre au temps de la gloire. En effet, c'est parce qu'ŕ présent nous
voyons dans un miroir et en énigme, que ce qui nous est dit de
Dieu nous est donné en proverbes. Mais, parce que dans la patrie nous verrons face
ŕ face6, alors nous sera révélé clairement ce qui
concerne le Pčre. Et s'il dit DE MON PČRE, c'est parce que personne ne peut
voir le Pčre dans une telle gloire si le Fils ne le manifeste - Personne ne
connaît le Pčre sinon le Fils, et celui ŕ qui le Fils veut le révéler7. Car le Fils est la lumičre véritable8, par laquelle nous devenons capables de voir
le Pčre - Moi je suis la lumičre du monde 9.
1. Il
a semblé préférable de garder ici le texte de l'édition Marietti, sans
utiliser la correction de la Léonine : Ť je n'ai pas parlé ť.
2. Jn 16, 27.
3. Jn 16, 28.
4. Jn 16, 29.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., Cil,
3, BA 74B, p. 409.
6. 1 Co
13, 12 Car nous voyons ŕ présent dans un miroir, d'une Maničre obscure,
mais alors ce sera face ŕ face. Voir vol. I, n° 1548, note 4.
7. Mt 11, 27.
8. Jn 1, 9.
9. Jn 8, 12.
2151. Mais ŕ cette explication s'oppose ce qui suit : EN CE JOUR-LŔ VOUS
DEMANDEREZ EN MON NOM. Or nous n'allons rien demander en son nom s'il s'agit du
jour de la gloire, oů notre désir sera comblé de biens 10. Aussi le texte a-t-il deux autres sens.
L'un, selon Chrysostome11 CES CHOSES-LŔ, c'est-ŕ-dire celles que je vous ai dites maintenant,
c'est EN PROVERBES, c'est-ŕ-dire dans un certain enchevętrement de paroles, que
JE VOUS LES AI DITES, sans exprimer totalement ce que vous devez connaître de
moi et de mon Pčre, parce que j'ai encore beaucoup de choses ŕ vous
dire ; mais vous ne pouvez pas les porter maintenant12. Mais ELLE VIENT, L'HEURE, oů je serai
ressuscité des morts, OŮ JE NE VOUS PARLERAI PLUS EN PROVERBES, c'est-ŕ-dire
obscurément et par énigmes, MAIS OŮ JE VOUS PARLERAI OUVERTEMENT DE MON PČRE.
En effet, pendant les quarante jours oů il leur est apparu, il leur a enseigné
de nombreux mystčres, et leur a révélé beaucoup de choses sur lui et son
Pčre ; et comme désormais, croyant fermement, par la foi en la Résurrection,
qu'il est le Dieu véritable, ils avaient été élevés ŕ des réalités plus hautes,
aussi est-il ajouté : Se faisant voir d'eux pendant quarante jours et leur
parlant du royaume de Dieu (...)13
- II leur ouvrit l'esprit ŕ l'intelligence des Écritures14.
2152. L'autre sens est, selon Augustin15, que le Seigneur, en disant : CES
CHOSES-LŔ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES, promet qu'il fera d'eux des
hommes spirituels. Telle est en effet la différence qu'il y a entre l'homme
spirituel et l'homme naturel16 l'homme naturel reçoit les paroles spirituelles comme des
proverbes, non pas qu'elles aient été dites de maničre proverbiale mais parce
que, son esprit n'étant pas assez fort pour s'élever au-dessus des réalités
corporelles, elles lui sont obscures - L'homme naturel ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de
Dieu1. L'homme spirituel, lui, perçoit ce qui est spirituel
comme étant spiritue1. Or les disciples, au commencement, étaient comme des
hommes naturels, et ce qui leur était dit était obscur, comme des proverbes ;
mais par la suite, une fois rendus spirituels par le Christ et enseignés
par l'Esprit Saint, ils saisissaient ouvertement les réalités spirituelles.
Voilŕ pourquoi le Seigneur dit : CES CHOSES-LŔ, JE VOUS LES AI DITES EN PROVERBES, autrement dit, elles
furent pour vous comme des proverbes. Mais ELLE VIENT, L'HEURE OŮ JE NE VOUS
PARLERAI PLUS EN PROVERBES - Et nous tous qui,
le visage dévoilé, contemplons la gloire du Seigneur, nous sommes transformés
en cette męme image, de gloire en gloire2, comme de par l'Esprit du Seigneur3.
10. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., Cil, 3, BA 74B, p. 411.
11. In Ioannem hom., LXXIX, 2, PG 59, col. 428.
12. Jn 16, 12.
13. Ac 1, 3.
14. Lc 24, 45.
15. Tract, in Io., Cil, 4, BA 74B, p. 411-413.
16. Voir
ci-dessous, n° 2356, note 4.
II
EN CE
JOUR-LA VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM, ET JE NE VOUS DIS PAS QUE MOI JE PRIERAI LE
PČRE POUR VOUS ; CAR LE PERE LUI-MĘME VOUS AIME, PARCE QUE VOUS, VOUS
M'AVEZ AIMÉ, ET VOUS AVEZ CRU QUE JE SUIS SORTI DE DIEU. JE SUIS SORTI DU PČRE
ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE ; DE NOUVEAU JE QUITTE LE MONDE ET JE VAIS
VERS LE PČRE. (16, 26-28)
2153. Voici ŕ présent la deuxičme raison d'avoir confiance, qui se prend de
l'amour du Pčre pour les disciples. Le Seigneur montre d'abord l'amour du Pčre
pour eux ; puis l'intimité que le Pčre a avec le Fils [n° 2160].
L'amour du Pčre pour les disciples
Le Seigneur commence par rappeler la
promesse qu'il leur a faite ; puis il donne la raison de cette promesse
[n° 2157].
EN CE
JOUR-LŔ VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM, ET JE NE VOUS DIS PAS QUE MOI JE PRIERAI LE
PČRE POUR VOUS.
2154. Au sujet de sa promesse, le Seigneur rappelle d'abord une chose qu'il
avait promise. Puis il fait quelque chose d'autre : il leur promet l'assurance
pour demander. Il dit donc : EN CE JOUR-LŔ, c'est-ŕ-dire lorsque je vous
parlerai ouvertement du Pčre, VOUS DEMANDEREZ EN MON NOM, car connaissant alors
clairement le Pčre, vous saurez que moi je lui suis coessentiel et que, par
moi, vous avez accčs auprčs de lui. En effet, demander au nom du Christ, c'est
espérer avoir par lui accčs
au Pčre - Ceux-ci invoquent leurs chars, ceux-lŕ leurs chevaux ; mais
nous, nous invoquerons le nom du Seigneur notre Dieu4. Or ici le Christ cache qu'il va prier le Pčre
pour eux ; aussi dit-il : ET JE NE VOUS DIS PAS QUE MOI JE PRIERAI LE PČRE
POUR VOUS.
2155. Mais est-ce qu'il ne prie pas pour nous ? Si, au contraire : Nous
avons un avocat auprčs du Pčre, Jésus Christ le
juste3. - Il peut męme
sauver définitivement ceux qui par lui s'approchent de Dieu6.
Et ŕ ce sujet il faut dire en premier
lieu, selon Augustin7, qu'il dit cela pour exclure l'idée
qu'il serait dorénavant comme une personne qui intercčde en tant qu'homme.
Ainsi, en ce jour-lŕ, quand je vous parlerai ouvertement et que vous demanderez
en mon nom, vous connaîtrez que je suis un avec le Pčre, et que je ne
suis pas une personne qui intercčde ; mais que, en tant que Dieu,
sollicité1 avec le Pčre, j'exaucerai.
1. 1 Co
2, 14.
2. A
claritate in claritatem : sur le sens du mot claritas, voir vol. I,
n° 1278, notes 3 et 4.
3. 2 Co
3, 18.
4. Ps 19,
8.
5. 1 Jn
2, 1.
6. He 7,
25. Voir ci-dessus, n" 1910, note 2.
7. Tract, in Io., Cil, 4, BA 74B, p. 415.
D'une autre maničre, selon
Chry-sostome2, le Seigneur dit peut-ętre cela pour
que les disciples ne croient pas que, obtenant ce qu'ils demandent par le Fils,
ils n'aient donc pas accčs immédiat auprčs du Pčre. C'est comme s'il disait : A
présent, vous avez recours ŕ moi, pour que j'intercčde pour vous ; mais
alors, vous aurez une si grande confiance en le Pčre que vous-męmes pourrez lui
demander en mon nom, sans avoir besoin qu'un autre vous introduise.
2156. Mais les Apôtres n'ont-ils pas eu besoin du Christ homme pour
intercéder ? Sinon, męme s'il intercédait pour eux, son intercession serait
inutile.
Mais il faut dire qu'il n'intercčde
pas pour eux comme s'ils étaient trčs loin et incapables d'avoir accčs [auprčs
du Pčre], mais en rendant leurs pričres plus dignes d'ętre exaucées.
CAR LE
PČRE LUI-MĘME VOUS AIME, PARCE QUE VOUS, VOUS M'AVEZ AIMÉ, ET VOUS AVEZ CRU QUE
JE SUIS SORTI DE DIEU. (16, 27)
2157. Ŕ présent, le Seigneur précise la raison de sa promesse qui est cet
amour du Pčre pour eux. Il montre donc l'amour du Pčre, puis la preuve de cet
amour [n° 2159].
CAR LE
PČRE LUI-MĘME VOUS AIME.
2158. Voici donc ce que dit le Seigneur : JE NE VOUS DIS PAS QUE MOI JE
PRIERAI LE PČRE POUR VOUS - car il semblerait alors qu'il ne vous aime pas -
mais de toute maničre LE PČRE LUI-MĘME, qui aime toutes choses, en voulant pour
elles le bien de leur nature - Tu aimes en effet tout ce qui est, et tu ne
détestes nen de ce que tu as fait3 -, VOUS AIME, vous les Apôtres et les saints, d'un amour privilégié, en
voulant pour vous le bien supręme, c'est-ŕ-dire lui-męme - Il a aimé les
peuples : tous les saints sont dans sa main4 il vous a aimés pour cela - Les âmes des
justes sont dans la main de Dieu5.
PARCE
QUE VOUS, VOUS M'AVEZ AIMÉ, ET VOUS AVEZ CRU QUE JE SUIS SORTI DE DIEU.
2159. Le Christ en donne une preuve ŕ partir de deux choses : l'amour des
disciples ŕ son égard, et leur foi en lui.
En ce qui concerne l'amour des
disciples ŕ son égard, il dit : PARCE QUE VOUS, VOUS M'AVEZ AIMÉ. Ce n'est
certes pas une preuve par la cause, puisque, selon la premičre épître de Jean, ce
n'est pas que nous,
nous ayons aimé Dieu ; mais c'est lui qui nous a aimés le premier6. C'est en fait une preuve par le signe, parce que le fait męme
que nous aimons Dieu est signe que lui-męme nous aime ; car le fait que
nous puissions l'aimer provient d'un don de Dieu7 - La chanté de Dieu a été
répandue dans nos curs par l'Esprit Saint qui nous a été donné8. - Celui qui m'aime sera aimé de mon
Pčre9.
Quant ŕ la foi, le Seigneur dit : ET
VOUS AVEZ CRU QUE JE SUIS SORTI DE DIEU. En effet, sans
la foi, il est impossible de plaire ŕ Dieu1. Or la foi nous vient de l'amour de Dieu car c'est le don de Dieu2, et il n'y a de don qu'en raison de l'amour de celui qui
donne. Or croire et aimer le Christ en tant qu'il est sorti de Dieu, c'est un
signe suffisamment évident de l'amour de Dieu3, car on aime encore plus ce par quoi
toute chose existe. Si donc quelqu'un aime le Christ, qui est sorti de Dieu,
son amour retourne principalement ŕ Dieu le Pčre ; mais non pas s'il
l'aime en tant qu'il est homme.
1. Interpellatus.
C'est le męme verbe interpello que nous avons traduit ici par
Ť intercéder ť et Ť solliciter ť.
2. In Ioannem hom., LXXIX, 1, PG 59, col. 428,
développé par Théophylacte, Enarr. in Ev. S. Ioannis.
In h. loc, PG 124, col. 222.
3. Sg 11,
25.
4. Dt 33,
3.
5. Sg3, 1.
6. 1 Jn 4,
10.
7. Ť Aimer
Dieu est entičrement un don de Dieu. Lui qui nous a aimés sans ętre aimé nous a
donné de l'aimer ť (saint Augustin,
Tract, in Io., Cil, 5, BA 74B, p. 417).
8. Rm 5,
5. Pour le commentaire que saint Thomas fait de ce verset, voir vol. I, n°
1234, note 8.
9. Jn 14,
21.
La familiarité du Pčre et du Fils
JE SUIS
SORTI DU PČRE ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE ; DE NOUVEAU JE QUITTE LE
MONDE ET JE VAIS VERS LE PČRE.
2160. Parce que le Christ a mentionné qu'il est sorti du Pčre, il en donne ŕ
présent une explication plus manifeste, oů il montre son intimité avec le Pčre
: il révčle d'abord qu'il est sorti d'auprčs du Pčre, puis son retour vers le
Pčre [n° 2163].
2161. Or il y a une double procession du Fils ŕ partir du Pčre : l'une
éternelle4, l'autre temporelle [n° 2162]. Et il
désigne la procession éternelle en disant : JE SUIS SORTI DU PČRE, ayant été
engendré par lui éternellement.
JE SUIS
SORTI DU PČRE.
Notons que tout ce qui sort d'une
réalité a d'abord été en elle. Or une chose est dans une autre de trois
maničres : comme le contenu est dans le contenant, comme la partie est dans le
tout, ou comme l'accident est dans le sujet et l'effet dans la cause, et selon
cela on dira que certaines choses sortent d'autres choses. Mais selon les deux
premičres maničres, ce qui sort est une réalité qui est numériquement
identique, comme le vin qui sort du tonneau est le męme quant au nombre, et la
partie qui sort du tout, identique ; tandis que, selon les deux derničres
maničres citées, ce qui sort n'est pas une réalité numériquement identique. Or
cela, on ne doit pas le dire de Dieu : car puisque Dieu est tout ŕ fait simple,
et qu'il n'est pas dans un lieu, si ce n'est métaphoriquement, on ne peut pas
dire que le Fils soit en lui comme une partie ou comme un contenu, mais qu'il
est en lui par unité d'essence - Moi et le Pčre nous sommes un5. Car toute l'essence du Pčre est toute l'essence du Fils, et
réciproquement ; aussi le Fils n'est-il pas sorti du Pčre ŕ la maničre de
ce dont nous avons parlé. En effet, ce qui sort du tout comme une partie en est
distinct par l'essence, car la partie sortant du tout devient un ętre en acte,
elle qui était, dans le tout, un ętre en puissance. De męme, ce qui sort du
tout qui le contient s'en distingue selon le lieu ; mais le Fils ne sort
pas du Pčre selon le lieu, puisqu'il emplit tout, selon le passage de Jérémie : Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre ?6 II n'en sort pas non plus par division, puisque le Pčre est
impartageable ; mais il sort de lui par distinction personnelle. Ainsi
donc, par la sortie, en tant qu'elle présuppose l'inhérence, on désigne l'unité
d'essence ; et en tant qu'elle suggčre un certain processus, on désigne la
distinction personnelle - De l'extrémité du ciel, c'est-ŕ-dire de Dieu
le Pčre, il sort1. Et encore : Du sein, avant
l'aurore, je t'ai engendré*. Dans les réalités corporelles, ce qui sort
d'une chose n'est plus en elle, puisqu'il en sort par séparation d'essence ou de lieu. Tandis qu'ici, comme il
ne s'agit pas d'une telle sortie, le Fils est sorti de toute éternité du Pčre
d'une maničre telle que, cependant, il est en lui de toute éternité ; et
ainsi, quand il est en lui, il sort, et quand il sort, il est en lui ; si
bien qu'il sort toujours, et qu'il est toujours en lui.
1. He 11,
6.
2. Ep 2,
8.
3. Cf. 1
Jn 4, 10-15.
4. Sur la
procession éternelle du Fils ŕ partir du Pčre dans le mystčre de la Trčs Sainte
Trinité, voir ci-dessus n° 1911, note 7, et nos 2107 et 2115.
5. Jn 10,
30.
6. Jr 23,
24.
7. Ps 18,
7.
8. Ps 109,
3.
ET JE
SUIS VENU DANS LE MONDE.
2162. Ici, c'est la procession temporelle que le Seigneur désigne. Or, de
męme que ce n'est pas selon le lieu qu'il est sorti du Pčre de toute éternité,
de męme sa venue dans le monde n'est pas non plus locale : car le Fils étant
dans le Pčre et réciproquement, de męme que le Pčre emplit tout, de męme aussi
le Fils, et il n'y a rien vers quoi il se meuve localement. On dit donc qu'il
est venu dans le monde en tant qu'il a assumé la nature humaine, quant ŕ son
corps qui tire son origine du monde, mais non pas en changeant de lieu - Il est
venu chez lui} et les siens ne l'ont pas reçu 1.
DE
NOUVEAU JE QUITTE LE MONDE ET JE VAIS VERS LE PČRE.
2163. Ensuite le Seigneur traite de son retour vers le Pčre. En premier lieu,
il expose son départ du monde : DE NOUVEAU JE QUITTE LE MONDE, mais sans
suspendre la providence de son gouvernement, puisqu'en męme temps que le Pčre
il gouverne toujours le monde et qu'il est toujours avec les fidčles par le
secours de la grâce - Voici que moi, je suis avec vous tous les jours
jusqu'ŕ la consommation des sičcles2. Il quitte donc le monde en se soustrayant au regard terrestre de ceux
qui sont du monde.
En second lieu, il expose son retour
vers le Pčre : JE VAIS VERS LE PČRE, dont il ne s'était jamais séparé. Et il
va, en tant qu'il s'est offert au Pčre en sa Passion - Il s'est offert lui-męme ŕ
Dieu en hostie d'agréable odeur3. De męme en tant que, par la Résurrection, il a été comme homme
configuré au Pčre dans l'immortalité - Mais vivant, c'est pour Dieu qu'il
vit4. Enfin en tant que dans l'Ascension il est
monté aux cieux, en quoi il resplendit spécialement de la gloire divine - Or
donc le Seigneur Jésus, aprčs leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et il sičge
ŕ la droite de Dieu5 ; et plus haut : Et
maintenant je vais vers celui qui m'a envoyé ; et aucun d'entre vous ne
m'interroge : Oů vas-tu ?6
1. Jn 1, 11.
2. Mt 28, 20.
3. Ep 5, 2.
4. Rm 6, 10.
5. Mc 16, 19.
6. Jn 16,
5.
2164. Aprčs avoir exposé les raisons et les paroles données pour consoler les Apôtres, l'Évangéliste montre leur effet sur les disciples : l'attitude des disciples, d'abord, puis leur condition [n° 2169] ; enfin il précise l'intention avec laquelle le Christ leur a parlé auparavant [n° 2173].
LES
DISCIPLES LUI DISENT : VOICI A PRÉSENT QUE TU PARLES OUVERTEMENT, ET NE DIS
AUCUN PROVERBE. NOUS SAVONS MAINTENANT QUE TU SAIS TOUT, ET QUE TU N'AS PAS
BESOIN QU'ON T'INTERROGE. EN CECI NOUS CROYONS QUE TU ES SORTI DE DIEU. (16,
29-30)
Ici, l'attitude des disciples est
l'attitude de la confession et de la foi. Et dans ce passage, ils confessent
trois choses au sujet du Christ : la clarté de son enseignement [n° 2165], la
certitude de sa science [n° 2166], et son origine divine [n° 2168].
LES
DISCIPLES LUI DISENT : VOICI Ŕ PRÉSENT QUE TU PARLES OUVERTEMENT, ET NE DIS
AUCUN PROVERBE.
2165. Les disciples confessent ainsi ce premier point. En effet, si l'on fait
bien attention, on trouvera difficilement un lieu de l'Écriture sainte oů
l'origine du Christ soit exprimée comme ici quand il dit : Je vous parlerai ouvertement de mon Pčre1 et : Je suis sorti du Pčre et je suis venu
dans le monde2. Et c'est pourquoi, croyant que cette promesse : Je vous parlerai
ouvertement de mon Pčre
s'est accomplie pour
eux de telle sorte qu'ils n'ont pas besoin d'une autre manifestation, les
disciples disent : VOICI Ŕ PRÉSENT
QUE TU PARLES OUVERTEMENT. Mais, comme le dit Augustin3, les disciples étaient encore
ignorants, au point d'ignorer qu'ils ne comprenaient pas. Car le Seigneur ne
leur avait pas promis de parler sans proverbes ŕ cette heure-lŕ, mais ŕ l'heure
de la Résurrection ou de la gloire. Cependant, en ce qui concerne les
disciples, il leur a alors parlé plus clairement, męme s'il fallait encore
attendre une autre clarté de ses paroles - Moi j'ai parlé ouvertement au monde4.
NOUS
SAVONS MAINTENANT QUE TU SAIS TOUT.
2166. Les disciples confessent ŕ présent le deuxičme point. Les paroles, prises
extérieurement, sont la preuve évidente d'une science certaine et parfaite
quand on manifeste ce qu'on dit : en effet, le signe que quelqu'un sait, c'est
qu'il est tout ŕ fait capable d'enseigner5 ; aussi le livre des Proverbes
affirme-t-il que l'enseignement est facile pour les hommes prudents6. Ce qui dépasse notre intelligence, en effet,
nous ne l'expliquons pas clairement avec des mots. Mais cependant, c'est avec
une autre intention que les Apôtres parlent ainsi, parce que le Seigneur sait
tous les secrets de leur cur et éclaire leurs doutes : il les console en
promettant la joie de l'Esprit Saint, une nouvelle vision de lui et l'amour du
Pčre1. Aussi disent-ils : NOUS SAVONS
MAINTENANT QUE TU SAIS TOUT, c'est-ŕ-dire tous les secrets des curs - Toi,
tu sais tout2.
-Avant d'ętre faites, toutes choses sont connues du Seigneur notre Dieu3.
1. Jn 16, 25.
2. Jn 16, 28.
3. Tract, in Io., CUI, 1, ΒΑ 74Β, ρ. 423.
4. Jn 18,
20.
5. Cf. Aristote,
Métaphysique, A, 1, 981 b 7-10 Ť D'une maničre générale,
le signe qui distingue celui qui sait de celui qui ne sait pas, c'est qu'il
peut enseigner, et c'est pourquoi nous pensons que l'art est plus science que
l'expérience : en effet les hommes d'art peuvent enseigner, tandis que les
autres [les hommes d'expérience] ne le peuvent pas ť.
6. Pr 14,
6 Le railleur cherche la sagesse et ne la trouve pas : l'enseignement est
facile pour les hommes prudents.
ET QUE
TU N'AS PAS BESOIN QU'ON T'INTERROGE.
2167. Cela semble contredire ce qui précčde. Ils disent en effet que le
Seigneur sait tout ; or ŕ celui qui sait, il appartient non pas
d'interroger, mais d'ętre interrogé. Comment donc n'a-t-il pas besoin qu'on
l'interroge ?
Mais il faut répondre que les
disciples parlent ainsi pour indiquer qu'il sait męme les secrets des curs,
puisque précédemment, lorsqu'ils se disaient entre eux : Qu'est-ce qu'il dit : encore un
peu ?4, il leur avait donné satisfaction avant męme leur
interrogation. Néanmoins, le Christ interroge et est interrogé, non pas que lui
en ait besoin, mais nous.
EN CECI
NOUS CROYONS QUE TU ES SORTI DE DIEU.
2168. Voilŕ le troisičme point que confessent les disciples, et certes cela convient, car savoir toutes choses, męme les secrets des curs, est propre ŕ la divinité - Pervers est le cur de l'homme et insondable. Qui peut le pénétrer ? Moi, le Seigneur, je scrute le cur et je sonde les reins5. Voilŕ pourquoi ils disent : TU ES SORTI DE DIEU, consubstantiel au Pčre, et vrai Dieu.
2169. Ŕ présent il nous montre la condition des disciples, qui est une
condition de faiblesse : le Seigneur leur fait un reproche ŕ propos de la
lenteur de leur foi, puis ŕ propos de la tribulation ŕ venir, imminente [n°
2171] ; enfin il montre qu'il n'est atteint par aucun dommage venant de la
part de ses disciples [n° 2172].
JÉSUS
LEUR RÉPONDIT : Ŕ PRÉSENT VOUS CROYEZ ? (16, 31)
2170. Cette phrase, si elle est prise au sens interrogatif6, est un reproche concernant leur lenteur ŕ croire, comme s'il disait :
Vous avez attendu jusqu'ŕ maintenant pour croire ? On lisait plus haut, au
chapitre 14 Depuis
si longtemps je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! (...)
Ne crois-tu pas que moi, je suis dans le Pčre, et que le Pčre est en moi ?7 Mais si la phrase est
entendue avec une nuance d'indulgence8, le Seigneur leur reproche
l'instabilité de leur foi, comme s'il disait : C'est vrai que maintenant, vous
croyez ; mais lorsque je serai livré, aussitôt vous m'abandonnerez - Ils croient pour un
temps et, au moment de la tentation, ils s'écartent1.
1. Sur
cette triple promesse, voir ci-dessus, n° 2082.
2. Jn 21,
17.
3. Si 23,
29 [BJ 23, 20]. Au sujet de Dieu qui connaît les curs, voir aussi 1 S 16,
7 ; 1 Ch 28, 9 ; Ps 7, 10 ; Jr 11, 20 ; 17, 10 et 20,
12 ; Ap 2, 23.
4. Jn 16,
18.
5. Jr 17,
9-10.
6. Cf. saint
Bčde le Vénérable, In S. Ioannis Εν. Εχρ., in h. loc, PL 92, col. 868 C.
7. Jn 14,
9-10.
8. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CUI,
3, ΒΑ 74Β, ρ. 431.
VOICI
QU'ELLE VIENT, L'HEURE, ET ELLE EST DÉJŔ VENUE, OŮ VOUS SEREZ DISPERSÉS, CHACUN
DE SON CÔTÉ, ET VOUS ME LAISSEREZ SEU1. (16, 32)
2171. Ce qui est présenté ici, c'est la tribulation et le scandale imminents
[pour les disciples]. Il faut savoir qu'ŕ la menace d'un tel scandale, ils
perdaient ce qu'ils avaient acquis antérieurement grâce au Christ. En effet,
ils avaient la compagnie du Christ, sa possession, et le fait d'ętre déchargés
des réalités [du monde], ainsi que tout un mode de vie en commun. Aussi, ce
sont ces trois aspects que Pierre énumčre, dans l'Évangile selon Matthieu,
lorsqu'il dit : Voici que nous, c'est-ŕ-dire nous tous - voilŕ pour le
troisičme point -, nous
avons tout laissé pour
le second - et nous t'avons suivi2 - voilŕ pour le premier. Et c'est tout cela qu'ils perdirent ;
c'est pourquoi le Seigneur le leur a prédit, en disant : VOICI QU'ELLE VIENT,
L'HEURE, ET ELLE EST DÉJŔ VENUE, OŮ VOUS SEREZ DISPERSÉS - il s'agit lŕ du
troisičme point -en raison de la crainte qui vous dominera ŕ tel point que vous
ne pourrez męme pas fuir ensemble - Frappe le pasteur, et les brebis du
troupeau seront dispersées3.
CHACUN DE SON CÔTÉ : il s'agit lŕ du
second point, c'est-ŕ-dire le fait de posséder des biens en propre. C'est pour
cela que Pierre et les autres disciples sont revenus au bateau et ŕ leurs biens
propres - Ils sortirent, et montčrent dans le bateau4. ET VOUS ME
LAISSEREZ SEUL : il s'agit lŕ du premier point - Mes proches m'ont abandonné, et ceux qui m'ont
connu m'ont oublié5.
- Au pressoir j'ai foulé seul6.
ET
CEPENDANT JE NE SUIS PAS SEUL, PARCE QUE LE PČRE EST AVEC MOI (16, 32)
2172. Mais le Christ ne souffre aucun dommage du scandale de ses
disciples ; aussi dit-il : ET CEPENDANT JE NE SUIS PAS SEUL, PARCE QUE LE
PČRE EST AVEC MOI Autrement dit : Męme si par l'unité d'essence je suis un
avec le Pčre, par la distinction des personnes je ne suis pas seul ;
c'est pourquoi je ne suis pas sorti du Pčre de sorte que je me serais éloigné
de lui7.
1. Lc 8,
13.
2. Mt 19,
27. Saint Thomas commente : Ť Ce n'est pas le fait de tout quitter qui
fait la perfection, mais le fait de tout quitter et de suivre le Christ, parce
que beaucoup de philosophes ont tout quitté. Pierre avait laissé sa barque et
son filet. Cependant il est davantage loué en raison de son amour que pour ce
qu'il a laissé, parce qu'il a si bien renoncé ŕ l'inclination de sa volonté
qu'il aurait encore abandonné tout le reste s'il avait eu autre chose. Cela
nous montre qu'il ne faut pas juger que ceux qui ont abandonné ce qu'ils
avaient ont laissé peu de chose, męme s'ils avaient peu de chose. (...) On suit
Dieu de plusieurs maničres, selon Jérôme. En esprit grâce ŕ la contemplation - Connaissons
et suivons afin de connaître Dieu (Os 6, 3). Aussi ceux-lŕ suivent Dieu qui
ont Dieu devant les yeux et ils connaissent Dieu par le moyen de la
contemplation. Ou encore, on suit Dieu par l'observation de ses commandements -
Mes brebis entendent ma voix et elles me suivent (cf. Jn 10, 4 et 16). Ou
encore en imitant son uvre - Mon pied a suivi ses traces (Jb 23, 11). Également
par le mépris de soi et des siens - Si quelqu'un veut venir derričre moi,
qu'il renonce ŕ lui-męme, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive (Mt 16,
24). Et encore, par la pureté de l'esprit et du cur - Ceux-lŕ, ils ne se
sont pas souillés avec des femmes, ils sont vierges ; ceux-lŕ suivent
l'Agneau partout oů il va (Ap 14, 4). C'est la pauvreté volontaire qui
dispose ŕ le suivre ainsi ť (Sup. Matth. lect., XIX, nos 1607-1608).
3. Za 13,
7.
4. Jn 21,
3.
5. Jb 19,
14. Au lieu de Ť Mes proches ť, saint Thomas disait : Ť Mes
frčres ť, comme au verset 13 II a éloigné de moi mes frčres, et les
personnes de ma connaissance se sont écartées de moi comme des étrangers. Saint
Thomas commente : Ť Ensuite, il en vient ŕ la racine de l'espoir, enlevée
du côté du secours humain, montrant qu'il ne pouvait s'attendre ŕ aucun secours
de ceux-lŕ męmes dont il était le plus considéré. Et il énumčre d'abord ceux
qui n'habitent pas sous le męme toit, en commençant par ses frčres, et il dit :
il a éloigné de moi mes frčres, de sorte qu'ils ne puissent ou ne
veuillent me porter secours. Ensuite, il cite ses amis intimes : les
personnes de ma connaissance se sont écartées de moi comme des étrangers, ne
m'apportant aucune aide. Quant ŕ ceux de sa parenté, ou proches de quelque
façon, il dit : mes proches m'ont abandonné, me laissant sans secours. Quant
ŕ ceux avec lesquels il avait eu des relations, il dit : et ceux qui m'ont
connu, ŕ savoir comme un ami intime dans le passé, maintenant dans ma
tribulation ils m'ont oublié, ne se souciant pas de moi ť (Exp. super
lob, 19, 14, p. 114-115, 1. 126-141).
6. Is 63, 3.
7. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CUI, 2, ΒΑ 74Β, ρ. 429.
2173. Ŕ présent le Seigneur expose son intention par rapport ŕ son
enseignement : il montre d'abord l'utilité de cet enseignement, puis sa
nécessité [n° 2175].
JE VOUS
AI DIT CES CHOSES, POUR QU'EN MOI VOUS AYEZ LA PAIX. (16, 33)
2174. Le fruit de l'enseignement du Seigneur, c'est la paix. Aussi
affirme-t-il : Je vous le dis, vous finirez par me laisser seul, et pour cela
je vous offre mon enseignement, afin que vous ne persistiez pas dans cet
abandon ; oui, tout ce dont je vous ai parlé dans cet entretien, ou bien
dans tout l'Évangile, JE VOUS [L']AI DIT pour que, revenant ŕ moi, EN MOI VOUS
AYEZ LA PAIX.
En effet, la fin de l'Évangile, c'est
la paix dans le Christ -
Paix en abondance pour ceux qui aiment ton nom1. En voici la raison : la paix du
cur s'oppose au trouble qui provient des maux qui surviennent et
s'accroissent. Mais lorsqu'on a un chagrin ou une joie qui dépasse de beaucoup
de tels maux, il est évident que le trouble ne demeure pas. Voilŕ pourquoi les
hommes qui sont du monde, eux qui ne sont pas unis ŕ Dieu par l'amour, ont des
tribulations sans paix, alors que les saints qui ont Dieu dans leur cur par
l'amour, męme si de la part du monde ils ont des tribulations, ont la paix dans
le Christ - Lui qui
a mis en paix ton territoire2. Telle doit ętre en effet notre fin : que nous ayons la
paix en Dieu - Mon âme refuse d'ętre consolée, ŕ savoir dans les choses du monde, mais lorsque je me suis souvenu de Dieu, je me suis réjoui3.
DANS LE
MONDE VOUS AUREZ DE L'AFFLICTION ; MAIS AYEZ CONFIANCE : MOI J'AI VAINCU
LE MONDE. (16, 33)
2175. La nécessité de cette paix vient du tourment infligé par le
monde ; aussi le Seigneur dit-il : DANS LE MONDE VOUS AUREZ DE
L'AFFLICTION. Il prédit d'abord l'angoisse ŕ venir ; puis, face ŕ elle, il
donne confiance.
Quant au premier point, il dit : DANS
LE MONDE VOUS AUREZ DE L'AFFLICTION, ŕ savoir venant de ceux qui sont du monde
- Ne vous étonnez pas, frčres, si le monde vous hait4 ; et encore : Parce que (...) moi je vous ai
choisis du milieu du monde, pour cette raison-lŕ le monde vous hait5.
Quant au deuxičme point, il dit :
AYEZ CONFIANCE : MOI J'AI VAINCU LE MONDE. Car lui nous libčre - Tu m'as
libéré de la détresse de ce feu qui m'entourait6. C'est comme s'il disait : Ayez recours ŕ moi, et vous aurez la paix, et
cela parce que MOI J'AI VAINCU LE MONDE, qui vous oppresse.
2176. Le Christ a vaincu le monde d'une premičre maničre en lui retirant les
armes avec lesquelles il attaque et qui sont tout ce qui est objet de
convoitise - Tout ce qui est dans le monde est
soit concupiscence des yeux, soit concupiscence de la chair, soit orgueil de la vie7. C'est ainsi que le Christ a vaincu les
richesses par la pauvreté - Moi, je suis indigent et pauvre8. - Le Fils de l'homme n'a pas oů
reposer sa tęte 1. Il a vaincu l'honneur par
l'humilité - Apprenez de moi que je suis doux et humble de cur2. Il a vaincu les plaisirs par les souffrances et les labeurs
Il s'est fait
obéissant jusqu'ŕ la mort, et la mort de la croix3. Et encore : Jésus, donc, fatigué de la route, était assis ŕ męme
la source4. - Je suis pauvre et je peine depuis ma jeunesse5. Celui donc qui vainc ainsi ces
concupiscences, vainc le monde ; et c'est ce que réalise la foi - Telle est la victoire qui
vainc le monde : notre foi6. Car étant la substance des
réalités ŕ espérer7, qui
sont les biens spirituels et éternels, elle nous fait mépriser les biens
terrestres et passagers.
1. Ps
118, 165. La Vulgate dit Ť qui aiment ta loi ť. Si saint Thomas dit
Ť qui aiment ton nom ť, c'est sans doute une réminiscence de Ps 5, 12
(Tu auras ta demeure en eux et ils se glorifieront en toi, ceux qui aiment ton nom) ou
de Ps 68, 37 {Ceux qui aiment son nom y auront leur demeure, c'est-ŕ-dire
en Sion ou dans les villes de Juda).
2. Ps 147, 14.
3. Ps 76,
3-4.
4. 1 Jn
3, 13.
5. Jn 15,
19.
6. Si 51,
4 et 6.
7. 1 Jn
2, 16.
8. Ps 85,
1.
La deuxičme maničre dont le Seigneur
a vaincu le monde, c'est en mettant dehors le prince du monde - C'est maintenant
que le prince de ce monde va ętre jeté dehors8. - Dépouillant les principautés et les
puissances, il les a résolument données en spectacle, en les entraînant aux
yeux de tous dans le cortčge de son triomphe, triomphe qu'il a en lui-męme9. De ce fait, il nous a présenté le diable
comme celui qui devait ętre vaincu par nous - Joueras-tu avec lui comme avec un oiseau, ou l attacheras-tu
pour tes servantes 10 ? Au sens littéral, aprčs la Passion, les
toutes jeunes servantes du Christ et les tout-petits se jouent du diable.
1. Lc 9, 58.
2. Mt 11, 29. Voir vol. I, n° 1124, note 2.
3. Ph 2, 8.
4. Jn4, 6.
5. Ps 87, 16.
6. 1 Jn 5, 4.
7. He 11, 1.
8. Jn 12,
31.
La troisičme maničre dont le Seigneur
a vaincu, c'est en convertissant ŕ lui les hommes de ce monde. Par eux le monde
se révoltait en fomentant des séditions, et le Christ les a attirés ŕ lui - Moi,
quand j'aurai été
élevé de terre, j'attirerai tout ŕ moi11. - Voilŕ que tout le monde est parti ŕ sa
suite12.
Ainsi donc nous ne devons pas craindre
les afflictions venant du monde, parce qu'il a été vaincu - Mais grâces soient ŕ Dieu,
qui nous a donné la victoire par notre Seigneur Jésus Christ13.
9. Col 2, 15.
10. Jb 40, 24 [BJ40, 29],
11. Jn 12, 32.
12. Jn 12, 19.
13. 1 Co
15, 57.
Évangile
selon saint Jean Chapitre XVII
1 Jésus
parla ainsi ; puis, levant les yeux au ciel, il dit : Ť Pčre, elle
est venue l'heure ; glorifie ton Fils, afin que ton Fils te
glorifie ; 2 afin que, comme tu lui as donné puissance sur toute chair, ŕ
tous ceux que tu lui as donnés, il donne la vie éternelle. 3 Or la vie
éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu
as envoyé, Jésus Christ. 4 Moi, je t'ai glorifié sur la terre ; j'ai
achevé l'uvre que tu m'as donné ŕ faire. 5 Et maintenant toi, Pčre,
glorifie-moi auprčs de toi de la gloire que j'avais auprčs de toi avant que le
monde fűt.
6 J'ai
manifesté ton nom aux hommes que tu m'as donnés du milieu du monde ; ils
étaient ŕ toi, et tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole. 7 Maintenant
ils ont connu que tout ce que tu m'as donné vient de toi ; 8 parce que les
paroles que tu m'as données, je les leur ai données ; et ils les ont
reçues, et ils ont connu vraiment que c'est de toi que je suis sorti, et ils
ont cru que c'est toi qui m'as envoyé. 9 Moi je prie pour eux ; je ne prie
pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés, parce qu'ils sont ŕ toi. 10
Et tout ce qui est ŕ moi est ŕ toi, et tout ce qui est ŕ toi est ŕ moi ;
et je suis glorifié en eux.
11 Et
déjŕ je ne suis plus dans le monde, et eux sont dans le monde, et moi je viens
vers toi. Pčre saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnés, pour qu'ils
soient un comme nous. 12 Quand j'étais avec eux je les gardais en ton nom. Ceux
que tu m'as donnés, je les ai gardés, et aucun d'eux ne s'est perdu, hormis le
fils de perdition, pour que l'Écriture s'accomplisse. 13 Maintenant je viens
vers toi ; et je dis ces choses dans le monde pour qu'ils aient en
eux-męmes ma joie en plénitude.
14 Moi
je leur ai donné ta parole, et le monde les a eus en haine, parce qu'ils ne
sont pas du monde, comme moi-męme je ne suis pas du monde. 15 Je ne demande pas
que tu les retires du monde, mais que tu les gardes du ma1. 16 Ils ne sont pas
du monde, comme moi-męme je ne suis pas du monde. 17 Sanctifie-les dans la
vérité. Ta parole est vérité. 18 Comme tu m'as envoyé dans le monde, ainsi moi
aussi je les ai envoyés dans le monde. 19 Et pour eux je me sanctifie moi-męme,
afin qu'eux aussi soient sanctifiés dans la vérité.
20 Ce
n'est pas seulement pour eux que je prie, mais aussi pour ceux qui, par leurs
paroles, croiront en moi, 21 afin que tous soient un. Comme toi, Pčre, tu es en
moi et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que
c'est toi qui m'as envoyé. 22 Et moi, la gloire que tu m'as donnée, je la leur
ai donnée, afin qu'ils soient un comme nous aussi sommes un. 23 Moi en eux et
toi en moi, pour qu'ils soient consommés dans l'unité, et que le monde
connaisse que c'est toi qui m'as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m'as
aimé.
24
Pčre, ceux que tu m'as donnés, je veux que lŕ oů je suis, eux aussi soient avec
moi, afin qu'ils voient la gloire que tu m'as donnée parce que tu m'as aimé
avant la fondation du monde. 25 Pčre juste, le monde ne t'a pas connu, mais moi
je t'ai connu, et ceux-ci ont connu que c'est toi qui m'as envoyé. 26 Je leur
ai fait connaître ton nom, et je le leur ferai connaître, pour que l'amour dont
tu m'as aimé soit en eux, et moi en eux. ť
2177. Précédemment, le Seigneur a réconforté ses disciples par un exemple et
une exhortation1. Dans cette partie, il les
réconforte par sa pričre, dans laquelle il fait trois choses. D'abord il prie
pour lui-męme, puis pour l'assemblée des disciples [n° 2193], enfin pour tout
le peuple des croyants [n° 2232].
Concernant le premier point, aprčs avoir présenté sa demande il indique le fruit de sa demande [n° 2182], et enfin le mérite grâce auquel elle sera exaucée [n° 2189].
JÉSUS
PARLA AINSI ; PUIS, LEVANT LES YEUX AU CIEL, IL DIT : Ť PČRE, ELLE
EST VENUE L'HEURE ; GLORIFIE TON FILS. ť (17, 1)
1. Il
s'agit de l'exemple donné par Jésus dans le lavement des pieds au chapitre 13, et de son long
enseignement des chapitres 14, 15 et 16.
2. Dans
la Somme théologique, saint Thomas aborde la pričre du Christ dans la
perspective de la soumission au Pčre, parce que la nature humaine du Christ est créée. Il s'agit donc d'une pričre de
demande face au Pčre, qui nous révčle les profondeurs du cur de Jésus. Voir III, q. 21, oů saint Thomas montre qu'Ť il convient au Christ en tant qu'homme, possédant une
volonté humaine, de prier ť (a. 1, c). Et il ajoute : Ť dans sa
nature humaine, de męme qu'il possédait déjŕ certains biens reçus du Pčre, de
męme il en attendait d'autres qu'il lui restait ŕ obtenir. C'est pourquoi,
tandis que pour les biens déjŕ
reçus il rendait grâces ŕ son Pčre, reconnaissant qu'il en était l'auteur, pour les biens qu'il n'avait pas encore reçus,
comme la gloire du corps et autres choses du męme genre, il les demandait ŕ son
Pčre, manifestant par lŕ qu'ils venaient de lui. En cela le Christ nous donnait
l'exemple, afin que nous rendions grâces pour les dons reçus et que nous
demandions par la pričre les bienfaits que nous ne possédons pas encore ť
(a. 3, c). Saint Thomas montre enfin que la pričre du Christ fut toujours exaucée
parce qu'Ť elle était conforme ŕ la volonté de Dieu ť (a. 4, c). Et
de męme nos pričres sont toujours exaucées dans la mesure oů elles sont
conformes aux vouloirs divins. Voir aussi ci-dessus, nos 1905, 2142, et
ci-dessous plus particuličrement nos 2205 ŕ
2207. Sur la pričre, voir aussi IIII, q.
83, a. 3, oů la pričre est abordée comme un acte de la vertu de religion.
L'Évangéliste nous montre ici l'ordre de la pričre du Christ2, puis sa maničre de prier [n° 2179] ; enfin les paroles de sa pričre [n° 2180].
JÉSUS
PARLA AINSI.
2178. L'ordre de cette pričre est opportun, parce qu'elle vient aprčs une exhortation. En cela le Seigneur nous donne un exemple, afin que, ceux que nous instruisons par la parole, nous les aidions par le suffrage de nos pričres, parce que c'est quand elle est soutenue par la pričre oů on implore le secours divin que la parole divine a le plus grand effet dans le cur de ceux qui l'écoutent - Frčres, priez aussi ensemble pour nous, afin que Dieu nous ouvre la porte de sa parole1. Aussi la fin de notre parole doit-elle s'achever dans la pričre divine - L'accomplissement des paroles, c'est Lui en toutes choses2.
LEVANT
LES YEUX AU CIEL
2179. La maničre de prier convient bien. Il y a en effet une différence entre
la pričre du Christ et la nôtre : notre pričre est seulement en vue d'une
nécessité, alors que la pričre du Christ est davantage pour notre
instruction ; il n'y avait en effet pour lui aucune nécessité de prier,
puisque c'est lui qui, avec le Pčre, exauce ceux qui prient.
Et pour cela il nous a instruits ŕ la fois par la parole et par le geste. Par le geste, en LEVANT LES YEUX, afin que nous aussi, dans notre pričre, nous levions les yeux vers le ciel3 - Vers toi j'ai levé les yeux, vers toi qui habites dans les deux 4. Et pas seulement les yeux, mais aussi tous nos actes, en les rapportant5 ŕ Dieu - Levons nos curs avec nos mains vers le Seigneur, dans les deux6.
IL DIT
: Ť PČRE, ELLE EST VENUE L'HEURE ; GLORIFIE TON FILS. ť
1. Col 4,
3.
2. Si 43,
29 (verset propre ŕ la Vulgate).
3. Les
saints nous donnent souvent l'exemple d'une pričre fervente qui saisit leur
ętre tellement profondément que non seulement leur âme mais aussi leur corps
est saisi par la présence de Dieu. Saint Dominique est souvent évoqué pour sa
maničre expressive de prier ainsi avec son corps. Ses neuf maničres de prier
restent un exemple pour la vie de tous les chrétiens : la pričre des
inclinations (voir Ps 94, 6 ; 2 Ch 20, 18...), la pričre des prostrations
(voir Ps 118, 25...), la pričre de la flagellation (voir 2 M 8, 2-3...), la
pričre du regard (voir Ps 120, 1-2 ; Ct 4, 9...), la pričre des mains
(voir Ps 62, 5 ; 140, 2...), la pričre des bras en croix (Ex 17, 11), la
pričre de supplication (voir Ps 141, 1...), la pričre avec la parole de Dieu
(voir Ps 118, 42 ; 118, 105...), la pričre du pčlerin (voir Ps 16,
5 ; 36, 23...).
4. Ps
122, 1.
5. Saint
Thomas reprend ici l'expression du Ps 28, 2 Rapportez ŕ Yahvé, fils de
Dieu, rapportez ŕ Yahvé gloire et puissance. Rapportez ŕ Yahvé la gloire de son
nom. Cf. Ps 95, 7 ; Ps 113, 9 et 1 Ch 16, 28-29.
6. Lm 3,
41.
Il nous a instruits par la parole
aussi, car il a exprimé ouvertement sa pričre. C'est pourquoi l'Évangéliste dit
IL DIT, c'est-ŕ-dire pour instruire en priant ceux qu'il avait instruits en les
enseignant. Car ce sont non seulement les paroles du Christ mais aussi ses
actes qui nous instruisent7.
2180. Les paroles de sa pričre sont efficaces, et cette efficacité est causée
par trois choses. D'abord par l'amour de celui qui prie ; c'est en effet
le Fils qui prie le Pčre, lui ŕ qui il appartient, en raison de son amour, de
chercher le Pčre et de le supplier. C'est pourquoi il dit PČRE, pour nous faire
comprendre que nous devons prier Dieu avec un amour filial - Tu m'appelleras Pčre et sans cesse tu
marcheras ŕ ma suite1.
7. Saint
Thomas, véritable Ť apôtre de la vérité ť (Paul vi, Lettre apostolique Lumen Ecclesiae, 20
novembre 1974, n° 10), sait, en enseignant cette vérité, le prix du témoignage
humain et chrétien qui accompagne la prédication. Aussi souligne-t-il ici
l'exemple du Christ qui instruit ses disciples par sa pričre. C'est en le
voyant prier qu'ils vont apprendre ŕ prier et ŕ entrer dans une véritable
adoration glorifiant le Pčre. Voir aussi Concile
Vatican II, Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei
Verbum, n° 2, Centurion, Paris 1977.
Deuxičmement, par la nécessité de
prier, et c'est pourquoi il dit : ELLE EST VENUE L'HEURE de ma Passion, dont il
est dit auparavant : Mon heure n'est pas encore venue2. L'HEURE, dis-je, et non pas le moment, non
pas le jour, parce qu'il allait ętre arręté aussitôt3. Non pas l'heure selon une nécessité
fatale, mais l'heure4 selon Tordre de sa sagesse et de son
bon plaisir. Et, comme il allait supplier, il convenait qu'il mît en avant ses
tribulations, parce que c'est surtout dans les tribulations que Dieu exauce5 - Dans les tourments j'ai crié vers le Seigneur et il m'a exaucé6. - Puisque nous ignorons ce que nous devons
faire, nous n'avons plus qu'ŕ diriger nos yeux vers toi1.
Troisičmement, par le contenu de sa
demande, et c'est pourquoi il dit : GLORIFIE TON FILS.
2181. Mais puisque le Fils de Dieu est la Sagesse męme8 et puisque cette sagesse a la plus grande gloire - C'est une
sagesse glorieuse
qui jamais ne se ternit9 -, comment peut-on dire que la gloire 10 est glorifiée, d'autant plus qu'il est lui-męme splendeur du Pčre11 ?
1. Jr 3,
19.
2. Jn 2,
4.
3. Cf. saint Hilaire, La Trinité, III,
10, 1-5, SC 443, p. 351.
4. Sur
l'heure, voir ci-dessus, n° 2078, note 1.
5. Sur la
pričre du Christ ŕ l'heure de sa Passion, voir Somme théol., III, q. 21,
a. 4, ad 1, ou saint Thomas reprend ce que les Pčres ont dit sur la demande du
Christ que la coupe passe loin de lui.
6. Ps
119, 1.
7. 2 Ch
20, 12.
8. Cf. 1
Co 1, 24. Saint Thomas commente ainsi le verset Pour ceux qui
sont appelés, et Juifs et Grecs, c'est un Christ, puissance de Dieu et sagesse
de Dieu : Ť II dit puissance et sagesse de Dieu par une
certaine appropriation. Puissance, certes, en tant que par lui le Pčre fait
tout - Par lui tout a été fait (Jn 1, 3). Et sagesse en tant que le
Verbe qui est le Fils n'est rien d'autre que la Sagesse engendrée ou conçue ~ Moi
je suis sortie de la bouche du Trčs-Haut, premičre née avant toute créature (Si 24, 5
[propre ŕ la Vulgate]) ť {Ad 1 Cor. lect., 1, n° 61). Sur
l'appropriation, voir Somme théol., I, q. 39, a. 7, c. : Ť La
manifestation des personnes par leurs attributs essentiels est appelée
"appropriation". ť
Il faut dire que le Christ demandait
ŕ ętre glorifié par le Pčre de trois maničres. A savoir dans sa Passion, et
cela par les nombreux miracles qui alors furent manifestés lorsque le soleil
s'obscurcit, que le rideau du Temple se déchira et que les tombeaux
s'ouvrirent. Et ŕ ce sujet il est dit plus haut : Et je l'ai glorifié,
c'est-ŕ-dire par les miracles, avant la Passion, et de nouveau je le
glorifierai12 - dans la Passion. C'est pourquoi il
dit en ce sens : Glorifie-moi, dans ma Passion, en montrant que je suis ton
Fils : GLORIFIE TON FILS. Aussi le centurion, ŕ la vue de ces miracles, a-t-il dit : Celui-ci était vraiment le
Fils de Dieu13.
Le Christ demandait ŕ ętre glorifié
par le Pčre aussi dans sa Résurrection. En effet, cette âme sainte fut toujours
conjointe ŕ Dieu 14, ayant la gloire qui vient de la
vision de Dieu - Nous
avons vu sa gloire, gloire qu'il tient de son Pčre comme Fils unique plein de grâce et de vérité15. Car dčs le début de sa conception il eut, quant ŕ son âme, la gloire 16, mais dans la Résurrection, il eut la splendeur de la gloire (gloriae
claritatem) du corps, dont il est dit : Il
transfigurera notre corps de misčre pour le configurer ŕ
son corps de gloire 17.
Enfin, dans la connaissance
qu'auraient de lui tous les peuples - Grâce ŕ elle [la sagesse], j'aurai la gloire parmi les
foules18.
Et ainsi il dit : GLORIFIE TON FILS,
c'est-ŕ-dire : manifeste
au monde entier que je suis ton Fils1,c'est-ŕ-dire ton propre Fils. Et cela de
naissance, non pas par création, contre Arius qui dit que le Fils de Dieu est
une créature ; en vérité et non pas par dénomination, contre Sabellius qui
dit que c'est le męme qui est nommé Pčre et qui est nommé Fils ;
enfin par l'origine et non par adoption, contre Nestorius qui dit que le Christ
est Fils adoptif2.
9. Sg 6,
13 ; voir aussi 7, 25.
10. Ť Gloire ť
traduit ici claritas. Voir vol. I, n° 1278, notes 3 et 4.
11. Cf. He
1, 3. Cf. ci-dessus, n° 1662, note 2.
12. Jn
12, 28.
13. Mt
27, 54.
14. Męme
la mort du Christ n'a pas séparé l'âme du Verbe ; on dit d'une part qu'il
a été enseveli quant au corps, et d'autre part qu'il est descendu aux enfers
quant ŕ l'âme, mais le Verbe est demeuré lié ŕ l'un et ŕ l'autre. Voir Somme
théol., III, q. 50, a. 3.
15. Jn 1,
14.
16. Cf. Somme
théol., III, q. 10, a. 4.
17. Ph 3,
21.
18. Sg 8, 10.
2182. Ici est montré le fruit de la glorification. D'abord il présente le fruit, ensuite il l'explicite [n° 2184].
AFIN QUE
TON FILS TE GLORIFIE. (17, 1)
2183. Il faut savoir qu'Arius, entendant le Seigneur dire GLORIFIE TON FILS, a conjecturé que le Pčre est plus grand que le Fils, ce qui est vrai certes selon l'humanité - Le Pčre est plus grand que moi3. Et c'est pourquoi, pour montrer son égalité avec le Pčre selon la divinité, le Christ ajoute : AFIN QUE TON FILS TE GLORIFIE, ŕ savoir dans la connaissance des hommes. La gloire en effet est une connaissance lumineuse accompagnée de louange4. Autrefois, en effet, Dieu était manifeste chez les Juifs, parce qu'en Juda Dieu est connu5. Mais aprčs cela, c'est par le Fils qu'il fut connu par le monde entier. Mais les hommes saints eux aussi, par leurs bonnes uvres, permettent une connaissance de Dieu plus lumineuse - Qu'ils voient vos bonnes uvres et glorifient votre Pčre qui est dans les deux6. - Moi, je ne cherche pas ma gloire : II en est un qui la cherche, et qui juge7.
2184. Maintenant le Christ explicite pour nous le fruit de sa demande et
d'abord il expose le bienfait conféré par lui aux hommes ; deuxičmement,
il montre que ce bienfait appartient ŕ la gloire du Pčre [n° 2186].
1. Dans
la Somme théologique, I, q. 33, q. 34 et q. 35, saint Thomas met en
lumičre le mystčre du Fils par ses trois noms : Fils, Verbe et Image. Il expose
comment le Fils se distingue du Pčre par la relation de génération. Il est
l'engendré du Pčre inengendré. Il s'agit donc bien d'une génération et non
d'une création. Voir aussi I, q. 27, a. 3 et q. 28. Dans le Contra Gentiles,
saint Thomas, face aux hérésies d'Arius, de Sabellius, de Nestorius et
d'autres, affirme que le Fils de Dieu est Dieu : Ť L'Écriture nous
enseigne donc ainsi que le Fils de Dieu, engendré par Dieu, est bien Dieu. Et
que Jésus Christ soit le Fils de Dieu, Pierre l'a proclamé quand il a dit : Tu
es le Christ, le Fils du Dieu vivant (Mt 16, 16). Il est tout ensemble
Unique engendré et Dieu ť (IV, 3), puis il montre Ť comment il faut
entendre la génération en Dieu ť (IV, 11), et Ť comment le Fils est
appelé Sagesse de Dieu ť (IV, 12).
2. Voir saint Hilaire, La Trinité, III,
11, SC 443, p. 355.
3. Jn 14,
28.
4. Saint
Thomas se réfčre de nouveau ŕ la définition de Cicéron : Ť Gloria
est frequens de aliquo fama cum laude ť (Ť La gloire est une réputation
élogieuse largement répandue ť, De inventione, II, 55, 166, trad. G.
Achard, p. 228). Voir ci-dessus, n° 1826 et note 1.
5. Ps 75,
2.
6. Mt 5,
16. Voir vol. I, nos 116, 496
et 812.
7. Jn 8,
50.
Ι
AFIN
QUE, COMME TU LUI AS DONNÉ PUISSANCE SUR TOUTE CHAIR, Ŕ TOUS CEUX QUE TU LUI AS
DONNÉS, IL DONNE LA VIE ÉTERNELLE. (17, 2)
2185. Il faut savoir en effet que l'intention de tout agent qui agit par un
autre est d'amener son effet ŕ manifester sa cause : car par l'action d'un
principe qui provient d'un principe, est manifesté le principe lui-męme. Or
tout ce qu'a le Fils, il le tient du Pčre1, aussi faut-il que par tout ce qu'il fait, il manifeste le Pčre, et
c'est pourquoi il dit : TU LUI AS DONNÉ PUISSANCE sur tous les hommes. Mais le
Fils lui aussi, par cette puissance2, doit les conduire ŕ la connaissance
de toi, connaissance qui est la vie éternelle.
Et c'est le sens de : COMME TU LUI AS
DONNÉ PUISSANCE SUR TOUTE CHAIR, c'est-ŕ-dire sur tout homme - Et toute
chair verra le salut de Dieu3. TU [LA] LUI AS DONNÉE, dis-je, selon
Hilaire4, en lui donnant la nature divine par
la génération éternelle qui lui donne le pouvoir de contenir toutes choses - Tout
m'a été remis par mon Pčre5, et plus haut : Le Pčre aime le
Fils et lui montre tout ce qu'il fait6. Ou bien, TU [LA] LUI AS DONNÉE, au Christ dans son humanité, en tant
qu'elle participe ŕ la personne de ton Fils, afin qu'ainsi la chair ait pouvoir
sur la chair - Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre7. - II lui a donné, au Fils de l'homme, la
puissance et l'honneur et le rčgne8.
1. Voir
ci-dessous, n° 1971, note 9.
2. Sur la
puissance du Christ, voir Somme théol., III, q. 13, a. 1 et a. 2.
3. Le 3,
6. Saint Luc cite Is 40, 5 en l'adaptant.
4. La
Trinité, IX, 31, 24-29, SC 462, p. 79.
5. Mt 11,
27. Saint Thomas cite souvent ce verset. Voir surtout vol. I, nos 545 et 1414. Et
il le commente ainsi : Ť En effet la manifestation se fait par le Verbe - Pčre,
j'ai manifesté ton nom aux hommes (Jn 17, 6). Dieu, personne ne l'a
jamais vu (Jn 1, 18), mais lui le connaît. Il a donc pu le manifester. Donc
ce qu'il avait dit du Pčre, 1 ť se l'attribue. En effet, il avait dit : Tu
as caché cela aux sages et tu l'as révélé aux petits (Mt 11, 25). De męme
aussi le Fils le peut, du fait qu'il a le męme pouvoir ť (Sup. Matth. lect.,
XI, n° 966).
6. Jn 5,
20.
7. Mt 28,
18. Saint Thomas commente : Ť Le pouvoir signifie un certain honneur
de présidence (...)ˇ Or il est manifeste que le Christ, qui possédait de toute
éternité la royauté du monde comme Fils de Dieu, en reçut ŕ partir de sa
Résurrection l'exécution, comme s'il disait : "Désormais je suis en
possession" - Puis le tribunal siégera, et on lui retirera
sa domination pour qu'elle soit détruite et anéantie jusqu'au bout. Et le royaume,
la domination et la grandeur des royaumes seront donnés au peuple des saints du
Trčs-Haut. Son royaume est un royaume éternel, et tous les rois le serviront et
lui obéiront (Dn 7, 26-27). Cela s'entend donc d'une présidence
actuelle, comme si le Fils était élevé ŕ l'exercice d'un pouvoir qu'il avait
naturellement - Il est digne, l'Agneau
qui a été immolé, de recevoir la puissance et la divinité (Ap 5,
12) ť> (Sup. Matth. lect., XXVIII, n° 2461). Voir aussi vol. I,
nos 760,
762, note 4 et 789, note 4.
Pour cette raison il dit : TU LUI AS
DONNÉ, afin que, de męme que tu as un pouvoir tel que tu ne reçois rien de
l'homme, mais que c'est toi qui te donnes ŕ lui, de męme tu te donnes au Christ
homme, AFIN QUE (...) Ŕ TOUS CEUX QUE TU LUI AS DONNÉS par la prédestination
éternelle, IL DONNE, ŕ ceux qui lui ont été ainsi donnés, LA VIE ÉTERNELLE - Mes
brebis écoutent
ma voix, et moi je les connais9.
II
2186. Mais la vie éternelle donnée aux hommes appartient-elle ŕ la gloire du
Pčre ? Oui, parce que LA VIE ÉTERNELLE, C'EST QU'ILS TE CONNAISSENT, TOI,
LE SEUL VRAI DIEU, ET CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST, c'est-ŕ-dire pour
que le Pčre soit glorifié dans la connaissance que les hommes ont de lui.
Mais ici il faut préciser deux
choses. D'abord ce qu'il dit : OR LA VIE ÉTERNELLE, C'EST QU'ILS TE
CONNAISSENT. Ŕ ce propos il faut savoir qu'ŕ proprement parler, sont dites
vivantes les réalités qui se meuvent elles-męmes en vue de leur opération. En
effet, toutes les réalités qui ne sont mues que par d'autres ne sont pas dites
vivantes, mais mortes. C'est pourquoi toutes les opérations vers lesquelles le
sujet se meut lui-męme sont appelées opérations vitales ; ainsi vouloir,
connaître (intelligere), sentir, croître, se mouvoir...
8. Dn 7,
14.
9. Jn 10,
27.
On dit que quelque chose
Ť vit ť de deux maničres : ou bien parce qu'il possčde en puissance
les opérations vitales et ainsi, quand il dort, on dit qu'il vit selon la vie
sensitive parce qu'il a la puissance de se mouvoir, bien qu'il ne se meuve pas
en acte ; ou bien parce que déjŕ il exerce en acte les opérations vitales,
et alors on dit qu'il vit quelque chose de maničre parfaite 1 c'est pourquoi le sommeil est une
demi-vie.
Or, parmi les opérations vitales, la
plus élevée est celle de l'intelligence, qui est l'intellection2, et c'est pourquoi l'opération de l'intelligence est au plus haut
point la vie. Or, de męme que la sensation en acte est semblable au sensible en
acte, ainsi celui qui intellige en acte est la chose intelligée en acte3. Donc, puisque l'intelligence est la vie et qu'intelliger c'est vivre,
il s'ensuit qu'intelliger une réalité éternelle est la vie éternelle. Or Dieu
est éternel, donc intelliger Dieu et le voir est une vie éternelle.
Et c'est pourquoi le Seigneur dit que
la vie éternelle consiste principalement, selon toute sa substance4, en une vision. Certes l'amour nous meut vers elle et en est un
certain achčvement : car de la joie causée par la jouissance divine, que
réalise la charité, naissent l'achčvement et la beauté de la béatitude, mais sa
substance consiste en
une vision5 - Nous le verrons comme il est6.
1. Saint
Thomas, ŕ la suite d'Aristote, distingue les capacités vitales et l'exercice de
ces capacités, qui représente la perfection, l'acte du vivant. Cette
distinction permet ŕ Aristote d'ordonner trois aspects : le sujet matériel,
capable, par exemple, de science, de santé ; la science, la santé qui sont
les qualités acquises par le sujet vivant ; et Y exercice de
la science, de la santé, qui manifeste le vivant parfait. Voir surtout De
Anima, II, 1, 412 a 9-11 ; 2, 414 a 4-14 et 5, 417 a 9-20.
2. Cf. Somme théol., I, q. 18, a. 3.
3. Lŕ
aussi saint Thomas reprend la pensée d'Aristote. Voir De Anima, III, 4,
429 a 10-429 b 10, oů Aristote précise : Ť Si donc le fait de penser est
comme le fait de sentir, il est un certain pâtir par l'intelligible ou quelque
autre semblable ť. Et il affirme ŕ plusieurs reprises : Ť C'est une
męme chose que la science en acte et son objet ť (op. cit., III, 5,
430 a 20-25 et 7, 431 a 1-2). Il l'avait déjŕ affirmé de la sensation et du
sensible : Ť La puissance sensible pâtit en tant qu'elle n'est pas
semblable ŕ son objet ; quand elle a pâti elle est devenue semblable et
telle que son objet ť (op. cit., II, 5, 418 a 5)ˇ
4. Saint
Thomas veut dire ici : la vie éternelle dans ce qu'elle est essentiellement.
TOI, LE
SEUL VRAI DIEU, ET CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST. (17, 3)
2187. Il est manifeste en effet que le Christ s'adressait ŕ son Pčre. Et
puisqu'il dit : TOI, LE SEUL VRAI DIEU, il semblerait que seul Dieu le Pčre
soit vrai Dieu. Ce que les ariens acceptent, eux qui disent que le Fils diffčre
du Pčre par l'essence, puisqu'il est une substance créée, mais que cependant
parmi toutes les créatures il participe davantage et plus parfaitement ŕ la
divinité du Pčre en tant qu'il est appelé Dieu, mais non pas vrai Dieu, parce
qu'il n'est pas Dieu par nature, ce que seul le Pčre est.
Cependant Hilaire7 réfute cela. Il s'avčre en effet que lorsque nous voulons savoir d'une
réalité si elle est vraie, nous pouvons le savoir en fonction de deux choses :
d'aprčs sa nature et d'aprčs sa puissance. En effet, est vrai l'or qui a la
vraie espčce de l'or, ce que nous constatons s'il fait l'uvre de l'or vrai. Si
donc nous considérons, ŕ propos du Fils, qu'il a la vraie nature de Dieu, et
cela parce qu'il réalise l'uvre vraie de la divinité, il est manifeste qu'il
est vrai Dieu. Quant au fait que le Fils réalise les uvres vraies de la
divinité, cela apparaît
plus haut : Tout ce que fait le Pčre, le Fils aussi le fait pareillement8. Et il dit de nouveau : De męme que le Pčre
a la vie en lui-męme, certes non pas participée, de męme il a aussi
donné au Fils d'avoir la vie en lui-męme9. - Pour que nous soyons en son vrai Fils Jésus Christ. Celui-ci est le vrai Dieu
et la vie éternelle 1.
5. Sur la
vision béatifique, voir ci-dessus nos 1854 et
2139, et ci-dessous n° 2203.
6. 1 Jn
3, 2.
7. La
Trinité, III, 14, 7-16, SC 443, p. 361 ; et V, 3, 15-19, SC 448, p. 153.
8. Jn 5,
19.
9. Jn 5,
26.
Or il dit TOI, LE SEUL VRAI DIEU,
selon Hilaire2, sans exclure quelque chose. C'est
pourquoi il ne dit pas de maničre absolue TOI, LE SEUL, mais il ajoute : ET
CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST, comme s'il disait : pour qu'ils
connaissent que toi, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ, ętes un seul et
vrai Dieu, selon cette expression : Ť Toi seul est le Trčs-Haut, Jésus
Christ, avec le Saint-Esprit3. ť Dans sa pričre le Christ ne
parle pas de l'Esprit Saint, parce que chaque fois que sont mentionnés le Pčre
et le Fils, et principalement en ce qui appartient ŕ la majesté de la divinité,
l'Esprit Saint est inclus (cointelligitur), lui qui est le nud des deux4.
2188. Ou bien, selon Augustin5, il dit cela pour exclure l'erreur
de ceux qui affirment qu'il est faux de dire : Le Pčre est Dieu, le Fils est
Dieu, l'Esprit Saint est Dieu ; mais cela est vrai : Le Pčre, le Fils et
l'Esprit Saint sont un seul Dieu.
Et le raisonnement de ceux-lŕ était que, selon ce que dit l'Apôtre, le Christ est puissance de Dieu et sagesse de Dieu6. Or il est manifeste que nul ne peut dire que quelqu'un est Dieu s'il n'a pas la puissance et la sagesse divines. Et donc, puisque ceux-lŕ voulaient que le Pčre fűt la Sagesse, qui est le Fils, ils disaient en outre que le Pčre sans le Fils ne serait pas considéré comme Dieu ; donc, pour exclure cela il dit : C'EST QU'ILS TE CONNAISSENT, TOI, LE SEUL VRAI DIEU, comme si le Pčre sans le Fils pouvait ętre considéré comme Dieu, et de męme le Fils et l'Esprit Saint. Et parce que dans sa mission est signifiée l'Incarnation du Fils de Dieu, par le fait męme qu'il dit : ET CELUI QUE TU AS ENVOYÉ, JÉSUS CHRIST, il nous est donné ŕ entendre que, dans la vie éternelle, nous nous réjouirons aussi de l'humanité du Christ - Ils verront le roi, le Christ, dans sa beauté7, et plus haut : Il entrera et trouvera des pâturages8.
MOI, JE
T'AI GLORIFIÉ SUR LA TERRE ; J'AI ACHEVÉ L'UVRE QUE TU M'AS DONNÉ Ŕ
FAIRE. ET MAINTENANT TOI, PČRE, GLORIFIE-MOI AUPRČS DE TOI DE LA GLOIRE QUE J'AVAIS
AUPRČS DE TOI AVANT QUE LE MONDE FŰT. (17, 4-5)
1. 1 Jn
5, 20.
2. Op.
cit., IX, 34,1-7, SC 462, p. 83.
3. Saint
Thomas fait ici allusion ŕ la fin du Gloria de la célébration
eucharistique : Ť Toi seul es le Trčs-Haut, Jésus Christ, avec le Saint-Esprit,
dans la gloire de Dieu le Pčre. ť
4. Ť C'est
le męme Esprit qui est Esprit du Pčre et du Fils. Dčs lors, en nommant le Pčre et le Fils, on comprend aussi le Saint-Esprit, puisqu'il est l'Esprit du Pčre
et du Fils ť (saint Augustin, Tract,
in Io., IX, 7, ΒΑ 71, p. 521). Ť Car il est l'Esprit du Pčre
et du Fils, étant la charité substantielle et consubstantielle de l'un et de l'autre (amborum)* {op. cit., CV,
3, BA 75, p. 61). Voir vol. I, n° 357, n° 1004 et note 10, et n° 1156.
5. La
Trinité, VI, IX, 10, BA 15, p. 493.
2189. Ici est exposé le mérite grâce auquel sa demande sera exaucée. D'abord
il rappelle ce mérite, ensuite il demande la récompense [n° 2191].
MOI, JE
T'AI GLORIFIÉ SUR LA TERRE ; J'AI ACHEVÉ L'UVRE QUE TU M'AS DONNÉ Ŕ
FAIRE.
2190. Il rappelle ce double mérite. D'abord celui de l'enseignement, en
disant : MOI, JE T'AI GLORIFIÉ en te faisant connaître aux hommes, en te
manifestant par l'enseignement - Par vos enseignements, glorifiez Dieu 1. Puis celui de l'obéissance, et lŕ il dit : J'AI ACHEVÉ L'UVRE.
6. 1 Co
1, 24. Voir ci-dessus n° 2181, note 8.
7. Is 33,
17.
8. Jn 10,
9.
Il utilise le passé pour le futur. JE
T'AI GLORIFIÉ, c'est-ŕ-dire je te glorifierai, et J'AI ACHEVÉ, c'est-ŕ-dire je
mčnerai ŕ son achčvement ; et cela parce que déjŕ l'uvre avait été
commencée, et encore parce qu'était imminente l'heure de sa Passion oů cette
uvre fut achevée. L'UVRE QUE TU M'AS DONNÉE, et non pas ce que tu m'as
Ť ordonné ť : en effet il ne suffit pas pour le Christ et pour nous
d'ętre commandés divinement, parce que tout ce que le Christ a fait en tant
qu'homme, et ce que nous aussi pouvons faire, cela provient d'un don de Dieu2 - J'ai compris que je ne peux
rien garder, si Dieu ne me le donne3. Il dit donc : L'UVRE QUE TU M'AS DONNÉE, ŕ moi, par le don de la grâce4, pour que je la fasse, ŕ savoir que je la mčne ŕ son achčvement Il mettra tout son cur ŕ
achever son uvre5.
ET
MAINTENANT TOI, PČRE, GLORIFIE-MOI AUPRČS DE TOI DE LA GLOIRE QUE J'AVAIS
AUPRČS DE TOI AVANT QUE LE MONDE FŰT.
2191. Mais, parce que la récompense de l'obéissance et de l'enseignement du
Christ est la gloire - Il s'est
fait obéissant jusqu'ŕ la mort, et la mort de la croix ; c'est pourquoi
Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom6 -, il demande cette récompense en disant : ET
MAINTENANT TOI, PČRE, GLORIFIE-MOI Il ne faut pas comprendre, dit Augustin7, comme certains l'ont pensé, que dans le Christ la nature humaine, une
fois reçue par le Verbe, est changée en le Verbe, et que l'homme est changé en
Dieu8. Parce que ceci ne serait rien
d'autre que de réduire ŕ rien la nature elle-męme. En effet, tout ce qui est
ainsi changé en un autre, sans que ce en quoi il est changé soit augmenté,
semble ętre réduit ŕ rien. Or, en ce qui concerne le Verbe divin, rien ne peut
ętre augmenté.
1. Is 24,
15 (propre ŕ la Vulgate).
2. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CV, 4, BA 75, p. 65.
3. Sg 8,
21 (propre ŕ la Vulgate).
4. Saint
Thomas met en lumičre ce mystčre de la grâce du Christ trčs précisément dans la
Somme théologique, III, q. 7 et q. 8. Une des raisons de la plénitude de
la grâce du Christ tient ŕ l'uvre qu'il devait accomplir : Ť En effet,
l'âme du Christ devait recevoir la grâce de maničre ŕ pouvoir en quelque sorte
la diffuser sur les autres. Et c'est pourquoi il fallait qu'elle ait la grâce
la plus grande ť (III, q. 7, a. 9, c). C'est ce qu'il a repris plus haut,
vol. I, n" 544, note 3, p. 252, et notes 1 et 2, p. 253.
5. Si 38,
31.
6. Ph 2,
8-9. Voir vol. I, n° 477 et n° 478, note 10.
Et c'est pourquoi, selon Augustin9, il faut comprendre ET MAINTENANT TOI, PČRE, GLORIFIE-MOI de la
prédestination du Christ homme 10. Car nous avons part11 ŕ la prédestination divine, et aussi
ŕ sa réalisation. Or le Christ Jésus comme homme, comme aussi les autres
hommes, fut prédestiné par Dieu le Pčre - II a été prédestiné ŕ ętre Fils de Dieu 12.
Et pour cette raison il dit : ET
MAINTENANT, c'est-ŕ-dire maintenant que JE T'AI GLORIFIÉ et que J'AI ACHEVÉ L'UVRE QUE TU M'AS DONNÉ Ŕ FAIRE,
TOI, PČRE, GLORIFIE-MOI AUPRČS DE TOI, c'est-ŕ-dire fais que je sičge ŕ ta
droite 13, et cela DE LA GLOIRE QUE J'AVAIS
AUPRČS DE
7. Tract, in Io., CV, 6, BA 75, p. 71.
8. Saint
Thomas, dans son traité de l'Incarnation, montre que le Verbe de Dieu n'est pas
changé par le mystčre de l'Incarnation. Ce serait impossible, Dieu ne change
pas. Et de męme, la nature humaine n'est pas transformée, elle est assumée par
le mystčre de la divinité. Aprčs avoir montré les convenances de l'Incarnation {Somme
théol, III, q. 1) et aprčs avoir souligné que Ť Dieu en assumant la
chair ne diminue pas sa majesté ť (III, q. 1, a. 2, ad 3), saint Thomas
développe ensuite longuement ce mystčre du Verbe incarné oů l'union entre le
divin et l'humain dans le Christ se fait dans la personne et non dans la nature
(III, q. 2 ŕ q. 6). Voir entre autres q. 2, a. 1, ad 3 Ť On dit que la
nature divine s'incarne, parce qu'elle est unie ŕ la chair dans la personne (personaliter) ;
elle n'est pas changée en une nature de chair. De męme on dit que la chair est
déifiée non par conversion mais par union au Verbe, restant sauves ses
propriétés. On comprend que la chair a été déifiée parce qu'elle est devenue la
chair du Verbe de Dieu, non parce qu'elle est devenue Dieu ť.
9. Tract, in Io., CV, 8, BA 75, p. 75-77.
10. Sur
la prédestination qui regarde la personne et non la nature, voir Somme théol.,
III, q. 24, a. 1, ad 2.
11. Par
la grâce, nous devenons fils adoptifs dans le Christ. Cf. Rm 8, 29-30 ; Ep
1, 3-6.
12. Rm 1,
4. Pour le commentaire que saint Thomas fait de ce verset, voir vol. I, n"
1461, note 7.
13. Cf. Ps
109, 1 Le Seigneur a dit ŕ mon Seigneur : Sičge ŕ ma droite. Cf. aussi
Rm 8, 34 ; He 10, 12 ; 1 Ρ 3, 22.
TOI AVANT QUE LE MONDE FŰT,
c'est-ŕ-dire dans ta prédestination1 - Le Seigneur Jésus est monté
dans le ciel et sičge ŕ la droite de Dieu2.
1. Sur la
prédestination du Christ, voir Somme théologique, III, q. 24, a. 1, c. :
Ť La prédestination est au sens propre une préordination divine éternelle
touchant les réalités produites dans le temps par la grâce de Dieu. Par la
grâce d'union, Dieu a réalisé ceci dans le temps que l'homme fűt Dieu et que
Dieu fűt homme. On ne peut pas dire que Dieu n'a pas ordonné de toute éternité
cette réalisation dans le temps. Il s'ensuivrait que, pour l'intelligence
divine, quelque chose de nouveau pourrait arriver. C'est pourquoi il faut dire
que l'union des natures dans la personne du Christ relčve nécessairement de la
prédestination éternelle de Dieu. Et c'est pour cette raison qu'on dit que le
Christ a été prédestiné ť. Et, dans l'article 2, saint Thomas précise :
Ť La prédestination est attribuée au Christ uniquement en raison de sa
nature humaine. D'une part celle-ci n'a pas toujours été unie au Verbe, et
d'autre part c'est par la grâce qu'elle a été unie personnellement au Fils de
Dieu. (...) D'oů cette parole de saint Augustin : "La nature humaine a été
prédestinée ŕ cette sublime et souveraine assomption de telle maničre qu'il ne
puisse y en avoir pour elle de plus haute". Par ailleurs ce qui convient ŕ
quelqu'un en raison de sa nature humaine lui est attribué en tant qu'il est
homme. Par conséquent on doit dire que le Christ, en tant qu'homme, a été
prédestiné ŕ ętre Fils de Dieu ť.
2. Mc 16,
19.
2192. On peut le comprendre autrement, selon Hilaire3, car la gloire des hommes est une certaine conformité ŕ la gloire de
Dieu, bien qu'inégale. Or le Christ en tant que Dieu eut de toute éternité la
gloire auprčs du Pčre, c'est-ŕ-dire la gloire divine, et égale ŕ celle du Pčre.
Il demande donc ici d'ętre glorifié dans son humanité, pour que ce qui dans le
temps était chair, et transformé en corruption, reçoive la gloire qui n'est pas
dans le temps, la splendeur de la gloire4. Cependant non pas une gloire
Ť égale ť mais semblable, afin que, de męme que de toute éternité il
fut immortel auprčs du Pčre et siégeant avec lui ŕ sa droite, de męme, selon
qu'il a été fait homme mortel, il soit aussi exalté ŕ la droite de Dieu.
3. La
Trinité, III, 16, 25-31, SC 443, p. 364.
4. Voir
ci-dessus n° 2181.
2193. Auparavant, le Seigneur a prié pour lui ; ici il prie pour le groupe des Apôtres, et d'abord il indique les raisons de sa pričre, puis il donne le contenu de cette pričre [n° 2212].
Ŕ propos du premier point, il fait deux choses. D'abord il mentionne les raisons quant ŕ ses disciples, puis quant ŕ lui [n° 2205].
J'AI
MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE ; ILS
ÉTAIENT Ŕ TOI, ET TU ME LES AS DONNÉS, ET ILS ONT GARDÉ TA PAROLE. (17, 6)
En ce qui concerne les disciples, il
donne trois raisons de prier pour eux : la premičre est qu'ils ont été
instruits par lui ; la deuxičme, qu'ils lui ont été donnés [n°
2196] ; et la troisičme, qu'ils lui sont liés par l'obéissance et
une soumission aimante [n° 2197].
I
J'AI
MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE.
2194. Il donne la premičre raison en disant J'AI MANIFESTÉ, comme s'il
disait, selon Augustin 1 afin que ton Fils te glorifie2. Et certes,
cette glorification a déjŕ été accomplie en partie parce que J'AI MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE.
Ou bien, selon Chrysostome3 Je dis que j'ai achevé l'uvre que tu m'as donné ŕ faire. Quelle
uvre ? Il l'ajoute : J'AI MANIFESTÉ TON NOM AUX HOMMES, ce qui est
l'uvre propre du Fils de Dieu, qui est le Verbe, dont le propre est de
manifester par sa parole - Nul ne connaît le Pčre si ce
n'est le Fils et celui ŕ qui le Fils veut bien le révéler4. - Personne n'a
jamais vu Dieu ; le Fils unique qui est dans le sein du Pčre, lui, l'a
fait connaître5.
2195. Mais ici, il y a un doute. Puisque Dieu le Pčre fut connu des hommes
avant la venue du Christ, selon le psaume - En Juda, Dieu est connu6 -, pourquoi dit-il : J'AI MANIFESTÉ TON NOM ?
Je réponds : il faut dire que le nom
de Dieu Pčre pouvait ętre connu de trois maničres. La premičre, en tant qu'il
est Créateur de tout. Et c'est de cette maničre qu'il était connu des Gentils -
Les choses invisibles de Dieu sont perçues par
l'intelligence ŕ
travers les uvres qu'il a faites1 - Dieu le leur a révélé2.
1. Tract, in Io., CVI, 1, BA 75, p. 79.
2. Jn 17, 1.
3. In Ioannem hom., LXXXI, 1, PG 59, col. 438.
4. Mt 11,
27.
5. Jn 1,
18.
6. Ps 75,
2.
D'une autre maničre, en tant qu'il
était le seul ŕ qui devait ętre rendu le culte de latrie3 de cette maničre il n'était pas connu des Gentils qui rendaient aussi
aux autres dieux un culte de latrie, mais seulement des Juifs qui seuls avaient
comme précepte dans leur Loi de n'immoler [des victimes] qu'ŕ Dieu - Qui immole ŕ d'autres dieux
sera tué, sauf au Seigneur seul4.
D'une troisičme maničre, en tant que
Pčre de son Fils unique Jésus Christ, et de cette maničre il n'était connu de
personne ; mais il se fit connaître par son Fils quand les Apôtres crurent
qu'il était le Fils de Dieu5.
II
AUX
HOMMES QUE TU M'AS DONNES DU MILIEU DU MONDE
2196. En disant cela il donne la deuxičme raison. Et d'abord il traite du don,
puis il en donne la raison ou le mode6. Il dit donc : AUX HOMMES QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU
MONDE, ŕ savoir ces hommes auxquels J'AI MANIFESTÉ TON NOM.
1. Rm 1,
20. Saint Thomas commente : Ť II montre de quelle maničre ils reçurent
cette connaissance. Il faut d'abord considérer quelles sont ces choses qu'ils connurent de Dieu. D'abord les
choses invisibles (invisibilia),
par oů l'on entend l'essence de Dieu, qui ne peut ętre vue par nous, comme on l'a dit - Dieu, personne ne
l'a jamais vu (Jn 1, 18) par essence, en vivant une vie mortelle. - Au
roi des sičcles, immortel, invisible (1 Tm 1, 17). Il dit au pluriel invisibles
parce que l'essence de Dieu
n'est pas connue de nous selon ce qu'elle
est, c'est-ŕ-dire selon qu'en elle-męme elle est une. Elle sera ainsi connue par nous dans la Patrie
et alors le Seigneur sera un et son nom sera un (Za 14, 9). Mais elle
est manifestée par des similitudes que nous
trouvons dans les créatures (...). Ensuite sa puissance, selon laquelle les
réalités procčdent de lui comme d'un principe - Grand est le Seigneur et
grande sa puissance (Ps 146, 5). (...) Enfin sa divinité, et sous cet
aspect ils connurent Dieu comme la fin ultime vers laquelle tendent toutes choses. (...) Les trois choses se rapportent aux trois modes de
connaissance dont nous avons parlé. Car
les choses invisibles de Dieu sont connues par voie de négation, sa
puissance éternelle par voie de causalité, sa divinité par voie
d'excellence ť (Ad Rom. lect., I, n° 117). Voir aussi vol. I, nos 116, 211 et 1548, note 4.
2. Rm 1,
19.
3. Le
culte de latrie est le culte de la vertu de religion dont l'acte principal est l'acte d'adoration. Le
mot est d'origine grecque et il sert ŕ
désigner la révérence du serviteur ŕ l'égard du Seigneur (cf. Somme théol, II-II, q. 81, a. 1, ad 3). Ť Mais
autre est la vénération que nous
portons ŕ Dieu, qui appartient au culte de latrie, et autre la vénération due
aux créatures excellentes, qui appartient au culte de dulie ť (loc. cit., q. 84, a. 1, ad 1). Au Christ cependant est dű le culte de latrie en tant que Verbe de
Dieu, et un culte de dulie ŕ légard de
son humanité sainte (cf. op. cit., III, q. 25, a. 2, c).
4. Ex 22,
20 (propre ŕ la Vulgate).
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CVI, 4, BA 75, p. 87.
Mais le Fils ne les a-t-il pas eus
comme le Pčre aussi les a eus ? Oui, certes, en tant que Dieu. Mais il dit
: QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU MONDE, ŕ savoir ŕ moi en tant qu'homme, pour
qu'ils m'écoutent et m'obéissent - Personne ne peut venir ŕ moi, si le Pčre
qui m'a envoyé ne l'attire7. Or le fait que quelques-uns viennent
au Christ provient d'un don et de la grâce de Dieu - C'est par grâce que
vous ętes sauvés, c'est un don de Dieu 8.
QUE TU M'AS DONNÉS DU MILIEU DU
MONDE, dis-je, c'est-ŕ-dire choisis dans le monde ; plus haut : Parce
que je vous ai choisis du milieu du monde9. Car męme si tout le monde était donné au Fils comme sa propriété, cependant les Apôtres,
eux, ont été donnés au Fils pour lui obéir.
ILS
ÉTAIENT Ŕ TOI, ET TU ME LES AS DONNÉS.
Il donne la raison de ce don. Ils
sont donnés parce qu'ILS ÉTAIENT Ŕ TOI, et aussi ŕ moi, et prédestinés selon la
divinité de toute éternité, pour parvenir par la grâce ŕ la gloire future - Il nous a choisis dans le
Christ avant la fondation du monde10. ET TU ME LES AS DONNÉS,
c'est-ŕ-dire ce ŕ quoi dčs l'origine tu les as prédestinés avec moi et en moi1, tu l'as accompli par une uvre, en faisant qu'ils adhčrent ŕ moi.
6. Saint
Thomas va donner plus loin la raison (ratio) de ce don en précisant son
mode (modus), qui correspond au passage de la prédestination éternelle ŕ
sa réalisation dans le temps.
7. Jn 6, 44.
8. Ep 2, 8. Voir vol. I, n° 918, note 1.
9. Jn 15, 19.
10. Ep 1,4. Saint Thomas commente : Ť Il nous
a choisis : il touche ici le bienfait de l'élection, et celle-ci est
mise en lumičre parce qu'elle est libre - Il
nous a choisis en lui -, éternelle
- avant la constitution du monde -, parce qu'elle porte du fruit - pour
que nous soyons saints et immaculés dans son regard -, et qu'elle est
gratuite - dans l'amour. Il nous a bénis, non pas ŕ cause de nos mérites
mais par la grâce du Christ - Il nous a choisis ~, et gratuitement
en nous séparant du chaos de la perdition, et il nous a prédestinés en lui,
c'est-ŕ-dire par le Christ - Vous ne m'avez pas choisi, mais c'est moi qui
vous ai choisis (Jn 15, 16). Et il nous a choisis avant la fondation du
monde, c'est-ŕ-dire de toute éternité, avant que nous ayons été faits - Alors
qu'ils n'étaient pas encore nés, qu'ils n'avaient fait ni bien, ni mal (Rm
9, 11). Il nous a choisis, dis-je, non pas que nous étions saints,
parce que nous ne l'étions pas, mais pour que nous soyons saints par les
vertus et immaculés, sans défauts ť (Ad Eph. lect., I, n° 8).
III
ET ILS
ONT GARDÉ TA PAROLE. MAINTENANT ILS ONT CONNU QUE TOUT CE QUE TU M'AS DONNÉ
VIENT DE TOI ; PARCE QUE LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES, JE LES LEUR AI
DONNÉES ; ET ILS LES ONT REÇUES, ET ILS ONT CONNU VRAIMENT QUE C'EST DE
TOI QUE JE SUIS SORTI, ET ILS ONT CRU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. (17, 6-8)
2197. Il donne la troisičme raison qui est la soumission aimante des
disciples. D'abord il montre cette soumission aimante ŕ l'égard du Fils. Puis
il montre qu'elle rejaillit en gloire pour le Pčre [n° 2199]. Et en troisičme
lieu, il en donne la raison [n° 2200].
ET ILS
ONT GARDÉ TA PAROLE.
2198. Il dit donc, en ce qui concerne le premier point : ET TU ME LES AS
DONNÉS parce qu'ILS ÉTAIENT Ŕ TOI ; mais eux aussi ont agi avec amour
parce qu'ILS ONT GARDÉ TA PAROLE2 dans leur cur par la foi et dans
leurs actes en l'accomplissant- Garde mes commandements afin de vivre3. - Si vous gardez mes commandements
vous demeurerez dans mon amour4.
1. Sur la
prédestination des hommes dans le Christ, saint Thomas dit : Ť On peut
entendre par prédestination ce ŕ quoi l'on est prédestiné, c'est-ŕ-dire le
terme et l'effet de la prédestination. En ce sens, la prédestination du Christ
est l'exemplaire de la nôtre. Elle l'est tout d'abord quant au bien auquel nous
sommes prédestinés. Le Christ en effet a été prédestiné ŕ ętre Fils de Dieu par
nature ; nous, nous sommes prédestinés ŕ ętre fils par adoption, ce qui
est une certaine similitude participée de la filiation naturelle - Ceux
qu'il a distingués d'avance, il les a prédestinés ŕ ętre conformes
ŕ l'image de son Fils (Rm 8, 29). Elle l'est
encore quant au mode d'acquisition de ce bien, qui est une acquisition par
grâce, ce qui est trčs manifeste dans le Christ, car la nature humaine a été
unie au Fils de Dieu sans aucun mérite antécédent de sa part ; quant ŕ
nous, de la plénitude de sa grâce nous avons tous reçu (cf. Jn
1, 16) ť (Somme théol, III, q. 24, a. 3, c). Voir
aussi loc. cit., a. 4, c. Sur le mystčre de la prédestination, voir
aussi vol. I, n° 938, note 1.
2. Sur le
mystčre de l'Église qui, ŕ la suite de Marie et des Apôtres, garde la parole de
Dieu, voir vol. I, Préface, p. 7 sq.
MAINTENANT
ILS ONT CONNU QUE TOUT CE QUE TU M'AS DONNÉ VIENT DE TOI.
2199. Mais le fait męme qu'ils aient ainsi gardé la parole rejaillit pour ta
gloire, Pčre. Car telle est ma parole, parce que tout ce que j'ai, je le tiens
de toi : MAINTENANT ILS ONT CONNU QUE TOUT CE QUE TU M'AS DONNÉ, ŕ savoir ŕ ton
Fils comme homme, VIENT DE TOI - Nous avons vu la gloire qu'il tient du Pčre
comme Fils unique5, c'est-ŕ-dire que nous l'avons vu
comme celui qui tient tout du Pčre. Et parce qu'ils ont reconnu cela, le Pčre
est glorifié dans leur esprit.
PARCE
QUE LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES, JE LES LEUR AI DONNÉES ; ET ILS LES
ONT REÇUES, ET ILS ONT CONNU VRAIMENT QUE C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI, ET
ILS ONT CRU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ.
2200. Ici il donne la raison de cette glorification, du fait que l'obéissance
des disciples ŕ l'égard du Fils rejaillit en gloire pour le Pčre. D'abord, il
donne l'ordre selon lequel les disciples sont connus par le Pčre. Puis, il
présente l'ordre selon lequel l'esprit des disciples est ramené vers le Pčre
[n° 2202].
2201. Premičrement, il le montre par le don de l'enseignement que nous a fait
le Pčre. Et ce don est double. Le premier est celui que le Pčre a donné au Fils,
et c'est pourquoi il dit : LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES selon la génération
éternelle, dans laquelle le Pčre a donné ses paroles au Fils, bien que
cependant le Fils soit lui-męme Verbe du Pčre1 De telles paroles ne sont rien
d'autre que l'intelligibilité de toutes les choses ŕ venir que le Pčre,
éternellement, a toutes données au Fils en l'engendrant. Ou : TU M'AS DONNÉES,
ŕ savoir au Christ homme, parce que son âme trčs sainte fut comblée dčs
l'instant męme de sa conception de toute la connaissance de la vérité - Plein
de grâce et de vérité2, c'est-ŕ-dire de la connaissance de
toute vérité. - En lui sont tous les trésors de la sagesse et de la science3.
3. Pr 7,
2.
4. Jn 15,
10.
5. Jn 1,
14.
Le deuxičme don est celui que le
Christ fait ŕ ses disciples : LES PAROLES QUE TU M'AS DONNÉES, JE LES LEUR AI
DONNÉES en les enseignant intérieurement et extérieurement - Toutes les
choses que j'ai entendues de mon Pčre, je vous les ai fait connaître4. En cela il
se montre médiateur entre Dieu et les hommes5, parce que ce qu'il a reçu de son
Pčre, il le transmet ŕ ses disciples - J'ai été l'intermédiaire entre le
Seigneur et vous en ce temps, pour vous annoncer ses paroles6.
1. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CVI, 7, BA 75, p. 99.
2. Jn 1,
14. Voir vol. I, n° 188.
3. Col 2,
3. Saint Thomas commente ainsi ce verset : Ť Tout ce qu'on peut savoir de
Dieu, relevant de la sagesse, Dieu le connaît totalement en lui-męme avec
abondance (...). Or tout ce qui est dans la sagesse de Dieu est dans son Verbe
unique, parce que par un seul acte simple d'intelligence il connaît toutes
choses, parce qu'en lui il n'y a pas de science, ni en puissance ni en habitus.
Et c'est pourquoi dans son Verbe sont tous les trésors de la
sagesse et de la science ť {Ad Col. lect., II, n° 81).
4. Jn 15,
15.
5. Cf. 1
Tm 2, 5. Voir Somme théol., III, q. 26, oů saint Thomas précise ce
mystčre de la médiation du Christ en s'appuyant sur la Tradition : Ť Le
Christ, lui, a en commun avec Dieu la béatitude, et avec l'homme la nature
mortelle. Et c'est pourquoi "il s'est interposé comme médiateur, afin que,
ayant passé par la mort, il nous rendît immortels, nous qui étions mortels, et
il nous l'a montré dans sa Résurrection ; afin encore de nous rendre
bienheureux, nous qui étions misérables, lui qui n'a jamais abandonné la
béatitude" (saint Augustin, La cité de Dieu, IX). Et c'est pourquoi
"il est le bon médiateur, qui réconcilie les ennemis" (ibid.) ť
(q. 26, a. 1, ad 2). Ť Le Saint-Esprit, étant en tout égal ŕ Dieu, ne peut
ętre appelé intermédiaire ou médiateur entre Dieu et les hommes. Cela
appartient au Christ seul, qui tout en étant égal au Pčre, cependant sous le
rapport de l'humanité est moindre que le Pčre [voir q. 20, a. 1]. Aussi, ŕ
propos de ce verset : le Christ est médiateur (Ga 3, 20), nous lisons
dans la Glose : "non pas le Pčre et l'Esprit Saint". Et si l'on dit
que l'Esprit Saint interpelle pour nous, c'est en ce sens qu'il nous pousse ŕ
interpeller ť (q. 26, a. 1, ad 3).
6. Dt 5,
5.
ET ILS
LES ONT REÇUES, ET ILS ONT CONNU VRAIMENT QUE C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI (17,
8)
2202. Il montre ensuite le retour de l'esprit des disciples vers Dieu en
disant : ET ILS LES ONT REÇUES. Il y a lŕ un double accueil correspondant au
double don dont nous avons parlé. Le premier accueil répond au deuxičme don :
ET ILS LES ONT REÇUES de moi, sans ętre rebelles - Le Seigneur a ouvert mon
oreille et moi je ne contredis pas7. - Quiconque s'est mis ŕ l'écoute du Pčre et
ŕ son école vient ŕ moi8. Et en les recevant, ILS ONT CONNU que
c'est toi qui m'as donné toutes choses, ce qui répond au premier don.
ET ILS
ONT CRU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ.
2203. Ces paroles, selon Augustin9, explicitent le développement de
celles qui précčdent. En effet il existe une double connaissance des choses
divines : l'une parfaite qui est celle de la gloire par la pleine vision,
l'autre, imparfaite, qui est la connaissance de celui qui chemine dans la foi10 - Nous voyons ŕ présent dans un miroir, par énigme (c'est la
seconde connaissance), mais alors ce sera face ŕ face11 (c'est la premičre).
ET ILS ONT CONNU VRAIMENT QUE C'EST
DE TOI QUE JE SUIS SORTI Mais de quelle connaissance ? celle de la
Patrie ? Non, mais celle de la foi. C'est pourquoi il ajoute ET ILS ONT
CRU, comme si c'était la męme chose de connaître et de croire. ILS ONT CRU,
dis-je, vraiment, c'est-ŕ-dire avec fermeté et stabilité - Maintenant vous
croyez ?1 c'est-ŕ-dire avec stabilité. Voici
que l'heure est venue2, puisque vous croyez d'une maničre
parfaite. Et il utilise le passé pour parler du futur, d'une part en raison de
la certitude de la réalité ŕ venir, d'autre part en raison de l'infaillibilité
de la prédestination divine.
7. Is 50,
5. Voir vol. I, nos 946 et
1197.
8. Jn 6, 45.
9. Tract, in Io., CVI, 6, BA 75, p. 95-97.
10. Cf. Somme théol., I, q. 12. Voir
ci-dessus n° 2139, note 11, ŕ propos de la connaissance de la vision qui
remplace la connaissance de la foi.
11. 1 Co
13, 12. Voir vol. I, nos 208 sq. Voir
aussi Somme théol., 1, q. 12, a. 7.
Ou encore, selon Chrysostome, il
parle de ce qui est passé3. Et il dit que ces choses sont
arrivées parce qu'elles étaient déjŕ commencées. Il faut donc dire, pour ętre
en accord avec l'un et l'autre sens, qu'elles étaient déjŕ toutes commencées
mais qu'elles devaient maintenant ętre achevées. Donc en tant que cela
appartient au commencement, il parle de ce qui est passé ; mais en tant
que cela relčve de l'achčvement, il parle du futur, des choses qui devaient se
faire par la venue de l'Esprit Saint.
2204. Mais que crurent-ils ? QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ - Dieu a
envoyé son Fils 4 -, ce qui selon Augustin5 est la męme chose que : C'EST DE TOI QUE JE SUIS SORTI Mais cela va
contre ce que dit Hilaire6 car selon lui, comme on l'a dit,
Ť sortir ť relčve de la génération éternelle, alors qu'Ť ętre
envoyé ť relčve de l'Incarnation.
Mais il faut dire que nous pouvons parler du Christ de deux maničres : selon sa divinité, et ainsi, pour le Fils de Dieu, autre chose est de sortir, autre chose d'ętre envoyé, comme le dit Hilaire ; ou bien selon son humanité, et ainsi, pour le Fils de l'homme, c'est la męme chose de sortir et d'ętre envoyé, comme le dit Augustin.
MOI JE
PRIE POUR EUX ; JE NE PRIE PAS POUR LE MONDE, MAIS POUR CEUX QUE TU M'AS
DONNÉS, PARCE QU'ILS SONT Ŕ TOI ET TOUT CE QUI EST Ŕ MOI EST Ŕ TOI, ET TOUT
CE QUI EST Ŕ TOI EST Ŕ MOI ; ET JE SUIS GLORIFIÉ EN EUX. ET DÉJŔ JE NE
SUIS PLUS DANS LE MONDE, ET EUX SONT DANS LE MONDE, ET MOI JE VIENS VERS TOI (17,
9-11)
2205. Ŕ présent sont exposées, du point de vue du Christ, les raisons de sa
pričre7. Il donne pour cela trois raisons.
2206. La premičre se prend du pouvoir qu'il avait reçu sur eux, et c'est pour
cela qu'il dit : MOI JE PRIE POUR EUX - ŕ savoir les disciples. D'abord il
donne la raison elle-męme, puis il l'explicite.
MOI JE
PRIE POUR EUX ; JE NE PRIE PAS POUR LE MONDE, MAIS POUR CEUX QUE TU M'AS
DONNÉS, PARCE QU'ILS SONT Ŕ TOI.
1. Jn 16, 31.
2. Jn 16, 32.
3. In Ioannem hom., LXXXI, 1, PG 59, col. 438.
4. Ga 4,
4. Voir le commentaire que saint Thomas fait de ce verset : vol. I, n° 1555,
note 3.
5. Tract, in Io., CVI, 6, BA 75, p. 95.
6. La Trinité,
VI, 30, 22-29 ; 31, 9-22 ; 34, 1-26, SC 448, p. 231-233 ;
235 ; 239-241.
7. Voir
ci-dessus, n° 2177, note 2.
La raison pour laquelle une personne
doit ętre écoutée et doit prier pour d'autres est si celles-lŕ lui
appartiennent de maničre spéciale. Les pričres générales, en effet, sont moins
exaucées. Et c'est pourquoi il dit : MOI JE PRIE POUR EUX ; JE NE PRIE PAS
POUR LE MONDE, c'est-ŕ-dire pour ceux qui aiment le monde1,
MAIS POUR CEUX QUE TU M'AS DONNÉS comme disciples et qui m'obéissent de maničre
spéciale, bien que toutes choses soient ŕ moi selon ma puissance - Demande-moi et je te donnerai
les nations en héritage2.
2207. Objection : il semble que le Christ a prié pour tous - Nous avons un avocat auprčs du Pčre, Jésus Christ le juste ; c'est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres mais aussi pour ceux du monde entier3. - Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent ŕ la connaissance de la vérité4.
Je réponds : il faut dire que le
Christ, en ce qui le concerne, a prié pour tous, parce que sa pričre, en
elle-męme, a une efficacité telle qu'elle vaut pour le monde entier ;
cependant tous n'en reçoivent pas l'effet, si ce n'est les saints et les élus
de Dieu : et cela ŕ cause des choses du monde qui y font obstacle.
ET TOUT
CE QUI EST Ŕ MOI EST Ŕ TOI, ET TOUT CE QUI EST Ŕ TOI EST Ŕ MOI.
2208. Et il explicite cette raison en disant : ils étaient ŕ toi5, ŕ savoir par la prédestination éternelle.
Mais ils n'étaient pas au Pčre sans ętre au Fils, et ils ne sont pas non plus
donnés au Fils en étant retirés au Pčre. C'est pourquoi il dit : ET TOUT CE QUI
EST Ŕ MOI EST Ŕ TOI, ET TOUT CE QUI EST Ŕ TOI EST Ŕ MOI, ce par quoi nous est
montrée l'égalité du Fils au Pčre, lui qui, selon qu'il est Dieu, a de toute
éternité tout ce que le Pčre a6.
1. Voir
ci-dessus, n° 2032 et note 4.
2. Ps 2,
8. Voir vol. I, n° 1417 et note 4.
3. 1 Jn
2, 1-2.
4. 1 Tm
2, 4.
5. Jn 17, 6.
6. Saint
Augustin (Tract, in Io., CVII, 2, BA 75, p. 103-105) profite de l'affirmation de la
Ť commune possession ť de toutes choses par le Pčre et le Fils, et du rapprochement avec Jn 16, 14, qui étend le
rapport commun de l'un et de l'autre ŕ l'égard de l'Esprit Saint, pour revenir sur la foi en la
divinité du Fils et en son aequalitas avec le Pčre ; saint Thomas reprend cela ici et dans le
paragraphe suivant.
2209. Mais il faut remarquer que le Pčre possčde les choses qui appartiennent
ŕ son essence comme la sagesse, la bonté et autres, qui ne sont rien d'autre
que sa propre essence, et cela le Fils affirme qu'il les possčde quand il parle
de la procession de l'Esprit Saint : C'est de mon bien qu'il recevra et il
vous l'annoncera7 ; et cela parce que Tout ce
qu'a le Pčre est ŕ moi8. Et il dit Ť tout ť parce
que, bien qu'il n'y ait qu'une chose en réalité, cependant selon la raison il y
en a beaucoup.
Deuxičmement, le Pčre a ce qui relčve
de la possession de la sainteté et qui lui est consacré par la foi, comme le
sont tous les saints et les élus au sujet desquels il dit plus haut : Ils
étaient ŕ toi9. Et toutes ces choses aussi, le Fils
affirme qu'il les possčde lorsqu'il dit ŕ présent en parlant d'elles : ET TOUT
CE QUI EST Ŕ TOI EST Ŕ MOI, c'est-ŕ-dire parce qu'ils ont été prédestinés pour
jouir du Fils, comme aussi du Pčre.
Troisičmement, le Pčre a par mode de
possession toutes les réalités créées - Au Seigneur la terre et sa plénitude10. Et toutes ces
choses sont au Fils, comme on le voit dans la parabole du fils prodigue oů le
Pčre dit ŕ son fils aîné
: Tout ce qui est ŕ moi est ŕ toi11.
II
2210. La seconde raison se prend de la gloire que le Christ avait en eux, et
pour cela il dit : ET JE SUIS GLORIFIÉ EN EUX, parce qu'ils connaissaient déjŕ
en partie sa gloire et ils allaient la connaître encore davantage - Ce n'est pas en suivant des
fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la puissance et la
venue de Notre-Seigneur Jésus Christ, mais aprčs avoir été faits témoins
oculaires de sa majesté 1.
7. Jn 16, 14.
8. Jn 16, 15.
9. Jn 17, 6.
10. Ps 23, 1.
11. Le 15, 31.
III
ET DÉJŔ
JE NE SUIS PLUS DANS LE MONDE, ET EUX SONT DANS LE MONDE, ET MOI JE VIENS VERS
TOI.
2211. La troisičme raison est liée ŕ l'absence oů il les laissait en les quittant selon son corps2. Lŕ il faut savoir qu'on dit de deux maničres que quelque chose est dans le monde : ŕ savoir en s'attachant au monde affectivement - Tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair et concupiscence des yeux, et orgueil de la vie3. Mais en ce sens il ne faut pas dire que le Christ n'est plus dans le monde, puisqu'il n'a jamais été dans le monde en s'y attachant affectivement. Mais il faut le comprendre selon un autre sens, c'est-ŕ-dire que désormais il ne serait plus présent dans le monde par son corps, parce qu'arrivait le moment oů, lui qui avait été dans le monde selon son corps, allait le quitter corporellement. ET EUX - c'est-ŕ-dire ses disciples -SONT DANS LE MONDE, c'est-ŕ-dire par leur corps ; ET MOI JE VIENS VERS TOI, selon que je suis homme, pour participer ŕ ta gloire et ętre élevé jusqu'ŕ ta droite. Et c'est pourquoi il est juste que je prie pour eux que je vais bientôt quitter corporellement.
2212. Aprčs avoir donné les raisons pour lesquelles Jésus prie pour ses Apôtres, l'Évangéliste expose ici les demandes qu'il adresse pour eux. Premičrement il demande qu'ils soient gardés du mal, deuxičmement il demande leur sanctification dans le bien [n° 2228].
Concernant le premier point, d'abord
il demande que ses disciples soient gardés, puis il en montre la nécessité [n°
2215].
I
PČRE
SAINT, GARDE EN TON NOM CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, POUR QU'ILS SOIENT UN COMME
NOUS. (17, 11)
2213. Concernant le premier point, il faut considérer celui auquel il
demande, puis ce qu'il demande, enfin pour qui et en vue de quoi il demande.
1. 2 P 1, 16.
2. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CVII, 4, BA 75, p. 107-109.
3. 1 Jn
2, 16.
PČRE
SAINT
C'est au Pčre qu'il demande. C'est
pourquoi il dit : PČRE, et ŕ juste titre parce que c'est lui qui est le
principe [la source] de tout bien - Tout don excellent, toute donation
parfaite vient d'en haut et descend du Pčre des lumičres4. Mais il ajoute SAINT, parce que c'est aussi en lui que résident le
principe [la source] et l'origine de toute sainteté, et parce qu'ultimement
c'est la sainteté qu'il demandait - Vous serez saints parce que moi, votre
Seigneur Dieu, je suis saint1.
- Nul n'est saint comme le Seigneur2.
4. Je 1,
17.
GARDE
EN TON NOM
II demande qu'ils soient gardés.
C'est pourquoi il dit : GARDE, parce que selon le psaume : Si le Seigneur ne
garde pas la cité, il veille en vain celui qui la garde3. En effet notre bien ne consiste pas seulement en ce que nous tenons
de Dieu l'ętre : il faut aussi que nous soyons gardés4 par lui. Parce que, comme le dit Grégoire5, Ť toutes choses seraient
ramenées au néant si la main du Tout-Puissant ne les tenait ť - Celui
qui porte tout par la puissance de sa parole0. Et c'est pourquoi le psalmiste implorait : Garde-moi, Seigneur,
parce que j'ai espéré en toi1. Or l'homme est gardé du mal et du
péché dans le nom de Dieu. C'est pourquoi il dit : EN TON NOM, c'est-ŕ-dire par
la puissance de ton nom et de ta connaissance, parce qu'en lui sont la gloire
et notre salut - Ceux-ci se confient dans les chars, ceux-lŕ dans les
chevaux, mais nous c'est le nom du Seigneur notre Dieu que nous invoquerons 8.
1. Lv 19,
2.
2. 1 S 2,
2.
3. Ps
126, 1.
4. Il
s'agit ici du mystčre du gouvernement divin, le mystčre de Dieu Créateur et
Pčre qui non seulement donne ŕ sa créature d'exister - il lui donne
gratuitement l'ętre - mais aussi la garde, la Ť conserve ť vers sa
fin, en lui permettant de la découvrir et de la rejoindre. Voir Somme théol,
I, q. 104, a. 1.
5. Morales
sur Job, XVI, XXXvII, 45, SC 221, p. 207.
6. He 1,
3. Voir vol. I, nos 69 sq.,
par exemple n° 86.
7. Ps 15,
1. Saint Thomas commente : Ť Le psalmiste montre du Christ qu'il adhčre ŕ Dieu
seul (...), et cela de deux maničres : par l'espérance et par la foi -J'ai
dit au Seigneur. Concernant la premičre maničre, il expose deux choses : le
signe de l'espérance et l'espérance elle-męme. Le signe de l'espérance : Garde-moi,
Seigneur, comme [pour dire] : je ne crois pas pouvoir ętre conservé par
moi-męme, mais toi, Seigneur, Garde-moi, ou bien en lui ou bien dans ses
membres - Pčre saint, garde en ton nom ceux que tu m'as donnés (Jn 17,
11). Et cela parce que j'ai espéré en toi. Mais le Christ a-t-il
espéré ? Il faut dire que oui. En vérité il a espéré la vie éternelle pour
les autres, mais pour lui la glorification de son corps. Quant ŕ la
glorification de son âme, il l'a eue dčs l'instant de sa conception ť (Exp.
in Psalmos, 15, n° 1).
CEUX
QUE TU M'AS DONNÉS
Or il fait cette demande pour ceux
qui lui ont été donnés - Examine toutes les uvres de Dieu, personne ne peut
corriger celui qu'il aura méprisé9. Nul en effet ne peut ętre gardé du mal si ce n'est par l'élection
divine, qu'il désigne en disant : CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, c'est-ŕ-dire par le
don de ta grâce pour qu'ils s'attachent ŕ moi - Tous ne saisissent pas cette
parole, mais ceux auxquels cela est donné 10. En effet ce sont ceux qui sont
ainsi donnés au Christ qui sont gardés du ma1.
POUR
QU'ILS SOIENT UN
II ajoute cela pour montrer en vue de
quoi il demande qu'ils soient préservés. Et cela peut ętre rattaché de deux
maničres ŕ ce qui précčde. En un sens, Ť pour ť (ut) désigne
la maničre de les garder ; le sens est alors : Ť Ils seront gardés de
telle sorte qu'ils soient un. ť Car toute réalité est gardée dans l'ętre
aussi longtemps qu'elle est Ť une ť, et n'est pas divisée - Tout
royaume divisé contre lui-męme sera ruiné11. Et c'est pourquoi l'Église peut ętre gardée, et les hommes aussi, ŕ
condition d'ętre un. En un autre sens, Ť pour ť (ut) marque
la fin de cette conservation ; le sens est alors : Ť Et c'est pour
cela qu'ils sont gardés : pour qu'ils soient un. ť Car c'est dans l'unité
de l'esprit que réside toute notre perfection - Soucieux de garder l'unité
de l'Esprit dans le
lien de la paix1.
- Voyez qu'il est bon, qu'il est doux, d'habiter en frčres dans l'unité2.
8. Ps 19,
8.
9. Qo 7,
14.
10. Mt
19, 11.
11. Mt
12, 25.
2214. Mais il ajoute : COMME NOUS sommes un. On peut objecter cependant que
s'ils sont un selon l'essence, nous aussi serons donc un par essence. Mais cela
n'est pas vrai.
Voici la réponse3. Il faut dire que la perfection de chaque homme n'est rien d'autre que
la participation ŕ la ressemblance divine. En effet, c'est dans la mesure oů
nous sommes bons que nous ressemblons ŕ Dieu. Notre unité est donc parfaite en
tant qu'elle participe de l'unité divine. Or l'unité est double dans les
réalités divines : ŕ savoir l'unité de nature - Moi et le Pčre nous sommes
un4 - et l'unité d'amour dans le Pčre et le Fils,
qui est l'unité de l'Esprit. Et l'une et l'autre sont en nous, non pas, certes,
par égalité mais par une certaine similitude5. En effet le Pčre et le Fils sont de
męme nature par le nombre ; mais nous, nous sommes un dans la nature selon
l'espčce. De męme eux sont un par un amour qui n'est pas participé, venant du
don de quelqu'un, mais qui procčde d'eux6 ; car le Pčre et le Fils
s'aiment dans l'Esprit Saint, mais nous, nous nous aimons par un amour participé
de quelqu'un de plus grand.
1. Ep 4,
3. Saint Thomas commente : Ť La maničre de conserver l'unité est dans le
lien de la paix. La charité en effet est l'union des amis. Or aucune union de
choses matérielles ne peut tenir si elle n'est liée par quelque lien. De la
męme maničre, aucune union d'âmes par la charité ne peut tenir si elle n'est
liée. Un tel vrai lien est la paix qui est selon Augustin la tranquillité du
mode, de l'espčce et de l'ordre, c'est-ŕ-dire quand chacun a ce qui est
sien ť (Ad Eph. lect., IV, n° 194).
2. Ps
132, 1.
3. Saint
Thomas reprend ici la remarque de saint Augustin en lui apportant des
précisions importantes : l'unité entre le Pčre et le Fils correspond ŕ une
unité d'esse, tandis que l'unité de l'humanité est fondée sur la seule
communauté de natura (cf. Tract, in Io., CVII, 5, BA 75, p. 109).
4. Jn 10,
30.
5. Pour
saint Thomas, la grâce est une participation formelle ŕ la nature de Dieu (Somme
théol, I-II, q. 110, a. 3, c). En raison de cette participation, il y a une
similitude entre la nature divine et la grâce. D'autre part, par la grâce toute
la Trčs Sainte Trinité habite l'âme (op. cit., I, q. 43, a. 5, c).
6. Sur
l'Esprit Saint, Amour qui procčde du Pčre et du Fils, voir vol. I, nos 545 et 1004, et
ci-dessus, n° 1912 et note 2, et nos 1946,
2061-2065, 2069.
II
2215. Il expose la nécessité de cette conservation, nécessité qui provient de
deux causes : premičrement de son départ, deuxičmement de la haine du monde [n°
2221].
La nécessité due ŕ son départ
Concernant la premičre, il fait trois
choses. Il commence par exposer cette ardeur ŕ les garder que le Seigneur leur
a montrée quand il était présent. Puis il laisse entendre son départ pour
retourner vers le Pčre [n° 2219], Enfin, il donne la raison pour laquelle il
prononce ces paroles [n° 2220].
QUAND
J'ÉTAIS AVEC EUX JE LES GARDAIS EN TON NOM. CEUX QUE TU M'AS DONNÉS, JE LES AI
GARDES, ET AUCUN D'EUX NE S'EST PERDU, HORMIS LE FILS DE PERDITION, POUR QUE
L'ÉCRITURE S'ACCOMPLISSE. (17, 12)
Concernant le premier point il met en
avant la maničre de les garder, puis le fait qu'il se doit de les garder [n°
2217], enfin l'efficacité avec laquelle il les garde [n° 2218].
QUAND
J'ÉTAIS AVEC EUX JE LES GARDAIS EN TON NOM.
2216. La maničre de les garder convient bien, parce que c'est par la
puissance du Pčre. C'est pourquoi il dit : QUAND J'ÉTAIS AVEC EUX, c'est-ŕ-dire
par ma présence physique - Ensuite il est apparu sur terre et il a conversé
avec les hommes1 -, moi, c'est-ŕ-dire le Fils de
l'homme, JE LES GARDAIS, c'est-ŕ-dire je les protégeais du mal et du
péché ; par une puissance non pas humaine, mais au contraire divine, car
JE LES GARDAIS EN TON NOM, lequel est commun au Pčre, au Fils et au
Saint-Esprit - Les baptisant au nom du Pčre et du Fils et du Saint-Espnt2. Et cela est vrai parce que le Pčre et le Fils
sont un seul Dieu et parce que dans le nom du Pčre est aussi compris le nom du
Fils : est dit pčre celui qui a un fils.
Mais remarque qu'auparavant3, alors qu'il avait nié avoir un démon, il ne nia pas qu'il était un
Samaritain, c'est-ŕ-dire un gardien, parce qu'il est un gardien - Veilleur,
oů en est la nuit ?4, celle de ce monde. En effet
lui-męme, comme un berger, garde son troupeau5.
CEUX
QUE TU M'AS DONNÉS, JE LES AI GARDÉS.
2217. Il montre le devoir qu'il a de les garder. Un gardien, en effet, est
tenu de garder ceux qui ont été confiés ŕ sa garde - Garde cet homme6. Je me tiendrai ŕ mon poste de garde7. C'est ainsi que se tient le prélat8 quand il veille avec diligence sur ceux qui lui ont été confiés - II
y avait des bergers dans la męme région qui veillaient et qui gardaient leurs
troupeaux pendant les veilles de la nuit9.
ET
AUCUN D'EUX NE S'EST PERDU, HORMIS LE FILS DE PERDITION, POUR QUE L'ÉCRITURE
S'ACCOMPLISSE.
2218. Et l'efficacité de la garde est parfaite parce qu'AUCUN D'EUX NE S'EST
PERDU - Mes brebis écoutent ma voix (...) et nul ne les arrachera de ma main
10. - Que quiconque (...) croit en
lui ait la vie éternelle 11 !. Mais de cette efficacité, un seul
est exclu, ŕ savoir LE FILS DE PERDITION, c'est-ŕ-dire Judas, appelé fils de
perdition comme si d'avance il avait été connu et prédestiné ŕ la perdition
perpétuelle 12. Ainsi, en effet, certains assignés
ŕ la mort sont appelés fils de la mort - Vous tous ętes des fils de la mort13. - Vous parcourez mer et terre ferme pour faire un seul disciple et
vous en faites un fils de la mort, deux fois plus que vous 14.
Mais note ce que dit la Glose
interlinéaire : Ť Fils de la mort15 ť, c'est-ŕ-dire prédestiné ŕ la
perdition, bien que cependant on trouve rarement que la prédestination soit en
vue d'un ma1. C'est pourquoi ici, cela est compris communément comme la science
ou l'ordre de la sagesse de Dieu (ordinatione). La prédestination 16 est toujours pour un bien, précisément parce qu'elle possčde le double
effet de la grâce et de la gloire. Et Dieu ordonne vers l'une et l'autre. Mais
dans la réprobation il y a deux choses, la faute et la peine temporelles. Et
Dieu ordonne seulement vers l'une des deux, ŕ savoir la peine1 et non pour elle-męme2. POUR QUE L'ÉCRITURE, par laquelle tu as prédit que je serais trahi,
S'ACCOMPLISSE - Dieu, ne tais pas ma louange
parce que la bouche du pécheur et la bouche du méchant s'ouvrent contre moi3.
1. Ba 3, 38.
2. Mt 28,
19.
3. Voir
Jn 8, 48-49 Les Juifs répondirent donc et dirent : Ť N'avons-nous
pas raison de dire que tu es un Samaritain et que tu as un démon ? ť
Jésus répondit : Ť Moi, je n'ai pas de démon ; mais j'honore
mon Pčre, et vous, vous me déshonorez ť.
4. Is 21,
11.
5. Cf. Jn
10, 11.
6. 1 R
20, 39.
7. Ha 2,
1.
8. Voir
vol. I, nos 1398 sq.,
sur le Bon Pasteur qui veille sur ses brebis.
9. Le 2,
8.
10. Jn
10, 27-28.
11. Jn 6,
40.
12. Voir
ci-dessus n° 1789 et note 5. Saint Thomas distingue la Ť volonté
antécédente de Dieu ť par laquelle tous sont prédestinés ŕ la sainteté et
la Ť volonté conséquente ť par laquelle il veut que certains soient
damnés selon ce qu'exige sa justice (cf. Somme théol., I, q. 19, a. 6, c.
et ad 1).
13. 1 S
26, 16.
14. Mt
23, 15.
15. Cette
interprétation a sa source dans le commentaire de saint Augustin : il identifie
explicitement les deux formules Ť fils de la perdition ť et
Ť prédestiné ŕ la perdition ť {Tract, in Io., CVII, 7, BA 75,
p. 113 ; cf. paragraphe précédent).
16. Sur
le mystčre de la prédestination, voir vol. I, n° 938, note 1, n" 1301 et
note 11, n° 1373 et note 12.
MAINTENANT
JE VIENS VERS TOI ; ET JE DIS CES CHOSES DANS LE MONDE POUR QU'ILS AIENT
EN EUX-MĘMES MA JOIE EN PLÉNITUDE. (17, 13)
2219. MAINTENANT JE VIENS VERS TOI, les quittant selon ma présence corporelle - De
nouveau je quitte le monde et je vais vers le Pčre4. Mais ces paroles dans le cur de ceux qui comprennent mal pourraient
engendrer le scandale de l'infidélité, comme s'il ne pouvait pas les garder en
s'éloignant d'eux, ou comme si le Pčre auparavant ne les avait pas gardés. Mais
assurément le Pčre aussi les gardait auparavant, c'est pourquoi il dit : JE LES
GARDAIS EN TON NOM, et le Fils aussi aprčs son départ pouvait les garder.
ET JE
DIS CES CHOSES DANS LE MONDE POUR QU'ILS AIENT EN EUX-MĘMES MA JOIE EN
PLÉNITUDE.
2220. C'est comme s'il disait : J'ai parlé comme un homme qui prie, mais JE
DIS CES CHOSES pour la consolation de mes disciples qui pensent que je ne suis
qu'un homme (hominem purum), afin qu'au moins ils soient consolés par le
fait que c'est ŕ toi, Pčre, toi qu'ils croient plus grand, que je les
confie ; et qu'ils se réjouissent d'ętre sous la protection du Pčre. Et
cela selon Chrysostome5.
Ou bien, selon Augustin6, ces paroles se rapportent ŕ ce qu'il a dit plus haut : pour qu'ils soient un comme nous7. Et ainsi elles expriment les fruits de l'unité, comme s'il
disait : POUR QU'ILS AIENT EN EUX-MĘMES MA JOIE, ce qu'il a déjŕ exprimé
auparavant, c'est-ŕ-dire qu'ils se réjouissent en moi, ou bien parce que la
joie leur vient de moi. EN EUX-MĘMES (...) EN PLÉNITUDE, ce qu'ils obtiennent
par l'unité de l'esprit, unité par laquelle ils parviennent ŕ la joie de la vie
éternelle, qui est pléničre. La joie suit l'unité, parce que l'unité et la paix
ont pour effet la joie parfaite - Ceux qui entrent dans les conseils de paix, la joie les suit8. - Le fruit de
lEsprit est amour, joie, paix (...)9
1. Voir
vol. I, n° 1301 et note 9.
2. Et
non per se indique ici que la peine n'est pas voulue en elle-męme par
Dieu ; elle est une conséquence de la faute que Dieu ne fait que permettre.
Voir Somme théol., I, q. 19, a. 9, c. et ad 3.
3. Ps
108, 2.
4. Jn 16, 28.
5. In Ioannem hom., LXXXI, 2, PG 59, col. 439-440.
6. Tract, in Io., CVII, 8, BA 75, p. 115.
La nécessité due ŕ la haine du monde
MOI JE
LEUR AI DONNÉ TA PAROLE, ET LE MONDE LES A EUS EN HAINE, PARCE QU'ILS NE SONT
PAS DU MONDE, COMME MOI-MĘME JE NE SUIS PAS DU MONDE. JE NE DEMANDE PAS QUE TU
LES RETIRES DU MONDE, MAIS QUE TU LES GARDES DU MA1. ILS NE SONT PAS DU MONDE,
COMME MOI-MĘME JE NE SUIS PAS DU MONDE. (17, 14-16)
2221. Ŕ présent l'Évangéliste expose une autre nécessité ŕ cette protection,
provenant de la haine du monde ; et d'abord il met en avant le bienfait
qu'il avait accordé aux disciples, deuxičmement la haine du monde qu'ils
avaient encourue [n° 2223]. Troisičmement, il demande le secours du Pčre afin
qu'il les protčge [n° 2225].
MOI JE
LEUR AI DONNÉ TA PAROLE.
2222. Il dit donc d'abord : MOI JE LEUR AI DONNÉ TA PAROLE, c'est-ŕ-dire
celle que j'ai reçue de toi. Auparavant il a dit la męme chose : LES PAROLES
QUE TU M'AS DONNÉES, JE LES LEUR AI DONNÉES ; ET ILS LES ONT REÇUES. Ou JE
LEUR AI DONNÉ, c'est-ŕ-dire je leur donnerai par l'inspiration du Paraclet, TA
PAROLE, celle qui vient de toi, parce qu'en vérité c'est lŕ le plus grand don
et le plus grand bienfait -Je vous donnerai un don excellent : n'abandonnez
pas ma loi1.
7. Jn 17,
11.
8. Pr 12,
20.
9. Ga 5,
22. Voir ci-dessus, n° 2060, note 4.
ET LE
MONDE LES A EUS EN HAINE, PARCE QU'ILS NE SONT PAS DU MONDE.
2223. Mais de cela s'ensuit la haine du monde, puisque c'est parce qu'ils ont
reçu ta parole que LE MONDE LES A EUS EN HAINE - Bienheureux serez-vous
lorsque les hommes vous haďront2 et Ne vous étonnez pas si le monde
vous hait3. La cause de cette haine est le fait qu'ils se
sont séparés du monde. En effet la Parole de Dieu fait que les hommes se
séparent du monde, car elle unit ŕ Dieu, ŕ qui nul ne peut ętre uni s'il ne se
sépare pas du monde. Car si quelqu'un aime le monde, le parfait amour (perfecta
caritas) de Dieu n'est pas en lui. Et c'est pourquoi il dit : PARCE QU'ILS
NE SONT PAS DU MONDE - Parce que je vous ai choisis dans le monde, pour cela
le monde vous hait4. En effet il est naturel pour tout
homme d'aimer son semblable5 - Tout ętre vivant aime son
semblable6 et hait celui qui est différent de lui. - Sa
vue nous est ŕ charge car son genre de vie ne ressemble pas aux autres7.
COMME
MOI-MĘME JE NE SUIS PAS DU MONDE.
2224. Et pour cela il donne un exemple indiquant la maničre dont ils ne sont
pas du monde : COMME MOI-MĘME JE NE SUIS PAS DU MONDE, ce qu'il faut entendre
quant ŕ l'amour, parce que de męme que le Christ n'était pas dans le monde par
affection pour le monde, de męme eux non plus. Mais ils le sont quant ŕ
l'origine, parce qu'il y a eu un temps oů ils étaient du monde. Mais le Christ,
jamais, puisque męme selon la naissance charnelle, il est né du Saint-Esprit8 - Vous ętes du monde, moi je ne suis pas du monde9.
2225. Il réclame alors un secours contre cette haine. D'abord il présente sa demande,
et ensuite il donne la raison de cette demande [n° 2227].
JE NE
DEMANDE PAS QUE TU LES RETIRES DU MONDE, MAIS QUE TU LES GARDES DU MA1.
2226. Concernant le premier point, il présente deux choses. L'une, qu'il dit
ne pas demander, ŕ savoir qu'ils soient retirés du monde. Cependant comment
peuvent-ils ętre retirés du monde, eux qui ne sont pas du monde ? En
effet, déjŕ auparavant il avait dit : ILS NE SONT PAS DU MONDE. Mais disons
qu'affectivement ils n'étaient pas du monde par un attachement, comme il l'a
dit plus haut, mais qu'ils étaient du monde par leur vie corporelle ; et
c'est pour cette raison qu'il ne voulut pas qu'ils fussent retirés du monde. Et
cela pour le bien des croyants qui, par eux, allaient croire - Allez dans le
monde entier, pręchez l'Évangile ŕ toute créature 10.
Mais il demande autre chose,
c'est-ŕ-dire que, bien qu'ils demeurent par leur corps dans le monde, TU LES
GARDES DU MAL, le mal qui est dans le monde. En effet il est difficile qu'un
homme vivant parmi des mauvais reste préservé du mal, surtout parce que le monde entier a été
placé sous le pouvoir du
malin1 - Quand tu traverseras les eaux, je serai
avec toi, et les flots ne te recouvriront pas2.
1. Pr 4, 2.
2. Lc 6,
22.
3. 1 Jn 3, 13.
4. Jn 15, 19.
5. Cf. n° 2034 et note 8 ; n° 2036 et
note 3.
6. Si 13, 19.
7. Sg 2, 15.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CVIII,
1, BA 75, p. 117-119. Voir aussi Mt 1, 20, que saint Thomas
commente ainsi : Ť c'est-ŕ-dire de la puissance de l'Esprit Saint, non pas
de sa substance, pour qu'on ne croie pas qu'il soit fils de l'Esprit
Saint ť (Sup. Matth. lect., I, n° 111).
9. Jn 8,
23.
10. Mc
16, 15.
ILS NE
SONT PAS DU MONDE, COMME MOI-MĘME JE NE SUIS PAS DU MONDE.
2227. Voilŕ la raison de sa demande. Il semble qu'il y ait lŕ une confusion
de mots et une répétition inutile puisqu'il a dit précédemment les męmes
paroles. Mais en fait ce n'est pas une répétition inutile, parce qu'elles sont
dites lŕ pour une raison, et ici pour une autre. Précédemment, en effet, elles
sont dites pour montrer la cause pour laquelle le monde les tient en haine,
mais ici pour donner la raison pour laquelle ils doivent ętre gardés par Dieu.
Par lŕ il nous est donné ŕ comprendre que la raison pour laquelle les saints sont haďs du monde et aimés de Dieu est la męme : le mépris du monde3 - Dieu ne vous a-t-il pas choisis pauvres en ce monde, riches dans la foi et héritiers du royaume que Dieu a promis ŕ ceux qui l'aiment ?4 -, et c'est pourquoi l'homme, quel que soit le bien qu'il fait, est rendu haďssable pour le monde mais bien-aimé de Dieu - Nous offrirons ŕ notre Seigneur Dieu des sacrifices abominés par les Égyptiens5.
SANCTIFIE-LES
DANS LA VÉRITÉ. TA PAROLE EST VÉRITÉ. COMME TU M'AS ENVOYÉ DANS LE MONDE, AINSI
MOI AUSSI JE LES AI ENVOYÉS DANS LE MONDE. ET POUR EUX JE ME SANCTIFIE
MOI-MĘME, AFIN QU'EUX AUSSI SOIENT SANCTIFIÉS DANS LA VÉRITÉ. (17, 17-19)
2228. Auparavant le Seigneur a demandé la protection des disciples, ici il demande
leur sanctification ; premičrement il la demande, deuxičmement il en donne
la nécessité [n° 2230] et troisičmement il laisse entendre que cette
sanctification est commencée [n° 2231].
SANCTIFIE-LES
DANS LA VÉRITÉ. TA PAROLE EST VÉRITÉ.
2229. Il dit donc : Ainsi j'ai demandé qu'ils soient préservés du mal, mais
cela ne suffit pas s'ils ne deviennent parfaits dans le bien - Détourne-toi du mal et fais le
bien6. C'est pourquoi, Pčre, SANCTIFIE-LES7, c'est-ŕ-dire rends-les parfaits et fais d'eux des saints8. Et cela DANS LA VÉRITÉ, c'est-ŕ-dire en moi, ton Fils, qui suis la
Vérité9, comme s'il disait : Fais-les
participer ŕ ma perfection et ŕ ma sainteté. Et c'est pourquoi il ajoute : TA
PAROLE, c'est-ŕ-dire ton Verbe, EST VÉRITÉ, pour signifier : Sanctifie-les en
moi, la Vérité, parce que moi, ton Verbe, je suis la Vérité.
1. Cf. 1
Jn 5, 19 Nous savons que nous sommes de Dieu ; et le monde est tout
entier sous l'empire du malin.
2. Is 43,
2.
3. Cf. 1
Jn 3, 13 Ne vous étonnez pas, mes frčres, si le monde vous hait.
4. Jc 2,
5.
5. Ex 8,
26.
6. Ps 36,
27. Saint Thomas commente : Ť Et il ne dit pas qu'il ne fasse pas le mal,
parce qu'en cela il ne serait question que de négation seulement, mais détourne-toi
du mal, pour ne pas avoir la volonté de l'accomplir. (...) Il y a un double
ordre. Le premier ordre est celui de l'intentionnalité, et selon cet ordre le
bien doit toujours ętre mis avant l'évitement du mal, parce que le juste évite
le mal en vue de faire le bien. Le second ordre est celui de l'exécution ;
et selon cet ordre, il est d'abord prescrit d'éviter le mal : car tous nous
naissons fils de la colčre et ne pouvons devenir justes sans repousser le
mal ť (Exp. in Psalmos, 36, n° 19).
7. En
commentant ce verset saint Thomas explicite le lien entre la perfection, la
sainteté et la vérité. En effet, pour chacun de nous, la perfection consiste
dans la quęte de la finalité. Aussi le Christ prie-t-il son Pčre de faire de
nous des saints. La finalité chrétienne est la sainteté, qui est l'unité avec
le Christ. Jésus en effet est venu pour nous conduire au Pčre et nous
introduire dans son unité d'amour avec le Pčre. Et parce que Jésus est la
Vérité, c'est lui-męme qui fait le lien entre la sanctification de tous les
hommes et la vérité qui est son propre mystčre de lumičre et d'amour.
8. Nous
sommes sanctifiés par l'oblation du corps de Jésus Christ, une fois pour toutes
(He 10, 10). Par une oblation unique il a rendu parfaits pour toujours
ceux qu'il sanctifie (10, 14). Cf. 2, 10 II convenait, en effet, que,
voulant conduire ŕ la gloire un grand nombre de fils, Celui pour qui et par qui
sont toutes choses rendît parfait par des souffrances le chef qui devait les
guider vers leur salut. Voir aussi He 5, 8-9 ; 9, 14, etc.
9. Voir
Jn 14, 6.
Ou bien : SANCTIFIE-LES, en leur
envoyant l'Esprit Saint ; et cela DANS LA VÉRITÉ, c'est-ŕ-dire dans la
connaissance de la vérité de la foi et de tes commandements1 - Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres2. Car c'est par la foi et la connaissance de la vérité que nous sommes
sanctifiés - Justice de Dieu par la foi en Jésus Christ en tous et sur tous
ceux qui croient en lui3. Aussi ajoute-t-il : TA PAROLE EST
VÉRITÉ, parce que la vérité des paroles de Dieu n'est męlée d'aucune fausseté -
Mes paroles sont droites et il n'y a en elles rien de faux ni de tortueux4 ; et aussi parce que sa parole enseigne la Vérité incréée.
On peut dire autre chose : dans
l'Ancien Testament, on avait coutume de dire que tout ce qui était assigné au
culte divin était sanctifié - Fais approcher vers moi Aaron, ton frčre, avec
ses fils, du milieu des fils d'Israël, pour qu'ils s'acquittent de mon
sacerdoce5. Il dit donc : SANCTIFIE-LES - c'est-ŕ-dire
assigne-les comme par mode de sanctification - DANS LA VÉRITÉ, c'est-ŕ-dire ŕ
la prédication de ta vérité, parce que TA PAROLE, qu'ils doivent pręcher, EST
VÉRITÉ6.
1. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXII, 1, PG 59, col. 442-443.
2. Jn 8,
32.
3. Rm 3,
22. Saint Thomas commente : Ť On dit que la justice de Dieu est par la foi
en Jésus Christ non pas comme si, par la foi, nous méritions d'ętre justifiés,
comme si notre foi existait par nous-męmes et que par elle nous méritions la
justice de Dieu, comme disent les pélagiens. Mais parce que, dans cette
justification par laquelle nous sommes justifiés par Dieu, le premier mouvement
de l'esprit vers Dieu se réalise par la foi ť (Ad Rom. lect., III,
n° 302).
4. Pr 8, 8.
5. Ex 28, 1.
6. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXII, 1, PG 59, col. 442-443.
COMME
TU M'AS ENVOYÉ DANS LE MONDE, AINSI MOI AUSSI JE LES AI ENVOYÉS DANS LE MONDE.
2230. Le Seigneur ajoute ainsi la nécessité de la sanctification. Comme s'il
disait : Moi c'est pour cela que je suis venu, pour pręcher la vérité - Je
suis né dans ce monde pour rendre témoignage ŕ la vérité7 -, et ainsi moi aussi j'ai envoyé mes disciples pour pręcher la vérité
- Allez dans le monde entier, pręchez l'Évangile ŕ toute créature8. Il est
donc nécessaire qu'ils soient sanctifiés dans la vérité - Comme le Pčre m'a
envoyé, moi aussi je vous envoie9.
ET POUR
EUX JE ME SANCTIFIE MOI-MĘME, AFIN QU'EUX AUSSI SOIENT SANCTIFIÉS DANS LA
VÉRITÉ.
2231. Mais ils doivent ętre sanctifiés non seulement ŕ cause du service
auquel ils sont destinés, mais parce que cette sanctification a déjŕ été
commencée par moi.
Selon Augustin 10, en effet, il faut savoir qu'il existe dans le Christ deux natures :
quant ŕ sa nature divine, le Christ est saint par essence et, quant ŕ sa nature
humaine, le Christ est saint par la grâce, qui découle de la nature divine.
C'est donc selon sa divinité qu'il dit : JE ME SANCTIFIE MOI-MĘME, en assumant
pour eux la chair, et cela, pour que la sainteté de la grâce qui, par moi en
tant que Dieu, est en moi en tant qu'homme, découle de moi sur eux ; parce
que de sa plénitude nous avons tous reçu11. Comme l'huile qui est versée sur la tęte, du Christ qui est Dieu, qui
descend sur la barbe d'Aaron, c'est-ŕ-dire sur l'humanité, et de lŕ descend
sur le bord de son vętement12, c'est-ŕ-dire sur nous.
7. Jn 18, 37.
8. Mc 16, 15.
9. Jn 20, 21.
10. Tract, in Io., CVIII, 5, BA 75, p. 127.
11. Jn 1, 16.
12. Ps
132, 2.
Ou encore, selon Chrysostome1, il a demandé qu'ils soient
sanctifiés d'une sanctification spirituelle. Dans l'Ancien Testament, il
existait des justifications de la chair - Des rčgles pour la chair imposées jusqu'au temps de la
réforme2. Mais celles-ci étaient des préfigurations de la
sanctification spirituelle, et cependant elles étaient réalisées par un certain
sacrifice 3 ; c'est pourquoi il convenait,
pour la sanctification de ses disciples, que soit fait un sacrifice. Et c'est
ce que dit le Christ : pour QU'EUX SOIENT SANCTIFIÉS, maintenant JE ME
SANCTIFIE MOI-MĘME, c'est-ŕ-dire je m'offre en sacrifice - Il s'est offert lui-męme ŕ Dieu 4. - C'est pourquoi Jésus, pour sanctifier le peuple par son propre
sang, a souffert hors de la porte5. Et cela en vérité, non pas par une
préfiguration, comme dans l'Ancien Testament.
1. In Ioannem hom., LXXXII, 1, PG 59, col. 443.
2. He 9,
10.
3. Voir
Lv ch. 1-7, oů est décrit le rituel des sacrifices comportant : les sacrifices
de l'holocauste oů toute la victime est brűlée ; le sacrifice d'oblation,
sacrifice de végétaux accompagné d'une libation de vin, en signe de paix ;
le sacrifice de communion (ŕ nouveau un sacrifice d'animaux) en action de
grâces ; le sacrifice pour le péché, pour demander pardon ; le
sacrifice de réparation, pour réparer la faute. Voir aussi Nb 28, 3-6 Voici
les sacrifices que vous devez offrir : deux agneaux d'un an,
sans tache, tous les jours, en holocauste perpétuel ; vous en offrirez un
le matin, et l'autre vers le soir (
). C'est l'holocauste perpétuel que vous
avez offert sur la montagne de Sinaď, en odeur trčs suave d'un sacrifice au
Seigneur, consumé par le feu. Saint Thomas précise : Ť Par lŕ
était signifié que l'oblation de l'agneau, c'est-ŕ-dire du Christ, devait
consommer tous les autres sacrifices ; et c'est pourquoi il est dit en Jn
1, 29 Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui enlčve les péchés
du monde ť {Somme théol., III, q. 22 ; a. 3,
ad 3).
4. He 9,
14.
5. He 13,
12.
2232. Aprčs avoir prié pour ses disciples, le Seigneur intercčde ŕ présent de maničre générale pour tous les croyants. D'abord il présente sa pričre, puis il ajoute la raison qu'elle a d'ętre exaucée [n° 2263].
Dans sa pričre il demande au Pčre deux choses pour ses disciples : la perfection de l'unité et la vision de la gloire [n° 2252].
Concernant le premier point, il
demande comme homme la perfection de l'unité. Puis il montre que lui-męme comme
Dieu leur a donné le pouvoir de parvenir ŕ cette unité [n° 2244].
I
CE
N'EST PAS SEULEMENT POUR EUX QUE JE PRIE, MAIS AUSSI POUR CEUX QUI, PAR LEURS
PAROLES, CROIRONT EN MOI, AFIN QUE TOUS SOIENT UN. COMME TOI, PČRE, TU ES EN
MOI ET MOI EN TOI, QU'EUX AUSSI SOIENT UN EN NOUS, AFIN QUE LE MONDE CROIE QUE
C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. (17, 20-21)
Pour ce premier point, il présente ceux
pour lesquels il prie, puis dit ce qu'il demande [n° 2237].
CE
N'EST PAS SEULEMENT POUR EUX QUE JE PRIE, MAIS AUSSI POUR CEUX QUI, PAR LEURS
PAROLES, CROIRONT EN MOI.
2233. Il adresse sa demande pour toute l'assemblée des croyants, et c'est
pourquoi il dit : J'ai dit : Garde mes disciples du mal et sanctifie-les dans la venté1 ; mais CE N'EST PAS SEULEMENT POUR EUX QUE
JE PRIE, MAIS AUSSI POUR CEUX QUI (...) CROIRONT EN MOI, c'est-ŕ-dire pour ceux dont la foi
sera confirmée, et cela PAR LEURS PAROLES, ŕ savoir celles des Apôtres. Et
c'est ŕ juste titre qu'il le demande, parce que nul n'est sauvé si ce n'est par
l'intercession du Christ. Or ce n'était pas seulement les Apôtres qui allaient
ętre sauvés, mais aussi les autres ; il devait donc aussi prier pour les
autres - II a aimé tes pčres et il a élu leur descendance aprčs eux2. - Je resterai avec leur
descendance, et leur postérité sera un saint héritage3.
1. Jn 17, 17.
2. Dt 4, 37.
3. Cf. Si 44, 11.
2234. Mais on pourrait objecter : il semble qu'il n'ait pas prié pour tous
ses fidčles. Car ici il prie pour ceux qui devaient ętre convertis par les
paroles des Apôtres, mais les pčres anciens et Jean Baptiste n'ont pas été
convertis par leurs paroles. Ŕ cela il faut répondre qu'ils étaient déjŕ parvenus
ŕ la perfection ; et, bien que ne jouissant pas de la vision de Dieu
puisque le prix n'avait pas été payé, cependant ils avaient quitté la terre
avec leurs grands mérites, de sorte qu'aussitôt la porte du Paradis ouverte ils
devaient ętre introduits, et c'est pourquoi ils n'avaient pas besoin de la
pričre.
2235. Mais on peut encore s'interroger : Qu'en est-il de ceux qui ont cru,
non pas grâce aux paroles des Apôtres, mais immédiatement grâce au Christ, comme Paul - Je ne l'ai pas reçu
ni appris des hommes ou par l'intermédiaire de l'homme mais par la révélation
de Jésus Christ1 -, et le larron en croix2 ? Il ne semble donc pas que le
Christ ait prié pour eux.
Voici ce qu'il faut répondre, selon
Augustin3 on dit que, par la parole des
Apôtres, croient non seulement ceux qui l'ont entendue d'eux-męmes, mais aussi
tous ceux qui croient grâce ŕ la parole que les Apôtres ont pręchée, qui est la
parole de la foi4, appelée parole des Apôtres parce
que c'est principalement ŕ eux qu'elle a été confiée et annoncée ; et qui
ŕ Paul aussi, comme au larron en croix, a été révélée divinement. Ou bien il
faut dire que ceux qui ont été immédiatement convertis par le Christ et grâce
au Christ comme Paul et le larron sur la croix, et d'autres s'il y en a, sont
comptés dans cette pričre que le Seigneur a faite pour ses disciples. C'est
pourquoi le Seigneur a dit : ceux que tu m'as donnés5, ou que tu me donneras.
2236. On peut encore se poser la question : Et nous, qui ne croyons pas grâce
aux Apôtres ? Mais ŕ cela il faut répondre que, bien que nous n'ayons pas
cru grâce aux Apôtres, cependant nous croyons grâce ŕ leurs disciples.
AFIN
QUE TOUS SOIENT UN. COMME TOI, PČRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI.
2237. Maintenant le Seigneur demande la perfection de l'unité. D'abord il
présente l'unité qu'il demande, puis le modčle et la cause de cette unité [n°
2239], et enfin le fruit de cette unité [n° 2241].
AFIN
QUE TOUS SOIENT UN.
2238. Il dit donc : Je demande cela AFIN QUE TOUS SOIENT UN. Car, comme le
disent les platoniciens6, toute chose tient son unité de ce ŕ
partir de quoi elle a sa bonté. En effet le bien est ce qui peut conserver la
réalité ; or aucune réalité n'est conservée si ce n'est par le fait
qu'elle est une. Et c'est pourquoi le Seigneur, demandant la perfection de ses
disciples dans la bonté, demande qu'ils soient un ; ce qui
effectivement a été réalisé - Le cur de la multitude des croyants était un et leur
âme une7. - Voyez ! qu'il est bon, qu'il
est doux, d'habiter en frčres dans l'unité /8
COMME
TOI, PČRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI, QU'EUX AUSSI SOIENT UN EN NOUS.
2239. Le Seigneur donne ensuite le modčle et la cause de l'unité, en disant :
COMME TOI, PČRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI En effet certains sont un, mais
dans le ma1. Aussi Dieu ne demande-t-il pas cette unité, mais celle par
laquelle les hommes sont unis en vue du bien, c'est-ŕ-dire pour Dieu, et c'est
pourquoi le Christ dit : COMME TOI, PČRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI,
c'est-ŕ-dire qu'ils soient unis de maničre ŕ croire en moi et en toi - A plusieurs nous sommes
un seul corps dans le Christ1.
- Appelés ŕ garder l'unité de lEsprit, (...) unité qui est un seul Dieu, une seule
foi, un seul baptęme2. Et en vérité, dans le Pčre et le Fils qui sont un, nous
sommes un : alors que si nous recherchons des choses diverses en croyant et en
désirant, notre affection se disperse vers de multiples choses.
1. Ga 1,
12.
2. Voir
Le 23, 43.
3. Tract,
in Io., CIX, 1, BA 75, p. 131-132. Les divers cas mentionnés par saint
Thomas reprennent succinctement ceux que saint Augustin avait notés, ainsi que
les explications auxquelles toute l'homélie CIX est consacrée.
4. Voir
Rm 10, 8.
5. Jn 17,
12.
6. Aristote,
ŕ plusieurs reprises, en évoquant la théorie platonicienne des Idées, montre
que les platoniciens identifient parfois l'Un et le Bien. Ť Męme parmi les
partisans des substances immobiles, certains assimilent l'Un en soi au Bien en
soi ť {Métaphysique, N, 4, 1091 b 13-14. Voir aussi Éthique ŕ
Eudčme, I, 8, 1218 a 15-32). Pour Platon, dit aussi Aristote, Ť les Idées
sont causes de l'essence pour toutes les autres choses, et l'Un ŕ son tour est
cause pour les Idées ť {Métaphysique, A, 988 a 10-11). Platon
développe sa théorie des Idées dans de nombreux dialogues comme La
République, Le Timée, Le Phédon. Saint Thomas, lui, a étudié dans un regard
critique la convertibilité de l'un et du bien {De veritate, q. 1, a. 1).
Ici, en assumant ce regard critique, il montre que tant du côté de la source
que du côté des effets, bonté et unité se tiennent, en particulier dans l'Église
pour laquelle le Christ prie.
7. Ac 4,
32.
8. Ps
132, 1.
2240. Mais Arius tire de lŕ l'argument que, de la męme maničre que le Fils
est dans le Pčre et le Pčre dans le Fils, ainsi nous sommes en Dieu. Or nous ne
sommes pas en Dieu par unité d'essence, mais par une conformité de volonté et
d'amour ; il conclut donc que, de la męme maničre aussi, le Pčre n'est pas
dans le Fils selon une unité d'essence3.
Mais on doit dire qu'entre le Pčre et
le Fils il y a une double unité, celle de l'essence et celle de l'amour ;
et le Pčre est dans le Fils et le Fils dans le Pčre selon l'une et l'autre4. Ce qu'il dit ici - COMME TOI, PČRE, TU ES EN MOI ET MOI EN TOI -peut
donc se rapporter en un sens ŕ l'unité d'amour, selon Augustin5, et cela signifie alors : COMME TOI, PČRE, TU ES EN MOI par l'amour ET
MOI EN TOI, QU'EUX AUSSI, c'est-ŕ-dire mes disciples, SOIENT UN EN NOUS par
l'amour, parce que la charité fait que nous sommes un avec Dieu ; comme
s'il disait : Comme le Pčre aime le Fils et réciproquement, qu'ainsi ceux-ci
aiment le Pčre et le Fils. Et ainsi COMME n'exprime pas une égalité mais une
similitude lointaine 6.
Ou, selon Hilaire7, cela peut se rapporter ŕ l'unité de nature : non pas qu'il y ait en
nous, quant au nombre, la męme nature que le Pčre et le Fils, comme elle se
trouve en eux, mais parce que notre unité existe par le fait que nous sommes
assimilés ŕ cette nature divine par laquelle le Pčre et le Fils sont un. En ce
sens aussi, COMME exprime une certaine imitation. Et de lŕ vient que nous sommes
invités ŕ une imitation de la dilection divine - Cherchez ŕ imiter Dieu comme des enfants
bien-aimés, et suivez la voie de l'amour ŕ l'exemple du Christ qui nous a aimés8 ; et aussi de la perfection ou de la bonté divines - Soyez parfaits comme votre Pčre est parfait9.
AFIN
QUE LE MONDE CROIE QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. (17, 21)
2241. Il indique le fruit de l'unité par ces mots. Rien en effet ne manifeste
la vérité de l'Évangile comme la charité des croyants - En cela ils connaîtront tous que vous ętes
mes disciples, ŕ l'amour que vous aurez les uns pour les autres10. Tel sera donc le fruit de l'unité : parce que du fait qu'ils sont un
le monde croira que l'enseignement que je leur ai donné est de toi, et
connaîtra QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. Dieu, en effet, n'est pas cause de
dissension, mais de paix11.
2242. Ici se pose une question, parce que nous serons parfaitement un dans la
Patrie oů il ne sera plus temps de croire ; il ne convient donc pas
qu'aprčs avoir demandé l'unité il ajoute : AFIN QUE LE MONDE CROIE QUE C'EST
TOI QUI M'AS ENVOYÉ. Mais il faut dire qu'ici il ne parle pas d'une unité
pleinement achevée (consummata), mais d'une unité déjŕ commencée (inchoata).
1. Rm 12, 5. Voir vol. I, n° 961, note 2.
2. Ep 4, 3-5.
3. Cf. saint Hilaire, La Trinité, VIII,
5, SC 448, p. 385-387.
4. Au
sujet du lien entre le Pčre et le Fils dans la Trčs Sainte Trinité, voir
ci-dessus, n° 1970, n" 1971 et note 9.
5. La
Trinité, IV, IX, 12, BA 15, p. 371-373.
6. Cf. Somme
théol., IIII, q. 23, a. 1, oů saint Thomas explique que la charité est
comme une amitié. Mais la charité de l'homme demeure créée et limitée, et n'est
qu'une participation ŕ celle de Dieu qui est infinie. Aussi la similitude
porte-t-elle sur le fait que Dieu donne ŕ l'homme de participer ŕ sa béatitude.
7. La
Trinité, VIII, 11, 20-23, SC 448, p. 393.
8. Ep 5, 1-2. Voir vol. I, n° 1376, note 5.
9. Mt 5,
48. Voir aussi vol. I, n° 1376, note 5.
10. Jn 13, 35.
11. Cf. 1 Co 14, 33. Voir saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXII, 2, PG
59, col. 444.
2243. Il y a encore une autre question1 parce que lui-męme prie pour que soient un
ceux qui croient en lui : donc le monde qui croit est un. Comment donc
ajoute-t-il, aprčs avoir dit qu'ils sont un, AFIN QUE LE MONDE CROIE ?
Ŕ cela on peut répondre, au sens
mystique2, qu'en un premier sens le Seigneur
demande pour tous les croyants qu'ils soient un : cependant tous ne croiraient
pas en męme temps, mais certains par lesquels les autres devaient ętre
convertis croiraient avant eux. Et donc, AFIN QUE LE MONDE CROIE se comprend de
ceux qui n'ont pas cru dčs le commencement, et qui quand ils ont cru sont
devenus un, et de męme les autres qui ont cru aprčs eux, et ainsi jusqu'ŕ la
fin du monde.
En un autre sens, selon Hilaire3, AFIN QUE LE MONDE CROIE signifie la fin de l'unité et de la
perfection. Comme s'il disait : Rends-les parfaits pour qu'ainsi ILS SOIENT UN,
c'est-ŕ-dire AFIN QUE LE MONDE CROIE que c'est toi qui m'as envoyé. Alors le
AFIN QUE (ut) marque la cause finale.
En un troisičme sens, selon Augustin4, on peut dire que AFIN QUE LE MONDE CROIE serait une autre demande, et
alors il faut que soit répété : Ť Je te demande ť, comme s'il disait
: Je te demande QU'ILS SOIENT UN et je te demande QUE LE MONDE CROIE.
II
2244. Ce que le Christ a réalisé en vue de cette unité, il l'ajoute en disant : ET
MOI, LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE, JE LA LEUR AI DONNÉE, comme si ce qu'il demande en tant qu'homme, il le
réalise comme Dieu.
Et d'abord il montre qu'il a lui-męme
uvré pour QU'ILS SOIENT UN ; puis il expose le mode de cette unité et son
ordre [n° 2247] ; enfin il montre la fin de l'unité [n° 2249].
ET MOI,
LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE, JE LA LEUR AI DONNÉE, AFIN QU'ILS SOIENT UN COMME
NOUS AUSSI SOMMES UN. (17, 22)
2245. Il dit donc : Męme si en tant qu'homme je demande leur perfection,
cependant c'est conjointement avec toi que je fais cela, parce que moi aussi LA
GLOIRE, celle de la Résurrection, QUE toi, Pčre, TU M'AS DONNÉE par une
prédestination éternelle et que tu vas me donner bientôt en réalité, JE LA LEUR
AI DONNÉE, c'est-ŕ-dire aux disciples. Et cette gloire est l'immortalité que
recevront les fidčles ŕ la résurrection, aussi quant ŕ leur corps5 - Il transfigurera notre corps de misčre
pour le conformer ŕ son corps de gloire6. - On est semé dans lignominie,
on ressuscitera dans la gloire1.
Et cela AFIN QU'ILS SOIENT UN, parce
que du fait qu'ils seront glorieux dans leur corps, ils seront faits un COMME
NOUS AUSSI SOMMES UN.
1. Saint
Thomas reprend ici une interrogation de saint Augustin (voir ci-dessous n°
2243, note 4).
2. Sur le
sens du mot mystice-, voir ci-dessus, n° 1594, note 10.
3. La
Trinité, VIII, 12, 8-11, SC 448, p. 395.
4. Tract, in Io., CX, 2, BA 75, p. 153.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CX, 3, BA 75, p. 155.
6. Ph 3,
21. Voir vol. I, n° 791. Saint Thomas commente : Ť Le corps du Christ est
certes glorifié par la gloire de sa divinité, et cela il l'a mérité par sa
Passion ; quiconque donc participe ŕ la puissance de la divinité par la
grâce et imite la Passion du Christ sera glorifié - Le
vainqueur, je lui donnerai de siéger avec moi sur mon trône, comme moi j'ai
vaincu et je sičge avec mon Pčre sur son trône (Ap 3, 21). - Nous serons
semblables ŕ lui (1 Jn 3, 2). -Alors les justes resplendiront comme le
soleil dans le royaume de leur Pčre (Mt 13, 43) ť (Ad Phi1. lect., III,
n° 145).
7. 1 Co
15, 43.
2246. Mais il semble distinguer son uvre de l'uvre du Pčre en disant que le
Pčre lui a donné la gloire et que lui, le Christ, l'a donnée aux croyants. Mais
si on le comprend bien, il ne dit pas cela pour distinguer l'opération, mais
les personnes. Car le Fils en tant que Fils, conjointement au Pčre, donne la
gloire au Christ homme, et la donne aussi avec lui aux croyants. Cependant
c'est spécialement par son humanité qu'il leur accorde cette gloire. C'est
pourquoi il attribue ŕ lui-męme celle-ci, et celle-lŕ au Pčre. Et c'est ainsi
qu'on comprend ici la gloire, selon Augustin1.
Ou bien, selon Chrysostome2, LA GLOIRE, la gloire de la grâce, QUE TU M'AS DONNÉE ŕ moi comme
homme, c'est-ŕ-dire quant ŕ la connaissance parfaite, la perfection et
l'accomplissement des miracles, JE LA LEUR AI DONNÉE en partie et je la leur
donnerai encore plus parfaitement - Nous sommes transformés de gloire en
gloire3. - Il a donné des dons aux hommes4. Et cela AFIN QU'ILS SOIENT UN COMME NOUS AUSSI SOMMES UN. En effet,
la finalité des dons divins est que nous soyons unis dans cette unité qui est
conforme ŕ l'unité du Pčre et du Fils.
MOI EN
EUX ET TOI EN MOI (17, 23)
2247. L'ordre de l'unité est donc donné. Car c'est par cet ordre qu'ils
parviennent ŕ l'unité, parce qu'ils voient que, par la grâce, moi je suis en
eux comme en un temple - Ne savez-vous pas que vous ętes le temple de Dieu
et que l'Esprit de Dieu habite en vous ?5 Cette grâce est comme une certaine similitude6 de l'essence divine, par laquelle tu es en moi par l'unité de nature -
Moi je suis dans le Pčre et le Pčre est en moi7. Et cela pour qu'ils soient consommés -
c'est-ŕ-dire parfaits - dans l'unité.
1. Loc. cit.
2. In Ioannem hom., LXXXII, 2, PG 59, col. 444.
3. 2 Co
3, 18. Saint Thomas commente : Ť Chez les disciples du Christ on distingue
trois degrés de connaissance. Le premier : de la gloire de la connaissance
naturelle ŕ la gloire de la connaissance de la foi. Le second : de la gloire de
la connaissance de l'Ancien Testament ŕ la gloire de la connaissance de la
grâce du Nouveau Testament. Le troisičme : de la gloire de la connaissance
naturelle et de l'Ancien et du Nouveau Testament ŕ la gloire de la vision éternelle ť
{Ad 2 Cor. lect., III, n° 115).
4. Ps 67,
19.
Mais remarque : alors qu'il avait dit
auparavant : AFIN QU'ILS SOIENT UN, ici il ajoute : POUR QU'ILS SOIENT
CONSOMMÉS. La premičre proposition se rapporte ŕ l'unité de la grâce, mais la
seconde ŕ l'unité de la gloire ; la premičre au commencement, la seconde ŕ
l'achčvement. Ou encore, selon Hilaire : MOI EN EUX, sous-entendu : je suis en
eux par l'unité de la nature humaine que j'ai en commun avec eux, et encore
parce que je leur donne mon corps en nourriture sacramentelle, ET TOI EN MOI
par l'unité d'essence8.
2248. Mais aprčs avoir d'abord exposé que, par la grâce, non seulement le
Fils est en eux, mais aussi le Pčre - Nous viendrons ŕ lui et nous ferons
chez lui notre demeure9 -, pourquoi dit-il : MOI EN EUX sans
mentionner le Pčre ? Réponse : il faut dire, selon Augustin10, qu'il ne dit pas cela dans l'intention de montrer que le Fils est en
eux sans le Pčre, mais pour montrer que c'est par le Fils qu'ils ont accčs
auprčs du Pčre - Ayant reçu de la foi notre justification, nous sommes en
paix avec Dieu par Notre-Seigneur Jésus Christ, lui
qui nous a donné d'avoir accčs par la foi ŕ cette grâce1.
5. 1 Co
3, 16. Saint Thomas commente : Ť II faut considérer que Dieu est en toutes
créatures par son essence, par sa puissance et par sa présence, emplissant
toutes choses de ses bontés - Moi j'emplis le ciel et la terre (Jr 23,
24). Mais spirituellement on dit que Dieu habite comme en une demeure familičre
en ses saints dont l'esprit, par la connaissance et l'amour, est capable de
Dieu męme s'ils ne l'aiment et ne le connaissent pas en acte, pourvu qu'ils
aient par la grâce les vertus de foi et de charité comme les enfants baptisés. Mais
la connaissance sans l'amour ne suffit pas ŕ l'inhabitation de Dieu - Celui
qui demeure dans la chanté demeure en Dieu et Dieu en lui (1 Jn 4,
16). De lŕ vient que beaucoup connaissent Dieu soit par une connaissance
naturelle soit par une foi informe, en qui cependant l'Esprit de Dieu n'habite
pas ť (Ad 1 Cor. lect., III, n° 173). Sur l'inhabitation de
l'Esprit Saint, voir aussi Contra Gentiles, IV, 21.
6. Voir Somme
théol, I-II, q. 110, a. 3, c.
7. Jn 14,
10.
8. La
Trinité, VIII, 15, SC 448, p. 401.
9. Jn 14, 23.
10. Tract, in Io., CX, 4, BA 75, p. 159.
Ou bien, selon Chrysostome2, plus haut il a dit nous viendrons ŕ lui3 pour montrer la pluralité des personnes
divines, contre Sabellius ; mais ici il dit MOI EN EUX pour montrer
l'égalité du Pčre et du Fils contre Arius. Par cela en effet, il nous est donné
ŕ entendre que le fait que le Fils seul habite en eux suffit aux croyants,
puisque du fait qu'il habite en eux, le Pčre lui-męme habite en eux.
POUR
QU'ILS SOIENT CONSOMMÉS DANS L'UNITÉ, ET QUE LE MONDE CONNAISSE QUE C'EST TOI
QUI M'AS ENVOYÉ, ET QUE TU LES AS AIMÉS COMME TU M'AS AIMÉ. (17, 23)
2249. Ici est donnée la finalité de l'unité. Et si l'union consommée se
rapporte ŕ l'achčvement du chemin, alors QUE LE MONDE CONNAISSE signifie la
męme chose que ce qu'il a dit auparavant - Que le monde croie4. Mais croie, il l'a dit alors parce
qu'il s'agit d'un commencement, alors qu'ici il dit : CONNAISSE parce que ce
qui suit une connaissance imparfaite, ce n'est pas la foi mais une connaissance
pléničre5.
Et il dit : pour QUE LE MONDE
CONNAISSE, non pas ce que le monde est maintenant, mais ce que le monde a
été ; le sens est donc : QUE LE MONDE - qui était déjŕ croyant6 - CONNAISSE. Ou bien QUE LE MONDE - c'est-ŕ-dire ceux qui aiment le
monde7 - CONNAISSE QUE C'EST TOI QUI M'AS
ENVOYÉ ; parce qu'alors les méchants, par des signes manifestes,
connaîtront que le Christ est le Fils de Dieu - Tout il le verra8. - Ils regarderont celui qu'ils ont
transpercé9. - Ils verront le Fils de l'homme
venant avec grande puissance et majesté sur les nuées du ciel10.
1. Rm 5, 1.
2. In Ioannem hom., LXXXII, 2, PG 59, col. 444.
3. Jn 14, 23.
4. Jn 17, 21.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CX, 4, BA 75, p. 161. Sur la
connaissance de la gloire qui remplacera celle de la route, voir ci-dessus, n°
2203, et n° 2139 et note 11. Voir aussi Somme théol, II-II, q. 2, a. 3,
c, oů saint Thomas montre que la foi est l'école de la vision béatifique :
Ť L'homme n'entre pas tout d'un coup dans un enseignement de cette sorte :
il y entre progressivement, suivant en cela la maničre męme de sa nature. Ŕ
cette vision il est sűr que l'homme ne peut parvenir s'il ne se met ŕ apprendre
ŕ l'école męme de Dieu, selon qu'il est dit en saint Jean (Jn 6, 45) : Quiconque
pręte l'oreille au Pčre et a reçu son enseignement vient ŕ moi. De lŕ
vient que pour ętre en état de parvenir ŕ la vision parfaite qu'on a dans la
béatitude, l'homme doit auparavant croire ŕ Dieu comme un disciple au maître
qui l'enseigne. ť
6. Saint
Thomas fait ici allusion ŕ la foi d'Abraham et de ses descendants : Abraham
crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice (Gn 15, 6).
2250. Et non seulement pour QUE LE MONDE CONNAISSE cela, mais qu'il connaisse
aussi la gloire des saints, parce que TU LES AS AIMÉS, les croyants. En effet,
ŕ présent nous ne pouvons pas connaître combien est grand l'amour de Dieu pour
nous, parce que les biens que Dieu nous donne, excédant notre désir et notre
appétit, ne peuvent tomber dans notre cur - L'il n'a pas vu3 l'oreille n'a pas entendu,
et n'est pas monté au cur de l'homme ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment11. Et c'est pourquoi le monde croyant,
c'est-ŕ-dire les saints, connaîtront par expérience combien il nous aime ;
mais ceux qui aiment le monde, c'est-ŕ-dire les méchants, le connaîtront en
voyant cela et en admirant la gloire des saints - Ceux que, ŕ un moment
donné, nous avons tournés en dérision et dont nous avons fait un objet
d'outrage (...), comment ont-ils été comptés entre les fils de Dieu,
comment partagent-ils le sort des saints ?12
2251. Mais il dit : COMME TU M'AS AIMÉ, ce qui n'implique pas l'égalité de
l'amour mais sa raison (ratio) et une similitude (similitudo) dans
l'amour. Comme s'il disait : l'amour dont tu m'as aimé est la raison (ratio)
et la cause (causa) de pourquoi tu les as aimés 1 ; car du fait que tu m'aimes, tu aimes ceux qui m'aiment
et mes membres2 - Le Pčre lui-męme vous aime parce
que vous m'avez aimé3.
7. Sur
les deux sens du mot Ť monde ť, voir ci-dessus, n° 2032, note 4.
8. Ap 1,
7.
9. Jn 19,
37.
10. Lc
21, 27.
11. 1 Co
2, 9.
12. Sg5,
3 et 5.
Mais il faut savoir que Dieu aime toutes les réalités qu'il a faites, en leur donnant l'ętre 4 - Tu ne hais rien de ce que tu as fait, car si tu avais haď quelque chose tu ne l'aurais pas fait5. Et plus que tout il aime son Fils unique, ŕ qui il a donné toute sa propre nature par la génération éternelle. Quant aux membres de son Fils unique, ceux qui croient au Christ, c'est selon un mode intermédiaire qu'il les aime en leur donnant la grâce par laquelle le Christ habite en nous - II a aimé les peuples : tous les saints sont dans sa main6.
PERE,
CEUX QUE TU M'AS DONNES, JE VEUX QUE LŔ OŮ JE SUIS, EUX AUSSI SOIENT AVEC MOI,
AFIN QU'ILS VOIENT LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE PARCE QUE TU M'AS AIMÉ AVANT LA
FONDATION DU MONDE. (17, 24)
2252. Plus haut le Seigneur a demandé pour ses disciples la perfection de
l'unité [n° 2232], ŕ présent il demande pour eux la gloire de la vision.
D'abord il précise les personnes pour lesquelles il fait cette demande, ensuite
il expose sa maničre de demander [n° 2254], enfin ce qu'il demande [n° 2255].
PČRE,
CEUX QUE TU M'AS DONNÉS
2253. Il demande pour ceux qui lui ont été donnés. Il faut savoir qu'est dit
Ť donné ŕ quelqu'un ť ce qui est soumis ŕ sa volonté, c'est-ŕ-dire
pour qu'il en fasse ce qu'il veut. Or la volonté du Christ est double : de
miséricorde et de justice. Mais la volonté de miséricorde lui appartient en
premier lieu et par elle-męme, parce que sa miséricorde s'étend ŕ toutes ses uvres7 - II veut que tous les hommes soient
sauvés8 ; quant ŕ la volonté de justice de celui qui
punit, elle ne lui appartient pas de maničre premičre, mais présuppose le péché
- Dieu en
effet ne se réjouit pas de la perdition des hommes9. - Je ne veux pas la mort du pécheur10, cela est vrai en soi, mais cependant il la veut par voie de conséquence
ŕ cause du péché.
1. Saint
Thomas rappelle ici que la raison, qui est dans la réalité ce qu'il y a
d'intelligible, renvoie ŕ la cause de la réalité, et surtout ŕ sa cause finale
(le pourquoi de la réalité). Ainsi c'est l'amour du Pčre pour le Fils qui est
la raison de l'amour du Pčre pour chacun de nous. Sur le sens du mot ratio, voir
vol. I, Préface, p. 18, note 4.
2. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CX, 5, BA 75, p. 165.
3. Jn 16,
27.
4. Dieu
crée par pur amour et par gratuité. Aucune existence autreque lui n'est
nécessaire. Nous dépendons tous dans notre ętre de l'Ętre premier, et cette
dépendance actuelle est une dépendance dans l'amour qui respecte cependant
pleinement notre liberté. Nous restons libres, par nos opérations, de dire oui
ŕ Dieu qui nous a créés.
5. Sg 11,
25.
6. Dt 33,
3.
Tous les hommes ont donc été donnés au Fils. Tu lui as donné puissance
sur toute chair11, c'est-ŕ-dire sur tout homme, pour
qu'il réalise en eux sa volonté, soit de miséricorde pour sauver, soit de
justice pour punir - Il est
en effet le juge établi par Dieu pour les vivants et les morts 12.
Mais ceux qui lui ont été donnés au
sens absolu sont ceux qui lui ont été donnés pour qu'il réalise en eux sa
volonté de miséricorde en vue du salut ; aussi dit-il de ceux-ci : CEUX
QUE TU M'AS DONNÉS dans ta prédestination, de toute éternité - Me voici, moi et les enfants que le
Seigneur m'a donnés13.
7. Ps
144, 9.
8. 1 Tm
2, 4.
9. Sg 1,
13.
10. Cette
citation est un mélange des versets 23 et 32 du chapitre 18 d'Ézéchie1.
11. Jn
17, 2.
12. Ac
10, 42.
13. Is 8,
18 repris par He 2, 13.
JE VEUX
QUE LA OU JE SUIS
2254. Sa maničre de demander est indiquée quand il dit : JE VEUX, ce qui peut
désigner soit son autorité, soit son mérite. L'autorité, si nous l'entendons de
sa volonté qui, en tant qu'il est Dieu, est la męme volonté que celle du
Pčre ; car c'est par sa volonté qu'il justifie et sauve les hommes - II fait miséricorde ŕ qui
il veut1. Et le mérite si nous l'entendons de sa volonté en tant qu'il est homme,
volonté qui nous mérite le salut. En effet, si les volontés des justes qui sont
les membres du Christ ont le mérite d'obtenir - Tout ce que vous demanderez vous sera accordé2 -, combien plus la volonté du Christ homme, qui est la Tęte de
tous les saints.
PČRE,
CEUX QUE TU M'AS DONNES, JE VEUX QUE LŔ OŮ JE SUIS, EUX AUSSI SOIENT AVEC MOI,
AFIN QU'ILS VOIENT LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE PARCE QUE TU M'AS AIMÉ AVANT LA
FONDATION DU MONDE.
2255. Ici il ajoute ce qu'il demande. Il demande d'abord l'union des membres
ŕ la Tęte, puis la manifestation de sa gloire ŕ ses membres [n° 2259].
CEUX
QUE TU M'AS DONNÉS, JE VEUX QUE LŔ OŮ JE SUIS, EUX AUSSI SOIENT AVEC MOI.
2256. Cela peut s'entendre de deux maničres. En un sens cela se rapporterait
au Christ homme. Car le Christ en tant qu'homme allait bientôt monter au ciel -
Je monte vers
mon Pčre et votre Pčre3'.
Cela signifie alors : Je veux que dans le
ciel, oů moi je serai bientôt, ceux-ci aussi - c'est-ŕ-dire les croyants -
soient avec moi, męme quant
au lieu - Oů il y aura un corps, lŕ se rassembleront aussi les aigles
4, c'est-ŕ-dire les saints5. En effet, c'est ce qu'il avait
promis - Réjouissez-vous,
exultez, parce que votre récompense est abondante dans le ciel6.
2257. Mais un doute subsiste parce que, puisqu'il n'était pas encore au ciel,
il aurait dű dire : Ť oů moi je serai ť, et non pas LŔ OŮ JE SUIS. De
męme, pourquoi a-t-il dit plus haut : Et personne n'est
monté au ciel si ce n'est celui qui est descendu du ciel7 ?
Ŕ la premičre objection, il faut
répondre que le Christ qui parlait était ŕ la fois Dieu et homme, et c'est
pourquoi, bien qu'il ne fut pas au ciel selon son humanité, il y était
cependant selon sa divinité, si bien qu'ainsi, tout en étant sur terre, il
était au ciel ; et c'est pourquoi il dit : LŔ OŮ JE SUIS. Ŕ la seconde, il
faut répondre que ce qu'il dit plus haut - Personne
n'est descendu du ciel sinon le Fils de l'homme qui descend du ciel8 -se comprend parce qu'il est au ciel
selon sa divinité, qu'il en descend en assumant une nature humaine et qu'il y
monte selon cette nature humaine désormais glorifiée. Et ainsi, pourvu que nous
soyons avec lui nous sommes déjŕ un. Il est donc venu seul, lui-męme, en descendant du ciel, et il
y est aussi retourné seul en montant pour nous au ciel, selon Grégoire1.
1. Rm 9,
18.
2. Jn 15,
7.
3. Jn20,
17.
4. Mt 24,
28. Saint Thomas commente : Ť II ne dit pas les vautours ou les corbeaux,
mais les aigles, qui désignent les saints - Ils déploient leurs
ailes comme des aigles, ils voleront et ne s'épuiseront pas (Is 40,
31). Ainsi, comme le dit Jérôme, partout oů sera fait mémoire de la Passion du
Christ, les saints doivent ętre rassemblés par la mémoire continuelle de sa
Passion - Rappelez-vous ces premiers jours oů, aprčs avoir
été illuminés, vous avez soutenu un grand assaut de souffrances (He 10,
32) ť (Sup. Matth. lect., XXIV, n° 1955). Dans la Somme
théologique, saint Thomas voit dans cette image la présence corporelle du
Christ, promise ŕ ses amis, et que le mystčre de l'Eucharistie prépare :
Ť Et puisque, selon Aristote, le propre de l'amitié est que l'on partage
la vie de ses amis (Éthique ŕ Nicomaque, IX, 12), il nous a promis pour
récompense sa présence corporelle - Oů il y aura un corps, lŕ se
rassembleront aussi les aigles. En attendant toutefois, il ne
nous a pas privés de sa présence corporelle pour le temps de notre pčlerinage,
mais, par la vérité de son corps et de son sang, il nous unit ŕ lui dans ce
sacrement - Qui mange ma chair et boit mon sang,
demeure en moi et moi en lui (Jn 6, 57) ť (III, q. 75, a. 1, a). Voir
aussi vol. I, n° 1558, note 10.
5. Voir
ci-dessus, nc 1804, note 3.
6. Mt 5,
12 ; Lc 6, 23.
7. Jn3,
13
8. Pour
comprendre ce verset qui n'est pas littéral, voir Jn 3, 13 Et
personne n'est monté au ciel, si ce n'est celui qui est descendu du ciel, le
Fils de l'homme qui est au cie1. Jn 6, 33 Car le vrai pain [de
Dieu] est celui qui descend du ciel et donne la vie au monde. Et Jn 6, 38
Parce que je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la
volonté de celui qui m'a envoyé.
Et s'il dit JE SUIS, en mettant un
présent au lieu du futur, c'est soit parce qu'il devait y ętre bientôt, soit
parce que cela se rapporte au Christ Dieu.
2258. Mais alors, dans ce cas, puisque Dieu est partout - Moi j'emplis le
ciel et la terre2 -, les saints, semble-t-il, seront
aussi partout.
Ŕ ce sujet il faut dire que Dieu est
pour nous comme ce que la lumičre est pour les hommes. Or la lumičre se diffuse
partout grâce au soleil qui est au-dessus de la terre. Et la lumičre a beau
ętre avec les hommes, tous cependant ne sont pas dans la lumičre du soleil,
mais seulement ceux qui la voient. Ainsi donc, puisque Dieu est partout, il est
avec tous en tous lieux ; cependant tous ne sont pas avec Dieu, si ce
n'est ceux qui lui sont unis par la foi et l'amour et qui seront finalement
unis ŕ lui dans la jouissance parfaite3 - Et moi je suis toujours avec
toi4. Ainsi nous serons toujours avec
le Seigneur5.
Le sens est donc : CEUX QUE TU M'AS
DONNÉS, JE VEUX QUE LŔ OŮ JE SUIS, en ta divinité que j'ai par nature, EUX
AUSSI SOIENT AVEC MOI, par la participation de la grâce - II a donné pouvoir
de devenir enfants de Dieu 6. - Qui demeure dans l'amour
demeure en Dieu et Dieu en lui7.
AFIN
QU'ILS VOIENT LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE PARCE QUE TU M'AS AIMÉ AVANT LA
FONDATION DU MONDE. (17, 24)
1. Moralium
libri, XXVII, 15, 30, PL 76, col. 416 C.
2. Jr 23,
24.
3. Ť De
męme que l'aveugle qui est ŕ la lumičre n'est pas cependant lui-męme avec la
lumičre, mais absent ŕ sa présence, de męme l'incrédule et l'impie, et męme
l'homme fidčle et religieux mais qui n'est pas encore capable de regarder la
lumičre de la Sagesse, n'est pas lui-męme avec le Christ, du moins par la
vision, alors męme qu'il ne peut ętre nulle part oů ne soit pas aussi le
Christ ť (saint Augustin, Tract,
in Io., CXI, 2, BA 75, p. 187-189).
4. Ps 72,
23.
5. 1 Th
4, 16.
6. In 1,
12.
7. 1 In
4, 16.
2259. Il expose ensuite la manifestation de la gloire ŕ ses membres. D'abord
il présente la demande, puis il montre l'origine de la gloire [n° 2261], et
enfin il donne le sens (ratio) de cette gloire [n° 2262].
AFIN
QU'ILS VOIENT LA GLOIRE
2260. Il dit donc : JE VEUX, non seulement qu'ils soient avec moi, mais
QU'ILS VOIENT, ŕ savoir dans la vision béatifique - Quand il apparaîtra,
nous serons semblables ŕ lui parce que nous le verrons tel qu'il est8 -, LA GLOIRE QUE TU M'AS DONNÉE, ce qui peut
s'entendre de sa gloire selon son humanité, celle dont il a été illuminé dans
la Résurrection - Il transfigurera notre corps de misčre pour le
conformer ŕ son corps de gloire9 -, ou de sa gloire selon sa
divinité. Il est en effet la splendeur de la gloire et la figure de la
substance du Pčre10, sa blancheur est celle de la
lumičre éternelle 11.
Et les saints dans
la gloire verront l'une et l'autre gloire. Car il est dit de la premičre : Ils
verront le roi dans sa beauté 12. Mais celle-lŕ, les impies la
verront seulement lors du jugement - Alors ils verront le Fils de l'homme
venant avec puissance et majesté13.
Et Marc dit : Venant
dans la gloire14, c'est-ŕ-dire dans la clarté (in
claritate15). Mais la vision de cette gloire leur sera
retirée aprčs le jugement, selon une autre parole : Que l'impie soit enlevé
pour qu'il ne voie pas la gloire de Dieu 16. Mais la seconde gloire, celle de sa
divinité, les saints la verront pour toujours - Dans ta lumičre, celle
de la grâce, nous verrons la lumičre1, celle de la gloire, que les mauvais
ne verront jamais. - Dans ses mains^ c'est-ŕ-dire aux orgueilleux, il
cache la lumičre, (...) et il annonce ŕ son ami que la lumičre est son partage2.
8. 1 Jn 3, 2.
9. Ph 3, 21.
10. He 1, 3.
l1. Sg 7, 26.
12. Is 33, 17. Voir vol. I, n" 1393, note 2.
13. Lc
21, 27.
14. Mc
13, 26.
15. Sur
la distinction entre gloria et claritas, voir vol. I, n"
1278, notes 3 et 4.
16. Is
26, 10.
QUE TU
M'AS DONNÉE
2261. L'origine de cette gloire vient du Pčre ; c'est pourquoi il dit :
QUE TU M'AS DONNÉE. Il lui a donné la gloire du corps dans la Résurrection,
mais parce que cela était déjŕ accompli dans l'ordonnance [de la sagesse]
divine, bien que ce fűt encore ŕ venir dans la réalité, il dit : TU M'AS DONNÉE
- Tu l'as couronné de gloire et d'honneur3. Mais il lui a donné la gloire divine de toute éternité, parce que de
toute éternité le Fils provient du Pčre comme la splendeur provient de la
lumičre.
PARCE
QUE TU M'AS AIMÉ AVANT LA FONDATION DU MONDE.
2262. Il donne ensuite le sens (ratio) de la gloire qui lui fut
donnée. Et si cela se rapporte au Christ homme, le PARCE QUE indique alors la
cause. En effet, de męme que l'amour et la prédestination éternelle sont cause
de ce que nous avons ŕ présent la splendeur de la grâce et plus tard celle de
la gloire jusque dans notre corps - Il nous a élus en lui dčs avant la création du
monde4 -, de męme aussi ils sont cause de la
gloire du Christ en tant qu'il est homme - Qui a été prédestiné Fils de Dieu dans la puissance5.
Cela signifie donc : Je dis que tu
m'as donné la gloire, et ceci PARCE QUE TU M'AS AIMÉ, c'est-ŕ-dire parce que
dans ton amour tu m'as prédestiné, et cela AVANT LA FONDATION DU MONDE, pour
que cet homme soit uni au Fils de Dieu dans la personne - Heureux ton élu,
ton familier, il demeure en tes parvis 6.
Mais si cela se rapporte au Christ en tant qu'il est Dieu, le PARCE QUE indique alors un signe. En effet, ce n'est pas parce qu'il l'a aimé qu'il lui a donné la gloire, car dans le don que le Pčre a fait au Fils est désignée la génération éternelle. Or l'amour, si on le prend essentiellement (essentialiter), implique la volonté divine ; alors que si on regarde la notion (notionaliter7), c'est la notion de l'Esprit Saint qui est signifiée. Mais le Pčre a donné la gloire ŕ son Fils par nature et non par sa volonté, parce qu'il l'a engendré par nature ; ce n'est donc pas non plus parce qu'il a spire l'Esprit Saint qu'il a donné la gloire au Fils8.
2263. Ici, l'Évangéliste donne la raison pour laquelle sa demande est exaucée. Plus
haut9 le Seigneur a inclus dans sa demande
męme ceux qui allaient croire - Ce n'est pas seulement pour eux que je prie,
mais aussi pour ceux qui, par leurs paroles, croiront en moi10 -, et il a exclu le inonde et les incroyants ; c'est pourquoi il
a dit : Moi je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde1. Il en donne donc la raison, en montrant
d'abord le défaut du monde puis le progrčs des disciples [n° 2666].
1. Ps 35,
10. Voir vol. I, n° 120 et note 6 ; n° 1145 et note 10.
2. Jb 36,
32-33 (propre ŕ la Vulgate). Voir vol. I, n° 103. Voir aussi ci-dessus, n°
1807, note 5.
3. Ps 8,
6.
4. Ep 1,
4.
5. Rm 1,
4. Voir vol. I, n° 1461, note 7.
6. Ps 64,
5.
7. Saint
Thomas distingue essentialiter et notionaliter pour signifier
d'une part ce qui appartient ŕ Dieu dans son essence et d'autre part ce qui
qualifie chaque personne de la Trčs Sainte Trinité. Ainsi on peut parler
d'actes notionnels, c'est-ŕ-dire propres au Pčre, au Fils, ŕ l'Esprit Saint. C'est
le propre du Pčre d'engendrer le Fils, par nature et non par volonté. Cf. Somme
théol, I, q. 41, a. 2.
8. Voir
vol. I, n" 545, oů saint Thomas montre combien le Pčre aime le Fils, et
que cet amour dont le Pčre aime le Fils est le signe que le Pčre a tout remis
dans sa main. Et saint Thomas précise déjŕ que le Pčre engendre le Fils par
nature et non par volonté. Ici il fait le lien avec la gloire. Sur les liens
entre le Pčre et le Fils, voir ci-dessus, n° 2181 et note 1, et n° 2240.
9. Voir
n° 2232.
10. Jn 17, 20.
PČRE
JUSTE, LE MONDE NE T'A PAS CONNU. (17, 25)
2264. Mais remarque que, quand il a demandé leur sanctification, il a appelé
le Pčre saint, c'est pourquoi il a dit : Pčre saint2 ; mais ŕ présent, demandant la rétribution, il
l'appelle JUSTE - Dieu le juge juste3. Par lŕ est exclue l'erreur des anciens affirmant qu'autre est le Dieu
juste, c'est-ŕ-dire celui de l'Ancien Testament, autre le Dieu bon, le Dieu du
Nouveau Testament.
Le défaut du monde concerne la
connaissance de Dieu. Aussi dit-il : LE MONDE, non pas le monde réconcilié mais
le monde damné, NE T'A PAS CONNU - Le monde a été fait par lui. Et le monde
ne lα pas connu4.
2265. Mais pourtant : Ce que lon connaît de Dieu est manifeste en eux, ce
qu'il a d'invisible depuis la création du monde se laisse voir ŕ
l'intelligence, ŕ travers ses uvres5.
Réponse. Disons qu'il y a deux
connaissances : l'une spéculative et l'autre affective6 ; et le monde n'a connu Dieu parfaitement ni par l'une, ni par
l'autre. En effet, bien que quelques-uns des Gentils l'aient connu selon ce que
la raison pouvait en connaître, cependant lui, en tant qu'il est Pčre du Fils
unique qui lui est consubstantiel, ils ne l'ont pas connu : et c'est de cette
connaissance que parle le Seigneur. Et de lŕ vient que l'Apôtre dit : ce que
l'on connaît7,
c'est-ŕ-dire ce qui peut ętre connu de Dieu. Mais męme s'ils connaissaient
quelque chose de Dieu par la connaissance spéculative [de la raison], leur
connaissance était souillée de nombreuses erreurs : tandis que certains8 l'évinçaient de la Providence sur toutes les réalités, d'autres
disaient qu'il est l'âme du monde9, d'autres1 honoraient en męme temps que lui
beaucoup d'autres dieux. Aussi dit-on qu'ils ignoraient Dieu. En effet, si on
peut en partie connaître et en partie ignorer les réalités composées, les
réalités simples cependant, tant qu'elles ne sont pas atteintes parfaitement,
sont ignorées. C'est pourquoi, męme si ceux-lŕ se trompaient trčs peu dans leur
connaissance de Dieu, on peut dire qu'ils l'ignoraient totalement. On peut donc
dire que ceux qui ne connaissent pas l'excellence singuličre de Dieu l'ignorent - Puisque, ayant
connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu comme ŕ un Dieu, gloire et action de
grâces ; mais ils se sont perdus dans leurs pensées et leur cur insensé
s'est obscurci2.
- N'étant pas attentifs ŕ ses uvres ils n'ont pas su quel en était l'artisan3. De maničre semblable, le monde ne l'a pas connu d'une connaissance
affective parce qu'il ne l'aime pas - Comme les peuples qui ignorent Dieu4. Il dit donc : LE MONDE NE T'A PAS CONNU sans
erreur et, en tant que Pčre, par l'amour.
1. Jn 17, 9.
2. Jn 17, 11.
3. Ps 7, 12.
4. Jn 1, 10.
5. Rm 1, 19-20. Voir ci-dessus, n° 2195, note 1.
6. Voir
ci-dessus, n° 1762, note 3. Saint Thomas semble évoquer ici la différence que
fait Aristote entre la connaissance spéculative (ou théorétique) et la
connaissance pratique, affective. Ť Ces deux puissances, l'intelligence et
le désir, sont donc principes du mouvement local - j'entends l'intelligence qui
raisonne en vue d'un but, c'est-ŕ-dire l'intelligence pratique : elle se
différencie de l'intelligence théorétique par sa fin ť (De Anima, III,
10, 433 a 13-15). Ť C'est d'une maničre droite que la philosophie est
appelée la science de la vérité. En effet, la fin de la connaissance
théorétique est la vérité, celle de la connaissance pratique est l'uvre ť
(Métaphysique, a, 1, 993 b 20-21). Dans lÉthique ŕ Nicomaque, Aristote
précise que cette recherche de vérité au niveau éthique est pratique et qu'elle
n'est pas lŕ pour permettre de connaître ce qu'est la vertu, mais pour aider ŕ
devenir vertueux (II, 2, 1103 b 26-29). La connaissance pratique est tout
ordonnée ŕ l'activité elle-męme. Par contre, la connaissance théorétique
dépasse l'uvre et est tout ordonnée ŕ la contemplation. Voir aussi Somme
thčoi, I, q. 79, a. 11, et q. 64, a. 1, c.
7. Rm 1,
19.
8. Saint
Thomas songe ici ŕ Démocrite et Épicure : Ť Certains penseurs ont nié
complčtement la Providence, comme Démocrite et les épicuriens ť (Somme théol.,
I, q. 22, a. 2, c). Voir également In octo libros Physicorum Ariswtelis
expositio, II, ch. IV, lectio VII, n° 203, et Contra Gentiles, II,
XXXIX. Ť Épicure affirme que Dieu est éternel et immortel et qu'il ne
prévoit rien, qu'il n'existe en un mot ni Providence, ni destin, mais que
toutes choses sont le produit du hasard ť (Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, in :
ÉPICURE, Doctrines et Maximes, p. 164, Hermann
éd. des sciences et des arts, Paris 1999). Ť Tout ce qui arrive est dű
soit ŕ la nécessité, soit ŕ la volonté, soit au hasard ť (Aetios, in : Épicure, Doctrines et Maximes, p. 141).
9. Platon parle de l'Âme du Monde : Ť II [le Dieu] installa l'intelligence dans l'âme, puis l'âme dans le corps, et construisit l'Univers de maničre ŕ réaliser ce qu'il peut y avoir dans la nature de plus beau et de plus excellent comme ouvrage. Ainsi donc, suivant un raisonnement vraisemblable, il faut dire que ce monde, vivant doué en vérité d'âme et d'intelligence, c'est par la providence de Dieu qu'il est devenu ť (Timée, 30 b, in : Platon, uvres complčtes, t. II, éd. Gallimard 1950, p. 446). Ť Pour ce qui est de l'âme, il la plaça au centre du monde, puis Tetendit ŕ travers toutes ses parties et męme en dehors, de sorte que le corps en fűt enveloppé ť (Timée, 34 b, op. cit., p. 449). Pour les premiers stoďciens également, comme Zenon, le monde est un grand vivant doué d'une Âme. Et de cette Âme du Tout, qui est Dieu, l'âme humaine est une parcelle (voir I ab Arnim, Stoicorum veterum fragmenta, I, 120 et 124).
MAIS
MOI JE T'AI CONNU, ET CEUX-CI ONT CONNU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ. JE LEUR
AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE, POUR QUE L'AMOUR DONT
TU M'AS AIMÉ SOIT EN EUX, ET MOI EN EUX. (17, 25-26)
2266. Il signifie ainsi le progrčs des disciples, d'abord quant ŕ la
connaissance, puis quant ŕ son fruit [n° 2270].
I
Quant au progrčs des disciples dans
la connaissance de Dieu, le Christ montre d'abord la racine et la source de la
connaissance de Dieu, puis les rameaux et les petits ruisseaux qui en découlent
[n° 2268], enfin le fait qu'ils en dérivent comme d'une racine ou d'une source
[n° 2269].
1. Il
s'agit, entre autres, des premiers penseurs grecs qui ont cherché ŕ découvrir
l'origine de l'univers et du monde des vivants. Hésiode, le premier, cherche la
vérité au sujet de l'origine des dieux : il fait remonter leur généalogie en
dernier lieu ŕ trois premiers : Ť Bien avant toutes choses fut le Chaos, /
Puis ensuite la Terre aux larges flancs (...) / Et l'Amour, qui brille entre
tous les immortels ť (Théogonie, 116-120, Les Belles Lettres, p. 36).
Citons aussi Parménide : Ť Aphrodite a créé l'Amour, le premier de tous
les dieux ť (Le Počme : Fragments, Fragment 13, Épiméthée, p. 230).
2. Rm 1,
21.
3. Sg 13,
1.
4. 1 Th
4, 5.
MAIS
MOI JE T'AI CONNU.
2267. La racine et la source de la connaissance de Dieu est le Verbe de Dieu,
c'est-ŕ-dire le Christ - La source de la sagesse est le Verbe de Dieu dans
les hauteurs5. Or la sagesse humaine consiste ŕ
connaître Dieu6. Et cette connaissance dérive du
Verbe vers les hommes, parce que c'est en tant que les hommes participent au
Verbe de Dieu qu'ils connaissent Dieu. Aussi dit-il : LE MONDE NE T'A PAS
CONNU, MAIS MOI, source de la sagesse, ton Verbe, JE T'AI CONNU, d'une
connaissance éternelle de compréhension7 -
Si je dis que je ne le connais pas, je serai semblable ŕ vous, un menteur8.
ET
CEUX-CI ONT CONNU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ.
2268. Et de cette connaissance du Verbe, qui est source et racine, découlent
comme ruisseaux et rameaux toutes les connaissances des croyants. Et c'est
pourquoi il dit : ET CEUX-CI ONT CONNU QUE C'EST TOI QUI M'AS ENVOYÉ ;
ainsi, QUE (QUIA, qui signifie Ť parce que ť) donne la raison
de cette connaissance, selon Augustin1. Le sens est alors : MAIS MOI JE
T'AI CONNU par nature, ET CEUX-CI ONT CONNU par la grâce. Et pourquoi ?
Parce que TU M'AS ENVOYÉ, ajoutons, pour qu'ils te connaissent - Je suis né
et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage ŕ la venté2. - J'ai manifesté ton nom aux hommes3.
5. Si 1,
5 (verset propre ŕ la Vulgate).
6. Voir Somme
théol., I, q. 1, a. 6, c, oů saint Thomas montre que Ť celui qui
considčre d'une maničre absolue la cause la plus élevée de tout l'univers, qui
est Dieu, est dit sage au plus haut point ť.
7. Sur la
science du Christ, voir Somme théol., III, q. 9, oů saint Thomas
distingue la science du Verbe, science de compréhension, de la science des
bienheureux que possédait le Christ.
8. Jn 8,
55.
Ou bien QUE désigne la réalité
connue, et le sens est alors : CEUX-CI ONT CONNU, mais quoi ? QUE C'EST
TOI QUI M'AS ENVOYÉ parce que celui qui voit le Fils voit aussi le Pčre4.
JE LEUR
AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE.
2269. Ce n'est pas d'eux-męmes qu'ils ont acquis cette connaissance, mais
c'est de moi qu'elle dérive sur eux, parce que personne ne connaît le Pčre
si ce n'est le Fils et celui ŕ qui le Fils aura voulu le révéler5. Aussi dit-il : JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON
NOM, ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE. Il désigne ici les deux connaissances
qu'ont par lui les fidčles : celle de la doctrine, et quant ŕ celle-ci il dit :
JE LEUR AI FAIT CONNAÎTRE TON NOM, en enseignant de l'extérieur par mes paroles
- Dieu, personne ne lα jamais vu ; le Fils unique qui est dans le
sein du Pčre, lui, l'a fait connaître6. - Ce salut inauguré par la
prédication du Seigneur nous a été garanti par ceux qui l'ont entendu7. L'autre connaissance se réalise de
l'intérieur, par l'Esprit Saint, et quant ŕ celle-lŕ il dit : ET JE LE LEUR
FERAI CONNAÎTRE, c'est-ŕ-dire par le don de l'Esprit Saint - Quand il
viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous enseignera la vérité tout entičre8.
Ou bien il dit : JE LEUR AI FAIT
CONNAÎTRE TON NOM par la connaissance de la foi, parce qu'ŕ présent nous
voyons dans un miroir par énigme, ET JE LE LEUR FERAI CONNAÎTRE par la
vision de la gloire dans la Patrie, oů nous verrons face ŕ face9.
II
2270. Le fruit de cette connaissance, c'est que L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ
SOIT EN EUX, ET MOI EN EUX.
Et cela peut ętre explicité de deux
maničres. En un sens, et c'est le meilleur, pour que soit manifesté, par la
gloire qu'il lui a donnée, que le Pčre aime le Fils 10, ce qui a été dit. Il s'ensuit donc que c'est pour que le Pčre aime
tous ceux en qui est le Fils, qui est en eux en tant qu'ils ont la connaissance
de la vérité. Et ainsi, cela signifie : JE LEUR FERAI CONNAÎTRE TON NOM, et, du
fait qu'ils te connaîtront, moi, ton Verbe, je serai en eux ; et, par le
fait que je suis en eux, QUE L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ SOIT EN EUX,
c'est-ŕ-dire leur soit donné et que tu les aimes comme tu m'as aimé.
Ou bien11, POUR QUE L'AMOUR DONT TU M'AS AIMÉ,
c'est-ŕ-dire, comme toi tu m'as aimé, qu'ainsi ils m'aiment par participation ŕ
l'Esprit Saint ; et de ce fait, moi je serai en eux comme Dieu dans son
Temple, et eux en moi comme les membres ŕ l'égard de la tęte - Celui qui
demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu en lui12.
1. Tract, in Io., CXI, 5, BA 75, p. 199.
2. Jn 18, 37.
3. Jn 17, 6.
4. Jn 14, 9.
5. Mt 11, 27. Voir plus haut, n° 2185, note 5.
6. Jn 1, 18.
7. He 2, 3.
8. Jn 16, 13.
9. 1 Co 13, 12. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXI, 6, BA 75, p. 199. Sur la
distinction entre connaissance de foi et connaissance de gloire, voir nos 2203 et 2249, et
aussi n° 2139, note 11.
10. Jn 3,
35 Le Pčre aime le Fils et il a tout remis dans sa main. Jn 5, 20 Car
le Pčre aime le Fils et lui montre tout ce quil fait.
11. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXI, 6, BA 75, p. 201-203.
12. 1 Jn
4, 16.
LA
RÉALISATION DU MYSTČRE DE LA PASSION
Évangile
selon saint Jean Chapitre XVIII
1 Ayant
dit cela, Jésus sortit avec ses disciples et traversa le torrent du Cedron. Lŕ
se trouvait un jardin, dans lequel il entra ainsi que ses disciples. 2 Or
Judas, qui le livrait, connaissait aussi le lieu, car Jésus s'y était
fréquemment retrouvé avec ses disciples. 3 Judas, donc, ayant pris une cohorte
et des gardes auprčs des grands prętres et des pharisiens, vint lŕ avec des
lanternes, des torches et des armes. 4 Alors Jésus, sachant tout ce qui allait
lui arriver, s'avança et leur dit : Ť Qui cherchez-vous ? ť 5
Ils lui répondirent : Ť Jésus le Nazaréen. ť Jésus leur dit : Ť C'est
moi. ť Or Judas, qui le livrait, se tenait aussi avec eux. 6 Quand donc il leur
eut dit : Ť C'est moi ť, ils reculčrent et tombčrent ŕ terre. 7 De
nouveau donc il les interrogea : Ť Qui cherchez-vous ? ť Ils lui
dirent : Ť Jésus le Nazaréen. ť 8Jésus répondit : Ť Je vous ai dit
que c'est moi. Si donc vous me cherchez, laissez aller ceux-ci ť, 9 pour
que soit accomplie la parole qu'il avait dite : Ť Ceux que tu m'as donnés,
je n'en ai perdu aucun. ť
10
Simon-Pierre, donc, ayant un glaive, le tira et frappa le serviteur du grand
prętre, et il lui trancha l'oreille droite. Or le nom du serviteur était
Malchus. n Jésus dit donc ŕ Pierre : Ť Remets le glaive au fourreau. La
coupe que le Pčre m'a donnée, tu ne veux pas que je la boive ? ť 12
La cohorte, le tribun et les gardes des Juifs s'emparčrent de Jésus et le
ligotčrent, 13 et ils l'amenčrent d'abord ŕ Anne. Il était en effet le
beau-pčre de Caďphe, qui était le grand prętre de cette année-lŕ. 14 Or c'était
Caďphe qui avait donné aux Juifs ce conseil : Ť Mieux vaut qu'un seul
homme meure pour le peuple. ť
15 Or
Simon-Pierre suivait Jésus, ainsi qu'un autre disciple. Ce disciple était connu
du grand prętre et il entra avec Jésus dans la cour du grand prętre, 16 alors
que Pierre se tenait au-dehors, ŕ la porte. L'autre disciple, celui qui était
connu du grand prętre, sortit donc et dit un mot ŕ la portičre, et il fit
entrer Pierre. 17 La servante qui gardait la porte dit donc ŕ Pierre :
Ť N'es-tu pas, toi aussi, des disciples de cet homme ? ť II dit
: Ť Je n'en suis pas. ť 18 Or les serviteurs et les gardes se tenaient
prčs des braises parce qu'il faisait froid, et ils se chauffaient. Pierre aussi
se tenait avec eux et se chauffait.
19 Le
grand prętre donc, interrogea Jésus au sujet de ses disciples et de son
enseignement. 20Jésus lui répondit : Ť Moi, j'ai parlé au monde
ouvertement ; j'ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple,
oů tous les Juifs se rassemblent, et je n'ai rien dit en secret. 21 Pourquoi
m'interroges-tu ? Interroge ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit :
c'est eux qui savent ce que moi j'ai dit. ť 22 Quand il eut dit cela, l'un des
serviteurs qui se tenait lŕ lui donna une gifle, en disant : Ť C'est ainsi
que tu réponds au grand prętre ? ť 23 Jésus lui dit : Ť Si j'ai
mal parlé, porte témoignage au sujet du ma1. Mais si j'ai bien parlé, pourquoi
me frappes-tu ? ť 24 Et Anne l'envoya, lié, au grand prętre Caďphe.
25 Or
Simon-Pierre se tenait lŕ et se chauffait. Ils lui dirent donc : Ť N'es-tu
pas, toi aussi, de ses disciples ? ť II nia et dit : Ť Je n'en
suis pas. ť 26 Un des serviteurs du grand prętre, parent de celui ŕ qui Pierre
avait coupé l'oreille, lui dit : Ť Ne t'ai-je pas vu dans le jardin avec
lui ? ť 27 De nouveau Pierre nia. Et aussitôt, un coq chanta.
28 Ils
amčnent donc Jésus de chez Caďphe au prétoire. Comme c'était le matin,
eux-męmes n'entrčrent pas dans le prétoire pour ne pas ętre souillés mais
pouvoir manger la Pâque. 29 Pilate sortit donc vers eux au-dehors et dit :
Ť Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? ť 30 Ils
répondirent et lui dirent : Ť Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te
l'aurions pas livré. ť 31 Pilate leur dit donc : Ť Prenez-le, vous, et
jugez-le selon votre Loi. ť Les Juifs lui dirent donc : Ť II ne nous est
pas permis de tuer quelqu'un ť, 32 pour que la parole de Jésus fut
accomplie, celle qu'il avait dite, signifiant de quelle mort il devait mourir.
33
Pilate entra donc de nouveau dans le prétoire, appela Jésus et lui dit :
Ť Es-tu le roi des Juifs ? ť 34 Jésus répondit : Ť Dis-tu
cela de toi-męme, ou bien d'autres te l'ont-ils dit de moi ? ť 35
Pilate répondit : Ť Est-ce que je suis Juif, moi ? Ton peuple et tes
grands prętres t'ont livré ŕ moi. Qu'as-tu fait ? ť 36 Jésus répondit
: Ť Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde,
mes serviteurs auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais
non, mon royaume n'est pas d'ici. ť 37 Alors Pilate lui dit : Ť Donc, tu
es roi ? ť Jésus répondit : Ť C'est toi qui dis que je suis roi.
Moi, je suis né et je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage ŕ
la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix. ť38 Pilate lui dit :
Ť Qu'est-ce que la vérité ? ť Et quand il eut dit cela, il
sortit de nouveau vers les Juifs et leur dit : Ť Moi, je ne trouve en lui
aucune cause [de condamnation]. 39 Mais c'est la coutume que, pour la Pâque, je
vous relâche un homme. Voulez-vous donc que je vous relâche le roi des
Juifs ? ť 40 Tous cričrent de nouveau en disant : Ť Pas lui,
mais Barabbas ! ť Or Barabbas était un brigand.
2271. Plus haut, avant la Passion, le Seigneur a préparé ses disciples en les
instruisant ŕ de multiples reprises par des exemples, en les confortant par des
paroles et en les faisant avancer par des recommandations ; ici,
l'Évangéliste en arrive ŕ raconter la Passion du Seigneur. D'abord il expose le
mystčre de la Passion, puis la gloire de la Résurrection au chapitre 20 [n°
2470]. Or la Passion du Christ a été accomplie (completa est) en partie
par les Juifs, en partie par les Gentils. D'abord, l'Évangéliste décrit la
Passion du Christ quant ŕ ce qu'il a souffert de la part des Juifs, puis quant
ŕ ce qu'il a souffert de la part des Gentils, au chapitre 19. Ŕ propos du
premier point, il montre d'abord comment le Seigneur est livré par un disciple,
puis comment il est présenté aux chefs du peuple par les serviteurs [n° 2294],
enfin, comment il est accusé par les chefs du peuple auprčs du gouverneur (praesidem)
[n° 2328].
Ŕ propos de la trahison du disciple, l'Évangéliste touche trois points : le lieu, puis les préparatifs [n° 2278], enfin, la prompte volonté d'amour du Christ d'endurer la trahison [n° 2279].
AYANT
DIT CELA, JÉSUS SORTIT AVEC SES DISCIPLES ET TRAVERSA LE TORRENT DU CEDRON. LŔ
SE TROUVAIT UN JARDIN, DANS LEQUEL IL ENTRA AINSI QUE SES DISCIPLES. OR JUDAS,
QUI LE LIVRAIT, CONNAISSAIT AUSSI LE LIEU, CAR JÉSUS S'Y ÉTAIT FRÉQUEMMENT
RETROUVÉ AVEC SES DISCIPLES. (18, 1-2)
Le lieu est montré comme convenant ŕ
la trahison sous trois aspects : il était éloigné de la ville, en lui-męme
caché et fermé, et connu du traître.
AYANT
DIT CELA
2272. Ce lieu était éloigné de la ville. Judas pouvait donc faire plus
facilement ce dont il avait l'intention. C'est pourquoi l'Évangéliste dit :
AYANT DIT CELA, ŕ savoir ce qu'il avait dit plus haut. Puisque les choses que
le Christ a dites relevaient de sa pričre, il eűt été plus convenable que
l'Évangéliste dise : Ť ayant prié cela ť. Mais il s'est exprimé ainsi
pour montrer que le Seigneur a fait cette pričre, non pas qu'elle lui fűt
nécessaire, parce que c'était lui-męme qui priait en tant qu'homme et qui
exauçait en tant que Dieu, mais pour notre instruction. C'est pourquoi elle
était comme un discours1
(dictio2).
JÉSUS
SORTIT AVEC SES DISCIPLES.
2273. Non pas aussitôt aprčs sa pričre, selon Augustin3, puisque d'autres choses racontées par les autres évangélistes et
omises par celui-ci sont intervenues, ŕ savoir qu'il y eut une dispute entre les disciples : qui,
d'entre eux, semblait ętre le plus grand ?4 Entre-temps aussi, Jésus a dit ŕ Pierre : Voici que Satan vous a
réclamés pour vous passer au crible comme le froment. Mais moi, j'ai prié pour
toi afin que ta foi ne défaille pas5, comme Luc le rapporte au męme
endroit. Les disciples ont aussi prié une hymne avec le Seigneur, comme le
rapportent Matthieu6 et Marc7. On ne doit donc pas comprendre ici
qu'il sortit aussitôt aprčs avoir dit cela, mais qu'il ne sortit pas avant de
l'avoir dit.
JÉSUS
SORTIT (...) ET TRAVERSA LE TORRENT DU CÉDRON.
2274. Mais Matthieu et Marc8 disent qu'ils sortirent vers le Mont
des Oliviers et qu'alors il s'arręta avec eux dans un domaine qu'on appelle
Gethsémani. En cela il n'y a aucune contradiction, du fait que c'est le męme
lieu que celui que mentionnent Jean et Matthieu. En effet, le torrent du Cédron
est au pied du Mont des Oliviers, oů se trouve aussi le domaine qu'on appelle
Gethsémani. En grec. Cédron est au génitif pluriel, autrement dit ils
traversent le torrent des Cčdres9. Peut-ętre y avait-il lŕ de nombreux
cčdres plantés ? Il convient au mystčre qu'il ail traversé le torrent,
parce que par celui-ci or désigne
sa Passion -Au torrent il s'abreuvera en chemin, c'est pourquoi il relčvera
la tęte10, II convient aussi que le Christ ait traversé
le torrent du Cédron, puisqu'on peut interpréter ce nom comme signifiant
l'ombre obscure11 et que le Christ, par sa Passion, s
supprimé l'obscurité du péché et de la Loi et ayant étendu les mains sur la
Croix, nous a protégés ŕ l'ombre de sa main - A l'ombre de tes ailes protčge-moi12.
LŔ SE
TROUVAIT UN JARDIN, DANS LEQUEL IL ENTRA AINSI QUE SES DISCIPLES.
2275. Ce lieu convenait ŕ la trahison, parce qu'il était clos. Et il
convenait que ce soit un jardin, parce que le Christ lui-męme satisfaisait pour
le péché du premier homme, qui avait été commis dans un jardin. En effet,
Ť paradis ť veut dire Ť jardin de délices 13 ť, et par le moyen de sa Passion le Christ nous introduit dans un jardin, un
paradis, comme ceux qui doivent ętre couronnés1 -
Aujourd'hui, tu seras avec moi au Paradis2.
1. Voir
n° 2177 et note 2, n° 2178.
2. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 1, PG 59, col. 447.
3. De consensu Évangelistarum, III, m, 9, PL 34, col. 1163.
4. Lc 22, 24.
5. Loc. cit., 31-32.
6. Cf. Mt 26, 30.
7. Cf. Mc 14, 26.
8. Voir
Mt 26, 36 et Mc 14, 32.
9. On lit
cette étymologie quelque peu fantaisiste dans 1< commentaire d'Alcuin qui
rapproche aussi le mystčre de la Passion de ce Ť torrent ť auquel le
Christ devait boire (Comm. in S. Ioanni Evang., VII, 40, PL 100, col. 968
C).
10. Ps
109, 7.
11. Cedron
a en effet la męme racine hébraďque que Qédar lOnomastica sacra le
rend par ténčbres (cf. saint JÉRÔME,
Liber inter pretationis hebraicorum nominum [Lag. 48, 13], CCL, vol. LXXII
p. 119).
12. Ps
16, 8. Saint Thomas commente : Ť Pour faire connaîtra cette vigilance
attentive, le psalmiste se sert d'une double métaphore, c'est-ŕ-dire de l'ombre
et des ailes : car l'ombre soulage de la chaleur et la protection soulage de la
męme maničre en procurant la sécurité - Ŕ l'ombre de tes ailes protčge-moi, c'est-ŕ-dire
sous la garde des anges. - Il ordonnera ŕ ses anges de te garder en toutes
tes voie (Ps 90, 11). Ou bien les ailes sont les deux bras du Christ
étendu sur la Croix - II a déployé ses ailes et lα pris, il l'a porté
sur ses épaule (Dt 32, 11) ť> (Exp. in Psalmos, 16, n° 3).
13. Cf. Gn
2, 8 et 15 ; 3, 23-24. Ez 28, 13.
OR
JUDAS, QUI LE LIVRAIT, CONNAISSAIT AUSSI LE LIEU, CAR JÉSUS S'Y ÉTAIT
FRÉQUEMMENT RETROUVÉ AVEC SES DISCIPLES.
2276. Le lieu convenait aussi parce qu'il était connu du traître. La raison
en est que JÉSUS S'Y ÉTAIT FRÉQUEMMENT RETROUVÉ AVEC SES DISCIPLES, parmi
lesquels Judas se trouvait comme le loup au milieu des brebis - N'est-ce pas
moi qui vous ai choisis, vous les Douze ? Et parmi vous, l'un est un
diable !3 Lŕ donc, le loup, revętu d'une peau de brebis et
toléré au milieu des brebis par la haute sagesse prudentielle du pčre de
famille, a appris oů il disperserait le troupeau au moment opportun4.
2277. Mais puisque Judas était sorti du repas longtemps auparavant pour accomplir sa trahison, on se demande comment il a su que le Christ allait se rendre en ce lieu ŕ cette heure-lŕ ! Lŕ il faut dire, selon Chry-sostome5, que c'était l'habitude du Christ, et principalement lors des grandes fętes, d'emmener les disciples ŕ part aprčs le repas du soir (coena) et de leur enseigner ŕ propos de la fęte des choses sublimes qu'il n'était pas permis aux autres d'entendre ; et parce que c'était alors la fęte principale, Judas jugea opportun de se rendre ŕ cet endroit aprčs le repas. Et si le Christ a voulu enseigner ŕ ses disciples les choses les plus élevées dans les montagnes et dans les jardins, en cherchant un lieu tout ŕ fait pur d'agitations, c'était pour que leur esprit ne soit pas embarrassé - Je l'emmčnerai dans la solitude, et je parlerai ŕ son cur6.
JUDAS,
DONC, AYANT PRIS UNE COHORTE ET DES GARDES AUPRČS DES GRANDS PRĘTRES ET DES
PHARISIENS, VINT LŔ AVEC DES LANTERNES, DES TORCHES ET DES ARMES. (18, 3)
2278. Ici sont exposés les préparatifs du traître7. Notons que, comme il est dit en Luc8, aprčs avoir comploté la trahison avec les princes du peuple, Judas
cherchait une opportunité pour livrer le Christ sans provoquer un tumulte des
foules. Et c'est pourquoi il voulut le trouver en secret et durant la nuit,
parce que pendant le jour il était toujours pris par l'instruction des foules.
Mais durant la nuit le traître pouvait ętre gęné, soit par un soudain afflux
des foules, soit par les ténčbres, grâce auxquelles le Christ pourrait ętre
arraché ou s'échapper de leurs mains ; c'est pourquoi Judas se munit
d'armes contre la foule, et de lanternes et torches contre les ténčbres.
Cependant, dans la foule, certains pourraient lui résister par la puissance du
peuple ; c'est pourquoi, pour éviter cela, il prit une cohorte, non de
Juifs, mais de soldats auprčs du gouverneur, pour qu'ainsi, l'ordre du pouvoir
légitime ayant été observé, personne n'osât s'opposer ŕ lui. De męme, certains
des Juifs conduits par le zčle de la Loi auraient peut-ętre voulu leur
résister, surtout parce que le Seigneur allait ętre pris par les Gentils ;
c'est pourquoi Judas prit aussi DES GARDES AUPRČS DES GRANDS PRĘTRES ET DES
PHARISIENS, et VINT LŔ Il a couru contre Dieu le cou tendu 1. - Comme pour un brigand vous ętes sortis avec des glaives et des
bâtons2.
1. Cf. Alcuin, Comm. in S. Ioannis Evang., VII, 40, PL 100, col.
968 C-D. L'interprétation de paradis comme Ť jardin de
délices ť se trouve dans lOnomastica
sacra de saint Jérôme (4, 30-32, CCL vol. LXXII, p. 4).
2. Lc 23, 43.
3. Jn 6, 71.
4. Cf. saint Augustin, Tract,
in Io., CXII, 2, BA 75, p. 209.
5. In Ioannem hom., LXXXIII, 1, PG 59, col. 447.
6. Os 2,
14.
7. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXII, 2, BA 75, p. 209.
8. Cf. Le 22, 3 sq.
2279. Ici l'Évangéliste montre la prompte volonté d'amour du Christ de supporter volontairement la trahison, d'abord en s'offrant volontairement, puis en arrętant le disciple qui résistait [n° 2286].
Ŕ propos du premier point,
l'Évangéliste fait deux choses : il raconte d'abord que le Christ s'est montré
pour manifester sa puissance, puis qu'il s'est montré pour manifester sa
patience [n° 2283].
Le Christ s'est montré pour manifester sa puissance.
ALORS
JÉSUS, SACHANT TOUT CE QUI ALLAIT LUI ARRIVER, S'AVANÇA ET LEUR DIT :
Ť QUI CHERCHEZ-VOUS ? ť ILS LUI RÉPONDIRENT : Ť JÉSUS LE
NAZARÉEN. ť JÉSUS LEUR DIT : Ť C'EST MOI ť OR JUDAS, QUI LE
LIVRAIT, SE TENAIT AUSSI AVEC EUX. QUAND DONC IL LEUR EUT DIT : Ť C'EST
MOI ť, ILS RECULČRENT ET TOMBČRENT Ŕ TERRE. (18, 4-6)
Ŕ propos du premier point, il dit
d'abord que le Christ interroge, puis qu'il se manifeste lui-męme [n° 2281],
puis il dit l'effet de la manifestation [n° 2282].
2280. [Ŕ propos de l'interrogation du Christ,] il fait trois choses. D'abord,
il met en valeur la science et la connaissance du Christ : ALORS JÉSUS, SACHANT
TOUT CE QUI ALLAIT LUI ARRIVER, S'AVANÇA (...) - Jésus, sachant que son heure
était venue (...) Cela,
l'Évangéliste l'a intégré pour deux raisons : d'abord, pour qu'il ne semble pas
que l'interrogation que le Christ allait leur adresser était faite par
ignorance. Ensuite pour qu'il ne semble pas qu'il s'était offert ŕ eux
involontairement et par ignorance alors qu'ils venaient pour le tuer. Ces
pourquoi, TOUT CE QUI ALLAIT LUI ARRIVER, il le savait. En second lieu, l'Évangéliste
expose l'interrogation du Christ qui, alors qu'il savait tout cela, S'AVANÇA
cependant ET LEUR DIT : Ť QUI CHERCHEZ-VOUS ? ť, mais non par
ignorance, comme on l'a dit. En troisičme lieu, il donne leur réponse : ILS LUI
RÉPONDIRENT Ť JÉSUS LE NAZARÉEN ť, sous-entendu : nous le cherchons,
non certes pour l'imiter, mais pour agir avec méchanceté et le tuer. Cest pourquoi il est dit plus haut : Vous
me chercherez, et vous mourrez dans votre péché1.
1. Jb 15,
26. Saint Thomas commente : Ť C'est-ŕ-dire en s'enorgueillissant. En effet
c'est par orgueil que l'homme résiste le plus ŕ Dieu ŕ qui il doit ętre soumis
par l'humilité - Le commencement de l'orgueil, c'est
d'abandonner le Seigneur (Si 10, 14). Et de męme qu'on dit que
celui qui aime Dieu court dans ses voies ŕ cause de la promptitude de sa
volonté ŕ le servir, ainsi l'orgueilleux, lui aussi, ŕ cause de la présomption
de son esprit, court contre Dieu ť (Exp. super lob, 15, 26, p. 99,
1. 248-255).
2. Lc 22,
52.
3. Jn 13,
1.
JÉSUS
LEUR DIT : Ť C'EST MOI ť OR JUDAS, QUI LE LIVRAIT, SE TENAIT AUSSI AVEC
EUX.
2281. L'Évangéliste expose ici la manifestation de lui-męme par laquelle le
Christ s'est présenté ŕ eux pour ętre pris : Ť C'EST MOI ť, Jésus le
Nazaréen, que vous cherchez. Et l'Évangéliste ajoute la présence de Judas,
parce qu'il a dit plus haut que Judas l'avait quitté2. On pourrait croire qu'il n'y aurait
rien d'étonnant ŕ ce que le Christ n'ait pas été reconnu par eux ŕ son visage,
ŕ cause des ténčbres ; mais que quelqu'un ne soit pas reconnu ŕ sa voix,
et surtout par un homme qui lui est familier, cela ne peut pas ętre imputé aux
ténčbres. En disant Ť C'EST MOI ť, le Christ montre donc qu'il n'a
męme pas été reconnu par Judas, familier de lui, qui se tenait avec eux ; cela
manifeste plus que tout la puissance de la divinité du Christ3. JUDAS, donc, SE TENAIT AVEC EUX, c'est-ŕ-dire persévérait dans le
mal, au point de le montrer par le signe d'un baiser4.
QUAND
DONC IL LEUR EUT DIT : Ť C'EST MOI ť, ILS RECULČRENT ET TOMBČRENT Ŕ
TERRE.
2282. Ici est montré l'effet de la manifestation. Et comme le dit Grégoire5, on lit parfois au sujet des saints qu'ils tombent ŕ terre - Il tomba
sur sa face et se prosterna devant Daniel6. - Je tombai sur ma face7. Des hommes iniques aussi, on dit qu'ils tombent
- Tes hommes trčs beaux tomberont8 -, mais voici la différence : au sujet des hommes iniques il est dit
qu'ils tombent ŕ la renverse - Ils tombent ŕ la renverse et sont pris au
pičge9. - Il tomba de son sičge ŕ la
renverse 10 -, alors que des saints il est dit
qu'ils tombent sur leur face. La raison en est indiquée dans le livre des
Proverbes : Les sentiers des justes sont comme la brillante lumičre dont
l'éclat va croissant jusqu'au plein jour, et la voie des impies est
ténébreuse, ils ne savent oů ils vont s'écrouler11. En effet, tout homme qui tombe en arričre tombe lŕ oů il ne voit pas.
On dit donc des hommes iniques qu'ils tombent ŕ la renverse parce qu'ils
tombent dans des choses invisibles ; en effet, ils s'écroulent lŕ oů ils
ne peuvent voir tout de suite ce qui alors les suit. Mais celui qui tombe
devant lui, tombe lŕ oů il voit ; et c'est pourquoi on dit des
saints qu'ils s'abaissent spontanément dans les choses visibles pour ętre
debout dans les réalités invisibles, et qu'ils tombent sur leur face parce que,
saisis de crainte en les voyant, ils s'humilient12. Au sens mystique, le fait que [ceux
qui venaient chercher le Christ] soient tombés ŕ la renverse donne ŕ entendre
que le peuple des Juifs, qui était le peuple particulier13 [de Dieu], n'ayant pas écouté la voix du
Christ dans sa prédication, est retourné en arričre, exclu du Royaume14.
1. Jn 8, 21.
2. Cf. Jn 13, 30.
3. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 1, PG 59, col. 448. Par
ailleurs, sur la puissance de la divinité du Christ, voir vol. I, nos 752 et 761. Et
saint Thomas souligne l'égalité de la puissance du Christ par rapport ŕ celle
du Pčre, et que Ť toutes les choses que fait le Fils, męme selon sa nature
divine, il les tient du Pčre ť (vo1. I, n° 1304).
4. L'édition
Marietti renvoie ici ŕ Isaďe 33, en citant un verset de l'Exode : II sera ta
bouche (4, 16). Mais ce verset (qui n'est pas corrigé par l'édition
léonine), exprimant le lien d'amitié et de service entre Aaron et Moďse,
surprend. Nous renvoyons plutôt ŕ Pr 11, 9 Un menteur trompe par sa bouche
son ami. Voir aussi Pr 10, 11 et 32 ; 19, 28 ; Ps 61, 5, etc.
5. Homélies
sur Ézéchiel, I, 9, 5, SC 327, p. 337.
6. Dn 2, 46.
7. Ez 2, 1.
8. Is 3, 25.
9. Is 28, 13.
10. 1 S 4, 18.
11. Pr 4, 18-19.
12. Cf. 1 R 21, 29 ; 2 R 22, 19. 2 Ch 7, 14 ; 12, 6-7 ;
12, 12 ; 32, 26, etc. Esd 8, 21. Jdt 4, 9. Si
2, 17.
13. Dt 7, 6 ; 14, 2 ; 26, 18.
14. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXII, 3, BA 75, p. 211.
Le Christ s'est montré pour manifester sa patience.
DE
NOUVEAU DONC IL LES INTERROGEA : Ť QUI CHERCHEZ-VOUS ? ť ILS LUI
DIRENT : Ť JÉSUS LE NAZARÉEN. ť JÉSUS RÉPONDIT : Ť JE VOUS AI
DIT QUE C'EST MOI SI DONC VOUS ME CHERCHEZ, LAISSEZ ALLER CEUX-CI ť,
POUR QUE SOIT ACCOMPLIE LA PAROLE QU'IL AVAIT DITE : Ť CEUX QUE TU M'AS
DONNÉS, JE N'EN AI PERDU AUCUN. ť (18, 7-9)
2283. On rapporte ici la seconde interrogation. D'abord l'interrogation
réitérée, puis la manifestation du Christ, et enfin son oblation. S'il a
interrogé de nouveau c'est, selon Chrysostome1 pour deux raisons. D'abord pour qu'en indiquant sa puissance - du fait
que les ennemis qui venaient contre lui sont, en face de lui, tombés ŕ terre ŕ
la renverse - ceux qui croient en lui découvrent que c'est de sa propre volonté
qu'il a été pris - II a été offert parce que lui-męme
lα voulu2. En second lieu, aussi, pour donner aux Juifs,
autant qu'il le pouvait3, matičre ŕ conversion, aprčs avoir
vu un miracle de sa puissance - Qu'aurais-je dű faire de plus pour ma vigne,
que je ne lui aie pas fait ?4 C'est pourquoi, puisqu'ils ne se
convertirent pas dčs cette manifestation de sa puissance, il s'omît ŕ eux
spontanément pour ętre pris. Et quand DE NOUVEAU IL LES INTERROGEA : Ť QUI
CHERCHEZ-VOUS ? ť et qu'ILS LUI DIRENT : Ť JÉSUS LE
NAZARÉEN ť, lui-męme se manifestant de nouveau RÉPONDIT : Ť JE VOUS
AI DIT QUE C'EST MOI ť En cela, il est évident qu'ils étaient aveugles au
point de ne pas pouvoir le reconnaître.
L'oblation que le Christ fait de
lui-męme est exposée quand il dit : SI DONC VOUS ME CHERCHEZ, c'est-ŕ-dire : si
vous cherchez ŕ me prendre, faites ce dont vous avez l'intention, de telle
sorte cependant que vous laissiez aller ceux-ci, ŕ savoir mes disciples, parce
que le moment n'est pas encore venu qu'ils soient enlevés du monde par la
Passion - Je ne prie pas pour que tu les enlčves du monde5. En quoi il est évident que lui-męme a donné [ŕ ceux qui le
cherchaient] pouvoir de le prendre ; car de męme qu'il a gardé ses
disciples par sa puissance, il aurait pu encore bien plus se garder lui-męme - Personne
ne m'enlčve mon âme, mais moi je la dépose de moi-męme6.
2284. L'Évangéliste montre que ce n'est pas parce qu'ils auraient été
persuadés par le Christ que les gardes laissčrent les Apôtres s'en aller, mais
en raison de son pouvoir : POUR QUE SOIT ACCOMPLIE LA PAROLE QU'IL AVAIT DITE,
comme si les gardes avaient laissé les Apôtres s'en aller parce qu'ils ne
pouvaient les retenir, puisque lui-męme avait dit plus haut : CEUX QUE TU M'AS
DONNÉS, JE N'EN AI PERDU AUCUN 7.
2285. Lŕ on peut objecter que le Seigneur avait dit plus haut cela de la
perdition de l'âme ; comment l'Évangéliste adapte-t-il cela ŕ la perdition
du corps ? Ŕ cela je réponds : il faut dire, selon Chrysostome, que le
Seigneur a parlé plus haut de la perdition de l'âme et du corps. Et s'il a
seulement parlé de la perdition de l'âme, il faut dire qu'ici l'Évangéliste la
rapporte ŕ la perdition du corps par une certaine extension8. Ou bien, selon Augustin, il faut dire que ce qui est dit doit ętre
compris aussi de la perdition de l'âme, parce que les Apôtres ne croyaient pas
encore comme croient ceux qui ne périssent pas9. Et c'est pourquoi, s'ils avaient
alors quitté ce monde, ils auraient été de ceux qui périssent.
1. In Ioannem hom., LXXXIII, 1-2, PG 59, col. 447-448.
2. Is 53,
7 (verset propre ŕ la Vulgate). Voir ci-dessus n" 1815 et note 7.
3. En ce
sens que Dieu respecte la liberté de l'homme. Cf. Jr 15, 19 Si tu
reviens, je te ferai revenir et devant moi tu te tiendras.
4. Is 5, 4.
5. Jn 17, 15.
6. Jn 10, 18.
7. Cf. Jn 17, 12.
8. In Ioannem hom., LXXXIII, 1, PG 59, col. 448.
9. Tract, in Io., CXII, 4, BA 75, p. 213.
SIMON-PIERRE,
DONC, AYANT UN GLAIVE, LE TIRA ET FRAPPA LE SERVITEUR DU GRAND PRĘTRE, ET IL
LUI TRANCHA L'OREILLE DROITE. OR LE NOM DU SERVITEUR ÉTAIT MALCHUS. JÉSUS DIT
DONC Ŕ PIERRE : Ť REMETS LE GLAIVE AU FOURREAU. LA COUPE QUE LE PČRE M'A
DONNÉE, TU NE VEUX PAS QUE JE LA BOIVE ? ť (18, 10-11)
2286. Aprčs avoir montré la promptitude du Christ ŕ supporter la trahison en
s'offrant lui-męme volontairement ŕ ceux qui le livraient, l'Évangéliste montre
ici qu'il est prompt ŕ la męme chose en interdisant la résistance du disciple.
D'abord est exposée la manifestation du zčle du disciple qui résiste, puis le fait
que Jésus l'ait empęché [n° 2291].
I
Ŕ propos du premier point, il note
d'abord le zčle du disciple ŕ frapper le serviteur, puis celui de l'Évangéliste
quand il nomme le serviteur [n° 2290].
2287. Il s'exprime donc ainsi : les gardes s'emparčrent de Jésus, mais
Simon-Pierre, plus ardent que tous les autres disciples, AYANT UN GLAIVE, LE
TIRA ET FRAPPA LE SERVITEUR DU GRAND PRĘTRE qui était parmi les gardes, ET IL
LUI TRANCHA L'OREILLE DROITE ; ce n'était pas son intention principale,
puisqu'il avait l'intention de le tuer, mais le coup qu'il dirigeait vers la
tęte fut dévié vers l'oreille. Il dirigeait en effet le coup vers la tęte pour
montrer avec plus d'évidence qu'il faisait cela par zčle pour son Seigneur - Je
suis zélé d'un zčle jaloux pour le Seigneur Dieu des armées1.
2288. Mais ici surgit une double question : puisque le Seigneur avait
commandé ŕ ses disciples de n'avoir męme pas deux tuniques2, comment Pierre avait-il aussi un glaive ? Je réponds : il faut
dire que ce précepte, le Christ le leur donna quand il les envoya pour pręcher,
et il devait durer jusqu'au temps de la Passion. C'est pourquoi le Christ le
révoqua dans la Passion : Quand je vous ai envoyés sans bourse ni besace,
avez-vous jamais manqué de quelque chose ?3 - Mais maintenant, que celui qui
a une bourse la prenne, de męme celui qui a une besace, et que celui qui n'en a
pas vende sa tunique pour acheter un glaive4. Ŕ cause de cette autorisation (concessio), il semble que Pierre
ait compris qu'il lui était permis de porter un glaive. Mais d'oů a-t-il pu
avoir si vite un glaive, puisque le Seigneur avait prononcé peu de temps
auparavant les paroles qu'on a dites ? Il faut répondre, selon Chrysostome
5, que Pierre, ayant depuis longtemps
entendu que les Juifs devraient livrer le Christ aux princes des prętres pour
le crucifier, avait pris peur et s'était préparé un glaive. Ou bien il faut
dire, selon la Glose interlinéaire6, que par Ť glaive ť il
faut entendre ici le couteau qu'il avait peut-ętre ŕ table pour manger l'agneau
et qu'il avait, en se levant de table, pris avec lui.
2289. En second lieu, on se demande pourquoi, alors que le Seigneur leur
avait dit de ne pas résister au mal7, Pierre a frappé le serviteur du grand prętre. Ŕ cela
il faut répondre que le Seigneur leur a défendu de résister ŕ quelqu'un pour se
défendre eux-męmes, mais non pas pour défendre les maîtres. Ou bien qu'ils
n'étaient pas encore confirmés par une force venant sur eux d'en haut - Demeurez
dans la ville jusqu'ŕ ce que vous soyez revętus d'une force d'en haut1. C'est pourquoi ils n'étaient pas encore
parfaits au point de ne pas du tout résister au mal2.
1. 1 R 19, 10.
2. Cf. Mt 10, 10.
3. Lc 22, 35.
4. Lc 22, 36.
5. In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, col. 449.
6. Il
s'agit en fait d'un commentaire de Theophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 246.
7. Cf. Mt
5, 39. Saint Thomas, en commentant ce verset de l'évangile de saint Matthieu,
précise : Ť Et moi, je vous dis de ne pas résister au mal, c'est-ŕ-dire
n'ayez pas la volonté de repousser avec un esprit de vengeance une injustice
qui vous a été faite. Aussi, quand il dit au mal, il s'agit du mal
temporel, ou du mal de peine, comme le disent Augustin et Jérôme, et non pas du
mal de faute auquel il faut résister jusqu'ŕ la mort ť (Sup. Matth. lect.,
V, n° 541).
OR LE
NOM DU SERVITEUR ÉTAIT MALCHUS.
2290. On donne ici le nom du serviteur. Il est spécialement signalé par Jean
parce que, comme il est dit plus loin3, lui-męme était connu du grand
prętre, et c'est pourquoi il connaissait aussi ses serviteurs. Aussi, sachant
son nom, il ne l'a pas tu parce qu'il en avait la certitude. Mais Luc ajoute
que le Seigneur lui guérit l'oreille4, et cela convient au mystčre5, car par ce serviteur est signifié le peuple des Juifs, qui était opprimé
par les princes des prętres - Malheur aux pasteurs d'Israël qui se
paissaient eux-męmes. (...) Ce qui était gras, vous l'égorgiez (...)6 Pierre, le Prince des Apôtres, a donc amputé
l'oreille de ce serviteur, oreille avec laquelle le peuple des Juifs entendait
mal, c'est-ŕ-dire d'une façon charnelle (carnaliter), les paroles de la
Loi ; mais le Seigneur leur a restitué une nouvelle ouďe - Dčs que son
oreille m'a entendu, il m'a obéi7. Et en ce sens le serviteur du grand
prętre est ŕ juste titre appelé Malchus, c'est-ŕ-dire roi, parce que le Christ
a fait de nous des rois dans une nouveauté de vie8 - II a fait de nous pour notre Dieu
un royaume et des prętres, et nous régnerons sur la terre9.
II
JÉSUS
DIT DONC Ŕ PIERRE : Ť REMETS LE GLAIVE AU FOURREAU. LA COUPE QUE LE PČRE
M'A DONNÉE, TU NE VEUX PAS QUE JE LA BOIVE ? ť
2291. Ici on expose le fait que Jésus ait retenu Pierre dans son zčle ;
d'abord le fait qu'il l'ait retenu, puis la raison de son geste [n° 2293].
2292. L'Évangéliste dit donc que Pierre sortit son glaive pour frapper le
serviteur, mais que le Seigneur lui dit : Ť REMETS LE GLAIVE AU
FOURREAU ť, comme pour lui dire qu'il n'y avait pas ŕ se défendre mais ŕ
pâtir, et que l'usage du glaive matériel ne lui était pas permis - Ô, épée
du Seigneur, jusques ŕ quand ne te reposeras-tu pas ? Rentre en ton
fourreau (...) 10 Au sens mystique, cela signifie que
le glaive de la parole du Seigneur devait ętre remis au fourreau, c'est-ŕ-dire
ŕ la foi des Gentils11.
2293. La raison pour laquelle le Christ empęche le geste de Pierre est donnée
quand il dit : Ť LA COUPE QUE LE PČRE M'A DONNÉE, TU NE VEUX PAS QUE JE LA
BOIVE ? ť En effet, on ne doit pas résister ŕ ce qui est disposé par
la Providence divine - Qui
lui a résisté et a eu la paix ?1 Mais la Passion
est appelée coupe parce qu'elle est douce en raison de la charité de celui qui
la subit, mais amčre en raison de sa nature, de męme qu'un remčde qui guérit
est doux ŕ cause de l'espérance de la santé, mais amer ŕ cause de sa saveur - Je
prendrai la coupe du
salut et j'invoquerai le nom du Seigneur2.
1. Lc 24,
49.
2. L'une
et l'autre explication proviennent de saint
Jean Chry-SOSTOME, In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, col. 449.
3. Cf. Jn 18, 15.
4. Cf. Le 22, 51.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXII, 5, BA 75, p. 215.
6. Ez 34,
2-3.
7. Ps 17,
45.
8. Rm 6, 4
Nous avons été ensevelis avec lui par le baptęme pour la mort [au
péché], afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du
Pčre, nous marchions, nous aussi, dans une nouveauté de vie.
9. Ap 5,
10. Comme le Fils ne veut rien d'autre que ce que veut le Pčre, Ť il
appartient au libre arbitre de sa puissance de faire vivre qui il veut ť
(vo1. I, n° 761). Et par lui nous devenons rois et prętres -Je vous tiendrai
pour un royaume de prętres, une nation sainte (Ex 19, 6). - Mais vous,
vous ętes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple
acquis, pour proclamer les louanges de celui qui vous a appelés des ténčbres ŕ
son admirable lumičre, vous qui jadis n'étiez pas un peuple et qui ętes
maintenant le peuple de Dieu, qui n'obteniez pas miséricorde et qui maintenant
avez obtenu miséricorde (1 Ρ 2, 9-10). Ils seront prętres de Dieu
et du Christ avec qui ils régneront mille années (Ap 20, 6).
10. Jr 47, 6.
11. Cf. Glossa ordinaria. Evang. sec. Ioannem. In h. loc, PL 114, col. 418 C.
1. Jb 9,
4.
2. Ps
115, 13.
Cette coupe, c'est donc le Pčre qui
la lui a donnée, parce qu'il a subi la Passion de son plein gré, par sa propre
volonté et celle du Pčre
3 - Tu n'aurais sur moi aucun
pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut4.
3. Cf.
vol. I, n° 478 Ť Dieu a-t-il donc donné son Fils pour qu'il mourűt sur
la Croix ? Assurément il l'a donné pour la mort de la Croix (Ph 2,
8), en tant qu'il lui a donné la volonté d'y souffrir, et cela de deux maničres.
Car d'une part, en qualité de Fils de Dieu, il a eu de toute éternité la
volonté de prendre chair et de souffrir pour nous ; et cette volonté, il
la tenait du Pčre ; et, d'autre part, c'est Dieu qui inspira ŕ l'âme du
Christ la volonté de souffrir ť.
4. Jn 19,
11.
2294. Ici est exposé comment le Seigneur, ayant été pris par les gardes, est présenté aux princes du peuple ; d'abord comment il est conduit ŕ l'un d'eux, ŕ savoir Anne, puis ŕ l'autre, ŕ savoir Caďphe [n° 2322].
Ŕ propos du premier point, l'Évangéliste dit d'abord comment il est présenté ŕ Anne, puis comment il est examiné par lui [n° 2311].
Ŕ propos du premier point, il montre
d'abord comment il est conduit ŕ la maison d'Anne, puis comment les disciples
le suivent [n° 2299].
I
LA
COHORTE, LE TRIBUN ET LES GARDES DES JUIFS S'EMPARČRENT DE JÉSUS ET LE
LIGOTČRENT, ET ILS L'AMENČRENT D'ABORD Ŕ ANNE. IL ÉTAIT EN EFFET LE BEAU-PČRE
DE CAĎPHE, QUI ÉTAIT LE GRAND PRĘTRE DE CETTE ANNÉE-LŔ. OR C'ÉTAIT CAĎPHE QUI
AVAIT DONNÉ AUX JUIFS CE CONSEIL : Ť MIEUX VAUT QU'UN SEUL HOMME MEURE
POUR LE PEUPLE ť (18, 12-14)
Lŕ, on montre d'abord ce qui a été
fait ŕ l'égard de Jésus, puis on précise qui est le pontife auquel il est
conduit [n° 2297].
LA
COHORTE, LE TRIBUN ET LES GARDES DES JUIFS S'EMPARČRENT DE JÉSUS ET LE
LIGOTČRENT, ET ILS L'AMENČRENT D'ABORD Ŕ ANNE.
2295. En ce qui concerne le Christ, trois choses ont été accomplies. D'abord
on s'empare de lui ; c'est pourquoi il est dit : LA COHORTE, c'est-ŕ-dire
[la cohorte] des soldats, et leur TRIBUN, ET LES GARDES DES JUIFS, S'EMPARČRENT
(comprehenderunt) DE JÉSUS, lui qu'on ne peut saisir1 - Tu es
grand dans ton conseil, et incompréhensible dans ta pensée2. Peut-ętre avaient-ils en tęte cette parole du psaume : Dieu
lα abandonné ; poursuivez-le et saisissez-le, puisqu'il n'est
personne qui délivre3. - Le souffle (spiritus) de notre
bouche, l'Oint du Seigneur, a été pris dans nos péchés4, c'est-ŕ-dire ŕ cause de nos péchés, pour nous
libérer. - Voici ce
que dit le Seigneur : Męme la proie du fort lui sera enlevée5. En second lieu, il est ligoté, et c'est pourquoi il dit
: LE LIGOTČRENT, lui qui est venu libérer ceux qui étaient liés et rompre leurs liens1 - Tu as rompu mes liens2. En troisičme lieu, il est amené : ET ILS
L'AMENČRENT D'ABORD Ŕ ANNE, pour le perdre, lui qui est venu conduire tous [les
hommes] sur le chemin du salut - Tu m'as conduit, parce que tu es devenu mon
espérance3.
1. Qui
incomprehensibilis est ; saint Thomas emploie ce terme ŕ dessein :
Dieu est incompréhensible, aucune créature spirituelle ne peut le connaître
autant qu'il peut ętre connu. Dieu seul a de lui-męme une science de
compréhension. Cf. Somme théol., I, q. 14 ;
III, q. 9 sq.
2. Jr 32, 19.
3. Ps 70, 11.
4. Lm 4,
20.
5. Is 49,
25.
2296. On peut donner deux raisons pour lesquelles il est d'abord conduit ŕ
Anne. L'une est la charge de Caďphe, le grand prętre de cette année-lŕ, en ce
sens qu'il envoya Jésus ŕ Anne pour ętre plus excusable si lui-męme, par la
suite, condamnait quelqu'un qui avait déjŕ été condamné par Anne. L'autre
raison est la proximité de la maison d'Anne : celle-ci, située sur la route,
était plus proche4. Et craignant que, s'il s'élevait un
tumulte dans le peuple, Jésus fűt arraché de leurs mains, ils le mirent lŕ ŕ
l'écart.
IL
ÉTAIT EN EFFET LE BEAU-PČRE DE CAĎPHE, QUI ÉTAIT LE GRAND PRĘTRE DE CETTE
ANNÉE-LŔ.
2297. Ici on présente d'abord le pontife par son affinité avec Caďphe, parce
qu'IL ÉTAIT son BEAU-PČRE ; puis on présente Caďphe lui-męme, QUI ÉTAIT LE
GRAND PRĘTRE DE CETTE ANNÉE-LŔ. Il faut savoir, en effet, que selon la Loi le
grand prętre remplissait sa fonction ŕ vie ; un fils lui succédait aprčs
sa mort. Mais par la suite, l'envie et l'ambition des princes croissant, non
seulement le fils ne succédait pas au pčre, mais męme le pontife ne remplissait
pas sa fonction plus d'une année ; de plus c'est l'argent qui procurait
cette fonction, comme Josčphe5 le rapporte. C'est pourquoi il n'est
pas étonnant que, dans l'année de ce pontificat si mal acquis, Caďphe ait
accompli une chose si abominable.
2298. Il est aussi décrit d'aprčs son conseil ; c'est pourquoi
l'Évangéliste a dit que C'ÉTAIT CAĎPHE QUI AVAIT DONNÉ AUX JUIFS CE CONSEIL,
rapporté plus haut6 Ť MIEUX VAUT QU'UN SEUL HOMME
MEURE POUR LE PEUPLE. ť Cela, l'Évangéliste l'a rappelé pour enlever le
scandale du cur des fidčles, en montrant aussi par les prophéties des
adversaires que ce n'est pas en raison d'une infirmité ou d'une impuissance de
sa part que Jésus a été pris et qu'il est mort, mais pour le salut du peuple,
c'est-ŕ-dire pour que la nation tout entičre ne périsse
pas7. En effet, le témoignage de l'adversaire est
plus efficace ; et la vérité est d'une nature telle que męme l'adversaire
ne peut la taire8.
II
OR
SIMON-PIERRE SUIVAIT JÉSUS, AINSI QU'UN AUTRE DISCIPLE. CE DISCIPLE ÉTAIT CONNU
DU GRAND PRĘTRE ET IL ENTRA AVEC JÉSUS DANS LA COUR DU GRAND PRĘTRE, ALORS QUE
PIERRE SE TENAIT AU-DEHORS, Ŕ LA PORTE. L'AUTRE DISCIPLE, CELUI QUI ÉTAIT CONNU
DU GRAND PRĘTRE, SORTIT DONC ET DIT UN MOT Ŕ LA PORTIČRE, ET IL FIT ENTRER
PIERRE. LA SERVANTE QUI GARDAIT LA PORTE DIT DONC Ŕ PIERRE : Ť N'ES-TU
PAS, TOI AUSSI, DES DISCIPLES DE CET HOMME ? ť IL DIT : Ť JE
N'EN SUIS PAS. ť OR LES SERVITEURS ET LES GARDES SE TENAIENT PRČS DES
BRAISES PARCE QU'IL FAISAIT FROID, ET ILS SE CHAUFFAIENT. PIERRE AUSSI SE
TENAIT AVEC EUX ET SE CHAUFFAIT. (18, 15-18)
1. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXII,
6, BA 75, p. 217.
2. Ps 115, 16.
3. Ps 60, 3-4.
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXIII, 5, BA 75, p. 235.
5. Saint
Thomas cite ici sans doute Flavius
Josčphe (Antiquités juives, XVIII, iv, 3 ; Reinach, p. 150-151)
ŕ travers la présentation que fait Eusčbe
de Césarée de la succession des grands prętres dans la Démonstration
évangélique (VIII, il, 96 sq. GCS, p. 385-386 ; Migne, col. 290). Cf. aussi
Histoire ecclésiastique, I, x, SC 31, p. 35-37.
6. Cf. Jn 11, 50.
7. Ibid.
8. Cf. SAINT Jean
Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, col. 449. Sur la
vérité, voir ci-dessous, n° 2364 et note 6, n° 2365.
2299. Ici est exposé comment les disciples se sont associés au Christ ;
on montre d'abord comment Pierre suivait le Christ avec un autre disciple, puis
comment il entra ŕ l'endroit oů était le Christ [n° 2303], et enfin comment il
le renia [n° 2307].
2300. Il dit donc que SIMON-PIERRE SUIVAIT JÉSUS, parce qu'il lui était
profondément attaché, mais qu'il le suivait de loin en raison de sa peur, AINSI
QU'UN AUTRE DISCIPLE, c'est-ŕ-dire Jean, qui cache son nom ŕ cause de son
humilité. Mais par lŕ il est donné ŕ entendre que le reste des disciples
s'était enfui en abandonnant Jésus, comme il est dit en Matthieu1.
2301. Au sens mystique, on entend par ces deux disciples deux vies qui
suivent le Christ : la vie active, qui est signifiée par Pierre, et la vie contemplative,
signifiée par Jean2. Certes la vie active suit le Christ
en obéissant - Mes brebis écoutent ma voix3-, mais la vie contemplative le suit en connaissant et en contemplant - Nous
te connaîtrons et
nous te suivrons4.
2302. Ces deux disciples suivaient parce qu'ils aimaient le Christ plus que
tous les autres - c'est pourquoi ils vinrent au tombeau5 les premiers - et parce qu'une plus grande
force d'amour les unissait l'un ŕ l'autre ; c'est pourquoi, dans
l'Évangile, ils sont souvent mentionnés ensemble6. Et dans les Actes des Apôtres il
est dit que [les Apôtres qui étaient ŕ Jérusalem] envoyčrent [en
Samarie] Pierre et Jean7 et [déjŕ, avant,] que Pierre et
Jean montčrent au Temple8.
1. Cf. Mt
26, 56.
2. Voir
ci-dessous, nos 2306,
2487 et 2640.
3. Jn 10,
27.
4. Os 6, 3.
5. Jn 20,
3.
6. Voir
Jn 13, 23-24 ; 18, 15-16 ; 20, 2-4 et 8 ; 21, 7 ; 21, 20 et
23-24.
7. Ac 8,
14.
8. Ac 3,
1.
CE
DISCIPLE ÉTAIT CONNU DU GRAND PRĘTRE ET IL ENTRA AVEC JÉSUS DANS LA COUR DU
GRAND PRĘTRE, ALORS QUE PIERRE SE TENAIT AU-DEHORS, Ŕ LA PORTE.
2303. Ici on montre l'ordre selon lequel Pierre entra : d'abord comment Jean
le précéda, puis comment il fit entrer Pierre [n° 2306].
2304. L'ordre fut tel parce que Jean entra en premier avec Jésus. La raison
de cela était qu'il ÉTAIT CONNU DU GRAND PRĘTRE. Et PIERRE SE TENAIT AU-DEHORS,
Ŕ LA PORTE de la cour. Bien que Jean fűt pęcheur et ait été appelé jeune par le
Christ, il était cependant connu du grand prętre, soit parce que le pčre de
Jean en était le serviteur, soit parce qu'il était quelqu'un de sa parenté.
Jean n'a pas noté cela par vantardise, mais par humilité, pour que le fait
qu'il entra d'abord avec Jésus dans la cour du grand prętre, et non pas Pierre,
ne fűt pas davantage attribué ŕ sa vertu et ŕ sa supériorité qu'au fait qu'il
était connu9. C'est pourquoi il dit : CE
DISCIPLE, ŕ savoir Jean, était connu du grand prętre. Et c'est pourquoi IL
ENTRA AVEC JÉSUS DANS LA COUR DU GRAND PRĘTRE, oů le Christ avait été conduit.
PIERRE, lui, SE TENAIT AU-DEHORS, annonçant en quelque sorte son reniement ŕ
venir - Ceux qui me voyaient s'enfuirent au-dehors loin de moi10.
2305. Au sens mystique, Jean entre avec Jésus parce que la vie contemplative lui est familičre - Entrant dans ma maison, je me reposerai avec elle 11. Mais Pierre se tient au-dehors parce que la vie active s'occupe des choses extérieures - Marie, se tenant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Mais Marthe se démenait dans les multiples soins du service1.
9. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, col. 449.
10. Ps
30, 12.
l1. Sg8,
16.
L'AUTRE
DISCIPLE, CELUI QUI ÉTAIT CONNU DU GRAND PRĘTRE, SORTIT DONC ET DIT UN MOT Ŕ LA
PORTIČRE, ET IL FIT ENTRER PIERRE.
2306. Ici on montre comment Pierre fut introduit sur l'intervention de Jean,
parce que L'AUTRE DISCIPLE, c'est-ŕ-dire Jean, ÉTAIT CONNU DU GRAND PRĘTRE. Il
parla ŕ la portičre pour qu'elle l'introduise, et elle fit entrer Pierre. Par
lŕ, au sens mystique, il est donné ŕ entendre que c'est par la vie
contemplative que la vie active est introduite auprčs du Christ. En effet, de
męme que la raison inférieure est dirigée par la raison supérieure, de męme, la
vie active par la vie contemplative - Envoie ta lumičre et ta vérité : elles
me conduiront et m'amčneront ŕ ta sainte montagne, jusquen ta demeure2.
LA
SERVANTE QUI GARDAIT LA PORTE DIT DONC Ŕ PIERRE : Ť N'ES-TU PAS, TOI
AUSSI, DES DISCIPLES DE CET HOMME ? ť IL DIT : Ť JE N'EN SUIS
PAS. ť OR LES SERVITEURS ET LES GARDES SE TENAIENT PRČS DES BRAISES PARCE
QU'IL FAISAIT FROID, ET ILS SE CHAUFFAIENT. PIERRE AUSSI SE TENAIT AVEC EUX ET
SE CHAUFFAIT. (18, 17-18)
2307. On expose ici le reniement de Pierre ; d'abord le motif du
reniement, puis le reniement lui-męme [n° 2309], enfin la confirmation du
reniement [n° 2310].
2308. L'occasion et le motif du reniement furent l'interrogation de la
servante adressée ŕ Pierre. LA SERVANTE QUI GARDAIT LA
PORTE DIT DONC Ŕ PIERRE : Ť N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DES DISCIPLES DE CET
HOMME ? ť Elle dit : TOI AUSSI, parce qu'elle savait que Jean était un disciple du Christ, mais
parce qu'il était familier [du grand prętre] elle ne lui dit rien. La faiblesse
de Pierre apparaît ŕ ce moment-lŕ, parce que c'est une occasion dérisoire qui
l'amena ŕ renier, dérisoire en raison de deux choses. D'abord ŕ cause de la
personne qui l'interrogeait, car il ne s'agissait ni d'un soldat armé, ni d'un
pontife digne d'admiration, mais d'une femme, et d'une servante chargée de la
porte 3. Ensuite ŕ cause de la forme de
l'interrogation, parce qu'elle n'a pas dit : Ť N'es-tu pas des disciples
de ce traître ? ť En cela, il semble qu'elle lui ait parlé plutôt par
compassion4. C'est pourquoi on saisit aussi par lŕ que par la parole du
Seigneur, les deux ont été affermis, et par le souffle de sa bouche, toute leur
puissance5, parce que celui qui renia le Christ ŕ la voix d'une
servante va, par la suite, pręcher et confesser le nom du Christ devant les
chefs des prętres6.
IL DIT
: Ť JE N'EN SUIS PAS. ť
2309. L'Évangéliste expose ici le reniement de Pierre. Et lŕ nous devons
remarquer, selon Augustin7, que le Christ peut ętre renié non
seulement par quelqu'un qui affirme que Jésus n'est pas le Christ, mais aussi
par celui qui nie ętre chrétien. En effet, Pierre n'a rien renié d'autre que le
fait d'ętre chrétien. Et le Seigneur a permis que Pierre renie parce qu'il a
voulu que celui qui devait ętre placé ŕ la tęte de l'Église ait plus de
compassion pour les faibles et ceux qui pčchent, ayant expérimenté en lui-męme
l'infirmité du péché. L'épître aux Hébreux dit : Nous n'avons pas un grand prętre qui ne
pourrait compatir ŕ nos infirmités puisqu'il a été éprouvé en toutes choses
hormis le péché1 cela
est vrai du Christ, mais
on peut aussi le dire de Pierre, męme avec le péché. Certains cependant,
appropriant ŕ tort cette grâce ŕ Pierre, disent qu'il n'a pas renié par crainte
mais par amour, voulant ętre toujours avec le Christ et le suivre sans
cesse ; il savait en effet que s'il avouait ętre des disciples du Christ,
il aurait été séparé du Christ et expulsé2. Mais cela n'est pas en accord avec
les paroles du Seigneur, parce que ce n'est pas pour cela qu'il renia mais
parce qu'il n'a pas voulu perdre son âme pour le Christ. Plus haut en effet,
quand il avait dit : Je
perdrais mon âme pour toi, Jésus avait répondu : Tu perdrais ton âme
pour moi ? Amen, amen, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne
m'aies renié trois fois3.
1. Lc 10,
39-40.
2. Ps 42,
3. Pour le commentaire que saint Thomas fait de ce verset, voir ci-dessous, n°
2582, note 7.
3. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 2, PG 59, col. 450.
4. Cf. saint
Jean Chrysostome, ibid.
5. Ps 32, 6. Saint Thomas commente : Ť Au
sens mystique, par deux on entend les Apôtres ; ceux-ci ont été
affermis par le Verbe du Seigneur, c'est-ŕ-dire du Christ, ou par le Fils du
Seigneur ; et telles sont sa supplication et sa doctrine : Moi, j'ai
prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, quand
tu seras revenu, affermis tes frčres (Le 22, 32). De męme leur
puissance a été affermie par l'Esprit Saint - Restez dans
la ville jusqu'ŕ ce que vous soyez revętus de la force d'en haut (Le 24,
49) ť (Exp. in Psalmos, 32, n° 5).
6. Cf. Ac 4, 8.
7. Cf. Tract, in Io., CXIII, 2, BA 75, p. 223-225.
OR LES
SERVITEURS ET LES GARDES SE TENAIENT PRČS DES BRAISES PARCE QU'IL FAISAIT
FROID, ET ILS SE CHAUFFAIENT. PIERRE AUSSI SE TENAIT AVEC EUX ET SE CHAUFFAIT.
2310. La confirmation du reniement est exposée ici : Pierre se tenait lŕ avec eux comme pour faire paraître davantage qu'il n'était pas disciple du Christ. En effet, Pierre, pour ne pas sembler faire partie des disciples, se plaça parmi les serviteurs et les gardes qui se tenaient auprčs des braises parce qu'il faisait froid, comme il arrive parfois ŕ l'équinoxe d'hiver en mars. En cela, Pierre n'a pas bien considéré ce qui est dit dans le psaume : Tu seras saint avec le saint4. Le temps lui-męme aussi était en accord avec la condition de son esprit, en lequel la charité s'était refroidie 5 - La chanté de beaucoup se refroidira6.
2311. Ici, Jésus est examiné par le grand prętre. On expose d'abord
l'interrogatoire, puis la réponse de Jésus [n° 2313], enfin la réprimande [d'un
garde] ŕ sa réponse [n° 2317].
1. He 4,
15. Saint Thomas commente : Ť II a été éprouvé si bien qu'en toutes
choses, aussi bien les temporelles que toutes les autres, si ce n'est le péché
seulement, il est semblable ŕ nous. En effet, s'il avait été sans tentations,
il ne les aurait pas expérimentées et ainsi il ne compatirait pas. Mais s'il
avait connu le péché il n'aurait pas pu nous aider mais il aurait plutôt besoin
d'aide ť {Ad Heb. lect., TV, n° 237).
2. Cette
opinion est rapportée par Théophylacte {Enarr.
in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 250 C).
3. Jn 13,
37-38.
4. Ps 17,
26.
5. Cf. saint Grégoire le Grand, Morales sur
Job, II, n, 2, SC 32 bis, p. 255-257.
6. Mt 24,
12.
I
LE
GRAND PRĘTRE DONC, INTERROGEA JÉSUS AU SUJET DE SES DISCIPLES ET DE SON
ENSEIGNEMENT. (18, 19)
2312. Deux choses étaient reprochées au Christ par les Juifs : d'une part une
doctrine fausse et nouvelle - Quel est cet enseignement nouveau ?7 D'autre part, la sédition et le fait qu'il
attirait les hommes ŕ
lui - Il remue les foules dans toute la Judée, commençant par la Galilée
jusqu'ici8. C'est pourquoi Anne l'interroge au
sujet de ces deux choses. D'abord, certes, AU SUJET DE SES DISCIPLES qu'il
semblait avoir séduits9, puis au sujet
DE SON ENSEIGNEMENT, en l'accusant de fausseté.
7. Mc 1,
27.
8. Lc 23,
5.
9. Ŕ
propos de seducere, voir vol. I, n° 1110.
II
JÉSUS
LUI RÉPONDIT : Ť MOI, J'AI PARLÉ AU MONDE OUVERTEMENT ; J'AI TOUJOURS
ENSEIGNÉ DANS LA SYNAGOGUE ET DANS LE TEMPLE, OŮ TOUS LES JUIFS SE RASSEMBLENT,
ET JE N'AI RIEN DIT EN SECRET. POURQUOI M'INTERROGES-TU ? INTERROGE CEUX
QUI ONT ENTENDU CE QUE JE LEUR AI DIT : C'EST EUX QUI SAVENT CE QUE MOI J'AI
DIT. ť (18, 20-21)
2313. Ici est exposée la réponse du Seigneur. D'abord il affirme le mode de
son enseignement, puis il requiert le témoignage des autres [n° 2316]. Ŕ propos
du premier point, il montre la manifestation de son enseignement, puis il
l'explique [n° 2315].
MOI,
J'AI PARLÉ AU MONDE OUVERTEMENT.
2314. Ŕ cela on peut objecter que plus haut il a dit : Elle vient, l'heure oů je ne vous parlerai plus en
proverbes, mais oů je vous parlerai ouvertement de mon Pčre1. Si donc il n'avait pas encore parlé ouvertement aux
disciples, comment a-t-il parlé au monde ouvertement ? Réponse : il faut
dire qu'il ne parlait pas encore ouvertement aux disciples parce qu'il leur
proposait des maximes excellentes, mais qu'il parla au monde ouvertement parce
qu'il pręchait publiquement ŕ tous.
2315. Il explique donc cela en disant : J'AI TOUJOURS
ENSEIGNÉ DANS LA SYNAGOGUE ET DANS LE TEMPLE, OŮ TOUS LES JUIFS SE RASSEMBLENT,
ET JE N'AI RIEN DIT
EN SECRET. On objectera qu'en
Matthieu2 il
est dit que Jésus enseignait ŕ ses disciples, ŕ part, beaucoup de choses sans
paraboles. Ŕ cela, il y a trois réponses3. L'une est que ce qu'il disait aux
douze disciples n'était pas considéré comme dit d'une maničre cachée. La
deuxičme, qu'il ne donnait pas ces choses aux disciples avec l'intention de les
cacher, mais de les publier - Ce que vous entendez au creux de l'oreille, pręchez-le sur les toits4. La troisičme réponse est que, s'il se trouve
une certaine vigueur dans sa parole, c'est parce que le Seigneur parle ici de
l'enseignement qu'il livrait au peuple, enseignement qu'il n'a pas proposé ŕ
des petits groupes, mais qu'il a donné dans des lieux publics -J'ai annoncé ta justice
dans la grande assemblée5. - Je n'ai pas parlé dans le
secret, en un lieu ténébreux de la terre6.
POURQUOI
M'INTERROGES-TU ? INTERROGE CEUX QUI ONT ENTENDU CE QUE JE LEUR AI DIT :
C'EST EUX QUI SAVENT CE QUE MOI J'AI DIT.
2316. Le Christ réclame ici le témoignage des autres. D'abord il le renvoie
au témoignage des autres ; puis il montre ceux dont il requiert le
témoignage ; enfin, il donne la raison de ces choses. Ŕ propos du premier
point, il dit : Ť POURQUOI M'INTERROGES-TU ? ť, comme pour dire
: tu peux savoir cela par d'autres. C'est pourquoi - et c'est le second point -
il ajoute : Ť INTERROGE CEUX QUI ONT ENTENDU. ť Car, comme il est dit
en Matthieu, Ils envoyčrent
des hommes ŕ Jésus pour qu'ils l'observent et le prennent dans sa parole7, mais ces
hommes ne purent rien trouver contre lui. Et c'est pourquoi il renvoie le grand
prętre ŕ eux. Et il ajoute la raison de cela : Ť C'EST
EUX QUI SAVENT CE QUE MOI J'AI DIT ť, donc ils peuvent témoigner de ces
choses.
1. Jn 16,
25. Voir ci-dessus, n° 2151.
2. Voir
Mt 13, 36 ; cf. 13, 10-11 et 15, 15. Cf. Mc 4, 34 ; cf. 4, 10-11 et
7, 17.
3. Saint
Thomas reprend, en le résumant, le commentaire de saint Augustin {Tract, in Io., CXIII, 3, BA 75, p. 227-229).
Voir aussi Somme théol, III, q. 42, a. 3.
4. Mt 10,
27.
5. Ps 39,
10.
6. Is 45,
19.
7. Mt 22,
15.
III
QUAND
IL EUT DIT CELA, L'UN DES SERVITEURS QUI SE TENAIT LA LUI DONNA UNE GIFLE, EN
DISANT : Ť C'EST AINSI QUE TU RÉPONDS AU GRAND PRĘTRE ? ť JÉSUS
LUI DIT : Ť SI J'AI MAL PARLÉ, PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MA1. MAIS SI
J'AI BIEN PARLÉ, POURQUOI ME FRAPPES-TU ? ť (18, 22-23)
2317. Aprčs la réponse du Seigneur, l'Évangéliste rapporte ici le blâme de
cette réponse ; d'abord le blâme du serviteur, puis la justification du
Seigneur [n° 2320].
2318. Le serviteur blâme la réponse du Seigneur d'abord par un geste, en lui
faisant l'affront de lui donner une gifle. C'est pourquoi l'Évangéliste dit :
QUAND IL, Jésus, EUT DIT CELA, L'UN DES SERVITEURS QUI SE TENAIT LŔ,
c'est-ŕ-dire un des serviteurs du grand prętre, LUI DONNA UNE GIFLE. Ce qui n'arriva
certes pas par hasard, mais avait été prophétisé longtemps auparavant et ŕ
plusieurs reprises : J'ai livré mon corps ŕ ceux qui me frappaient et mes joues ŕ ceux
qui m'arrachaient la barbe1.
- II tendra la joue ŕ qui le frappe (...) 2 - A coups de verge ils frapperont la joue du
juge d'Israël3. En second lieu, il le blâme par une parole en disant :
C'EST AINSI QUE TU RÉPONDS AU GRAND PRĘTRE ?, oů il est donné ŕ entendre
qu'Anne était grand prętre et que Jésus n'avait pas encore été envoyé ŕ Caďphe4. C'est pourquoi Luc fait mention de ces deux grands prętres : Sous
les pontificats, dit-il, des grands prętres Anne et Caďphe5. Et si on parle de deux grands prętres, c'est
parce qu'ils revendiquaient ŕ tour de rôle le pontificat pour eux-męmes ;
mais cette année-lŕ, Caďphe était le prince des prętres6.
1. Is 50,
6. Commentant ce verset du troisičme chant du Serviteur de Yahvé, saint Thomas
dit : Ť II se donne en exemple quant ŕ l'obéissance, en manifestant une
obéissance parfaite (...)ˇ Il manifeste aussi la constance dans l'obéissance,
parce que pour aucun danger il n'a quitté cette obéissance -J'ai livré mon
corps (...)j c'est-ŕ-dire je
me suis exposé ŕ souffrir de telles choses. Peut-ętre au sens littéral a-t-il
souffert ces choses mais c'est dans le Christ que cela a été pleinement
accompli ť (Exp. super Isaiam, 50, 6, p. 206, 1. 71-75).
2. Lm 3,
30.
3. Mi 5,
1.
2319. Le serviteur fut poussé ŕ frapper Jésus du fait qu'il avait fait appel
au témoignage de ses auditeurs. Or plus haut7, alors que les grands prętres
avaient envoyé des serviteurs pour l'appréhender, ceux-ci, saisis par les
paroles de Jésus, revinrent en disant que jamais un homme n'avait parlé
comme cet homme8. Voulant donc ici se justifier en
montrant qu'il n'était pas de ceux-lŕ, le serviteur le frappa, en conjecturant
que le Christ avait mal répondu au grand prętre. En effet, en disant : Pourquoi
m'interroges-tu ?, il semblait avoir blâmé le grand prętre par une
interrogation imprudente, alors qu'il est écrit : Ne maudis pas le chef de ton peuple9.
SI J'AI
MAL PARLÉ, PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MA1. MAIS SI J'AI BIEN PARLÉ, POURQUOI
ME FRAPPES-TU ?
4. Cf. saint Augustin, De consensu
Evangelistarum, III, vi, 24, PL 34, col. 1170.
5. Lc 3,
2.
6. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXIII,
5, BA 75, p. 235. En réalité, Caďphe occupait la charge de grand prętre depuis
l'an 18. Anne est réguličrement qualifié du titre de grand prętre parce qu'il
exerça cette fonction de l'an 6 ŕ 15, qu'il était le beau-pčre de Caďphe et
qu'il jouissait d'une grande influence. En 36, Vitellius, légat de Syrie,
remplaça Caďphe par le propre fils d'Anne, Jonathan. Au sujet de Caďphe, déjŕ
mentionné par l'Évangéliste au sujet de sa prophétie sur la mort de Jésus, voir
vol. I, n'11 1579 et 1580.
7. Cf. Jn
7, 32.
8. Jn 7,
46.
9. Ex 22,
28.
2320. Ensuite, Jésus se justifie avec raison quand il dit : SI J'AI MAL PARLÉ
en répondant au grand prętre, PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MA1. Autrement dit :
si, ŕ partir des paroles que j'ai prononcées, tu as quelque chose que tu
puisses me reprocher, montre ce que j'aurais dit de ma1. Car c'est sur la parole de deux ou
trois témoins que tout fait sera établi1. MAIS SI J'AI BIEN
PARLÉ, c'est-ŕ-dire si tu ne peux pas montrer cela, POURQUOI ME
FRAPPES-TU ?, autrement dit : Pourquoi te déchaînes-tu contre moi ?
Cela peut aussi se rapporter ŕ ce
qu'il a dit plus haut : Interroge ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit2, et le sens est alors celui-ci : SI J'AI MAL
PARLÉ, dans la synagogue et dans le temple, ce que je n'aurais pas dű faire,
PORTE TÉMOIGNAGE AU SUJET DU MAL, donc de ce que j'ai dit, en face du prince
des prętres. Mais cela, le serviteur n'aurait pas pu le montrer, car il n'a pas commis le péché3. - Qui d'entre vous me convaincra de
péché ? 4 MAIS SI J'AI BIEN PARLÉ, c'est-ŕ-dire enseigné,
POURQUOI ME FRAPPES-TU ? Autrement dit, c'est injuste - Le mal se
rend-il pour le bien, qu'ils creusent une fosse pour mon âme ?5
2321. Mais il y a ici une question, parce que le Seigneur a prescrit ŕ ses
disciples : Si quelqu'un te frappe sur la joue droite, présente-lui encore
l'autre6, et Luc parle de ce que Jésus a
fait et enseigné7. Il aurait donc dű faire ce qu'il a
enseigné. Mais cela, il ne l'a pas fait8 ; bien plus, il semble avoir
fait le contraire, il a protesté. Ŕ cela il faut répondre, selon Augustin9, que les paroles et les préceptes de l'Écriture Sainte peuvent ętre
interprétés et compris ŕ partir des actions des saints, puisque ceux-ci
agissent sous la motion du męme Esprit Saint qui a inspiré les Prophčtes et les
autres auteurs de l'Écriture Sainte. En effet, comme le dit Pierre, c'est
inspirés par l'Esprit Saint que les saints hommes de Dieu ont parlé10 ; et Paul : Ceux qui sont mus par l'Esprit de Dieu, ceux-lŕ
sont fils de Dieu11.
Ainsi, l'Écriture
Sainte doit ętre comprise telle que le Christ et les autres saints l'ont
gardée. Or le Christ n'a pas présenté l'autre joue au serviteur, et Paul non
plus 12. Il ne faut donc pas comprendre que
le Christ avait ordonné que l'on tendît au sens littéral, matériellement, l'autre
joue ŕ celui qui en frappe une. Mais il faut comprendre que l'âme doit se
préparer afin que, si cela était nécessaire, elle soit dans une disposition
telle qu'elle ne s'émeuve pas contre celui qui frappe, mais soit pręte ŕ
supporter quelque chose de semblable et męme davantage. Et cela, le Seigneur
l'a observé, lui qui a livré son corps ŕ la mort. Ainsi la protestation du
Seigneur fut utile ŕ notre instruction13.
1. Dt 19,
15.
2. Jn 18,
21.
3. 1
Ρ 2, 22.
4. Jn 8,
46.
5. Jr 18,
20.
6. Mt 5,
39.
7. Ac 1,
1.
8. Saint
Thomas commente ainsi le verset de saint Matthieu qu'il vient de citer (Mt 5,
39) : Ť Un outrage fait ŕ des personnes (...) peut ętre repoussé de trois
maničres. Soit on l'empęche comme Paul qui, par des soldats, a empęché les
outrages des Juifs ; soit on convainc l'autre d'erreur, comme le Seigneur
l'a fait pour celui qui lui donnait une gifle (cf. Jn 18, 23) - et cela est
permis ŕ tous, aussi bien parfaits qu'imparfaits ; ou encore on la
repousse contraint par une nécessité, comme quand une blessure ne peut ętre
évitée ni par la fuite, ni par un autre moyen de l'empęcher ť (Sup. Matth. lect., V, n" 542).
9. Tract, in Io., CXIII, 4, BA 75, p. 233.
10. 2
Ρ 1, 21.
11. Rm 8,
14.
12. Cf. Ac
16, 37 ; 22, 25 et 23, 2-3.
13. Voir vol. I, Préface, p. 16 et note 3, sur la maničre intérieure de garder la parole de Dieu en confrontant deux versets de l'Écriture qui semblent ętre en contradiction.
2322. On montre ici comment Jésus est envoyé par le grand prętre ŕ l'autre
grand prętre. D'abord on expose l'envoi, puis on achčve le récit du reniement
de Pierre [n° 2324].
2323. Il dit donc : ET ANNE L'ENVOYA, LIÉ, AU GRAND PRĘTRE CAĎPHE, ŕ qui il
était conduit dčs le début ; la cause pour laquelle Anne l'avait d'abord
mis ŕ l'écart a été dite plus haut [n° 2296]. Mais soyons attentifs ŕ sa
fourberie. En effet, alors qu'il aurait dű relâcher Jésus, vu qu'il était sans
faute, il l'a cependant envoyé ligoté ŕ Caďphe.
OR
SIMON-PIERRE SE TENAIT LA ET SE CHAUFFAIT. ILS LUI DIRENT DONC : Ť N'ES-TU
PAS, TOI AUSSI, DE SES DISCIPLES ? ť IL NIA ET DIT : Ť JE N'EN
SUIS PAS. ť UN DES SERVITEURS DU GRAND PRĘTRE, PARENT DE CELUI Ŕ QUI
PIERRE AVAIT COUPÉ L'OREILLE, LUI DIT : Ť NE T'AI-JE PAS VU DANS LE JARDIN
AVEC LUI ? >> DE NOUVEAU PIERRE NIA. ET AUSSITÔT, UN COQ CHANTA.
(18, 25-27)
2324. On traite ici du second, puis du troisičme reniement de Pierre, en
affirmant d'abord l'occasion du reniement, puis le double reniement de Pierre
[n° 2326], et enfin l'accomplissement du signe des paroles du Christ [n° 2327].
OR
SIMON-PIERRE SE TENAIT LŔ ET SE CHAUFFAIT.
2325. L'occasion du second reniement de Pierre fut qu'il s'attarda avec les
serviteurs du grand prętre qui se tenaient auprčs du feu. Car, selon Chrysostome1, alors que le Christ s'éloignait vers Caďphe,
Pierre resta encore avec les serviteurs. En effet il avait, aprčs son [premier]
reniement, été absorbé par le péché ŕ tel point que, lui qui auparavant était
plein d'ardeur, semblait maintenant ne plus se soucier du Christ - J'ai
pręté attention et j'ai écouté (...). Personne ne fait pénitence pour son péché
en disant : Ť Qu'ai-je fait ? ť2 C'est pourquoi l'Évangéliste dit : OR SIMON-PIERRE SE TENAIT LŔ ET SE
CHAUFFAIT, bien que le Christ se fűt éloigné de lŕ, et il ne se souvenait pas
de ce que dit le psaume : Bienheureux l'homme qui ne va pas au conseil des
impies et ne se tient pas sur le chemin des pécheurs3. Mais on ne peut pas s'arręter ŕ cette
interprétation, parce qu'alors il s'ensuivrait que le second et le troisičme
reniements auraient eu lieu en l'absence du Christ, ce qui va contre ce que dit
Luc : aprčs le troisičme reniement de Pierre, le Seigneur, s'étant retourné,
regarda Pierre4. C'est pourquoi Augustin5, expliquant cela autrement, dit que l'Évangéliste, selon son habitude,
parle par récapitulation, pour montrer la continuation et l'ordre de la
réalité. Il avait dit en effet plus haut que les serviteurs se tenaient lŕ et
que Pierre se tenait avec eux et se chauffait6, aprčs quoi il a exposé l'interrogatoire du Christ par le grand prętre
[Anne], et pour enchaîner il reprend presque les męmes paroles en disant : OR
SIMON-PIERRE SE TENAIT LŔ ET SE CHAUFFAIT, c'est-ŕ-dire avant que le Christ ait
été envoyé ŕ Caďphe.
ILS LUI
DIRENT DONC : Ť N'ES-TU PAS, TOI AUSSI, DE SES DISCIPLES ? ť IL
NIA ET DIT : Ť JE N'EN SUIS PAS. ť> UN DES SERVITEURS DU GRAND
PRĘTRE, PARENT DE CELUI Ŕ QUI PIERRE AVAIT COUPÉ L'OREILLE, LUI DIT : Ť NE
T'AI-JE PAS VU DANS LE JARDIN AVEC LUI ? ť> DE NOUVEAU PIERRE NIA.
1. Cf. In Ioannem hom., LXXXIII, 3, PG 59, col. 451.
2. Jr 8, 6.
3. Ps 1, 1.
4. Lc 22, 61.
5. De consensu Evangelistarum, III, vi, 24, PL 34, col. 1170.
6. Jn 18,
18.
2326. On rapporte ensuite le deuxičme et le troisičme reniements de Pierre,
et ŕ propos de l'un et l'autre deux choses sont rapportées : l'occasion du
reniement (l'interrogation) et le reniement lui-męme. Mais ici surgissent deux
questions littérales1. Car Matthieu, parlant du second
reniement, dit : Comme il sortait vers le portail, une autre servante le vit et dit
ŕ ceux qui étaient lŕ : celui-ci aussi était avec Jésus le Nazaréen. Et de
nouveau, il nia en jurant2. Il semble donc y avoir ici deux
contradictions. D'abord, parce que Jean a dit que Pierre nia alors qu'il se
tenait auprčs du feu, et Matthieu alors qu'il sortait de la maison. Autre
contradiction : selon Matthieu, Pierre est interrogé par Ť une autre
servante ť et, selon Jean, il est interrogé par d'autres, ŕ savoir
plusieurs : ILS LUI DIRENT DONC... Ŕ cela il faut répondre que la premičre fois
oů Pierre nia, il se leva et sortit par la porte et que, au moment oů il
sortait, une autre servante l'interrogea ou bien dit aux autres qu'il était
Ť de ceux-lŕ ť, comme le rapporte Matthieu. Et c'est ainsi qu'il nia
une seconde fois. Aprčs quoi, Pierre revint pour se disculper aussi de cela et
s'assit avec les autres, et, alors qu'il était assis lŕ, les autres qui avaient
entendu la servante l'interrogčrent de nouveau, comme le dit Matthieu3. Ou bien d'abord un seul, puis beaucoup d'autres, comme il est dit
ici. Et c'est ainsi qu'il nia une troisičme fois. C'est pourquoi on ajoute, au
sujet du troisičme reniement : UN DES SERVITEURS DU GRAND PRĘTRE, PARENT DE
CELUI Ŕ QUI PIERRE AVAIT COUPÉ L'OREILLE... Ce troisičme a rendu témoignage
parce qu'il l'a vu : Ť NE T'AI-JE PAS VU DANS LE JARDIN AVEC
LUI ? ť Et DE NOUVEAU, un intervalle d'une heure s'étant écoulé,
PIERRE NIA, pour la troisičme fois. Peu importe que les autres évangélistes
disent que la troisičme interrogation a été posée par plusieurs et que Jean
dise qu'elle a été posée par un seu1. En effet, il a pu se faire que celui qui
était le plus sűr de lui ait interrogé et incité les autres ŕ interroger. Car,
concernant ces paroles, beaucoup de choses ont été dites par ceux qui y ont assisté,
et un évangéliste en rappelle une et un autre en rappelle une autre, parce que
leur intention principale ne porte pas lŕ-dessus ; elle est plutôt de
rappeler les paroles de Pierre et de montrer la vérité de ce que le Seigneur
avait dit ŕ Pierre4. C'est pourquoi tous se rejoignent
dans les paroles de Pierre.
2327. Il s'agit ensuite du signe qui rappelle [ce qu'avait annoncé] le
Christ, ET AUSSITÔT, UN COQ CHANTA, mű par la puissance divine, pour que fűt
accomplie la prédiction du médecin et confondue la présomption du malade5.
1. Dans
l'énoncé des difficultés soulevées dans ce paragraphe et le suivant, saint Thomas reprend ce que
dit saint Augustin dans son De consensu Évangelistarum, III, vi, 24-25, PL 34, col. 1171-1172.
2. Mt 26,
71-72.
3. Cf. Mt
26, 73-74.
4. Cf. Nb
23, 19 Dieu n'est pas comme un homme, pour qu'il mente.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXIII,
6, BA 75, p. 237.
2328. On traite ici de la remise du Christ aux Gentils. L'Évangéliste rapporte d'abord comment il a été remis au gouverneur 1 ; puis comment sa cause est examinée par le gouverneur [n° 2335] ; enfin, comment son innocence est proclamée [n° 2366].
ILS
AMENENT DONC JÉSUS DE CHEZ CAĎPHE AU PRÉTOIRE. COMME C'ÉTAIT LE MATIN,
EUX-MĘMES N'ENTRČRENT PAS DANS LE PRÉTOIRE POUR NE PAS ĘTRE SOUILLÉS MAIS
POUVOIR MANGER LA PÂQUE. (18, 28)
Ŕ propos du premier point, il fait
trois choses : il décrit d'abord oů eut lieu cette remise du Christ aux
Gentils, puis le temps [n° 2330], et enfin le mode [n° 2331].
ILS
AMČNENT DONC JÉSUS DE CHEZ CAĎPHE AU PRÉTOIRE.
2329. Le lieu est le PRÉTOIRE, qui est le lieu du jugement. C'est pourquoi,
dans l'armée, on avait l'habitude d'appeler Ť prétoire ť le lieu oů
était la tente du chef ; de lŕ vient qu'ici on appelle
Ť prétoire ť la maison du gouverneur. Mais comment Jésus est-il
conduit ŕ Caďphe dans le prétoire ?2 Ŕ cela il faut répondre qu'on
pourrait dire que Caďphe les avait précédés dans la maison de Pilate pour
l'informer du fait que Jésus allait lui ętre présenté. Dans ce cas, c'est au
moment oů Caďphe sortait de chez Pilate pour se rendre avec lui au prétoire,
que Jésus fut remis ŕ Pilate. Ou bien on peut dire que, Caďphe étant prince des prętres, il avait des
demeures spacieuses, si bien que dans une de leurs parties il pouvait męme
accueillir le gouverneur. Le sens est alors celui-ci : ILS AMČNENT DONC JÉSUS ŕ
CAĎPHE, c'est-ŕ-dire ŕ sa maison, et cela AU PRÉTOIRE. Ou bien il faut dire, et
lŕ le texte grec est meilleur : ILS AMČNENT DONC JÉSUS DE CHEZ CAĎPHE AU
PRÉTOIRE ; ainsi, tout doute est enlevé.
1. Cf. Mt
27, 2.
2. Alors
que dans la Vulgate on trouve de façon juste Ť a Caipha ť, le
texte que commente saint Thomas, comme celui utilisé par saint Augustin (Tract,
in Io., CXIV, 1, BA 75, p. 239-241, dont saint Thomas reprend
l'explication), a bizarrement : Ť ad Caipham ť. Le texte grec
affirme clairement que le groupe quitta la maison de Caďphe pour se rendre chez
Pilate.
C'ÉTAIT
LE MATIN.
2330. On indique ici le temps. En effet, la fourberie [de ceux qui avaient
arręté Jésus] était si grande qu'ils n'eurent aucun retard ŕ livrer ŕ Pilate
celui qui devait ętre tué - Ť Malheur ŕ vous qui (...) inventez le mal
sur vos lits ť : ŕ la lumičre du matin ils l'accomplissent, parce que leur
main est contre Dieu3.
- L'homicide se lčve de grand matin, il tue l'indigent et le pauvre4. Mais ŕ partir de lŕ surgit une question grave. Car les
trois autres évangélistes affirment que vers le début de la nuit le Seigneur
fut flagellé dans la maison de Caďphe et examiné par lui - Dis-nous si tu es le Christ5 -, et que de grand matin il fut conduit ŕ Pilate. Mais
Jean dit qu'il fut conduit ŕ Caďphe. Lŕ il faut dire, si nous voulons garder
notre texte, que Caďphe le vit d'abord quand il était dans la maison d'Anne, de
nuit, et qu'alors Jésus put ętre interrogé par lui. Il reste encore un doute au
sujet de ce qu'ils disent, qu'il fut flagellé dans la maison de Caďphe, mais
cela est complčtement résolu selon ce qu'il y a dans le grec, ŕ savoir qu'ils l'amčnent de chez Caďphe au
prétoire ; parce qu'alors,
selon ce texte, il fut amené de nuit de la maison d'Anne ŕ la maison de Caďphe
oů il fut flagellé et interrogé, et le matin, il fut conduit de chez Caďphe au
prétoire.
3. Mi 2,
1.
4. Jb 24,
14.
5. Lc 22,
66.
EUX-MĘMES
N'ENTRČRENT PAS DANS LE PRÉTOIRE POUR NE PAS ĘTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER
LA PÂQUE. (18, 28)
2331. Lŕ est indiqué le mode de la remise du Christ aux Gentils. On signale
d'abord leur vaine superstition, parce qu'ils n'entrčrent pas dans le
prétoire ; en second lieu la déférence de Pilate ŕ leur égard, puisqu'il
sortit ŕ leur rencontre. Mais sur ce que dit Jean quant au premier point, ŕ
savoir qu'ils n'entrčrent pas pour ne pas ętre souillés, un doute subsiste. En
effet, les autres évangélistes disent que le Christ fut arręté le soir du jour
de la Cčne, et c'était alors
la Pâque - J'ai désiré d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous
avant de souffrir1. Et que le lendemain, dčs le matin, il fűt
conduit au prétoire. Comment donc Jean affirme-t-il ici : POUR (...) POUVOIR
MANGER LA PÂQUE, puisque c'était le lendemain de la Pâque 2 ? Devant cela, certains Grecs modernes disent que cela eut lieu
le quatorzičme jour aprčs la nouvelle lune et qu'il fut crucifié le jour męme
oů les Juifs célébraient la Pâque. Ils disent que le Christ devança la Pâque
d'une journée, sachant que la mort était pour lui imminente, lors de la Pâque
des Juifs ; c'est pourquoi il célébra la Pâque le soir du treizičme jour
aprčs la nouvelle lune. Et ils disent cela parce qu'il était prescrit dans la
Loi qu'ŕ partir du quatorzičme jour du premier mois jusqu'au vingt et uničme
jour du premier mois, on ne devait pas trouver de pain fermenté chez les Juifs.
Aussi disent-ils que le Christ consacra son corps ŕ partir de pain fermenté.
2332. Mais cela ne tient pas debout, pour deux raisons. D'abord parce qu'on
ne trouve nulle part dans l'Ancien Testament qu'il soit permis ŕ quelqu'un de
devancer la célébration de la Pâque ; par contre, si on avait un
empęchement, il était permis de la différer jusqu'au mois suivant, comme il est
dit au livre des Nombres3. Or le Christ n'a rien négligé des
observances légales ; ils disent donc quelque chose de faux, ceux qui
affirment qu'il a devancé la Pâque. En second lieu, cette interprétation ne
tient pas puisqu'il est affirmé expressément en Marc que le Christ vint le jour
des azymes, oů il était nécessaire d'immoler la Pâque4 ; et Matthieu dit que le premier jour des azymes, les disciples s'approchčrent de Jésus en
lui disant : Ť Oů veux-tu que nous prépanons pour toi [ce qu'il faut] pour
manger la Pâque ? ť5 On ne doit donc pas dire que le Christ a devancé la
Pâque.
2333. C'est pourquoi Chrysostome6 dit autrement, ŕ savoir que le
Christ, accomplissant la Loi en toutes choses, célébra la Pâque en son temps, ŕ
savoir le soir du quatorzičme jour aprčs la nouvelle lune ; mais que les
Juifs étaient tellement déterminés ŕ tuer le Christ qu'ils ne célébrčrent pas
la Pâque ŕ son jour, mais le jour suivant, ŕ savoir le quinzičme jour aprčs la
nouvelle lune. C'est pourquoi lÉvangéliste dit : POUR NE
PAS ĘTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE, qu'ils avaient omise le jour précédent. Mais cela
non plus ne tient pas, parce qu'il est dit dans les Nombres 1 que si quelqu'un, ŕ cause d'empęchements, ne
peut pas célébrer la Pâque le quatorzičme jour aprčs la nouvelle lune du
premier mois, il doit la célébrer, non pas le jour suivant, mais le quatorzičme
jour aprčs la nouvelle lune du second mois.
1. Lc 22, 15.
2. Sur le jour de la Pâque, voir
ci-dessus, nos
1729-1730.
3. Nb 9,
9-11 Yahvé parla ŕ Moďse, et dit : Ť Parle aux enfants d'Israël, et
dis-leur : Si quelqu'un d'entre vous ou de vos descendants est impur ŕ cause d'un
mort, ou est en voyage dans le lointain, il célébrera la Pâque en l'honneur de
Yahvé. C'est au second mois qu'ils la célébreront, le quatorzičme jour, entre
les deux soirs ; ils la mangeront avec des pains sans levain et des herbes
amčres ť.
4. Voir
Mc 14, 12 et Lc 22, 7.
5. Mt 26,
17.
6. In Ioannem hom., LXXXIII, 3, PG 59, col. 452.
2334. Il faut donc dire, selon Jérôme, Augustin et d'autres docteurs latins2, que le quatorzičme jour aprčs la nouvelle lune est le début de la solennité ; et ce n'est pas seulement le soir qu'on appelle la Pâque, c'est toute la durée des sept jours durant lesquels on mangeait des azymes, qui devaient ętre mangés par les purs. C'est pourquoi les Juifs, qui auraient contracté une impureté en entrant dans le prétoire d'un juge étranger, n'y entrčrent pas, POUR NE PAS ĘTRE SOUILLÉS MAIS POUVOIR MANGER LA PÂQUE, c'est ŕ dire les pains azymes. Mais soyons attentifs ŕ leur aveuglement impie, parce qu'ils craignaient d'ętre contaminés par un Gentil, un homme paďen, alors que le sang de [celui qui était] Dieu et homme, ils ne craignaient pas de le répandre3 - Tes bâtisseurs vinrent pour te détruire, dévastant ils s'éloignent de toi4.
2335. L'Évangéliste montre ensuite la déférence de Pilate ŕ l'égard des serviteurs du grand prętre en disant : PILATE SORTIT DONC VERS EUX AU-DEHORS ; et comment, recevant d'eux le Christ offert (oblatum), il dit : Ť QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS CONTRE CET HOMME ? ť II s'agit donc de l'examen du Christ, qui va ętre d'abord examiné par Pilate en face des accusateurs, et ensuite en privé [n° 2343].
Ŕ propos du premier point,
l'Évangéliste expose d'abord l'examen de Pilate, puis sa concession faite avec
libéralité [n° 2338].
1. Cf. n°
2332, note 3.
2. Saint JÉRÔME, Commentaire sur Saint
Matthieu, IV, 17 (26, 17), SC 259, p. 241. Saint AUGUSTIN, Quaestiones veteris et novi testamenti, q.
84, PL 35, col. 2279. Voir aussi Alcuin,
Comm. in S. Ioannis Evang., VII, 40, PL 100, col. 968 C-D.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXIV, 2, BA 75, p. 241.
4. Is 49,
17. L'édition léonine corrige et renvoie ŕ Is 65, 4 C'est un peuple (...)
qui mange la chair de porc et met du jus impur dans ses plats.
I
PILATE
SORTIT DONC VERS EUX AU-DEHORS ET DIT : Ť QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS
CONTRE CET HOMME ? ť ILS RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT : Ť SI CE
N'ÉTAIT PAS UN MALFAITEUR, NOUS NE TE L'AURIONS PAS LIVRÉ. ť (18, 29-30)
2336. Ici commence l'examen de Pilate, [une interrogation] suivie de la
réponse pleine de malice des Juifs. Pilate, voyant Jésus ligoté et conduit par
tant de monde pour ętre condamné, dit : Ť QUELLE ACCUSATION PORTEZ-VOUS CONTRE CET
HOMME ? ť ILS RÉPONDIRENT ET LUI DIRENT : Ť SI CE N'ÉTAIT PAS UN
MALFAITEUR, NOUS NE TE L'AURIONS PAS LIVRÉ. ť Autrement dit : Ť Nous,
nous l'avons examiné et
nous te le livrons déjŕ condamné, comme un homme qu'il faut punir ť
- comme si leur jugement suffisait ŕ Pilate. Mais en disant qu'il est un
malfaiteur ils mentent, parce qu'il est passé en faisant le bien et en guérissant tous ceux
qui étaient opprimés par le diable1. Cela, ils le font selon cette parole du psaume : Ils me rendaient le
mal pour le bien2.
2337. Il est dit en Luc qu'ils chargeaient le Christ de nombreux crimes - Il sčme le trouble dans le peuple en enseignant
dans toute la Judée, depuis la Galilée jusqu'ici3. Mais lŕ [ils ne l'accusent] de rien. Ŕ cela je réponds que les Juifs
ont alors dit beaucoup de paroles ŕ Pilate, comme le dit Augustin4, mais que peut-ętre il y eut d'abord ce que Jean montre ici, et
ensuite ce que dit Luc.
II
PILATE
LEUR DIT DONC : Ť PRENEZ-LE, VOUS, ET JUGEZ-LE SELON VOTRE LOI ť LES
JUIFS LUI DIRENT DONC : Ť IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER
QUELQU'UN ť, POUR QUE LA PAROLE DE JÉSUS FŰT ACCOMPLIE, CELLE QU'IL AVAIT
DITE, SIGNIFIANT DE QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR. (18, 31-32)
2338. Ensuite, on expose la concession que Pilate fit avec libéralité.
D'abord cette concession, puis la récusation des Juifs [n° 2340], enfin la raison
de cette récusation [n° 2342].
2339. Pilate dit donc : Ť PRENEZ-LE, VOUS, ET JUGEZ-LE SELON VOTRE
LOI ť, soit en voulant leur accorder une grâce - comme Festus a dit ŕ Paul
: Veux-tu monter
ŕ Jérusalem pour y ętre jugé lŕ-dessus en ma présence ?5 -, soit en les accusant car, selon lui, ils avaient eux-męmes examiné
et condamné le Christ, et c'est pourquoi il voulait que ceux qui l'avaient jugé
comme un malfaiteur rendent la sentence. Parce que, comme il est dit dans les
Actes des Apôtres, les
Romains n'ont pas coutume de condamner un homme avant que l'accusé ait été mis
en présence de ses accusateurs et ait reçu le moyen de se défendre pour ętre
lavé des fautes [dont on l'accuse]6. Le sens [de la phrase de Pilate]
est alors celui-ci : Vous demandez notre jugement, mais PRENEZ-LE, VOUS, ET
JUGEZ-LE SELON VOTRE LOI, moi je ne veux en aucune maničre qu'on fasse de moi
un tel juge7.
LES
JUIFS LUI DIRENT DONC : Ť IL NE NOUS EST PAS PERMIS DE TUER
QUELQU'UN. ť
2340. La récusation des Juifs est exposée aussitôt aprčs. Mais il est dit
dans l'Exode : Tu ne laisseras pas vivre les sorciers8 ; or ils considéraient
Jésus comme un sorcier. Mais, selon Augustin9, ils disent : IL NE NOUS EST PAS
PERMIS DE TUER QUELQU'UN un jour de fęte, mais un autre jour, oui. Ou bien,
selon Chrysostome 10, les Juifs avait perdu beaucoup de
pouvoir, parce que le jugement sur le péché d'ordre politique ne leur
appartenait pas ; or ils avaient surtout l'intention de le condamner pour
ce qui était contre l'État - Quiconque se fait roi s'oppose ŕ César11. C'est pourquoi ils disent : Ť IL NE NOUS
EST PAS PERMIS DE TUER
QUELQU'UN ť, c'est-ŕ-dire celui qui agit contre l'État, alors que cela
leur était permis pour un péché contre la Loi, dont le jugement leur était
réservé. Ou bien il faut dire, autrement, que quelque chose n'est pas permis ŕ
quelqu'un soit parce que cela est défendu par la loi divine - et en ce sens
cela ne leur était pas défendu -, soit parce que cela leur était défendu par
une loi humaine - et en ce sens il ne leur était pas permis de tuer quelqu'un
parce que ce pouvoir était détenu par le gouverneur.
1. Ac 10,
38.
2. Ps 34,
12.
3. Le 23,
5.
4. De
consensu Evangelistarum, III, vu, 27, PL 34, col. 1174.
5. Ac 25, 9.
6. Ac 25, 16.
7. Cf. Théophylacte,
Enarr. in Evang. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 255 D.
8. Ex 22, 18.
9. Tract, in Io., CXIV, 4, BA 75, p. 243-245.
10. In Ioannem hom., LXXXIII, 4, PG 59, col. 452.
11. Jn
19, 12.
2341. Lŕ il reste une question, parce qu'ils ont lapidé Etienne1. Mais ŕ cela Chrysostome2 répond qu'aux Juifs les Romains
avaient permis d'utiliser leurs propres lois ; et la peine de la
lapidation, parce qu'elle était infligée par la Loi, leur avait été concédée
par les Romains. Mais dans la Loi, la mort de la croix était un opprobre - Maudit soit celui qui
est pendu au bois3 -, et c'est pourquoi ils n'avaient pas
maintenu ce genre de mort. Or les Juifs, en raison de leur malice, n'étaient
pas satisfaits de pouvoir lapider le Christ : ils voulaient le condamner ŕ la
mort la plus ignominieuse, comme il est dit au livre de la Sagesse4. Et c'est pourquoi ils disent maintenant : Ť IL NE NOUS EST PAS
PERMIS DE TUER QUELQU'UN ť, c'est-ŕ-dire de la mort de la croix. Ou bien
il faut dire qu'Etienne fut lapidé lors d'un changement de magistrature, oů
beaucoup de choses illicites sont usurpées, qui ne se feraient pas tant que
dure le pouvoir.
POUR
QUE LA PAROLE DE JÉSUS FŰT ACCOMPLIE, CELLE QU'IL AVAIT DITE, SIGNIFIANT DE
QUELLE MORT IL DEVAIT MOURIR.
2342. L'Évangéliste ajoute la raison de leur récusation. Le Ť pour ť ne se réfčre pas ŕ l'intention des Juifs, mais ŕ la disposition de la divine Providence. Jésus a dit en effet5 qu'il devait ętre tué par les paďens et crucifié, mais en ayant été livré par les Juifs. Et c'est pourquoi, pour que cela fut accompli, ils ne voulurent pas le juger ni le tuer eux-męmes6.
2343. Plus haut a été exposé l'examen du Christ par Pilate face ŕ ses
accusateurs ; ici, l'Évangéliste montre comment Pilate a examiné le Christ
chez lui. Il traite d'abord de l'interrogation de Pilate qui examine, puis de
la réponse du Christ examiné [n° 2349].
Pilate interroge Jésus.
Ŕ propos du premier point,
l'Évangéliste fait deux choses : d'abord il expose l'interrogation de Pilate, puis
la cause de l'interrogation, ŕ savoir l'examen [n° 2346].
I
PILATE
ENTRA DONC DE NOUVEAU DANS LE PRÉTOIRE, APPELA JÉSUS ET LUI DIT : Ť ES-TU
LE ROI DES JUIFS ? ť (18, 33)
1. Voir
Ac 7, 58.
2. Ibid.
3. Dt 21,
23.
4. Sg 2,
20 Condamnons-le ŕ une mort honteuse, puisque, d'aprčs ses dires, il sera
visité.
5. Voir Mt 20, 19.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXIV, 5, BA 75, p. 249.
2344. Ŕ propos du premier point, il faut savoir que Pilate, comme un juste
juge, et traitant toutes choses avec soin, n'a pas acquiescé tout de suite ŕ
l'accusation du grand prętre - Tu ne suivras pas la foule pour faire le mal,
et dans un jugement tu n'acquiesceras pas ŕ la sentence du plus grand nombre de
sorte que tu dévies de ce qui est vrai1. Mais il entra DE NOUVEAU DANS LE PRÉTOIRE, APPELA JÉSUS, c'est-ŕ-dire ŕ
part, parce qu'il avait une grande suspicion ŕ son sujet. C'est pourquoi il
appela ŕ lui le Christ, pour scruter toutes choses avec plus de soin et pour
que le Christ, éloigné du tumulte des Juifs2, répondît plus tranquillement - La
cause que j'ignorais, je Vétudiais avec grande attention3.
2345. Il lui dit alors : Ť ES-TU LE ROI DES JUIFS ? ť D'oů il
est évident, comme le rapporte Luc4, que les Juifs lui ont imputé ce
crime, bien que Jean dise seulement : Si ce n'était pas un malfaiteur, nous
ne te l'aurions pas livré5, et qu'ils lui en reprochčrent
beaucoup d'autres. Mais celui-ci toucha davantage le cur de Pilate, et c'est
pourquoi il l'interroge sur ce seul point - C'est de l'abondance du cur que
parle la bouche6.
II
JÉSUS
RÉPONDIT : Ť DIS-TU CELA DE TOI-MĘME, OU BIEN D'AUTRES TE L'ONT-ILS DIT DE
MOI ? ť PILATE RÉPONDIT : Ť EST-CE QUE JE SUIS JUIF, MOI ?
TON PEUPLE ET TES GRANDS PRĘTRES T'ONT LIVRÉ Ŕ MOI QU'AS-TU
FAIT ? ť (18, 34-35)
2346. Ensuite est exposé l'examen de l'interrogation ; l'Évangéliste
rapporte d'abord l'interrogation du Christ, puis la réponse de Pilate [n°
2348].
2347. Il dit donc d'abord que Jésus, inversant l'interrogation, RÉPONDIT :
Ť DIS-TU CELA DE TOI-MĘME, OU BIEN D'AUTRES TE L'ONT-ILS DIT DE
MOI ? ť II faut savoir ici que l'homme interroge pour deux causes :
parfois pour connaître une réalité qu'auparavant il ignorait - et c'est ainsi
que le disciple interroge le maître ; et parfois, au sujet d'une réalité
connue, pour connaître la réponse au sujet de laquelle il interroge - et c'est
ainsi que le maître interroge le disciple7. Mais le Seigneur connaissait ŕ la
fois ce sur quoi il interrogeait et ce qu'on allait lui répondre. C'est
pourquoi il n'interrogeait pas comme par ignorance, parce que toutes choses
sont nues et ŕ découvert devant ses yeux8 ; mais il interroge pour que
nous sachions quelle opinion avaient de sa royauté les Juifs et les Gentils, et
qu'en męme temps nous soyons instruits de cette royauté9.
2348. L'Évangéliste expose ensuite la réponse de Pilate : Ť EST-CE QUE
JE SUIS JUIF, MOI ? ť Mais pourquoi répond-il ainsi ? De toute
évidence, c'est parce que le Seigneur lui avait demandé s'il avait dit cela de
lui-męme. Et c'est pourquoi Pilate montre que ce n'était pas ŕ lui qu'il
appartenait de chercher s'il était le roi des Juifs, mais plutôt aux Juifs dont
il se disait roi, donnant par lŕ ŕ entendre que cela lui avait été dit par
d'autres. Et c'est pourquoi Pilate ajoute : Ť TON PEUPLE ET TES GRANDS PRĘTRES T'ONT LIVRÉ Ŕ MOI ť en
lançant cette accusation contre toi. Et il dit : TON PEUPLE, parce que, dans
son humanité, Jésus était né des Juifs - J'ai entendu en effet les outrages
d'un grand nombre et la terreur tout autour de moi : Ť Poursuivez-le, et
nous le poursuivrons ť ; j'ai entendu aussi de tous les hommes qui
vivaient en paix avec moi, et qui se tenaient ŕ mes côtés : Ť Si en
quelque maničre il était trompé, et que nous prévalions contre lui, et que nous
tirions vengeance de lui1. ť
- Le fils fait outrage ŕ son pčre, et la fille s'élčve contre sa mčre, la
belle-fille contre sa belle-mčre ; les ennemis de l'homme sont ses serviteurs2. Et s'il est dit TES GRANDS PRĘTRES, c'est
parce que plus ils étaient grands dans le pouvoir, plus ils étaient puissants
dans le crime - La main des pnnces et des magistrats fut la premičre dans cette transgression3. - J'irai vers les grands et je leur parlerai : car ils ont connu
les voies du Seigneur et le jugement de leur Dieu ; et voilŕ que, de plus,
tous ensemble ont brisé le joug, ont rompu leurs liens4. Si donc ils t'ont livré ŕ moi, QU'AS-TU FAIT ? - autrement dit :
il n'est pas croyable qu'ils t'aient livré ŕ moi si ce n'est pas pour une cause
grave.
1. Ex23,
2.
2. Cf. ThÉOPHYLACTE, Enarr. in Evang. S. Ioannis.
In h. loc, PG 124, col. 258 B, reprenant le commentaire de saint Jean
Chry-sostome (In Ioannem hom., LXXXIV, 1, PG 59, col. 455) estimant
sérieux et sincčre l'intéręt que Pilate avait ŕ l'égard de Jésus.
3. Jb 29,
16.
4. Voir
Lc 23, 2.
5. Jn 18,
30.
6. Mt 12,
34.
7. Saint
Thomas, en évoquant l'importance de l'interrogation dans la recherche de
l'homme, se montre ici pleinement disciple d'Aristote. En effet, c'est Aristote
qui met en pleine lumičre les interrogations que l'intelligence humaine avide
de connaître pose ŕ partir de l'expérience. Et en soulignant ici les rapports
entre le maître et le disciple, saint Thomas veut montrer comment le Christ
interroge en maître. Par sa science infuse (voir Somme théol., III, q. 11)
il connaît tout, et s'il interroge c'est pour notre instruction.
8. He 4, 13. Voir vol. I, n° 1502, note 6.
9. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXV, 1, BA 75, p. 251.
La réponse du Christ.
I
JÉSUS
RÉPONDIT : Ť MON ROYAUME N'EST PAS DE CE MONDE. ť (18, 36)
2349. Ici nous est donnée la réponse du Christ. D'abord il écarte la fausseté
du soupçon concernant son royaume, puis il établit la vérité [n° 2355]. Ŕ
propos du premier point, il rejette d'abord le faux soupçon, puis il apporte
comme preuve un signe [n° 2352].
2350. Il écarte le faux soupçon en disant : Ť MON ROYAUME N'EST PAS DE
CE MONDE ť. Comprenant mal cela, les manichéens disaient qu'il existe deux
dieux et deux royaumes : un dieu bon, qui a son royaume dans la région de la
lumičre, et un dieu mauvais, qui a son royaume dans la région des ténčbres. Et
ils disaient que cette derničre, c'est ce monde, parce que, selon eux, toutes
les réalités corporelles étaient des ténčbres. Selon cette interprétation, MON
ROYAUME N'EST PAS DE CE MONDE signifie que Dieu le Pčre, qui est bon, et moi,
nous n'avons pas de royaume dans la région des ténčbres. Mais contre cela il
dit dans le psaume : Dieu
est le roi de toute la terre5 ; et encore : Tout ce
qu'il a voulu, Dieu l'a fait, dans le ciel et sur la terre6. C'est pourquoi il faut dire que le Christ a dit cela ŕ cause de Pilate qui
croyait que le Christ ambitionnait de posséder un royaume terrestre sur lequel
il régnerait de maničre terrestre (corporaliter), tout comme les hommes
terrestres ; et pour cela, parce qu'il cherchait ŕ avoir un royaume
illicite, il devait ętre puni de mort7.
2351. Or il faut savoir qu'on appelle Ť royaume ť (regnum) tantôt
le peuple sur qui on rčgne, tantôt le pouvoir royal lui-męme [la royauté].
Prenant le terme Ť royaume ť selon la premičre maničre de le
comprendre, Augustin8 dit que MON ROYAUME, c'est-ŕ-dire
ceux qui croient en moi -
II a fait de nous pour notre Dieu un royaume et des prętres ; et nous
régnerons sur la
terre1 -, N'EST PAS DE CE MONDE. Il ne dit pas :
Ť n'est pas dans ce monde ť, alors qu'il est dit plus haut : Eux
sont dans le monde2, mais N'EST PAS DE CE MONDE par
l'amour et l'imitation3, étant arraché ŕ ce monde par
l'élection de la grâce. C'est ainsi, en effet, que Dieu nous a arrachés au pouvoir des ténčbres et
transportés dans le royaume 4 de son amour (caritatis).
1. Jr 20, 10.
2. Mi 7, 6.
3. Esd 9, 2.
4. Jr 5, 5.
5. Ps 46, 8.
6. Ps 134, 6.
7. Cf. saint
Augustin, Tract, in. Io., CXV, 1, BA 75, p. 253.
8. Tract, in Io., CXV, 2, BA 75, p. 257-259.
Chrysostome5 explique en prenant Ť royaume ť au second sens [ma royauté]
et dit : MON ROYAUME, c'est-ŕ-dire mon pouvoir et l'autorité par laquelle je
suis roi, N'EST PAS DE CE MONDE, c'est-ŕ-dire ne tient pas son origine de
causes mondaines et du choix des hommes, mais d'ailleurs, c'est-ŕ-dire du Pčre
lui-męme - Son pouvoir est un pouvoir éternel qui ne sera pas enlevé et son rčgne, un rčgne
qui ne se corrompra pas6.
SI MON
ROYAUME ÉTAIT DE CE MONDE, MES SERVITEURS AURAIENT COMBATTU POUR QUE JE NE SOIS
PAS LIVRÉ AUX JUIFS. MAIS NON, MON ROYAUME N'EST PAS D'ICI (18, 36)
2352. Ici, le Seigneur apporte l'évidence d'un signe pour prouver que son
royaume n'est pas de ce monde. D'abord il donne le signe, puis il conclut ce
qui était son intention [n° 2354].
2353. Ŕ propos du premier point, il faut savoir qu'il est nécessaire ŕ celui
qui possčde un royaume terrestre, que ce soit d'une maničre juste ou par la
violence, d'avoir des associés et des hommes ŕ son service (ministros) par
lesquels il soit soutenu dans le pouvoir. La raison en est qu'il n'est pas
puissant par lui-męme mais par ses serviteurs - II y eut une longue guerre
entre la maison de Saül et celle de David : David avançait, et toujours plus
fort, alors que la maison de Saül s'affaiblissait de jour en jour7. Mais un roi Ť d'en haut ť (supernus),
parce qu'il est puissant par lui-męme, donne la puissance ŕ ses serviteurs (servis) ;
il n'a donc pas besoin de serviteurs (ministros) pour son royaume8. C'est pourquoi le Christ dit que son royaume n'est pas de ce
monde ; car SI MON ROYAUME ÉTAIT DE CE MONDE, MES
SERVITEURS AURAIENT COMBATTU POUR QUE JE NE SOIS PAS LIVRÉ AUX JUIFS. De lŕ vient que Pierre, voulant
combattre pour le Christ, ne se rendait pas compte que son royaume n'était pas
de ce monde, comme on l'a vu plus haut9. Le Seigneur avait cependant
d'autres serviteurs, ŕ savoir les anges, qui auraient pu l'arracher aux mains
des Juifs. Mais le Seigneur ne voulut pas ętre arraché - Ne puis-je pas faire appel
ŕ mon Pčre, qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d'anges ?
10
MAIS
NON, MON ROYAUME N'EST PAS D'ICI.
2354. Parce qu'il ne cherche pas de tels serviteurs (ministros), il
conclut que son royaume N'EST PAS D'ICI11, c'est-ŕ-dire qu'il ne tient pas son
principe de ce monde. Il est cependant ici, puisqu'il est partout - Il s'étend avec force d'une extrémité du monde ŕ
Vautre et dispose tout avec douceur1. - Demande-moi et je te donnerai les nations
en héritage, et pour domaine les limites de la terre2. - Il lui a donné le pouvoir, l'honneur et le royaume ; et tous les
peuples, les tribus et les langues le serviront.3
1. Ap 5,
10.
2. Jn 17,
11.
3. Voir
ci-dessous, n° 2362.
4. Col 1, 13.
5. In Ioannem hom., LXXXIII, 4, PG 59, col. 453.
6. Dn 7,
14.
7. 2 S 3,
1.
8. Le
Seigneur Ť montre ici la fragilité du royaume des hommes, qui a sa
puissance dans ses serviteurs, tandis que le royaume d'en haut se suffit ŕ
lui-męme, n'en ayant pas besoin ť (saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIII, 4, PG 59, col. 453).
9. Cf. Jn
18, 10.
10. Mt
26, 53. Saint Thomas commente : Ť Et il a dit cela en raison de la
faiblesse de l'âme de Pierre. Pierre considérait qu'il devait le défendre et
qu'il avait besoin de l'aide des hommes. Le Seigneur veut donc lui dire que
s'il pouvait ętre défendu par un secours humain, combien plus l'aurait-il été
par celui des anges. Mais cela n'était pas nécessaire parce que ce sont plutôt
les anges qui sont soutenus par lui ť (Sup. Matth. lect., XXVI, n°
2261).
11. Rappelons
ici les paraboles par lesquelles Jésus a enseigné ŕ ses disciples ce qu'est le
Royaume de Dieu. Chacune dans sa particularité montre que Jésus vient annoncer
un royaume divin et non humain, céleste et non terrestre. Ce royaume est
cependant déjŕ présent sur la terre dans le cur des disciples du Christ par le
mystčre de la grâce et les huit béatitudes. Il est en effet comme ce trésor
caché dans un champ qu'un homme vient ŕ trouver, comme ce négociant
en quęte de perles fines qui en trouve une de grand prix, comme et filet
jeté en mer qui ramasse toutes sortes de choses (Mt 13, 44-50). Il est aussi
comme ce roi qui invite aux noces tous ceux qui sont trouvés au bord des
chemins parce que les premiers invités ont refusé son invitation (cf. Mt 22,
1-14), ou comme ces dix vierges qui, au milieu de la nuit, s'en vont ŕ
la rencontre de l'époux avec leurs lampes allumées (cf. Mt 25, 1-13 ; voir
aussi Le 12, 35-38). Il est comparable aussi ŕ un grain de sénevé (Le
13, 19) et au levain qu'une femme a pris et enfoui dans trois mesures de
farine jusqu'ŕ ce que tout ait levé (Le 13, 21).
1. Sg 8,
1.
II
2355. Le Seigneur manifeste ici la vérité concernant ce qu'est son royaume.
On expose d'abord l'occasion de la manifestation, puis la manifestation
elle-męme [n° 2357], enfin l'effet de la manifestation [n° 2364].
ALORS
PILATE LUI DIT : Ť DONC, TU ES ROI ? ť (18, 37)
2356. Ŕ propos du premier point, il faut savoir que Pilate, ŕ partir des
paroles susdites du Seigneur, comprenant ce royaume comme matériel et loin de
ses frontičres - L'homme
naturel ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu4 -, haletait [dans son
désir] de connaître la vérité, et c'est pourquoi il s'enquiert en disant : Ť DONC, TU ES
ROI ? ť, c'est-ŕ-dire aussi Seigneur.
2. Ps 2, 8. Voir vol. I, n° 1417, note 4.
3. Dn 7, 14.
4. 1 Co 2, 14. Saint Thomas commente : Ť Les
choses au sujet desquelles l'Esprit Saint éclaire la pensée sont au-dessus du
sens et de la raison humaine - De nombreuses choses qui dépassent le sens
humain t'ont été montrées (Si 3, 25) - et ne peuvent donc ętre saisies par
un homme qui s'appuie sur sa seule connaissance sensible. L'Esprit Saint
enflamme męme l'affection ŕ aimer les biens spirituels au mépris des biens
sensibles, et c'est pourquoi celui qui est de vie animale [l'homme naturel] ne
peut saisir les biens spirituels de ce genre puisque, comme le dit le
Philosophe (voir Éthique ŕ Nicomaque, III, 7), ce qu'est chacun
détermine la façon dont la fin lui apparaît - Le sot ne reçoit pas les
paroles de prudence, ŕ moins que tu ne lui dises ce qui est déjŕ dans son cur (Pr
18, 2). - Il parle comme ŕ quelqu'un qui dort, celui qui raconte la sagesse ŕ un sot
(Si 22, 9) ť {Ad 1 Cor. lect., II, nos 112-113). Sur
l'homme naturel et l'homme spirituel, voir vol. I, n" 138, note 6, et n°
1039, note 4.
JÉSUS
RÉPONDIT : Ť C'EST TOI QUI DIS QUE JE SUIS ROI MOI, JE SUIS NÉ ET JE
SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI RENDRE TÉMOIGNAGE Ŕ LA VÉRITÉ. QUICONQUE
EST DE LA VÉRITÉ ÉCOUTE MA VOIX. ť (18, 37)
2357. Lŕ, il confesse d'abord qu'il est roi ; puis il montre la raison
de sa royauté [n° 2359] ; enfin, il donne ŕ entendre sur qui il rčgne [n°
2361].
2358. Ŕ propos du premier point, il faut savoir que le Seigneur, répondant ŕ
la question au sujet de sa royauté, a tempéré sa réponse de telle sorte qu'il
ne déclare pas ouvertement qu'il est roi, puisqu'il n'est pas roi ŕ la maničre
dont Pilate le comprenait, et qu'il ne le nie pas non plus, puisqu'il est
spirituellement Roi des rois5. Il dit donc : Ť C'EST TOI QUI
DIS QUE JE SUIS ROI ť, c'est-ŕ-dire charnellement, mode selon lequel je ne
suis pas roi ; mais moi je suis roi d'une autre maničre - Voici que le roi régnera dans la justice6.
MOI, JE
SUIS NÉ ET JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI RENDRE TÉMOIGNAGE Ŕ LA
VÉRITÉ.
2359. Le Christ montre le mode et la raison de sa royauté, ce qui s'explique
de deux façons. D'une premičre maničre, selon Augustin7, en ce sens que le royaume du Christ sont ceux qui croient en lui,
comme on l'a dit plus haut8. Ainsi, le Christ rčgne sur les
croyants. Et il est venu dans le monde pour que, rassemblant avec lui les
croyants, il acquičre pour lui un royaume comme Y homme noble qui s'en alla dans une région
lointaine pour prendre possession d'un royaume1. Le sens est alors celui-ci : MOI, JE SUIS NÉ, c'est-ŕ-dire d'une
naissance charnelle, (...) POUR CECI... Et il l'explique en disant : ET JE SUIS
VENU DANS LE MONDE en naissant charnellement ; c'est ainsi en effet qu'il
est venu, engendré d'une femme2 - Dieu a envoyé son Fils dans le
monde3 -, POUR CECI RENDRE TÉMOIGNAGE Ŕ
LA VÉRITÉ, c'est-ŕ-dire ŕ moi, qui suis la Venté4. - Et si je me rends témoignage ŕ
moi-męme, mon témoignage est vrai5. Et c'est dans la mesure oů je
manifeste que je suis la vérité, que je me prépare un royaume. En effet, cela
ne peut se faire que par la manifestation de la vérité, manifestation qui ne
pouvait se réaliser que par moi qui suis la Lumičre - L'unique engendré, qui est dans le sein du
Pčre, lui l'a révélé6. - Ces choses qui ont commencé
d'ętre révélées par le Seigneur (...) 7.
5. Voir saint
Augustin, Tract, in Io., CXV, 3, BA 75, p. 259.
6. Is 32, 1.
7. Tract, in Io., CXV, 4, BA 75, p. 261.
8. Voir n° 2351.
2360. Chrysostome8 explique cela d'une autre maničre :
Ť Tu demandes si je suis roi ; et moi je te dis que oui. Mais par un
pouvoir divin, parce que c'est POUR CECI que JE SUIS NÉ du Pčre, d'une nativité
éternelle, comme Dieu de Dieu, et de męme Roi de Roi ť - comme dit le
psaume : Moi j'ai été établi roi par lui9 ; et un peu plus loin : Moi, aujourd'hui,
je t'ai engendré10. Mais ce que le Christ ajoute - ET
JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI - n'est pas donné comme une explication,
mais doit s'entendre de la nativité temporelle, comme s'il disait : Ť Bien
que je sois un roi éternel, cependant JE SUIS VENU DANS LE MONDE POUR CECI RENDRE
TÉMOIGNAGE Ŕ LA VÉRITÉ, c'est-ŕ-dire du fait que je suis roi par Dieu le Pčre. ť
1. Lc 19,
12.
2. Ga 4,
4. Voir vol. I, n° 1555, note 3. Sur la génération charnelle et la génération
spirituelle, voir aussi vol. I, n° 163, note 4.
3. Ibid.
4. Jn 14, 6.
5. Jn 8, 14.
6. Jn 1, 18.
7. He 2, 3.
8. In Ioannem hom., LXXXIII, 4, PG 59, col. 453.
9. Ps 2,
6.
10. Ps 2,
7. Voir vol. I, n° 1287, note 5.
QUICONQUE
EST DE LA VÉRITÉ ÉCOUTE MA VOIX.
2361. Ici, il montre sur qui il rčgne. Lŕ, il faut noter que plus haut11 il s'est dit pasteur et qu'il appelle Ť brebis ť ceux qui
lui sont soumis, et c'est la męme chose que ce qu'il dit ici : il se dit roi et
appelle Ť royaume ť ceux qui lui sont soumis. Car le rapport du roi
aux sujets (subditos) et du pasteur aux brebis est le męme : comme le
pasteur fait paître les brebis 12 - N'est-ce pas les troupeaux que
les pasteurs font paître ?13 -, de męme aussi le roi est le
soutien de ses sujets. Et entre autres le Christ a dit spécialement : Mes
brebis écoutent ma voix14. C'est pourquoi ici il dit :
Ť QUICONQUE EST DE LA VÉRITÉ ÉCOUTE MA VOIX ť, non seulement de
l'extérieur, mais intérieurement en croyant et en aimant, et par l'uvre ŕ
accomplir - Quiconque écoute le Pčre et s'est
mis ŕ son école vient ŕ moi15. Mais d'oů vient ŕ l'homme qu'il ÉCOUTE MA VOIX ? De ce qu'il EST DE LA VÉRITÉ,
qui est Dieu.
2362. Mais alors, puisque tous sont de Dieu, tous sont de la vérité et
écoutent sa voix ? 16 Ŕ cela je réponds que certains sont
de Dieu par la création, et de cette maničre tous sont de Dieu. Mais d'autres
sont de Dieu par l'amour et l'imitation17. C'est pourquoi il est dit plus haut
: Vous n'ętes pas de Dieu1, c'est-ŕ-dire selon l'amour (affectus),
mais vous l'ętes par la création. Celui-lŕ donc ÉCOUTE la VOIX en croyant
et en aimant, qui EST DE LA VÉRITÉ, c'est-ŕ-dire qui reçoit ce don d'aimer la
vérité.
11. Jn
10, 1 sq.
12. Sur
le bon pasteur, voir vol. I, nus 1371-1377 sq. Voir aussi nos 1398 et 1399 oů
saint Thomas commente le verset oů Jésus dit : Je suis le Bon Pasteur.
13. Ez
34, 2.
14. Jn
10, 27. Voir vol. I, n° 1372 Ť En effet, les brebis reconnaissent la
voix du pasteur ŕ partir de leur imagination qui y est habituée. Et ainsi, ceux
qui ont la foi et qui sont justes écoutent la voix du Christ - Aujourd'hui
si vous écoutez sa voix (Ps 94, 8) ť.
15. Jn
6,45.
16. La
remarque et la double réponse qu'en donne saint Thomas ici et dans le
paragraphe suivant s'inspirent du commentaire de saint Augustin (Tract, in Io., CXV, 4, BA 75, p. 263-265).
17. Sur
les modalités de présence de Dieu dans les réalités créées, voir ci-dessus, n°
1853 et note 4, p. 157. Voir aussi n° 1879 et note 5 sur les liens qu'une
créature peut avoir avec Dieu.
2363. Mais remarque qu'il ne dit pas : Ť quiconque écoute ma voix est de
la vérité ť, parce qu'alors nous serions de la vérité parce que nous croyons.
Alors que nous croyons parce que nous sommes de la vérité, c'est-ŕ-dire en tant
que nous recevons le don de Dieu par lequel nous croyons et aimons la vérité - C'est le don de Dieu2. - II vous a été donné, non seulement de croire en lui, mais aussi de
souffrir pour lui3.
PILATE
LUI DIT : Ť QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ? ť (18, 38)
2364. L'Évangéliste rapporte ici l'effet de la réponse. Lŕ il est donné ŕ
entendre que Pilate, ayant écarté l'idée d'un royaume terrestre et comprenant
que le Christ est roi dans l'enseignement de la vérité, désire connaître la
vérité et devenir membre de son royaume. C'est pourquoi il dit :
Ť QU'EST-CE QUE LA VÉRITÉ ? ť, ne cherchant pas quelle est la
définition de la vérité, mais ce qu'est la vérité par la puissance de laquelle
il deviendrait membre de son royaume, donnant par lŕ ŕ entendre que la vérité
était inconnue du monde et avait disparu de presque tous puisqu'ils étaient
incrédules4 - La venté s'est corrompue sur les places5. - Les
vérités ont été diminuées par les fils des hommes6. Mais Pilate n'a
pas attendu la réponse.
1. Jn 8,
47.
2. Ep 2,
8. Saint Thomas commente : Ť Parce que ce qui relčve de la foi est
au-dessus de la raison, le libre arbitre ne suffit pas pour croire - Les
choses au-dessus de la sensibilité humaine te sont montrées (Si 3, 25
[propre ŕ la Vulgate]). - Personne ne connaît ce qui est de Dieu sauf
l'Esprit de Dieu (1 Co 2, 11). Et c'est pourquoi, que l'homme croie ne peut
venir de lui-męme si Dieu ne le lui donne - Et ta volonté, qui l'a connue, si
toi-męme n'as donné la sagesse, et si tu n'as envoyé d'en haut ton Esprit
Saint ? (Sg 9, 17). C'est pourquoi il ajoute : C'est le don de
Dieu, c'est-ŕ-dire la foi męme - Il vous a été donné non seulement de croire en
lui mais aussi de souffrir pour lui (Ph 1, 29) ť (Ad Eph. lect.,
II, n° 95). Voir aussi
vol. I, n° 902, note 7, et n° 918, note
1.
3. Ph 1,
29. Dans son commentaire de l'épître aux Philippiens saint Thomas précise : Ť C'est
par grâce que vous ętes sauvés par la foi (Ep 2, 8), ce qui est le grand et
le premier don. Mais il vous a été donné (...) aussi de souffrir pour lui, ce
qui est un don plus grand, pour que vous ayez souci du Christ comme si vous
étiez ses athlčtes - Les Apôtres s'en allaient tout joyeux d'avoir été jugés
dignes de subir des outrages pour le Seigneur (Ac 5, 41). Si donc c'est
utile et digne d'honneur, agissez avec force ť (Ad Phi1. lect., I,
n° 43).
2365. Il faut donc, quant ŕ cette question, savoir que nous trouvons dans
l'Évangile deux vérités : l'une, incréée et créatrice (facientem), et
celle-ci est le Christ - Moi, je suis le chemin,
la vérité et la vie7. L'autre, faite (factam) - La grâce et la
vérité sont venues par Jésus Christ8. Or la vérité, selon sa raison propre,
implique une proportion entre la réalité et l'intelligence (intellectus). Mais
le rapport de l'intelligence ŕ la réalité est de deux sortes : il y a d'une
part l'Intelligence qui existe comme mesure des réalités, et il s'agit de Celui
qui est cause des réalités ; et d'autre part l'intelligence qui est mesurée
par la réalité, chez celui dont la connaissance est causée par la réalité. La
vérité n'est donc pas dans l'intellect divin parce qu'il est adéquat aux
réalités, mais parce que les réalités sont adéquates ŕ l'intellect divin
lui-męme ; alors que la vérité est dans notre intelligence parce que
celle-ci connaît les réalités telles qu'elles sont1. Ainsi, la Vérité incréée,
l'intellect divin, est une vérité qui n'est pas mesurée ni faite, mais une
vérité qui mesure et qui fait une double vérité : l'une dans les réalités
elles-męmes, en tant qu'elle les fait ętre selon qu'elles sont dans l'intellect
divin ; l'autre qu'elle fait dans nos âmes, et qui est une vérité
seulement mesurée et non mesurante. Et de lŕ vient que la vérité incréée de
l'intellect divin est appropriée au Fils qui est la conception męme de
l'intellect divin et le Verbe de Dieu. En effet, la vérité suit la conception
de l'intellect.
4. Cf. ThÉophylacte, Enarr. in Evang. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 259 D.
5. Is 59,
14.
6. Ps 11,
2 (propre ŕ la Vulgate). Saint Thomas commente ce verset en distinguant la
vérité et les vérités : Ť La vérité primordiale est une, c'est la vérité
qui est dans l'intelligence divine - Moi, je suis le Chemin, la Vérité, et
la Vie (Jn 14, 6) (...). Des vérités diverses apparaissent ŕ partir de
cette unique vérité dont l'âme sainte est illuminée, vérités qui sont diminuées
lorsque l'âme s'éloigne de Dieu ŕ cause de ses fautes. Ou bien il faut répondre
qu'il dit "vérités" en raison de la triple vérité créée qui est dans
les saints : la vérité de la vie - Ah Yahvé ! souviens-toi que j'ai
marché devant ta face dans la vérité et avec un cur intčgre, et que j'ai fait
ce qui est bien ŕ tes yeux ! (Is 38, 3) ; la vérité de la
doctrine - Nous savons que tu es vrai et que tu enseignes la voie de Dieu
dans la vérité (Mt 22, 16) ; et la vérité de la justice - Et toi,
tu distingueras d'entre tout le peuple des hommes capables, craignant Dieu, des
hommes sűrs, ennemis du gain (Ex 18, 21). Il faut donc dire que les vérités
sont diminuées non pas par elles-męmes mais par les enfants des hommes que
leurs fautes ont corrompues. Et la vérité de la vie est diminuée quand le bien
est regardé comme un mal, et la vérité de l'enseignement lorsque la lumičre est
appelée ténčbre. Quant ŕ la vérité de la justice, elle est diminuée quand ce
qui est amer est jugé doux et inversement - Malheur ŕ ceux qui appellent
bien le mal et mal le bien, qui font des ténčbres la lumičre et de la lumičre
les ténčbres, qui font doux ce qui est amer et amer ce qui est doux ! (Is
5, 20). Un seul péché mortel détruit aussitôt la sainteté étant donné que la
grâce vient de Dieu, tandis que la vérité diminue comme progressivement ť
(Exp. in Psalmos, 11, n° 1).
7. Jn 14,
6.
8. Jn 1, 17.
ET
QUAND IL EUT DIT CELA, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES JUIFS ET LEUR DIT :
Ť MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. MAIS C'EST LA
COUTUME QUE, POUR LA PÂQUE, JE VOUS RELÂCHE UN HOMME. VOULEZ-VOUS DONC QUE JE
VOUS RELÂCHE LE ROI DES JUIFS ? ť TOUS CRIČRENT DE NOUVEAU EN DISANT
: Ť PAS LUI, MAIS BARABBAS ! ť OR BARABBAS ÉTAIT UN BRIGAND.
(18, 38-40)
2366. On traite ici de la sentence de Pilate ŕ l'égard du Christ ;
d'abord Pilate déclare son innocence, puis il cherche ŕ faire miséricorde [n°
2368].
ET
QUAND IL EUT DIT CELA, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES JUIFS ET LEUR DIT :
Ť MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. ť
2367. Ŕ propos du premier point il faut savoir que Pilate, comme le dit
Augustin2, voulait volontiers libérer le
Christ, et comme il avait demandé au Christ : Ť QU'EST-CE QUE LA
VÉRITÉ ? ť, il lui vint soudain ŕ l'esprit comment, selon la coutume
qui lui permettait de leur relâcher quelqu'un pour la Pâque, il pouvait libérer
le Christ. Aussi, ne s'attendant absolument pas ŕ leur réponse, il s'efforça
d'obtenir cela ; et c'est pourquoi l'Évangéliste dit : ET QUAND IL EUT DIT
CELA - Qu'est-ce que la vérité ? -, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES
JUIFS. Mais Chrysostome3 lit autrement ; il dit que
quand le Christ EUT DIT CELA, Pilate entendait le tumulte des Juifs et, croyant
qu'il pourrait le réprimer et ensuite entendre plus tranquillement la réponse ŕ
une question difficile, IL SORTIT DE NOUVEAU VERS LES JUIFS et, leur mettant
devant les yeux l'innocence du Christ, il leur dit : MOI, JE NE TROUVE EN LUI
AUCUNE CAUSE, c'est-ŕ-dire de mort - Lui qui n'a pas commis le péché (...)4. Et si toutefois il y en avait une en lui,
moi, ŕ qui appartient le pouvoir, et principalement celui de juger de ce qui se
fait contre le roi, je veux le libérer et l'acquitter.
MAIS
C'EST LA COUTUME QUE, POUR LA PÂQUE, JE VOUS RELÂCHE UN HOMME. VOULEZ-VOUS DONC
QUE JE VOUS RELÂCHE LE ROI DES JUIFS ? ť TOUS CRIČRENT DE NOUVEAU EN
DISANT : Ť PAS LUI, MAIS BARABBAS ! ť OR BARABBAS ÉTAIT UN
BRIGAND. (18, 39-40)
2368. Lŕ Pilate offre la libération du Christ, puis l'Évangéliste rapporte la
réponse des Juifs [n°2370].
2369. Il faut savoir que Pilate, ou d'autres gouverneurs (praesides) des
Romains, ont introduit cette coutume pour avoir la faveur du peuple. C'est
pourquoi voulant, selon cette coutume, relâcher le Christ, il dit :
Ť VOULEZ-VOUS DONC QUE JE VOUS RELÂCHE LE ROI DES JUIFS ? ť II
ne dit pas cela comme s'il l'avait trouvé coupable de régner sur les Juifs,
mais pour amplifier leur malice, comme s'il disait : Ť Męme s'il est le
roi des Juifs, ce dont il ne vous appartient pas de juger, car cela relčve de
moi, cependant, si vous le voulez, je vous le relâche. ť
1. Voir
ci-dessus, n° 1776 et note 1.
2. Tract, in Io., CXV, 5, BA 75, p. 265.
3. In Ioannem hom., LXXXIV, 1, PG 59, col. 455.
4. 1
Ρ 2, 22.
2370. Mais les Juifs eux-męmes CRIČRENT TOUS DE NOUVEAU
EN DISANT : Ť PAS LUI, MAIS BARABBAS ! ť Et pour montrer la malice des Juifs, l'Évangéliste
ajoute aussitôt le crime de celui dont ils demandaient la libération, en disant
: OR BARABBAS ÉTAIT UN BRIGAND - Tes chefs infidčles
sont les associés des voleurs1. En cela s'accomplit cette parole de Jérémie : Mon héritage est
devenu pour moi comme un lion dans la foręt2. - Vous avez rejeté le saint et le juste et
vous avez demandé qu'on vous accorde [la grâce d'Jun meurtrierˇ3.
1. Is l, 23.
2. Jr 12, 8.
3. Ac 3, 14.
Évangile
selon saint Jean Chapitre XIX
1 Alors
donc Pilate prit Jésus et le fit flageller. 2 Et les soldats, tressant une
couronne d'épines, la lui mirent sur la tęte et le revętirent d'un vętement de
pourpre ; 3 et ils venaient ŕ lui et disaient : Ť Salut, roi des
Juifs ť ; et ils lui donnaient des gifles. 4 Pilate sortit donc de
nouveau, et leur dit : Ť Voici que je vous l'amčne dehors, pour que vous
sachiez que je ne trouve en lui aucune cause [de condamnation]. ť 5 Jésus donc
sortit, portant la couronne d'épines et le vętement de pourpre. Et Pilate leur
dit : Ť Voici l'homme. ť 6 Quand les grands prętres et les gardes l'eurent
vu, ils criaient, disant : Ť Crucifie-le ! Crucifie-le ! ť
Pilate leur dit : Ť Prenez-le vous-męmes, et crucifiez-le : moi, je ne
trouve en lui aucune cause [de condamnation]. ť7 Les Juifs lui répondirent :
Ť Nous, nous avons une Loi, et selon cette Loi il doit mourir, parce qu'il
s'est fait Fils de Dieu. ť
8 Lors
donc que Pilate eut entendu cette parole, il craignit davantage. 9 II rentra
dans le prétoire et dit ŕ Jésus : Ť D'oů es-tu ? ť Mais Jésus ne
lui donna pas de réponse. 10 Pilate lui dit donc : Ť Tu ne me parles
pas ? Tu ne sais pas que j'ai le pouvoir de te crucifier et le pouvoir de
te relâcher ? ť 11 Jésus répondit : Ť Tu n'aurais sur moi aucun
pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en haut. C'est pourquoi celui qui m'a
livré ŕ toi a un plus grand péché. ť 12 Dčs lors Pilate cherchait ŕ le relâcher.
Mais les Juifs criaient, disant : Ť Si tu le relâches, tu n'es pas ami de
César. Car quiconque se fait roi se déclare contre César. ť 13 Pilate, ayant
entendu ces paroles, fit amener Jésus dehors et s'assit ŕ son tribunal, au lieu
qui est appelé Lithostrotos, en hébreu Gabbatha (Le Dallage) ; 14 or
c'était la préparation de la Pâque, vers la sixičme heure. Et il dit aux Juifs
: Ť Voici votre roi. ť 15 Mais eux criaient : Ť Ŕ mort ! Ŕ
mort ! Crucifie-le ! ť Pilate leur dit : Ť Crucifierai-je
votre roi ? ť Les grands prętres répondirent : Ť Nous n'avons
pas d'autre roi que César. ť I6 Alors il le leur livra pour ętre crucifié.
Ils
prirent donc Jésus et l'emmenčrent, 17 et portant lui-męme sa croix il sortit
pour aller au lieu qui est appelé Calvaire, en hébreu Golgotha, 18 oů ils le
crucifičrent, et avec lui deux autres, l'un d'un côté, l'autre de l'autre côté,
et Jésus au milieu. 19 Pilate fit une inscription et la mit sur la croix. Il y
était écrit : Ť Jésus de Nazareth, le roi des Juifs. ť 20 Cette
inscription, beaucoup de Juifs la lurent, parce que le lieu oů Jésus avait été
crucifié était proche de la ville. Et elle était écrite en hébreu, en grec et
en latin. 21 Les grands prętres des Juifs disaient donc ŕ Pilate :
Ť N'écris pas : le roi des Juifs, mais que lui-męme a dit : "Je suis
le roi des Juifs". ť22 Pilate répondit : Ť Ce que j'ai écrit, je l'ai
écrit. ť
23
Quand donc les soldats l'eurent crucifié, ils prirent ses vętements (et ils en
firent quatre parts, une part pour chaque soldat), et sa tunique. Or la tunique
était sans couture, tissée d'une seule pičce ŕ partir du haut. 24 Ils se dirent
donc l'un ŕ l'autre : Ť Ne la déchirons pas ; mais tirons au sort ŕ
qui elle sera. ť Afin que s'accomplît l'Écriture disant : Ť Ils se sont
partagé mes vętements, et mon vętement ils l'ont tiré au sort. ť Et c'est bien
ce que firent les soldats.
25 Or
prčs de la croix de Jésus se tenaient sa mčre, et la sur de sa mčre, Marie,
femme de Cléophas, et Marie de Magdala. 26 Quand donc Jésus eut vu sa mčre et,
se tenant prčs d'elle, le disciple qu'il aimait, il dit ŕ sa mčre :
Ť Femme, voici ton fils. ť 27 Puis il dit au disciple : Ť Voici ta
mčre. ť Et ŕ partir de cette heure-lŕ, le disciple la prit chez lui.
28
Aprčs cela Jésus, sachant que tout était accompli, pour que l'Écriture fut
accomplie, dit : Ť J'ai soif. ť29 Or il y avait lŕ un vase plein de
vinaigre. Ils mirent donc autour d'une branche d'hysope une éponge imbibée de
vinaigre et l'approchčrent de sa bouche. 30 Quand donc Jésus eut pris le
vinaigre, il dit : Ť Tout est accompli. ť Et, la tęte inclinée, il remit
l'esprit.
31 Les
Juifs donc, puisque c'était la préparation [de la Pâque], pour que les corps ne
restent pas sur la croix le jour du sabbat (car c'était un grand jour que ce
sabbat), demandčrent ŕ Pilate qu'on leur brisât les jambes et qu'on les enlevât.
32 Les soldats vinrent donc, et ils brisčrent les jambes du premier, puis de
l'autre qui avait été crucifié avec lui. 33Mais lorsqu'ils vinrent ŕ Jésus, et
qu'ils le virent déjŕ mort, ils ne lui brisčrent pas les jambes ; 34 mais
l'un des soldats, de sa lance, lui ouvrit le côté ; et aussitôt il sortit
du sang et de l'eau. 35Et celui qui a vu a rendu témoignage, et son témoignage
est vrai : et celui-lŕ sait qu'il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez. 36
Car ces choses ont été faites pour que s'accomplît l'Écriture : Ť Vous ne
lui briserez pas d'os. ť37 Et une autre Écriture dit encore : Ť Ils
regarderont celui qu'ils ont transpercé. ť
38 Or,
aprčs cela, Joseph d'Arimathie (qui était disciple de Jésus, mais en secret,
par crainte des Juifs) demanda ŕ Pilate de prendre le corps de Jésus, et Pilate
le permit. Il vint donc et enleva le corps de Jésus. 39 Vint aussi Nicodčme -
qui au début était venu trouver Jésus de nuit -, apportant un mélange de myrrhe
et d'aločs d'environ cent livres. 40 Ils prirent le corps de Jésus et
l'enveloppčrent dans des linges avec des aromates, comme c'est la coutume des
Juifs pour ensevelir. 41 Or, au lieu oů il fut crucifié il y avait un jardin,
et dans le jardin un tombeau neuf, oů personne encore n'avait été mis. 42 C'est
donc lŕ que, ŕ cause de la préparation des Juifs, et parce que le tombeau était
proche, ils déposčrent Jésus.
2371. Plus haut, l'Évangéliste s'est attaché ŕ exposer ce que le Christ a
souffert de la part des Juifs ; ici, il s'attache ŕ exposer ce
qu'il a souffert spécialement de la part des Gentils : et il a souffert d'eux
trois choses, selon qu'il l'avait lui-męme annoncé : Il sera livré (...) aux Nations pour ętre bafoué, flagellé et crucifié1.
L'Évangéliste traite donc d'abord de
la flagellation du Christ, puis de la dérision qu'il a subie [n° 2374], et
enfin de sa crucifixion [n° 2379].
ALORS
DONC PILATE PRIT JÉSUS ET LE FIT FLAGELLER. (19, 1)
2372. ALORS DONC, c'est-ŕ-dire aprčs la clameur de tous, PILATE PRIT JÉSUS ET
LE FIT FLAGELLER2, non certes de
ses propres mains, mais
par les soldats : et cela pour que les Juifs, satisfaits des outrages qu'on lui
inflige, s'apaisent et renoncent ŕ s'acharner jusqu'ŕ sa mort3. En effet, il est naturel que la colčre se calme si elle voit celui
contre lequel elle s'emporte humilié et puni, comme le dit le Philosophe4. Cela, certes, est vrai de la colčre qui cherche le préjudice du
prochainavec mesure, mais non pas de la haine qui cherche ŕ perdre entičrement
celui qui est pris en haine5 - Ton ennemi (...) s'il trouve
l'occasion, sera insatiable de ton sang6. Or ceux-ci étaient mus par la haine contre le Christ, et c'est pourquoi
la flagellation ne leur suffisait pas -J'ai été
flagellé tout le jour1. -J'ai donné mon corps ŕ ceux qui me frappaient2.
1. Mt 20,
18-19. Saint Thomas commente : Ť Et il nomme les trois choses qui lui ont
été faites, qui vont contre les trois choses que les hommes désirent au plus
haut point, ŕ savoir l'honneur, le repos et la vie ť (Super Matth. lecu,
XX, n° 1652).
2. En
latin flagellavit, littéralement : il [le] flagella.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXVI, 1, BA 75, p. 269. On trouve
chez saint Thomas comme chez saint Augustin le souci constant de chercher ŕ
disculper Pilate.
4. Voir Aristote, Rhétorique, II, 3, oů,
aprčs avoir indiqué ceux contre qui on se met en colčre {Rhétorique, II,
2), Aristote montre ŕ quelle occasion et pour quelles raisons la colčre
s'apaise. Citons entre autres : Ť On ne se fâche pas non plus contre ceux
qui reconnaissent nous avoir offensés, et s'en repentent : car, comme nous
croyons alors qu'ils sont assez punis par leur repentir, nous nous apaisons
aussitôt ť (II, 3, 1380 a 14-15). Ť Notre colčre encore ne peut durer
contre ceux qui s'humilient ou écoutent tout ce que nous leur disons sans
répartir ; car ils semblent avouer qu'ils sont nos inférieurs (...). Qu'on
ne peut ętre en colčre contre ceux qui s'humilient, c'est ce que les chiens
męme nous montrent, ne mordant jamais ceux qui sont assis par terre ť (foc.
cit., 1380 a 22-25). Ť Nous ne pouvons encore nous fâcher contre
les personnes qui nous sollicitent et nous supplient, attendu que la qualité de
suppliant les abaisse et les fait s'humilier devant nous ť (foc. cit., 1380
a 28).
5. Sur la
gravité de la haine par rapport ŕ la colčre, voir Somme théol., I-II, q.
46, a. 6.
6. Si 12,
16.
2373. Mais cette intention excuse-t-elle Pilate de la flagellation ?
Certes non, car aucune des choses qui
sont mauvaises par elles-męmes ne peut ętre rendue totalement bonne par une
bonne intention. Or affliger un innocent, et surtout le Fils de Dieu, est
mauvais par soi au plus haut point ; c'est pourquoi cela ne peut ętre
excusé par aucune intention.
LA DÉRISION QUE SUBIT LE CHRIST
ET LES
SOLDATS, TRESSANT UNE COURONNE D'ÉPINES, LA LUI MIRENT SUR LA TĘTE ET LE
REVĘTIRENT D'UN VĘTEMENT DE POURPRE ; ET ILS VENAIENT Ŕ LUI ET DISAIENT :
Ť SALUT, ROI DES JUIFS ť ; ET ILS LUI DONNAIENT DES GIFLES. (19,
2-3)
2374. Il s'agit ici de la dérision, premičrement quant aux faux honneurs qu'ils lui ont rendus ; deuxičmement quant aux véritables opprobres dont ils l'ont accablé [n° 2378].
Ils lui rendaient de faux honneurs en
l'appelant roi : par lŕ ils faisaient allusion ŕ l'accusation des Juifs, qui
disaient que lui-męme se faisait roi des Juifs. Et c'est pourquoi ils lui
rendaient de trois maničres l'honneur dű au roi, mais un faux honneur. D'abord
quant ŕ la couronne de dérision [n° 2375], ensuite quant au vętement de
dérision [n° 2376], enfin quant ŕ leur salutation de dérision [n° 2377].
ET LES
SOLDATS, TRESSANT UNE COURONNE D'ÉPINES, LA LUI MIRENT SUR LA TĘTE.
2375. Ils se moquent donc de lui quant ŕ la couronne, parce que les rois
avaient coutume d'ętre couronnés d'or - Une couronne d'or sur sa tęte3. Et de lŕ vient qu'il est dit de lui dans un psaume : Tu as mis sur
sa tęte une couronne de pierres précieuses 4. Mais LES SOLDATS, TRESSANT UNE
COURONNE D'ÉPINES, LA LUI MIRENT SUR LA TĘTE, c'est-ŕ-dire la tęte de celui qui
est pour les siens une couronne de gloire - En ce jour-lŕ le Seigneur des armées sera une couronne de gloire et un sceptre
d'exultation pour le reste de son peuple5. Et il convenait que ce fűt une
couronne d'épines, puisque par elles il a retiré les épines des péchés, qui
nous percent par le remords de la conscience6 - Défrichez-vous une friche, et ne semez pas sur des épines7 -, et les
épines des peines qui nous affligent - Elle te
produira des épines et des chardons8.
Mais cela a-t-il été fait par ordre
du gouverneur ? Chrysostome dit que non, mais que les soldats, corrompus
par l'argent, faisaient cela pour plaire aux Juifs1. Augustin, lui, dit que cela a été
fait sur un ordre ou avec la permission du gouverneur, c'est-ŕ-dire pour
assouvir davantage la haine des Juifs et le leur arracher plus facilement2.
1. Ps 72, 14.
2. Is 50, 6.
3. Si 45, 14.
4. Ps 20, 4.
5. Is 28, 5.
6. Cf. Glossa ordinaria. Évang. sec. Ioannem. In h.
/oc, PL 114, col. 420 C.
7. Jr 4,
3.
8. Gn 3,
18.
ET LE
REVĘTIRENT D'UN VĘTEMENT DE POURPRE.
2376. En second lieu, ils se moquent de lui quant au vętement.
ET [ILS] LE REVĘTIRENT D'UN VĘTEMENT
DE POURPRE, qui était la marque de la dignité royale chez les Romains. C'est
pourquoi il est dit au premier livre des Maccabées qu'au temps oů dominaient
les consuls romains, aucun n'utilisait de couronne ni de pourpre3. Or, par le fait qu'ils le revętirent de pourpre, s'accomplit ce
passage d'Isaďe : Pourquoi donc ton vętement est-il rouge et tes habits
sont-ils comme les habits de ceux qui foulent au pressoir ?4 Par lŕ est signifiée en męme temps la passion des martyrs par laquelle
tout le corps du Christ, c'est-ŕ-dire l'Église, est rougi.
ET ILS
VENAIENT Ŕ LUI ET DISAIENT : Ť SALUT, ROI DES JUIFS. ť
2377. En troisičme lieu, ils se moquent de lui quant ŕ leur salutation : venant vers lui, ils lui disaient : Ť SALUT, ROI DES JUIFS. ť C'était alors la coutume, comme cela l'est encore maintenant, que les hommes allant auprčs du roi le saluent - Chusai allant vers Absalom lui dit : Ť Salut, ô roi ; salut, ô roi ť5. Or au sens mystique, ils saluent le Christ avec dérision, ceux qui le confessent de leur bouche mais le renient par leurs actes6 - Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Ť Seigneur, Seigneur ť qui entreront dans le royaume des cieux7.
ET ILS
LUI DONNAIENT DES GIFLES.
2378. Puis l'Évangéliste montre les opprobres qu'ils lui ont infligés en disant
: ET ILS LUI DONNAIENT DES GIFLES, et cela pour montrer par cet acte męme que
c'était par dérision qu'ils lui rendaient un tel honneur - J'ai tendu mes
joues ŕ ceux qui arrachaient ma barbe8. - Ils ont frappé la joue du prince d'Israël9.
2379. L'Évangéliste traite ici de la crucifixion du Christ ; d'abord il
expose la crucifixion elle-męme, puis la mort du Christ [n° 2444], et enfin son
ensevelissement [n°2463].
1. In Ioannem hom., LXXXIV, 1, PG 59, col. 456.
2. Pilate
en donna la permission Ť afin que les ennemis [du Christ] boivent ces
insultes avec délectation, et n'aient plus soif de [son] sang ť {Tract,
in Io., CXVI, 2, BA 75, p. 271-273).
3. Cf. 1 M 8, 14.
4. Is 63, 2.
5. 2 S 16, 16.
6. Tt 1, 16.
7. Mt 7, 21.
8. Is 50,
6 J'ai donné mon corps ŕ ceux qui me frappaient, et mes joues ŕ ceux qui
arrachaient ma barbe ; je n'ai pas détourné ma face de ceux qui me
réprimandaient et qui crachaient sur moi.
9. Mi 5, 1.
II rapporte d'abord la discussion entre Christ [n° 2401], et enfin l'exécution de la Pilate et les Juifs, puis la condamnation du sentence [n° 2411].
Pilate, voulant libérer le Christ,
discutait avec les Juifs. C'est pourquoi l'Évangéliste montre d'abord comment
il s'efforce de le libérer en le faisant voir aux Juifs - il montre cette
manifestation, puis son effet [n° 2383] ; en second lieu, comment il
s'efforce de le libérer en alléguant son innocence [n° 2384].
Pilate présente Jésus aux
Juifs.
PILATE
SORTIT DONC DE NOUVEAU, ET LEUR DIT : Ť VOICI QUE JE VOUS L'AMČNE DEHORS,
POUR QUE VOUS SACHIEZ QUE JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE
CONDAMNATION]. ť (19, 4)
2380. L'Évangéliste montre d'abord l'intention de Pilate : en leur montrant
Jésus, il avait l'intention de le libérer ; PILATE SORTIT DONC DE NOUVEAU,
ŕ savoir du prétoire, ET LEUR DIT, c'est-ŕ-dire aux Juifs qui attendaient :
Ť VOICI QUE JE VOUS L'AMČNE DEHORS, et cela POUR QUE
VOUS SACHIEZ QUE JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. ť
Pourquoi donc l'as-tu
traité de maničre honteuse, ô impie Pilate, sans cause ? Pour que les
Juifs ne croient pas que je le relâche par faveur. En effet, quelle faveur est
accordée ŕ celui ŕ qui sont infligés tant de coups de fouet ? Ou bien,
pour que ses ennemis voient avec un trčs grand plaisir les outrages qu'il a
subis et ne soient plus assoiffés de sang1 ; autrement dit : S'il était passible de mort,
je le condamnerais comme je l'ai fait flageller. Cependant il a peut-ętre fait
contre la loi des choses sans gravité, pour lesquelles il a seulement mérité la
flagellation, mais non la mort.
JÉSUS
DONC SORTIT, PORTANT LA COURONNE D'ÉPINES ET LE VĘTEMENT DE POURPRE. (19, 5)
2381. En second lieu, cela ayant été fait, on montre la manifestation du
Christ. Pilate le présente dans l'état oů il est tourné en dérision par les
gardes pour qu'au moins ils se calment tandis qu'il sort vers eux, non pas dans
la gloire du pouvoir, mais couvert d'opprobre2 - Puisque c'est ŕ cause de toi que j'ai souffert l'opprobre, et que
la confusion a couvert
ma face3. En cela nous sommes instruits, afin d'ętre
pręts ŕ supporter tous les opprobres ŕ cause du nom de Jésus Christ - Ne craignez pas les opprobres des hommes, et n'appréhendez pas leurs
injures4.
ET
PILATE LEUR DIT : Ť VOICI L'HOMME. ť (19, 5)
2382. En troisičme lieu est montrée l'explication de cette manifestation, et
cela par les paroles de Pilate ; il leur a dit : Ť VOICI
L'HOMME ť, parlant comme avec mépris de ce qu'un homme ainsi méprisé
veuille usurper pour lui la royauté. Voici de quel homme vous croyez ces choses, de telle sorte
que, selon cela, lui convient ce psaume : Moi je suis un ver, et non un
homme1. Si donc c'est le roi que vous
haďssez, cessez désormais puisque vous le voyez déchu. Comme le dit Augustin2 Ť L'ignominie brűle, que la haine se refroidisse. ť
1. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXVI, 2, BA 75, p. 273.
2. Cf. saint
Augustin, ibid.
3. Ps 68, 8. 4. 1s 51, 7.
QUAND
LES GRANDS PRĘTRES ET LES GARDES L'EURENT VU, ILS CRIAIENT, DISANT :
Ť CRUCIFIE-LE ! CRUCIFIE-LE ! ť (19, 6)
2383. Ici est montré l'effet de la manifestation du Christ sur les Juifs
parce que, si déchu et flagellé qu'ils le voient, leur haine ne se refroidit
pas, mais brűle davantage et grandit3. Aussi, QUAND LES GRANDS PRĘTRES ET
LES GARDES L'EURENT VU, amené dehors, ILS CRIAIENT, DISANT :
Ť CRUCIFIE-LE ! CRUCIFIE-LE ! ť Ils le répčtent ŕ cause de
la véhémence de leur désir. Et ils ne se contentent pas de n'importe quelle
mort, mais ils réclament la plus infâme : celle de la
croix - Condamnons-le ŕ la mort la plus infâme4.
Et l'Évangéliste dit : QUAND [ILS]
L'EURENT VU, car ŕ la vue de ce qui lui est odieux, le cur de celui qui hait
est davantage agité et enflammé contre lui - Sa vue
męme nous est ŕ charge5.
Pilate allčgue l'innocence
du Christ.
PILATE
LEUR DIT : Ť PRENEZ-LE VOUS-MĘMES, ET CRUCIFIEZ-LE : MOI, JE NE TROUVE EN
LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION]. ť (19, 6)
2384. L'Évangéliste montre ici comment Pilate s'efforce de libérer le Christ
en alléguant son innocence. De lŕ surgit une controverse, parce que Pilate
allčgue l'innocence du Christ et les Juifs réaffirment sa culpabilité [n°
2386].
I
2385. PILATE LEUR DIT : Ť PRENEZ-LE VOUS-MĘMES, ET CRUCIFIEZ-LE ť,
autrement dit : Je ne veux pas ętre un juge inique, moi je ne le crucifierai
pas ; vous, crucifiez-le si vous le voulez : MOI, JE NE TROUVE EN LUI
AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION], c'est-ŕ-dire aucune raison de le crucifier.
Plus haut : Il vient, le prince de ce monde, et sur moi
il n'a aucun pouvoir6. - Celui que vous avez, vous, livré et
renié devant Pilate, quand il jugeait lui-męme de le renvoyer (...) 7.
1. Ps 21,
7.
2. Tract, in Io., CXVI, 2, BA 75, p. 273.
3. Saint
Thomas reprend dans ces derniers mots la suite de la phrase de saint Augustin
citée précédemment.
4. Sg 2, 20.
5. Sg 2, 15.
II
2386. Mais les Juifs ŕ nouveau réaffirment la faute du Christ ; d'oů la
suite : LES JUIFS LUI RÉPONDIRENT : Ť NOUS, NOUS
AVONS UNE LOI, ET SELON CETTE LOI IL DOIT MOURIR, PARCE QU'IL S'EST FAIT FILS
DE DIEU. ť Ils
semblent avoir compris ŕ partir de la réponse de Pilate qu'il n'était pas
contre le Christ ŕ cause du crime d'ambitionner la royauté, [mais ŕ cause
d'autre chose] ŕ partir de quoi ils croyaient que l'esprit de Pilate était
extręmement troublé, au point de faire périr Jésus. Et c'est pourquoi, comme si
ce crime ne suffisait pas pour le faire mourir, ils croyaient que Pilate, en
disant PRENEZ-LE VOUS-MĘMES, ET CRUCIFIEZ-LE : MOI, JE NE TROUVE EN LUI AUCUNE CAUSE [DE CONDAMNATION],
avait demandé si eux avaient selon la loi un autre crime dont il était
condamnable et dont ils le condamneraient ; c'est pourquoi ils disent :
SELON CETTE LOI, IL DOIT MOURIR. Ils avancent d'abord le crime du Christ contre
la loi des Juifs, puis contre la loi des Romains [n° 2398].
Le Christ accusé de crime contre la
Loi des Juifs. On montre d'abord ici l'accusation des Juifs contre le Christ,
et ensuite l'effet de cette accusation dans l'esprit de Pilate [n° 2388].
6. Jn 14,
30.
7. Ac 3,
13.
PARCE
QU'IL S'EST FAIT FILS DE DIEU (19, 7)
2387. Le crime qui était imputé au Christ contre la loi des Juifs était QU'IL
S'EST FAIT FILS DE DIEU, crime pour lequel ils le considéraient comme passible
de mort. Plus haut : A cause de cela les Juifs cherchaient
encore plus ŕ le tuer : parce que non seulement il violait le sabbat, mais
encore il disait que Dieu était son pčre, se faisant l'égal de Dieu1. - Ce n'est pas
pour une bonne uvre que nous te lapidons, mais pour un blasphčme, et parce que
toi, alors que tu es un homme, tu te fais toi-męme Dieu2.
Et ici ils disent : IL S'EST FAIT
FILS DE DIEU, comme si cela n'était pas. Mais ce n'est pas contre la Loi, comme
il le leur a prouvé plus haut, au chapitre 10, par ce psaume : Moi j'ai dit : vous ętes des dieux3. En effet, si d'autres hommes, qui sont des fils adoptifs4, se disent fils de Dieu sans blasphčme, combien plus le Christ, qui
est Fils de Dieu par nature5 ? Mais parce qu'ils ne
comprenaient pas la génération éternelle, ils le tenaient pour un menteur et un
blasphémateur, ce pour quoi quelqu'un, quel qu'il soit, encourait la peine de
mort.
LORS
DONC QUE PILATE EUT ENTENDU CETTE PAROLE, IL CRAIGNIT DAVANTAGE. IL RENTRA DANS
LE PRÉTOIRE ET DIT Ŕ JÉSUS : Ť D'OŮ ES-TU ? ť MAIS JÉSUS NE LUI
DONNA PAS DE RÉPONSE. (19, 8-9)
2388. L'Évangéliste montre ensuite l'effet de cette accusation dans l'esprit
de Pilate ; et premičrement l'effet de la crainte. Aussi dit-il : LORS
DONC QUE PILATE EUT ENTENDU CETTE PAROLE - ŕ savoir qu'il se faisait Fils de
Dieu -, IL CRAIGNIT DAVANTAGE en pensant que ce ne serait pas vrai [de sa part]
et qu'il agirait mal s'il allait plus loin injustement contre lui6. Par lŕ était donné ŕ entendre que les Gentils, en apprenant la
trahison ŕ l'égard du Fils de Dieu, ont craint - Seigneur, j'ai entendu parler de toi, et j'ai
craint7.
2389. Deuxičmement, il montre l'effet du doute et de l'investigation de
Pilate. D'abord est exposée l'investigation de Pilate, puis le silence
volontaire du Christ [n° 2391], et enfin la réprobation de ce silence [n°
2392].
IL
RENTRA DANS LE PRÉTOIRE ET DIT Ŕ JÉSUS : Ť D'OŮ ES-TU ? ť
2390. IL RENTRA DANS LE PRÉTOIRE, ébranlé par la crainte, ET DIT Ŕ JÉSUS,
qu'il avait ramené avec lui : Ť D'OŮ ES-TU ? ť, voulant savoir s'il était Dieu, ayant
une origine divine, ou s'il était un homme d'origine terrestre. Ŕ cela on peut
répondre ce qui est
rapporté plus haut, au chapitre 8 Vous3
vous ętes d'en bas, moi, je suis d'en haut1.
1. Jn 5,
18.
2. Jn 10,
33.
3. Jn 10,
34 ; Ps 81, 6.
4. Cf. Ga
4, 4-5 Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu a envoyé son Fils, né
d'une femme, né sous la Loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la Loi,
afin de nous conférer l'adoption des fils.
5. Voir
vol. I, n° 1461, oů saint Thomas explicite que Dieu a sanctifié le Christ d'une
maničre spéciale, Ť pour qu'il soit Fils de Dieu par nature ť.
6. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG 59, col. 456.
7. Ha 3,
1.
MAIS
JÉSUS NE LUI DONNA PAS DE RÉPONSE.
2391. Mais Jésus, parce qu'il ne le voulut pas, NE LUI DONNA PAS DE RÉPONSE,
pour montrer qu'il ne voulait pas ętre vainqueur par des paroles et trouver des
justifications, puisqu'il était venu pour souffrir2. Et en męme temps, il nous donne par
lŕ un exemple de patience3, oů s'accomplit ce qui est dit dans
Isaďe : Comme un agneau devant le tondeur, il restera muet et n'ouvrira pas
la bouche41. Et il dit comme un agneau pour qu'on
ne croie pas qu'il a gardé le silence comme s'il avait mauvaise conscience,
étant convaincu de ses péchés, mais parce qu'il était doux, lui qui était
immolé pour les péchés des autres5.
PILATE
LUI DIT DONC : Ť TU NE ME PARLES PAS ? TU NE SAIS PAS QUE J'AI LE
POUVOIR DE TE CRUCIFIER ET LE POUVOIR DE TE RELÂCHER ? ť JÉSUS
RÉPONDIT : Ť TU N'AURAIS SUR MOI AUCUN POUVOIR, S'IL NE T'AVAIT ÉTÉ DONNÉ
D'EN HAUT. C'EST POURQUOI CELUI QUI M'A LIVRÉ Ŕ TOI A UN PLUS GRAND
PÉCHÉ. ť DČS LORS PILATE CHERCHAIT Ŕ LE RELÂCHER. (19, 10-12)
2392. On montre ensuite comment Pilate blâme le silence volontaire du Christ,
et il le fait d'abord par l'étalage de son pouvoir ; puis on montre la
réponse du Christ ŕ propos du pouvoir de Pilate [n° 2394].
1. Jn 8,
23.
2. Voir
ci-dessus n° 1659, et aussi saint Jean
Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG 59, col. 457.
3. Voir Somme
théol., III, q. 46, a. 3, c, oů saint Thomas donne cinq raisons de
convenance montrant pourquoi Dieu a choisi de libérer l'homme du péché par le
mystčre de la Passion du Christ. Notons en particulier la deuxičme : Ť Par
sa Passion, le Christ nous donne l'exemple de l'obéissance, de l'humilité, de
la constance, de la justice, et de toutes les autres vertus. Et celles-ci sont
nécessaires pour le salut de l'homme - Le Christ a souffert pour
nous, en nous laissant un exemple, pour que nous suivions ses traces (1
Ρ 2, 21) ť. Voir aussi vol. I, n° 478.
4. Is 53, 7.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXVI, 4, BA 75, p. 275.
2393. Donc, parce que le Christ ne lui a pas donné de réponse, Pilate, le
reprenant, dit : Ť TU NE ME PARLES PAS ? TU NE
SAIS PAS QUE J'AI LE POUVOIR DE TE CRUCIFIER ET LE POUVOIR DE TE
RELÂCHER ? ť - en quoi il s'est condamné lui-męme. En effet, si tout était soumis ŕ son
pouvoir, pourquoi, alors qu'il ne trouvait en lui aucun motif d'accusation, ne
l'a-t-il pas acquitté ? - C'est par ta propre
bouche que je te juge, mauvais serviteur6. - Ayant la puissance parmi les hommes, bien que tu sois mortel, tu
fais ce que tu veux7.
2394. Et parce qu'ainsi il se glorifie de son pouvoir, selon le psaume : Il
se glorifie dans l'abondance de ses richesses8, le Seigneur brise cela en disant : Ť TU N'AURAIS SUR MOI AUCUN POUVOIR, S'IL NE
T'AVAIT ÉTÉ DONNÉ D'EN HAUT. ť Aussi, comme le dit Augustin, le Christ,
lorsqu'il se tait, se tait comme un agneau ; et quand il parle, il
enseigne comme un pasteur9. C'est pourquoi il instruit Pilate
premičrement de l'origine de son pouvoir, puis de la grandeur de son crime [n°
2396].
2395. Quant au premier point, il dit : Ť TU N'AURAIS SUR MOI AUCUN
POUVOIR, S'IL NE T'AVAIT ÉTÉ DONNÉ D'EN HAUT ť, comme s'il disait : Si tu
parais avoir quelque pouvoir, ce n'est pas par toi-męme que tu l'as, mais il
t'a été donné d'en haut, c'est-ŕ-dire par Dieu, de qui vient tout pouvoir10 - Par moi régnent les rois11. Et il dit : AUCUN, c'est-ŕ-dire si minime que soit ton pouvoir,
puisqu'il avait un pouvoir limité soumis ŕ un plus grand, celui de César - Moi
je suis un homme soumis au pouvoir d'un autre12.
6. Lc 19, 22.
7. 2 M 7, 16.
8. Ps 48, 7.
9. Tract, in Io., CXVI, 5, BA 75, p. 281. Le
commentaire de saint Thomas dans les trois paragraphes qui suivent reprend
point par point celui de saint Augustin.
10. Sur
la puissance, le pouvoir de Dieu (potentia Dei), voir Somme théol., I,
q. 25.
11. Pr 8,
15 ; cf. Rm 13, 1.
12. Mt 8,
9.
2396. Et pour cette raison le Christ conclut : C'EST POURQUOI CELUI QUI M'A
LIVRÉ Ŕ TOI, ŕ savoir Judas, ou bien les princes des prętres, A UN PLUS GRAND
PÉCHÉ. Et il dit PLUS GRAND pour montrer que ceux qui l'ont livré, et Pilate
lui-męme, sont coupables de péché : mais ceux-lŕ sont coupables d'un plus grand
péché qui l'ont livré d'eux-męmes et par jalousie ; tandis que lui, ce
qu'il a fait, il l'a fait par crainte d'un pouvoir supérieur.
Par lŕ aussi est confondue l'erreur
des hérétiques qui disent que tous les péchés sont égaux : autrement le
Seigneur n'aurait pas dit : A UN PLUS GRAND PÉCHÉ - Malheur ŕ l'homme par qui le scandale arrive1
2397. L'effet de la réponse du Christ est montré quand l'Évangéliste dit :
DČS LORS, c'est-ŕ-dire ŕ partir de maintenant, PILATE CHERCHAIT Ŕ LE RELÂCHER.
Mais parce que, comme on l'a dit depuis le début, il s'efforçait de le
relâcher, il convient mieux de dire DČS LORS, c'est-ŕ-dire pour cette cause,
qu'il n'avait pas de péché, PILATE CHERCHAIT Ŕ LE RELÂCHER. Ou bien, plus haut,
il tentait de le relâcher, mais DČS LORS, c'est-ŕ-dire ŕ partir de maintenant,
il cherchait absolument, et avec un esprit ferme, ŕ le relâcher.
Le Christ accusé de crime contre la Loi des Romains
MAIS
LES JUIFS CRIAIENT, DISANT : Ť SI TU LE RELÂCHES, TU N'ES PAS AMI DE
CÉSAR. CAR QUICONQUE SE FAIT ROI SE DÉCLARE CONTRE CÉSAR. ť (19, 12)
2398. Précédemment [n° 2386], les Juifs ont imputé au Christ un crime contre
la Loi, crime dont Pilate semblait faire peu de cas, vu qu'il n'était pas
soumis ŕ la Loi ; c'est pourquoi ils imputent encore au Christ un crime
contre la loi des Romains, pour presser davantage Pilate ŕ le faire périr2. Ils commencent par exposer le péril qui menace Pilate s'il relâche le
Christ, puis ils en donnent la raison [n° 2400].
2399. L'Évangéliste dit donc qu'aprčs, quand Pilate cherchait ŕ relâcher le
Christ, LES JUIFS CRIAIENT, DISANT : Ť SI TU LE RELÂCHES, lui qui se fait
roi, TU N'ES PAS AMI DE CÉSAR ť, c'est-ŕ-dire tu perdras son amitié. Car
il arrive souvent que les hommes pensent des autres ce qu'eux-męmes éprouvent.
Et parce qu'il est dit d'eux plus
haut qu'ils préférčrent la gloire des hommes ŕ
la gloire de Dieu3, ils pensaient aussi au sujet de Pilate qu'il
estimait davantage l'amitié de César qu'une amitié juste, bien qu'il faille
faire le contraire - Il
est bon d'espérer dans le Seigneur
plutôt que d'espérer dans des princes 4. Du reste, le
Philosophe est d'avis que la vérité est plus digne d'honneur que les amitiés5.
2400. Ils ajoutent la raison du péril qui le menace : Ť CAR QUICONQUE SE
FAIT ROI SE DÉCLARE CONTRE CÉSAR. ť En effet, c'est bien la nature du
pouvoir terrestre de ne pouvoir supporter de partager avec un autre. Et c'est
pourquoi César ne supportait pas qu'un autre domine - Ne recherche pas le
pouvoir auprčs des hommes, ni une chaire d'honneur auprčs du roi6.
1. Mt 18, 7.
2. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG 59, col. 457.
3. Jn 12,
43.
4. Ps
117, 9.
5. Cf. Aristote, Éthique ŕ Nicomaque, I,
4, 1096 a 15-16 Ť II semble qu'il est meilleur et qu'il faut, pour
sauver la vérité, sacrifier nos opinions personnelles, d'autant plus que nous
sommes philosophes. Vérité et amitié nous sont chčres l'une et l'autre, mais la
vérité plus encore. ť
6. Si 7, 4.
2401. Ici, l'Évangéliste traite de la condamnation du Christ qu'il aborde par
trois aspects : d'abord le lieu, puis le temps [n° 2404], enfin le mode [n°
2406].
Le motif de condamnation.
PILATE,
AYANT ENTENDU CES PAROLES, FIT AMENER JÉSUS DEHORS ET S'ASSIT Ŕ SON TRIBUNAL,
AU LIEU QUI EST APPELÉ LITHOSTROTOS, EN HÉBREU GABBATHA. (19, 13)
2402. Quant au premier point, il expose d'abord le motif de la condamnation,
en disant : PILATE, AYANT ENTENDU CES PAROLES, craignit davantage : en effet il
ne pouvait pas mépriser César, auteur de son pouvoir, de la męme maničre que la
loi d'une nation étrangčre1.
Aussi, il FIT AMENER JÉSUS DEHORS ET
S'ASSIT Ŕ SON TRIBUNA1. Mais c'est en vain que le Christ est poussé devant eux,
parce qu'il n'était pas tel [qu'ils le croyaient]. En effet ce n'est ni par la
pourpre, ni par un diadčme, ni par un sceptre, ni par un char, ni par les
soldats qu'aurait le Christ, qu'on pouvait croire qu'il ambitionnait le trône2. Il demeurait toujours seul avec ses disciples, pauvre dans sa
nourriture, son avoir et son logement3. Mais l'impie fuit, personne ne le poursuivant4. - Ils ont
tremblé d'effroi lŕ oů n'était pas l'effroi5. - Toi donc ne les crains pas, n'aie pas peur de leurs paroles (...)
et ne redoute pas leurs visages6.
Le lieu.
2403. Deuxičmement l'Évangéliste expose le lieu : ET S'ASSIT Ŕ SON TRIBUNA1.
Le tribunal est le sičge du juge comme le trône du roi et la chaire du maître -
Le roi qui est assis sur le trône de la justice
dissipe tout le mal par
son regard7. Et c'est pourquoi on dit
Ť tribunal ť, parce que chez les Romains les tribuns discernaient les
causes particuličres, conseillés par le peuple devant lequel elles étaient
présentées.
Et il dit Ŕ SON TRIBUNAL,
c'est-ŕ-dire devant le tribunal, car les trois prépositions latines pro,
ante et in sont en grec une seule préposition : επί.
Et ce tribunal se trouvait dans un LIEU (...) APPELÉ LITHOSTROTOS, c'est-ŕ-dire
pavement de pierres - en effet λίθος, en grec,
signifie pierre -, car le lieu oů Pilate siégeait ŕ son tribunal était pavé de
pierres diverses. Et ce męme lieu est appelé EN HÉBREU GABBATHA, c'est-ŕ-dire
colline ou hauteur faite d'un amoncellement de pierres8.
1. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXVI, 7, BA 75, p. 281.
2. Cf. Mt
5, 1-12, oů Jésus enseigne le chemin des béatitudes pour commencer déjŕ sur
terre son royaume, un royaume de pauvreté, de douceur, de larmes, de désir, de
miséricorde, de pureté et de paix - Heureux les pauvres de cur car le
royaume des deux est ŕ eux (...). Ce royaume est aussi le royaume de
ceux qui subiront les persécutions, ŕ la suite du Christ.
3. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXIV, 2, PG 59, col. 457. Voir
aussi Somme théol., III, q. 40, a. 3.
4. Pr28,
1.
5. Ps 52,
6.
6. Ez 2,
6.
7. Pr 20,
8.
8. Cf. SAINT
JÉRÔME, Liber interpretationis hebraicorum nominum (Lag. 32, 21),
CCL, vol. LXXII, p. 100.
Le moment de la condamnation.
2404. Il décrit le moment de la condamnation : OR C'ÉTAIT LA PRÉPARATION DE
LA PÂQUE (parasceve), c'est-ŕ-dire le jour oů la Pâque était préparée,
VERS LA SIXIČME HEURE. Lŕ il faut savoir que chez les Juifs, le jour du sabbat
avait quelque chose de plus solennel que n'importe quelle autre fęte,
c'est-ŕ-dire que par respect pour ce jour ils ne préparaient pas pour eux de
nourriture ce jour-lŕ mais la veille, le sixičme jour. Aussi le sixičme jour de
cette période était-il appelé Ť parasceve ť. Ceci tient son origine
de ce qu'au livre de l'Exode il est enseigné qu'ils ne devaient pas recueillir
la manne pendant le sabbat mais que le sixičme jour ils en recueilleraient le
double1. Ce ŕ quoi ils ne dérogeaient
jamais, pour aucune fęte. Aussi, bien que ce sixičme jour fut pour eux
solennel, ils préparaient cependant ce jour-lŕ la nourriture pour le jour
suivant, celui du sabbat.
2405. Et il ajoute VERS LA SIXIČME HEURE ; cependant on trouve chez Marc
: Or c'était la troisičme heure et ils le crucifičrent2. Mais il s'avčre que Pilate a siégé ŕ son
tribunal avant que le Christ fűt crucifié. Ŕ cela il y a deux réponses, selon
Augustin3.
La premičre, et la meilleure, est que
le Christ fut crucifié de deux maničres. Tout d'abord par les langues et les
voix des Juifs disant : Crucifie-le ! Crucifie-le !4 Deuxičmement par les mains des soldats qui le crucifičrent. Aussi,
parce que les Juifs voulaient imputer la crucifixion du Christ aux Gentils,
Marc, qui écrivit son Évangile pour les nations paďennes, l'attribua aux Juifs,
disant que c'est au moment oů les Juifs ont crié : Crucifie-le !
Crucifie-le ! qu'ils crucifičrent le Christ. Ce qui eut lieu ŕ la
troisičme heure.
Mais Jean, qui suit l'ordre du temps,
dit : VERS LA SIXIČME HEURE, car quand le Christ fut en croix, c'était déjŕ la
fin de la cinquičme heure et le début de la sixičme, au moment oů il y eut des
ténčbres pendant trois heures, ŕ savoir jusqu'ŕ la neuvičme heure5. Aussi, parce que la sixičme heure n'était pas encore achevée, il dit
: VERS LA SIXIČME HEURE.
La seconde réponse est que la
préparation de la Pâque est appelée Ť parasceve ť. Or, notre
Pâque, c'est le Christ immolé6. C'est pourquoi la parasceve est la
préparation ŕ l'immolation du Christ ; et c'était la sixičme heure de la
préparation de l'immolation mais non pas la sixičme heure du jour, parce que
cette préparation commença ŕ la neuvičme heure de la nuit quand, le Christ
ayant été arręté, ils disaient : Il est passible de mort7.
Voilŕ pourquoi, si aux trois heures
restantes de la nuit nous ajoutons les trois heures du jour jusqu'au moment oů
le Christ fut crucifié, il est manifeste que c'est ŕ la sixičme heure de la
parasceve - c'est-ŕ-dire de la préparation - qu'il fut crucifié, bien que ce
fut la troisičme heure du jour, comme le dit Marc.
Et certes il convient qu'il ait été
crucifié ŕ LA SIXIČME HEURE8 parce que par la Croix, au sixičme
âge9, il répara l'homme créé le sixičme
jour.
1. Cf. Ex
16, 23. Sur la fęte de la Pâque, voir aussi vol. I, n" 1586, et ci-dessus,
nos
1590-1591, 1728-1730 ; et sur le sabbat correspondant ŕ la Pâque,
ci-dessous, n° 2455.
2. Mc 15, 25.
3. Tract,
in Io., CXVII, 1-2, BA 75, p. 287-289 ; De consensu Évangelistarum,
III, xIII, 40-50, PL 34, col. 1185-1189.
4. Jn 19,
6.
5. Cf. Mt
27, 45 ; Me 15, 33 ; Le 23, 44.
6. 1 Co
5, 7.
7. Mt 26, 66.
8. Cf. Mt
27, 45. Saint Thomas commente : Ť Matthieu raconte qu'il a été crucifié ŕ
la sixičme heure (...). Cela se rapporte au mystčre parce qu'ŕ midi le soleil
est au milieu du ciel ; et cela se rapporte donc au Fils de Dieu qui est
le vrai soleil - Pour vous qui craignez le nom de Dieu se lčvera
le soleil de justice (Ml 4, 2 [BJ 3, 20])ˇ De męme
cela convient ŕ la transgression du premier homme, parce qu'Adam a péché aprčs
midi (cf. Gn 3, 8), aussi le Christ voulut-il satisfaire ŕ cette
heure-lŕ ť (Super Matth. lect., XXVII, n" 2379).
9. L'homme,
créé le sixičme jour, est recréé au sixičme âge, âge oů, vieilli par le péché,
il est renouvelé par la Croix du Christ. Le sixičme âge correspond au temps oů
Jésus s'incarne pour sauver le monde. Voir saint Augustin, Serm. de Scr., 125,
IX, PL 38, col. 692 ; De catechizandibus rudibus, XXII, 39,
PL 40, col. 338, et De diversis quaestionibus, LXIV, 2, PL 40, col. 55.
Le mode et l'ordre de la
condamnation.
ET IL DIT AUX JUIFS : Ť VOICI VOTRE ROI ť MAIS EUX CRIAIENT :
Ť Ŕ MORT ! Ŕ MORT ! CRUCIFIE-LE ! ť PILATE LEUR DIT :
Ť CRUCIFIERAI-JE VOTRE ROI ? ť LES GRANDS PRĘTRES RÉPONDIRENT :
Ť NOUS N'AVONS PAS D'AUTRE ROI QUE CÉSAR. ť ALORS IL LE LEUR LIVRA
POUR ĘTRE CRUCIFIÉ. (19, 14-16)
2406. L'Évangéliste décrit ici le mode et l'ordre de la condamnation. Il faut
remarquer que Pilate voulait encore le libérer bien que la crainte de César le
pressât. Et c'est pourquoi l'Évangéliste montre d'abord la tentative de Pilate
de libérer le Christ, puis il ajoute son assentiment ŕ ce qu'il soit crucifié
[n° 2410].
I
Concernant le premier point, il
expose l'effort que fait Pilate pour libérer le Christ, d'abord en se moquant
de lui puis en invoquant le déshonneur des Juifs [n° 2409]. Il montre d'abord
la tentative de Pilate, puis la malice des Juifs [n° 2408].
ET IL
DIT AUX JUIFS : Ť VOICI VOTRE ROI ť
2407. Il dit donc qu'aprčs s'ętre assis ŕ son tribunal, Pilate DIT AUX JUIFS
comme avec une certaine indignation : Ť VOICI VOTRE ROI ť, comme pour
dire : II est étonnant que vous craigniez de l'avoir pour roi, ainsi humilié et
méprisé. Nul, sinon les riches et les puissants, ne menace un royaume, mais tel
n'est pas celui-ci - Moi je suis un pauvre, dans
les labeurs depuis ma jeunesse1.
MAIS
EUX CRIAIENT : Ť Ŕ MORT ! Ŕ MORT ! CRUCIFIE-LE ! ť
2408. Mais ces paroles n'attendrissent pas la malice des Juifs. EUX CRIAIENT,
pris d'une haine démesurée, et redoublant l'abondance de leur malice : Ť Ŕ
MORT ! Ŕ MORT ! CRUCIFIE-LE ! ť, insinuant en męme temps
par lŕ qu'ils ne pouvaient pas le voir - Ils dirent ŕ Dieu : éloigne-toi de
nous, nous ne voulons pas avoir connaissance de tes voies2. - Sa vue męme nous est ŕ charge3. Et c'est pourquoi ils ajoutent : Condamnons-le ŕ la mort la plus
infâme4, ce qui est la męme chose que
CRUCIFIE-LE !
PILATE
LEUR DIT : Ť CRUCIFIERAI-JE VOTRE ROI ? ť
2409. L'Évangéliste montre ici comment Pilate s'efforce de le libérer en
invoquant le déshonneur des Juifs. Il présente d'abord la tentative de Pilate :
Ť CRUCIFIERAI-JE VOTRE ROI ? ť, comme s'il disait : Si vous
n'ętes pas émus par son humilité, ce qui doit vous émouvoir c'est le déshonneur
qu'il y aurait pour vous si je crucifiais - ce qui est trčs ignominieux si cela
est fait par des étrangers -celui qui a ambitionné votre royaume.
En second lieu il montre
l'obstination des Juifs. LES GRANDS PRĘTRES RÉPONDIRENT : Ť NOUS N'AVONS
PAS D'AUTRE ROI QUE CÉSAR ť, ce par quoi ils se soumirent eux-męmes ŕ une
servitude perpétuelle, refusant la royauté du Christ. Et c'est pourquoi
jusqu'au jour d'aujourd'hui, étrangers au Christ, ils se sont rendus esclaves
de César et d'un pouvoir terrestre5 - Ce n'est pas toi qu'ils
rejetčrent mais moi pour que je ne rčgne pas sur eux6. - ILˇ m'ont
abandonné, moi, la source d'eau vive, et ils se sont creusé des citernes qui ne
peuvent retenir les eaux7.
1. Ps 87, 16.
2. Jb 21, 14.
3. Sg2, 15.
4. Sg 2, 20.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, col. 459.
6. 1 S 8,
7.
7. Jr 2,
13. Saint Thomas commente : Ť Ils m'ont abandonné, moi, la source d'eau
vive, moi qui peux leur donner la vraie consolation - En toi est la
source de vie (Ps 35, 10) -, et ils se sont creusé des citernes, des
idoles qui ne peuvent sauver, parce qu'eux-męmes les ont faites - Simulacres
des nations, l'argent et l'or, des uvres de mains d'hommes (Ps 113 [B],
4) ť (Exp. super Hier., II, lectio 3).
II
ALORS
IL LE LEUR LIVRA POUR ĘTRE CRUCIFIÉ.
2410. Ensuite est présenté l'assentiment de Pilate ŕ la mort du Christ. Alors donc, voyant que les Juifs s'étaient ainsi soumis au pouvoir des Romains, IL LE LEUR LIVRA, c'est-ŕ-dire ŕ leur volonté, POUR ĘTRE CRUCIFIÉ, contre ce conseil : Ne suis pas la foule pour faire le mal1. - La terre a été livrée aux mains de l'impie2. - Mon âme chęne, je l'ai livrée aux mains de ses ennemis3.
2411. L'Évangéliste traite ici de la crucifixion du Christ. Il expose d'abord
l'ignominie de la croix, puis il rapporte ce qui suit la crucifixion [n° 2418].
Il décrit l'ignominie de la croix quant ŕ la condition de ceux qui crucifičrent
Jésus, quant ŕ la maničre de l'y mener [n° 2413], quant au lieu [n° 2415] et
quant ŕ l'entourage [n° 2417].
ILS
PRIRENT DONC JÉSUS ET L'EMMENČRENT. (19, 16)
2412. La condition de ceux qui le crucifičrent est décrite : ce sont des
soldats. C'est pourquoi il dit : ILS PRIRENT DONC JÉSUS. Ce sont des soldats,
de fait, car il est écrit ensuite : Quand donc les soldats l'eurent crucifié4, mais des Juifs par leur religion : parce
qu'eux-męmes firent, puis réduirent ŕ rien5 tout ce qui a été fait6. Par lŕ est signifié que les Juifs devaient perdre l'utilité de la
Croix du Christ, et les Gentils l'obtenir - Le royaume
de Dieu vous sera enlevé pour ętre donné ŕ un peuple qui lui fera porter du
fruit7.
ET
PORTANT LUI-MĘME SA CROIX (19, 17)
1. Ex 23, 2.
2. Jb 9, 24.
3. Jr 12, 7.
4. Jn 19, 23.
5. Cf. 1 Co 1, 17.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXVI, 9, BA 75, p. 285.
7. Mt 21,
43.
2413. La maničre de le mener fut ignominieuse - PORTANT LUI-MĘME SA CROIX -
car la mort de la croix était la plus ignominieuse. Aussi est-il dit : Maudit
soit celui qui pend au bois8. Et c'est pourquoi, évitant le bois de
la croix comme profane et ne voulant pas le toucher9, ils en chargent Jésus condamné.
2414. Cependant il est dit qu'ils réquisitionnčrent un certain Simon qui
venait de la ville, pour porter la croix10.
Réponse : il faut dire que le Christ
la porta depuis le début. Mais tandis qu'il avançait, les Juifs trouvčrent cet
homme, et le réquisitionnčrent par conformité ŕ leur religion11. Et cela n'est pas sans mystčre, parce que c'est lui qui le premier a
supporté la Passion de la Croix et, aprčs cela, les autres, et surtout les
étrangers, les Gentils, en l'imitant - Le Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple12. - Si quelqu'un veut venir aprčs moi, qu'il se renie lui-męme,
qu'il porte sa croix et qu'il me suive13.
Mais le fait que le Christ a porté
lui-męme sa croix, męme si c'est pour les impies et les incroyants un grand
sujet de moquerie, est cependant pour les croyants et les hommes pieux un grand mystčre - Le
langage de la Croix est folie pour ceux qui se
perdent ; mais pour ceux qui se sauvent, pour nous, il est puissance de Dieu1. Le Christ porte sa croix comme un roi son
sceptre au sein de la gloire qui est son pouvoir universel sur toutes choses - Le Seigneur a régné par le bois2. - II a reçu le
pouvoir sur son épaule, et il sera appelé merveilleux conseiller, Dieu fort,
Pčre du sičcle ŕ venir, Prince de la paix3. Il la porte comme le vainqueur porte le trophée de sa victoire - Dépouillant les principautés et les puissances, il les a menées
captives avec hardiesse, triomphant d'elles hautement en lui-męme4. Ou encore comme
un docteur porte le lampadaire oů devait ętre déposée la lampe de sa doctrine,
parce que le langage de la Croix est puissance de Dieu pour les croyants - Personne
n'allume une lampe et la pose sous un boisseau,
mais sur un lampadaire, afin que ceux qui entrent voient sa lumičre5.
8. Dt 21,
23.
9. Cf. saint Jean Chrysostome, In Ioannem
hom., LXXXV, 1, PG 59, col. 459, qui ajoute : Ť Et ceci advint sous le
mode de figure : en effet, Isaac porta le bois ; mais ce qui advint alors
se trouva limité par la volonté du Pčre (c'était une figure). Maintenant
cependant, cela fut accompli en acte, car c'était la vérité. ť
10. Voir
Mt 27, 32 et Sup. Matth. lect., XXVII, n" 2357.
11. Cf. saint Augustin, De consensu
Evangelistarum, III, χ, 37, PL 34, col. 1182.
12. 1
Ρ 2, 21.
13. Mt
16, 24.
IL
SORTIT POUR ALLER AU LIEU QUI EST APPELÉ CALVAIRE. (19, 17)
1. 1 Co
1, 18. Saint Thomas commente : Ť Le langage de la Croix, c'est-ŕ-dire
l'annonce de la Croix du Christ, est folie, c'est-ŕ-dire semble quelque
chose de fou, pour ceux qui se perdent - ŕ savoir pour les incroyants
qui se croient sages selon le monde -, parce que la prédication de la Croix du
Christ contient quelque chose qui semble impossible selon la sagesse humaine :
par exemple, le fait que Dieu meure, que le Tout-Puissant soit soumis aux mains
des violents. Elle contient aussi certaines choses qui semblent contraires ŕ la
prudence de ce monde : par exemple, le fait que quelqu'un ne fuie pas les
désordres alors qu'il le pourrait, et des choses de ce genre. Et c'est
pourquoi, ŕ Paul qui annonçait cela, Festus dit : Tu es fou, Paul, ton grand
savoir te fait perdre la tęte (Ac 26, 24). Et Paul lui-męme dit : Nous
sommes fous, nous, ŕ cause du Christ (1 Co 4, 10). Et pour
que l'on ne croie pas
que le langage de la Croix contienne réellement de la folie, il ajoute : Mais pour ceux qui se sauvent, pour nous - ŕ
savoir les fidčles du Christ qui sommes sauvés par lui, selon ce passage
de Matthieu : Lui-męme en
effet sauvera son peuple de ses péchés (Mt 1, 21) -, il est
puissance de Dieu, puisque ceux-lŕ męmes ont reconnu dans la mort du Christ
la mort de Dieu, par laquelle il a vaincu le diable et le monde - Voici quil a vaincu, le lion de la tribu
de Juda (Ap 5, 5). De męme ils ont reconnu la puissance qu'ils ont
expérimentée en eux-męmes, étant donné qu'avec le Christ ils meurent aux vices et aux concupiscences - Ceux qui
sont du Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences (Ga
5, 24). Voilŕ pourquoi il est dit :
Ton sceptre de puissance, le Seigneur l étendra depuis Sion (Ps 109, 2). - Une force sortait de lui
et les guérissait tous (Le 6, 19) ť (Ad 1 Cor. lect.,
I, n° 47). Voir aussi vol. I, n° 1425.
2. Cf. Ps 95, 10.
3. Is 9, 6.
4. Col 2, 15.
5. Lc 11, 33.
2415. Le lieu de la Passion est ignominieux quant ŕ deux choses. Premičrement
parce qu'il était en dehors de la cité, et c'est pourquoi l'Évangéliste dit :
IL SORTIT, c'est-ŕ-dire en dehors des remparts de la ville, POUR ALLER AU LIEU
QUI EST APPELÉ CALVAIRE - C'est pourquoi Jésus, pour
sanctifier le peuple par son sang, a souffert hors de la porte6.
Et cela pour deux raisons : d'abord
pour montrer que la puissance de sa Passion ne devait pas se limiter aux
frontičres du peuple juif ; ensuite pour montrer que tous ceux qui veulent
obtenir le fruit de la Passion doivent quitter le monde, au moins quant ŕ leur
cur. L'Apôtre ajoute donc aussitôt : Sortons donc
vers lui en dehors du camp7.
2416. Deuxičmement parce que c'était le lieu le plus bas8
AU LIEU QUI EST APPELÉ CALVAIRE, lieu du Crâne -
J'ai été compté parmi ceux qui descendent ŕ la fosse9. Et selon Chrysostome,
certains disent que dans ce lieu, appelé Calvaire, Adam mourut et fut enterré -
d'oů Ť Calvaire ť, ŕ cause du crâne du premier homme - pour que, de
męme que la mort a régné lŕ, de męme ŕ cet endroit le Christ établisse son
trophée10. Mais, comme le dit Jérôme11, une interprétation de ce genre a la faveur du peuple et charme ses
oreilles, cependant elle n'est pas vraie, car Adam a été enseveli en Hebron - Adam
était l'homme le plus grand des Anaquim 12. Et c'est pourquoi
il faut dire que c'était un lieu ŕ l'extérieur des portes de Jérusalem, oů
étaient tranchées les tętes des condamnés. C'est pourquoi ce lieu prit le nom
de Crâne, ŕ cause des crânes des décapités qui y gisaient.
6. He 13,
12. Saint Thomas commente : Ť Hors de la porte, c'est-ŕ-dire hors
de la société commune de ceux qui sont soumis ŕ la chair, ou bien hors de
l'observance des lois ; ou encore hors des sensations du corps. ť (Ad
Heb. lect., XIII, n° 749).
7. He 13,
13.
8. Le
Calvaire, le lieu du Crâne, n'est pas le lieu situé le plus bas
géographiquement mais sur une butte ŕ la périphérie de la ville. Ť Bas ť
ici veut dire Ť méprisable ť ou Ť abject ť.
9. Ps 87, 5.
10. In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, col. 459.
11. Commentaire
sur Saint Matthieu, IV, 33 (27, 33), SC 259, p. 289-291.
12. Jos
14, 15.
ILS LE
CRUCIFIČRENT, ET AVEC LUI DEUX AUTRES, L'UN D'UN CÔTÉ, L'AUTRE DE L'AUTRE CÔTÉ,
ET JÉSUS AU MILIEU. (19, 18)
2417. L'entourage et les compagnons de la Passion indiquent son ignominie.
ILS LE CRUCIFIČRENT, ET AVEC LUI DEUX AUTRES, ŕ savoir des brigands, comme le
dit Luc.1 Et il dit : L'UN D'UN CÔTÉ, L'AUTRE
DE L'AUTRE CÔTÉ, c'est-ŕ-dire l'un ŕ droite et l'autre ŕ gauche, ET JÉSUS AU
MILIEU.
Et remarque bien que le Christ, męme
dans sa Passion, se tient au milieu. Mais ceci, quant ŕ l'intention des Juifs,
lui a été fait pour [le couvrir] d'ignominie, c'est-ŕ-dire pour que la cause de
sa mort fűt jugée semblable ŕ celle de la mort des brigands - II a été
compté parmi les criminels2.
Mais si on est attentif au mystčre, cela appartient ŕ la gloire3 du Christ, car par lŕ est montré que le Christ, par sa Passion, méritait le pouvoir de juger - Ta cause a été jugée comme celle d'un impie, mais tu recevras le jugement et la cause4. En effet, se tenir au milieu est le propre du juge ; c'est pourquoi, selon le Philosophe aussi, aller vers le juge, c'est aller vers le juste milieu5. Et c'est pourquoi il est placé au milieu, et l'un ŕ sa droite, l'autre ŕ sa gauche, parce qu'au jugement assurément il établira les brebis ŕ sa droite mais les boucs ŕ sa gauche. Aussi, le larron ŕ sa droite, celui qui a cru, est libéré, et l'autre ŕ sa gauche, celui qui l'insulte, a été condamné.
2418. Aprčs avoir traité de la crucifixion du Christ, l'Évangéliste ŕ présent
nous rapporte ce qui la suit. Et d'abord les choses qui suivent la crucifixion
quant ŕ Pilate ; ensuite quant aux soldats [n° 2425] ; enfin quant
aux amis qui se tenaient lŕ [n° 2434].
Ce qui suit la crucifixion
quant ŕ Pilate.
PILATE
FIT UNE INSCRIPTION ET LA MIT SUR LA CROIX. IL Y ÉTAIT ÉCRIT : Ť JÉSUS DE
NAZARETH, LE ROI DES JUIFS. ť CETTE INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA
LURENT, PARCE QUE LE LIEU OŮ JÉSUS AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE.
ET ELLE ÉTAIT ÉCRITE EN HÉBREU, EN GREC ET EN LATIN. LES GRANDS PRĘTRES DES
JUIFS DISAIENT DONC A PILATE : Ť N'ÉCRIS PAS : LE ROI DES JUIFS, MAIS QUE
LUI-MĘME A DIT : "JE SUIS LE ROI DES JUIFS". ť PILATE RÉPONDIT :
Ť CE QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT. ť (19, 19-22)
1. Cf. Lc
23, 33.
2. Is 53,
12.
3. Sur la
gloire, voir vol. I, n° 1278, note 4, et ci-dessus, nos 2106 et 2152.
4. Jb 36,
17 (verset propre ŕ la Vulgate).
5. Aristote,
dans l'Éthique ŕ Nicomaque, montre que Ť toute vertu est une
disposition stable qui nous permet de choisir dans un juste milieu relatif ŕ
nous, milieu déterminé par l'intelligence, tel que le déterminerait l'homme
prudent. C'est un juste milieu entre deux vices, l'un par excčs et l'autre par
défaut ť (II, 6, 1106 b 36 - 1107 a 2). Ainsi la vertu de justice, qui est
par excellence la vertu concernant les rapports avec autrui, s'intéresse ŕ
l'égalité, dans un juste milieu entre les différentes parties (voir op. cit.,
V, 1).
Trois choses se rapportant ŕ Pilate
sont exposées, ŕ savoir l'inscription d'un écriteau, la lecture qu'on en fit,
et la conservation de l'inscription.
Ι
PILATE
FIT UNE INSCRIPTION ET LA MIT SUR LA CROIX.
2419. Quant au premier point, deux choses sont montrées. D'abord
linscription de l'écriteau : PILATE FIT UNE INSCRIPTION
ET LA MIT SUR LA CROIX. Et cela convenait tout ŕ fait afin de se venger des Juifs
au moins par ceci : en montrant leur malice, puisqu'ils se soulevaient contre
leur roi.
Mais cependant cela convient au mystčre car, de męme que, lors des
triomphes, sur le trophée était posé l'écriteau montrant la victoire, parce que
les hommes voulaient illustrer la mémoire de leur nom - Rendons notre nom
célčbre avant d'ętre dispersés ŕ travers toutes les terres1 -, ainsi le Seigneur voulut-il qu'une inscription fut faite sur la
croix afin que sa Passion restât en mémoire - Souviens-toi de ma pauvreté et
de l'excčs commis contre moi, de l'absinthe et du fiel2.
IL Y
ÉTAIT ÉCRIT : Ť JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI DES JUIFS. ť
2420. En second lieu est exposé le contenu de l'inscription : IL Y ÉTAIT
ÉCRIT : Ť JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI DES JUIFS. ť Et certes ces trois
mots conviennent bien au mystčre de la Croix, car ce qui est écrit, JÉSUS, qui
signifie Sauveur, convient ŕ la puissance de la Croix par laquelle s'est
réalisé pour nous le salut - Tu lui donneras le nom de Jésus, car c'est lui
qui sauvera le peuple de ses péchés3. Quant ŕ DE NAZARETH, qui se traduit
Ť en fleur4 ť, cela se
rapporte ŕ l'innocence de celui qui souffre - Moi la fleur des champs, h lis
des vallées5. - Une fleur
montera de sa racine6. Quant ŕ ROI DES
JUIFS, cela se rapporte ŕ la puissance de celui qui souffre et au pouvoir qu'il
a mérité par sa Passion - C'est pourquoi Dieu lα exalté7. - II régnera, Seigneur, et sera sage 8. - Il siégera sur le trône de David et sur son royaume9.
2421. Mais par la Croix il est non seulement roi des Juifs mais aussi des
Gentils - Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement ? Ne l'est-il pas
aussi des Gentils ? Oui, certes, des Gentils aussi10 -, c'est pourquoi aprčs avoir dit : Moi j'ai été établi roi
sur Sion11 il ajoute : Demande-moi et je te donnerai
les nations en héritage 12. Pourquoi donc
écrit-il seulement : ROI DES JUIFS ?
Réponse : il faut dire que les Gentils ont été introduits dans la sčve
de l'olivier comme l'olivier sauvage 13. Et de męme que l'olivier sauvage a part ŕ la sčve de l'olivier sans
que l'olivier ait part ŕ l'amertume de l'olivier sauvage, ainsi les Gentils
eux-męmes convertis ŕ la foi sont devenus par leur confession Juifs en esprit,
non pas d'une circoncision de la chair, mais de l'esprit14. Et c'est pourquoi dans ce qui est dit - ROI DES JUIFS - sont compris
aussi les Gentils convertis.
II
CETTE
INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA LURENT, PARCE QUE LE LIEU OŮ JÉSUS AVAIT ÉTÉ
CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE. ET ELLE ÉTAIT ÉCRITE EN HÉBREU, EN GREC ET
EN LATIN.
2422. L'Évangéliste regarde ensuite la lecture qu'on fit de cette
inscription. D'abord est montrée la lecture de l'inscription : CETTE
INSCRIPTION, BEAUCOUP DE JUIFS LA LURENT, par quoi est signifié que beaucoup
sont sauvés par la foi, en lisant la Passion du Christ rapportée par ceux qui
la virent - Ces choses ont été écrites afin que vous croyiez1.
1. Gn 11,
4.
2. Lm 3,
19.
3. Mt 1,
21. Voir vol. I, n° 663.
4. Cf. SAINT JÉRÔME, Liber interpretationis
hebraicorutn nominum (Lag. 62, 24-25), CCL, vol. LXXII, p. 137.
5. Ct 2, 1.
6. Is 11, 1.
7. Ph 2,
9.
8. Jr 23,
5. La Vulgate dit Rex et non Dominus.
9. Is 9,
7.
10. Rm 3,
29.
11. Ps 2,
6.
12. Ps 2,
8. Voir vol. I, n" 1417, note 4, et ci-dessus, n° 2206.
13. Voir Rm 11, 17.
14. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXVII, 5, BA 75, p. 299-301.
En second lieu nous est montrée la
possibilité de lire ; et celle-ci est double. La premičre se prend de la
proximité du lieu, vers lequel beaucoup affluaient PARCE QUE LE LIEU OŮ JÉSUS
AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ ÉTAIT PROCHE DE LA VILLE. L'autre provient du fait que
l'inscription était écrite en plusieurs langues : ET ELLE ÉTAIT ÉCRITE EN
HÉBREU, EN GREC ET EN LATIN, afin que nul ne l'ignore et parce que ces trois
langues dominaient sur les autres. L'hébreu certes ŕ cause du culte du Dieu
unique ; le grec en raison de la sagesse ; le latin ŕ cause de la puissance
des Romains. C'est pourquoi ces trois nations revendiquent pour elles la
dignité dans la Croix du Christ, comme le dit Augustin2. Par lŕ est signifié que, par la Croix du Christ, devaient ętre soumis
les hommes pieux et religieux désignés par l'hébreu, les sages désignés par le
grec et les puissants désignés par le latin.
Ou bien3 par l'hébreu était signifié que le
Christ devait régner sur la philosophie théologique, qui est signifiée par
l'hébreu parce que c'est aux Juifs qu'a été livrée la connaissance des réalités
divines ; mais par le grec était signifié que le Christ devait régner sur
la philosophie naturelle et physique, car les Grecs ont peiné sur la
spéculation des réalités de la nature ; et par le latin était signifié
qu'il devait régner sur la philosophie pratique4, parce que chez les Romains
prévalait surtout la science morale, afin qu'ainsi réduite en captivité,
l'intelligence humaine soit ramenée ŕ l'obéissance au Christ5.
1. Jn 20, 31.
2. Tract, in Io., CXVII, 4, BA 75, p. 295.
3. Cf. Theophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 275 B.
4. Saint
Thomas semble reprendre ici les trois niveaux de connaissance philosophique
qu'Aristote précise dans ses écrits {Éthique, Métaphysique, Poétique,
Politique, etc.) : 1. La philosophie sagesse, ou théologie naturelle, qui
s'adonne ŕ la découverte des réalités divines, dont la finalité est la
contemplation du mystčre de Dieu. Aristote l'inclut dans ses livres de
philosophie premičre oů il étudie l'ętre en tant qu'ętre. Cette contemplation
du mystčre du Dieu unique rejoint celle des hommes religieux de l'ancien
Testament. 2. La philosophie de la nature, la physique, qui étudie les réalités
naturelles faisant partie de l'univers physique, toujours en devenir. Comme la
philosophie premičre, cette connaissance a pour finalité la connaissance męme
de la vérité. 3. La philosophie pratique qui consiste en une réflexion sur les
trois grandes activités humaines - le travail (activité artistique), l'amitié
(activité morale) et la coopération au sein d'une vie commune (activité
politique) -, et dont la finalité est l'activité elle-męme. (Sur la différence
entre la philosophie spéculative et la philosophie pratique, par la finalité,
voir par exemple, Métaphysique, a, 1, 993 b 20-21.) Saint Thomas évoque,
ŕ travers ces trois niveaux de connaissance, comment le mystčre du Christ, tout
en respectant l'intelligence humaine dans son développement naturel, lui
apporte un don nouveau, celui de la foi, et réclame une obéissance nouvelle. L'intelligence
devient servante du mystčre de la Révélation et de la parole de Dieu dans la
théologie chrétienne. Voir aussi plus haut, n° 2265, note 6.
III
LES
GRANDS PRĘTRES DES JUIFS DISAIENT DONC Ŕ PILATE : Ť N'ÉCRIS PAS : LE ROI
DES JUIFS, MAIS QUE LUI-MĘME A DIT : "JE SUIS LE ROI DES
JUIFS". ť PILATE RÉPONDIT : Ť CE QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI
ÉCRIT. ť (19, 21-22)
2423. Jean présente d'abord la tentative des Juifs pour supprimer
l'inscription. En effet les grands prętres des Juifs disaient ŕ Pilate : N'ÉCRIS PAS : LE ROI DES JUIFS, MAIS QUE LUI-MĘME A DIT :
Ť JE SUIS LE ROI DES JUIFS. ť
Car par lŕ sont manifestés la proclamation du Christ et l'opprobre des Juifs,
parce qu'il est proclamé ROI DES JUIFS. En effet c'est une honte pour les Juifs
d'avoir fait crucifier leur roi6.
Mais s'il avait été inscrit :
LUI-MĘME A DIT : Ť JE SUIS LE ROI DES JUIFS ť, cet outrage serait
retombé sur le Christ et aurait montré une faute de sa part7. Et telle était leur intention, ŕ savoir retirer sa renommée au
crucifié ŕ qui, vivant, ils avaient déjŕ retiré la vie - Ils
parlaient contre moi, ceux qui se tenaient ŕ la porte8.
5. 2 Co
10, 5. Saint Thomas commente : Ť Ce qui a lieu quand ce que l'homme sait,
il le met entičrement au service (ministerium) du Christ et de la foi - pour
lier leurs rois avec des entraves (Ps 149, 8). - Engage ton pied dans
ses entraves (Si 6, 25), c'est-ŕ-dire dans les enseignements de la
foi ť (Ad 2 Cor. lect., X, n° 352).
6. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, col. 460.
7. Cf. saint
Jean Chrysostome, Ibid., col. 460-461.
8. Ps 68,
13.
2424. En second lieu est présentée la constance de Pilate pour garder cette
inscription parce que, voulant les couvrir d'ignominie, il ne voulut pas
changer la phrase. Aussi PILATE RÉPONDIT : Ť CE QUE j'Ai ÉCRIT, JE L'AI
ÉCRIT. ť Et cela n'a pas été fait par hasard, mais préparé par Dieu
longtemps auparavant et prophétisé. Car certains psaumes sont intitulés ainsi :
Ť Ne corromps
pas - De David - pour une inscription de titre (...) ť, psaumes qui, de fait, se rapportent
surtout ŕ la Passion du Christ, comme Arrache-moi, Seigneur, ŕ mes ennemis1, ainsi que les deux précédents : Pitié pour
moi mon Dieu, pitié pour moi, car en toi se confie mon âme2 et Si c'est bien avec vérité que vous
parlez de justice (...)3
Aussi les grands prętres
protestaient-ils sottement, car de męme qu'on ne peut corrompre ce qu'a dit la
Vérité, de męme ne peut ętre détruit ce que Pilate a écrit. En effet, Pilate a
dit : Ť CE QUE J'AI ÉCRIT, JE L'AI ÉCRIT ť, parce que ce qu'a dit le
Seigneur, il l'a dit, comme le dit Augustin4.
Ce qui suit la crucifixion quant aux soldats.
QUAND
DONC LES SOLDATS L'EURENT CRUCIFIÉ, ILS PRIRENT SES VĘTEMENTS (ET ILS EN FIRENT
QUATRE PARTS, UNE PART POUR CHAQUE SOLDAT), ET SA TUNIQUE. OR LA TUNIQUE ÉTAIT
SANS COUTURE, TISSÉE D'UNE SEULE PIČCE Ŕ PARTIR DU HAUT. ILS SE DIRENT DONC
L'UN Ŕ L'AUTRE : Ť NE LA DÉCHIRONS PAS ; MAIS TIRONS AU SORT Ŕ QUI
ELLE SERA. ť AFIN QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE DISANT : Ť ILS SE SONT
PARTAGÉ MES VĘTEMENTS, ET MON VĘTEMENT ILS L'ONT TIRÉ AU SORT. ť ET C'EST
BIEN CE QUE FIRENT LES SOLDATS. (19, 23-24)
2425. L'Évangéliste présente ce qui suivit la crucifixion quant aux
soldats ; et d'abord le partage des vętements, ensuite le tirage au
sort de la tunique sans couture [n° 2427] ; enfin il rappelle une annonce
prophétique [n° 2433].
ILS
PRIRENT SES VĘTEMENTS (ET ILS EN FIRENT QUATRE PARTS, UNE PART POUR CHAQUE
SOLDAT).
2426. Quant au premier point, nous pouvons saisir deux choses, ŕ savoir
l'abjection de la mort du Christ par le fait qu'ils l'ont dénudé, ce qui se
faisait seulement pour les personnes méprisables ; deuxičmement la
rapacité des soldats parce qu'ILS PRIRENT SES VĘTEMENTS
(ET ILS EN FIRENT QUATRE PARTS, UNE PART POUR CHAQUE SOLDAT). En effet ce genre
d'homme est trčs rapace,
aussi Jean Baptiste leur a-t-il dit : Ne molestez personne (...)
contentez-vous de votre solde5. - Ils renvoient des hommes tout
nus, enlevant les vętements ŕ ceux qui nont pas de quoi se couvrir pendant le
froid6.
ET SA
TUNIQUE
2427. Quant au deuxičme point, il nous donne d'abord la description de la
tunique, puis rapporte son tirage au sort [n° 2430].
2428. Il dit donc : ET SA TUNIQUE qu'ils prirent en męme temps que les autres
vętements. OR LA TUNIQUE ÉTAIT SANS COUTURE, TISSÉE D'UNE SEULE PIČCE Ŕ PARTIR
DU HAUT. Et cela, il le dit pour montrer la raison pour laquelle on ne la
divisa pas. Ŕ cause de cela, comme certains le disent, on peut deviner le grand
prix de la tunique.
Mais Chrysostome7 au contraire dit que l'Évangéliste, en disant cela, suggčre de maničre cachée le peu de valeur du
vętement. Car en Palestine il existe un genre de vętement pour les pauvres,
fait de plusieurs pičces de tissu assemblées les unes aux autres comme une
seule pičce - En effet nous connaissons la grâce de Notre-Seigneur Jésus
Christ qui riche en tout s'est fait indigent (egenus) pour nous1.
1. Ps 58, 2.
2. Ps 56, 2.
3. Ps 57, 2.
4. Tract, in Io., CXVII, 5, BA 75, p. 297.
5. Lc 3, 14.
6. Jb 24, 7.
7. In Ioannem hom., LXXXV, 2, PG 59, col. 461.
2429. Au sens mystique, cela peut se rapporter au Corps mystique du
Christ ; et ainsi, les vętements sont répartis en quatre parts parce que
l'Église s'est répandue aux quatre coins du monde2 -Je suis vivant, moi, dit le Seigneur : de
tous ceux-ci, comme d'un ornement, tu seras revętue, et tu t'en pareras comme
une épouse3.
LA TUNIQUE (...) SANS COUTURE qui
n'est pas divisée signifie la charité, parce que les autres vertus ne sont pas
unies en elles-męmes, mais sont unies par autre chose, dans la mesure oů toutes
se rassemblent dans la fin ultime, ŕ laquelle seule la charité unit4. Car męme si la foi met en évidence la fin ultime et que l'espérance
nous fait tendre vers elle, cependant seule la charité nous y unit - Gardant
par-dessus tout la charité, qui est le lien de la perfection5. Et il est dit qu'elle est TISSÉE (...) Ŕ
PARTIR DU HAUT parce que la charité est au-dessus de toutes les autres vertus -
Je vais vous montrer une voie encore plus excellente6. - Connaître l'amour du Christ qui surpasse toute connaissance,
afin que vous soyez comblés de toute la plénitude de Dieu7. Ou bien parce que la charité ne vient pas de
nous-męmes mais de l'Esprit Saint8 - La chanté de Dieu a été
répandue dans nos curs par l'Esprit Saint qui nous a été donné9.
1. 2 Co
8, 9. En commentant ce verset, saint Thomas souligne que l'Apôtre emploie
l'adjectif egenus et non pauper pour désigner la pauvreté du
Christ : Ť Et il dit : egenus - indigent -, qui est plus que pauvre.
Car est dit indigent celui qui non seulement a peu mais est dans le besoin ou
manque de quelque chose, alors que le pauvre est celui qui a peu. C'est donc
pour signifier la plus grande pauvreté qu'il est dit : il s'est fait
indigent, ŕ savoir ŕ l'égard des biens temporels - Le Fils de l'homme,
lui, n'a pas oů reposer la tęte (Le 9, 58). - Me souvenir de ma misčre
et de ma vie errante, c'est absinthe et fiel (Lm 3, 19). Or il s'est fait
indigent non par nécessité, mais par sa volonté, car [autrement] cette grâce ne
serait plus une grâce, et c'est pourquoi il dit : Lui qui était riche en
tout, ŕ savoir riche de biens spirituels - Dieu est le męme, riche
envers tous ceux qui l'invoquent (Rm 10, 12). - Avec moi sont les
richesses (Pr 8, 18). Or il dit était, non "avait été",
pour qu'on ne croie pas que le Christ ait perdu des richesses spirituelles en
assumant la pauvreté. Car il a assumé cette pauvreté de telle maničre qu'il n'a
pas perdu ces inestimables richesses : tout ŕ la fois riche et pauvre (Ps
48, 3), riche de biens spirituels, pauvre de biens temporels. Et il ajoute la
cause pour laquelle le Christ a voulu se faire indigent : pour que par sa
pauvreté nous devenions riches, c'est-ŕ-dire pour que par sa pauvreté ŕ
l'égard des biens temporels vous deveniez riches de biens spirituels ť {Ad
2 Cor. lect., VIII, nos 294-295).
2. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXVIII, 4, Β A 75, p. 309-311.
3. Is 49,
18.
4. Voir Somme
théol, II-II, q. 23, a. 8, oů saint Thomas montre que la charité est la
forme des vertus.
Cela peut encore se rapporter au vrai
corps du Christ, et ainsi elle est TISSÉE (...) Ŕ PARTIR DU HAUT parce que le
corps du Christ a été formé par une puissance venue d'en haut, ŕ savoir celle
de l'Esprit Saint - Ce qui est né en elle vient de l'Esprit Saint10.
5. Col 3,
14. Saint Thomas commente : Ť Selon la Glose, l'homme est perfectionné par
toutes les vertus, mais la charité les lie les unes aux autres et les rend
stables (perseverantes), et c'est pourquoi elle est appelée lien. Ou
bien par nature elle est un lien puisqu'elle est amour et que l'amour est ce qui
unit l'ętre aimé ŕ l'ami - Par des liens humains je les attirerai, par les
liens de la charité (Os 11, 4). Mais il ajoute de la perfection car
une chose est parfaite quand elle adhčre ŕ la fin ultime, c'est-ŕ-dire Dieu, ce
que fait la charité ť {Ad Col. lect., III, n° 163). Sur la foi
formée par la charité, voir vol. I, n° 1396, note 7.
6. 1 Co
12, 31. Saint Thomas commente : Ť ŕ savoir la charité, par laquelle on va
plus directement en Dieu - J'ai couru dans la voie de tes commandements (Ps
118, 32). - Voici la voie, marchez-y (Is 30, 21) ť {Ad 1 Cor. lect.,
XII, n° 758).
7. Ep 3,
19. Saint Thomas commente : Ť Ici il faut savoir que tout ce qui est dans
le mystčre de la Rédemption humaine et de l'Incarnation du Christ est tout
entier l'uvre de la charité. Car le fait qu'il s'est incarné a procédé de la
charité - A cause de la trop grande charité dont il nous a aimés (Ep 2,
4). Qu'il soit mort, cela a procédé aussi de la charité - Personne n'a de
plus grand amour que celui qui livre son âme pour ses amis (Jn 15, 13). - Le
Christ nous a aimés et s'est livré lui-męme pour nous en oblation et en hostie
ŕ Dieu (Ep 5, 2). Ŕ cause de cela Grégoire dit : "Ô inestimable amour
de charité ! Pour racheter l'esclave, tu as livré le Fils". Et c'est
pourquoi, connaître la charité du Christ c'est connaître tous les mystčres de
l'incarnation du Christ et de notre rédemption, qui ont procédé de l'immense
charité de Dieu, charité qui assurément dépasse toute intelligence créée et la
science de toutes choses, puisqu'elle est incompréhensible pour la pensée. Et
voilŕ pourquoi il dit : surpassant toute connaissance, c'est-ŕ-dire
naturelle, et dépassant toute intelligence créée - Et la paix de Dieu, qui
surpasse tout sentiment (Ph 4, 7) -, la charité du Christ, c'est-ŕ-dire
que Dieu le Pčre a réalisée par le Christ - C'était Dieu qui dans le Christ
se réconciliait le monde (2 Co 5, 19) ť {Ad Eph. lect., III, n°
178).
8. Cf. THÉOPHYLACTE, Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h.
loc, PG 124, col. 278 A.
9. Rm 5, 5. Cf. vol. I n° 1234, note 8.
10. Mt 1,
20. Saint Thomas commente : Ť Cela est ineffable et incompréhensible, non
seulement pour l'homme mais aussi pour les anges eux-męmes ť {Sup. Matth.
lect., I, n° 131).
ILS SE
DIRENT DONC L'UN Ŕ L'AUTRE : Ť NE LA DÉCHIRONS PAS ; MAIS TIRONS AU
SORT Ŕ QUI ELLE SERA. ť
2430. Il existe en effet un sort divinatoire, et celui-ci, parce qu'il n'a
pas de nécessité, est illicite. Il existe aussi un autre sort permettant de
diviser ; et celui-ci est licite pour les réalités du monde mais non pour
les réalités spirituelles, en ce sens que les réalités que les hommes ne sont
pas aptes ŕ diviser selon leur propre jugement, ils les confient au jugement et
au conseil divins - Les sorts se jettent dans le pli du vętement, mais c'est
par le Seigneur qu'ils sont dirigés1, et encore : Le sort apaise la contradiction et décide entre les
puissants2.
2431. Cependant, on voit en Matthieu qu'ils tirčrent au sort ses vętements3. Réponse : il faut dire que Matthieu ne dit pas qu'ils les tirčrent
tous au sort mais que, tandis qu'ils se partagčrent les autres vętements, ils
tirčrent au sort la tunique.
2432. En outre, Marc insiste encore davantage : Ils tirčrent au sort ce
que chacun prendrait4, donc toutes les parts. Réponse : il
faut, selon Augustin5, comprendre et présenter ainsi les
paroles de Marc : Ils tirčrent au sort, c'est-ŕ-dire [pour désigner] qui
aurait quoi, c'est-ŕ-dire lequel d'entre eux prendrait la tunique.
AFIN
QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE DISANT : Ť ILS SE SONT PARTAGÉ MES VĘTEMENTS,
ET MON VĘTEMENT ILS L'ONT TIRÉ AU SORT. ť ET C'EST BIEN CE QUE FIRENT LES
SOLDATS. (19, 24)
2433. Puis il expose la prophétie de l'Écriture quand il dit : AFIN QUE
S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE. D'abord est présentée l'annonce prophétique dans
laquelle on remarque la diligence du prophčte6 lorsqu'il annonçait aussi certains
événements fâcheux qui allaient survenir concernant le Christ. Il est manifeste
aussi que les choses prédites ne sont pas arrivées par hasard.
Et c'est pourquoi il dit AFIN QUE
S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE, c'est-ŕ-dire suite ŕ ce qu'a dit le psaume 21 Ils
se sont partagé mes vętements7 - il ne dit pas Ť mon
vętement ť parce qu'il y en avait plusieurs -, et sur mon vętement, c'est-ŕ-dire
ma tunique, ils ont jeté le sort.
Ensuite est exposé l'accomplissement
de la prophétie 8 ET C'EST BIEN CE QUE FIRENT LES
SOLDATS. Par lŕ nous comprenons que l'Écriture divine s'accomplit aussi dans
les petites choses - Pas un iota, pas un trait de la Loi ne passera avant
que toutes choses se réalisent9.
- II faut que s'accomplisse tout ce qui est écnt de moi dans la Loi, les
Prophčtes et les Psaumes10.
1. Pr 16,
33.
2. Pr 18, 18.
3. Cf. Mt 27, 35.
4. Mc 15, 24.
5. Tract, in Io., CXVIII, 3, BA 75, p. 309. Dans ce
passage, saint Augustin propose une solution au problčme des différences qu'on
lit dans les quatre récits évangéliques rapportant la division des vętements du
Christ.
6. Sur la
prophétie, voir vol. I, n° 1579.
7. Ps 21,
19. Saint Thomas commente : Ť Ils se sont partagé mes vętements - qui
étaient nombreux et partageables - et sur ma robe, sans couture, ils
ont jeté le sort, et ils firent cela par cupidité, ou bien par une certaine
dérision. Ŕ travers ces vętements partagés sont signifiés les sacrements de
l'Église, mais par la robe qui n'est pas déchirée est signifiée l'unité de
l'Église que chacun croit détenir ; mais il n'en existe qu'une seule, car
unique est l'unité de l'Église - Unique est ma colombe, ma parfaite (Ct
6, 8) ť (Exp. in Psalmos, 21, n° 14).
8. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 1, PG 59, col. 461.
9. Mt 5,
18.
10. Lc
24, 44.
Ce qui suit la crucifixion quant aux amis qui se tenaient lŕ.
OR PRČS
DE LA CROIX DE JÉSUS SE TENAIENT SA MČRE, ET LA SUR DE SA MČRE, MARIE, FEMME
DE CLÉOPHAS, ET MARIE DE MAGDALA. QUAND DONC JÉSUS EUT VU SA MČRE ET, SE TENANT
PRČS D'ELLE, LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT, IL DIT Ŕ SA MČRE : Ť FEMME, VOICI
TON FILS. ť PUIS IL DIT AU DISCIPLE : Ť VOICI TA MČRE. ť ET Ŕ
PARTIR DE CETTE HEURE-LŔ, LE DISCIPLE LA PRIT CHEZ LUI (19, 25-27)
2434. Jean présente en troisičme lieu ce qui suit la crucifixion quant aux
amis. Et d'abord il montre la présence des femmes qui se tenaient lŕ ;
puis l'attention pleine de sollicitude du Christ ŕ l'égard de sa mčre [n°
2439] ; enfin l'obéissance prompte du disciple [n° 2443].
OR PRČS
DE LA CROIX DE JÉSUS SE TENAIENT SA MČRE, ET LA SUR DE SA MČRE, MARIE, FEMME
DE CLÉOPHAS, ET MARIE DE MAGDALA.
2435. Or les femmes présentes auprčs de la croix sont au nombre de trois : SA
MČRE, ET LA SUR DE SA MČRE, MARIE, FEMME DE CLÉOPHAS, ET
MARIE DE MAGDALA. Mais
remarquons que, alors que les autres évangélistes 1 font mention de nombreuses femmes se
tenant auprčs du Christ, aucun ne fait mention de la bienheureuse Vierge,
excepté Jean. Aussi, ŕ cause du récit des deux autres2, surviennent deux doutes.
2436. Le premier parce que Matthieu et Marc disent que les femmes se tenaient
ŕ distance, mais Jean, qu'elles se tenaient PRČS DE LA
CROIX.
On peut répondre ŕ cela que, autres
étaient ces femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, autres celles dont Jean
fait mémoire. Mais ŕ cela s'oppose le fait que Marie de Magdala est comptée
parmi les femmes dont font mémoire Matthieu et Marc, et Jean également. Et
c'est pourquoi il faut comprendre que ces femmes-ci sont les męmes que
celles-lŕ. Et en cela il n'y a pas de contradiction, car Ť prčs de ť
et Ť ŕ distance ť sont dits de maničre relative. Et rien n'empęche
qu'une chose soit dite d'une certaine maničre Ť ŕ distance ť et d'une
autre Ť prčs ť. Il est dit qu'elles étaient Ť prčs ť parce
qu'elles étaient sous le regard de Jésus, mais Ť ŕ distance ť parce
qu'entre lui et ces femmes il y avait des intermédiaires3.
Ou bien on peut dire que dčs le début
de la crucifixion elles se tenaient tout prčs de lui, si bien qu'il pouvait
leur parler. Mais ensuite, la multitude des moqueurs arrivant, elles se
retirčrent et se tinrent ŕ distance. Jean raconte donc ce qui eut lieu d'abord,
les autres ce qui eut lieu ensuite.
2437. La seconde question est que Jean fait mémoire de Marie, femme de
Cléophas, mais que Matthieu et Marc font mémoire ŕ sa place de Marie, femme de
Jacques, qui était appelé Alphée. Lŕ il faut dire4 que Marie, femme de Cléophas, que
Jean nomme, est la męme que Marie, femme d'Alphée, que nomme Matthieu. Elle eut
en effet deux maris, ŕ savoir Alphée et Cléophas. Ou bien on peut dire que
Cléophas fut son pčre.
2438. Le fait que les femmes se tenaient prčs de la croix alors que les
disciples, ayant abandonné le Christ, avaient fui, met en lumičre la constance
dévouée des femmes5 -
Ma chair étant consumée, mes os s'attachent ŕ ma peau1, c'est-ŕ-dire comme si les disciples, désignés
par la chair, étaient partis alors que les femmes, signifiées par la
peau s'attachčrent.
1. Voir
Mt 27, 55-56 ; Me 15, 40-41 ; Le 23, 49.
2. Les
trois autres évangélistes évoquent les femmes se tenant auprčs du Christ, mais
Luc, lui, ne nomme aucune d'entre elles.
3. Cette
interprétation et la suivante proviennent de saint
Augustin, De consensu Evangelistarum, III, XXI, 58, PL 34, col. 1194-1195.
4. Cf. SAINT Jérôme,
Adversus Helvidium de Mariae virginitate perpetua, XIII-XIV, PL
23, col. 196-197.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 2, PG 59, col. 462.
QUAND
DONC JÉSUS EUT VU SA MČRE ET, SE TENANT PRČS D'ELLE, LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT,
IL DIT Ŕ SA MČRE : Ť FEMME, VOICI TON FILS. ť PUIS IL DIT AU DISCIPLE
: Ť VOICI TA MČRE. ť
2439. Ensuite est montrée sa sollicitude envers sa Mčre. D'abord est montrée
cette sollicitude quant au disciple dont il remit le soin ŕ sa Mčre, puis quant
ŕ sa mčre dont il confia le soin au disciple [n° 2442].
2440. Quant au premier point, il dit : QUAND DONC JÉSUS
EUT VU SA MČRE ET, SE TENANT PRČS D'ELLE, LE DISCIPLE QU'IL AIMAIT, IL DIT Ŕ SA
MČRE : Ť FEMME, VOICI TON FILS ť, comme pour dire : Jusqu'ŕ présent j'ai pris soin de
toi, aussi je me suis souvenu de toi, je te laisse celui-lŕ. Par lŕ est montrée
la dignité de Jean.
Mais sois attentif car plus haut,
quand sa mčre a dit : Ils n'ont plus de vin2, il dit : Mon heure, c'est-ŕ-dire l'heure de la Passion que je
souffrirai selon ce que j'ai reçu de toi3, n'est pas encore venue 4 ; mais quand cette heure sera venue, alors je te reconnaîtrai5. Et c'est pourquoi, ŕ présent, il la reconnaît comme MČRE. Car faire
des miracles ne me convient pas selon ce que j'ai reçu de toi, mais selon que
j'ai de mon Pčre la génération éternelle, c'est-ŕ-dire selon que je suis Dieu.
1. Jb 19,
20.
2. Jn2, 3.
3. Saint
Thomas évoque ici le mystčre de l'Incarnation oů la Vierge Marie a donné au
Christ sa nature humaine, nature selon laquelle il souffrirait la Croix. Voir
vol. I, n" 352.
4. Jn2, 4.
5. Cf. saint Augustin, Tract, in Io., CXIX,
1, BA 75, p. 319-321, qui ajoute : ŕ Cana, le Seigneur, Ť sur le point de
faire des uvres divines, repoussait [comme] une inconnue la mčre non de sa
divinité mais de sa fragilité ; maintenant au contraire, souffrant déjŕ de
douleurs humaines, celle de laquelle il a été fait homme, il la recommande ŕ
l'affection humaine ť.
2441. Et remarque, selon Augustin6, que le Christ suspendu ŕ la croix
se comporta comme un maître en chaire. C'est aussi pourquoi il nous enseigne
qu'il nous faut subvenir ŕ nos parents dans la nécessité et prendre soin d'eux
- Honore ton pčre et ta mčre7. Et l'Apôtre : Si quelqu'un n'a pas
soin des siens et surtout de ceux de sa maison, il n'a plus la foi et il est
pire qu'un infidčle8.
Mais cependant il est dit : Si
quelqu'un vient ŕ moi et ne hait pas son pčre et sa mčre et sa femme et ses
fils, et encore sa propre âme, il ne peut ętre mon disciple9. Réponse : il faut dire que, de męme que le
Seigneur nous commande de haďr nos parents, de męme il nous commande de haďr
aussi notre âme, et en cela il nous commande d'aimer la nature et de haďr
l'iniquité et ce qui détourne de Dieu. Et ainsi nous devons soutenir nos
parents, les aimer et les respecter quant ŕ la nature, mais les haďr quant ŕ
leurs vices et ce par quoi ils nous détournent de Dieu.
2442. Quant au second point, IL DIT AU DISCIPLE : Ť VOICI TA
MČRE ť, c'est-ŕ-dire pour que celui-ci la serve autant qu'un fils sa mčre,
que celle-ci l'aime comme une mčre aime son fils.
ET A
PARTIR DE CETTE HEURE-LA, LE DISCIPLE LA PRIT CHEZ LUI (IN SUA).
2443. Ici est montrée l'obéissance du disciple. Et, selon Bčde 10, il faut dire Ť pour sienne ť (in suam), et ainsi le
sens est : LE DISCIPLE,
Jean, LA PRIT, c'est-ŕ-dire la mčre de Jésus, pour sienne, c'est-ŕ-dire pour
mčre, assurément, et comme confiée ŕ ses soins.
6. Loc. cit., 2, BA75, p. 321.
7. Ex 20, 12.
8. 1 Tm
5, 8. Saint Thomas commente : Ť L'état du fidčle par rapport ŕ l'infidčle
peut ętre considéré de deux maničres. Premičrement, quant ŕ l'état de péché, et
ainsi les infidčles sont dans un état pire, puisqu'ils ne font rien qui soit
accepté par Dieu ; deuxičmement, quant au péché dans sa singularité, et
alors c'est le contraire ; en effet, si le fidčle et l'infidčle commettent
l'adultčre, le fidčle pčche plus, parce qu'il fait injure ŕ la foi. Et il dit
ainsi que si le fidčle méprise le soin de ses parents, il pčche plus gravement
que si un infidčle faisait cela - Mieux valait pour eux n'avoir pas
connu la voie de la justice que de se détourner, aprčs l'avoir connue, du saint
commandement qui leur avait été transmis (2 Ρ 2, 21) ť (Ad 1
Tim. lect., V, n° 192).
9. Lc 14, 26.
10. In S. Ioannis Εν. exp. In h. loc, PL 92, col. 914 B-C.
Mais, selon Augustin1, comme on le trouve en grec, on doit dire CHEZ LUI (IN SUA), non pas, certes, dans ses biens, parce qu'il était de ceux qui avaient dit : Voici que nous avons tout quitté pour te suivre2 - car il est dit que Jacques et Jean, ayant tout quitté, ont suivi Jésus3 -, mais CHEZ LUI, c'est-ŕ-dire en se mettant ŕ son service, lui obéissant avec empressement et respect.
2444. Aprčs avoir traité de la crucifixion du Christ et des événements qui la suivirent, l'Évangéliste rapporte ŕ présent la mort vénérable du Christ, et montre d'abord l'opportunité de cette mort, puis décrit la mort elle-męme [n° 2452]. Enfin, il révčle la blessure faite au mort [n° 2454].
APRČS
CELA JÉSUS, SACHANT QUE TOUT ÉTAIT ACCOMPLI, POUR QUE L'ÉCRITURE FŰT ACCOMPLIE,
DIT : Ť J'AI SOIF. ť OR IL Y AVAIT LŔ UN VASE PLEIN DE VINAIGRE. ILS
MIRENT DONC AUTOUR D'UNE BRANCHE D'HYSOPE UNE ÉPONGE IMBIBÉE DE VINAIGRE ET
L'APPROCHČRENT DE SA BOUCHE. QUAND DONC JÉSUS EUT PRIS LE VINAIGRE, IL DIT :
Ť TOUT EST ACCOMPLI ť (19, 28-30)
L'opportunité de la mort est montrée
en ce que désormais TOUT EST ACCOMPLI Aussi, concernant cet accomplissement,
d'abord est mise en avant la connaissance que le Christ avait de cet accomplissement
męme, puis est accompli ce qui restait ŕ accomplir [n° 2451], en troisičme lieu
est exprimé l'accomplissement męme.
APRČS
CELA JÉSUS, SACHANT QUE TOUT ÉTAIT ACCOMPLI
1. Tract, in lo., CXIX, 3, BA 75, p. 325.
2. Mt 19,
27. Saint Thomas commente : Ť La perfection n'est pas de tout laisser,
mais de tout laisser et de suivre le Christ, parce que beaucoup de philosophes
ont tout laissé ť (Sup. Matth. lect., XIX, n° 1607).
3. Voir
Mt 4, 21-22 ; Mc 1, 19-20 ; Lc 5, 10-11.
2445. Concernant le premier point, il dit donc : APRČS, c'est-ŕ-dire aprčs
toutes les choses qui ont été exposées avant, JÉSUS, SACHANT QUE TOUT ÉTAIT
ACCOMPLI, tout ce que les Prophčtes et la Loi avaient annoncé ŕ son sujet - II
faut que s'accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi, les Prophčtes
et les Psaumes 4. - J'ai vu la fin de tout
accomplissement5.
2446. Mais, parce qu'il y avait encore autre chose de la prophétie de
l'Écriture qui devait ętre accompli, il ajoute : POUR QUE L'ÉCRITURE FŰT
ACCOMPLIE, [JÉSUS] DIT : Ť J'AI SOIF. ť
D'abord, l'Évangéliste nous rapporte
la parole que le Christ a prononcée ; ensuite il nous dit qu'il convenait
que sa demande fűt exaucée [n° 2448] ; enfin, il nous rapporte le
fait qu'on lui proposa un service qu'il n'avait pas voulu [n° 2449].
4. Lc 24,
44.
5. Ps
118, 96.
POUR
QUE L'ÉCRITURE FŰT ACCOMPLIE, [JÉSUS] DIT : Ť J'AI SOIF. ť
2447. Lŕ, il faut savoir que POUR QUE n'est pas causal mais consécutif. En
effet, il n'a pas fait cette demande POUR QUE L'ÉCRITURE - l'Ancien Testament -
FŰT ACCOMPLIE, mais c'est parce qu'elles devaient ętre accomplies par le Christ
que ces choses ont été dites. En effet, si nous disions que le Christ a fait
ces choses parce que les Écritures les ont annoncées, il s'ensuivrait que le
Nouveau Testament existerait ŕ cause de l'Ancien et pour l'accomplir, alors que
c'est le contraire1. Ainsi donc elles ont été annoncées
parce qu'elles devaient ętre accomplies par le Christ.
En disant Ť J'AI SOIF ť, il
montre que sa mort est vraie, non pas imaginaire. De męme nous est montré son
désir ardent du salut du genre humain2 - Il veut que tous les hommes soient sauvés3. - Le Fils de l'homme est venu
chercher et sauver ce qui était perdu4. Or nous exprimons habituellement un
désir véhément par la soif - Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant5.
1. Saint
Thomas, en exposant dans la Somme théologique les différents sens de
l'Écriture, explique que le sens allégorique est le sens oů Ť les réalités
de l'ancienne Loi signifient celles de la loi nouvelle ť (I, q. 1, a. 10,
c.)- Ailleurs il expose les différentes maničres du Christ d'accomplir
l'Écriture : Ť II accomplit premičrement les choses qui relčvent de la
morale, en les accommodant par la douceur de sa charité, parce que la plénitude
de la Loi c'est l'amour - L'amour est la plénitude de la Loi (Rm 13, 10).
- Tel est mon précepte : que vous vous aimiez les uns les autres comme je
vous ai aimés (Jn 15, 12). Deuxičmement, il accomplit les rites du culte en
enlevant le voile des figures - Le voile du Temple se déchira (Mt 27,
51). - Il est digne l'Agneau, d'ouvrir le livre et d'en briser les sceaux (Ap
5, 12 et 9), c'est-ŕ-dire les observances des figures qui étaient dans la Loi. Troisičmement,
il accomplit les prophéties en montrant qu'elles sont achevées en lui - Il faut
que soit accompli tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moďse, dans les
Prophčtes et dans les Psaumes (Lc 24, 44). Quatričmement, il
accomplit les promesses en les confirmant - Les promesses ont été faites ŕ
Abraham et ŕ celui qui naîtrait de lui (Ga 3, 16). Cinquičmement, il
accomplit les choses relatives aux jugements en les tempérant par la
miséricorde - ŕ la femme adultčre : Moi non plus je ne te condamnerai pas (Jn
8, 11). Sixičmement, il accomplit en ajoutant des conseils - Va, vends tout ce
que tu as (...) (Mt 19, 21). Septičmement, il accomplit en s'acquittant
entičrement de toutes les promesses qui leur avaient été faites au sujet de
l'envoi de l'Esprit Saint et de l'Incarnation du Fils -J'accomplirai (...)
une nouvelle alliance (He 8, 8). - Tout est accompli (Jn 19,
30) ť (Super Matth., V, n° 467). Voir aussi Ad 2 Cor. lect., III,
n° 105.
2. Voir
vol. I, n° 569.
3. 1 Tm
2, 4.
4. Lc 19,
10.
IL Y
AVAIT LŔ UN VASE PLEIN DE VINAIGRE.
2448. Ici nous est montré qu'il convenait que sa demande fut exaucée : du
fait qu'IL Y AVAIT LŔ, au pied de la croix, UN VASE PLEIN DE VINAIGRE. Par ce
vase est désignée la synagogue des Juifs qui, ŕ partir du vin des patriarches
et des prophčtes, avait dégénéré en vinaigre, c'est-ŕ-dire en malice et cruauté
de la part des grands prętres6.
2449. L'Évangéliste rapporte ensuite le service qu'il n'avait pas voulu. OR
IL Y AVAIT LŔ, au pied de la croix, UN VASE PLEIN DE VINAIGRE. ILS MIRENT DONC
AUTOUR D'UNE BRANCHE D'HYSOPE UNE ÉPONGE IMBIBÉE DE VINAIGRE ET L'APPROCHČRENT
DE SA BOUCHE.
De lŕ naît une question littérale :
Comment présentčrent-ils cette éponge ŕ la bouche du Christ suspendu en
hauteur ? L'Évangile de Matthieu répond ŕ cela qu'ils la fixčrent ŕ une
tige de roseau7. Ou bien, selon certains, ŕ une branche
d'hysope qui était grande, et c'est pourquoi elle est appelée roseau par
Matthieu.
2450. Or, au sens mystique, sont signifiés par lŕ trois maux qu'il y avait
chez les Juifs : par le vinaigre, la jalousie ; par la capacité
d'absorber et de rejeter qu'a l'éponge, la fourberie ; par l'amertume de
l'hysope, la malice8.
Ou encore, l'hysope signifie
l'humilité du Christ parce que c'est une herbe qui purifie le cur, que l'on
purifie surtout par
l'humilité - Purifie-moi Seigneur avec lhysope, je serai pur1.
5. Ps 41, 3. Voir vol. I, n° 586, note 7.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Lˇ., CXIX, 4, BA 75, p. 327.
7. Cf. Mt
27, 48. Saint Thomas commente : Ť Par la branche de roseau est signifiée
l'Écriture. Ils veulent donc confirmer leur malice en se servant de
l'Écriture ť (Sup. Matth. lect.,
XXVII, n° 2387).
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXIX, 4, BA 75, p. 327-329. L'interprétation
suivante est aussi tirée du męme passage de saint Augustin.
2451. L'accomplissement ultime est montré : QUAND DONC JÉSUS EUT PRIS LE VINAIGRE, IL DIT : Ť TOUT EST ACCOMPLI ť, ce qui peut se rapporter ŕ l'accomplissement de sa mort - Il était digne de celui pour qui et par qui sont toutes choses, qui voulait conduire une multitude d'enfants ŕ la gloire, d'accomplir par les souffrances l'auteur de leur salut2 -, ou bien ŕ l'accomplissement de notre sanctification, par sa Passion et par sa Croix - Car par une oblation unique, il a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il a sanctifiés3 - ; ou encore ŕ l'accomplissement des Écritures - Tout ce qui a été écrit par les prophčtes au sujet du Fils de l'homme sera accompli4.
ET, LA
TĘTE INCLINÉE, IL REMIT L'ESPRIT. (19, 30)
2452. Ici, l'Évangéliste décrit la mort du Christ. Et d'abord il expose la
cause de sa mort. En effet, il ne faut pas comprendre que c'est parce qu'il a
remis l'esprit qu'il a incliné la tęte, mais le contraire5. Car l'inclination de la tęte désigne l'obéissance, au nom de laquelle
il a supporté la mort - Il s'est fait obéissant jusqu'ŕ la mort6.
En second lieu nous est montrée la
puissance de celui qui meurt parce qu'IL REMIT L'ESPRIT par sa propre puissance
- Personne ne me l'enlčve [mon âme], mais moi je la livre de moi-męme7. Car, comme le dit Augustin8, nul n'a ainsi en son pouvoir de dormir quand il veut, comme le Christ
de mourir quand il le voulut.
1. Ps 50,
9. Saint Thomas commente : Ť L'hysope est une plante qui adhčre ŕ la terre
et qui soigne l'enflure, comme on le rapporte dans la Glose, et elle convient ŕ
la foi qui possčde l'humilité car par la foi l'intelligence est soumise ŕ Dieu
- Nous faisons toute pensée captive pour l'amener ŕ obéir au Christ (2
Co 10, 5). Elle est aussi enracinée sur la pierre, c'est-ŕ-dire sur le Christ -
Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne
prévaudront pas contre elle (Mt 16, 18). - Cette pierre était le Christ (1
Co 10, 4). Semblablement elle chasse de l'esprit humain l'orgueil qui habite en
ceux qui n'obéissent pas ŕ la foi au Christ ť (Exp. in Psalmos, 50,
n° 4).
2. He 2,
10. Saint Thomas commente : Ť Lui-męme, en tant que fils par nature, est
totalement parfait, mais parce que dans sa Passion il a été abaissé, il a dű
ętre rendu parfait par le mérite de sa Passion. Ŕ partir de cet accomplissement
donc, la convenance de la maničre dont l'Apôtre dit qu'il a goűté [la mort] est
évidente. En effet, il a seulement goűté la mort puisqu'il ne l'a acceptée que
pour ętre accompli par le mérite de sa Passion. Car son accomplissement męme
est sa glorification - Il fallait que le Christ souffrit pour entrer
dans sa gloire (Le 24, 26) ť (Ad Heb. lect., II, n"
128).
3. He 10,
14.
4. Le 18,
31.
5. Cette
remarque provient de saint Jean Chrysostome (In Ioannem hom., LXXXV, 2,
PG 59, col. 463), mais saint Thomas en tire une conclusion toute différente :
au lieu de la manifestation de la pleine maîtrise que le Christ avait de lui,
il y voit plutôt sa parfaite obéissance.
6. Ph 2,
8.
2453. Mais remarquons que du fait qu'IL REMIT L'ESPRIT, certains affirment
qu'il y a en l'homme deux âmes ; ŕ savoir une âme intellectuelle qu'ils
appellent esprit, et une autre âme, animale - végétative et sensitive - qui
anime le corps, et c'est surtout elle qu'on appelle Ť l'âme ť. C'est
pourquoi ils disent que le Christ a seulement remis son âme intellectuelle9.
Mais cela est faux ; d'une part
parce que, dans le livre des dogmes de l'Église, qu'il y ait en l'homme deux
âmes est compté parmi les erreurs ; d'autre part parce que s'il avait
remis l'esprit tandis que son âme demeurait encore, il ne serait pas mort. Et
donc, parce qu'il n'y a aucun autre esprit dans l'homme que son âme, il faut
dire qu'il remit l'esprit, c'est-ŕ-dire son âme 10.
7. Jn 10, 18.
8. Tract, in Io., CXIX, 6, BA 75, p. 331.
9. Saint
Thomas vise ici le commentaire de saint Grégoire (Morales sur Job, XI,
v, 7, SC 212, p. 51).
10. Saint
Thomas assume la pensée d'Aristote concernant la découverte d'une âme humaine
unique, principe radical de vie, et donc source de toutes les opérations
vitales de l'homme - végétatives, sensibles et spirituelles -, source de leur
diversité et de leur unité. L'esprit signifie les deux puissances spirituelles
émanant de l'âme, l'intelligence et la volonté, qui sont sources des
opérations de pensée (l'intelligence) et d'amour (la volonté). Ces deux
puissances représentent le sommet de l'âme humaine et, ŕ la différence de ses
autres capacités (comme l'imaginaire, les sens, la mémoire, les puissances
végétatives, etc.), peuvent se séparer du corps quant ŕ leur détermination
puisqu'elles atteignent l'universel et l'ętre, le bien spirituel et la personne.
Tout en étant ultime, l'esprit donne ŕ l'âme humaine ce qui la caractérise en
propre. Et cette âme humaine est unie substantiellement au corps qu'elle
détermine et actue, qu'elle affine et spiritualise. Voir Aristote, De l'âme, notamment
II, 2 et 3, sur la découverte de l'âme et ses puissances, et III, 3 sq., sur la
vie de l'esprit. Voir aussi Somme théol, I, q. 76.
Par lŕ est aussi exclue l'erreur de ceux qui disent que les âmes des hommes morts ne vont pas aussitôt aprčs la mort au paradis, en enfer ou au purgatoire, mais qu'elles demeurent dans les tombeaux jusqu'au jour du jugement1. Car le Seigneur a aussitôt remis l'esprit ŕ son Pčre, par oů il nous est donné de comprendre que les âmes des justes sont dans la main de Dieu2.
2454. Ici est montrée la blessure du corps du Christ. Et premičrement le
récit de cette blessure, deuxičmement la certitude de ce récit [n° 2459].
Quant au premier point, l'Évangéliste
fait trois choses. D'abord, il montre la tentative des Juifs et leur
intention ; puis l'accomplissement de cette tentative pour une part [n°
2456] ; enfin, comment cela est accompli dans le Christ [n° 2458].
Ι
LES
JUIFS DONC, PUISQUE C'ÉTAIT LA PRÉPARATION [DE LA PÂQUE], POUR QUE LES CORPS NE
RESTENT PAS SUR LA CROIX LE JOUR DU SABBAT (CAR C'ÉTAIT UN GRAND JOUR QUE CE
SABBAT), DEMANDČRENT Ŕ PILATE QU'ON LEUR BRISÂT LES JAMBES ET QU'ON LES
ENLEVÂT. (19, 31)
2455. En effet il faut savoir, comme on le trouve au Deutéronome 3, qu'il était prescrit dans la Loi que les cadavres des hommes
suspendus pour des crimes ne devaient pas ętre laissés suspendus jusqu'au
matin, afin que la terre ne soit pas souillée, et aussi pour faire disparaître
l'ignominie de ceux qui étaient suspendus, car une mort de ce genre était
regardée comme la plus honteuse. Aussi est-il écrit au męme endroit : Maudit
soit tout homme qui pend au bois4, c'est-ŕ-dire en malédiction de peine5. Or, bien que les Juifs n'eussent plus en leur pouvoir d'infliger une
peine de ce genre, cependant, ce qui était en leur pouvoir, ils s'efforçaient
de le faire. Aussi, parce que c'était la Préparation, pour que le corps du
Christ et aussi ceux des autres ne demeurent pas en croix le jour du sabbat,
qui était trčs solennel, et ŕ cause du sabbat lui-męme et ŕ cause de la fęte
des azymes, ils DEMANDČRENT Ŕ PILATE QU'ON LEUR BRISÂT LES JAMBES ET QU'ON LES
ENLEVÂT. Ils sont certes diligents ŕ observer la Loi dans les petites choses,
mais dans les grandes choses ils la méprisčrent, filtrant le moustique mais
engloutissant le chameau 6.
1. C'est
l'opinion de Théophylacte (Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc, PG 124, col. 282 B).
2. Sg3, 1.
3. Voir
Dt 20, 22-23.
II
2456. Il donne ensuite la maničre dont cela est accompli en partie : LES
SOLDATS VINRENT DONC, ET ILS BRISČRENT LES JAMBES DU PREMIER - ŕ savoir un des
larrons vers lequel ils vinrent en premier lieu, PUIS DE L'AUTRE QUI AVAIT ÉTÉ CRUCIFIÉ
AVEC LUI, c'est-ŕ-dire avec Jésus. Par lŕ nous est montrée leur cruauté Ils
mangčrent la chair de mon peuple 1.
4. Dt 21,
23.
5. Sur la
distinction entre le mal de faute et le mal de peine, voir vol. I, n° 1301,
note 9.
6. Mt 23, 24.
2457. Mais pourquoi ajoute-t-il : MAIS LORSQU'ILS VINRENT Ŕ JÉSUS, ET QU'ILS
LE VIRENT DÉJŔ MORT, ILS NE LUI BRISČRENT PAS LES JAMBES ? N'avait-il pas
été crucifié au milieu ?
Réponse. Il faut dire que chacun des
deux soldats vint vers un des larrons pour lui briser les jambes ; et les
ayant brisées, l'un celles du premier, l'autre celles du deuxičme, ils vinrent
vers Jésus. Aussi est-ce de lŕ qu'est venue l'occasion de le blesser, parce que
comme ILS LE VIRENT DÉJŔ MORT, ILS NE LUI BRISČRENT PAS LES JAMBES.
III
MAIS
L'UN DES SOLDATS, DE SA LANCE, LUI OUVRIT LE CÔTÉ ; ET AUSSITÔT IL SORTIT
DU SANG ET DE L'EAU. (19, 34)
2458. Mais pour s'assurer de sa mort, L'UN DES SOLDATS, DE SA LANCE, LUI
OUVRIT LE CÔTÉ. Et il est significatif qu'il dise OUVRIT, et non pas
Ť blessa ť, parce que par ce côté est ouverte pour nous la porte de la vie éternelle2 - Aprčs cela,
je vis une porte ouverte3. C'est la porte sur le côté de l'arche par
laquelle entrent les animaux qui ne périraient pas dans le déluge4.
Et cette porte est cause de salut :
ET AUSSITÔT IL SORTIT DU SANG ET DE L'EAU. Car il est trčs miraculeux que du
corps d'un mort oů le sang est figé sorte du sang. Mais si quelqu'un dit que
cela s'est produit en raison d'une certaine chaleur qui était encore demeurée
dans le corps, cependant, pour l'écoulement de l'eau on ne peut pas nier qu'il
y ait eu un miracle, puisque l'eau qui est sortie était trčs pure.
Et certes, cela s'est produit afin
que le Christ montrât ce qu'il était, c'est-ŕ-dire vrai homme5. En effet un homme est composé de deux choses : d'éléments et
d'humeurs. Un des éléments est l'eau ; et parmi les humeurs, il y a
principalement le sang.
Ou bien cela est arrivé pour montrer
que, par la Passion du Christ, nous obtenons la purification pléničre de nos
péchés et de nos taches6. De nos péchés, certes par le sang,
qui est le prix de notre rédemption - Ce n'est pas
par des choses corruptibles, or ou argent, que vous avez été rachetés de votre
vaine conduite, mais par le sang précieux comme d'un agneau sans tache et
immaculé, le Christ7. Mais de nos taches par l'eau, qui est le bain de notre
régénération 8 - Je répandrai sur vous une eau
pure9. - II y aura une source ouverte ŕ la
maison de David10.
Et c'est pourquoi ces deux choses
appartiennent de maničre spéciale ŕ deux sacrements : l'eau au sacrement du
baptęme, le sang ŕ l'Eucharistie. Ou bien, l'une et l'autre appartiennent ŕ
l'Eucharistie parce que, dans le sacrement de l'Eucharistie, l'eau est męlée au
vin, bien que l'eau n'appartienne pas ŕ la substance du sacrement11.
1. Mi 3, 3.
2. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXX, 2, BA 75, p. 335. Les
références ŕ l'arche de Noé, aux sacrements et ŕ la formation de la femme ŕ
partir d'Adam endormi proviennent du męme passage de saint Augustin.
3. Ap 4,
1.
4. Cf. Gn
6, 16.
5. Sur le
mystčre du Christ qui est vrai Dieu et vrai homme, voir ci-dessus, n"
1711, note 3, et n° 1979, note 7.
6. Il
s'agit des taches du péché originel.
7. 1
Ρ 1, 18-19.
8. Tt 3,
5.
9. Ez 36,
25.
10. Za
13, 1.
11. Voir Somme
théol., III, q. 74, a. 6, 7 et 8. Ť L'ajout de l'eau au vin est
rapporté pour signifier la participation des fidčles ŕ ce sacrement, quant au
fait que par l'eau męlée au vin est signifié le peuple uni au Christ. (...)
Mais que du côté du Christ pendu ŕ la croix jaillisse de l'eau se rapporte au
męme [mystčre] : parce que par l'eau était signifié le lavement des péchés, qui
se réalisait par la Passion du Christ. Or on a dit plus haut que ce sacrement
s'achčve dans la consécration de la matičre : l'usage qu'en font les fidčles
n'est pas quelque chose de conséquent ŕ l'égard du sacrement. D'oů il s'ensuit
que l'ajout de l'eau n'est pas propre ŕ la nécessité du sacrement ť (loc.
cit., a. 7, c.).
Cela convient aussi ŕ la
préfiguration parce que, de męme que du côté du Christ endormi sur la croix ont
coulé le sang et l'eau dans lesquels est consacrée l'Église, de męme du côté
d'Adam endormi a été formée la femme, qui préfigurait l'Église elle-męme.
La certitude de ce récit.
2459. Ici nous est donnée la certitude du récit, d'abord ŕ partir du témoignage
apostolique, ensuite ŕ partir de la prophétie de l'Écriture [n° 2461].
Ι
ET
CELUI QUI A VU A RENDU TÉMOIGNAGE, ET SON TÉMOIGNAGE EST VRAI ET CELUI-LŔ
SAIT QU'IL DIT VRAI, POUR QUE VOUS AUSSI VOUS CROYIEZ. (19, 35)
2460. Concernant le premier point, il commence par décrire la convenance du
témoin parce que CELUI QUI A VU A RENDU TÉMOIGNAGE, et c'est Jean lui-męme - Ce
que nous avons
vu, ce que nous avons entendu, nous vous l'annonçons1. Aprčs cela il ajoute la vérité du témoignage
: ET SON TÉMOIGNAGE EST VRAI - Je dis la vérité, je ne mens pas2. - Vous connaîtrez la vérité, et la vérité
vous libérera3. Et enfin il réclame la foi : ET
CELUI-LŔ SAIT QU'IL DIT VRAI, POUR QUE VOUS AUSSI VOUS CROYIEZ - Ces choses
ont été écrites afin que vous croyiez4'.
II
CAR CES
CHOSES ONT ÉTÉ FAITES POUR QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE : Ť VOUS NE LUI
BRISEREZ PAS D'OS. ť (19, 36)
2461. Et non seulement cela est certifié par le témoignage apostolique, mais
il ajoute la prophétie de l'Écriture, et c'est pourquoi il dit : CES CHOSES ONT
ÉTÉ FAITES POUR QUE S'ACCOMPLÎT L'ÉCRITURE, étant donné que le POUR est pris
comme consécutif, comme on l'a déjŕ dit plus haut5. Et il indique deux autorités de
l'Ancien Testament. L'une se rapporte ŕ ce qu'il dit : ILS NE LUI BRISČRENT PAS
LES JAMBES, et se trouve au livre de l'Exode : Vous ne lui briserez pas d'os6, ŕ savoir ŕ l'agneau pascal qui préfigurait le Christ, parce que,
comme il est dit : Le Christ, notre Pâque, a été immolé7.
Aussi a-t-il été voulu par Dieu que
les os de l'agneau pascal ne fussent pas brisés pour donner ŕ entendre que la
force de l'Agneau véritable et sans tache, Jésus Christ, ne devait en aucune
maničre ętre brisée par la Passion. Aussi les Juifs pensaient-ils détruire par
la Passion la puissance de la doctrine du Christ ; mais elle en a été
plutôt affermie - Le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent,
mais pour nous il est puissance de Dieu8. C'est pourquoi il dit plus haut : Quand vous aurez élevé le Fils de
l'homme, alors vous connaîtrez que Moi Je Suis9.
ET UNE
AUTRE ÉCRITURE DIT ENCORE : Ť ILS REGARDERONT CELUI QU'ILS ONT
TRANSPERCÉ. ť (19, 37)
2462. La seconde autorité se rapporte ŕ ce qu'il dit : DE SA LANCE, [IL] LUI
OUVRIT LE CÔTÉ. Et on trouve : ILS REGARDERONT CELUI QU'ILS ONT TRANSPERCÉ, lŕ
oů le texte que nous avons dit : Ils regarderont
vers moi quils ont percé1.
1. 1 Jn
1, 3.
2. Rm 9,
1.
3. Jn 8,
32.
4. Jn 20,
31.
5. Voir
n° 2447.
6. Ex 12, 46 ; cf. Nb 9, 12.
7. 1 Co 5, 7.
8. 1 Co 1, 18. Voir ci-dessus n° 2414, note 1.
9. Jn 8,
28.
C'est pourquoi, si nous nous attachons ŕ la parole du Prophčte, il est manifeste que le Christ crucifié est Dieu. Car ce que dit le Prophčte en la personne de Dieu, l'Évangéliste l'attribue au Christ. ILS REGARDERONT, dit-il, vers le jugement qui vient2, ou bien ILS REGARDERONT convertis par la foi.
2463. L'Évangéliste, aprčs avoir traité de la crucifixion et de la mort, traite ici de la sépulture du Christ, et montre d'abord la possibilité et la permission de l'ensevelir ; ensuite, le zčle de Joseph d'Arimathie pour s'occuper du corps [n° 2465] ; puis il indique le lieu de la sépulture [n° 2468] ; et enfin rapporte la sépulture elle-męme [n° 2469].
OR,
APRČS CELA, JOSEPH D'ARIMATHIE (QUI ÉTAIT DISCIPLE DE JÉSUS, MAIS EN SECRET,
PAR CRAINTE DES JUIFS) DEMANDA Ŕ PILATE DE PRENDRE LE CORPS DE JÉSUS, ET PILATE
LE PERMIT. (19, 38)
2464. OR, APRČS CELA, c'est-ŕ-dire aprčs la Passion et la mort du Christ,
JOSEPH D'ARIMATHIE, ce qui est la męme chose que Ramatha3, QUI ÉTAIT DISCIPLE DE JÉSUS - non pas l'un des Douze, mais l'un des
nombreux autres croyants, parce que tous ceux qui ont cru dčs le début sont
appelés disciples -, DEMANDA Ŕ PILATE DE PRENDRE LE CORPS DE JÉSUS. Or il était
DISCIPLE (...) MAIS EN SECRET, PAR CRAINTE DES JUIFS, comme aussi beaucoup
d'autres, mais cela avant la Passion - Toutefois, il est vrai, beaucoup parmi les notables crurent en
lui ; mais ŕ cause des pharisiens ils ne se déclaraient pas pour ne pas
ętre exclus de la synagogue4. C'est pourquoi il est évident que lŕ oů les
disciples perdirent confiance aprčs la Passion en se cachant, celui-ci reprit
confiance en posant publiquement un acte d'obéissance.
Celui-ci, dis-je, DEMANDA Ŕ PILATE DE
PRENDRE LE CORPS DE JÉSUS, c'est-ŕ-dire [de le descendre] de la croix et de
l'ensevelir, parce que, selon les lois humaines, les corps des condamnés ne
devaient pas ętre ensevelis sans permission. ET PILATE LE PERMIT, parce que
Joseph était noble et qu'il lui était familier5, c'est pourquoi il est dit qu'il
était un noble décurion6.
1. Za 12,
10.
2. Voir
Ap 1, 7.
3. Voir 1
S 1, 19. Elquana et Anne, les parents de Samuel, habitaient cette ville de
Ramatha d'oů vient Joseph, celui qui fut choisi par Dieu pour ensevelir le
cadavre du Christ.
4. Jn 12,
42.
5. Cf. saint Augustin, De consensu
Évangelistarum, III, XXn, 59, PL 34, col. 1195.
6. Mc 15, 43 (Propre ŕ la Vulgate. La BJ en parle comme Ť membre notable du Conseil ť). Décurion : officier qui primitivement commandait dix cavaliers ou sénateur dans les villes municipales ou les colonies.
IL VINT
DONC ET ENLEVA LE CORPS DE JÉSUS. VINT AUSSI NICODČME - QUI AU DÉBUT ÉTAIT VENU
TROUVER JÉSUS DE NUIT -, APPORTANT UN MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOČS D'ENVIRON
CENT LIVRES. ILS PRIRENT LE CORPS DE JÉSUS ET L'ENVELOPPČRENT DANS DES LINGES
AVEC DES AROMATES, COMME C'EST LA COUTUME DES JUIFS POUR ENSEVELIR. (19, 38-40)
2465. D'abord est exposée la matičre qui servit ŕ embaumer le corps, puis
l'embaumement lui-męme [n° 2467].
VINT
AUSSI NICODČME - QUI AU DÉBUT ÉTAIT VENU TROUVER JÉSUS DE NUIT -, APPORTANT UN
MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOČS D'ENVIRON CENT LIVRES.
2466. La matičre qui servit ŕ embaumer le corps fut UN MÉLANGE DE MYRRHE ET
D'ALOČS que Nicodčme apporta en grande quantité. Et c'est pourquoi
l'Évangéliste fait mention de deux hommes : D'abord de Joseph qui prit le
corps ; puis de Nicodčme, qui apporta les aromates.
Or Nicodčme est celui qui vint
vers Jésus de nuit, avant la Passion, comme on le rapporte plus haut1. Et il rappelle cela parce qu'il avait dit de Joseph qu'il était
DISCIPLE DE JÉSUS, MAIS EN SECRET, PAR CRAINTE DES JUIFS, pour montrer que męme
celui-lŕ [Nicodčme], qui était disciple de Jésus, mais en secret, maintenant se
montre en public, mais sans avoir encore la vraie foi en la Résurrection
puisqu'il apporta UN MÉLANGE DE MYRRHE ET D'ALOČS, comme si le corps de Jésus
avait besoin d'ętre protégé de la putréfaction. Ŕ ce propos l'Écriture dit : Tu
ne laisseras pas ton Saint voir la corruption2.
Au sens mystique, il nous est donné
par lŕ de comprendre que nous devons cacher le Christ crucifié dans notre cur
avec l'amertume de la pénitence et de la compassion3 - Mes mains ont distillé la
myrrhe4.
ILS
PRIRENT LE CORPS DE JÉSUS ET L'ENVELOPPČRENT DANS DES LINGES AVEC DES AROMATES,
COMME C'EST LA COUTUME DES JUIFS POUR ENSEVELIR.
2467. Aprčs avoir donné la matičre de la préparation, on montre la
préparation elle-męme. Lŕ naît un doute ; car Jean dit qu'ils L'ENVELOPPČRENT DANS DES LINGES, alors que Matthieu dit qu'ils l'enveloppčrent dans un linceul5.
Réponse : il faut dire, selon
Augustin6, que Matthieu dit un linceul seulement
parce qu'il ne fait mention que de Joseph, et celui-ci en apporta un seu1. Mais
parce que seul Jean fait mention de Nicodčme, il dit DES LINGES parce que
Nicodčme en apporta un autre. Ou bien il faut dire que nous appelons linge tout
morceau d'étoffe fait de lin. Or le corps du Christ fut enveloppé de bandelettes,
comme on le dit aussi au sujet de Lazare, parce que telle était LA COUTUME DES
JUIFS POUR ENSEVELIR. Il y avait aussi un suaire posé sur la tęte ; et
c'est pourquoi Jean, englobant tout cela, dit : DES LINGES.
Et le fait qu'ils l'embaumčrent avec
des aromates nous rappelle qu'en ces devoirs de piété il faut conserver la
coutume de la nation, quelle qu'elle soit7.
1. Jn3, 2.
2. Ps 15, 11. Voir
vol. I, n° 402.
3. Cf. Théophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 287 A.
4. Ct 5,
5.
5. Mt 27,
59.
6. De
consensu Évangelistarum, III, XXm,
60, PL 34, col. 1196.
7. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXX, 4, BA 75, p. 341.
OR, AU
LIEU OU IL FUT CRUCIFIE IL Y AVAIT UN JARDIN, ET DANS LE JARDIN UN TOMBEAU
NEUF, OŮ PERSONNE ENCORE N'AVAIT ÉTÉ MIS. (19, 41)
2468. Puis le lieu de la sépulture est désigné. Il faut remarquer lŕ que le
Christ fut pris dans un jardin, qu'il souffrit dans un jardin, et qu'il fut
enseveli dans un jardin, pour désigner que c'est par la puissance de sa Passion
que nous sommes libérés du péché qu'Adam commit au jardin des délices 1 et que, par elle, l'Église est consacrée, elle qui est comme un jardin
clos2.
ET DANS LE JARDIN UN TOMBEAU NEUF. Il y a deux raisons pour lesquelles il voulut
ętre enseveli dans un sépulcre neuf. Une littérale, pour qu'on ne croie pas que
d'autres corps qui auraient été lŕ aient été ressuscites, et non pas le Christ3, ou bien qu'ils aient tous été ressuscites par une puissance égale.
L'autre raison est qu'il convenait que celui qui était né d'une vierge pure (de Virgine intacta) fűt enseveli dans un sépulcre neuf. Afin que, de męme qu'il n'y eut personne avant lui dans le sein de Marie, ni personne aprčs lui, de męme aussi dans ce tombeau4. Et pour nous donner de comprendre qu'il est caché par la foi dans un esprit renouvelé5 - Que le Christ habite dans nos curs par la foi6.
C'EST
DONC LA QUE, A CAUSE DE LA PRÉPARATION DES JUIFS, ET PARCE QUE LE TOMBEAU ÉTAIT
PROCHE, ILS DÉPOSČRENT JÉSUS. (19, 42)
2469. Puis est exposée la sépulture. C'EST DONC LŔ, c'est-ŕ-dire dans le
tombeau neuf, Ŕ CAUSE DE LA PRÉPARATION DES JUIFS, parce que déjŕ le soir approchait oů, ŕ
cause du sabbat, il n'était pas permis de faire quelque chose, qu'ILS
DÉPOSČRENT JÉSUS. Car c'est environ ŕ la neuvičme heure qu'il expira, et ŕ
cause des soins de la sépulture et des choses qui étaient nécessaires, la
journée était déjŕ presque arrivée au soir7. ET PARCE QUE LE TOMBEAU ÉTAIT
PROCHE, C'EST DONC LŔ - lŕ oů il avait été crucifié - QU'ILS DÉPOSČRENT JÉSUS.
1. Voir
ci-dessus, n° 2275 et notes 13 et 1.
2. Cf. Ct
4, 12 Elle est un jardin clos, ma sur, ma fiancée.
3. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, col. 464.
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXX, 5, BA 75, p. 341.
5. Cf. ThÉOPHYLACTE,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 286 D - 287 A.
6. Ep 3, 17.
7. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, col. 464.
LE CHRIST MANIFESTE AU MONDE SA
DIVINITÉ DANS SA PASSION, SA MORT ET SA RÉSURRECTION
LA RÉSURRECTION DU CHRIST
Évangile
selon saint Jean Chapitre XX
I Or le
premier jour de la semaine, le matin, quand les ténčbres duraient encore,
Marie-Madeleine vint au sépulcre, et vit la pierre roulée du tombeau. 2 Elle
courut donc et vint trouver Simon-Pierre et l'autre disciple que Jésus aimait,
et leur dit : Ť On a enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons pas
oů on l'a mis. ť
3 Pierre
sortit donc, ainsi que l'autre disciple, et ils vinrent au tombeau. 4 Ils
couraient tous deux ensemble ; mais l'autre disciple courut en avant plus
vite que Pierre, et il arriva le premier au tombeau. 5 Et, s'étant penché, il
vit les linges posés lŕ ; cependant il n'entra pas. 6 Pierre, qui le
suivait, vint aussi, et entra dans le tombeau, et vit les linges posés lŕ, 7 et
le suaire qui avait été sur sa tęte, posé non pas avec les linges, mais enroulé
dans un lieu ŕ part. 8 Alors entra aussi l'autre disciple qui était venu le
premier au tombeau : il vit et il crut. 9 Car ils n'avaient pas encore compris
l'Écriture selon laquelle il fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts. 10
Les disciples donc s'en retournčrent chez eux.
11 Mais
Marie se tenait dehors prčs du tombeau, pleurant. Et, tout en pleurant, elle se
pencha et regarda dans le tombeau : 12 elle vit deux anges vętus de blanc,
assis, un ŕ la tęte et un aux pieds, lŕ oů avait été déposé le corps de Jésus. 13
Ils lui demandčrent : Ť Femme, pourquoi pleures-tu ? ť Elle leur
répondit : Ť Parce qu'on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas oů on
l'a mis. ť 14 Lorsqu'elle eut dit cela, elle se retourna en arričre et vit
Jésus debout ; et elle ne savait pas que c'était Jésus. 15 Jésus lui dit :
Ť Femme, pourquoi pleures-tu ? Que cherches-tu ? ť Elle,
pensant que c'était le jardinier, lui dit : Ť Seigneur, si c'est toi qui
l'as emporté, dis-moi oů tu l'as mis, et moi j'irai le prendre. ť 16 Jésus lui
dit : Ť Marie. ť Elle, se retournant, lui dit : Ť Rabbouni ! ť
(ce qui veut dire maître). 17 Jésus lui dit : Ť Ne me touche pas, car je
ne suis pas encore monté vers mon Pčre. Mais va vers mes frčres et dis-leur :
Je monte vers mon Pčre et votre Pčre, vers mon Dieu et votre Dieu. ť 18
Marie-Madeleine vint annoncer aux disciples : Ť J'ai vu le Seigneur et
voilŕ ce qu'il m'a dit. ť
19 Ce
jour-lŕ, le premier de la semaine, lorsque le soir fut venu, et que les portes
du lieu oů les disciples se trouvaient rassemblés étaient closes, par peur des
Juifs, Jésus vint et se tint au milieu d'eux, et leur dit : Ť Paix ŕ vous.
ť 20 Et, lorsqu'il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les
disciples se réjouirent donc ŕ la vue du Seigneur. 21 Et il leur dit de nouveau
: Ť Paix ŕ vous. Comme mon Pčre m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. ť 22
Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit : Ť Recevez l'Esprit
Saint ; 23 ceux ŕ qui vous remettrez les péchés, ils leur seront
remis ; et ceux ŕ qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. ť
24 Or
Thomas, un des Douze, appelé Didyme, n'était pas avec eux quand Jésus vint. 25
Les autres disciples lui dirent donc : Ť Nous avons vu le Seigneur. ť Mais
lui leur répondit : Ť Si je ne vois pas dans ses mains la marque des
clous, et si je n'enfonce pas mon doigt ŕ l'endroit des clous, et si je ne mets
pas ma main dans son côté, je ne croirai pas. ť
26 Et
huit jours aprčs, ses disciples étaient encore ŕ l'intérieur, et Thomas avec
eux. Jésus vint, les portes étant closes, et il se tint au milieu d'eux et leur
dit : Ť Paix ŕ vous. ť 27 Puis il dit ŕ Thomas : Ť Mets ton doigt lŕ
et vois mes mains ; approche ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois
pas incrédule mais croyant. ť 28 Thomas répondit et lui dit : Ť Mon
Seigneur et mon Dieu. ť 29 Jésus lui dit : Ť Parce que tu m'as vu, Thomas,
tu as cru. Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru. ť
30
Jésus a fait encore en présence de ses disciples beaucoup d'autres signes qui
ne sont pas écrits dans ce livre. 31 Mais ceux-ci ont été écrits afin que vous
croyiez que Jésus, le Christ, est le Fils de Dieu, et afin que, croyant, vous
ayez la vie en son nom.
2470. Aprčs avoir rapporté les mystčres de la Passion du Christ,
l'Évangéliste révčle ici sa Résurrection. Premičrement il révčle comment la
Résurrection du Christ fut manifestée aux femmes ; deuxičmement, comment
elle fut manifestée aux disciples [n° 2523].
La Résurrection du Christ a été manifestée aux femmes dans un certain ordre : d'abord par le tombeau ouvert, ensuite par l'apparition de l'ange [n° 2490], et enfin par la vision du Christ [n° 2504].
L'Évangéliste commence par exposer la vision qu'eut la femme, puis l'annonce de ce qu'elle a vu [n° 2476] et, en troisičme lieu, la recherche de ce qui a été annoncé [n° 2477].
OR LE
PREMIER JOUR DE LA SEMAINE, LE MATIN, QUAND LES TÉNČBRES DURAIENT ENCORE,
MARIE-MADELEINE VINT AU SÉPULCRE, ET VIT LA PIERRE ROULÉE DU TOMBEAU. (20, 1)
2471. Ici se présentent quatre choses qu'il faut considérer. Premičrement, le
temps de la vision : LE PREMIER JOUR DE LA SEMAINE, ŕ savoir le dimanche. En
effet, le jour du Sabbat était considéré par les Juifs comme le plus solennel,
et c'est pourquoi tout autre jour était nommé ŕ partir de lui. De lŕ vient
qu'ils disaient Ť le premier jour de la semaine ť, Ť le deuxičme
jour de la semaine1 ť, etc. Matthieu dit : Le premier jour de
la semaine (prima sabbati) 2 ; mais Jean dit UNA SABBATI, ŕ
cause du mystčre, parce qu'en ce jour oů eut lieu la Résurrection commença
comme une nouvelle création - Envoie ton esprit et ils seront créés, et tu
renouvelleras la face de la terre3. - Dans le Christ Jésus, ni la
circoncision ne vaut quelque chose ni lincirconcision, mais la création nouvelle4. Au
commencement, dans la Genčse5, Moďse n'a pas dit du premier jour
Ť il y eut un premier jour ť (dies primus), mais Ť un
jour unique ť (dies unus). Voilŕ pourquoi l'Évangéliste se sert de
la parole de Moďse pour suggérer cette rénovation6.
Il le fait aussi parce que commençait
ce jour-lŕ le jour d'éternité qui est un seul jour sans l'interruption de la
nuit, parce que le soleil qui l'a fait ne se couche jamais7 - Cette ville n'a pas besoin de la lumičre du soleil ou de la lune,
car la gloire de Dieu l'illumine et sa lumičre, c'est l'Agneau8. -Il y aura un jour, connu du
Seigneur, sans jour ni nuit, et il y aura de la lumičre ŕ l'heure du soir9.
2472. Deuxičmement est indiquée la personne qui voit : LE MATIN, QUAND LES TÉNČBRES DURAIENT ENCORE, MARIE-MADELEINE VINT AU SÉPULCRE. Mais il y
a ici un doute, car Marc
dit : Marie-Madeleine, Marie de Jacques et Salome 10 ; et au sépulcre, Matthieu 11 mentionne également l'autre Marie.
1. Cf. Théophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 287 C.
2. Mt 28,
1.
3. Ps
103, 30.
4. Ga 6,
15. Saint Thomas commente : Ť La foi formée par la charité est une
création nouvelle. Car nous avons été créés et produits dans l'existence de la
nature par Adam ; mais cette créature était déjŕ vieille et détruite (inveterate.),
et pour cette raison le Seigneur, nous conduisant et nous établissant dans
l'existence de la grâce, a fait une certaine création nouvelle - Pour que
nous soyons comme les prémices de ses créatures (Je 1,
18). Et elle est dite nouvelle parce que par elle nous sommes
renouvelés dans une vie nouvelle, et par l'Esprit Saint - Envoie ton
Esprit, et ils seront créés, et tu renouvelleras la face
de la terre (Ps 103, 30) -, et par la Croix du Christ - Si quelqu'un
est dans le Christ, c'est une création nouvelle (2 Co 5, 17). Ainsi
donc par la création nouvelle, ŕ savoir par la foi au Christ et la charité de
Dieu, qui a été diffusée dans nos curs, nous sommes renouvelés, et conjoints
au Christ ť (Ad Gai. lect., VI, n° 374). Sur la re-création, voir
vol. I, n° 721.
5. Gn 1,
5. Saint Thomas partage avec les auteurs de son temps la certitude que Moďse
est l'auteur du Pentateuque.
6. Cf. saint Augustin, La Genčse au sens
littéral, I, xvII, 33, BA 48,
p. 129.
7. Cf. Théophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 287 C.
8. Ap 21,
23.
9. Za 14,
7.
Réponse. Selon Augustin12 il faut dire que Marie-Madeleine était plus fervente et avait plus de
dévotion13 pour le Christ que les autres
femmes. De lŕ vient que Luc dit : De nombreux péchés lui sont remis car elle
a beaucoup aimé14.
Voilŕ pourquoi
l'Évangéliste la nomme de maničre spéciale et que c'est ŕ elle en premier lieu
que le Seigneur apparut15 - Elle fla Sagesse] se porte vers ceux qui la désirent pour leur
apparaître en premier16.
2473. En troisičme lieu est mentionnée l'heure, quel en fut le moment : LE
MATIN, QUAND LES TÉNČBRES DURAIENT ENCORE. Luc dit que Marie-Madeleine et les
autres femmes, voyant le lieu du sépulcre, préparčrent les aromates, mais que
parce que déjŕ pointait le sabbat, elles gardčrent le silence selon le
commandement17. Donc, dčs la fin du sabbat, avant
la lumičre du premier jour de la semaine, Marie vint au tombeau, car l'ardeur
excessive de son amour la pressaitI8 - Ses lampes sont des lampes de
feu et de flammes19, c'est-ŕ-dire de charité.
2474. Mais ici se pose une question littérale : puisque Marc dit De grand
matin, le soleil s'étant levé1, pourquoi donc l'Évangéliste dit-il QUAND LES
TÉNČBRES DURAIENT ENCORE ? Réponse : il faut dire que ce que dit Marc s'entend
de l'aurore : le soleil s'étant déjŕ levé, non qu'il apparűt sur la terre mais
parce qu'il approchait de nos régions2.
10. Mc
16, 1.
11. Mt
28, 1. Saint Thomas commente : Ť Cela ne fut pas sans mystčre que deux
femmes de ce męme nom vinrent (...) parce que par elles est signifiée
l'Église ; d'abord, en effet, l'une fut ŕ partir des paďens (gentibus),
l'autre ŕ partir des Juifs, mais ŕ présent tous sont une seule Église - Unique
est ma colombe (Ct 6, 8). De męme elles s'appellent Marie. En effet, de
męme que de son sein clos Marie a conçu un enfant, ainsi celles-ci méritčrent
de voir celui qui sortit du tombeau clos ť (Sup. Matth. lect., XXVIII,
n° 2421).
12. De
consensu Evangelistarum, III, ΧΧIV, 68, PL 34, col. 1201.
13. Sur
le sens du mot devotio, voir vol. I, n° 843, note 5 et n° 1391, note 6.
14. Lc 7, 47.
15. Cf. Mc 16, 9.
16. Sg 6, 14.
17. Cf. Lc 23, 55-56.
18. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, col. 464.
19. Ct 8,
6.
2475. En quatričme lieu est mentionné ce que Marie voit : ELLE VIT LA PIERRE ROULÉE DU TOMBEAU, ce qui était le signe soit que quelqu'un avait emporté le Christ, soit qu'il était ressuscité. Et comme le dit Matthieu, Fange du Seigneur descendit du ciel3 ; par cela il ne faut pas entendre que la pierre aurait été roulée avant la Résurrection du Christ, mais aprčs. En effet, le Christ est sorti du sein clos de la Vierge sans avoir encore un corps glorieux. Il n'est donc pas étonnant qu'il soit sorti du sépulcre avec son corps glorieux4. En effet, la pierre a été roulée pour que, voyant que le Christ n'était pas lŕ, on crűt plus facilement ŕ sa Résurrection 5.
ELLE
COURUT DONC ET VINT TROUVER SIMON-PIERRE ET L'AUTRE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT,
ET LEUR DIT : Ť ON A ENLEVÉ LE SEIGNEUR DU TOMBEAU, ET NOUS NE SAVONS PAS
OŮ ON L'A MIS. ť (20, 2)
2476. En effet, ŕ cause de son trop grand amour, elle n'a pas tardé ŕ
annoncer aux disciples ce qu'elle a vu ; mais ELLE COURUT ET VINT TROUVER
SIMON-PIERRE ET L'AUTRE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT - Ce jour est un jour de bonne nouvelle ; si nous nous taisons et
refusons de lannoncer jusqu'au matin, on nous convaincra de crime6. Ainsi celui qui entend
les paroles de Dieu doit-il en toute hâte les dire aux autres - Que celui
qui entend dise : Viens !7 Mais Marie est venue vers ceux qui
étaient les disciples principaux et qui aimaient le Christ d'une maničre plus
fervente, afin qu'ils cherchent ensemble ou souffrent ensemble8.
1. Mc 16,
2.
2. Cf. saint Augustin, De consensu
Evangelistarum, III, XXiv, 65, PL 34, col. 1198.
3. Mt 28,
2. Saint Thomas commente : Ť II convient que la Résurrection soit annoncée
par un ange, ŕ cause de la gloire de celui par qui elle est réalisée, comme dit
saint Paul : Dieu l'a ressuscité d'entre les morts (Ac 13, 30). Or ses
serviteurs sont les anges. Et de męme cela convient pour indiquer la dignité de
celui qui ressuscite. Plus haut il est dit de lui que des anges
s'approchčrent et le servaient (Mt 4, 11). De męme cela
arrive ainsi parce que, par la Résurrection, les choses célestes sont unies aux
terrestres ť (Sup. Matth. ha., XXVIII, n° 2425).
4. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 26, 1, PL 76, col.
1197 C.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, col. 464.
6. 2 R 7,
9.
7. Ap22,
17.
Et elle leur dit : ON A ENLEVÉ LE
SEIGNEUR DU TOMBEAU. En effet, ayant vu le sépulcre vide et n'ayant pas encore
en son cur que le Christ était ressuscité, elle dit : ET NOUS NE SAVONS PAS OŮ
ON L'A MIS. Elle donne ici ŕ entendre qu'elle n'est pas allée seule au tombeau
et qu'encore ŕ présent elle doute de la Résurrection. Ce n'est donc pas sans
raison que l'Évangéliste a dit que LES TÉNČBRES DURAIENT ENCORE. En précisant
le temps, il indiquait aussi la qualité de l'esprit oů étaient les ténčbres du
doute - ILˇ n'ont ni savoir ni intelligence : Us
marchent dans les ténčbres'*.
Mais considčre que dans les
manuscrits grecs on trouve MON SEIGNEUR, pour désigner une plus grande
inclination ŕ la charité et l'affection de la servante 10 - Car qu'y a-t-il pour moi dans le
ciel, et hors de toi qu'ai-je voulu sur la terre ? Mon cur et ma chair
ont défailli : le Dieu de mon cur, ma part, c'est Dieu pour l'éternité11.
8. Cf. Alcuin, Comm.
in S. Ioannis Evang., VII, 41, PL 100, col. 987 C.
9. Ps 81, 5.
10. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXX, 6, BA 75, p. 343.
11. Ps 72, 25-26.
Ι
PIERRE
SORTIT DONC, AINSI QUE L'AUTRE DISCIPLE, ET ILS VINRENT AU TOMBEAU. (20, 3)
2477. L'Évangéliste rapporte d'abord le zčle de ceux qui cherchent pour
arriver ŕ découvrir, et cela en sortant : PIERRE SORTIT DONC, AINSI QUE L'AUTRE
DISCIPLE. En effet, celui qui veut scruter les mystčres du Christ doit d'une
certaine maničre sortir de lui-męme et des murs de la terre 1 - Sortez, filles
de Sion, et voyez le roi Salomon2.
II
La course
ILS
COURAIENT TOUS DEUX ENSEMBLE. (20, 4)
2478. Ensuite il rapporte l'ordre ou le mode de la recherche. En premier lieu
quant ŕ la course, puisqu'ILS COURAIENT TOUS DEUX ENSEMBLE, eux qui aimaient le
Christ plus que tout3 -J'ai couru dans la voie de tes
commandements quand tu as dilaté mon cur4. - J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé
ma course5. - Courez ainsi afin de saisir6.
L'arrivée
MAIS
L'AUTRE DISCIPLE COURUT EN AVANT PLUS VITE QUE PIERRE, ET IL ARRIVA LE PREMIER
AU TOMBEAU. ET, S'ÉTANT PENCHÉ, IL VIT LES LINGES POSÉS LŔ ; CEPENDANT IL
N'ENTRA PAS. (20, 4-5)
2479. En second lieu quant ŕ l'arrivée, puisque L'AUTRE
DISCIPLE COURUT EN AVANT PLUS VITE QUE PIERRE. On rapporte d'abord comment Jean est arrivé le
premier, puis comment Pierre l'a suivi.
2480. Mais note que ce n'est pas sans raison que l'Évangéliste raconte ces
détails avec tant de diligence. En effet, par ces deux disciples sont désignés
deux peuples, ŕ savoir celui des Juifs et celui des Gentils7 par Pierre, qui était le plus âgé, le peuple des Gentils, et par Jean,
qui était le plus jeune, le peuple des Juifs. Car, bien que les Juifs aient reçu en premier lieu la
connaissance du Dieu unique et vrai, cependant le peuple des Gentils est le
plus ancien dans le monde, car les Juifs eux-męmes sont sortis des Gentils - Quitte
ta terre et ta parenté1. Ces deux peuples couraient ensemble
la course du monde : les Juifs par la lettre de la Loi, les Gentils par la loi
naturelle2. Ou encore ils courent ensemble par
le désir naturel de la béatitude et de la connaissance de la vérité, que tous
les hommes, par nature, désirent connaître3. MAIS L'AUTRE DISCIPLE, ŕ savoir le
plus jeune, COURUT EN AVANT PLUS VITE QUE PIERRE, parce que les Gentils sont
parvenus plus tard que les Juifs ŕ la connaissance de la vérité, car alors Dieu
n'était connu qu'en Judée4. C'est pourquoi l'Écriture dit : 11
n'a pas fait de telles choses pour toutes les nations et ses jugements, il ne
les leur a pas manifestés5. ET IL ARRIVA LE PREMIER AU TOMBEAU
car il a été le premier ŕ considérer les mystčres du Christ, et la promesse au
sujet du Christ a été faite en premier lieu aux Juifs, ŕ qui appartiennent
l'adoption des fils, la gloire, l'alliance, la législation, le culte, les
promesses et aussi les pčres de qui est issu le Christ selon la chair, lequel
est au-dessus de tout, Dieu béni pour les sičcles. Amen6.
1. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 2, PL 76, col.
1190 C-D.
2. Ct 3, 11.
3. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 2, PL 76, col.
1175 A.
4. Ps
118, 32.
5. 2 Tm
4, 7. Saint Thomas commente : Ť Le mérite de la vie consiste en trois
choses, ŕ savoir la résistance au mal, le progrčs dans le bien, et le bon usage
des dons de Dieu. On dit de la premičre qu'elle est un certain combat ;
d'oů il dit ici : J'ai combattu le bon combat. Mais on dit qu'un combat
est bon premičrement s'il est en vue du bien ; par exemple, s'il est en
vue de la foi ou de la justice, comme celui des Apôtres - J'ai été
contraint de vous écrire au sujet de votre salut commun, vous suppliant de
combattre pour la sainte foi transmise une fois pour toutes (Jude 3). - Combats
pour la justice, pour ton âme, et combats pour la justice jusqu'ŕ la mort (Si
4, 33). Deuxičmement, ŕ cause du mode de combat, ŕ savoir si on combat
avec attention et d'une maničre légitime. Au-dessus (2 Tm 2, 5) : Celui qui
combat dans l'arčne ne sera couronné que s'il a combattu d'une maničre légitime.
- Je combats ainsi, non comme si je frappais dans le vide,
mais je châtie mon corps (1 Co 9, 26-27). Troisičmement, ŕ cause
de la difficulté du combat - Et elle lui donna un rude combat, pour qu'il
vainque (Sg 10, 12). Selon cela on dit que le progrčs dans le bien est une
course, d'oů : J'ai achevé ma course. - Courez, afin de saisir (1 Co 9,
24). Et on dit que le progrčs des saints est une course parce qu'ils courent
avec hâte, de sorte qu'en devenant meilleurs ils l'achčvent, poussés par
l'aiguillon de la charité - Hâtons-nous d'entrer dans son
repos (He 4, 11). - J'ai couru dans la voie de tes commandements (Ps 118,
32) ť (Ad 2 Tim. lect., IV, n° 149).
6. 1 Co
9, 24.
7. Toute
l'interprétation qui suit est reprise de saint
Grégoire le Grand, op. cit., II, hom. 22, 2-3, PL 76, col. 1175
B-D.
1. Gn 12,
1.
2. Cf. Rm
2, 14. Ce thčme se retrouve chez les Pčres de l'Église, notamment Clément
d'Alexandrie. Saint Thomas commente ce verset de l'épître aux Romains : Ť Ils
[les Gentils] accomplissent naturellement les choses de la Loi, c'est-ŕ-dire
les choses que la Loi commande quant aux préceptes moraux, qui sont sous la
dictée de la raison naturelle ; ainsi est-il dit de Job (1, 1) qu'il était
juste et droit, craignant le mal et s'écartant de lui. (. ˇ■) Naturellement,
c'est-ŕ-dire par la loi naturelle leur montrant ce qu'il faut faire, selon
ce que dit le Psaume 4, 6-7 Beaucoup disent : Qui nous montre les biens
[qu'on nous promet] ? La lumičre de ta face, Seigneur, s'est imprimée sur
nous, ce qui est la lumičre de la raison naturelle, dans laquelle est
l'image de Dieu ť (Ad Rom. lect., II, nos 215-216).
3. Saint
Thomas fait ici référence ŕ Aristote : Ť Tous les hommes désirent par
nature connaître ť (Métaphysique, A, 980 a 1). Ŕ la suite du
Philosophe, il distingue dans l'homme trois appétits. L'appétit naturel, qui ne
procčde pas d'une connaissance, correspond ŕ l'ordre vers la fin ; présent
dans toute réalité créée, il se découvre, dans un jugement de sagesse, dans la
lumičre de Dieu Créateur qui gouverne tout dans l'amour et conduit toute
réalité vers sa finalité. Cependant tout homme qui aime et cherche la vérité
peut le dévoiler, en découvrant l'élan qui l'habite et le pousse ŕ aller
toujours plus loin dans l'amour et la quęte de la vérité. L'appétit sensible
est la tendance vers le bien sensible, ce bien étant alors connu par les sens. Enfin
l'appétit spirituel, la volonté, porte sur le bien personnel connu par
l'intelligence et source de l'amour spiritue1. Voir notamment Somme théol., I,
q. 59, a. 1, c. et q. 80, a. 2, c ; I-II, q. 30, a. 1, ad 3 ; II-II,
q. 18, a. 1, c.
4. Voir
Ps 75, 1 Dieu est connu en Juda : en Israël, son nom est grand.
5. Ps
147, 20.
ET, S'ÉTANT PENCHÉ, IL VIT LES LINGES POSÉS LŔ ;
CEPENDANT IL N'ENTRA PAS. (20, 5)
ET S'ÉTANT PENCHÉ, ŕ savoir sous le
joug de la Loi - Tout ce que le Seigneur prescrira, nous le ferons7 -, IL VIT LES LINGES POSÉS LŔ, ŕ savoir certaines préfigurations de
tous les mystčres du Christ -Jusqu'ŕ aujourd'hui, un voile demeure sans ętre
levé quand on lit l'Ancien Testament8. CEPENDANT, IL N'ENTRA PAS ; parce qu'il
ne parvint pas ŕ la connaissance de la vérité tant qu'il refusa de croire en
celui qui était mort. Ceci est dit en Luc9 du frčre aîné qui, entendant la
musique et les danses faites pour son frčre revenu, refusa d'entrer, alors que
cependant l'entrée est promise par David lorsqu'il dit : J'entrerai vers
l'autel de Dieu 10.
PIERRE, QUI LE SUIVAIT, VINT AUSSI (20, 6)
2481. Il s'agit ici de l'arrivée de Pierre. Selon le sens littéral, le fait
qu'ils couraient ensemble était le signe d'une dévotion fervente ; mais
Jean est arrivé plus vite parce qu'il était plus jeune que Pierre, son aîné.
Mais selon le mystčre.11 Pierre suit Jean parce que les Gentils convertis au Christ ne
devaient pas ętre rassemblés dans une Église autre que l'Église des Juifs, mais
ętre greffés sur un olivier et une Église qui existaient déjŕ1. C'est pourquoi l'Apôtre, en faisant leur éloge, dit : Mais vous,
frčres, vous ętes
devenus les imitateurs des Églises qui sont dans le Christ en Judée2.
6. Rm 9,
4-5.
7. Ex 24,
7.
8. 2 Co 3, 14.
9. Lc 15,
25.
10. Ps
42, 4. Saint Thomas commente : Ť Enfin l'autel signifie l'humanité du
Christ - Ils regarderont le roi dans sa beauté (Is 33, 17). Et le Christ
est appelé l'autel de Dieu - Nous avons un autel auquel n'ont pas le droit
de manger ceux qui restent au service du Tabernacle (He 13, 10). Car, de
męme que tous les sacrifices charnels étaient offerts sur l'autel, ainsi toutes
les pričres sont offertes par le Christ. (...) Mais parce que le repos n'est
pas dans l'humanité du Seigneur, il se dirige plus loin, vers la divinité. Aussi
[David] dit-il : vers Dieu ť (Exp. in Psalmos, 42, n° 2).
11. Sur
la différence entre sens littéral et sens mystique (selon le mystčre), voir
vol. I, Préface, p. 17 sq., et ci-dessus, n° 1594, note 10, n° 1828,
note 8.
L'entrée
[IL] ENTRA DANS LE TOMBEAU, ET VIT LES LINGES POSÉS LŔ,
ET LE SUAIRE QUI AVAIT ÉTÉ SUR SA TĘTE, POSÉ NON PAS AVEC LES LINGES, MAIS
ENROULÉ DANS UN LIEU Ŕ PART. (20, 6-7)
2482. En troisičme lieu est rapporté l'ordre de leur entrée, puisqu'il ENTRA
DANS LE TOMBEAU. Il est dit d'abord comment Pierre est entré le premier, puis
comment Jean est entré [n° 2486].
2483. L'Évangéliste dit donc que Pierre entra dans le tombeau. Certes, selon
le sens littéral, si Jean, qui était arrivé le premier, n'entra pas, ce fut par
révérence ŕ l'égard de Pierre ŕ qui il réservait d'entrer le premier. Mais
selon le mystčre, cela indique que le peuple des Juifs, qui entendit le premier
les mystčres de l'Incarnation, se convertit ŕ la foi plus tard que le peuple
des Gentils - Les paďens qui ne cherchaient pas la justice ont embrassé la
justice, celle qui vient de la foi ; tandis quIsraël, qui suivait une loi
de justice, n'est pas parvenu ŕ la loi de justice3.
Et Pierre VIT LES LINGES POSÉS LŔ.
Jean ne vit que les linges, que Pierre vit pareillement : en effet, nous ne
rejetons pas l'Ancien Testament4, puisque le Seigneur ouvrit l'intelligence [des disciples
d'Emmaůs] ŕ l'intelligence des Écritures5.
Mais Pierre vit en outre LE SUAIRE
QUI AVAIT ÉTÉ SUR SA TĘTE - Le chef [en latin caput, qui signifie Ť tęte ť] du
Christ, c'est Dieu6. Donc, voir le suaire qui avait été
sur la tęte de Jésus, c'est avoir foi en la divinité du Christ, que les Juifs
n'ont pas voulu accepter7. Ce suaire est décrit comme étant
séparé des autres linges, et ENROULÉ, et DANS UN LIEU Ŕ PART, car la divinité
du Christ est cachée et séparée de toute créature en raison de son excellence
Il est au-dessus
de tout, Dieu béni pour les sičcles, amen8. - Vraiment tu es un Dieu caché9. Il vit le suaire roulé presque ŕ la maničre d'un cercle : en effet,
lorsqu'on roule des linges, on ne voit en eux ni début ni fin, [ce qui est un
symbole de] la majesté de la divinité qui n'a pas commencé ŕ ętre ni ne cesse
d'ętre - Jésus Christ
est le męme hier, aujourd'hui et pour les sičcles 10. - Mais toi tu es le męme et tes années ne cesseront pas11. Mais ils
le virent DANS UN [UNIQUE] LIEU, car Dieu n'habite pas lŕ oů se trouve une division
des esprits, mais ceux-lŕ méritent sa grâce qui sont un par la charité - C'est
dans la paix qu'a été fait son lieu 12. - Il n'est pas un Dieu de
dissension mais de paix13.
2484. Ou bien on peut le comprendre autrement : par le suaire, par lequel la
sueur de ceux qui travaillent est habituellement essuyée, on peut entendre le
labeur de Dieu parce que, męme si en lui-męme il demeure toujours en repos, il
déclare pourtant qu'il travaille lorsqu'il porte les lourdes perversités des
hommes - Elles me sont un fardeau, j'ai travaillé en les supportant1. Et c'est principalement ce labeur
que le Christ a enduré dans l'humanité qu'il a assumée - II présentera sa mâchoire ŕ celui qui le frappe, il
sera rassasié d'opprobres2.
1. Cf. Rm
11, 16-24.
2. 1 Th
2, 14.
3. Rm 9,
30-31. Sur la justice de la foi, voir vol. I, n° 1361, et note 1.
4. Ici,
les linges désignent l'Ancien Testament.
5. Lc 24,
45.
6. 1 Co
11, 3.
7. Saint
Thomas reprend ici et dans le paragraphe suivant la suite du commentaire de saint Grégoire le Grand, XL hom. in
Evang., II, hom. 22, 2-4, PL 76, col. 1175 D-1176 C.
8. Rm 9, 5. 9. 1s 45, 15.
10. He 13, 8.
11. Ps 101, 28.
12. Ps 75, 3.
13. 1 Co 14, 33.
Ce suaire, donc, se trouve éloigné ŕ
part, car la Passion de notre Rédempteur est loin de la nôtre, qui en est
séparée. En effet, par les linges, qui se rapportent aux membres comme le
suaire ŕ la tęte, on peut entendre les passions des saints ; le suaire, ŕ
savoir la Passion du Christ, en est séparé, car le Christ a porté sans faute ce
que nous, nous supportons avec des fautes - Le Christ est mort, juste pour
les injustes3. Il a voulu de lui-męme succomber ŕ la
mort - Personne ne m'enlčve ma vie, mais je la donne de moi-męme4. - II nous a aimés et s'est livré lui-męme pour nous5. Mais les saints vont ŕ la mort malgré eux - Un autre te ceindra et
te conduira lŕ oů tu ne voudrais pas aller6.
2485. Mais pourquoi l'Évangéliste raconte-t-il tout cela avec autant de
soin ? Selon Chrysostome7, il faut répondre qu'il voulait
écarter la fausse opinion divulguée par les Juifs, selon laquelle le corps du
Christ avait été enlevé en cachette, comme on le voit en Matthieu8. En effet, si certains l'avaient emporté de cette maničre, ils ne
l'auraient certainement pas dénudé, surtout parce qu'ils auraient dű faire cela
avec hâte en raison de la présence des gardes. Et ils ne se seraient pas non
plus souciés d'enlever le suaire, de le rouler et de le poser dans un lieu ŕ
part ; mais si cela était arrivé, ils auraient simplement laissé le suaire
aprčs avoir pris le corps. Une autre raison est le fait que la sépulture fut
effectuée avec de la myrrhe et de l'aločs qui collent les linges au corps, de
telle maničre qu'ils n'auraient pas pu ętre si rapidement séparés du corps.
1. Is 1,
14. Saint Thomas commente : Ť II montre le travail (labor) de celui
qui porte : j'ai travaillé en les supportant. - Tu m'as offert un travail
dans tes fautes (Is 43, 24). Et il parle d'une maničre humaine au sujet de
Dieu, parce que pour l'homme on dit pénible et laborieux ce qui ne lui plaît
pas ť (Exp. super Isaiam, 1, 14, p. 15, 1. 591-595).
2. Lm 3, 30.
3. 1 Ρ 3, 18.
4. Jn 10, 18.
5. Ep 5, 2.
6. Jn 21, 18.
7. In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, col. 465.
8. Mt 28,
13-15. Saint Thomas rapporte les paroles de saint Augustin dévoilant le
mensonge des soldats : Ť Soit ils vinrent tandis que vous veilliez, soit
tandis que vous dormiez. Si vous veilliez, pourquoi ne les avez-vous pas
repoussés ? Si vous dormiez, comment les avez-vous vus ? Et ainsi il
apparaît que ce fut un mensonge ť (Sup. Matth. lect., XXVIII, n°
2448).
ALORS
ENTRA AUSSI L'AUTRE DISCIPLE QUI ÉTAIT VENU LE PREMIER AU TOMBEAU. (20, 8)
2486. L'Évangéliste mentionne ensuite l'entrée de Jean. Celui-ci en effet ne
resta pas dehors mais il entra aprčs Pierre, car ŕ la fin du monde la Judée
aussi sera acquise ŕ la foi en la Rédemption9 - Une partie d'Israël a été aveuglée
jusqu'ŕ ce que soit entrée la plénitude des nations, et ainsi tout Israël sera
sauvé10. - Un reste sera sauvé11.
2487. Ou autrement12, selon le mystčre : ces deux
disciples représentent deux genres d'hommes, ŕ savoir ceux qui s'adonnent ŕ la
contemplation de la vérité - ceux-ci sont signifiés par Jean - et ceux qui
s'attachent ŕ l'obéissance aux commandements, lesquels sont signifiés par
Pierre. De fait, Simon se traduit par Ť obéissant 13 ť.
Il arrive trčs souvent, en effet, que
le contemplatif parvienne le premier ŕ la connaissance des mystčres du Christ
par son aptitude ŕ apprendre, mais qu'il n'entre pas ; car parfois
l'intelligence est premičre mais l'amour ne suit que tardivement, ou ne suit
pas. Mais l'actif, par la véhémence de sa ferveur et son zčle, męme s'il
comprend plus tardivement - Par tes commandements j'ai acquis l'intelligence1 -, cependant entre plus vite, si bien que
ceux qui furent les derniers ŕ arriver deviennent les premiers ŕ connaître 2 - Les premiers seront derniers et les
derniers seront premiers3.
9. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 22, 5, PL 76, col.
1176 D.
10. Rm
11, 25-26. Voir vol. I, n° 1483 et note 4. Sur l'aveuglement des Juifs, voir
aussi ci-dessus, nos 1700 ŕ
1702.
11. Is 10, 22.
12. Cf. ThÉophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 291 C-D.
13. Voir
vol. I, n° 303.
III
IL VIT
ET IL CRUT. CAR ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE SELON LAQUELLE IL
FALLAIT QU'IL RESSUSCITÂT D'ENTRE LES MORTS. (20, 8-9)
2488. Il indique ici l'effet de la recherche. On pourrait d'abord penser que
le sens est le suivant : IL VIT cela et IL CRUT que le Christ était ressuscité.
Mais, selon Augustin4, cela n'a pas de sens, car on a
ensuite : ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE. Il faut donc dire qu'IL
VIT le tombeau vide et qu'IL CRUT ce que la femme avait dit, ŕ savoir qu'on
avait emporté le Seigneur. Alors suit le verset : ILS N'AVAIENT PAS ENCORE
COMPRIS L'ÉCRITURE, car leur intelligence n'avait pas encore été ouverte ŕ
l'intelligence des Écritures5.
1. Ps
118, 104.
2. Sur la
différence entre la vie active et la vie contemplative, voir ci-dessus, n° 1595
et note 5. Saint Thomas, dans sa question sur les rapports de la vie
contemplative et de la vie active, précise que parfois la vie active doit ętre
préférée ŕ la vie contemplative. Non pas absolument, mais comme une disposition
ŕ la vie contemplative : ainsi les actifs se trouvent parfois mieux préparés
que les autres ŕ entrer dans la connaissance des mystčres divins, ŕ entrer dans
une vraie contemplation. Et aussi, la vie active est parfois préférée ŕ la vie
contemplative quand il s'agit d'obéir ŕ une volonté précise de Dieu. Par
exemple, Ť dans un cas particulier on doit plutôt choisir la vie active,
en raison de la nécessité de la vie présente. Comme le dit aussi le Philosophe
: "Philosopher est meilleur que s'enrichir. Mais s'enrichir est meilleur
par nécessité pour celui qui souffre" (/Il Topique, II) ť
(Somme théol, II-II, q. 182, a. 1, a). Ť Il peut arriver que
quelqu'un ait plus de mérite dans les uvres de la vie active qu'un autre dans
celles de la vie contemplative. Par exemple si, ŕ cause de l'abondance de
l'amour divin et pour accomplir la volonté de Dieu pour sa gloire, il supporte
par moments d'ętre séparé pour un temps de la douceur de la contemplation
divine. C'est ce que disait saint Paul : Je souhaiterais ętre anathčme loin du
Christ pour mes frčres (Rm 9, 3) ť (loc. cit., a. 2,
a). Ť On peut envisager la vie active en tant qu'elle discipline les
passions intérieures de l'âme et les ordonne. Et quant ŕ cela, la vie active
est un secours en vue de la contemplation, qui est empęchée par le désordre des
passions intérieures. C'est pourquoi Grégoire dit : "Ceux qui veulent
tenir la citadelle de la contemplation doivent s'éprouver au préalable sur le
champ de bataille de l'action". (...) Donc l'exercice de la vie active
apporte ŕ la vie contemplative l'apaisement des passions intérieures d'oů
proviennent les imaginations qui empęchent la contemplation ť (loc. cit.,
a. 3, c). Ť Ceux qui sont plus aptes ŕ la vie active peuvent, par
l'exercice de cette vie, se préparer ŕ la vie contemplative, et néanmoins ceux
qui sont plus aptes ŕ la vie contemplative peuvent supporter les exercices de
la vie active pour ętre par lŕ préparés davantage ŕ la contemplation ť (loc.
cit., a. 4, ad 3).
3. Mt 20,
16.
Mais le Christ ne leur a-t-il pas
prédit sa Passion et sa Résurrection ? - Et le troisičme jour il
ressuscitera6. Je réponds en disant que, parce
qu'ils avaient l'habitude d'entendre de Jésus des paraboles, parmi les choses
qu'il leur disait ouvertement il y en avait beaucoup qu'ils ne comprenaient
pas, et ils croyaient qu'il voulait signifier quelque chose d'autre7.
2489. Ou bien, selon Chrysostome8, IL VIT les linges ainsi posés en
ordre, ce qui n'aurait pas été fait si le corps avait été enlevé en cachette,
et IL CRUT, d'une foi vraie, que le Christ s'était relevé de la mort. Et alors
ce qui suit : CAR ILS N'AVAIENT PAS ENCORE COMPRIS L'ÉCRITURE, se rapporte ŕ ce
qu'il dit : IL VIT ET IL CRUT, comme s'il disait : avant de voir, il n'avait
pas compris l'Écriture SELON LAQUELLE IL FALLAIT QU'IL RESSUSCITÂT D'ENTRE LES
MORTS. Mais quand il vit, il crut qu'il était ressuscité des morts.
4. Tract, in Io., CXX, 9, BA 75, p. 345-347.
5. Cf. Le 24, 45.
6. Mt 20, 19.
7. Cf. saint
Augustin, ibid., p. 347.
8. In Ioannem hom., LXXXV, 4, PG 59, col. 465.
2490. Aprčs avoir rapporté comment Marie-Madeleine est venue voir le tombeau ouvert, lÉvangéliste montre ici comment elle est parvenue ŕ la vision des anges, et premičrement il montre la dévotion de cette femme, puis la vision des anges [n° 2495] ; enfin il rapporte les paroles que les anges lui adressent [n° 2500].
LES
DISCIPLES DONC S'EN RETOURNČRENT CHEZ EUX. MAIS MARIE SE TENAIT DEHORS PRČS DU
TOMBEAU, PLEURANT. ET, TOUT EN PLEURANT, ELLE SE PENCHA ET REGARDA DANS LE
TOMBEAU. (20, 10-11)
La dévotion de cette femme, qui
mérita la vision des anges, est mise en lumičre de trois maničres.
I
2491. Sa dévotion est mise en lumičre en premier lieu1 par sa constance que, d'abord, le retour des disciples a rendue
louable, car LES DISCIPLES, ne connaissant pas encore l'Écriture selon laquelle
il fallait que Jésus ressuscitât d'entre les morts, S'EN RETOURNČRENT CHEZ EUX,
c'est-ŕ-dire lŕ oů ils habitaient et d'oů ils étaient venus au tombeau en
courant. Jusque-lŕ, en effet, dispersés en raison de la peur, ils ne
demeuraient pas ensemble - Je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront
dispersées2. - Les pierres du sanctuaire ont été
dispersées ŕ Ventrée de toutes les places3.
En second lieu4, sa constance est louable du fait qu'elle s'attarde : car MARIE SE
TENAIT DEHORS PRČS DU TOMBEAU, PLEURANT. En effet, aprčs le départ des
disciples, un amour plus fort et plus fervent maintenait en ce lieu cette femme
qui par sa nature était plus faible5.
2492. Mais il y a ici une question, car Marc dit que les femmes sortirent du
tombeau6 ; elles y étaient donc entrées.
Pourquoi donc Jean dit-il qu'elle SE TENAIT DEHORS ?
Réponse : il faut dire que le tombeau
du Christ était creusé dans la pierre et qu'autour de lui se trouvait un jardin
clos, comme on l'a vu plus haut7. Parfois, donc, les évangélistes
appellent Ť tombeau ť seulement le petit lieu (loculum) oů le
corps avait été enseveli, et parfois tout le lieu qui était clos. Ainsi,
lorsqu'il est dit qu'elles sortirent du tombeau, il faut le comprendre de tout
le jardin clos. Mais ce qui est dit - MARIE SE TENAIT DEHORS - doit s'entendre
: devant le lieu du sépulcre de pierre, mais cependant ŕ l'intérieur de cet
espace oů les femmes étaient déjŕ entrées et oů elle, Marie, se tenait en
raison de la constance de son amour8, constance qui avait enflammé son
esprit - Soyez fermes et inébranlables, toujours abondants dans l'uvre du Seigneur9. - Nos pieds s'étaient arrętés 10.
1. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 349.
2. Za 13, 7.
3. Lm 4, 1.
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 349.
5. Nous
avons essayé de rendre l'expression inferior sexus que saint Thomas
emploie ici. Cf. Somme théol, I, q. 92, a. 1 et a. 2. Voir aussi
ci-dessus, n° 2133.
6. Cf. Mc
16, 8.
7. Voir
n° 2475.
8. Cf. SAINT
AUGUSTIN, De consensu Évangelistarum, III, XXIV, 69, PL 34, col. 1202.
9. 1 Co
15, 58.
10. Ps
121, 2.
II
2493. En second lieu sa dévotion est mise en lumičre par l'abondance de ses
larmes, car elle pleurait - Pleurant, elle a pleuré pendant la nuit1.
Il y a en effet deux genres de larmes
: des larmes de componction pour la purification des péchés - Je laverai
chaque nuit mon lit [de mes pleurs] ; j'arroserai ma couche de mes larmes2 - et des larmes de dévotion dans le désir des réalités célestes - Ils
s'en allaient en pleurant, portant la semence3, c'est-ŕ-dire se hâtant vers les
réalités célestes. Certes, Marie-Madeleine a abondé en larmes de componction au
temps de sa conversion quand, en aimant la vérité, elle a lavé de ses larmes
les taches de ses fautes, elle qui avait été pécheresse dans la ville - De
nombreux péchés lui sont remis car elle a beaucoup aimé 4. Elle a encore abondé en larmes de dévotion lors de la Passion et de
la Résurrection du Christ, comme on le voit ici5.
III
2494. En troisičme lieu sa dévotion est mise en lumičre par la diligence de
sarecherche. C'est pourquoi il est dit ET, TOUT EN PLEURANT, ELLE SE PENCHA ET
REGARDA DANS LE TOMBEAU. Car ces pleurs provenaient du désir de son amour. En
effet, la nature de l'amour est de vouloir avoir la présence de l'aimé, et s'il
ne peut l'avoir en réalité, il la possčde au moins par la connaissance6 - Lŕ oů est ton trésor, lŕ aussi est ton cur7. Marie pleurait donc amčrement, car ses yeux
qui cherchaient le Seigneur et ne le trouvaient pas se livraient aux larmes,
souffrant encore plus de ce qu'il avait été enlevé du tombeau ; car il ne
restait aucun souvenir d'un maître si grand, dont la vie avait été enlevée8. Et c'est pourquoi, puisqu'elle ne pouvait l'avoir, voulant du moins
voir le lieu oů il avait été déposé, ELLE SE PENCHA ET REGARDA DANS LE TOMBEAU.
Il nous est ici donné ŕ entendre que nous devons regarder la mort du Christ
avec humilité de cur - Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents et
tu les as révélées aux tout-petits9. ELLE (...) REGARDA, pour nous
donner l'exemple de regarder sans cesse la mort du Christ avec les yeux de
l'esprit. En effet, ŕ celui qui aime il ne suffit pas d'avoir regardé une fois,
alors que la force de son amour décuple son intention de chercher - Contemplant
l'auteur de votre foi et qui la mčne ŕ sa perfection, Jésus, qui, au lieu de la joie qui lui était proposée, endura
la croix dont il méprisa l'infamie1.
1. Lm 1, 2.
2. Ps 6,
7. Saint Thomas commente : Ť Au sens moral, le lit sur lequel l'homme se
repose, c'est la conscience ; c'est elle que l'homme purifie par les
larmes dans la pénitence - Purifie ton cur de sa malice (Jr 4, 14). Mais
par le mot couche sont signifiés les péchés qui couvrent la conscience,
péchés qui doivent ętre purifiés par les larmes, car les larmes lavent le péché
qu'il est honteux d'avouer - Mes yeux ont défailli ŕ force de
larmes (Lm 2, 11). Chaque nuit, dit-il, c'est-ŕ-dire
chaque péché. Car l'homme doit pleurer chaque péché en faisant pénitence. Et
par lŕ il laisse entendre que celui qui s'adonne ŕ la pénitence répare
alternativement ses péchés ; car parmi le bien qu'il faisait, il péchait
parfois, et pleurait chacun de ses péchés. Et c'est pourquoi il ne dit pas une (unam)
mais chaque (singulas) nuit. Et il dit : j'arroserai, ŕ cause
du flot des larmes - Qui donnera ŕ ma tęte de l'eau, et ŕ mes yeux
une fontaine de larmes ? (Jr 9, 1). - Fais couler comme un
torrent tes larmes pendant le jour et pendant la nuit ; ne te donne pas de
repos, et que la prunelle de ton il ne se taise pas (Lm 2, 18) ť (Exp.
in Psalmos, 6, n" 4).
3. Ps
125, 6.
4. Le 7,
47.
5. En
attribuant ici et dans le paragraphe suivant les deux formes de pleurs ŕ
Marie-Madeleine, saint Thomas reprend le commentaire de saint Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25,
1-2, PL 76, col. 1189 B-D.
6. Voir
ci-dessus, n° 1919 et note 7. Saint Thomas expose en bien des lieux que l'amour
sensible ou spirituel se fonde sur la connaissance du bien : on ne peut aimer
une réalité qu'on ne connaît pas. Voir par exemple Somme théol., I-II, q.
9, a. 1, c. et ad 3. Et q. 27, a. 2, c. : Ť Le bien est cause de l'amour,
comme son objet. Or le bien est objet de l'appétit dans la mesure oů il est
connu. C'est pourquoi l'amour requiert une certaine connaissance du bien que
l'on aime. Ce qui fait dire au Philosophe (Éthique ŕ Nicomaque, IX) que
"la vision corporelle est le principe de l'amour sensible". Et de
męme, la contemplation de la beauté ou de la bonté spirituelle est le principe
de l'amour spiritue1. Ainsi, donc, la connaissance est cause de l'amour ť.
Ici il montre que si le bien connu et aimé n'est pas présent, l'amour peut
trouver un certain repos dans la connaissance de ce bien.
7. Mt 6, 21.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 349. Saint
Thomas cite ensuite le commentaire de saint Grégoire. Voir ci-dessus, note 5 de
cette page.
9. Mt 11,
25.
ELLE SE PENCHA ET REGARDA, car la charité du Christ2 la pressait - La charité du Christ nous presse3. Ou plutôt, selon Augustin4, il y eut dans son âme un instinct divin pour qu'elle regarde et qu'elle voie quelque chose de plus élevé, ŕ savoir les anges - Ceux qui sont menés par l'Esprit de Dieu, ceux-lŕ sont fils de Dieu5.
ELLE
VIT DEUX ANGES VĘTUS DE BLANC, ASSIS, UN Ŕ LA TĘTE ET UN AUX PIEDS, LŔ OU AVAIT
ÉTÉ DÉPOSÉ LE CORPS DE JÉSUS. (20, 12)
2495. L'Évangéliste traite ensuite de la vision des anges, au sujet de
laquelle il aborde quatre points.
2496. Premičrement, ce que Marie-Madeleine a vu : DEUX ANGES, pour montrer
que tous les ordres des anges se soumettaient au Christ, aussi bien ceux qui se
tiennent devant lui que ceux qui le servent - Que tous ses anges l'adorent6, ce qui est tiré d'un psaume7.
Mais ici surgit une question, puisque
Matthieu8 et Marc9 disent que Marie et les autres
femmes ont vu un seul ange se tenant ŕ côté du tombeau, alors qu'ici on parle
de deux anges, et ŕ l'intérieur. Mais les deux sont vrais 10, car Matthieu et Marc racontent ce qui est arrivé en premier lieu, ŕ
savoir qu'elles sont d'abord venues et que, découvrant que le corps avait été
emporté, elles sont retournées vers les disciples. Et ce que Jean raconte est
arrivé au retour, lorsque Marie revint avec les disciples et qu'aprčs leur
départ elle resta lŕ.
1. He 12,
2. Saint Thomas commente : Ť Le Christ est l'auteur de la foi ; si
donc tu veux ętre sauvé, tu dois observer attentivement cet exemple. C'est
pourquoi l'auteur de l'épître dit contemplant Jésus souffrant. Cela a
été signifié par le serpent d'airain élevé comme un signe, par lequel ceux qui
le regardaient étaient guéris (Nb 21, 9) - Comme Moďse éleva le serpent dans
le désert, ainsi doit ętre élevé le Fils de l'homme, pour que tout homme qui
croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle (Jn 3, 14-15). Si
donc tu veux ętre sauvé, regarde la face de ton Christ (Ps 83,
10) ť {Ad Heb. lect., XII, n° 663).
2. La
charité du Christ : non pas notre amour pour le Christ, mais l'amour du Christ
pour nous.
3. 2 Co 5, 14.
4. Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 351.
5. Rm 8,
14. Voir ci-dessus, n" 1909 et note 5.
6. He 1,
6. Sur la soumission des anges au Christ, voir vol. I, n° 329.
7. Ps 96,
7 (propre ŕ la Vulgate).
8. Voir
Mt 28, 2-5.
9. Voir
Me 16, 5.
10. Cf. SAINT
AUGUSTIN, De consensu Evangelistarum, III, XXIV, 69, PL 34, col. 1202.
2497. Deuxičmement, l'Évangéliste décrit l'habit des anges, VĘTUS DE BLANC,
montrant par lŕ la clarté de la Résurrection et la gloire du Christ ressuscité11 - Ils marcheront avec moi vętus de
blanc12. Dans l'Apocalypse il est dit aussi que
l'armée qui est dans le ciel le suivait en vętements blancs 13, c'est-ŕ-dire glorieux.
2498. Troisičmement, il décrit leur position : ASSIS, ce qui signifie le repos
et la puissance du Christ qui, se reposant désormais de toutes ses
tribulations, rčgne dans sa chair immortelle, siégeant ŕ la droite du Pčre 14 - Sičge ŕ ma droite15. - Il siégera
sur le trône de David et sur son royaume 16.
2499. Quatričmement, il décrit l'ordre, UN Ŕ LA TĘTE ET UN AUX PIEDS, ce qui peut se référer ŕ trois choses1. D'abord aux deux Testaments : en effet,
l'original grec du mot Ť ange ť, en latin angelus, signifie
Ť envoyé ť (nuntius). Or les deux Testaments avaient annoncé (annuntiaverunt)
le Christ, car il est dit en Matthieu : La foule qui le précédait et
celle qui le suivait criaient : Ť Hosanna au fils de David. ť2 Ainsi, l'ange assis ŕ la tęte signifie
l'Ancien Testament et celui qui est assis aux pieds, le Nouveau.
11. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVI, 1, PG 59, col. 467.
12. Ap 3,
4.
13. Cf. Ap
19, 14.
14. Sur
cette position du Christ siégeant ŕ la droite du Pčre (évoquée ici par la
position des anges), voir le Prologue de saint Thomas ŕ son Commentaire
sur l'Évangile de saint Jean, vol. I, n" 4.
15. Ps
109, 1.
16. Is 9,
7.
Cela se réfčre aussi aux prédicateurs. En effet, il y a deux natures dans le Christ : la nature divine et la nature humaine3. La tęte du Christ, c'est Dieu, comme le dit la premičre épître au Corinthiens4, mais les pieds sont son humanité - Nous adorerons dans le lieu oů se sont arrętés ses pieds5. Celui donc qui annonce la divinité du Christ, comme il est dit plus haut : Dans le principe était le Verbe, sičge ŕ la tęte ; tandis que celui qui annonce l'humanité du Christ - Le Verbe s'est fait chair6 - sičge aux pieds. Enfin, cela peut se référer au temps de l'annonce, et ainsi l'un sičge ŕ la tęte et l'autre aux pieds car ils signifiaient que les mystčres du Christ doivent ętre annoncés du début jusqu'ŕ la fin du monde - Vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'ŕ ce qu'il vienne7.
ILS LUI
DEMANDČRENT : Ť FEMME, POURQUOI PLEURES-TU ? ť ELLE LEUR
RÉPONDIT : Ť PARCE QU'ON A ENLEVÉ MON SEIGNEUR, ET JE NE SAIS PAS OŮ ON
L'A MIS. ť (20, 13)
2500. L'Évangéliste traite ici de la parole des anges, rapportant d'abord
leur interrogation puis la réponse de la femme [n° 2502].
ILS LUI
DEMANDČRENT : Ť FEMME, POURQUOI PLEURES-TU ? ť
2501. Au sujet du premier point il faut savoir que les anges, sachant que la
femme doutait encore, s'enquičrent de la cause de ses pleurs, en commençant
d'une certaine maničre par des choses éloignées. C'est pourquoi le texte dit :
ILS, ŕ savoir les anges, LUI DEMANDČRENT : Ť POURQUOI
PLEURES-TU ? ť
Comme s'ils disaient : Ne pleure pas8, c'est tout ŕ fait vain, car au
soir, de la Passion, sera réservé le pleur et au
matin, de la Résurrection, la joie9. - Que ta voix se repose des pleurs et tes yeux des larmes, car il
y a une récompense pour ton uvre10.
1. Les
deux premičres interprétations proviennent de saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 3, PL 76, col.
1191 B-C ; la troisičme de saint
Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA75, p. 351.
2. Mt
21,9. Saint Thomas commente : Ť Par qui cet honneur lui est-il
donné ? Par ceux qui le précédaient et ceux qui le suivaient, c'est-ŕ-dire
par ceux qui furent avant son avčnement et aprčs ; et les uns et les
autres cherchent le salut et l'ont par le Christ - Ayant la męme récompense (2
Co 6, 13). Or les foules désiraient le salut et c'est pourquoi elles criaient
en disant : Hosanna au fils de David. Ce salut est commencé ŕ
présent et sera achevé ŕ l'avenir ť (Sup. Matth. lect., XXI,
n" 1693).
3. Sur
les deux natures dans le Christ, et l'unité dans la personne du Verbe, voir
ci-dessus n° 1711 et note 3.
4. 1 Co 11, 3.
5. Ps 131, 7.
6. Jn 1, 1 ; Jn 1, 14.
7. 1 Co 11, 26.
Il faut noter ici, selon Grégoire11, que ces saintes paroles qui excitent en nous des larmes d'amour, consolent
les męmes larmes en nous promettant l'espérance de notre Rédempteur - Selon la multitude des
douleurs qui étaient dans mon cur, tes consolations ont réjoui mon âme12.
2502. Mais la femme, croyant qu'ils avaient interrogé comme par ignorance,
pense qu'ils ne sont pas des anges mais des hommes, et elle leur expose la
cause de ses pleurs : ON A ENLEVÉ MON SEIGNEUR, c'est-ŕ-dire le corps de mon
Seigneur. Lŕ elle désigne la partie par le tout, comme nous confessons que le
Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu, a été enseveli, alors que seule sa
chair a été ensevelie puisque sa divinité n'a pas abandonné sa chair. ET JE NE
SAIS PAS OŮ ON L'A MIS, ce qui était la cause de sa désolation : elle ne savait
pas oů aller et le trouver pour consoler sa douleur1.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXI, 1, BA 75, p. 351-353.
9. Ps 29,
6. Voir ci-dessus n° 2085 et note 8.
10. Jr 31, 16.
11. XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, col. 1191 D-l 192 A.
12. Ps
93, 19.
2503. Mais avoir une chose qui a appartenu ŕ l'ami, cela va-t-il consoler
celui qui aime ? Selon Augustin2, cela va plutôt le faire souffrir.
C'est pourquoi il dit lui-męme qu'il fuyait tous les lieux dans lesquels il
avait vécu3 avec son ami. Et cependant,
Chry-sostome4 dit que cela va le consoler.
Mais les deux sont vrais. En effet, dans toutes les réalités oů joie et tristesse sont męlées, l'espérance de la réalité désirée est cause de joie - Joyeux dans l'espérance, patients dans la tribulation5. Cependant elle est aussi cause de tristesse, car l'espérance déçue afflige l'âme6, mais ce n'est pas selon la męme raison. En effet, en tant que par l'espérance la réalité aimée se présente comme pouvant ętre obtenue, cette réalité cause la joie ; mais la réalité espérée en tant qu'elle est absente en acte, attriste. Tel est le cas ici : la réalité qui appartient ŕ l'ami, en tant qu'elle rend présent l'ami, est cause de joie pour celui qui aime, mais en tant qu'elle rappelle ŕ la mémoire que l'ami a été enlevé, elle cause la tristesse7.
2504. Ici l'Évangéliste montre comment cette femme est parvenue ŕ voir le Christ ; il rapporte d'abord la vision du Christ, puis montre que cette femme l'a reconnu [n° 2513] ; enfin, il expose l'instruction de cette femme par le Christ [n° 2515].
Il mentionne premičrement la vision
que la femme a du Christ, puis il rapporte les paroles du Christ [n° 2507].
1. Dans
ce paragraphe, saint Thomas reprend saint
Augustin (Tract, in Io., CXXI, 1, Β A 75, p. 353) suivi par saint Grégoire le Grand (loc. cit.).
2. Les
Confessions, IV, vu, 12, BA 14, p. 429.
3. Ť Vécu ť
traduit ici le latin conversatus. Sur le sens du mot conversatio, voir
vol. I, n° 1176, note 3.
4. In Ioannem hom., LXXXVI, 1, PG 59, col. 467.
5. Rm 12, 12.
6. Pr 13,
12.
7. La
passion de joie porte sur le bien sensible et la présence de l'ami ; la
passion de tristesse sur le mal, ŕ savoir l'absence de l'ami. Sur les passions
de l'homme en général, voir Somme théol., I-II, q. 22 sq. Sur les
passions comme conditionnement assumé en vue de sa béatitude, voir ci-dessus,
n° 1651 et note 2.
Ι
LORSQU'ELLE
EUT DIT CELA, ELLE SE RETOURNA EN ARRIČRE ET VIT JÉSUS DEBOUT ; ET ELLE NE
SAVAIT PAS QUE C'ÉTAIT JÉSUS. (20, 14)
2505. Il dit donc d'abord LORSQU'ELLE, Marie-Madeleine, EUT DIT CELA, aux
anges, ELLE SE RETOURNA EN ARRIČRE. Mais Chrysostome8 demande : cette femme qui parlait
avec les anges, qu'elle considérait au moins comme des hommes respectables,
pourquoi se retourne-t-elle sans attendre la réponse ŕ ce qu'elle leur avait
dit ?
8. In Ioannem hom., LXXXVI, 1, PG 59, col. 468.
Saint Thomas reprend aussi sa réponse.
Réponse : il faut dire qu'aprčs que
la femme eűt répondu aux anges, le Christ vint, et que les anges lui
manifestčrent leur révérence en se levant ; voyant cela, la femme,
étonnée, regarda en arričre pour savoir devant quoi ils s'étaient levés. De lŕ
vient que Luc rapporte que les anges ont été vus debout1. Ainsi, s'étant
retournée en arričre pour regarder, ELLE (...) VIT JÉSUS DEBOUT ; ET ELLE
NE SAVAIT PAS QUE C'ÉTAIT JÉSUS. En effet, elle voyait sous une apparence non
glorieuse celui que les anges, le voyant glorieux, honoraient.
Il nous est aussi montré par lŕ que
si quelqu'un désire voir le Christ, il doit se tourner vers lui - Tournez-vous vers moi,
dit le Seigneur des armées, et je me tournerai vers vous2. Ceux-lŕ parviennent ŕ le voir qui se convertissent totalement ŕ lui par
l'amour - Elle [la
Sagesse] se porte au-devant de ceux qui la désirent3. Au sens mystique4, cela signifie que cette femme avait
tourné le dos au Christ par l'infidélité ; mais quand son âme s'est convertie
pour le connaître, elle s'est retournée5 en arričre.
2506. Mais pourquoi ne l'a-t-elle pas reconnu, puisqu'il était le męme ?
Disons qu'il en fut ainsi soit parce que celui qu'elle avait vu mort, elle ne
le croyait pas ressuscité, soit parce que ses yeux étaient empęchés de le
reconnaître, comme il est dit des deux disciples allant ŕ Emmaus6.
II
2507. L'Évangéliste expose d'abord l'interrogation du Christ, puis la réponse
de la femme [n° 2509].
JÉSUS
LUI DIT : Ť FEMME, POURQUOI PLEURES-TU ? QUE CHERCHES-TU ? ť
(20, 15)
2508. Au sujet du premier point, il faut savoir que cette femme progresse peu
ŕ peu7 ; car les anges s'enquičrent de
la cause de ses pleurs, mais le Christ interroge pour savoir ce qu'elle
cherche. En effet, les pleurs étaient causés par le désir de la recherche. Il
interroge donc pour savoir qui elle cherche pour augmenter son désir, afin
qu'en nommant qui elle cherchait, son amour devienne plus ardent8 et qu'ainsi elle recherche toujours - Recherchez sans cesse sa face9. - Le chemin des justes est comme une lumičre de l'aube dont
l'éclat grandit jusqu'au plein jour10.
2509. L'Évangéliste rapporte ensuite la réponse de la femme, et d'abord
l'opinion qu'elle avait de celui qui interrogeait. Puis il rapporte les paroles
de sa réponse [n° 2513].
ELLE,
PENSANT QUE C'ETAIT LE JARDINIER, LUI DIT : Ť SEIGNEUR, SI C'EST TOI QUI
L'AS EMPORTÉ, DIS-MOI OŮ TU L'AS MIS, ET MOI J'IRAI LE PRENDRE. ť (20, 15)
1. Cf. Lc 24, 4.
2. Za 1, 3.
3. Sg 6, 14.
4. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, col.
1192 B.
5. Le
verbe latin convertere, dans le texte de la Vulgate, signifie ŕ la fois se
tourner et se convertir.
6. Voir
Lc 24, 16.
7. Sur la
croissance de la charité, voir Somme théol, II-II, q. 24, a. 4, c. :
Ť Nous sommes appelés voyageurs (viatores) parce que nous tendons
vers Dieu, qui est la fin ultime de notre béatitude. Sur ce chemin, nous
progressons d'autant plus que nous nous rapprochons davantage de Dieu, qu'on
n'approche pas par des pas du corps mais par des affections de l'âme. Or c'est
la charité qui fait ce rapprochement, puisque par elle l'esprit est uni ŕ Dieu.
Et c'est pourquoi c'est le propre (ratio) de la charité ici-bas de
pouvoir ętre augmentée, car autrement, si elle ne pouvait augmenter, le progrčs
ici-bas n'existerait pas. Aussi l'Apôtre appelle-t-il la charité une voie quand il
dit : Je vous montre une voie plus excellente encore (1 Co 12, 31) ť.
8. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, col.
1192 C.
9. Ps
104, 4.
10. Pr4,
18.
2510. Elle pensait que C'ÉTAIT LE JARDINIER, car elle savait que les gardes,
terrifiés ŕ cause des anges, avaient déjŕ fui et que personne n'occupait les
lieux, sauf celui qui les cultivait. Comme le dit Grégoire1, cette femme tout en se trompant ne se trompa
pas en croyant que le Christ était le jardinier ; car il plantait dans son
cur les semences des vertus par la force de son amour - J'ai dit :
j'arroserai les plantations de mon jardin, et j'enivrerai le fruit de ma
prairie2.
2511. Elle lui répondit : SEIGNEUR, SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ, DIS-MOI elle
l'appelle SEIGNEUR pour capter sa bienveillance. Mais comme celui-ci venait
d'arriver et qu'elle ne lui avait pas dit qui elle cherchait, pourquoi dit-elle
: SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ ? Qui, lui ?
Il faut dire que la force de l'amour
réalise ceci dans l'âme, qu'elle croit que nul autre n'ignore celui auquel elle
pense toujours3. De lŕ vient que lorsque le Seigneur
demanda en Luc : Quelles
sont ces paroles que vous échangiez entre vous ? on lui répondit : Tu
es le seul pčlerin ŕ Jérusalem ŕ ignorer ce qui y est arrivé ces
jours-ci !4
2512. Mais pourquoi dit-elle : SI C'EST TOI QUI L'AS EMPORTÉ, DIS-MOI OŮ TU L'AS MIS, ET MOI J'IRAI LE PRENDRE ? Admirable audace de cette femme, que l'aspect d'un mort ne terrifie pas et qui dans sa vaillance désire plus qu'elle ne le peut : emporter le lourd cadavre d'un mort ! Mais c'est bien ce que dit la premičre épître aux Corinthiens : La charité espčre tout5. Elle voulait donc le prendre, de peur que les Juifs ne s'acharnent sur le corps inanimé, et désirait le transporter dans un autre lieu inconnu6.
JÉSUS
LUI DIT : Ť MARIE. ť ELLE, SE RETOURNANT, LUI DIT :
Ť RABBOUNI ! ť (CE QUI VEUT DIRE MAÎTRE). (20, 16)
2513. L'Évangéliste traite ensuite de la reconnaissance du Christ par la
femme, et d'abord de son appel quand Jésus dit Ť MARIE ť ŕ celle
qu'il avait appelée plus haut du nom commun de Ť femme ť. Ici, il
l'appelle par son nom propre, MARIE, pour montrer la connaissance spéciale
qu'il a des saints 7 - Lui qui compte la multitude des étoiles et ŕ toutes leur donne un
nom8. Je te connais par ton nom9 ; et
pour montrer que, bien que toutes les réalités soient mues par Dieu d'une
certaine motion générale, cependant une grâce spéciale 10 est nécessaire pour la justification de l'homme.
1. Loc. cit., col. 1192 C.
2. Si 24, 42 [BJ 24, 31].
3. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. XXv, 4, PL 76, col.
1192 C.
4. Le 24, 17-18.
5. 1 Co 13, 7.
6. Cf. ThÉophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 294 C.
7. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, col.
1192 D.
8. Ps
146, 4.
On voit ensuite l'effet de l'appel :
ELLE, SE RETOURNANT, LUI DIT :
Ť RABBOUNI ! ť (CE QUI VEUT DIRE MAÎTRE).
2514. Mais est-ce qu'elle ne regardait pas vers le Christ qui l'avait
appelée ? Je réponds : selon Augustin1, il faut dire que ceci se réfčre ŕ
la disposition intérieure de son esprit : en effet, d'abord lorsqu'elle se
retourna physiquement (corpore) elle pensa que le Christ était ce qu'il
n'était pas, ŕ savoir le jardinier ; mais ŕ présent, elle est convertie de
cur car elle a reconnu ce qu'il était.
9. Ex 33,
12.
10. Sur
la grâce spéciale nécessaire pour la justification de l'homme, voir ci-dessus
n° 1900 et notes 1 et 2, et ch. XV Dans la Somme théologique saint
Thomas, en rappelant le verset : Ils sont justifiés gratuitement par sa
grâce (Rm 3, 24), explique : Ť Cet effet de l'amour divin en nous, qui
est enlevé par le péché, c'est la grâce qui rend l'homme digne de la vie
éternelle et qui exclut le péché morte1. Et c'est pourquoi la rémission du
péché [qui est la justification de l'homme, cf. a. 1] ne saurait se comprendre
sans l'infusion de la grâce ť (I-II, q. 113, a. 2, c). Voir aussi q. 113,
a. 8, c. oů saint Thomas précise, en les ordonnant, les quatre aspects requis
pour la justification : Ť l'infusion de la grâce, le mouvement du libre
arbitre vers Dieu, le mouvement du libre arbitre contre le péché, la rémission
de la faute ť.
On peut dire aussi qu'elle croyait
qu'il était quelqu'un d'autre. C'est pourquoi tandis qu'il lui parlait,
préoccupée de ce qu'elle portait dans son cur, elle ne le regarda pas, lui,
mais regarda tout autour, cherchant ŕ voir un signe de celui qui avait été
enseveli. C'est pourquoi le Christ, l'appelant de nouveau, l'appela par son nom
propre en lui disant Ť MARIE ť, comme s'il lui disait : Ť Oů
regardes-tu ? Reconnais celui par qui tu es reconnue. ť Et c'est
pourquoi aussitôt, appelée par son nom, elle en reconnut l'auteur2 en disant Ť RABBOUNI ! ť (CE QUI VEUT DIRE MAÎTRE), car
c'est ainsi qu'elle l'appelait d'habitude.
En cela il nous est donné de comprendre que l'appel du Christ est la cause de notre justification3 et de la vraie confession4.
2515. L'Évangéliste montre ici comment Marie est instruite par le Christ,
d'abord par une interdiction, puis par une affirmation [n° 2519].
Ι
JÉSUS
LUI DIT : Ť NE ME TOUCHE PAS, CAR JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON
PČRE. ť (20, 17)
1. Tract, in Io., CXXI, 2, BA 75, p. 355.
2. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 25, 4, PL 76, col.
1192 D.
3. Ŕ la
différence de la Somme théologique oů il étudie la grâce en général
(I-II, q. 109-114), saint Thomas explicite ici une modalité particuličre de la
grâce : le lien entre le mystčre du Christ et notre justification. En effet il
appartient au théologien de mettre en lumičre les différentes modalités de la
grâce, participation ŕ la nature divine, qui unit l'homme ŕ Dieu et l'oriente
vers la vision béatifique. La grâce de justice originelle, donnée ŕ Adam et
Eve, apportait une harmonie trčs particuličre entre l'ordre naturel et l'ordre
surnaturel : elle ordonnait tout dans leur vie ŕ la vision béatifique. La grâce
donnée d'une façon spéciale au peuple d'Israël, choisi par Dieu, était une
grâce d'espérance, d'attente, qui le liait au mystčre du Sauveur qu'il
attendait. Enfin, la grâce est possédée en plénitude par le Christ de par son
union hypostatique. Au plus intime de son âme il a la grâce sanctifiante en
plénitude et la grâce capitale qui fait de lui le nouvel Adam, la Tęte du Corps
mystique qui est l'Église (cf. Col 1, 18). Dans son humanité glorifiée, il est
ainsi source de la grâce chrétienne pour tous ceux qu'il appelle ŕ se tourner
vers lui et qui croient en lui. La grâce chrétienne n'est cependant pas une
harmonie entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel : elle est une nouvelle
naissance ; et, dans un dépassement, elle assume la nature en la
respectant. Elle apporte aux croyants une nouvelle maturité en faisant d'eux
des enfants bien-aimés du Pčre par et dans le Christ.
4. Il
s'agit de la confession de foi. Voir ci-dessus, n° 1601, note 2.
2516. Il nous rapporte d'abord son admonition puis en donne la raison. Le
Christ admoneste Marie pour qu'elle ne le touche pas, en lui disant NE ME
TOUCHE PAS. Bien qu'on ne lise pas ici que la femme voulut le toucher, selon
Grégoire5 nous devons comprendre par lŕ que
Marie, prosternée aux pieds de Jésus, voulut embrasser les traces de celui
qu'elle reconnaissait.
Et il donne ensuite la raison : CAR
JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PČRE, ce qui semble indiquer qu'aprčs sa
Résurrection et avant de monter au ciel, le Seigneur n'a pas voulu ętre touché
par les hommes ; mais on voit le contraire en Luc : Touchez et voyez
qu'un esprit n'a ni chair ni os6. Et si tu dis qu'il a voulu ętre
touché par les disciples et non par les femmes, cela ne peut pas tenir7, car Matthieu dit de Madeleine et des autres femmes qu'elles
s'approchčrent et lui saisirent les pieds8.
Il faut donc comprendre, selon le
sens littéral, que cette femme vit deux fois les anges sur son chemin. D'abord
avec les autres femmes elle vit un ange assis sur la pierre, comme le disent Matthieu1 et Marc2. Puis ŕ son retour elle vit deux
anges ŕ l'intérieur du tombeau, comme le dit Jean. De maničre semblable3, en chemin elle vit deux fois le Christ : une premičre fois dans le
jardin, quand elle le prit pour le jardinier, comme on l'a vu plus haut ;
une deuxičme fois sur le chemin, quand elle courait avec les autres annoncer
aux disciples ce qu'elle avait vu, afin qu'ils fussent plus affermis dans la
foi en la Résurrection, et alors elles s'approchčrent
et saisirent ses pieds, comme le disent Matthieu et Marc.
5. XL hom. in Evang., II, hom. 25, 4, PL 76, col.
1193 A.
6. Le 24, 39.
7. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXI, 3, BA 75, p. 357.
8. Mt 28,
9.
2517. Au sens mystique il y a deux raisons pour lesquelles le Christ n'a pas
voulu ętre touché. La premičre4, c'est que cette femme représentait
l'Église des Gentils qui ne devait pas toucher le Christ par la foi avant qu'il
ne fűt monté vers le Pčre - L'assemblée des peuples
t'environnera, et ŕ cause d'elle remonte dans les hauteurs5.
La deuxičme raison est que, selon
Augustin6, le toucher est comme le terme de la
connaissance. En effet, quand nous voyons une réalité, nous la connaissons
d'une certaine maničre ; mais par le toucher nous en avons une connaissance
achevée. Or cette femme avait foi dans le Christ comme en un homme saint, et
c'est pourquoi elle l'appelait Ť maître ť ; elle n'était pas
encore parvenue ŕ le connaître comme égal au Pčre et un avec Dieu. C'est
pourquoi il dit : Ť NE ME TOUCHE PAS, c'est-ŕ-dire ne fais pas de ce que
tu crois de moi la fin de ta connaissance, CAR dans ton cur JE NE SUIS PAS
ENCORE MONTÉ VERS MON PČRE parce que tu ne crois pas que moi je suis un avec
lui ť, ce que cependant elle crut plus tard. En effet, au plus intime de ses
sens le Christ, d'une certaine maničre, monta vers le Pčre, lui qui avait tant
grandi en elle qu'elle le connaissait7 égal au Pčre8.
1. Cf. Mt 28, 2.
2. Cf. Mc 16, 5.
3. Cf. saint
Augustin, De consensu Evangelistarum, III, XXIV, 68, PL 34, col. 1202.
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXI, 3, BA 75, p. 357.
5. Ps 7,
8. Saint Thomas commente : Ť Lčve-toi d'entre les morts, et ainsi l'assemblée des peuples
t'environnera, c'est-ŕ-dire l'assemblée
des bienheureux qui seront récompensés, et celle des méchants qui seront punis - Ton nom est une
huile répandue : c'est pour cela que les jeunes filles t'ont chéri (Ct 1,2). - La montagne préparée
pour la demeure du Seigneur sera établie sur le sommet des montagnes, et elle
sera élevée au-dessus des collines, et toutes les nations y afflueront (Is
2, 2). - Lčve les yeux ŕ
l'entour ; tous ceux-ci se sont rassemblés, ils sont venus ŕ toi (Is
49, 18 et 60, 4). Et ŕ cause
d'elle remonte dans les hauteurs, c'est-ŕ-dire afin d'achever l'éducation
de cette assemblée, l'assemblée des croyants
- Montant dans les hauteurs, il a emmené une captivité captive ;
il a donné des dons aux hommes (Ep
4, 8 ; cf. Ps 67, 19). - Celui qui ouvrira le chemin montera devant eux
(Mi 2, 13) ť (Exp. in Psalmos, 7, n°3).
6. La
Trinité, I, IX, 18, BA 15, p. 139.
2518. On peut dire aussi, selon Chry-sostome9, que cette femme, voyant le Christ
ressuscité, crut qu'il existait dans la męme qualité de chair en laquelle il
avait été auparavant, possédant une vie mortelle ; c'est pourquoi elle
voulait ętre avec lui comme avant la Passion et, en raison de sa joie,
n'imaginait rien de plus grand, bien que la chair du Christ, en ressuscitant,
fűt devenue bien meilleure. Aussi, voulant la faire revenir de cette
compréhension, il lui dit : NE ME TOUCHE PAS ; comme pour dire : ne pense
pas que j'aie dorénavant une vie mortelle et que je vive avec vous de la męme
maničre qu'auparavant - Si nous avons connu le Christ selon la chair, ce
n'est plus ainsi que nous le connaissons maintenant10. C'est ce qu'il ajoute :
CAR JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ VERS MON PČRE. Et ce n'est pas alors un avertissement mais la réponse
ŕ une question tacite, comme s'il disait : Ť Tu me vois demeurant ici, non
que je n'aie pas une chair glorieuse mais parce que JE NE SUIS PAS ENCORE MONTÉ
VERS MON PČRE ť. En effet, avant son Ascension, il voulut affermir dans le
cur des Apôtres la foi en sa Résurrection et en sa divinité.
7. Il
s'agit ici de la connaissance que réalise le don de sagesse dans l'intelligence
du disciple du Christ dont la charité est élevée ŕ la perfection. En effet,
cette perfection de la charité est bien celle qui se réalise sous la motion du
don de sagesse, don qui permet ŕ l'intelligence de se mettre complčtement au
service de l'amour, parce que c'est l'amour qui porte en premier lieu
l'intelligence. La sagesse, celle de l'Esprit Saint, est bien cette
connaissance dans l'amour qui apporte un jugement non par science, mais par
connaturalité (cf. Somme théol., II-II, q. 45, a. 2, c.) ; c'est en
quelque sorte une Ť compassion ť aux réalités divines (cf. Denys, qui emploie l'expression Ť patiens
divina ť, dans les Noms divins, ch. 2) qui nous unit ŕ Dieu. C'est
dans la fréquentation de l'ami que naît cette connaissance, tout intime,
provenant de l'amour et toute au service de cet amour. Marie-Madeleine,
grandissant dans la foi, l'espérance et la charité, verra avec les yeux du
cur, de cette connaissance aimante. Sur ce jugement de connaturalité provenant
du don de sagesse, voir aussi Somme théol., I, q. 1, a. 6, ad 3.
8. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXI, 3, BA 75, p. 359 ; saint Grégoire le Grand, XL hom. in
Evang., II, hom. 25, 5, PL 76, col. 1193 A-B.
9. In Ioannem hom., LXXXVI, 2, PG 59, col. 469.
10. 2 Co
5, 16. Sur l'affection sensible et l'affection spirituelle, voir vol. I, n°
1074, note 6, et ci-dessus n° 2088.
II
Ť MAIS
VA VERS MES FRČRES ET DIS-LEUR : JE MONTE VERS MON PČRE ET VOTRE PČRE, VERS MON
DIEU ET VOTRE DIEU. ť MARIE-MADELEINE VINT ANNONCER AUX DISCIPLES :
Ť J'AI VU LE SEIGNEUR ET VOILŔ CE QU'IL M'A DIT. ť (20, 17-18)
2519. L'Évangéliste rapporte ici une recommandation affirmative. Et d'abord
il montre la recommandation, puis la promptitude de Marie ŕ obéir. Il dit donc
: MAIS VA VERS MES FRČRES, ŕ savoir les Apôtres, qui sont ses frčres par
conformité de nature - Il
dut en tout ętre assimilé ŕ ses frčres1 -, et par
l'adoption de la grâce car ils sont fils adoptifs2 du Pčre dont lui-męme est le Fils
par nature - J'annoncerai ton nom ŕ mes frčres3.
Il faut ici noter le triple privilčge
qui fut octroyé ŕ Madeleine. D'abord un privilčge prophétique, car elle a
mérité de voir les anges ; le prophčte, en effet, est l'intermédiaire
entre les anges et le peuple. Ensuite, elle est au-dessus des anges, du fait
qu'elle voit le Christ sur lequel les anges désirent se pencher4. Enfin elle a reçu un rôle apostolique ; bien plus, elle est
devenue apôtre des Apôtres en ceci qu'il lui fut confié d'annoncer aux
disciples la Résurrection du Seigneur pour que, de męme qu'une femme apporta au
premier homme des paroles de mort, ainsi aussi une femme annonce la premičre ŕ
des hommes les paroles de vie5.
1. He 2,
17. Saint Thomas commente : Ť En tout ce en quoi ils sont ses
frčres, non dans la faute mais dans la peine, et c'est pourquoi il doit avoir
une nature capable de pâtir (passibilem) - Lui qui a été éprouvé
en tout d'une maničre semblable ŕ nous, hormis le péché (He 4,
15) -, quant ŕ la peine et non quant ŕ la tentation de la faute. De męme ils
sont frčres quant ŕ la grâce - Voyez quelle charité nous a donnée
le Pčre, pour que nous soyons appelés fils de Dieu et que nous le soyons (1 Jn 3,
1). - Ceux que Dieu a connus d'avance, il les a aussi prédestinés ŕ ętre
conformes ŕ l'image de son Fils (Rm 8, 29) ť (Ad Heb. lect., II, n°
150).
2. Voir
vol. I, n° 1461, et notes 6 et 7.
3. Ps 21,
23.
2520. ET DIS-LEUR : JE MONTE VERS MON PČRE ET VOTRE PČRE
-Je m'en vais vers celui qui m'a envoyé6. - Celui qui est descendu est le męme que celui qui est monté
au-dessus de tous les deux7.
Mais Arius a pris appui sur ce verset
pour son erreur : parce que Jésus dit MON PČRE ET VOTRE PČRE, il a voulu
conclure que Dieu est Pčre du Fils de la męme maničre qu'il est notre Pčre, et
Dieu du Fils comme il est notre Dieu. Mais ŕ cela on doit répondre que,
manifestement, l'intention avec laquelle le Christ dit cela se comprend ŕ
partir des circonstances du discours. En effet il a dit plus haut VA VERS MES
FRČRES : ceux-lŕ, le Christ les a pour frčres en tant qu'il est homme - donc il
dit ces paroles en tant qu'il est homme -, et selon cela le Christ est soumis
au Pčre comme la créature au créateur ; en effet, le corps męme du Christ
est une certaine créature8.
2521. Ou autrement, selon Augustin9 le Christ parle ici de lui selon
l'une et l'autre nature. En effet, ce qu'il dit - JE MONTE VERS MON PČRE ET
VOTRE PČRE - relčve de la nature divine selon laquelle il a pour Pčre Dieu,
avec qui il a męme nature et auquel il est éga1. Et ainsi, il faut comprendre
autrement MON et VOTRE : il est le mien par nature et le vôtre par la
grâce ; comme pour dire : ce que vous ętes, des fils adoptifs par la
grâce, c'est par moi que vous l'avez - Dieu a
envoyé son Fils (...) pour que nous recevions
l'adoption des fils de Dieu 1. - Ceux quil
a connus par avance pour ętre conformes ŕ l'image de son Fils, pour que
celui-ci soit l'aîné d'une multitude de frčres2. Et ce qu'il dit ensuite - MON DIEU ET
VOTRE DIEU - se rapporte ŕ la nature humaine selon laquelle il est gouverné par
Dieu. Il dit ainsi MON DIEU, ŕ qui moi en tant qu'homme je suis soumis, et VOTRE
DIEU dont je suis ŕ votre égard le médiateur, parce que par lui nous sommes en
paix avec Dieu, et ainsi il est Ť notre ť Dieu -
Justifiés par la foi, nous avons la paix par notre Seigneur Jésus Christ par
qui nous avons accčs ŕ la grâce dans laquelle nous sommes établis, et nous nous
glorifions dans l'espérance de la gloire des fib de Dieu3. - C'est Dieu qui se réconciliait le monde dans le Christ4.
4. Cf. 1 Ρ 1, 12.
5. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, nom. 25, 5, PL 76, col.
1194 A-B.
6. Jn 16,
5.
7. Ep 4,
10. Saint Thomas commente : Ť En cela est désignée l'unité de sa personne
de Dieu et d'homme. En effet, il est descendu (...), le Fils de Dieu, en
assumant une nature humaine, mais il est monté, le Fils de l'homme, selon sa
nature humaine, vers la sublimité de la vie immortelle. Et ainsi c'est le męme,
le Fils de Dieu qui est descendu et le Fils de l'homme qui est monté - Personne
n'est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme,
qui est au ciel (]n 3, 13) ť (Ad Eph. lect., IV, n° 209).
8. Sur
les deux natures dans le Christ, et l'unité dans la personne du Verbe, voir
ci-dessus n° 1711 et note 3.
9. Tract, in Io., CXXI, 3, BA 75, p. 359.
2522. On voit ensuite la promptitude de l'obéissance de Marie lorsque
l'Évangéliste dit : MARIE-MADELEINE VINT ANNONCER AUX
DISCIPLES : Ť J'AI VU LE SEIGNEUR ET VOILŔ CE QU'IL M'A DIT. ť Elle
VINT, du lieu oů était
l'espace du jardin devant la pierre du tombeau, ANNONCER AUX DISCIPLES - J'ai
reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis5. - Ce que j'ai entendu du
Seigneur Dieu des armées, du Dieu d'Israël, je vous l'ai annoncé6.
1. Ga4,
4-5.
2. Rm 8,
29. Sur la filiation naturelle et par adoption, voir vol. I, n° 187, et
ci-dessus n° 1648, note 2.
3. Rm 5,
1-2.
4. 2 Co
5, 19.
5. 1 Co
11, 23.
6. Is 21,
10.
2523. Aprčs avoir traité des apparitions du Christ aux femmes, l'Évangéliste, dans cette partie, traite des apparitions faites aux Apôtres ; d'abord de l'apparition ŕ Jérusalem ŕ tous les Apôtres ensemble excepté Thomas, puis de celle qui eut lieu en présence de Thomas [n° 2551], et enfin, au chapitre 21, de celle qui eut lieu pour quelques-uns de maničre spéciale prčs de la merde Galilée [n° 2569].
L'Évangéliste montre d'abord l'apparition du Seigneur, puis le doute d'un disciple [n° 2545].
Concernant le premier point
l'Évangéliste rapporte trois choses : premičrement l'apparition du Seigneur,
deuxičmement la remise du ministčre [n° 2535], troisičmement la communication
du don spirituel [n° 2538].
L'apparition du Seigneur.
Jean expose d'abord les circonstances
de l'apparition, puis le contenu de l'apparition [n° 2530] et enfin ses
conséquences [n° 2534].
Ι
CE
JOUR-LŔ, LE PREMIER DE LA SEMAINE, LORSQUE LE SOIR FUT VENU, ET QUE LES PORTES
DU LIEU OŮ LES DISCIPLES SE TROUVAIENT RASSEMBLÉS ÉTAIENT CLOSES, PAR PEUR DES
JUIFS (20, 19)
L'apparition du Seigneur aux
disciples est décrite ŕ partir de quatre circonstances. D'abord ŕ partir de la
précision de l'heure ; ensuite ŕ partir de la désignation du jour [n°
2525] ; puis ŕ partir de la condition du lieu [n° 2526] ; enfin
ŕ partir de la disposition des disciples [n° 2529].
LORSQUE
LE SOIR FUT VENU
2524. Cette apparition eut donc lieu ŕ l'heure du soir. Selon le sens
littéral, il y a ŕ cela deux raisons. La premičre1, c'est que Jésus voulut apparaître ŕ
tous ensemble, et c'est pourquoi il a attendu jusqu'au soir afin que ceux qui
étaient dispersés durant le jour fussent réunis le soir, car la nuit ils
étaient ensemble.
La deuxičme raison2 est que le Seigneur leur apparut pour les réconforter. Il a donc choisi l'heure oů, étant davantage
engourdis, ils avaient plus besoin de réconfort : l'heure du soir - Secours
dans les tribulations qui nous ont assaillis ŕ l'excčs1.
1. Cf. ThÉophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 295 D.
2. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVI, 2, PG 59, col. 470.
II y a également une raison mystique
: ŕ la fin du monde, le Seigneur apparaîtra aux fidčles quand se fera entendre
au milieu de la nuit ce cri : Ť Voici l'époux qui vient2 ť, qui vient leur donner en retour leur
récompense - Le soir venu, le maître de la vigne dit ŕ son intendant :
appelle les ouvriers et donne-leur leur salaire3.
CE
JOUR-LŔ, LE PREMIER DE LA SEMAINE
2525. Le jour de l'apparition fut le jour męme de la Résurrection : CE
JOUR-LŔ, LE PREMIER DE LA SEMAINE, ŕ savoir le dimanche, dont il a été fait
mention plus haut dans ce chapitre : Or, le premier jour de la semaine4. Nous avons
déjŕ vu pourquoi il est appelé LE PREMIER DE LA SEMAINE [n° 2471].
En rassemblant les données des
évangiles, on peut voir que le Seigneur est apparu cinq fois ce jour-lŕ : deux
fois aux femmes, ŕ savoir une fois ŕ Madeleine seule, et une autre fois avec
les autres femmes qui s'en retournaient, et alors elles s'approchčrent et
lui saisirent les pieds5. Il est apparu une troisičme fois aux
deux disciples qui se rendaient ŕ Emmaüs ce męme jour6. Il est apparu une quatričme fois ŕ Simon-Pierre, mais oů, quand et
comment, cela n'est pas exprimé ; on dit seulement qu'il lui est apparu - Le
Seigneur est vraiment ressuscité et il est apparu ŕ Simon7. En cinquičme lieu il est apparu ŕ tous les
Apôtres réunis le soir, comme on le voit ici. Voilŕ pourquoi nous chantons : Voici
le jour que fit le Seigneur : exultons et réjouissons-nous en lui8.
Par lŕ il nous est donné ŕ entendre
qu'au jour de la résurrection Ť commune ť, il apparaîtra de maničre
manifeste ŕ tous : femmes, pécheurs, pčlerins, apôtres et hommes apostoliques,
car tout il le verra, męme ceux qui l'ont transpercé 9.
LES
PORTES DU LIEU (...) ÉTAIENT CLOSES, PAR PEUR DES JUIFS.
2526. La condition du lieu est décrite par la fermeture des portes, qui
indique leurs doutes et leurs craintes, car LES PORTES ÉTAIENT CLOSES, au sens
littéral en raison de l'heure tardive parce que c'était la nuit, ET PAR PEUR
DES JUIFS. Mais en ce qui concerne le Christ, quelle était la cause de la
fermeture ? C'était pour qu'il leur manifestât la force de sa puissance en
entrant chez eux les portes étant closes.
2527. Il faut savoir ŕ ce sujet que, selon certains 10, entrer les portes étant closes est une propriété du corps glorieux11 ils disent que par une certaine condition qui lui est inhérente, il
peut, en tant qu'il est glorieux, se trouver en męme temps qu'un autre corps
dans le męme lieu, et que cela s'est fait et peut se faire sans miracle.
Mais cela ne peut pas ętre. En effet,
il appartient par nature au corps humain non glorifié de ne pas pouvoir ętre
dans le męme lieu en męme temps qu'un autre corps. Mais si on dit que le corps
glorifié possčde en lui comme propriété inhérente de pouvoir ętre dans le męme lieu en męme
temps qu'un autre corps, il faut donc que soit exclue de lui cette propriété
qui l'empęche actuellement d'exister en męme temps qu'un autre corps. Mais
cette propriété ne peut en aucune maničre ętre séparée ou détruite du corps,
puisqu'elle n'est pas une corporéité mathématique, comme disent certains, mais
les dimensions męmes du corps quantifié auxquelles la position1 (situs) appartient en propre. C'est pourquoi le Philosophe2 argumente contre ceux qui affirment l'existence d'idées et d'ętres
mathématiques. Męme en supposant que tout l'espace sur la terre fűt vide, un
corps sensible ne pourrait pas se trouver simultanément avec eux, ŕ cause de
ses dimensions quantitatives. Aucune propriété du corps glorieux ne peut
retirer au corps ses dimensions [de quantité], la nature du corps demeurant. Il
faut donc dire que le Christ a fait cela de maničre miraculeuse par la
puissance de sa divinité, et si quelque chose de semblable devait arriver ŕ des
saints, cela arriverait par miracle, et ce serait un nouveau miracle. Cela,
Augustin et Grégoire le disent expressément. Augustin3 dit en effet : Ť Tu demandes comment il a pu entrer par les
portes fermées ? Si tu comprends la maničre, ce n'est plus un miracle. Lŕ
oů la raison défaille, lŕ la foi édifie ť ; et il ajoute :
Ť Celui-lŕ a pu entrer sans que les portes soient ouvertes, lui ŕ la
naissance de qui la virginité de sa mčre est restée inviolée. ť Donc,
comme sa naissance d'une mčre vierge fut miraculeuse en vertu de sa divinité,
ainsi cette entrée fut miraculeuse.
1. Ps 45, 2.
2. Mt 25, 6.
3. Mt 20, 8.
4. Jn 20, 1.
5. Mt 28, 9.
6. Voir
Lc 24, 13 sq.
7. Lc 24,
34.
8. Ps
117, 24.
9. Ap 1,
7.
10. Pour
plus de détails concernant ces quidam (Ť certains ť), on peut
se reporter aux notes de l'édition léonine du Quolibet 1, in : Quaestiones
de Quolibet (in : Sancti Thomae de Aquino Opera Omnia, t. XXV). Ou
bien voir Quaestiones de Quolibet, vol. 2, Éditions du Cerf, Paris 1996,
p. 205.
11. Sur
les propriétés des corps glorieux, voir Contra Gentiles, IV, ch. 86, oů
saint Thomas évoque leurs quatre qualités : ils seront lumineux, doués
d'agilité, impassibles et totalement soumis ŕ l'esprit. Sur Ť les qualités
du Christ ressuscité ť, voir aussi Somme théol, III, q. 54.
1. Aristote
précise les dix déterminations de la réalité existante, considérée en tant
qu'elle existe : Ť La substance, la quantité, la qualité, la relation, le
lieu, le temps, la position, la possession, l'action, la passion. Est
substance, par exemple, homme, cheval ; quantité : long-de-deux-coudées,
long-de-trois-coudées ; qualité : blanc, grammairien ;
relation : double, moitié, plus grand ; lieu : dans le Lycée, au
Forum ; temps : hier, l'an dernier ; position : il est
couché, il est assis ; possession : il est chaussé, il est
armé ; action : il coupe, il brűle ; passion : il est
coupé, il est brűlé ť (Catégories, 4, 1 b 25 - 2 a 3). La position
est une dimension des corps quantifiés, dont font partie les corps glorieux.
2. Voir
notamment Métaphysique, A, ch. 6. Ť Platon fut amené ŕ penser que
[F] universel devait exister dans des réalités d'un autre ordre que les choses
sensibles : il est en effet impossible, croyait-il, que la définition commune
existe dans aucun des objets sensibles individuels, de ceux du moins qui sont
en perpétuel changement. Guidé par ces raisons, il donna alors ŕ de telles
réalités le nom d'Idées, disant, d'autre part, que les choses sensibles sont
séparées des Idées et sont toutes dénommées d'aprčs elles ť (Joe. cit.,
987 b 4-9).
3. Sermones de Tempore, 247, II, PL 38, col. 1157. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 26, 1, PL 76, col.
1197 C-D.
2528. Au sens mystique, il nous est par lŕ donné ŕ entendre que le Christ nous
apparaît quand les portes, c'est-ŕ-dire les sens extérieurs, sont fermés dans
la pričre - Toi donc, quand tu pries, entre dans ta chambre4 - et ŕ la fin du monde, quand les vierges qui seront prętes entreront
pour les noces et que la porte sera ensuite fermée, comme on le voit en
Matthieu5.
LES
DISCIPLES SE TROUVAIENT RASSEMBLÉS.
2529. La disposition des disciples nous est donnée pour que nous l'imitions,
car ils SE TROUVAIENT RASSEMBLÉS, ce qui n'est certes pas vide de mystčre. En
effet, le Christ vient vers ceux qui sont rassemblés et le Saint-Esprit descend
sur ceux qui sont rassemblés, car le Christ et le Saint-Esprit ne sont présents
qu'ŕ ceux qui sont rassemblés dans la charité - Lorsque deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je
suis lŕ au milieu d'eux6.
4. Mt 6,
6. Saint Thomas commente : Ť Entre dans ta chambre, c'est-ŕ-dire le
lieu retiré de ta pensée, et le secret, comme dit Augustin, et comme dit Raban
Maur : par l'acte de la méditation secrčte. Et Chrysostome dit : "Dieu ne
doit pas ętre frappé par des cris de voix, mais fléchi par une conscience
droite, parce qu'il écoute non la voix mais le cur". Ou bien entre
dans ta chambre au sens littéra1. Et il dit chambre d'une façon
significative, parce que l'âme doit se calmer des choses extérieures quand elle
prie, et alors c'est le temps le plus convenable et le lieu le plus
secret ť (Sup. Matth. lect., VI, n° 574).
5. Cf. Mt
25, 10.
6. Mt 18,
20.
II
JÉSUS
VINT ET SE TINT AU MILIEU D'EUX, ET LEUR DIT : Ť PAIX Ŕ VOUS. ť ET,
LORSQU'IL EUT DIT CELA, IL LEUR MONTRA SES MAINS ET SON CÔTÉ. (20, 19-20)
2530. L'apparition du Christ est ici rapportée en trois points : la présence
du Christ donnée aux disciples, la salutation qu'il leur fit [n° 2532], et la
manifestation certaine qu'il leur accorda [n° 2533].
JÉSUS
VINT ET SE TINT AU MILIEU D'EUX.
2531. Le Christ leur manifesta sa présence sans laisser le moindre doute. Il
vint en personne, lui-męme, le męme, comme il le leur avait promis plus haut : Je
m'en vais et je reviens vers vous1. Mais IL SE TINT AU MILIEU pour que
tous le reconnaissent avec certitude. C'est pourquoi on peut blâmer les Juifs
qui ne l'ont pas reconnu -Au milieu de vous se tient quelqu'un que vous ne
connaissez pas2. IL SE TINT AU MILIEU D'EUX pour
montrer la conformité de nature humaine qu'il a avec eux - Une couronne de
frčres est autour de lui, comme une plantation de cčdres sur la montagne du
Liban3. De męme, IL SE TINT AU MILIEU par
condescendance, car il a vécu avec eux comme l'un d'entre eux - Ils t'ont
établi chef ? Ne t'exalte pas, sois parmi eux comme l'un d'entre eux4. - Je suis au milieu de vous comme
celui qui sert5. En outre, ce fut pour indiquer que nous devons
ętre dans le milieu de la vertu6- Voici la voie : marchez-y sans
vous en écarter ŕ droite ou ŕ gauche7. Celui qui tombe dans l'excčs s'écarte ŕ droite ; celui qui pčche
par défaut s'écarte ŕ gauche.
1. Jn 14, 28.
2. Jn 1, 26.
3. Si 50,
13.
4. Si 32,
1.
5. Le 22,
27.
6. Pour
saint Thomas, comme déjŕ pour Aristote, toute vertu morale est un juste milieu entre
un vice par excčs et un vice par défaut
(par exemple, ŕ la vertu de courage s'opposent par excčs la témérité et
par défaut la lâcheté). Voir ci-dessus, n° 2417, note 5. Saint Thomas reprend cela dans son
traité sur la vertu, Somme théol., MI, q. 64.
[IL]
LEUR DIT : Ť PAIX Ŕ VOUS. ť
2532. Il leur adressa des paroles de salutation en disant : Ť PAIX Ŕ
VOUS ť. Or celle-ci leur fut nécessaire, car leur paix était troublée de
multiples maničres. D'abord ŕ l'égard de Dieu, contre lequel ils avaient péché,
certains en niant, d'autres en fuyant - Vous tous vous allez tomber cette
nuit ŕ cause de moi, car il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis
du troupeau seront dispersées8. Face ŕ cela, le Christ leur offrit
la paix de la réconciliation avec Dieu - Nous sommes réconciliés avec Dieu
par la mort de son Fils9 -, ce qu'il fit par sa Passion.
Ensuite, leur paix était troublée
quant ŕ eux-męmes, car ils étaient tristes et remplis de doutes dans leur foi.
Et cette paix-lŕ aussi, il la leur offrit [déjŕ] réalisée - Grande paix pour
ceux qui aiment ta loi10.
Enfin ŕ l'égard de l'extérieur, car
ils souffraient des persécutions de la part des Juifs ; face ŕ cela il
leur dit : Ť PAIX Ŕ VOUS ť, ŕ savoir face aux persécutions des Juifs
- Je vous donne la paix, je vous laisse ma paix11.
LORSQU'IL
EUT DIT CELA,, IL LEUR MONTRA SES MAINS ET SON
COTÉ. (20, 20)
2533. Il se manifesta ŕ eux de maničre certaine par ses mains et son côté,
car c'est en eux qu'ont demeuré de maničre spéciale les signes de sa Passion - Voyez
mes mains et mes pieds, c'est bien moi1. Et c'est ainsi qu'il se montrera dans la gloire : Si quelqu'un
m'aime, il gardera ma parole 2, et encore : Je me manifesterai ŕ
lui3.
7. Is 30,
21.
8. Mt 26,
31. Saint Thomas commente : Ť Le péché des disciples est aggravé par la
proximité du temps, ayant été commis aprčs tant de monitions et aprčs la
réception du sacrement. De lŕ ils avaient déjŕ oublié ce qu'il avait fait pour
eux, aussi sont-ils bien comparés ŕ l'homme qui considčre son visage dans un
miroir - II s'est considéré en effet, et est parti, et
aussitôt a oublié comment il était (Je 1, 24) ť (Sup. Matth. lect.,
XXVI, nos 2208 et
2209).
9. Rm 5, 10.
10. Ps 118, 165.
11. Jn 14, 27.
III
LES DISCIPLES SE RÉJOUIRENT DONC Ŕ LA VUE DU SEIGNEUR. (20, 20)
2534. On rapporte ici l'effet de l'apparition qui est la joie dans les curs
des disciples ŕ la vue du Seigneur, joie qu'il leur avait promise plus haut : Mais
ŕ nouveau je vous verrai, et votre cur se réjouira 4. Mais, pour les bons, cette joie sera pléničre dans la Patrie par la
claire vision de Dieu - Vous verrez et votre cur se réjouira, et vos os
comme l'herbe verdiront5.
ET IL
LEUR DIT DE NOUVEAU : Ť PAIX Ŕ VOUS. COMME MON PČRE M'A ENVOYÉ, MOI AUSSI
JE VOUS ENVOIE. ť (20, 21)
2535. Il confie aux Apôtres un ministčre. D'abord il leur annonce une
alliance de paix, puis il leur remet le ministčre [n° 2537].
ET IL
LEUR DIT DE NOUVEAU : Ť PAIX Ŕ VOUS. ť
2536. Il leur dit cela pour chasser deux troubles. En effet, contre la
perturbation présente venant des Juifs, il leur a dit d'abord : Ť PAIX Ŕ
VOUS ť ; mais contre la perturbation venant des Gentils, IL LEUR DIT
DE NOUVEAU : Ť PAIX Ŕ VOUS ť - Dans le monde vous aurez ŕ
souffrir, mais en moi vous aurez la paix6. Car c'est aux Gentils qu'ils
devaient ętre envoyés.
1. Lc 24,
39.
2. Jn 14,
23.
3. Jn 14,
21.
4. Jn 16,
22.
5. 1s 66,
14. Saint Thomas commente : Ť II promet la pleine perception de la
consolation (...) quant ŕ la jouissance (fruitio) des biens : Vous
verrez les biens que Dieu vous a donnés (...). Ou bien : Vous verrez l'essence
divine - La lumičre est douce et il est délectable pour nos yeux de voir le
soleil (Qo 11, 7) ť (Exp. super Isaiam, 66, 14, p. 254, 1.
103-119).
6. Cf. Jn
16, 33 Je vous ai dit ces choses pour qu'en moi vous ayez la paix. Dans le
monde vous aurez ŕ souffrir ; mais ayez confiance : moi j'ai vaincu le
monde.
COMME
MON PERE M'A ENVOYÉ, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE.
2537. Et c'est pourquoi nous est aussitôt rapporté le don du ministčre, et
par lŕ il montre qu'il est médiateur entre Dieu et les hommes - Un homme, le
Christ Jésus, est médiateur entre Dieu et les hommes7. C'était pour consoler les disciples qui,
reconnaissant l'autorité du Christ, savaient qu'il les envoyait en vertu d'une
autorité divine ; et pour qu'ils considčrent leur dignité propre, ŕ savoir
qu'ils auraient un ministčre proprement apostolique : apôtre, en effet, est la
męme chose qu'envoyé.
Il dit donc COMME MON PČRE M'A
ENVOYÉ, MOI AUSSI JE VOUS ENVOIE ; c'est-ŕ-dire, comme le Pčre qui m'aime
m'a envoyé dans le monde afin d'y souffrir la Passion pour le salut des fidčles
- Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais
pour que le monde soit sauvé par lui1 -, ainsi moi qui vous aime, je vous
envoie endurer des tribulations pour mon nom2 - Voici que je vous envoie comme
des brebis au milieu des loups3.
7. 1 Tm 2, 5. Sur la médiation
du Christ, ŕ propos de cette męme citation de la premičre épître ŕ Timothée,
voir ci-dessus, n° 2201, note 5.
AYANT
DIT CELA, IL SOUFFLA SUR EUX ET LEUR DIT : Ť RECEVEZ L'ESPRIT SAINT ;
CEUX Ŕ QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS ; ET CEUX Ŕ
QUI VOUS LES RETIENDREZ, ILS LEUR SERONT RETENUS. ť (20, 22-23)
2538. Ensuite, il les rend capables, en leur donnant l'Esprit Saint,
d'exercer leur ministčre
- Lui qui nous a rendus capables d'ętre ministres d'une nouvelle Alliance,
non de la lettre, mais de l'esprit4.
Au sujet de ce don, il commence par
leur en donner un signe qui est le souffle : IL SOUFFLA SUR EUX. On voit
quelque chose de semblable dans la Genčse : Il
insuffla sur son visage un souffle de vie5, celui de la vie naturelle, que le premier homme a corrompu
mais que le Christ a réparé en donnant l'Esprit Saint.
Il ne faut pas entendre que ce
souffle émis par le Christ fut l'Esprit Saint, mais un signe de lui. C'est
pourquoi Augustin dit6 Ť Ce souffle corporel ne fut pas
la substance de l'Esprit Saint, mais un signe adéquat montrant que l'Esprit
Saint ne procčde pas seulement du Pčre mais aussi du Fils. ť
2539. Il faut en effet noter que l'Esprit Saint7 a été envoyé deux fois sur le Christ
et deux fois sur les Apôtres ; sur le Christ d'abord, sous l'aspect d'une
colombe lors du baptęme8 et sous l'aspect d'une nuée lors de
la Transfiguration9. La raison en est que la grâce du
Christ, qui est donnée par l'Esprit Saint, devait découler jusqu'ŕ nous par la
propagation de la grâce dans les sacrements, et ainsi il descendit au baptęme
sous la forme d'une colombe 10 qui est un animal fécond ; et
aussi par la doctrine, et ainsi il descendit dans une nuée lumineuse. C'est
aussi pourquoi il fut révélé alors comme docteur : Écoutez-le11.
Sur les Apôtres, il est descendu une
premičre fois par le souffle, pour désigner la propagation de la grâce dans les
sacrements dont ils étaient les ministres - Ceux ŕ qui vous remettrez les péchés,
ils leur seront remis 12. - Allez donc et baptisez-les au
nom du Pčre et du Fils et du Saint-Esprit13. Mais il est descendu une deuxičme fois sous la forme de langues de feu
pour signifier la propagation de la grâce par la doctrine. C'est pourquoi il
est dit dans les Actes des Apôtres qu'aprčs avoir été remplis de l'Esprit Saint
ils commencčrent aussitôt ŕ parler14.
2540. L'Évangéliste rapporte ensuite les paroles exprimant le don : RECEVEZ
L'ESPRIT SAINT. Mais est-ce lŕ qu'ils ont reçu l'Esprit Saint ? Il semble
que non : puisque le Christ n'était pas encore monté au ciel, il ne devait pas
donner de dons aux hommes1. Et, selon Chrysostome 2, certains disent que ce n'est pas lŕ que le Christ leur a donné
l'Esprit Saint, mais qu'il les a préparés au don futur de la Pentecôte. Ils
sont poussés ŕ dire cela en raison de Daniel qui dit qu'il n'a pu soutenir la
vision de l'ange3 ; et donc les Apôtres, s'ils
n'avaient pas été préparés, n'auraient pas pu soutenir la venue de l'Esprit
Saint. Cependant, le męme Chrysostome dit : Ť L'Esprit Saint n'a pas été
donné aux disciples d'une maničre commune pour tout, mais pour un certain
effet ť, c'est-ŕ-dire remettre les péchés, et comme on le lit en Matthieu4, faire des miracles. Augustin5 et Grégoire6, eux, disent que l'Esprit Saint a deux préceptes d'amour, ŕ savoir
l'amour de Dieu et l'amour du prochain. Et donc il a d'abord été donné
Ť sur la terre ť pour signifier le précepte de l'amour du prochain7, puis Ť du ciel ť pour signifier le précepte de l'amour de
Dieu.
1. Jn 3, 17.
2. Cf. saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Evang., II, hom. 26, 2, PL 76, col. 1198 B.
3. Mt 10, 16. Voir vol. I, n° 1376, note 11.
4. 2 Co 3,
6.
5. Gn 2,
7.
6. La
Trinité, IV, XX, 29, BA 15, p. 415.
7. Sur
l'Esprit Saint, voir ci-dessus : ch. XIV, nos 1907-1921, et 1952-1960 ; ch. XV, nos 2058-2067 ;
ch. XVI, nos
2085-2115 ; ch. XVII, n°
2269.
8. Voir
Mt 3, 16 ; Me 1, 10 ; Lc 3, 22.
9. Voir
Mt 17, 5 ; Me 9, 6 ; Lc 9, 34.
10. Cf. Somme
théol, III, q. 39, a. 6.
11. Mt
17, 5.
12. Jn
20, 23.
13. Mt
28, 19.
14. Voir
Ac 2, 4.
2541. On voit ensuite le fruit du don : CEUX Ŕ QUI VOUS
REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS, et cet effet - la rémission des péchés - convient ŕ
l'Esprit Saint car lui-męme est charité et c'est par lui que la charité nous
est donnée - La chanté de Dieu a été répandue
dans nos curs par l'Esprit Saint qui nous a été donné8. En effet, la
rémission des péchés ne se fait que par la charité, parce que la charité
couvre tous les péchés9. - La charité
couvre une multitude de péchés10.
1. Cf. Ep
4, 8 et Ps 67, 19.
2. In
Ioannem hom., LXXXVI, 3, PG 59, col. 471 (la deuxičme citation en est la
suite).
3. Voir
Dn 10, 8-9.
4. Cf. Mt
10, 8.
5. Il
s'agit en fait d'Alcuin (Comm. in S. Ioannis Evang., VII, 41, PL 100, col.
993 B) qui cite lui-męme Grégoire.
6. XL hom. in Evang., II, hom. 26, 3, PL 76, col.
1198 D-l 199 A.
7. Dans l'Ancienne
Alliance, le précepte de l'amour du prochain est explicite dans le livre du
Lévitique : Tu aimeras ton prochain comme toi-męme (Lv 19, 18). Mais
Jésus vient donner un commandement nouveau : Je vous donne un
commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous
ai aimés, que vous aussi vous vous aimiez les uns les autres (Jn 13, 34). Comme
le Pčre m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour (Jn
15, 9). Tel est mon précepte : que vous vous aimiez les uns les autres comme
je vous ai aimés. (Jn 15, 12).
8. Rm 5,
5. Voir vol. I, n° 1234, note 8, et ci-dessus n° 2069.
2542. Ici on s'interroge d'abord sur ce qu'il dit : CEUX Ŕ QUI VOUS REMETTREZ
LES PÉCHÉS, puisque Dieu seul remet les péchés. Pour cette raison, certains
disent que Dieu seul remet la faute et que le prętre n'absout que du mal de
peine et déclare le pécheur absous du mal de faute11. Mais cela n'est pas vrai car le
sacrement de pénitence, étant un sacrement de la loi nouvelle, confčre la
grâce, comme elle est aussi conférée lors du baptęme. Or au baptęme le prętre
baptise comme instrument, et cependant il confčre la grâce ; donc, de
maničre semblable, dans le sacrement de pénitence il absout de maničre
sacramentelle et ministérielle et de la peine et de la faute, en tant qu'il
donne le sacrement dans lequel les péchés sont remis.
Quant ŕ ce qui est dit, ŕ savoir que
Dieu seul remet les péchés, cela est vrai ŕ cause de son autorité. C'est ainsi
également qu'on dit que Dieu seul baptise, mais le prętre le fait par son
ministčre, comme on l'a dit.
2543. De męme, cherchons le sens de la parole RECEVEZ L'ESPRIT SAINT ;
CEUX Ŕ QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS. Lŕ il semble que
celui qui n'a pas l'Esprit Saint ne puisse pas remettre les péchés.
Ŕ cela il faut répondre que si la
rémission des péchés était l'uvre propre du prętre, c'est-ŕ-dire s'il faisait
cela de son propre pouvoir, il ne pourrait de toutes façons pas sanctifier s'il
n'était pas saint. Mais la rémission des péchés est l'uvre propre de Dieu, qui
par sa puissance et son autorité propres remet les péchés ; elle n'est pas
l'uvre du prętre, si ce n'est en tant qu'il est un instrument. De męme qu'un
seigneur peut exécuter sa volonté par le moyen d'un serviteur ou d'un ministre,
que celui-ci soit bon ou mauvais, pour accomplir quelque chose, ainsi le
Seigneur peut conférer par des ministres, męme si ceux-ci sont mauvais1, les sacrements dans lesquels est
donnée la grâce.
9. Pr 10,
12.
10. 1
Ρ 4, 8.
11. Sur
la distinction entre le mal de peine et le mal de faute, voir vol. I, n° 1301,
note 9.
2544. Si on se demande ce que signifie CEUX Ŕ QUI VOUS REMETTREZ LES PÉCHÉS, ILS LEUR SERONT REMIS, il faut dire, comme on l'a dit plus haut, que le prętre agit dans les sacrements comme ministre de Dieu - Qu'on nous regarde donc comme des ministres du Christ et des dispensateurs des mystčres de Dieu2. De la męme maničre que Dieu remet et retient les péchés, de męme le prętre. Or Dieu remet les péchés en accordant sa grâce ; mais on dit qu'il les retient en ne l'accordant pas, en raison d'un empęchement du côté de celui qui reçoit. De męme le ministre remet les péchés en tant qu'il dispense les sacrements de l'Église, et il les retient en tant qu'il montre que certains sont indignes de recevoir les sacrements.
2545. Aprčs avoir parlé de l'apparition du Sauveur, l'Évangéliste traite ŕ
présent du doute d'un disciple. Il mentionne d'abord l'absence du disciple,
puis l'annonce qui lui est faite [n° 2548], enfin son doute obstiné [n° 2549].
Ι
OR THOMAS, UN DES DOUZE, APPELÉ DIDYME, N'ÉTAIT PAS AVEC
EUX QUAND JÉSUS VINT. (20, 24)
2546. Le disciple absent est présenté d'abord par son nom, THOMAS, qui
signifie Ť abîme ť ou Ť jumeau ť3. Or il y a deux choses dans l'abîme : la profondeur et
l'obscurité. Thomas est donc abîme en raison de l'obscurité de l'incroyance
qu'il porte en lui, et il est aussi abîme en raison de la profondeur de la
miséricorde qu'il reçoit du Christ. Il est dit ŕ ce propos dans le psaume4 L'abîme de
la profondeur, c'est-ŕ-dire le Christ, appelle, en faisant miséricorde, l'abîme
de l'obscurité, c'est-ŕ-dire Thomas ; et l'abîme de
l'obstination, Thomas, appelle en confessant [sa foi] l'abîme de
la profondeur, le Christ.
1. Voir Somme
théol, III, q. 64, a. 5. Voir aussi a. 8, a. 9 et a. 10. Pour que le
sacrement soit effectivement conféré, le ministre doit avoir l'intention de le
donner ; mais son intégrité morale n'est pas requise.
2. 1 Co
4, 1. Voir ci-dessus n° 1595 et la note 2.
3. Cf. saint Jérôme, Liber interpretationis
hebraicorum nominum (Lag. 63, 10), CCL, vol. LXXII, p. 138. Thomas est
de forme araméenne et signifie jumeau, comme le grec didymos et
le latin geminus. En hébreu fhôm a le sens d'abîme, en
latin abyssus (cf. Gn 1, 2). Geminus est rapproché par assonance
de Jeminus, qui, dans plusieurs passages vétérotestamentaires,
correspond ŕ Benjamin. ThÉophylacte
interprčte l'étymologie jumeau comme indiquant que l'apôtre avait
une double pensée, donc qu'il hésitait, qu'il doutait (Enarr. in S. Ioannis.
In h. foc, PG 124, col. 299).
Le disciple est ensuite décrit par sa
dignité, UN DES DOUZE, c'est-ŕ-dire des douze Apôtres, non qu'alors ils aient
été douze, puisque Judas avait déjŕ péri5, mais parce qu'il avait été choisi pour
cette dignité que Dieu avait scellée du nombre douze - Il en choisit douze qu'il
appela Apôtres6. Et le Seigneur a toujours voulu que
ce nombre demeurât intčgre.
Enfin par la signification de son
nom, APPELÉ DIDYME. Thomas, en effet, est un nom syrien ou hébraďque qui a deux
significations : Ť jumeau ť et Ť abîme ť. Jumeau (geminus
en latin) se dit Didymus en grec et donc, parce que Jean écrivit son
Évangile en grec, il a écrit DIDYME. Et Thomas est appelé Ť jumeau ť
parce qu'il fut peut-ętre de la tribu de Benjamin dans laquelle certains, voire
męme tous, étaient appelés jumeaux. Ou bien cela peut se référer ŕ son doute,
car celui qui est certain se tient ferme d'un côté, mais celui qui doute
choisit un côté en ayant peur de l'autre1.
4. Ps 41,
8.
5. Cf. Mt
27, 5.
6. Lc 6,
13.
2547. Ce Thomas donc, N'ÉTAIT PAS AVEC EUX, ŕ savoir les disciples, QUAND
JÉSUS VINT : en effet, il revint plus tard que les autres qui étaient dispersés
durant le jour, et il perdit ainsi la consolation de la vision du Seigneur, la
bonne parole de la paix et le souffle de l'Esprit Saint. Nous apprenons par lŕ
que nous ne devons pas nous séparer de la communauté - Ne désertez pas notre assemblée, comme
certains en ont
la coutume2. Mais comme le dit Grégoire3, ce n'est pas arrivé par hasard, mais en vertu de la volonté divine,
qu'un disciple choisi fűt alors absent ; et ce fut selon l'économie de la
miséricorde divine, c'est-ŕ-dire pour que le disciple qui doutait, en palpant
les blessures de la chair de son maître, guérît en nous les blessures de
l'incroyance.
1. C'est
ainsi que saint Thomas distingue l'opinion, qui laisse dans le doute, de la foi
qui apporte la certitude. Cf. Somme théol, II-II, q. 1, a. 4, c.
2. He 10,
25. Saint Thomas commente : Ť La charité est un amour, or le propre de
l'amour est d'unir puisque, comme le dit Denys, l'amour est une force unitive -
Qu'ils soient un comme nous sommes un, (...) parce que tu les as aimés comme
tu m'as aimé (Jn 17, 22-23) -, c'est pourquoi se séparer les uns des autres
est directement l'opposé de la charité. Et c'est pourquoi [l'Apôtre] dit : Ne
désertez pas notre assemblée, ŕ savoir l'Église, que certains désertent de
trois façons. Premičrement ceux qui, ŕ cause des persécutions, apostasient. Et
ceux-lŕ sont signifiés par ceux dont Jean dit qu'ils se retirčrent et dčs
lors n'allaient plus avec lui (Jn 6, 67) - Que survienne une tribulation
ou des persécutions ŕ cause de la parole, aussitôt ils sont scandalisés (Mt
13, 21). - Ils croient pour un temps, et au temps de la tentation ils se
retirent (Le 8, 13). D'une seconde façon, les mauvais prélats qui
abandonnent les brebis dans le danger - Le mercenaire fuit parce qu'il est
mercenaire (Jn 10, 13). Mais d'autres désertent par l'orgueil car, alors
qu'ils pourraient ętre utiles pour guider, marqués par leur orgueil ils se
séparent des autres - Ils sont ceux qui se séparent des autres, ętres animés
n'ayant pas l'esprit (Jude 19) -, comme sous l'apparence d'une perfection
plus grande ť (Ad Heb. lect., X, n° 512).
3. XL hom. in Evang., II, hom. 26, 7, PL 76, col.
1201 C.
En cela apparaissent donc les signes
les plus éclatants de la trčs grande miséricorde de Dieu. Premičrement, parce
qu'il aime tellement le genre humain que parfois il permet que certaines
tribulations arrivent ŕ ses élus, afin que de lŕ en résulte un bien pour le
genre humain. C'est pour cela en effet qu'il a permis que les apôtres, les
prophčtes et les saints soient affligés - C'est pourquoi je les ai frappés par mes prophčtes,
je les ai tués par les paroles de ma bouche4. - Si nous sommes dans la
tribulation, c'est pour votre encouragement et votre salut ; si nous
sommes consolés, c'est pour votre consolation ; si nous sommes encouragés,
c'est pour votre encouragement et votre salut qui s'accomplit par la patience ŕ
supporter les męmes souffrances que nous supportons5.
Mais, et c'est plus admirable encore,
il permet qu'un saint tombe dans le péché pour nous instruire. Pourquoi, en
effet, a-t-il permis que des saints et des hommes justes aient gravement péché,
comme David, qui fut adultčre et homicide, si ce n'est pour que, instruits de
ces exemples, nous soyons plus prudents et plus humbles ? Afin que celui
qui estime tenir debout prenne garde de ne pas tomber et que celui qui est
tombé s'efforce de se relever. C'est pourquoi Ambroise disait ŕ l'empereur
Théodose : Ť Tu as suivi en errant, efforce-toi de poursuivre en faisant
pénitence6. ť Ainsi, comme le dit Grégoire7, l'incroyance de Thomas a été plus utile ŕ notre foi que la foi des
disciples croyants.
4. Os 6, 5.
5. 2 Co 1, 6.
6. Vita sancti AmbrosII, 24, PL 14, col. 35.
7. XL hom. in Evang., II, hom. 26, 7, PL 76, col.
1201 C.
II
LES AUTRES DISCIPLES LUI DIRENT DONC : Ť NOUS AVONS
VU LE SEIGNEUR. ť (20, 25)
2548. Parce que Thomas n'était pas venu aussitôt, LES AUTRES DISCIPLES LUI
DIRENT DONC : Ť NOUS AVONS VU LE SEIGNEUR. ť Et c'est bien selon
l'ordre de la sagesse divine (ordinatione divina), que ce que l'un a
reçu de Dieu, il le communique aux autres - Que chacun mette au service des
autres la grâce quil a reçue1. - Ce
que j'ai entendu du Seigneur des armées, du Dieu d'Israël, je vous l'ai annoncé2. -J'ai vu le Seigneur et j'ai eu la
vie sauve3.
III
MAIS LUI LEUR RÉPONDIT : Ť SI JE NE VOIS PAS DANS
SES MAINS LA MARQUE DES CLOUS, ET SI JE N'ENFONCE PAS MON DOIGT Ŕ L'ENDROIT DES
CLOUS, ET SI JE NE METS PAS MA MAIN DANS SON CÔTÉ, JE NE CROIRAI PAS. ť
(20, 25)
2549. Lŕ l'Évangéliste expose le doute obstiné de Thomas. Certes, Thomas
pourrait avoir été assez excusable de n'avoir pas cru tout de suite, car, comme
le dit l'Ecclésiastique, Celui qui croit trop facilement est léger de cur4. Mais tant investiguer, surtout lorsqu'il
s'agit des secrets de Dieu, relčve d'un esprit trčs grossier5 - De męme que celui qui mange beaucoup de miel ne s'en porte pas
bien, ainsi celui qui scrute la majesté sera écrasé par la gloire6. - Ne recherche pas ce qui est plus
élevé que toi et ne scrute pas ce qui est plus fort que toi. Mais médite
toujours ce que Dieu a prescrit et ne sois pas curieux au sujet de ses uvres7.
2550. Au sujet de Thomas, il faut considérer qu'il fut résistant8 dans sa foi et irréfléchi dans sa demande. Résistant, certes, car il
n'a voulu croire que grâce ŕ une preuve sensible, et pas seulement d'un seul
sens mais de deux : la vue - car SI JE NE VOIS PAS DANS SES MAINS LA MARQUE DES
CLOUS - et le toucher - ET SI JE NE METS PAS MA MAIN DANS SON CÔTÉ, JE NE
CROIRAI PAS. Et il manque vraiment de réflexion, car il demandait ŕ voir les
blessures pour confirmer sa foi, alors qu'il voyait plus, ŕ savoir le relčvement
de tout l'homme ressuscité.
Et bien que Thomas ait dit cela ŕ cause de son doute, cela advint cependant de maničre divine pour notre utilité et notre édification. Il est certain, en effet, que celui qui refit pleinement l'homme en ressuscitant aurait pu aussi faire disparaître les cicatrices des blessures ; mais celles-ci ont été gardées pour notre utilité.
2551. On traite ici de la seconde apparition du Seigneur, oů il apparut ŕ
tous les disciples, Thomas étant présent. L'Évangéliste montre d'abord
l'apparition du Christ, puis la confirmation accordée au disciple [n°
2555] ; enfin est récapitulé tout ce qui a été dit dans l'Évangile [n°
2567].
1. 1 P 4, 10.
2. Is 21, 10.
3. Gn 32, 30.
4. Si 19, 4.
5. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 1, PG 59, col. 473.
6. Pr 25,
27.
7. Si 3,
22.
8. Ť Résistant ť traduit durus. Ce mot a donc ici un sens négatif.
ET HUIT JOURS APRČS, SES DISCIPLES ÉTAIENT ENCORE Ŕ
L'INTÉRIEUR, ET THOMAS AVEC EUX. JÉSUS VINT, LES PORTES ÉTANT CLOSES, ET IL SE
TINT AU MILIEU D'EUX ET LEUR DIT : Ť PAIX Ŕ VOUS. ť (20, 26)
Au sujet du premier point,
l'Évangéliste fait trois choses : il décrit le moment de l'apparition, puis les
personnes auxquelles le Christ apparut [n° 2553], enfin il montre le mode de
l'apparition [n° 2554].
2552. Il indique d'abord le moment : HUIT JOURS APRČS, c'est-ŕ-dire aprčs le
jour de la Résurrection du Seigneur, oů eut lieu, le soir, la premičre apparition.
Ŕ cela, il y a une premičre raison littérale : l'Évangéliste veut montrer que,
bien que le Christ soit apparu plusieurs fois ŕ ses disciples, il ne vivait
cependant pas avec eux de façon continue, puisqu'il n'était pas ressuscité pour
le męme mode de vie, de męme que nous non plus nous ne ressusciterons pas pour
la męme vie - Pendant tous les jours oů je combats maintenant, j'attends que
mon changement survienne1. Et c'est encore pour que Thomas,
entendant entre-temps les disciples parler de l'apparition précédente, soit
enflammé d'un plus grand désir et devienne plus fidčle ŕ l'avenir2.
Une autre raison, mystique, est que
cette apparition
signifie celle par laquelle le Christ nous apparaîtra dans la gloire - Lorsqu'il apparaîtra, nous
serons semblables ŕ lui car nous le verrons tel qu'il est3. Et assurément cette apparition aura lieu au
huitičme âge de ceux qui ressuscitent4.
1. Jb 14,
14. Saint Thomas commente : Ť II avait comparé précédemment la vie de
l'homme sur terre ŕ un service militaire et aux journées d'un mercenaire, car
le soldat comme le mercenaire attendent autre chose au terme de leur service. Et
donc, de męme que plus haut il a exprimé l'état du ressuscité par le jour
auquel aspire le mercenaire, ainsi maintenant il exprime la męme chose sous
l'image du soldat. Et notons qu'il n'attend pas une fin qu'il aurait désirée
quelques jours de sa vie ; car tous les jours de sa vie, il les assimile
au temps du service militaire en disant : Pendant tous les jours oů je
combats maintenant. En outre, il faut noter que l'homme n'attend pas une
autre vie semblable ŕ celle-ci ; car alors elle serait aussi un service
militaire, mais il attend une vie oů il ne milite plus, mais oů il triomphe et
rčgne, et donc il dit : J'attends que mon changement survienne, comme
s'il disait : En toute cette vie je milite, sujet aux mutations, aux labeurs et
aux angoisses. Et de ce renouveau l'Apôtre dit : Nous ressusciterons
tous mais nous ne serons pas tous changés (1 Co 15,
51) ť (Exp. super lob, 14, 14, p. 93, 1. 177-195).
2. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 1, PG 59, col. 473.
SES DISCIPLES ÉTAIENT ENCORE Ŕ L'INTÉRIEUR, ET THOMAS
AVEC EUX.
2553. L'Évangéliste montre ensuite ceux auxquels le Christ est apparu. Notons
ici que seul Thomas avait besoin de cette apparition ; cependant, ce n'est
pas ŕ lui en particulier (singulanter) que le Seigneur est apparu, mais
ŕ lui en tant qu'il appartenait ŕ la communauté, pour signifier que les
singularités ne sont pas tellement agréées par Dieu, mais plutôt ceux qui
demeurent dans la communion de la charité - Lŕ oů deux ou trois sont
rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux5. Et de męme que ceux ŕ qui il
apparaît maintenant n'ont pas été rassemblés en męme temps6, ainsi lors de cette apparition tous n'étaient pas ensemble. Mais dans
l'apparition future, tous seront présents, de sorte qu'aucun ne manquera - Lŕ
oů se trouve le corps, lŕ aussi se rassembleront les aigles1. Il enverra ses anges avec
trompette et grande voiX) et ils rassembleront les élus des quatre vents d'une
extrémité des deux ŕ lautre2.
3. 1 Jn
3, 2.
4. Le
huitičme âge représente l'âge éternel, celui de notre résurrection pour la vie
éternelle, dont le Christ nous a ouvert le chemin en y entrant le premier par
sa résurrection (le huitičme jour). Citons saint Augustin : Ť Pourquoi
donc au huitičme jour ? Parce que dans la semaine, le premier jour est le
męme que le huitičme. En effet, les sept jours étant achevés, on revient au
premier. Le septičme se finit avec la sépulture du Seigneur, et on revient au
premier avec la résurrection du Seigneur. La résurrection du Seigneur nous a en
effet promis un jour éternel et a consacré pour nous le jour du Seigneur ť
(Serm. de Scr., 169, II, 3, PL 38, col. 916). Et : Ť Le septičme
âge sera notre sabbat, et ce sabbat n'aura pas de soir, mais il sera le jour du
Seigneur et, pour ainsi dire, un huitičme jour éternel : car le dimanche,
consacré par la résurrection du Christ, préfigure l'éternel repos de l'esprit
et du corps. Lŕ, nous nous reposerons et nous verrons ; nous verrons et
nous aimerons ; nous aimerons et nous louerons. Voilŕ ce qui sera ŕ la
fin, sans fin. Car quelle autre fin avons-nous, sinon de parvenir au royaume
qui n'aura pas de fin ? ť (La Cité de Dieu, XXII, XXX, 5, BA
37, p. 717-719).
5. Mt 18,
20.
6. Il
s'agit ici de l'appel des disciples. Cf. Jn 1, 35 sq. ; Mt 4, 18 sq. ; Mc 1, 16
sq. ; Lc 5, 1 sq.
JÉSUS VINT, LES PORTES ÉTANT CLOSES, ET IL SE TINT AU
MILIEU D'EUX ET LEUR DIT : Ť PAIX Ŕ VOUS. ť
2554. L'Évangéliste rapporte ensuite le mode de l'apparition, ce qu'on a exposé plus haut3. Néanmoins, il mentionne ici trois choses ŕ ce sujet. Premičrement, il mentionne la maničre dont il vient LES PORTES ÉTANT CLOSES, ce qui se produisit de maničre miraculeuse, comme le dit Augustin4, en vertu de cette puissance grâce ŕ laquelle il a marché ŕ pied sec sur la mer5. Ensuite la maničre dont il s'est tenu, AU MILIEU, pour ętre vu de tous ; de fait, il convenait qu'il se tînt au milieu6. Enfin la maničre dont il leur parla : Ť PAIX Ŕ VOUS ť, ŕ savoir la paix7 de la réconciliation, qu'il annonça comme désormais accomplie ŕ l'égard de Dieu - Nous sommes réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils 8. - Faisant la paix par le sang de sa Croix, aussi bien dans les deux que sur la terre9. Paix aussi de l'éternité et de l'immortalité ŕ venir dont il leur promit la possession - Lui qui a établi sur tes confins^ ceux de la Jérusalem céleste, la paix 10. Paix enfin de la charité et de l'unité qu'il leur a commandé de garder - Ayez la paix entre vous11.
2555. On voit ici que le disciple qui doutait est affermi et de nouveau
appelé ; il apparaît, par ce signe de la miséricorde divine, que le
Seigneur vient aussitôt au secours de ses élus dans le malheur, bien que tous
tombent. Les élus, en effet, tombent parfois, comme aussi les réprouvés, mais
de maničre différente, car les réprouvés se brisent ; mais aux élus le
Seigneur tend aussitôt la main afin qu'ils se relčvent - Lorsque tombe le
juste il ne se brisera pas car le Seigneur lui tient la main 12. - Si je disais : Ť Mon pied est ébranlé ť, ta
miséricorde, Seigneur, me soutenait13. Et donc le Seigneur tend aussitôt la main ŕ Thomas qui a trébuché, si
bien que, alors que celui-ci disait : Si je ne vois pas, je ne croirai pas, il
le rappelle en disant : Mets ton doigt lŕ.
Trois choses sont rapportées ŕ ce
propos : la présentation des cicatrices, la confession de Thomas [n° 2562] et
le reproche au sujet de sa lenteur ŕ croire [n° 2563].
1. Mt 24,
28. Voir ci-dessus, n° 1862, note 7.
2. Mt 24,
31.
3. Cf. nos 2526, 2531, 2532.
4. Sermo
CCXLVU in diebus paschalibus, in : Sermones de Tempore, PL 38, col. 1157.
5. Cf. Mt
14, 25 ; Me 6, 48 ; Jn 6, 19.
6. Cf. ci-dessus,
nos 2417 et
2531.
7. Sur la
paix, voir ci-dessus, nus 1961-1964 et 2174.
8. Rm 5, 10.
9. Col 1, 20.
10. Ps 147, 14.
11. Mc 9, 49.
12. Ps 36, 24.
13. Ps
93, 18.
Ι
PUIS IL DIT Ŕ THOMAS : Ť METS TON DOIGT LŔ ET VOIS
MES MAINS ; APPROCHE TA MAIN ET METS-LA DANS MON CÔTÉ, ET NE SOIS PAS
INCRÉDULE MAIS CROYANT. ť (20, 27)
2556. Il faut d'abord, ici, noter que Thomas a posé des conditions pour
croire, ŕ savoir voir et palper les cicatrices, comme il a été dit ; et si
cela lui advenait, il promettait de croire. C'est pourquoi, comme il disait
cela, le Seigneur, se tenant lŕ par la présence de sa divinité, le rappelle ŕ
lui en tenant compte de ses conditions. Le Seigneur effectue la condition, puis
demande l'accomplissement de la promesse de Thomas [n° 2561].
METS TON DOIGT LŔ.
2557. La condition en effet était de pouvoir palper les cicatrices. Mais ici
surgit un doute : parce qu'aucun défaut ne peut se trouver dans les corps
glorieux et que les cicatrices sont des défauts, comment donc y eut-il des
cicatrices dans le corps du Christ ?
Augustin répond en disant : Ť Le
Seigneur pouvait, s'il le voulait, faire disparaître toute marque de cicatrice
du corps ressuscité et glorifié, mais il savait pourquoi il laissait les
cicatrices dans son corps. D'abord pour les montrer ŕ Thomas qui ne croirait
pas s'il ne les touchait et voyait, ensuite pour blâmer les infidčles et les
pécheurs lors du jugement ; non pas pour leur dire comme ŕ Thomas : Parce
que tu m'as vu tu as cru, mais pour les confondre en disant : Voici l'homme
que vous avez crucifié ; vous voyez les blessures que vous lui avez
infligées, vous reconnaissez le côté que vous avez transpercé, puisque c'est
par vous et pour vous qu'il a été ouvert et que cependant vous n'avez pas voulu
entrer. ť1
2558. Ŕ la suite de cela on se demande aussi si les traces des blessures
demeurent dans les corps des martyrs. Mais Augustin répond également ŕ cela
dans La Cité de Dieu, en disant qu'elles demeureront non pour la laideur
mais pour une beauté sans mesure : Ť Car il y aura en elles non de la
laideur, mais de la dignité ; et une beauté, non la beauté du corps bien
qu'elle soit dans un corps, mais la beauté de la vertu, rayonnera en elles. Si
des membres ont été amputés ou arrachés aux martyrs, il ne s'ensuivra cependant
pas qu'ils en seront privés ŕ la résurrection des morts, eux ŕ qui a été dit : Aucun
cheveu de votre tęte ne périra2. Mais des cicatrices seront visibles
aux endroits oů les membres, pour ętre détachés, ont été frappés ou
coupés ; ces membres eux-męmes ne se trouveront pourtant pas perdus, mais
restitués3. ť
2559. Mais, selon Grégoire4, puisqu'il n'est pas possible de
palper ce qui est incorruptible, comment le Seigneur a-t-il présenté son corps
incorruptible pour qu'on puisse le palper ? - Le Christ ressuscité des
morts ne meurt plus5. C'est pourquoi, troublé par cette
raison, l'hérétique Eutychčs a dit que le corps du Christ et les corps de tous
les hommes ressuscites ne seront pas palpables, mais subtils et spirituels6 ŕ la maničre du vent et des esprits.
Mais cela va contre ce que dit le
Seigneur : Touchez-moi et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os7 ; et le Seigneur a donc manifesté qu'il était
incorruptible et palpable pour montrer qu'aprčs la Résurrection son corps était
de męme nature, qu'il avait été corruptible et qu'il avait revętu
l'incorruptibilité8, et qu'il était d'une gloire autre,
car ce qui avait été laid et ignominieux ressuscita dans la gloire, avec une
subtilité due ŕ l'effet d'une puissance spirituelle.
2560. Mais il ajoute : VOIS MES MAINS qui furent suspendues sur la croix ET
METS-LA [ta main] DANS MON CÔTÉ, transpercé par la lance, et reconnais que je
suis celui-lŕ męme qui fut suspendu ŕ la croix. Au sens mystique, par le doigt
est signifié le discernement, et par la main, notre uvre. Le Seigneur nous
exhorte donc ŕ mettre dans son côté et le doigt et la main, afin que tout ce
que nous pouvons avoir comme discernement et comme uvre, nous le dépensions au
service du Christ - Pour
moi, que jamais je ne me glorifie si ce n'est dans la Croix de notre Seigneur
Jésus Christ1.
1. Pseudo-Augustin,
Sermo de Symbolo ad Catechumenos, VIII, 16, PL 40, col. 647.
2. Ac 27,
34. Cf. Mt 10, 30 ; Lc 12, 7.
3. La
Cité de Dieu, XXII, XIX, 3, BA 37, p. 635.
4. Morales
sur Job, XIV, LVI, 72, SC 212, p. 435.
5. Rm 6,
9.
6. Voir
ci-dessus, n" 2527 et note 11.
7. Le 24,
39.
8. Cf. 1
Co 15, 53.
2561. Et il lui demande de tenir sa promesse en disant : ET NE SOIS PAS
INCRÉDULE MAIS CROYANT - Sois fidčle jusqu'ŕ la mort2.
II
THOMAS
RÉPONDIT ET LUI DIT : Ť MON SEIGNEUR ET MON DIEU. ť (20, 28)
2562. Il apparaît ici que Thomas devint aussitôt un bon théologien en
confessant la vraie foi, car il a confessé l'humanité du Christ en disant
Ť MON SEIGNEUR ť. C'est ainsi en effet qu'ils l'appelaient avant la
Passion - Vous m'appelez Seigneur et Maître3. Et il a aussi confessé sa divinité
en disant : Ť MON DIEU ť4. Auparavant, en effet, ils ne
l'appelaient pas Dieu, si ce n'est quand Pierre a dit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant5. - Celui-ci est le vrai Dieu et la
vie éternelle6.
- Tu es mon Dieu et je te confesse7.
1. Ga 6,
14. Saint Thomas commente : Ť II [l'Apôtre] ne se glorifie en rien sinon
dans le Christ, et principalement dans la Croix du Christ, et cela parce qu'en
elle se trouvent toutes les choses dont les hommes ont coutume de se glorifier.
En effet, certains se glorifient de l'amitié des grands (par exemple des rois
ou des princes), et cela l'Apôtre le trouve au plus haut point dans la Croix,
puisque lŕ est montré le signe évident de l'amitié divine - Dieu prouve
ainsi sa charité envers nous : le Christ, alors que nous étions
encore pécheurs, est mort pour nous (Rm 5, 8). Car
rien ne montre son amour (caritatem) pour nous autant que la mort du
Christ. Aussi Grégoire dit-il : "Ô inestimable dilection de la
charité ! Pour racheter l'esclave, tu as livré le Fils". De męme
certains se glorifient de la science. Et l'Apôtre trouve la science la plus
excellente dans la Croix - En effet je n'ai rien
estimé savoir parmi vous sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié (1 Co 2,
2). Car dans la Croix est la perfection de toute la Loi, et tout l'art de bien
vivre. De męme certains se glorifient de la puissance. Et l'Apôtre a la plus
grande puissance par la Croix - Le langage de la
Croix est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui se sauvent, pour
nous, il est puissance de Dieu (1 Co 1, 18). De męme certains
se glorifient de la liberté [qu'ils ont] acquise. Et celle-lŕ l'Apôtre
l'obtient par la Croix - Notre vieil homme est crucifié, (...) pour que nous
ne servions plus ensuite le péché (Rm 6, 6). De męme certains se glorifient
dans le signe triomphal de la victoire. Mais la Croix est le signe triomphal de
la victoire du Christ contre les démons - Dépouillant les principautés
et les puissances, il les a traînées hardiment, les soumettant ouvertement (Col
2, 15). - Béni le bois par lequel se fait la justice (Sg 14, 7) ť (Ad
Gai. lect., VI, n° 371).
2. Ap 2,
10.
III
JÉSUS
LUI DIT : Ť PARCE QUE TU M'AS VU, THOMAS, TU AS CRU. HEUREUX CEUX QUI
N'ONT PAS VU ET QUI ONT CRU. ť (20, 29)
2563. Mais le Seigneur reproche ŕ Thomas sa lenteur en disant : PARCE QUE TU
M'AS VU, THOMAS, TU AS CRU. Il lui reproche d'abord sa lenteur, puis il met en
lumičre la promptitude des autres ŕ croire [n° 2566].
2564. Il lui dit donc : PARCE QUE TU M'AS VU. Il y a ici un doute8 car, puisque la foi est la substance des réalités qu'on espčre, l'argument de ce qui
n'est pas évident9, comme le dit l'épître aux Hébreux, comment le
Seigneur peut-il dire : PARCE QUE TU M'AS VU, TU AS CRU ? Mais il faut
dire qu'il a vu une chose et en a cru une autre 10. Il a vu l'homme et les cicatrices
et, ŕ partir de lŕ, il a cru ŕ la divinité du Christ ressuscité.
2565. Il y a un autre doute, car ŕ Thomas qui avait demandé : Si je ne
vois pas et ne touche pas, le Seigneur a accordé ces deux choses, le
toucher et la vision. Il aurait donc dű dire : parce que tu m'as vu et touché,
tu as cru.
3. Jn 13, 13.
4. Cf. Theophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 302 A.
5. Mt 16, 16.
6. 1 Jn 5, 20.
7. Ps 117, 28.
8. Saint Thomas reprend la remarque de saint
Grégoire le Grand, XL hom. in Évang., II, hom. 26, 8, PL 76, col.
1202 A.
9. He 11,
1.
10. Voir
ci-dessus, n" 2489.
Je réponds en disant que, selon
Augustin1, nous nous
servons de la vision pour désigner n'importe quel sens. Nous disons en effet :
Ť Vois ť comme c'est chaud, comme cela retentit, Ť vois ť
le goűt de ceci, Ť vois ť comme cela fait ma1. Jésus dit donc : METS
TON DOIGT LŔ ET VOIS, non pas que la vision se trouve dans le doigt, mais pour
dire : Touche et expérimente ; de męme PARCE QUE TU M'AS VU, c'est-ŕ-dire
parce que tu as eu une expérience de moi aussi par le toucher2.
Ou bien disons qu'en voyant les
blessures et les cicatrices, Thomas a été confondu en lui-męme et, avant de
mettre le doigt, il crut et dit : Ť MON SEIGNEUR ET MON DIEU. ť
Cependant, Grégoire3 dit qu'il a touché et que, en
voyant, il a confessé.
2566. En disant ensuite HEUREUX CEUX QUI N'ONT PAS VU ET QUI ONT CRU, le Christ met en lumičre la promptitude avec laquelle les autres ont cru ; et cela nous concerne spécialement, car il utilise le passé ŕ la place du futur ŕ cause de la certitude4. Contrairement ŕ cela il y a ce verset de saint Luc : Bienheureux les yeux qui voient ce que vous voyez5. Donc ceux qui ont vu sont davantage bienheureux que ceux qui n'ont pas vu. Lŕ je réponds qu'il y a deux béatitudes. La premičre béatitude regarde une réalité qui consiste en un don divin qui, plus il est donné, plus il rend bienheureux ; de ce point de vue, bienheureux sont les yeux qui voient, car c'est un don de la grâce. L'autre béatitude, celle de l'espérance, réside dans le mérite ; de cet autre point de vue, celui-lŕ est d'autant plus heureux qu'il peut mériter davantage. En effet, celui qui croit et ne voit pas mérite davantage que celui qui voit et croit.
2567. L'Évangéliste donne ici l'épilogue : il souligne d'abord l'insuffisance
de ce qu'il a écrit, puis en montre l'utilité [n° 2568].
1. Tract, in Io., CXXI, 5, BA 75, p. 365.
2. Saint
Thomas, lŕ encore, est bien le disciple d'Aristote, qui lie l'expérience au
sens du toucher et montre qu'il est le sens de la vie, nécessaire pour sa
conservation : Ť II est nécessaire que ce soit le seul sens dont la
privation entraîne chez les animaux la cessation de la vie ť (De l'âme,
III, 13, 435 b 4). Ť C'est par le toucher que la vie se définit ť
(loc. cit., b 16), et il se trouve d'une maničre excellente dans l'homme
: Ť En ce qui concerne le toucher, [l'homme] possčde une finesse trčs
supérieure ŕ celle des autres animaux, ce qui justifie qu'il soit le plus
prudent d'entre eux ť (op. cit., II, 9, 421 a 20-23). Aussi
l'expérience du réel existant, l'expérience au sens fort, qui se distingue de
l'expérience purement interne, affectionne le sens du toucher qui permet un
contact plus immédiat et plus intime avec la réalité existante, et ainsi un éveil
plus profond de l'intelligence prudentielle et sapientiale. Aristote ne le dit
pas plus explicitement, mais toute sa philosophie fondée sur l'expérience le
montre. Et on voit bien ici le réalisme de la foi qui va assumer le réalisme de
l'intelligence en l'utilisant comme une disposition : Thomas, en touchant
sensiblement les blessures du Christ, réveille son intelligence puis, porté par
le regard et l'amour du Christ, pose un acte de foi.
3. XL hom. in Evang., II, hom. 26, 8, PL 76, col.
1201 D-1202 A.
4. Saint
Augustin voyait dans ce qu'on appellerait aujourd'hui un Ť parfait
prophétique ť le signe que Jésus connaissait le futur selon la
prédestination divine (Tract, in Io., CXXI, 5, BA 75, p. 367).
5. Le 10,
23.
JÉSUS A
FAIT ENCORE EN PRÉSENCE DE SES DISCIPLES BEAUCOUP D'AUTRES SIGNES QUI NE SONT
PAS ÉCRITS DANS CE LIVRE. (20, 30)
L'insuffisance du livre apparaît en
ceci, que JÉSUS A FAIT ENCORE (...) BEAUCOUP D'AUTRES SIGNES QUI NE SONT PAS
ÉCRITS DANS CE LIVRE - Si c'est avec peine que nous avons entendu une petite
goutte de ses paroles, qui pourra contempler l'éclat du tonnerre de sa
grandeur ?6 - Beaucoup de choses cachées sont
plus grandes que celles-ci, car nous voyons peu de ses uvres7. Selon Chrysostome8, si Jean dit cela, c'est parce qu'il
raconte moins de miracles que les autres évangélistes. Donc, ne voulant pas
paraître les nier, il dit cela et ajoute de maničre spéciale : QUI NE SONT PAS
ÉCRITS DANS CE LIVRE.
6. Jb 26, 14.
7. Si 43,
36.
8. In Ioannem hom., LXXXVII, 1, PG 59, col. 474.
Saint Jean Chrysostome insiste aussi sur le fait que les signes
non rapportés par Jean appartiennent ŕ la période des apparitions du Ressuscité.
Ou bien ceci se rapporte ŕ la Passion
et ŕ la Résurrection, comme s'il disait : aprčs ętre ressuscité, il a fait
beaucoup de choses devant ses disciples, pour montrer sa Résurrection, qu'il
n'a pas montrées aux autres
- Il lui a donné de se manifester non ŕ tout le peuple, mais aux témoins
choisis d'avance par Dieu1.
MAIS
CEUX-CI ONT ÉTÉ ÉCRITS AFIN QUE VOUS CROYIEZ QUE JÉSUS, LE CHRIST, EST LE FILS
DE DIEU, ET AFIN QUE, CROYANT, VOUS AYEZ LA VIE EN SON NOM. (20, 31)
2568. Puis il mentionne l'utilité du livre dont l'effet est la foi. Ŕ cela,
en effet, est ordonnée toute l'Écriture du Nouveau et de l'Ancien Testament - En
tęte du livre il est
écrit de moi2.
- Vous scrutez les Écritures (...) et ce sont elles qui rendent témoignage de
moi3. Le fruit de ce livre est la vie : AFIN QUE,
CROYANT, VOUS AYEZ LA VIE, ici-bas la vie de justice que l'on a par la foi - Mon
juste vivra par la foi4 -, et dans le monde futur la vie de
la vision5 que l'on aura dans la gloire, EN SON
NOM, ŕ savoir le nom du Christ - II n'y a pas d'autre nom sous le ciel par
lequel nous puissions ętre sauvés6.
1. Ac 10,
40-41.
2. Ps 39,
8. Saint Thomas commente : Ť Le livre, c'est le Christ.
Le livre,
c'est l'instrument dans lequel sont écrits les projets (conceptiones) du
cur ; mais dans le Christ sont les projets de l'intelligence divine - En
lui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés (Col 2, 3).
La tęte du livre est Dieu le Pčre - La Tęte du Christ [est] Dieu (1 Co
11, 3). Donc en tęte du livre, c'est-ŕ-dire dans la volonté de Dieu le
Pčre, il est écrit, ŕ savoir prescrit "ŕ mon sujet", que je
viendrai. Ou bien autrement : il s'agit du livre de la prédestination qui est
le livre de vie - Qu'ils soient effacés du livre de vie (Ps 68, 29),
c'est-ŕ-dire des vivants. Dans ce livre sont inscrits tous ceux qui doivent
ętre sauvés, mais selon un ordre : car en tęte de ce livre il est écrit
"Sauveur", et tous sont inscrits par lui - Il les a prédestinés ŕ ętre
conformes ŕ l'image de son Fils, afin qu'il fűt lui-męme le premier-né entre
beaucoup de frčres (Rm 8, 29). - Il
nous a élus en lui avant la fondation
du monde, afin que nous soyons saints et sans tache en sa présence dans la
charité (Ép 1, 4) -, autrement dit : le Christ n'est pas inscrit
comme les autres mais en tęte du livre ť (Exp. in Psalmos, 39, n°
4). 3. Jn 5, 39.
4. Ha 2,
4.
5. Voir
vol. I, n° 1145 et note 10.
6. Ac 4,
12.
LA TROISIČME APPARITION DU CHRIST Ŕ SES DISCIPLES
Évangile
selon saint Jean Chapitre XXI
1 Aprčs
cela, Jésus se manifesta de nouveau ŕ l'ensemble de ses disciples prčs de la
mer de Tiberiade. Or il se manifesta ainsi. 2 Simon-Pierre, Thomas appelé
Didyme, Nathanael qui était de Cana en Galilée, et les fils de Zébédée, ainsi
que deux autres de ses disciples, se trouvaient ensemble. 3 Simon-Pierre leur
dit : Ť Je vais pęcher. ť Ils lui disent : Ť Nous aussi nous venons
avec toi. ť Et ils sortirent et montčrent dans la barque, et cette nuit-lŕ ils
ne prirent rien. 4 Or, le matin venu, Jésus se tint sur le rivage, mais ses
disciples ne connurent pas que c'était Jésus. 5 Jésus leur dit donc : Ť Les
enfants, avez-vous quelque chose ŕ manger ? ť Ils lui répondirent :
Ť Non. ť 6 II leur dit : Ť Lâchez le filet ŕ droite de la barque et
vous trouverez. ť Ils le lâchčrent donc et ils n'avaient plus la force de le
remonter ŕ cause de la multitude de poissons.
7 Alors
le disciple que Jésus aimait dit ŕ Pierre : Ť C'est le
Seigneur ! ť Simon-Pierre, ayant entendu Ť C'est le
Seigneur ť, noua sa tunique ŕ la ceinture, car il était nu, et se jeta ŕ
la mer. 8 Quant aux autres, ils vinrent avec la barque, car ils n'étaient pas
loin de la terre mais ŕ environ deux cents coudées, en tirant le filet plein de
poissons.
9 Une
fois descendus ŕ terre, ils virent des braises disposées et, posés dessus, du
poisson et du pain. 10 Jésus leur dit : Ť Apportez de ces poissons que
vous venez de prendre. ť 11 Simon-Pierre monta dans la barque et tira ŕ terre
le filet, plein de cent cinquante-trois gros poissons ; et, bien qu'il y
en eűt autant, le filet ne se déchira pas. 12 Jésus leur dit : Ť Venez,
mangez ! ť Et aucun de ceux qui prenaient part au repas n'osait lui
demander : Ť Toi, qui es-tu ? ť, sachant qu'il est le Seigneur. 13
Et Jésus vient, il prend le pain et le leur donne, et de męme le poisson. 14
C'était déjŕ la troisičme fois que Jésus se manifestait ŕ ses disciples aprčs
s'ętre relevé d'entre les morts.
15
Quand ils eurent pris le repas, Jésus dit ŕ Simon-Pierre : Ť Simon, fils
de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci ? ť II lui dit : Ť Mais
oui, Seigneur, toi tu sais que je t'aime ! ť II lui dit : Ť Pais
mes agneaux. ť 16 II lui dit de nouveau : Ť Simon, fils de Jean,
m'aimes-tu ? ť II lui dit : Ť Mais oui, Seigneur, toi tu sais
que je t'aime ! ť II lui dit encore : Ť Pais mes agneaux. ť 17
II lui dit une troisičme fois : Ť Simon, fils de Jean,
m'aimes-tu ? ť Pierre fut contristé de ce qu'il lui eűt demandé une
troisičme fois : Ť M'aimes-tu ? ť et il lui dit :
Ť Seigneur, toi tu sais tout, tu sais que je t'aime ! ť II lui
dit : Ť Pais mes brebis. 18 En vérité, en vérité, je te le dis, lorsque tu
étais plus jeune, tu mettais toi-męme ta ceinture et tu allais oů tu voulais. Quand
tu auras vieilli, tu étendras tes mains et un autre te ceindra et t'emmčnera lŕ
oů tu ne veux pas. ť 19 Or il dit cela pour signifier par quelle mort il
glorifierait Dieu. Aprčs avoir dit cela, il lui dit :
Ť Suis-moi ! ť 20 S'étant retourné, Pierre vit que le disciple
que Jésus aimait les suivait - celui qui ŕ la Cčne reposa sur sa poitrine et
dit : Ť Seigneur, qui est celui qui te livrera ? ť 21 L'ayant
donc vu, Pierre dit ŕ Jésus : Ť Et de lui, Seigneur, qu'en
sera-t-il ? ť 22 Jésus lui dit : Ť Si je veux qu'il demeure
jusqu'ŕ ce que je vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi ! ť 23
Le bruit se répandit donc parmi les frčres que ce disciple ne mourrait pas. Or
Jésus ne lui a pas dit : Ť II ne mourra pas ť, mais : Ť Si je
veux qu'il demeure jusqu'ŕ ce que je vienne, que t'importe ? ť
24
C'est ce disciple-lŕ qui témoigne de ces choses et les a mises par écrit, et
nous savons que son témoignage est vrai. 25 Mais il y a encore beaucoup
d'autres choses que Jésus a faites, et s'il fallait les mettre par écrit une
par une, je ne pense pas que le monde lui-męme pourrait contenir les livres
qu'il faudrait écrire.
2569. Ayant relaté les deux premičres apparitions du Christ ŕ ses disciples,
l'Évangéliste rapporte ici la troisičme apparition.
Et si nous regardons bien l'ordre et
la fin de ces apparitions, il apparaît que, dans la premičre, il manifeste
l'autorité de sa divinité en leur insufflant l'Esprit Saint ; dans la
seconde, il révčle l'identité de sa personne en leur montrant ses
cicatrices ; dans la troisičme, il manifeste la vérité de sa Résurrection
en mangeant avec eux.
Cette derničre partie se divise en
deux ; en premier lieu l'Évangéliste montre ce que le Seigneur révéla de
maničre générale ŕ plusieurs de ses disciples, puis en second lieu ce qu'il
confia en particulier aux deux disciples qu'il aimait d'un amour de
prédilection [n° 2614].
CE QUE LE CHRIST RÉVÉLA DE MANIČRE GÉNÉRALE Ŕ SES DISCIPLES
Concernant cette premičre partie, il présente d'abord l'apparition elle-męme, puis rapporte la maničre dont elle se déroula [n° 2574], et enfin il donne une conclusion [n° 2613].
APRČS
CELA, JÉSUS SE MANIFESTA DE NOUVEAU Ŕ L'ENSEMBLE DE SES DISCIPLES PRČS DE LA MER
DE TIBÉRIADE. OR IL SE MANIFESTA AINSI (21,1)
Il présente l'apparition sous trois aspects : le moment, le mode [n° 2572] et le lieu de l'apparition [n° 2573].
2570. Le moment, en effet, puisque l'Évangéliste dit APRČS CELA (postea), c'est-ŕ-dire
aprčs les événements déjŕ rapportés. Et il le dit ŕ dessein parce que, comme
nous l'avons dit, le Christ ne se trouvait pas continuellement avec ses
disciples mais leur apparaissait ŕ certains moments. La raison en est qu'il
n'était pas ressuscité pour la męme vie mais pour la vie glorieuse, celle oů
sont les anges et oů seront les bienheureux - Excepté les dieux, c'est-ŕ-dire
les anges, qui ne vivent pas avec les hommes1.
2571. Mais pourquoi l'Évangéliste ajoute-t-il ici ce récit aprčs avoir plus haut donné une conclusion en disant : Ces choses ont été écrites2 ? Ŕ cela Augustin3 attribue une raison mystique : par cette apparition est signifiée la gloire de la vie ŕ venir, oů [le Christ] nous apparaîtra tel qu'il est4. C'est pourquoi il a placé cette [apparition] aprčs la fin, pour rendre plus évident le lieu oů [le Christ] donnerait ŕ percevoir cette [gloire].
JÉSUS
SE MANIFESTA DE NOUVEAU.
2572. La maničre dont Jésus apparut nous est donnée ici. C'est en effet le propre d'un corps glorieux5, dans sa nature et sa puissance, de pouvoir comme il le veut se rendre visible et invisible ŕ un corps non glorieux. C'est pourquoi il est dit : JÉSUS SE MANIFESTA, c'est-ŕ-dire se rendit visible. On appelle encore cela Ť apparaître ť ou, ce qui revient au męme, Ť se manifester ť, comme on le lit dans les Actes des Apôtres : leur apparaissant pendant quarante jours6. Car, comme le dit Ambroise 7, apparaît celui qui a le pouvoir d'ętre visible et invisible.
2573. L'Évangéliste mentionne le lieu de l'apparition, PRČS DE LA MER DE
TIBÉRIADE, qui est la mer de Galilée, nommée ainsi ŕ cause de la province de
Galilée, mais appelée aussi de Tibériade en raison de la cité édifiée en
l'honneur de Tibčre César. En précisant cela, l'Évangéliste veut d'abord
indiquer que la promesse faite aux disciples - Il vous précédera en Galilée8 - a été
accomplie ; et encore, que le Seigneur avait bien chassé du cur de ses
disciples la crainte, afin qu'ils ne demeurent plus désormais enfermés dans
leur maison mais avancent au loin, jusqu'ŕ la Galilée9.
1. Dn
2,11. Quorum conversatio non est cum hominibus. Sur le sens du mot conversatio,
voir vol. I, n° 1176, note 3, n° 1374, note
13, et n° 1584, note 2.
2. Jn 20, 31.
3. Tract, in Io., CXXII, 1, BA 75, p. 369.
4. Cf. 1
Jn 3, 2.
5. Sur la
propriété des corps glorieux, voir ci-dessus, n° 2527 et note 11.
6. Ac 1,
3.
7. Nous
n'avons pu trouver l'origine de cette citation, qui n'est sans doute pas de
saint Ambroise.
8. Mt 28,
7. Saint Thomas commente : Ť Au sens mystique, Galilée signifie transmigratio
et peut signifier le passage vers les paďens. C'est pourquoi vous le
verrez en Galilée, c'est-ŕ-dire vous annoncerez son nom aux paďens. Or ils
n'auraient pas fait cela s'il ne les précédait ť (Sup. Matth. lect., XXVIII, n° 2433).
9. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, col. 475.
OR IL
SE MANIFESTA AINSI SIMON-PIERRE, THOMAS APPELÉ DIDYME, NATHANAEL QUI ÉTAIT DE
CANA EN GALILÉE, ET LES FILS DE ZÉBÉDÉE, AINSI QUE DEUX AUTRES DE SES
DISCIPLES, SE TROUVAIENT ENSEMBLE. (21, 1-2)
OR IL
SE MANIFESTA.
2574. Par ces mots, l'Évangéliste présente l'apparition elle-męme ; d'abord les personnes auxquelles elle a été faite, ensuite l'activité 1 de ces personnes [n° 2576]. Il nous rapporte enfin la maničre dont eut lieu l'apparition [n° 2583].
SIMON-PIERRE,
THOMAS APPELÉ DIDYME, NATHANAEL QUI ÉTAIT DE CANA EN GALILÉE, ET LES FILS DE
ZÉBÉDÉE, AINSI QUE DEUX AUTRES DE SES DISCIPLES, SE TROUVAIENT ENSEMBLE.
2575. Les personnes auxquelles il se manifesta sont au nombre de sept ;
c'est pourquoi il dit SIMON-PIERRE - celui qui avait renié -, THOMAS APPELÉ
DIDYME - qui n'avait pas été lŕ lors de la premičre apparition -, NATHANAEL QUI
ÉTAIT DE CANA DE GALILÉE - qui, ŕ ce qu'on croit, était frčre de Philippe dont
il a déjŕ été question -, ET LES FILS DE ZÉBÉDÉE, c'est-ŕ-dire Jacques et Jean,
AINSI QUE DEUX AUTRES, qui ne sont pas nommés expressément.
Par ce nombre est signifiée mystiquement la révélation de la gloire ŕ venir qui aura lieu aprčs le septičme âge, c'est-ŕ-dire au huitičme, âge de ceux qui ressuscitent2 -Et il arrivera que de mois en mois, et de sabbat en sabbat, toute chair viendra adorer devant ma face3.
SIMON-PIERRE
LEUR DIT : Ť JE VAIS PĘCHER. ť ILS LUI DISENT : Ť NOUS AUSSI
NOUS VENONS AVEC TOI ť ET ILS SORTIRENT ET MONTČRENT DANS LA BARQUE, ET CETTE
NUIT-LŔ ILS NE PRIRENT RIEN. (21, 3)
2576. L'activité qui les occupait alors était la pęche. L'Évangéliste montre
d'abord l'invitation de Pierre ŕ cette activité, puis l'acquiescement des
autres [n° 2581], enfin son exécution [n° 2582].
1. Ť Activité ť
traduit ici officium, qui peut avoir plusieurs sens :
Ť service ť, Ť charge ť, Ť fonction ť ou
Ť mission ť. Nous avons traduit différemment selon les cas.
2. Cf. saint Augustin, Tract,
in Io., CXXII, 6, BA 75, p. 381. Voir aussi ci-dessus, n° 2552,
note 4.
3. Is 66,
23.
Ι
SIMON-PIERRE
LEUR DIT : Ť JE VAIS PĘCHER. ť
2577. Simon-Pierre appelle les autres au service [de la pęche], qui au sens
mystique signifie le service de la prédication - Je vous ferai devenir pęcheurs d'hommes4. Pierre dit donc aux autres : JE VAIS PĘCHER, parce
qu'il associe les autres ŕ son souci et ŕ sa prédication - Alors la charge sera plus
légčre pour toi, le fardeau étant partagé avec d'autres1.
4. Mt 4,
19. Saint Thomas commente : Ť Je vous ferai, c'est-ŕ-dire je
changerai votre travail en un plus grand - Voici que j'envoie beaucoup de
pęcheurs, dit le Seigneur, qui les pécheront (Jr 16, 16). Et il dit je
vous ferai parce que la prédication extérieure travaille en vain si, de
l'intérieur, la grâce du Rédempteur n'est pas lŕ. En effet, ce n'était pas par
leur propre puissance qu'ils attiraient les hommes, mais par l'opération du
Christ. Aussi dit-il je vous ferai. Et certes cette dignité est trčs
grande. Aussi Denys dit-il : "Rien n'est plus digne dans un service humain
que d'ętre coopérateur de Dieu"Ť (Sup. Matth. lect., IV, n° 370).
2578. Pourtant Luc dit : Quiconque ayant mis la main ŕ la charrue, regarde en
arričre, n'est pas apte au royaume de Dieu2. Or il s'avčre que Pierre avait renoncé ŕ son métier de pęcheur ;
comment donc y est-il retourné et a-t-il ainsi regardé en arričre ?
Réponse, selon Augustin3 s'il était retourné ŕ son métier de pęcheur avant que le Christ ne
ressuscitât et leur montrât ses plaies, nous aurions pensé qu'il avait fait
cela par désespoir. Mais, maintenant que le Christ leur a été rendu vivant du
sépulcre, qu'ils ont examiné les marques de ses blessures et reçu de lui le
souffle de l'Esprit Saint, ils sont redevenus ce qu'ils étaient, pęcheurs de
poissons.
Par lŕ il nous est donné ŕ entendre
que le prédicateur peut chercher ce qui lui est nécessaire pour sa subsistance
par un travail licite, gardant l'intégrité de son apostolat, et s'il n'a rien
venant d'ailleurs. En effet, si le bienheureux Paul dut apprendre un métier
qu'il ignorait4 pour ne pas peser sur les autres et
subvenir ŕ ses besoins, combien plus Pierre pouvait-il faire cela par son
travail qui était licite.
2579. Mais tu dis que cela ne s'impose que lorsqu'on n'a rien venant
d'ailleurs. Mais il est manifeste que Pierre a et a toujours eu [le
nécessaire], parce que le Seigneur
l'a promis - Cherchez donc premičrement le royaume de Dieu et sa justice, et
toutes ces choses, c'est-ŕ-dire celles qui sont nécessaires ŕ la vie, vous
seront données par surcroît5.
Lŕ il faut dire qu'il est vrai
qu'elles nous sont données par surcroît, mais si nous coopérons, et c'est
pourquoi le Seigneur a comblé Pierre, qui coopérait. Car qui d'autre que le
Seigneur lui-męme a pu faire venir ces poissons pour qu'ils puissent ętre pris6 ?
2580. Cependant il faut noter, selon Grégoire7, qu'il y a deux sortes de charges.
L'une accapare l'esprit et fait obstacle aux uvres spirituelles. C'est ŕ une
telle charge, comme la perception de l'impôt ou une autre du męme genre, qu'il
ne faut pas revenir, et on ne doit pas chercher ŕ s'en procurer de quoi vivre.
C'est pourquoi nous ne lisons pas [dans l'Évangile] que Matthieu soit revenu au
bureau de douane. Mais il y a une autre charge dont l'exercice n'implique aucun
péché et n'accapare pas l'esprit, comme celui de la pęche et autres du męme genre ;
c'est pourquoi il n'y eut pas de faute pour les Apôtres ŕ y revenir aprčs leur
conversion.
II
NOUS
AUSSI NOUS VENONS AVEC TOI.
2581. L'Évangéliste nous rapporte ainsi l'acquiescement des autres, montrant
par lŕ aux prédicateurs et aux prélats que, selon cet exemple, ils doivent
s'encourager mutuellement en vue de la conversion des hommes - Un frčre qui est aidé par son
frčre est comme une ville forte 8. - Autour de lui était une
couronne de frčres, comme une plantation de cčdres sur le mont Liban9.
1. Ex 18, 22.
2. Lc 9, 62.
3. Tract, in Io., CXXII, 2-3, BA 75, p. 371-377.
4. Voir Tract,
in Io., loc. cit., p. 377, oů saint Augustin précise que Paul Ť apprit
un métier qu'il ne connaissait pas ť, mais cela ne s'accorde pas avec les
données scripturaires (voir notamment Ac 18, 3).
5. Mt 6, 33.
6. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXII, 4, BA 75, p. 379.
7. XL hom. in Evang., II, hom. 24, 1, PL 76, col.
1184 B-C.
8. Pr 18,
19 (propre ŕ la Vulgate).
9. Si 50,
13.
III
ET ILS
SORTIRENT ET MONTČRENT DANS LA BARQUE, ET CETTE NUIT-LŔ ILS NE PRIRENT RIEN.
2582. L'Évangéliste expose ensuite la réalisation de leur activité, et il
touche les trois choses que doivent faire les prédicateurs.
En premier lieu, bien sűr, sortir
(ILS SORTIRENT) de la compagnie des pécheurs - Sortez du milieu d'eux et
séparez-vous, dit le Seigneur, et ne touchez pas ŕ ce qui est impur et je vous
recevrai1 ; se détacher des affections de
la chair - Sors de ton pays, de ta parenté, et de la maison de ton pčre2 - et męme quitter le repos de la
contemplation en vue du labeur - Sortons dans la campagne, demeurons dans
les vignes. Dčs le matin, levons-nous pour aller dans les vignes3.
Ensuite les prédicateurs doivent
monter ([ILS] MONTČRENT) dans la barque, c'est-ŕ-dire progresser dans l'amour
de l'unité de l'Église appelée aussi barque - Aux jours de Noé (...),
pendant qu'on bâtissait l'arche dans laquelle peu de personnes, c'est-ŕ-dire
huit, furent sauvées ŕ travers l'eau4 ; et encore, monter dans la
barque de la Croix en assumant la mortification de la chair - Pour moi,
puissé-je ne me vanter que de la Croix de Notre-Seigneur Jésus Christ par qui
le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde5. - Béni est le bois par lequel est
faite la justice 6. Enfin, les prédicateurs doivent
avoir une totale confiance en l'aide du Christ. Si durant toute cette nuit ILS
NE PRIRENT RIEN, c'est que tant qu'elle reste privée du secours divin et de la
prédication intérieure, la langue du prédicateur travaille en vain. Mais quand
vient la lumičre qui illumine les curs, alors ils Ť prennent ť - Envoie
ta lumičre et ta vérité7. C'est en ce sens que la privation du
secours divin est appelée Ť nuit ť - La nuit vient oů personne ne
peut travailler8. On peut aussi comprendre CETTE
NUIT-LŔ, c'est-ŕ-dire l'ancienne Alliance, ILS NE PRIRENT RIEN puisqu'ils n'ont
pu amener les paďens ŕ la foi - La nuit est déjŕ trčs avancée9. Selon Luc 10, s'ils péchaient la nuit, c'est
qu'ils restaient encore timides.
1. 2 Co
6, 17. Saint Thomas commente : Ť Nous devons sortir du milieu des
infidčles en renonçant ŕ leurs péchés. (...) Ce que dit l'Apôtre doit
s'entendre de la séparation spirituelle : sortez du milieu d'eux
spirituellement, en veillant ŕ ne pas suivre leur conduite - Comme le lis au
milieu des chardons, ainsi ma bien-aimée parmi les jeunes filles (Ct 2, 2).
Cela veut dire que nous devons éviter męme les occasions de péché qui nous sont
données par eux. Séparez-vous est une invitation ŕ fuir toute entente
avec eux - Je suis venu séparer le fils d'avec son pčre (Mt 10, 35). - Retirez-vous
des tentes des impies (Nb 16, 26). En troisičme lieu nous devons les
confondre quand ils agissent ma1. Ne touchez ŕ rien d'impur signifie :
ne vous laissez entraîner ŕ rien de mal par eux - Non seulement ils font de telles choses, mais ils
approuvent ceux qui les font (Rm 1, 32). - Ne prenez aucune part aux uvres stériles (Ep 5,
11) et cela, parce que qui touche la poix s'englue (Si 13, 1) ť {Ad
2 Cor. lect., VI, n° 243).
2. Gn 12,
1.
3. Ct 7,
11-12.
4. 1
Ρ 3, 20.
5. Ga 6,
14. Voir ci-dessus, n° 2560, note 1.
6. Sg 14,
7.
7. Ps 42,
3. Saint Thomas commente : Ť On parvient ŕ Dieu par les souffrances de
l'âme et par la connaissance - L'entrée dans le repos est promise ŕ ceux qui
croient (He 4, 3). Deux choses sont nécessaires ŕ la connaissance : la
lumičre et l'objet ŕ connaître - Tout ce qui est manifesté est lumičre (Ep
5, 13). Et c'est pourquoi il demande deux choses : la lumičre et la vérité,
biens auxquels je ne peux pas accéder par moi-męme. Aussi dit-il : Envoie ta
lumičre et ta vérité. Ici lumičre et vérité sont une męme chose, car elles
sont prises pour le Christ. Envoie ta lumičre, c'est-ŕ-dire le Christ - Il était
la lumičre, la vraie, qui illumine tout homme venant en ce monde (Jn
1, 9) -, et ta vérité - Moi je suis le chemin et la vérité (Jn 14, 6) -,
car le Christ est lui-męme la vérité et la vie, autrement dit : Dieu le Pčre
envoie le Christ. Ou bien, lumičre est pris ici dans le sens de la loi,
car le commandement du Seigneur est une lampe, et sa Loi une lumičre (Pr
6, 23). Et la vérité, c'est le Nouveau Testament ť (Exp. in
Psalmos, 42, n° 2).
8. Jn 9,
4.
9. Rm 13,
12. Sur les significations de la nuit, voir vol. I, n° 1305, note 9.
10. Il s'agit en fait de saint Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, col. 475.
2583. L'Évangéliste poursuit en rapportant ici la maničre dont eut lieu
l'apparition et l'ordre de ce qui arriva. Dans un premier temps Jésus se donne
ŕ voir de maničre corporelle, puis il amčne ses disciples ŕ le reconnaître [n°
2587] et leur présente enfin un repas amical [n° 2597].
Ils voient Jésus physiquement.
OR, LE
MATIN VENU, JÉSUS SE TINT SUR LE RIVAGE, MAIS SES DISCIPLES NE CONNURENT PAS
QUE C'ÉTAIT JÉSUS. (21, 4)
2584. Dans la premičre partie, il montre d'abord la présence du Christ, puis
l'ignorance des disciples. Or, au sens mystique, LE MATIN évoque la gloire de
la Résurrection - Au
soir seront réservés les pleurs, et au matin la joie 1 - et encore les pleurs [d'émotion] de la vie éternelle - Dčs le matin je me présenterai devant toi et
je verrai2.
2585. Mais puisqu'au cours d'un miracle semblable avant sa Passion, Jésus ne
s'était pas tenu sur le rivage mais dans la barque3, pourquoi aprčs sa Passion se tient-il
SUR LE RIVAGE ?4 La raison en est que la mer signifie
l'agitation du sičcle présent ; or le rivage marque la limite de la mer - Lui qui a posé le sable
pour limite ŕ la mer, précepte éternel qu'elle ne franchira pas5. Certes, avant sa Passion, le Christ se tint
sur la mer parce qu'il avait un corps mortel, tandis qu'aprčs sa Résurrection,
ayant quitté désormais la corruption de la chair, il SE
TINT SUR LE RIVAGE.
1. Ps 29,
6. Voir ci-dessus, n° 2085 et note 8.
2. Ps 5,
5. Saint Thomas commente : Ť Le psalmiste expose le motif de sa confiance.
(...) Deux raisons sont attribuées ŕ juste titre ŕ cette confiance. D'abord,
parce qu'il se présente dčs le matin, c'est-ŕ-dire adhčre ŕ Dieu, et se prépare
ŕ rencontrer Dieu. C'est pourquoi la version Juxta Hebraeos de Jérôme
lit : praeparabor (je me préparerai) - Avant la pričre, prépare
ton âme, et ne sois pas comme un homme qui tente Dieu (Si 18,
23). Donc dčs le matin du jour, c'est-ŕ-dire aux heures du matin, je
me présenterai ŕ toi, c'est-ŕ-dire je me dirigerai vers toi. (...) Et tu
entendras ma voix. Car Dieu écoute ceux qui s'attachent ŕ lui. Dčs le
matin, c'est-ŕ-dire de la grâce, les ténčbres de la faute ayant été
chassées, je me présenterai et je te contemplerai, selon la
version Juxta Hebraeos de Jérôme - Le juste sera comme la lumičre de
l'aurore, qui, au soleil levant, le matin, brille sans nuages, et comme l'herbe
qui germe de la terre par les pluies (2 S 23, 4). Tu entendras ma
voix, c'est-ŕ-dire en me libérant de la faute et du châtiment. Ou bien :
Dčs le matin, c'est-ŕ-dire au jour de l'éternité - Oů étais-tu
(...) lorsque les astres du matin me louaient tous ensemble, et que tous les
fils de Dieu étaient transportés de joie ? (Jb 38, 4 et 7). Et alors
l'homme sera totalement entendu. Ou bien : Dčs le matin, c'est-ŕ-dire
depuis la jeunesse, je me présenterai ŕ toi - II est bon ŕ l'homme de porter
un joug dčs sa jeunesse (Lm 3, 27), et Souviens-toi de ton Créateur dans
les jours de ta jeunesse, avant que vienne le temps de l'affliction (Qo 12,
1). Tu entendras ma voix qui déclare dans les Proverbes : J'aime ceux
qui m'aiment, et ceux qui dčs le matin veillent pour me chercher me trouveront (8,
17). La seconde raison de sa confiance, c'est qu'il verra ; aussi dit-il :
et je verrai ť {Exp. in Psalmos, 5, n° 2).
2586. L'ignorance des disciples consiste en ce qu'ils NE CONNURENT PAS QUE
C'ÉTAIT JÉSUS. Nous saisissons par lŕ que, plongés dans la mer de cette
agitation, nous ne pouvons pas connaître les secrets du Christ - L'il n'a pas vu, ô Dieu, excepté
toi, ce que tu as préparé pour ceux qui t'attendent6.
3. Cf. Lc
5, 3-6.
4. La
question vient de saint Grégoire le
Grand {XL hom. in Evang., II, hom. 24, 1, PL 76, col. 1184 D-l
185 A) qui répond par un texte présentant admirablement le problčme de la modalité
de la présence et de l'action du Christ glorifié dans l'Église militante, sur
la base de la comparaison entre les deux récits évangéliques de la pęche
miraculeuse, l'un avant l'autre aprčs la Résurrection. Il reprend aussi le
développement de saint Augustin.
5. Jr 5,
22.
6. Is 64,
4.
Ils reconnaissent Jésus.
JÉSUS
LEUR DIT DONC : Ť LES ENFANTS, AVEZ-VOUS QUELQUE CHOSE Ŕ
MANGER ? ť ILS LUI RÉPONDIRENT : Ť NON. ť IL LEUR DIT :
Ť LÂCHEZ LE FILET Ŕ DROITE DE LA BARQUE ET VOUS TROUVEREZ. ť ILS LE
LÂCHČRENT DONC ET ILS N'AVAIENT PLUS LA FORCE DE LE REMONTER Ŕ CAUSE DE LA
MULTITUDE DE POISSONS. (21, 5-6)
2587. Ensuite Jésus amčne les disciples ŕ le reconnaître. D'abord
l'Évangéliste montre comment il les a amenés ŕ cette connaissance, puis
souligne l'ordre [suivant lequel ils l'ont reconnu] [n° 2591].
I
JÉSUS
LEUR DIT DONC : Ť LES ENFANTS, AVEZ-VOUS QUELQUE CHOSE Ŕ
MANGER ? ť
2588. Dans cette premičre partie, il distingue trois choses.
D'abord la question posée par le
Seigneur ŕ propos de la nourriture. Les disciples en effet croyaient qu'il
n'était pas le Christ mais un acheteur de poisson, qui leur parlait comme un
acheteur1. Or, au sens mystique, c'est ŕ nous
que, pour refaire (reficere) ses forces, il réclame cette nourriture qui
est l'obéissance aux commandements de Dieu - Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a
envoyé et d'accomplir son uvre2.
ILS (c'est-ŕ-dire les disciples) LUI
RÉPONDIRENT : Ť NON ť, c'est-ŕ-dire : Ť pas par
nous-męmes ť car, comme le dit Paul, le vouloir réside en moi, mais
accomplir le bien je ne l'y trouve pas3.
LACHEZ
LE FILET A DROITE DE LA BARQUE.
2589. Ensuite l'Évangéliste nous rapporte ce commandement. Nous trouvons
cependant, en Luc4, qu'avant la Passion une chose
semblable avait été faite sans qu'il leur commandât de lâcher le filet ŕ droite
comme ici5. Par lŕ est signifiée cette pęche
par laquelle les prédestinés 6 sont attirés vers la vie éternelle,
vie dans laquelle ne sont introduits que les fils de la droite7 - Car les voies qui sont ŕ droite,
le Seigneur les connaît, mais perverses celles qui sont ŕ gauche8. - La droite du Seigneur a exercé sa puissance9.
La pęche précédente, elle, signifie
la vocation pour l'Église de ce sičcle ; et c'est pourquoi le filet peut
ętre jeté indifféremment d'un côté ou de l'autre, puisque les poissons sont
attrapés et amenés un par un
vers lui - Va vite dans les places et les rues de la ville 10.
ILS LE
LÂCHČRENT DONC ET ILS N'AVAIENT PLUS LA FORCE DE LE REMONTER Ŕ CAUSE DE LA
MULTITUDE DE POISSONS.
2590. Par ces mots l'Évangéliste souligne l'obéissance des disciples, puis
l'effet de cette obéissance, LA MULTITUDE DE POISSONS, c'est-ŕ-dire de ceux qui
doivent ętre sauvés - Je multiplierai ta postérité comme le sable qui est sur le
rivage de la mer (...) parce que tu as obéi ŕ ma voix1. -J'ai vu une foule immense que nul
ne pouvait dénombrer2.
1. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, col. 475.
2. Jn 4, 34.
3. Rm 7, 18.
4. Voir Lc 5, 4.
5. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXII, 7, BA 75, p. 385.
6. Sur la
prédestination, voir surtout vol. I, n° 938, note 1, n° 1301 et note 11, n°
1373 et note 12, mais aussi ci-dessus, nos 1789, 2024, 2218, 2262, et ci-dessous,
n° 2605.
7. Cf. Gn
35, 18 Mais son âme étant prčs de sortir par l'excčs de la douleur, et la
mort déjŕ s'approchant, elle appela son fils du nom de Benoni, c'est-ŕ-dire
fils de ma douleur ; mais son pčre l'appela Benjamin, c'est-ŕ-dire fils de
la droite.
8. Pr 4,
27.
9. Ps
117, 16.
10. Lc
14, 21.
Cette pęche-ci diffčre donc de celle
que nous rapporte Luc oů le filet se déchire3 ; ainsi l'Église souffre-t-elle
de déchirures du fait de dissensions et d'hérésies. Mais ici le filet ne se
déchire pas, puisqu'il ne peut exister de divisions dans la vie ŕ venir. Aussi,
tandis qu'ŕ la premičre apparition les poissons sont tirés jusqu'ŕ la barque,
dans celle-ci ils sont amenés sur le rivage, car les saints qui sont dans cette
gloire sont ŕ présent cachés ŕ nos yeux4 - Tu les cacheras dans le secret
de ta face loin de la persécution des hommes5.
II
ALORS
LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT DIT Ŕ PIERRE : Ť C'EST LE
SEIGNEUR ! ť SIMON-PIERRE, AYANT ENTENDU Ť C'EST LE
SEIGNEUR ť, NOUA SA TUNIQUE Ŕ LA CEINTURE, CAR IL ÉTAIT NU, ET SE JETA Ŕ
LA MER. QUANT AUX AUTRES, ILS VINRENT AVEC LA BARQUE, CAR ILS N'ÉTAIENT PAS
LOIN DE LA TERRE MAIS Ŕ ENVIRON DEUX CENTS COUDÉES, EN TIRANT LE FILET PLEIN DE
POISSONS. (21, 7-8)
2591. Aprčs avoir exposé ce qui permit aux Apôtres de connaître le Christ, LA
MULTITUDE DE POISSONS qu'il leur accorda, l'Évangéliste montre l'ordre suivant
lequel ils le reconnurent, et d'abord comment Jean s'est comporté dans cette
circonstance, puis Pierre [n° 2593], et enfin les autres disciples [n° 2595].
ALORS
LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT DIT Ŕ PIERRE : Ť C'EST LE
SEIGNEUR ! ť
2592. Jean nous apparaît comme perspicace dans sa connaissance parce
qu'aussitôt il reconnut le Christ ; c'est pourquoi, poussé ŕ cela par la
capture des poissons, il dit ŕ Pierre, qu'il aimait plus que les autres, et
aussi parce qu'il était le premier de tous : Ť C'EST LE
SEIGNEUR ! ť - C'est toi qui domines sur la puissance de la mer6. - Tout ce qu'il a voulu, le
Seigneur l'a fait dans le ciel et sur la terre, dans la mer et dans tous les
abîmes7. Et il dit seulement Ť C'EST LE
SEIGNEUR ! ť, parce que c'est ainsi qu'ils avaient l'habitude de
l'appeler - Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites bien car je le
suis8.
SIMON-PIERRE,
AYANT ENTENDU Ť C'EST LE SEIGNEUR ť, NOUA SA TUNIQUE Ŕ LA CEINTURE,
CAR IL ÉTAIT NU, ET SE JETA Ŕ LA MER.
2593. Pierre est présenté dans sa ferveur ŕ suivre9. Celle-ci se traduit d'abord par sa
promptitude10. Ayant entendu, il ne tarda pas mais
se prépara aussitôt ŕ aller le rejoindre - Ne tarde pas ŕ te tourner vers le
Seigneur et ne diffčre pas de jour en jour11.
Cette ferveur apparaît ensuite dans
le respect qu'il manifesta ŕ l'égard du Christ puisque, par pudeur, il ne
voulut pas le rejoindre nu, mais NOUA SA TUNIQUE Ŕ LA CEINTURE, CAR IL ÉTAIT NU
en raison de la chaleur du pays, et aussi pour ne pas ętre gęné dans son
travai1. Lŕ il faut comprendre que ceux qui viennent au Christ doivent se
dépouiller du vieil homme et revętir l'homme nouveau créé selon Dieu dans la foi1 - Celui qui aura vaincu sera ainsi vętu de blanc, et
je n'effacerai pas son nom du livre de vie2.
1. Gn 22, 17-18.
2. Ap 7, 9.
3. Cf. Lc 5, 6.
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXII, 7, BA 75, p. 385-387.
5. Ps 30,
21. Voir vol. I, n° 921, note 2.
6. Ps 88,
10.
7. Ps
134, 6. Voir vol. I, n° 753 Ť La volonté de Dieu est cause des
réalités ť.
8. Jn 13,
13.
9. Sur la
ferveur de Pierre, voir plus haut, nos
1761-1762 et 1841-1843.
10. Les
trois qualités de Pierre que saint Thomas note ici sont reprises de saint Jean Chrysostome, In Ioannem
hom., LXXXVII, 2, PG 59, col. 475.
11. Si 5,
8.
Sa ferveur se manifeste enfin dans la
sűreté de son action ; car, en raison de son trop grand amour, il ne
voulut pas aller avec la barque parce qu'il aurait été retardé, mais il SE JETA
Ŕ LA MER, pour parvenir plus vite au Christ.
2594. Au sens mystique, la mer représente l'agitation de ce sičcle ;
aussi ceux qui ont un grand désir de gagner le Christ se jettent-ils ŕ la mer,
sans fuir les tribulations
de ce monde - C'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans
le royaume de Dieu 3. - Mon fils, entrant au service
de Dieu, sois ferme dans la justice et dans la crainte, et prépare ton âme ŕ la
tentation 4.
Pierre se jeta donc ŕ la mer et
cependant parvint indemne auprčs du Christ, parce que des tribulations le
serviteur du Christ sort
sain et sauf- C'est toi qui as tracé sur la mer une voie et au milieu des
flots un sentier trčs assuré5.
Et, selon Chrysostome, c'est bien ici
que nous sont le mieux révélés ce que sont Pierre et Jean : Jean est le plus
élevé par son intelligence et Pierre le plus fervent dans son amour6.
QUANT AUX AUTRES, ILS VINRENT AVEC LA BARQUE, CAR ILS
N'ÉTAIENT PAS LOIN DE LA TERRE MAIS Ŕ ENVIRON DEUX CENTS COUDÉES, EN TIRANT LE
FILET PLEIN DE POISSONS.
2595. Quant aux autres disciples, ils s'avancčrent avec la barque. C'est
pourquoi l'Évangéliste nous présente premičrement ce qu'ils firent : ILS
VINRENT AVEC LA BARQUE, parce qu'ils étaient moins fervents. Or cette barque
signifie l'Église - L'espoir
du globe de la terre se réfugiant dans un vaisseau conserva au monde un germe
de renaissance7 -, selon la premičre épître de Pierre
8. QUANT AUX AUTRES, ILS VINRENT AVEC
LA BARQUE, c'est-ŕ-dire dans le sein protecteur de l'Église redoutable comme
une armée rangée en bataille9.
- Tu les abriteras dans ton tabernacle contre la contradiction des langues 10.
2596. Deuxičmement, il donne l'explication de ce qu'il vient de dire : CAR
ILS N'ÉTAIENT PAS LOIN DE LA TERRE. C'est peut-ętre parce que la barque était
proche de la terre que Pierre se jeta ŕ l'eau, et que les autres disciples parvinrent
rapidement au rivage. D'autre part, s'ils n'étaient pas loin, c'est que
l'Église n'est pas loin de la terre des vivants11 puisqu'elle est maison de Dieu et porte du Ciel12, et c'est bien cette terre que les saints
contemplent chaque jour
- Parce que nous ne considérons pas les choses qui se voient mais celles qui
ne se voient pas13.
- Pour nous, notre vie est dans les deux 14.
Jean précise : MAIS Ŕ ENVIRON DEUX
CENTS COUDÉES, ce qui signifie la męme chose que les deux navires dans Luc, c'est-ŕ-dire deux peuples1 du milieu desquels les élus se trouvent entraînés vers la vie éternelle - Pour créer les
deux en un seul peuple2.
1. Cf. Ep
4, 22-24.
2. Ap 3,
5.
3. Ac 14,
21.
4. Si 2,
1.
5. Sg 14, 3.
6. Ť Ille [Pierre] ferventior, hic [Jean]
sublimior ; ille promptior, hic perspicacior ť {In Ioannem
hom., LXXXVII, 2, PG 59, col. 475).
7. Sg 14,
6.
8. 1
Ρ 3, 20 Aux jours de Noé, pendant qu'on bâtissait l'arche, dans
laquelle peu de personnes, c'est-ŕ-dire huit, furent sauvées par l'eau.
9. Ct 6,
3.
10. Ps
30, 21. Saint Thomas commente : Ť Cela regarde l'Église présente, qui est
la tente de ceux qui militent - II y aura une tente pour ombrage le jour
contre la chaleur, et pour mettre en sűreté et ŕ couvert de la tempęte et de la
pluie (Is 4, 6). Et cela contre la contradiction des langues, qui,
soit en blasphémant Dieu, soit en enseignant des choses fausses, contredisent
la vraie doctrine ; c'est le cas des schismes et des diverses hérésies - Un
faux raisonneur est suscité devant ma face, me contredisant (Jb 16, 9). Donc
si on recourt ŕ la tente de Dieu, c'est-ŕ-dire ŕ l'Église, et aux mystčres de
sa foi, on y trouve une défense sűre contre de telles choses, contre la
contradiction des langues ο (Exp. in Psalmos, 30, n° 17).
11. Cf. Ps
26, 13 ; 51, 7 ; 114, 9 ; 141, 6.
12. Gn
28, 17 Que ce lieu est redoutable/ Ce n'est rien de moins qu'une maison de
Dieu et la porte du cie1.
13. 2 Co 4, 18.
14. Ph 3, 20. Voir vol. I, n° 1176, note 3.
Quant ŕ ce filet dans lequel les
poissons sont traînés, c'est la doctrine de la foi par laquelle d'une part Dieu
nous attire en nous inspirant de l'intérieur - Nul ne peut venir ŕ moi si le
Pčre qui m'a envoyé ne l'attire3 -, et par laquelle d'autre part les
Apôtres nous attirent en nous exhortant comme ici.
Le repas que Jésus partagea avec eux.
2597. L'Évangéliste nous présente ici la maničre dont le Christ a offert ŕ
ses disciples de partager un repas amical avec lui. Il présente d'abord la
préparation du repas, puis l'invitation du Christ au repas [n° 2607], et enfin
le repas lui-męme [n° 2610].
Ι
UNE
FOIS DESCENDUS Ŕ TERRE, ILS VIRENT DES BRAISES DISPOSÉES ET, POSÉS DESSUS, DU
POISSON ET DU PAIN. JÉSUS LEUR DIT : Ť APPORTEZ DE CES POISSONS QUE VOUS
VENEZ DE PRENDRE. ť SIMON-PIERRE MONTA DANS LA BARQUE ET TIRA Ŕ TERRE LE
FILET, PLEIN DE CENT CINQUANTE-TROIS GROS POISSONS ; ET, BIEN QU'IL Y EN
EŰT AUTANT, LE FILET NE SE DÉCHIRA PAS. (21, 9-11)
L'Évangéliste nous rapporte la
préparation de ce repas en décrivant d'abord ce que le Christ lui-męme a
préparé, puis ce que les Apôtres ont apporté [n° 2600].
Ce que le Christ lui-męme a préparé
UNE
FOIS DESCENDUS Ŕ TERRE, ILS VIRENT DES BRAISES DISPOSÉES ET, POSÉS DESSUS, DU
POISSON ET DU PAIN.
2598. Le Christ a préparé trois choses, ŕ savoir les braises, le poisson et
le pain. Aussi dit-il UNE FOIS DESCENDUS Ŕ TERRE, ILS VIRENT DES BRAISES
DISPOSÉES, que le Christ par sa puissance avait créées ŕ partir de rien4, ou bien qu'il avait formées ŕ partir d'une matičre déjŕ existante.
Mais on se rappelle que précédemment,
avant sa Passion5, il a rassasié la foule par la
multiplication des pains. Or maintenant, aprčs sa Passion, il crée ou forme
d'une maničre nouvelle, miraculeusement, parce qu'il n'est plus temps désormais
de montrer la faiblesse mais de manifester la puissance. En effet ce qu'il a
fait précédemment, avant sa Passion, montrait sa volonté de s'abaisser car, s'il
l'avait voulu, il aurait pu créer ou former les pains de cette nouvelle maničre
- ŕ partir de rien6.
2599. Nous comprenons par lŕ que pour le repas spirituel quelque chose est
préparé par le Christ. Et si ce repas est pris allégoriquement1, pour le repas de
l'Église, le Christ prépare alors ces trois choses. D'abord les BRAISES de la
charité - Si ton ennemi a faim, donne-lui ŕ manger, sil a
soif, donne-lui ŕ boire : tu amasseras des charbons ardents sur sa tęte2. - Remplis ta main de charbons ardents de feu3. Ces braises, le Christ les a apportées du
ciel pour les répandre sur la terre - Je vous donne un commandement nouveau,
aimez-vous les uns les autres4.
- Je suis venu jeter un feu sur la terre5.
1. Le
peuple de la circoncision et celui de la gentilité, selon saint Augustin (Tract, in Io., CXXII,
7, BA 75, p. 387-389).
2. Ep 2,
15.
3. Jn 6,
44.
4. Créer
ŕ partir de rien : cette expression renvoie au mystčre de la Création oů Dieu,
dans sa sagesse et son amour, crée l'univers, le monde des vivants et les
créatures spirituelles ŕ partir de rien, par sa toute-puissance. Ŕ partir de
rien, c'est-ŕ-dire non pas ŕ partir du néant, mais sans l'utilisation d'une
matičre déjŕ préexistante qui serait alors l'égale de Dieu. Dieu, quand il
crée, est un artiste particulier qui travaille sans se servir d'outils, de
matičre, d'intermédiaire. Tout vient de lui, directement, et dépend de lui seu1.
Déjŕ le philosophe, dans un regard de sagesse, peut affirmer cela du mystčre de
la Création. Ici, saint Thomas, en théologien, montre que le Christ comme Dieu
peut créer ŕ partir de rien, et comme homme peut utiliser une matičre déjŕ
existante. Voir Somme théol, III, q. 13, a. 1 et a. 2, oů saint Thomas
montre trois aspects : le mystčre męme de Dieu, le mystčre du Christ dans sa
nature en tant qu'elle est instrument du Verbe de Dieu uni personnellement ŕ
elle, et le mystčre du Christ dans sa propre nature humaine.
5. Voir Jn 6, 5 sq.
6. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, col. 475-476.
Ayant disposé les braises, il prépare
aussi LE POISSON - qui est le Christ - qu'il pose DESSUS. En effet, ce poisson
grillé (assus) est bien le Christ immolé (passus6), placé sur les braises lorsque, enflammé par
la charité, il s'immole pour nous sur la Croix - Et il s'est livré lui-męme
pour nous en oblation ŕ Dieu et en hostie de suave odeur7. - Soyez donc les imitateurs de
Dieu, comme des enfants bien-aimés ; et marchez dans l'amour comme le
Christ nous a aimés8.
Enfin il prépare le PAIN qui refait
nos forces, et ce pain, c'est lui-męme. Car le Christ, qui demeure caché en
raison de sa divinité, est symbolisé par le poisson dont le propre est de
rester caché sous les eaux - Vraiment tu es un Dieu caché9. Mais en tant qu'il refait nos forces par son
enseignement, et męme nous donne son propre corps en nourriture, il est
vraiment le pain - Moi, je suis le pain vivant10. Et le pain, produit des grains de la terre, sera trčs abondant
et gras11.
1. Cette
expression traduit ici le terme allegorice. Voir plus haut, n° 1978, oů
la męme expression traduit le terme similitudo. Il s'agit d'une modalité
d'analogie (voir n° 1978, note 2).
2. Pr 25,
22.
3. Ez 10,
2.
4. Jn 13,
34.
5. Lc 12,
49.
6. L'image
vient directement de saint Grégoire le
Grand (XL hom. in Évang., II, hom. 24, 5, PL 76, col. 1187 A-B)
qui la reprend de saint Augustin (Tract,
in Io., CXXIII, 2, ΒΑ 75, p. 407) et qui appliquera ensuite au
Christ d'avoir caché sa divinité dans l'humanité comme le poisson dans l'eau.
7. Ep 5,
2.
8. Ep 5,
1-2.
9. Is 45,
15.
10. Jn 6,
51.
Ŕ ce repas doit ętre apporté quelque
chose de la part des ministres de l'Église, cependant rien, si cela ne
préexiste pas pour nous comme venant de Dieu 12.
Ce que les disciples ont apporté
JÉSUS
LEUR DIT : Ť APPORTEZ DE CES POISSONS QUE VOUS VENEZ DE
PRENDRE. ť> SIMON-PIERRE MONTA DANS LA BARQUE ET TIRA Ŕ TERRE LE FILET,
PLEIN DE CENT CINQUANTE-TROIS GROS POISSONS ; ET, BIEN QU'IL Y EN EŰT
AUTANT, LE FILET NE SE DÉCHIRA PAS. (21, 10-11)
2600. Ce qu'ils apportent nous est ici indiqué. Dans ce verset l'Évangéliste
nous rapporte ce commandement du Seigneur, puis son exécution par le disciple
[n° 2603].
JÉSUS
LEUR DIT : Ť APPORTEZ DE CES POISSONS QUE VOUS VENEZ DE PRENDRE. ť
2601. Il leur demande donc d'apporter de ces poissons qu'ils ont pris
eux-męmes, comme s'il disait : Moi, je vous ai fait le don de la charité, j'ai
livré mon corps (assavi corpus) sur la croix et je vous ai présenté le
pain de la doctrine grâce auquel l'Église est perfectionnée et fortifiée ;
vous, il vous appartient d'aller pęcher les autres, c'est-ŕ-dire ceux qui se
convertissent ŕ la prédication des Apôtres - Apportez au Seigneur les petits
des béliers13. - Ils ramčneront tous vos frčres
de toutes les nations comme un don au Seigneur1.
11. Is
30, 23.
12. Ce
don que Dieu nous fait et qui préexiste ŕ toute action venant de nous ne
doit-il pas ętre rapproché de la grâce prévenante, grâce que Dieu nous donne
gratuitement pour nous permettre de poser des actes dans la lumičre de la
finalité, et donc de répondre ŕ ce qu'il nous demande ? Voir ci-dessus, n°
1909, note 9.
13. Ps
28, 1 (verset propre ŕ la Vulgate). Saint Thomas commente : Ť Au sens
mystique, les béliers sont les chefs du troupeau, c'est-ŕ-dire les Apôtres - Les
princes des peuples se sont réunis (Ps 46, 10). Leurs enfants, ce sont les
fidčles - Moi, je vous ai engendrés par l'Évangile dans le Christ
Jésus (1 Co 4, 15). Apportez donc vous-męmes ŕ Dieu, vous qui
ętes les petits des béliers ť (Exp. in Psalmos, 28, n° 2).
2602. Si l'on prend ce repas pour un repas spirituel, alors le Christ prépare
en premier lieu, pour le repas de l'âme, les BRAISES de la charité - La
charité de Dieu a été répandue dans nos curs2. - Je suis venu jeter un feu sur la terre3 ; aussi LE POISSON, c'est-ŕ-dire la foi qui demeure mystérieuse (abscondita) puisqu'elle
a pour objet des réalités qu'on ne voit pas4 ; et encore LE PAIN,
c'est-ŕ-dire la doctrine solide - Mais c'est
pour les parfaits qu'est la nourriture solide5.
Mais pour ce repas, il nous est
demandé, ŕ nous, de bien utiliser la grâce6 qui nous est
accordée - C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa
grâce en moi ne fut pas
vaine7. Et c'est pourquoi Jésus commande :
Ť APPORTEZ DE CES POISSONS QUE VOUS VENEZ DE PRENDRE ť, c'est-ŕ-dire
apportez vos bonnes uvres, celles qu'il vous a été donné d'accomplir - Qu'ainsi
brille votre lumičre devant les hommes afin qu'ils voient vos bonnes uvres8.
SIMON-PIERRE
MONTA DANS LA BARQUE ET TIRA Ŕ TERRE LE FILET, PLEIN DE CENT CINQUANTE-TROIS
GROS POISSONS.
2603. L'Évangéliste poursuit en nous montrant l'exécution par le disciple de
l'ordre donné par le Christ. Il s'agit de Pierre, qui était plus fervent. Aussi
dit-il : SIMON-PIERRE MONTA, c'est-ŕ-dire saisit le gouvernail de l'Église - Je
monterai sur le palmier9. II a disposé
dans son cur des
degrés pour s'élever10 -, ET TIRA Ŕ TERRE LE FILET, parce
que c'est encore ŕ lui qu'a été confiée la sainte Église et ŕ lui spécialement
qu'il a été dit : Pais mes brebis11, comme nous le verrons par la suite 12.
1. Is 66,
20.
2. Rm 5,
5. Voir vol. I, n° 1234, note 8 et n° 2069.
3. Lc 12, 49.
4. Voir
He 11, 1. Voir ci-dessus, n° 2018 et n° 2564.
5. He 5,
14.
6. Sur le
mystčre de la grâce, voir ci-dessus, n° 1900, notes 1 et 2, n° 1984, note 8, n°
1993, note 10, ηϋ 2095, note 12. Voir aussi n° 2513, note 10, sur la
grâce et notre coopération, et n° 2514, note 3, sur les différentes modalités
de la grâce.
7. 1 Co
15, 10.
8. Mt 5,
16.
9. Ct 7,
8.
Et ce que le Christ indique par ces
mots : pais mes brebis, c'est précisément ce que le travail (opus) de
Pierre préfigure. En effet, c'est lui qui tire les poissons sur la terre ferme,
manifestant ainsi aux croyants la stabilité de la patrie éternelle 13.
2604. Il dit : LE FILET PLEIN DE (...) GROS POISSONS parce que ceux qu'il
a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu'il a appelés, il les a
aussi justifiés14 - Ces hommes grands en puissance
et pourvus de leur prudence, ils ont montré parmi les prophčtes la dignité de
prophčtes et ils ont commandé aux peuples de leur temps et, en vertu de leur
prudence, ils ont donné aux peuples de trčs saintes paroles15. Pour l'autre pęche, Luc 16 ne
mentionne pas le nombre comme ici : il y en eut en effet CENT CINQUANTE-TROIS.
C'est que les bons comme les mauvais
sont par vocation entraînés ŕ former l'Église présente 17 - Des insensés infini est le nombre18. C'est pourquoi il est dit dans la
Genčse ŕ Abraham ŕ propos de cette vocation : Ta postérité sera comme le
sable qui est sur le rivage de la mer19. Il s'agit lŕ de ceux qui sont mauvais. Au contraire il est dit des
autres : Regarde le ciel et compte les étoiles si tu le peux20. Tels sont en effet ceux que Dieu compte parmi les siens, ceux qui ont
du prix ŕ ses yeux - Lui qui compte la multitude
des étoiles21.
10. Ps
83, 6.
11. Jn 21,
17.
12. Aux nos 2623-2626.
13. Cf. saint Grégoire le Grand, XL hom. in
Evang., II, hom. 24, 4, PL 76, col. 1185 D-1186 A.
14. Rm 8,
30.
15. Si 44, 3-4.
16. Cf. Le
5, 6.
17. Cf. saint Grégoire le Grand, loc. cit., 3,
col. 1185 B-C.
18. Qo 1,
15 (propre ŕ la Vulgate).
19. Gn
22, 17.
20. Gn
15, 5.
21. Ps
146, 4.
2605. Mais n'y aura-t-il pas plus de cent cinquante-trois élus ? Au
contraire, bien davantage. Ce nombre a ici un sens mystique. En effet, nul ne
peut venir ŕ la Patrie s'il n'observe le Décalogue. Or on ne peut l'observer
sans la grâce septiforme de l'Esprit Saint dont Isaďe a dit : L'esprit du Seigneur reposera sur lui, esprit de
sagesse et d'intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et
de piété, et l'esprit de crainte du Seigneur le remplira1. On lit dans la
Genčse que cette sanctification a été faite d'abord le septičme jour : Dieu bénit le septičme
jour et le sanctifia2.
Or dix et sept font dix-sept. Si donc
on calcule de cette façon, en prenant d'abord un et deux qui font trois, et
trois qui font six, six et quatre qui font dix, dix et cinq qui font quinze...
et ainsi de suite en additionnant le nombre qui suit jusqu'ŕ dix-sept, on
obtient bien cent cinquante-trois3.
On peut interpréter différemment4. Les disciples auxquels le Christ apparut étaient sept. Or en
multipliant ce nombre par sept - les sept dons du Saint-Esprit5 -, on obtient quarante-neuf, auxquels on ajoute un, signe de la
perfection de l'unité dans laquelle doivent ętre les fils de Dieu qui sont mus par
l'Esprit de Dieu6 ; cela fait cinquante. Si on
multiplie par trois ce nombre, et qu'on y ajoute encore trois - pour signifier
cette foi en la Trinité que confessent notre cur, notre langue et nos uvres
-, cela fait cent cinquante-trois. Cela nous montre que ceux que l'Esprit Saint
a sanctifiés par ses sept dons et qui ont été unis dans la foi ŕ la Trinité,
accčdent ainsi ŕ la Patrie.
1. Is 11, 2-3.
2. Gn 2, 3.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXII, 8, Β A 75, p. 393-395. Męme
interprétation dans sa Lettre 55 ŕ Januarius (§31, PL 33, col. 219-220).
4. La
réduction de 153 ŕ ses deux composants mettait en confrontation la Loi (10) et
la grâce de l'Esprit Saint (7). En abandonnant la forme arithmétiquement
parfaite, saint Augustin interprčte plus librement le chiffre 153 en
rassemblant trois éléments théologiques plus satisfaisants : la perfection (7 x
7) de celui qui vit dans l'Esprit Saint, son unité d'opération (49 + 1 = 50) et
la Trinité (50 x 3 et addition de 3). Cf. M. Comeau,
Saint Augustin exégčte du Quatričme évangile (Études de Théologie
Historique), Beauchesne, 19302, p. 138-140.
5. Sur
les dons du Saint-Esprit, voir vol. I, n° 1577, note 4.
6. Voir
Rm 8, 14.
ET,
BIEN QU'IL Y EN EŰT AUTANT, LE FILET NE SE DÉCHIRA PAS.
2606. Dans ce passage, Jean nous dit : ET, BIEN QU'IL Y EN EŰT AUTANT - par la taille et par le nombre -, LE
FILET NE SE DÉCHIRA PAS, tandis que lors de l'autre pęche7 le filet se déchirait. C'est que
l'Église présente, dont cette pęche-lŕ était le symbole, souffre de nombreuses
déchirures dues aux schismes, aux hérésies, aux insoumissions, sans pour autant
ętre entičrement déchirée, en vertu de la promesse du Christ : Et voici que je suis
avec vous tous les jours jusqu'ŕ la consommation des sičcles8.
Mais dans la patrie future,
préfigurée ici, c'est-ŕ-dire dans cette paix des saints, il ne saurait y avoir
de schismes9 - C'est lui qui a établi sur tes
confins, c'est-ŕ-dire la Jérusalem céleste, la paix10.
II
JÉSUS
LEUR DIT : Ť VENEZ, MANGEZ ! ť ET AUCUN DE CEUX QUI PRENAIENT
PART AU REPAS N'OSAIT LUI DEMANDER : Ť TOI, QUI ES-TU ? ť,
SACHANT QU'IL EST LE SEIGNEUR. (21, 12)
2607. L'Évangéliste nous rapporte ensuite l'invitation au repas préparé. Il
nous montre d'abord cette invitation du Christ, puis l'attitude des disciples
lors de ce repas [n° 2609].
7. Voir
Lc 5, 6.
8. Mt 28,
20. Saint Thomas commente : Ť En effet le monde ne passera pas jusqu'ŕ ce
que tout soit accompli, c'est-ŕ-dire que l'Église des fidčles soit consommée et
que soit accompli le nombre de ceux que Dieu a élus pour la vie
éternelle ť (Sup. Matth. lect., XXVIII, n° 2469).
9. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXII, 7, BA 75, p. 385.
10. Ps
147, 14.
JÉSUS
LEUR DIT : Ť VENEZ, MANGEZ ! ť
2608. C'est en effet le Christ qui invite au repas en nous inspirant de
l'intérieur par lui-męme
- Venez ŕ moi vous tous qui prenez de la peine et qui ętes chargés, et je
vous soulagerai1.
Mangez mes amis et buvez, enivrez-vous mes biens-aimés 2 -, et de l'extérieur,
par l'enseignement et les exhortations d'autres personnes - Un homme fit un
grand souper.
(...) Et ŕ l'heure du souper, il envoya son serviteur dire aux invités de venir3.
ET
AUCUN DE CEUX QUI PRENAIENT PART AU REPAS N'OSAIT LUI DEMANDER : Ť TOI,
QUI ES-TU ? ť, SACHANT QU'IL EST LE SEIGNEUR.
2609. Selon Augustin4, cette attitude des disciples
manifeste qu'ils étaient sűrs de la Résurrection du Christ. Ils étaient en
effet tellement certains que c'était le Christ qu'aucun des convives n'osa
douter que ce fűt bien lui. Et parce que l'interrogation est signe d'un doute,
nul n'osait l'interroger : Ť TOI, QUI ES-TU ? ť, selon cette
parole : En ce
jour-lŕ, vous ne m'interrogerez plus sur rien5.
Chrysostome 6 y voit une marque de respect des disciples ŕ l'égard du Christ, plus
grande encore que d'habitude : ils l'auraient volontiers interrogé, mais le
Christ leur apparut sous une apparence magnifique et une gloire admirable, si
bien que, saisis de stupeur et de respect, ils n'osaient plus l'interroger. Et
ce qui surtout les retenait de l'interroger, c'est qu'ils savaient QU'IL EST LE
SEIGNEUR.
1. Mt 11,
28. Saint Thomas commente : Ť Venez ŕ moi, ce qui est aussi la
parole de la Sagesse : Venez ŕ moi vous tous qui me désirez (Si 24, 26).
Aussi, approchez de moi ignorants, parce qu'il veut se communiquer ť (Sup.
Matth. lect., XI, n° 967). Et : Ť Quel est ce repos (refectio) ?
(...) En effet le corps n'est pas refait aussi longtemps qu'il est affecté. Et
ce que la faim est pour le corps, le désir l'est pour l'esprit. C'est pourquoi
ce repos (refectio) est l'accomplissement de tous nos désirs - Lui
qui comble de biens ton âme (Ps 102, 5). Et ce repos est un repos de l'âme -J'ai
un peu peiné et j'ai trouvé beaucoup de repos (Si 51, 35). De męme que les
doux ne trouvent pas de repos dans le monde, ainsi vous trouverez le repos
éternel, c'est-ŕ-dire vos désirs seront comblés (impletionem
desideriorum) ť (loc. cit., n° 971).
2. Ct 5, 1.
3. Lc 14, 17.
4. Tract, in Io., CXXIII, 1, ΒΑ 75, p. 403-405.
5. Jn 16, 23.
6. In Ioannem hom., LXXXVII, 2, PG 59, col. 475-476.
III
ET
JÉSUS VIENT, IL PREND LE PAIN ET LE LEUR DONNE, ET DE MĘME LE POISSON.
(21,
13)
2610. L'Évangéliste poursuit en nous rapportant ce repas que les disciples
prirent sur l'ordre du Christ - Toi, tu ouvres ta main, et tu combles tout vivant de
bénédiction7. C'est lui en effet qui leur donne la
nourriture au temps opportun8.
2611. Mais le Christ a-t-il mangé avec eux ? Il faut dire que oui. Bien
que cela ne soit pas indiqué ici, Luc dit expressément9 qu'il mangea avec eux, et de męme il
est dit dans les Actes :
Ensuite, mangeant avec eux, il leur commanda de ne pas s'éloigner de
Jérusalem 10.
2612. Mais s'agissait-il d'une véritable manducation ? Je réponds qu'un
acte est dit vrai de deux maničres, ŕ savoir quant ŕ la vérité de ce qu'il
signifie, et quant ŕ la vérité de son espčce11.
Au premier sens, un acte est vrai
s'il est conforme ŕ la réalité signifiée. Ainsi, admettons que je veuille
signifier quelque chose par une parole : si ce que je signifie est vrai et concorde
avec la réalité signifiée, alors ma parole est vraie quant ŕ sa signification,
sans ętre pour autant conforme ŕ la vérité de l'espčce. Ainsi, lorsque le
Christ dit : Moi, je suis la vraie vigne1, cela est vrai, bien qu'il ne soit pas une
vraie vigne selon l'espčce Ť vigne ť, mais seulement selon ce que ce
terme [vigne] signifie.
7. Ps
144, 16.
8. Cf. Ps
144, 15.
9. Voir
Lc 24, 43.
10. Ac 1,
4.
11. Saint
Thomas distingue deux sortes de vérité : la vérité de l'espčce et celle de la
signification. Il y a vérité de l'espčce quand, par exemple, un homme
véritable, en chair et en os, vivant, parle, et non pas un robot, une poupée,
un mannequin ou un fantôme sans consistance. Pour cette vérité, seul le
locuteur est regardé, et non pas l'impact de sa parole ni son éventuelle
conformité au rée1. Quant ŕ la vérité de la signification, elle ne
renvoie pas ŕ celui qui énonce la parole mais ŕ la conformité de celle-ci ŕ la
réalité signifiée, comme le dit saint Thomas. C'est le sens habituel de la
vérité dite Ť formelle ť (voir De Veritate, q. 1, a. 1). Lŕ,
on ne s'arręte pas ŕ l'élaboration de la parole elle-męme, mais c'est son
rapport au réel qui est examiné, afin de juger de sa vérité.
Selon la vérité de l'espčce, une
chose est dite vraie lorsqu'elle a ce qui relčve de la vérité de l'espčce. Or
relčvent de cette vérité les principes de l'espčce mais non pas les effets qui
en découlent. Ainsi l'affirmation : Ť L'homme est un animal ť est
vraie au premier sens parce qu'elle signifie quelque chose de vrai, mais selon
la vérité de l'espčce elle n'est pas vraie si elle n'est pas formulée par la
bouche d'un vivant parlant avec les organes qui conviennent. Et pour cette
vérité, l'effet de la parole n'est pas requis, par exemple qu'elle soit
entendue et autres choses de ce genre.
Ainsi il faut dire, au sujet de la
manducation, qu'il en existe une qui n'est vraie que quant ŕ sa signification,
comme la Ť manducation des anges ť, puisque ceux-ci n'ont pas de
membres ordonnés ŕ la manducation. Mais ce qui est vrai, c'est ce qu'eux-męmes
signifiaient par cette expression, ŕ savoir le désir qu'ils avaient du salut
des hommes.
Quant ŕ la manducation du Christ aprčs la Résurrection, elle fut vraie selon la vérité de signification, puisqu'il le faisait pour montrer qu'il avait une nature humaine2 - et il l'avait en vérité ; et selon la vérité de l'espčce, puisqu'il avait les organes propres ŕ la manducation. Cependant cette manducation ne fut pas suivie des effets de cet acte parce que cette nourriture ne fut pas transformée en celui qui la mangeait étant donné qu'il avait un corps glorifié et incorruptible. Mais elle fut dissoute par la puissance divine en la matičre qui était lŕ. Or de tels effets ne contribuent pas ŕ la vérité de l'espčce comme nous l'avons dit.
C'ÉTAIT
DÉJŔ LA TROISIČME FOIS QUE JÉSUS SE MANIFESTAIT Ŕ SES DISCIPLES APRČS S'ĘTRE
RELEVÉ D'ENTRE LES MORTS. (21, 14)
2613. L'Évangéliste met ainsi un terme au récit des apparitions. Mais selon
Augustin3, si ces mots : C'ÉTAIT DÉJŔ LA
TROISIČME FOIS, se rapportent au nombre d'apparitions, cela n'est pas vrai car,
comme on l'a dit, il apparut cinq fois le premier jour, et de męme cinq fois
avant son Ascension : la premičre fois, le huitičme jour quand Thomas était
avec eux4 ; la seconde, celle-ci, au bord
du lac ; la troisičme, sur la montagne de Galilée, selon l'Évangile de
Matthieu5 ; la quatričme fois, il apparut
pendant que les Onze étaient ŕ table comme le mentionne Marc6 ; enfin la cinquičme fois, le jour de l'Ascension, quand il fut
élevé sous leurs yeux - Eux le voyant, il s'éleva, et une nuée le déroba ŕ
leurs yeux7. Bien qu'il soit apparu plusieurs autres fois
durant ces quarante jours8, cela ne fut pourtant pas écrit.
1. Jn 15, 1.
2. Voir Somme théol., III, q. 54, a. 2, ad 3.
3. Tract, in Io., CXXIII, 3, ΒΑ 75, p. 407-409.
4. Voir
Jn 20, 26.
C'ÉTAIT DÉJŔ LA TROISIČME FOIS, se
réfčre donc plutôt aux jours oů il leur apparut. Le premier jour fut en effet
l'apparition du soir męme de la Résurrectionl ; le second, celle de l'octave de la
Résurrection - et huit jours aprčs2 ; le troisičme jour, ce fut l'apparition
rapportée ici.
5. Voir
Mt 28, 16.
6. Voir Mc
16, 14.
7. Ac 1,
9.
8. Voir
Ac 1, 3.
Ou encore, on peut dire que, męme en
se rapportant au nombre d'apparitions, la vérité de ce qui a été dit est sauve
parce qu'on ne dit pas qu'il apparut ŕ de nombreux disciples réunis si ce n'est
une premičre fois, le soir, alors que les portes étaient closes3, une deuxičme huit jours plus tard, alors que les disciples se
trouvaient réunis, et une troisičme, celle-ci. C'est pourquoi il dit clairement
: JÉSUS SE MANIFESTAIT Ŕ SES DISCIPLES.
1. Voir
Jn 20, 19.
2. Jn 20,
26.
3. Jn 20,
19.
1 Aprčs cela, Jésus se manifesta de nouveau ŕ
l'ensemble de ses disciples prčs de la mer de Tiberiade. Or il se manifesta
ainsi. 2 Simon-Pierre, Thomas appelé Didyme, Nathanael qui était de Cana en
Galilée, et les fils de Zébédée, ainsi que deux autres de ses disciples, se
trouvaient ensemble. 3 Simon-Pierre leur dit : Ť Je vais pęcher. ť Ils lui
disent : Ť Nous aussi nous venons avec toi. ť Et ils sortirent et
montčrent dans la barque, et cette nuit-lŕ ils ne prirent rien. 4 Or, le matin
venu, Jésus se tint sur le rivage, mais ses disciples ne connurent pas que
c'était Jésus. 5 Jésus leur dit donc : Ť Les enfants, avez-vous quelque
chose ŕ manger ? ť Ils lui répondirent : Ť Non. ť 6 II leur dit
: Ť Lâchez le filet ŕ droite de la barque et vous trouverez. ť Ils le
lâchčrent donc et ils n'avaient plus la force de le remonter ŕ cause de la
multitude de poissons.
7 Alors le disciple que Jésus aimait dit ŕ Pierre
: Ť C'est le Seigneur ! ť Simon-Pierre, ayant entendu
Ť C'est le Seigneur ť, noua sa tunique ŕ la ceinture, car il était
nu, et se jeta ŕ la mer. 8 Quant aux autres, ils vinrent avec la barque, car
ils n'étaient pas loin de la terre mais ŕ environ deux cents coudées, en tirant
le filet plein de poissons.
9 Une fois descendus ŕ terre, ils virent des
braises disposées et, posés dessus, du poisson et du pain. 10 Jésus leur dit :
Ť Apportez de ces poissons que vous venez de prendre. ť n Simon-Pierre
monta dans la barque et tira ŕ terre le filet, plein de cent cinquante-trois
gros poissons ; et, bien qu'il y en eűt autant, le filet ne se déchira pas.
I2 Jésus leur dit : Ť Venez, mangez ! ť Et aucun de ceux qui
prenaient part au repas n'osait lui demander : Ť Toi, qui
es-tu ? ť, sachant qu'il est le Seigneur. 13 Et Jésus vient, il prend
le pain et le leur donne, et de męme le poisson. 14 C'était déjŕ la troisičme
fois que Jésus se manifestait ŕ ses disciples aprčs s'ętre relevé d'entre les
morts.
15 Quand ils eurent pris le repas, Jésus dit ŕ
Simon-Pierre : Ť Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que
ceux-ci ? ť II lui dit : Ť Mais oui, Seigneur, toi tu sais que
je t'aime ! ť II lui dit Ť Pais mes agneaux. ť 16 II lui dit de
nouveau Ť Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? ť II lui dit
Ť Mais oui, Seigneur, toi tu sais que je t'aime ! ť II lui dit
encore : Ť Pais mes agneaux. ť 17 II lui dit une troisičme fois :
Ť Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? ť Pierre fut contristé de ce
qu'il lui eűt demandé une troisičme fois : Ť M'aimes-tu ? ť et
il lui dit : Ť Seigneur, toi tu sais tout, tu sais que je
t'aime ! ť II lui dit : Ť Pais mes brebis. 18 En vérité, en
vérité, je te le dis, lorsque tu étais plus jeune, tu mettais toi-męme ta
ceinture et tu allais oů tu voulais. Quand tu auras vieilli, tu étendras tes
mains et un autre te ceindra et t'emmčnera lŕ oů tu ne veux pas. ť 19 Or il dit
cela pour signifier par quelle mort il glorifierait Dieu. Aprčs avoir dit cela,
il lui dit : Ť Suis-moi ! ť 20 S'étant retourné, Pierre vit que
le disciple que Jésus aimait les suivait - celui qui ŕ la Cčne reposa sur sa
poitrine et dit : Ť Seigneur, qui est celui qui te livrera ? ť
21 L'ayant donc vu, Pierre dit ŕ Jésus : Ť Et de lui, Seigneur, qu'en
sera-t-il ? ť 22 Jésus lui dit : Ť Si je veux qu'il demeure
jusqu'ŕ ce que je vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi ! ť 23
Le bruit se répandit donc parmi les frčres que ce disciple ne mourrait pas. Or
Jésus ne lui a pas dit : Ť II ne mourra pas ť, mais : Ť Si je
veux qu'il demeure jusqu'ŕ ce que je vienne, que t'importe ? ť
24 C'est ce disciple-lŕ qui témoigne de ces
choses et les a mises par écrit, et nous savons que son témoignage est vrai. 25
Mais il y a encore beaucoup d'autres choses que Jésus a faites, et s'il fallait
les mettre par écrit une par une, je ne pense pas que le monde lui-męme
pourrait contenir les livres qu'il faudrait écrire.
2614. L'Évangéliste a exposé précédemment ce que le Seigneur a révélé aux disciples d'une maničre commune1, mais ici il nous révčle ce qu'il confia plus spécialement aux deux qu'il aimait d'un amour de prédilection ; d'abord ŕ Pierre, puis ŕ Jean [n° 2624],
Dans cette premičre partie, le Seigneur révčle ŕ Pierre deux choses : d'abord il lui confčre sa charge de pasteur, puis il lui annonce le martyre qu'il aura ŕ souffrir [n° 2628].
Or ce n'est qu'aprčs l'avoir
interrogé qu'il lui remet sa charge de pasteur. Celui qui est choisi pour cette
charge est d'abord soumis ŕ une interrogation - N'impose hâtivement les mains ŕ personne2. Et il l'interroge par trois fois, aussi cette partie se trouve-t-elle divisée en trois,
suivant chacune des trois interrogations.
La premičre interrogation.
QUAND
ILS EURENT PRIS LE REPAS, JÉSUS DIT Ŕ SIMON-PIERRE : Ť SIMON, FILS DE
JEAN, M'AIMES-TU PLUS QUE CEUX-CI ? ť IL LUI DIT : Ť MAIS OUI,
SEIGNEUR, TOI TU SAIS QUE JE T'AIME ! ť IL LUI DIT : Ť PAIS MES
AGNEAUX. ť (21, 15)
Ici encore trois parties apparaissent
: d'abord Jean nous rapporte la question du Seigneur, puis la réponse de Pierre
[n° 2621], et enfin Pierre reçoit du Christ sa charge [n° 2623].
QUAND
ILS EURENT PRIS LE REPAS, JÉSUS DIT Ŕ SIMON-PIERRE : Ť SIMON, FILS DE
JEAN, M'AIMES-TU PLUS QUE CEUX-CI ? ť
Dans cette premičre partie, il y a
trois choses ŕ considérer : d'abord l'opportunité de l'interrogation3, puis la maničre dont le Christ s'adresse ŕ Pierre [n° 2616] et enfin
ce sur quoi porte cette interrogation [n° 2617].
1. Cf. Jn
20, 26.
2. 1 Tm
5, 22.
3. Ť Interrogation ť
traduit ici examinatio, qui implique une mise ŕ l'épreuve.
QUAND
ILS EURENT PRIS LE REPAS
2615. Ici est montrée l'opportunité de l'interrogation. Il s'agit lŕ du repas
spirituel dans lequel l'âme est refaite par les dons spirituels - J'entrerai
chez lui et je prendrai mon repas avec lui1. C'est pourquoi il convient que ceux qui sont choisis pour ce service
refassent d'abord leurs forces ŕ cet heureux repas. Autrement, étant eux-męmes
affamés, comment pourraient-ils refaire les autres ? - Et j'enivrerai
l'âme des prętres de graisse2, celle-lŕ męme, dis-je, dont le
psalmiste dit : Comme de graisse et de moelle se
rassasie mon âme3.
JÉSUS
DIT Ŕ SIMON-PIERRE : Ť SIMON, FILS DE JEAN, M'AIMES-TU PLUS QUE
CEUX-CI ? ť
2616. La maničre dont le Christ s'adresse ŕ Pierre nous est rapportée ici.
Les trois qualités nécessaires au prélat sont exposées.
L'obéissance, quand il l'appelle
SIMON, qui se traduit par Ť obéissant4 ť ; elle est nécessaire
pour les prélats, car celui qui ne sait pas obéir ŕ des supérieurs ne sait pas
commander des inférieurs - L'homme obéissant
parlera victoire5.
Puis la connaissance, quand il dit
PIERRE, qui se traduit par Ť celui qui connaît ť ; ce savoir est
nécessaire au prélat car il est établi comme celui qui observe. Or celui qui
est aveugle est un mauvais observateur - Ses guetteurs
sont tous des aveugles, ils ne savent rien6. - Parce que toi tu as rejeté la connaissance, moi je te rejetterai
afin que tu n'exerces pas pour moi le sacerdoce7.
Et enfin la grâce lorsqu'il dit Ť Ioannis8 ť, c'est-ŕ-dire FILS DE JEAN, et celle-ci est nécessaire aux
prélats, car sans elle ils ne sont rien - C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis9. - Ayant connu la grâce de Dieu qui m'a été
donnée, Jacques et Cephas et Jean, qui paraissaient ętre les colonnes, nous
donnčrent la main ŕ moi et ŕ Barnabe, en signe de communion 10.
1. Ap 3,
20.
2. Jr 31,
14.
3. Ps 62,
6.
4. L'étymologie
des trois noms qui caractérisent Pierre provient du Liber
interpretationis hebraicorum nominum de saint
Jérôme (respectivement Lag. 71, 4 ; 70, 16 ; 69, 16, CCL,
vol. LXXII, p. 148, 147, 146).
5. Pr 21,
28.
6. Is 56,
10. Saint Thomas commente : Ť Les guetteurs, ŕ savoir les prélats
qui sont postés pour garder le peuple des dangers, comme le guetteur des
ennemis, ne savent pas prévoir les dangers - Laissez-les : ils sont
aveugles et conducteurs d'aveugles (Mt 15, 14) ť (Exp. super Isaiam, 56, 10, p.
224, 1. 127-131).
7. Os 4,
6.
8. Voir
vol. I, n° 13.
M'AIMES-TU
PLUS QUE CEUX-CI ?
2617. L'interrogation porte sur la dilection11, et cela convient bien. Pierre
auparavant, comme nous l'avons vu, était tombé dans le péché ; il n'était
donc pas convenable qu'il fűt préféré sans qu'auparavant cette faute fűt
absoute, ce qui ne peut se faire que par la charité - La charité couvre la multitude des péchés 12. - La charité couvre toutes les fautes13. C'est pourquoi il convenait que par cette interrogation le
Christ manifestât la charité de Pierre, non pas ŕ lui qui scrute les reins et les
curs 14, mais aux autres. Il ne lui demande donc pas :
Ť M'AIMES-TU PLUS QUE CEUX-CI ? ť comme s'il ignorait la
réponse, mais parce que la
charité parfaite chasse la crainte 15.
De lŕ vient que c'est en Pierre que
le Seigneur renouvela l'amour et chassa la crainte, ce Pierre qui, alors que le
Seigneur allait mourir, avait eu peur et avait renié. C'est pourquoi, lui qui
avait renié par crainte de mourir ne craignit plus rien, le Seigneur étant
ressuscité. Que craindrait-il en effet quand désormais il trouvait la mort
morte ?16
2618. Cette interrogation convient aussi ŕ la charge [qui lui est confiée].
Beaucoup de ceux qui ont reçu une charge de pasteur en usent pour l'amour
d'eux-męmes - Sache
qu'ŕ la fin des jours viendront des temps périlleux, il y aura des hommes
s'aimant eux-męmes1. Or celui qui n'aime pas le Seigneur n'est pas
un véritable prélat ; seul l'est celui qui ne recherche pas son propre
intéręt mais celui du Christ Jésus, et ceci par amour pour lui - La charité du Christ
nous presse2.
9. 1 Co
15, 10.
10. Ga 2,
9.
11. Sur
le sens du mot dilectio, voir vol. I, n° 1475,
note 4, p. 612, et ci-dessus, nos 1837 et
1909.
12. 1
Ρ 4, 8.
13. Pr
10, 12.
14. Cf. Ps
7, 10 ; Jr 11, 20 ; 17, 10 et 20, 12 ; Ap 2, 23.
15. 1 Jn4, 18.
16. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXIII, 4, ΒΑ 75, p. 411-413.
L'interrogation convient aussi ŕ la
charge quant au service des plus proches, car c'est l'abondance de la charité
qui pousse ceux qui aiment ŕ quitter de temps en temps le repos de leur propre
contemplation pour pourvoir au service des plus proches3. En effet l'Apôtre qui affirmait : Car je suis certain que ni mort, ni vie, ni
anges, ni principautés, (...) ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu4, ajoute ensuite : Je désirais ardemment ętre moi-męme anathčme ŕ
l'égard du Christ pour mes frčres qui sont mes proches5.Voilŕ pourquoi l'interrogation est nécessaire pour s'assurer de la dilection
de celui qui va ętre prélat.
1. 2 Tm
3, 1-2. Saint Thomas distingue un double amour de soi, intérieur et extérieur :
Ť La racine de toute iniquité est l'amour de soi-męme. Or un double amour
fait une cité double. Mais contre cela on dira que n'importe qui s'aime
naturellement. Je réponds : il faut dire qu'il y a deux choses dans l'homme, ŕ
savoir une nature rationnelle et une nature corporelle. Quant ŕ la nature
intellectuelle ou rationnelle, qui est appelée l'homme intérieur, comme il est
dit en 2 Co 4, 16, l'homme doit plus s'aimer que tous les autres, parce qu'il
serait insensé, celui qui voudrait pécher pour retirer les autres de leurs
péchés ; mais quant ŕ l'homme extérieur, il est louable qu'il aime les
autres plus que lui. D'oů ceux qui s'aiment ainsi sont blâmables - Tous
recherchent leurs intéręts, non ceux de Jésus Christ (Ph 2, 21) ť
(Ad 2 Tim. lect., III, n° 92).
2. 2 Co
5, 14.
3. Voir
ci-dessus, n° 1595, note 5, et n° 2487, note 2. Ici saint Thomas insiste sur la
grandeur de la vie active en elle-męme, Ť qui est nécessaire pour aimer le
prochain de quelque façon que ce soit ť (cf. Somme théol., II-II, q.
182, a. 4, c. et ad 1).
4. Rm 8,
38-39.
5. Rm 9,
3. Saint Thomas développe : Ť Je désirais ętre moi-męme anathčme ŕ
l'égard du Christ, c'est-ŕ-dire séparé de lui, ce qui peut avoir lieu de
deux maničres. D'abord, par une faute par laquelle on est séparé de la charité
du Christ en n'observant pas son précepte : Si vous m'aimez,
vous garderez mes commandements (Jn 14, 15). L'Apôtre ne pouvait
pas souhaiter ętre anathčme ŕ l'égard du Christ de cette maničre pour n'importe
quelle cause ; cela est de toute évidence, d'aprčs ce qui a été dit au
chapitre 8, 35. Car cela s'opposerait ŕ l'ordre de la charité selon lequel on
est tenu d'aimer Dieu par-dessus toutes choses et son propre salut plus que le
salut des autres. Aussi l'Apôtre ne dit-il pas je désire, mais je
désirais, c'est-ŕ-dire au temps de l'infidélité. Cependant, selon ce sens,
l'Apôtre ne dit rien d'extraordinaire, puisque alors il voulait, męme pour
lui-męme, ętre séparé du Christ. (...) D'une autre maničre on peut ętre séparé
du Christ, c'est-ŕ-dire de la jouissance du Christ qu'on possčde dans la gloire.
C'est de cette maničre que l'Apôtre voulait ętre séparé du Christ pour le salut
des Gentils, ŕ plus forte raison pour la conversion des Juifs - Désirant
ętre dissous et ętre avec le Christ, chose bien meilleure pour moi ; et
demeurer dans la chair, chose nécessaire pour vous (Ph 1,
23-24). C'est donc ainsi qu'il disait : je désirais, ŕ savoir si c'était
possible, ętre anathčme, c'est-ŕ-dire séparé de la gloire, soit
absolument soit pendant un temps, pour l'honneur du Christ, qui résulte de la
conversion des Juifs - Dans la multitude du peuple est la dignité d'un roi (Pr
14, 28). D'oů ce que dit Chrysostome dans son ouvrage De la componction du
cur : "L'amour a tellement dominé toute son âme que męme ce qui lui
était plus aimable que tout, c'est-ŕ-dire d'ętre avec le Christ, il en
arriverait ŕ le mépriser pour plaire au Christ ; et pareillement pour le
royaume des Cieux, qui semblait devoir ętre la récompense de ses labeurs, il
souffrirait tout aussi bien d'y renoncer pour le Christ" ť (Ad Rom.
lect., IX, n° 740).
2619. Il ajoute PLUS QUE CEUX-CI Męme le Philosophe, dans sa Politique6, affirme que celui qui commande et gouverne
doit ętre, selon un ordre naturel, le plus excellent. C'est pourquoi il dit
que, comme l'âme se comporte ŕ l'égard du corps qu'elle régit et l'intelligence
ŕ l'égard de ce qui lui est inférieur, et encore l'homme ŕ l'égard des animaux
qui ne sont pas doués de raison, ainsi le prélat doit regarder ceux qui lui
sont confiés.
C'est pourquoi, selon Grégoire7, la vie du pasteur doit ętre telle que, comparativement ŕ lui, ses
subordonnés soient semblables aux brebis8 comparativement ŕ leur pasteur.
Aussi le Christ dit-il : PLUS QUE CEUX-CI, parce que plus on aime, plus on est grand - Certes, vous voyez
quel est celui qu'a choisi le Seigneur et qu'il n'y en a pas de semblable dans
tout le peuple9.
2620. Mais est-il nécessaire, lors d'un choix, de choisir toujours le
meilleur de maničre absolue quand, selon le droit, il suffit de choisir un
homme qui soit bon ? Il faut ici faire une double distinction, car ce qui
suffit selon le jugement humain ne suffit cependant pas selon le jugement
divin.
6. Voir
notamment III, 13, 1283 b 21-23 et 1284 a 3-13 et b 28-33 ; III, 16, 1287
b 12.
7. Rčgle
pastorale, II, 1, SC 381, p. 175.
8. Ť Brebis ť
traduit ici le mot animalia.
9. 1 S
10, 24.
Selon le jugement humain, il suffit qu'on
ne puisse accuser un homme et que le choix ne puisse ętre remis en cause. En
effet, il semble difficile que des choix puissent se faire si on peut ensuite
les remettre en cause parce qu'on trouve un autre homme meilleur que celui qui
a été choisi. Aussi suffit-il, selon le jugement humain, comme on le lit dans
les Décrétales1, que le choix soit droit et que soit choisi un
homme capable.
Pourtant, selon le jugement divin et
selon la conscience, il est nécessaire de choisir le meilleur. Cependant, au
sens absolu, on dit d'un homme qu'il est le meilleur quand il est le plus
saint, car la sainteté le rend bon ; mais celui-lŕ n'est pas le meilleur
selon ce que requiert l'Église. De ce point de vue, [un homme] est meilleur
dans la mesure oů il est plus lettré, oů il a plus de compétence et de
discernement, et oů il est choisi avec un plus grand accord.
Mais si tous possčdent également les
qualités nécessaires au service de l'Église, et donc l'excellence requise en
vue de cette fonction, et qu'un homme moins bien au sens absolu est préféré, il
y a péché parce que nécessairement quelque intéręt pousse ŕ cela. Et donc, ce
que l'on poursuit est soit l'honneur de Dieu et le bien de l'Église, soit
quelque intéręt privé. Si c'est le bien de l'Église et l'honneur de Dieu qui
poussent ŕ choisir, ce bien que l'on saisit dans l'élu fait de lui le meilleur
pour cette fonction. Mais si c'est quelque intéręt privé, par exemple une
attache charnelle, l'espoir d'un bénéfice et d'un avantage temporel, le choix
est alors frauduleux et il y a acception de personnes.
II
IL LUI
DIT : Ť MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU SAIS QUE JE T'AIME ! ť (21,
15)
2621. Voici la réponse de Pierre : par elle est donné un signe évident qu'il
s'est corrigé de son reniement, et que les prédestinés sont toujours corrigés
pour un plus grand bien, si parfois ils tombent.
Car avant son reniement, Pierre
s'exalta au-dessus des autres Apôtres, en disant : Quand tous se
scandaliseraient de toi, moi jamais je ne me scandaliserai !2, mais aussi contre son Seigneur, parce qu'alors qu'il lui disait : Tu
me renieras trois fois, Pierre ajouta : Quand il me faudrait mourir avec
toi, je ne te renierai pas3 ; par lŕ il semblait s'opposer
violemment ŕ la parole du Seigneur.
Mais ŕ présent, vaincu dans ses
propres forces, il n'ose pas confesser son amour si ce n'est en rendant
témoignage au Seigneur sous forme de protestation, en s'humiliant devant le
Christ par ces paroles : Ť MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU SAIS QUE JE
T'AIME ! ť - Car voilŕ que dans le ciel est mon témoin et que
celui qui a une connaissance intime de moi habite au plus haut des deux 4.
Il s'humilie également devant les
Apôtres en ne disant pas : Ť plus que ceux-ci ť, mais simplement
Ť JE T'AIME ť. Par lŕ nous comprenons que nous ne devons pas nous
élever au-dessus des autres, mais les élever au-dessus de nous - Mais par
humilité, chacun
estimant les autres supérieurs ŕ soi1.
1. Decretales GregorII IX, 1. I, Tit. vi, Cap. XXXil, Ť Quum dilectus > C. I C. éd.
Richter-Friedberg, 2č éd., Leipzig, 1881, col. 78-79.
2. Mt 26,
33. Saint Thomas commente : Ť Pierre pécha en trois choses. Tout d'abord
parce qu'il n'a pas cru le Seigneur plus que lui-męme, alors qu'il est
cependant écrit : Dieu seul est vrai et tout homme est menteur (Rm 3, 4).
Aussi parce qu'il s'est mis devant les autres : Quand tous se
scandaliseraient de toi, moi jamais je ne me scandaliserai ! Il se
jugeait donc plus fort que les autres et il tomba en ce qu'il est dit : Je
ne suis pas comme les autres hommes (Le 18, 11). De męme, parce qu'il
s'attribuait ce qu'il ne devait pas - Sans moi vous ne pouvez rien faire (Jn
15, 5). Donc, parce qu'il a parlé avec arrogance, Dieu a davantage permis qu'il
tombât. Et Dieu a fait cela parce qu'il hait par-dessus tout l'orgueil - Et
il voit tout arrogant et l'humilie (Jb 40, 6) ť (Sup. Matth. lect.,
XXVI, n° 2212).
3. Mt 26,
35.
4. Jb 16,
20.
2622. Notons aussi, selon Augustin, qu'au Seigneur qui lui demande :
Ť M'AIMES-TU ? ť (diligis me ?), Pierre ne répond
pas : Ť Je t'aime ť (diligo), mais Amo te. Comme si
l'amour et la dilection étaient la męme chose2. Ce qui est vrai selon la réalité,
mais diffčre selon le nom. L'amour est en effet un mouvement de
l'appétit ; si ce mouvement est contrôlé par la raison, il s'agit alors
d'un amour volontaire qui est ŕ proprement parler la dilection parce qu'elle
suit un choix. Voilŕ pourquoi on ne peut dire ŕ proprement parler que les
animaux aiment (diligere). Mais si ce mouvement n'est pas réglé par la
raison, on l'appelle l'amour (amor) 3.
III
IL LUI
DIT : Ť PAIS MES AGNEAUX. ť (21, 15)
2623. Maintenant, aprčs avoir éprouvé Pierre, il lui confie sa mission :
Ť PAIS MES AGNEAUX ť, c'est-ŕ-dire ceux qui croient en moi, ceux que
moi, l'Agneau, j'appelle Ť mes
agneaux ť - Voici l Agneau de Dieu, voici celui qui enlčve les péchés
du monde4. Cela pour qu'on ne puisse pas appeler
Ť chrétien ť celui qui affirme qu'il n'est pas sous la garde de ce
pasteur, c'est-ŕ-dire de Pierre
- Un seul pasteur sera pour eux tous5. - Et ils se donneront un seul
chef6.
Il convenait que le Christ confiât
cette mission ŕ Pierre de préférence ŕ tous les autres, lui qui, selon
Chrysostome, était Ť le plus remarquable des Apôtres ť, aussi bien
porte-parole des disciples que tęte du collčge (collegium) 7.
La deuxičme interrogation.
IL LUI
DIT DE NOUVEAU : Ť SIMON, FILS DE JEAN, M'AIMES-TU ? ť IL LUI
DIT : Ť MAIS OUI, SEIGNEUR, TOI TU SAIS QUE JE T'AIME ! ť IL LUI
DIT ENCORE : Ť PAIS MES AGNEAUX. ť (21, 16)
2624. Voici maintenant la seconde interrogation. Pour ne pas [en rester ŕ]
une répétition des męmes mots, remarque que si Jésus dit trois fois PAIS MES
AGNEAUX [ou MES BREBIS], c'est parce que Pierre doit les faire paître de trois
maničres.
1. Ph 2,
3. Saint Thomas commente : Ť En effet, comme le fait que l'homme s'élčve
au-dessus de lui-męme relčve de l'orgueil, ainsi il appartient ŕ l'humilité que
l'homme se soumette ŕ sa mesure. Mais comment celui qui est supérieur
pourra-t-il réaliser cela ? En effet, ou bien il ne connaît pas qu'il est
supérieur, ni sa vertu, et ainsi il n'est pas vertueux puisqu'il n'est pas
prudent. Ou bien il le sait, et ainsi il ne peut estimer un autre supérieur ŕ
lui. Je réponds : il faut dire que nul n'est si bon qu'il n'y ait en lui aucun
défaut, et nul n'est si mauvais qu'il n'ait quelque chose de bon. D'oů il ne
faut pas qu'il le place devant lui de maničre absolue, mais que quant ŕ cela il
dise en son esprit : "Sűrement, il est en moi quelque défaut qui n'est pas
en lui". Et Augustin montre cela dans son livre De la virginité, en
montrant comment la vierge préfčre ŕ elle-męme la femme mariée, parce que cette
derničre est sűrement plus fervente. Mais ŕ supposer qu'en toutes choses
celui-ci est bon, et celui-lŕ mauvais, néanmoins toi et lui contenez une double
personne, ŕ savoir la tienne et celle du Christ. Si donc tu ne le places pas
devant en raison de sa personne, tu le places devant en raison de l'image
divine - Prévenants les uns pour les autres par le respect (Rm 12,
10) ť (Ad Phi1. lect., II, n° 49).
2. Tract, in Io., CXXIII, 5, ΒΑ 75, p. 417.
D'abord par la parole de la doctrine
- Je vous
donnerai des pasteurs selon mon cur, et ils vous nourriront de connaissance et
de doctrine8 ; par l'exemple de sa vie - Sois l'exemple des fidčles par ta parole,
par ta conduite, par ta charité, par ta foi et par ta chasteté1. - Sur les monts d'Israël, la noblesse
des grands hommes, seront vos pâturages2 ; et encore, en leur apportant un secours temporel - Malheur aux pasteurs
d'Israël qui se faisaient paître eux-męmes. N'est-ce pas les troupeaux que les
pasteurs font paître ?3
3. Saint
Thomas distingue les actes volontaires - l'amour spirituel (ętre attiré par le
bien spirituel), l'élection (choisir ce bien spirituel), la dilection (aimer ce
bien préféré aux autres) - des actes de l'appétit sensible. Les uns sont
commandés par la raison : j'aime volontairement un bien spirituel et je le
choisis lorsque je le connais de l'intérieur par l'intelligence (ici Ja raison).
Mais c'est une connaissance sensible qui suscitera l'amour sensible, l'acte de
l'appétit sensible. Voir ci-dessus, n° 2480, note 3, et n° 2494, note 6. Voir
aussi Somme théol, I-II, q. 8 et 9.
4. Jn 1, 29.
5. Ez 37, 24.
6. Os 1, 11 [BJ 2, 2].
7. In Ioannem hom., LXXXVIII, 1, PG 59, col. 478.
8. Jr 3,
15.
La troisičme interrogation.
IL LUI
DIT UNE TROISIČME FOIS : Ť SIMON, FILS DE JEAN, M'AIMES-TU ? ť
PIERRE FUT CONTRISTÉ DE CE QU'IL LUI EŰT DEMANDÉ UNE TROISIČME FOIS :
Ť M'AIMES-TU ? ť ET IL LUI DIT : Ť SEIGNEUR, TOI TU SAIS
TOUT, TU SAIS QUE JE T'AIME ! ť IL LUI DIT : Ť PAIS MES
BREBIS. ť (21, 17)
2625. Mais sois attentif au fait que la troisičme fois, il lui dit
Ť PAIS MES BREBIS ť, aprčs avoir dit deux fois auparavant Ť PAIS
MES AGNEAUX ť. C'est que dans l'Église, on peut distinguer trois genres (genera)
d'hommes : les commençants, les progressants et les parfaits4. Et ces deux premiers sont les agneaux, comme encore imparfaits,
tandis que les autres, en tant que parfaits, sont appelés brebis5 - Les montagnes, c'est-ŕ-dire les
parfaits, bondirent comme des béliers, et les collines, c'est-ŕ-dire les autres, comme des agneaux de brebis6.
1. 1 Tm 4, 12. Voir Ad 1 Tim., IV, n° 169.
2. Ez 34,
14.
3. Ez 34,
2.
4. Voir
n° 2508, note 7, et Somme théol., II-II, q. 24, a. 9, c. : Ť En
premier lieu, le zčle de l'homme s'appliquera principalement ŕ s'éloigner du
péché et ŕ résister aux concupiscences qui le poussent au sens contraire de la
charité. Et cela convient aux commençants chez qui la charité doit ętre nourrie
et entretenue de peur qu'elle ne se corrompe. Deuxičmement, son zčle se
poursuit de telle sorte qu'il tende ŕ avancer dans le bien. Un tel zčle
convient aux progressants, qui tendent principalement ŕ ce que la charité
augmente en eux. Enfin, un troisičme zčle est que l'homme tende principalement
ŕ adhérer ŕ Dieu et ŕ jouir de lui. Cela se rapporte aux parfaits qui désirent disparaître
et ętre avec le Christ (Ph 1, 23) ť.
5. Cf. Théophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 311.
6. Ps
113,4.
7. Il
s'agit en fait d'un commentaire du męme passage de l'évangile : Serm. de Scr.,
96, II, 2, PL 38, col. 796-797.
8. Tract, in Io., CXXIII, 5, ΒΑ 75, p. 415.
9. Cf. Lc
7, 47 Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé. Mais
celui ŕ qui on remet moins aime moins.
10. Mt
16, 18. Ť Qui, de Pierre ou du Christ, est le fondement ? Il faut
dire le Christ en tant que tel mais Pierre en tant qu'il a la concession du
Christ, en tant qu'il est son vicaire - Bâtis sur le fondement des Apôtres
et des prophčtes, le Christ Jésus étant lui-męme pierre principale d'angle (Ep
2, 20). - Les douze fondations de la ville, et sur chacune les noms des
douze Apôtres et de l'Agneau (Ap 21, 14). C'est pourquoi le Christ en
lui-męme est fondement, et les Apôtres le sont, non pas en eux-męmes, mais par
une concession du Christ, et l'autorité donnée par le Christ - 5a fondation
sur les saintes montagnes (...) (Ps 86, 1) ť (Sup. Matth. lect., XVI,
n° 1384).
Aussi tous les prélats doivent-ils
garder ceux qui leur sont confiés comme les brebis du Christ et non les leurs.
Mais hélas, comme le dit Augustin dans un sermon de Pâques7, Ť Voici que des serviteurs infidčles ont dispersé le troupeau du
Christ et par leurs rapines ont entassé pour eux de l'argent ; et tu les
entends dire : "Ces brebis sont ŕ moi ! Pourquoi cherches-tu mes
brebis ? Que je ne te trouve pas auprčs d'elles !" Mais si nous
disons "les miennes", et qu'ils les disent "leurs", c'est
que le Christ a perdu ses brebis. ť
2626. Remarquons encore que, de męme qu'il lui confie sa mission par trois
fois, il l'éprouve aussi par trois fois. D'abord parce que Pierre l'avait renié
trois fois. Aussi une triple confession s'impose-t-elle, comme le dit Augustin8, Ť pour qu'ainsi sa langue ne serve pas moins l'amour que la
crainte, et que la mort imminente ne paraisse pas avoir arraché plus de paroles
que la Vie présente ť.
Ensuite, parce que Pierre était tenu
d'aimer le Christ pour trois raisons. D'abord ŕ cause du péché remis - Celui
ŕ qui l'on remet
plus, aime plus9 ; puis ŕ cause de l'honneur promis, parce qu'il
était grand : Sur cette pierre, je bâtirai mon Église10 ; enfin ŕ cause de la mission qui lui était confiée, comme ici oů
il le charge de veiller sur l'Église.
Ou encore, il dit trois fois : PAIS,
ŕ cause de ce que le Seigneur a commandé - Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton
cur, c'est-ŕ-dire
pour diriger vers Dieu toute ton intention, de toute ton âme, pour que
ta volonté tout entičre se repose en Dieu par l'amour, et de toute ta force1, pour que toute la réalisation de tes uvres serve Dieu.
PIERRE
FUT CONTRISTÉ DE CE QU'IL LUI EŰT DEMANDÉ UNE
TROISIČME FOIS : Ť M'AIMES-TU ? ť ET IL LUI DIT :
Ť SEIGNEUR, TOI TU SAIS TOUT, TU SAIS QUE JE T'AIME ! ť
2627. Remarquons aussi que Pierre, interrogé ainsi ŕ trois reprises, fut
contristé. C'est qu'avant la Passion, alors qu'il avait proclamé vivement son
amour pour le Christ, il fut réprimandé par le Seigneur comme nous l'avons vu.
Se voyant donc interrogé trois fois sur son amour, il craint d'ętre réprimandé
par le Seigneur, et il en est contristé2. Aussi dit-il : Ť TOI TU SAIS
TOUT, TU SAIS QUE JE T'AIME ! ť, comme pour dire : Moi je t'aime,
autant qu'il me semble, mais toi tu sais tout et peut-ętre tu sais qu'il doit
arriver quelque chose d'autre. C'est pourquoi c'est ŕ Pierre, ainsi humilié,
que fut finalement confiée l'Église.
Un Docteur grec affirme que ce serait la raison pour laquelle on interroge trois fois les catéchumčnes lors du baptęme3.
Ť EN
VÉRITÉ, EN VÉRITÉ, JE TE LE DIS, LORSQUE TU ÉTAIS PLUS JEUNE, TU METTAIS
TOI-MĘME TA CEINTURE ET TU ALLAIS OŮ TU VOULAIS. QUAND TU AURAS VIEILLI, TU
ÉTENDRAS TES MAINS ET UN AUTRE TE CEINDRA ET T'EMMČNERA LŔ OŮ TU NE VEUX
PAS. ť OR IL DIT CELA POUR SIGNIFIER PAR QUELLE MORT IL GLORIFIERAIT DIEU.
(21, 18-19)
2628. Le Seigneur a désormais confié ŕ Pierre son service de pasteur ;
maintenant il lui annonce qu'il aura ŕ souffrir le martyre ; et cela
convient bien, car il revient au bon pasteur de livrer son âme pour ses brebis 4. Or il ne fut pas donné ŕ Pierre de livrer son âme pour le Christ dans
sa jeunesse, mais déjŕ vieux et pour ses brebis.
C'est bien ce que lui annonce le
Christ dans cette prédiction ; il lui rappelle d'abord la condition de sa
vie passée, puis il lui annonce la perfection de sa vie future [n° 2630]. Enfin
l'Évangéliste rapporte les paroles du Seigneur [n° 2633].
1. Dt 6,
5.
2. Cf. Theophylacte, Enarr.
in Ev. S. Ioannis. In h. loc, PG 124, col. 310.
3. Theophylacte, ibid.
4. Voir
Jn 10, 11.
5. Ť Ils
[les jeunes gens] sont enclins ŕ la colčre et ŕ l'emportement, toujours pręts ŕ
suivre leurs entraînements et incapables de dominer leur fureur. Par
amour-propre, ils ne supportent pas qu'on tienne peu de compte de leur
personne, et se fâchent quand ils croient qu'on leur fait tort ť (Aristote, La rhétorique, II,
12, 1389 a 9-10). Ť Ils croient tout savoir et affirment avec obstination
: c'est la cause de leur excčs en tout. Ils commettent leurs méfaits par
démesure, non par méchanceté ť (loc. cit., 1389 b 5-7).
I
LORSQUE
TU ÉTAIS PLUS JEUNE, TU METTAIS TOI-MĘME TA CEINTURE ET TU ALLAIS OŮ TU
VOULAIS. QUAND TU AURAS VIEILLI, TU ÉTENDRAS TES MAINS ET UN AUTRE TE CEINDRA.
2629. Or la condition passée de Pierre ne fut pas sans défauts car dans sa
jeunesse il fut trop présomptueux et trop attaché ŕ sa volonté propre - ce qui
est en effet le propre des jeunes, comme le dit le Philosophe dans sa Rhétorique5. Aussi l'Ecclésiaste dit-il, comme
par maničre de blâme : Réjouis-toi
donc, jeune homme, en ton adolescence, et qu'heureux soit ton cur dans les
jours de ta jeunesse ; marche dans les voies de ton cur6. C'est ce que signifie cette parole du Seigneur : LORSQUE TU ÉTAIS PLUS
JEUNE, TU METTAIS TOI-MĘME TA CEINTURE ET TU ALLAIS OŮ TU VOULAIS, c'est-ŕ-dire
: tu te maintenais ŕ l'écart de certaines choses illicites et superflues, comme
si tu ne supportais pas, selon ton jugement propre1, de te maintenir ŕ l'écart de
quelque chose. Voilŕ aussi pourquoi, quand il s'agit d'accomplir des bonnes
uvres, c'est toujours dans les dangers que tu veux ętre ŕ ma place.
6. Qo 11,
9.
Cependant il ne t'a pas été donné de
souffrir pour moi quand tu étais jeune ; mais, QUAND TU AURAS VIEILLI, je
comblerai ton désir pour que, ce que tu n'auras pas souffert dans ta jeunesse,
tu le souffres comme vieillard car TU ÉTENDRAS TES MAINS ET UN AUTRE TE
CEINDRA. Admirable annonce ! C'est toute la durée de sa vie et sa passion
qu'elle présente. Car entre le moment oů ces paroles ont été dites et la mort
de Pierre se sont écoulées presque trente-sept années ; il était donc en
effet bien vieux.
II
QUAND
TU AURAS VIEILLI, TU ÉTENDRAS TES MAINS ET UN AUTRE TE CEINDRA ET T'EMMČNERA LŔ
OŮ TU NE VEUX PAS.
2630. Selon Chrysostome2, il dit : QUAND TU AURAS VIEILLI,
parce qu'il en va autrement dans les choses humaines et dans les choses
divines. Dans les choses humaines, les jeunes par leurs affaires sont utiles,
mais les vieillards inutiles. Mais dans les choses divines, la vertu ne
disparaît pas avec la vieillesse, au contraire elle est parfois plus forte - Ma vieillesse est comblée d'une miséricorde abondante3. - Comme les jours de ta jeunesse, ainsi sera ta vieillesse4. Mais cela s'entend,
comme l'affirme Tullius5, de ceux qui pendant leur jeunesse
s'exercent en vue du bien. Par contre ceux qui, jeunes, s'adonnent ŕ
l'oisiveté, ne valent pas beaucoup ou rien quand ils sont vieux.
Par lŕ on comprend aussi, comme le
dit Origčne dans son commentaire sur ce passage de Matthieu6 Longtemps aprčs, le maître revint7, qu'en effet on trouve rarement des maîtres et
des enseignants dans l'Église qui soient utiles et qui ne vivent que peu de
temps. Il donne alors l'exemple de Paul dont on lit dans les Actes qu'il était
adolescent8, et qui plus tard écrit ŕ Philémon :
Puisque tu es
comme moi, le vieux Paul9. La raison en est que, parce qu'on trouve bien peu d'hommes
capables pour cela, quand on en trouve quelques-uns, le Seigneur les maintient
en vie plus longtemps.
2631. Il lui annonce aussi le mode de sa passion : TU ÉTENDRAS TES MAINS, car
Pierre fut crucifié ; cependant non pas avec des clous mais avec des
cordes, pour le maintenir en vie plus longtemps. Et c'est cela que le Christ
appelle Ť ceinture ť.
Ŕ propos de la passion des saints, il
nous faut considérer trois aspects.
D'abord le mouvement de l'affection
naturelle, car il y a entre l'âme et le corps un lien naturel tel que jamais
l'âme ne voudrait ętre séparée du corps et inversement 10 - Nous ne voulons pas ętre dépouillés, mais revętus par-dessus11. - Mon âme est triste jusqu'ŕ la mort1. Aussi le Christ dit-il : OŮ TU NE
VEUX PAS, c'est-ŕ-dire selon l'instinct de ta nature, si naturel que męme la
vieillesse ne pourra l'enlever ŕ Pierre. Pourtant le désir de la grâce parvient
ŕ le vaincre, c'est pourquoi l'Apôtre dit : J'ai le désir de disparaître et
d'ętre avec le Christ2.
Oui, nous sommes pleins d'audace, nous aimons mieux sortir de ce corps, et
ętre présents ŕ Dieu3.
1. Saint
Thomas, commentant la parole de Jésus, semble indiquer que Pierre ne se
restreignait que pour le minimum interdit ou inutile, et sinon ne souffrait pas
(Ť Tu allais oů tu voulais ť) d'ętre entravé dans son élan
Ť selon son jugement propre ť. D'oů son empressement pour courir les
męmes dangers que son Maître.
2. In Ioannem hom., LXXXVIII, 1, PG 159, p. 479.
3. Ps 91,
11 (verset propre ŕ la Vulgate).
4. Dt 33,
25.
5. CicÉron, Caton l'ancien (De la
vieillesse), xvill, 62, Les Belles Lettres, p. 121.
6. Commentaria in Evangelium secundum Matthaeum, XI,
il, GCS 38, p. 156-157.
7. Mt 25, 19.
8. Cf. Ac 7, 58.
9. Phm 9.
10. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVIII, 1, PG 59, col. 479.
11. 2 Co
5, 4. Saint Thomas commente : Ť Le désir de la grâce brűle de parvenir ŕ
la récompense mais il est retardé par le désir de la nature (...). Le caractčre
du désir naturel est de retarder le désir de la grâce, parce que nous voudrions
ętre trouvés vętus et non pas nus ; nous voudrions que notre âme parvînt ŕ
la gloire sans que le corps passât par la corruption de la mort. La raison en
est qu'il y a dans l'âme un désir naturel d'ętre unie au corps, autrement la
mort ne serait pas un châtiment. C'est pourquoi il dit : Tant que nous
sommes dans cette tente, c'est-ŕ-dire tant que nous habitons dans ce corps
mortel - Je sais que je quitterai bientôt cette tente (2 Ρ 1, 14)
-, nous gémissons, notre cur gémit et non seulement notre voix - Comme
des colombes nous gémissons (Is 59, 11) -, parce qu'il est dur de penser ŕ
la mort. Et nous sommes accablés, comme si notre désir se heurtait ŕ un
obstacle, en ce que nous ne pouvons parvenir ŕ la gloire sans déposer notre
corps, ce qui va contre le désir nature1. Augustin dit que la vieillesse
elle-męme n'a pu enlever ŕ Pierre la crainte de la mort. Voilŕ pourquoi nous
ne voulons pas nous dépouiller de notre tente terrestre, mais nous
revętir par-dessus de la gloire céleste, ou, selon la Glose, d'un corps
glorieux ť {Ad 2 Cor. lect., V, nos 158-159).
1. Mt 26,
38.
Ensuite, la divergence entre
l'intention des saints et celle de leurs persécuteurs : ET T'EMMČNERA LŔ OŮ TU
NE VEUX PAS.
Enfin, nous devons ętre pręts ŕ
souffrir mais non ŕ tuer, c'est pourquoi il dit : TU ÉTENDRAS TES MAINS. Et
c'est évident de Pierre : alors que le peuple voulait fomenter une révolte
contre Néron et sauver Pierre, lui-męme l'en empęcha - Le Christ a souffert
pour nous, nous laissant un exemple4.
2632. On pourrait croire que T'EMMČNERA doit précéder l'affirmation UN AUTRE
TE CEINDRA, comme pour dire : il te ceindra parce qu'il T'EMMČNERA LŔ OŮ TU NE
VEUX PAS. Mais pour qu'on ne croie pas que cela ait été dit en vain, cela a été
écrit aprčs la mort de Pierre. Car Pierre fut tué ŕ l'époque de Néron tandis
que Jean écrivit son Évangile aprčs son retour d'exil, sous l'empereur
Domitien. Or il y eut plusieurs empereurs entre Néron et Domitien.
2. Ph 1,
23.
3. 2 Co
5, 8. Au sujet de ce verset, saint Thomas précise : Ť Mais pourquoi cette
audace ? Pour mieux sortir de ce corps, c'est-ŕ-dire m'arracher ŕ
lui, par la dissolution du corps, ce qui va contre le désir de la nature, et
ętre présents ŕ Dieu, c'est-ŕ-dire entrer dans la claire vision, ce qui est
le désir de la grâce. C'est ce que désirait le psal-miste qui disait : Mon
âme a soif de Dieu (Ps 41, 3) ť {Ad 2 Cor. lect., V, n° 165).
4. 1
Ρ 2, 21.
III
OR IL
DIT CELA POUR SIGNIFIER PAR QUELLE MORT IL GLORIFIERAIT DIEU. (21, 19)
2633. L'Évangéliste nous rapporte cet événement encore ŕ venir comme s'il
était déjŕ arrivé5 en disant : OR IL DIT CELA -
c'est-ŕ-dire Jésus ŕ Pierre - POUR SIGNIFIER PAR QUELLE MORT IL GLORIFIERAIT
DIEU ; en effet, la mort des saints, et non pas seulement leur vie, est en
vue de la gloire du Christ - Le Christ sera glorifié dans mon corps soit par
la vie, soit par la mort6.
- Qu'aucun de vous ne souffre comme voleur ou comme homicide (...) ; et,
si c'est comme chrétien, qu'il ne rougisse pas, mais qu'il glorifie Dieu en ce
nom7. C'est ainsi qu'est manifestée la grandeur du
Seigneur, lorsqu'au nom de sa vérité et de leur foi en lui les saints
s'exposent ainsi ŕ la mort.
5. L'édition
Marietti dit ici quasi adhuc futurum, et la léonine propose jam
factum. N'osant pas trancher, nous avons mis les deux.
6. Ph 1,
20. Ť Dans notre corps le Christ est doublement glorifié. D'une [premičre]
maničre en tant que nous regardons notre corps pour son obéissance, en
exécutant corporellement ses services - Glorifiez et portez Dieu dans votre
corps (1 Co 6, 20 [propre ŕ la Vulgate]). D'une autre maničre en exposant
notre corps pour le Christ - Quand je livrerais mon corps aux flammes (1
Co 13, 3). Mais la premičre maničre se fait par la vie, et la seconde par la
mort. C'est pourquoi il dit soit par la vie, parce qu'il opčre en
vivant, soit par la mort - Soit que nous vivions, soit que nous mourrions,
nous sommes du Seigneur (Rm 14, 8). Ce qui peut aussi se comprendre de la
mort spirituelle - Mortifiez vos membres qui sont sur la terre (Col 3,
5) ť {Ad Phi1. lect., I, n° 31).
7. 1 Ρ 4, 15-16.
2634. Aprčs avoir exposé ce que le Seigneur a révélé ŕ Pierre, l'Évangéliste nous raconte ici ce qu'il révéla ŕ Jean, c'est-ŕ-dire ŕ lui-męme. Il présente d'abord la recommandation1 du disciple par le Christ, puis celle de son Évangile [n° 2652].
Concernant ce premier point, il nous
précise d'abord l'occasion [qu'a le Christ] de recommander ce disciple, puis il
l'expose [n° 2638].
L'occasion de cette recommandation.
APRČS
AVOIR DIT CELA, IL LUI DIT : Ť SUIS-MOI ! ť (21, 19)
2635. L'occasion de cette recommandation de Jean fut l'appel du Christ
invitant Pierre ŕ le suivre. En effet, c'est APRČS AVOIR DIT CELA - ce qui
concernait sa mission et son martyre - que Jésus dit ŕ Pierre :
Ť SUIS-MOI ! ť>
Selon Augustin2 cela est dit en référence au martyre, c'est-ŕ-dire Ť en souffrant
pour moi ť ; car il ne suffit pas de souffrir de n'importe quelle
maničre, mais seulement en suivant le Christ, c'est-ŕ-dire ŕ cause de lui - Vous
serez heureux lorsque les hommes vous haďront ŕ cause du Fils de l'homme3. - Le Christ męme a souffert pour nous vous laissant un exemple4.
2636. Mais beaucoup d'autres, parmi les disciples présents ŕ ce moment, ont
souffert ŕ cause du Christ, et notamment Jacques qui fut mis ŕ mort le premier
- II fit mourir par le glaive Jacques, frčre de Jean5. Pourquoi dit-il spécialement ŕ Pierre Ť SUIS-MOI ! ť ?
Lŕ Augustin6 répond que Pierre a non seulement souffert la mort pour le Christ,
mais aussi qu'il l'a suivi jusque dans le genre de mort, c'est-ŕ-dire celui de
la croix - Si quelqu'un veut venir aprčs moi, qu'il renonce ŕ lui-męme,
qu'il porte sa croix et qu'il me suive7.
Ou encore, selon Chrysostome8, il dit Ť SUIS-MOI ! ť dans le service de prélat ;
comme si Jésus disait : Ť Suis-moi, comme moi j'ai reçu de Dieu le Pčre le
soin de l'Église - Demande-moi et je te donnerai les nations en héritage9 -, afin que tu deviennes ŕ ma place le chef
de l'Église tout entičre. ť
2637. Comment expliquer alors qu'aprčs l'Ascension du Christ, Jacques ait
reçu aprčs lui la primauté ŕ Jérusalem ? Ŕ cela il faut dire qu'il reçut
l'autorité spéciale sur ce lieu. Mais Pierre lui, reçut l'autorité universelle
sur les fidčles de toute l'Église10.
1. En
latin commendatio, substantif correspondant au verbe commendo qui
signifie Ť recommander ť, Ť faire valoir ť.
2. Tract, in Io., CXXIV, 1, BA 75, p. 431.
3. Lc 6, 22.
4. 1 Ρ 2, 21.
5. Ac 12, 2.
6. Tract, in Io., CXXIV, 1, BA 75, p. 431.
7. Mt 16,
24. Saint Thomas commente : Ť II faut que vous soyez pręts ŕ imiter la
Passion du Christ. Les martyrs l'imitent d'une maničre spéciale en leur corps,
mais les hommes spirituels, spirituellement, eux qui meurent spirituellement
pour le Christ. (...) Et il dit veut, parce qu'est davantage entraîné
celui qui l'est volontairement que celui qui l'est par violence - Volontairement
je t'offrirai un sacrifice (Ps 53, 8) ť (Sup. Matth. lect., XVI,
n° 1408). Et : Ť Qu'il prenne sa croix. La croix se dit ŕ partir de
celui qui est crucifié. Spirituellement, est crucifié celui dont l'esprit est
crucifié ŕ cause de la compassion ŕ l'égard du prochain - Pleurez avec ceux
qui pleurent (Rm 12, 15) ť (ibid., n° 1410).
8. Il
s'agit en fait de Théophylacte, Enarr.
in Ev. S. Ioannis. In h. iac., PG 124, col. 311 D-314 A.
9. Ps 2, 8.
10. Cf. Théophylacte,
Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. foc, PG 124, col. 314 D.
La recommandation elle-męme.
2638. L'Évangéliste expose ici la recommandation de Jean par le Christ,
d'abord quant aux choses passées, puis quant aux choses futures [n° 2644].
Ι
S'ÉTANT
RETOURNÉ, PIERRE VIT QUE LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT LES SUIVAIT - CELUI QUI Ŕ
LA CČNE REPOSA SUR SA POITRINE ET DIT : Ť SEIGNEUR, QUI EST CELUI QUI TE
LIVRERA ? ť (21, 20)
En ce qui concerne les choses
passées, c'est en vertu d'un triple privilčge que Jean est recommandé par le
Christ.
S'ÉTANT
RETOURNÉ, PIERRE VIT QUE LE DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT LES SUIVAIT.
2639. D'abord ŕ cause de cette dilection particuličre du Christ pour lui.
C'est pourquoi Jean nous dit : S'ÉTANT RETOURNÉ, PIERRE - qui avait déjŕ
commencé ŕ suivre Jésus, męme physiquement - VIT QUE LE DISCIPLE QUE JÉSUS
AIMAIT LES SUIVAIT. En cela il est donné ŕ entendre que Pierre, désormais fait
pasteur, veillait attentivement sur les autres - Et toi, une fois converti,
confirme tes frčres1. Or Jésus aimait Jean sans pour
autant exclure les autres, comme il l'a dit auparavant : Comme le Pčre m'a
aimé, moi aussi je vous ai aimés2. Mais il l'a préféré aux autres en
raison d'une dilection spéciale. Et cela pour trois raisons3.
D'abord ŕ cause de la perspicacité de
son intelligence ; les maîtres en effet aiment spécialement les disciples
intelligents - Un ministre intelligent est bien
accueilli du roi4.
1. Lc 22,
32.
2. Jn 15,
9.
3. Dans
son traité Adversus Jovinianum, oů il fait l'éloge de la virginité,
saint Jérôme présentera plus abondamment que dans le prologue ŕ sa traduction
de l'évangile de saint Jean les différents passages permettant de considérer
que l'apôtre Jean a choisi la virginité, ŕ la différence de Pierre qui était
marié (I, 26, PL 23, col. 246-247). Ce choix est une des raisons pour
lesquelles Jean fut le disciple bien-aimé du Christ. Pour expliquer pourquoi il
ne fut cependant pas choisi comme chef du groupe des Douze, saint Jérôme
invoquera le fait qu'il était encore trčs jeune (adolescens). Il
ajoutera que, par la qualité de son évangile, on peut le comparer ŕ l'aigle en
plein vol. Saint Augustin reprendra ŕ son compte la tradition concernant la
virginité de Jean, mais avec nuance, d'abord dans son traité sur le bien du
mariage {De bono conjugale, XXI, 26, BA 2, p. 83-85), écrit cinq ans
aprčs le Adversus Jovinianum, puis quinze ans plus tard dans son
commentaire sur l'évangile (Tract, in Io., CXXIV, 7, BA 75, p. 463). Les
trois motifs que saint Thomas donne ici pour expliquer pourquoi Jean est le
disciple bien-aimé s'appuient sur cette tradition. Voir ci-dessus, n° 1804.
Ensuite ŕ cause de la pureté de son
cur, puisqu'il était vierge - Celui qui aime la pureté du cur, ŕ cause de la grâce de ses lčvres aura pour ami le roi5.
Enfin ŕ cause de sa jeunesse ;
en effet, nous nous laissons davantage attendrir par les enfants et ceux qui
sont démunis, et nous leur montrons des signes de familiarité. Ainsi aussi le
Christ envers le jeune Jean - Parce qu'Israël était un enfant, je l'ai aimé6. Nous voyons par lŕ que Dieu chérit
spécialement ceux qui se mettent ŕ son service dčs leur plus
jeune âge - Mon âme a désiré quelques figues précoces7.
2640. Cependant l'Écriture dit : Moi, j'aime ceux qui m'aiment8. Or c'est Pierre qui aimait davantage le Christ, comme nous l'avons vu : Simon, fils de Jean,
m'aimes-tu plus que ceux-ci ?9 Le Christ aurait donc dű aimer davantage Pierre que Jean10.
Voici la réponse. On pourrait dire
que Jean, parce qu'il a été plus aimé, fut plus heureux, mais que Pierre, étant
plus aimant, fut meilleur11.
4. Pr 14,
35.
5. Pr 22,
11.
6. Os 11,
1.
7. Mi 7,
1.
8. Pr 8,
17.
9. Jn 21,
15.
10. Le
problčme est longuement présenté par saint
Augustin (Tract, in Io., CXXIV, 4-6, BA 75, p. 441-459). Saint
Thomas résume ici son explication en la simplifiant.
11. Voir Somme
théol., I, q. 20, a. 4, obj. 3 et ad 3, oů saint Thomas dit presque la męme
chose. Il y précise : Ť Le Christ a aimé Pierre davantage quant au don de
charité, et Jean davantage quant au don d'intelligence, et pour cette raison
Pierre fut le meilleur et le plus aimé absolument parlant, et Jean sous un
certain rapport ť.
Mais cela serait contraire ŕ la
justice. Aussi cela nous renvoie-t-il au mystčre. En effet, ces deux disciples
manifestent deux aspects de la vie, c'est-ŕ-dire la vie active et la vie
contemplative1. De l'une comme de l'autre, le
Christ est la fin et l'objet. Mais la vie active, représentée par Pierre, aime
davantage Dieu que la vie contemplative, représentée par Jean, parce qu'elle
ressent davantage les angoisses de la vie présente et désire avec plus d'ardeur
en ętre libérée et aller vers Dieu.
Quant ŕ la vie contemplative, Dieu
l'aime plus puisqu'il la conserve plus ; en effet, elle ne s'achčve pas
avec la vie du corps comme la vie active - Le Seigneur aime les portes de Sion plus que toutes les tentes de Jacob2.
2641. Certains, voulant expliquer littéralement ce passage, distinguent dans
le Christ deux dilections différentes, en raison de sa volonté divine et de sa
volonté humaine3. Ils affirment que le Christ a aimé
davantage Pierre d'une dilection divine, et Jean d'une dilection humaine. Mais
dans le Christ, la volonté humaine était totalement conforme ŕ la volonté
divine. Ainsi celui qu'il aimait le plus selon sa volonté divine, il l'aimait
plus aussi selon sa volonté humaine.
Il faut donc répondre qu'il aimait
davantage celui auquel il voulait un bien plus grand. Or il aimait plus Pierre
pour faire de lui le disciple le plus aimant, mais Jean, il l'aimait en vue
d'autre chose : la perspicacité de son intelligence - Le Seigneur lα comblé d'un esprit
de sagesse et d'intelligence4. Selon cela, Pierre est meilleur parce que la
charité l'emporte sur la science - La charité ne finira jamais5. Quant ŕ Jean, il est plus grand selon la
perspicacité de l'intelligence. Mais il appartient ŕ Dieu seul de peser leurs
mérites - Celui qui pčse les esprits, c'est Dieu6.
1. Sur
les rapports entre vie active et vie contemplative, voir ci-dessus, n° 1595,
note 5, n° 1806, et n° 2487, note 2.
2. Ps 86,
2.
3. Sur
les deux volontés dans le Christ, voir Somme théol., III, q. 18. C'est
en contemplant le mystčre de Jésus dans son agonie (Le 22, 42) et en s'appuyant
sur le 6č Concile cuménique, célébré ŕ Constantinople au VIIč sičcle
(680-681), que saint Thomas affirme : Ť II est clair que le Fils de Dieu a
assumé une nature humaine parfaite. Or ŕ la perfection de la nature humaine se
rapporte la volonté qui est une puissance qui lui appartient en propre, comme
aussi l'intelligence. Il est donc nécessaire de dire que le Fils de Dieu a
assumé dans sa nature humaine une volonté humaine. D'autre part, par
l'assomption de la nature humaine, le Fils de Dieu n'a éprouvé aucune
diminution dans sa nature divine, laquelle comporte la volonté, comme on l'a
rapporté plus haut (I, q. 19, a. 1). Il est donc nécessaire de dire que dans le
Christ sont deux volontés, l'une divine, l'autre humaine ť (III, q. 18, a.
1, c). Sur les deux natures dans le Christ, voir ci-dessus, n° 1711, note 3, n°
1979, note 7.
D'autres encore affirment, ce qui
paraît plus juste, que Pierre aima plus le Christ ŕ travers ses membres, et
qu'ainsi il fut plus aimé du Christ qui, pour cela, lui confia son Église. Jean
quant ŕ lui l'aima davantage pour lui-męme, et pour cette raison il fut plus
aimé du Christ, et c'est pourquoi celui-ci lui confia sa Mčre.
On peut dire encore que Pierre aima
le Christ par son empressement et sa ferveur, mais que Jean fut plus aimé si
l'on considčre les marques de familiarité que le Christ lui prodiguait davantage,
en raison de sa jeunesse et de sa pureté.
CELUI QUI Ŕ LA CČNE REPOSA SUR SA POITRINE
2642. Aussi, lorsque Jean ajoute CELUI QUI Ŕ LA CČNE
REPOSA SUR SA POITRINE, il
est mis en lumičre en vertu d'un second privilčge, ŕ savoir celui de son
intimité spéciale avec le Christ, ce que nous avons exposé plus haut7.
ET DIT : Ť SEIGNEUR, QUI EST CELUI QUI TE
LIVRERA ? ť
2643. Enfin Jean est mis en lumičre selon ce privilčge de la confiance
spéciale qu'il avait
dans le Christ, si bien que, confiant plus que tous les autres, c'est lui qui
pouvait l'interroger. C'est pourquoi il dit : ET DIT : Ť SEIGNEUR, QUI EST
CELUI QUI TE LIVRERA ? ť - ce que nous avons également montré1.
4. Si 15,
5 (verset propre ŕ la Vulgate).
5. 1 Co
13, 8.
6. Pr 16,
2.
7. Voir
Jn 13, 23 et ci-dessus, nos
1803-1804.
Chrysostome2 affirme que, si Jean nous rappelle ainsi ses propres privilčges, c'est
afin de recommander Pierre. On aurait pu croire en effet que Pierre, parce
qu'il avait renié le Christ, ne serait plus reçu dans la męme intimité
qu'auparavant. Aussi, pour exclure cela, Jean montre qu'il était reçu dans une
intimité plus grande ; car lui qui, ŕ la Cčne, n'osait pas interroger le
Seigneur mais en confia le soin ŕ Jean, devient aprčs la Passion le
porte-parole de ses frčres et n'interroge plus seulement le maître pour
lui-męme, mais aussi pour les autres et pour Jean.
En cela il est donné ŕ entendre que
ceux qui sont tombés dans le péché renaissent parfois pour une grâce plus
grande - Car comme votre sentiment a été d'errer
loin de Dieu, en revenant ŕ lui vous le rechercherez dix fois plus fort3.
II
L'AYANT DONC VU, PIERRE DIT Ŕ JÉSUS : Ť ET DE LUI,
SEIGNEUR, QU'EN SERA-T-IL ? ť JÉSUS LUI DIT : Ť SI JE VEUX QU'IL
DEMEURE JUSQU'Ŕ CE QUE JE VIENNE, QUE T'IMPORTE ? TOI, SUIS-MOI ! ť
LE BRUIT SE RÉPANDIT DONC PARMI LES FRČRES QUE CE DISCIPLE NE MOURRAIT PAS. OR
JÉSUS NE LUI A PAS DIT : Ť IL NE MOURRA PAS ť, MAIS : Ť SI JE
VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'Ŕ CE QUE JE VIENNE, QUE T'IMPORTE ? ť (21,
21-23)
2644. Aussitôt aprčs, l'Évangéliste nous rapporte cette interrogation :
Ť ET DE LUI, SEIGNEUR, QU'EN SERA-T-IL ? ť
Nous voyons ici le fait
de recommander Jean quant au futur. Cela implique en premier lieu
l'interrogation de Pierre, puis la réponse du Christ [n° 2646], aprčs quoi il
nous est montré comment fut comprise cette réponse [n° 2651].
ET DE LUI, SEIGNEUR, QU'EN SERA-T-IL ?
2645. En ce qui concerne cette question de Pierre, il faut savoir qu'en
réponse ŕ l'appel du Seigneur : Ť SUIS-MOI ! ť, Pierre commença
ŕ le suivre physiquement, lui emboîtant le pas, et Jean aussi avec lui. Et
donc, voyant Jean le suivre, Pierre interroge le Christ ŕ son sujet : Ť ET
DE LUI (...) QU'EN SERA-T-IL ? ť, comme s'il disait : Ť Voici
que moi je te suis dans ta Passion, mais celui-ci, mourra-t-il ? ť
Jean aussi aurait voulu poser cette question, mais il n'osait pas4.
Selon Chrysostome5, Pierre n'entendait pas s'informer de sa passion mais du fait qu'il
soit prélat6. En effet il aimait Jean plus que
tous les autres disciples, et on les voit toujours ensemble dans les Évangiles
et les Actes7. Et c'est pourquoi il voulait
l'avoir pour compagnon dans son service de prédicateur par toute la terre.
Voilŕ pourquoi il demande : Ť ET DE LUI (...) QU'EN
SERA-T-IL ? ť - sous-entendu : Ť Que fera-t-il ? Qu'il vienne
avec moi ! ť
SI JE VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'Ŕ CE QUE JE VIENNE, QUE
T'IMPORTE ? TOI, SUIS-MOI !
2646. Voici la réponse du Christ. Sachons que dans le texte grec il est dit
non pas Ť ainsi ť, mais Ť si8 ť JE VEUX QU'IL DEMEURE. Mais
cela importe peu. Quel que soit ce qui a été dit, il a semblé aux Apôtres que
le sens de ces paroles était que Jean ne mourrait pas. En effet le Christ dit :
SI JE VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'Ŕ CE QUE JE VIENNE, comme s'il disait : il ne
mourra pas jusqu'ŕ mon second avčnement. Mais ceci est exclu par ce qui suit :
OR JÉSUS NE LUI A PAS DIT : Ť IL NE MOURRA PAS. ť
1. Voir
Jn 13, 25 et ci-dessus, n° 1806.
2. In Ioannem hom., LXXXVIII, 2, PG 59, col. 480.
3. Ba 4, 28.
4. Cf. saint
Jean Chrysostome, In Ioannem hom., LXXXVIII, 2, PG 59, col. 480.
5. Ibid.
6. En latin : sed de praelatione. Le terme
latin praelatus signifie ŕ la fois Ť supérieur ť et
Ť préféré ť.
7. Voir
Le 22, 8 [la préparation de la Cčne]. Jn 18, 16 [chez Caďphe] ; 20, 24 [la
Résurrection]. Ac 3, 1. 3-4 ; 3, 11 ; 8, 14.
8. Le
texte de la Vulgate, que Marietti reprend, dit sic, Ť ainsi ť,
mais nous avons préféré traduire par Ť si ť, en suivant le texte grec.
2647. Certains cependant, voulant soutenir cette signification, prétendent
que Jean a ajouté cela, non pas pour exclure cette interprétation, mais pour
montrer que le Seigneur ne l'a pas exprimée par les mots : IL NE MOURRA PAS
mais seulement par ceux-ci : SI JE VEUX QU'IL DEMEURE. Et pour cette raison,
ils disent que Jean n'est pas encore mort.
Cependant, concernant sa sépulture,
il y a eu des opinions variées. Il est vrai en effet selon tous qu'il entra
dans un sépulcre et cela apparaît encore. Mais quelques-uns 1 disent qu'il est entré vivant dans ce
sépulcre et que, par la puissance divine, il en sortit, transporté auprčs
d'Énoch et d'Élie, oů il est gardé jusqu'ŕ la fin du monde. Il faudrait donc
comprendre : JE VEUX QU'IL DEMEURE vivant jusqu'ŕ la fin du monde. Alors il
souffrira pour moi, avec ces deux hommes, le martyre infligé par l'Antichrist.
En effet il est inconvenant qu'il ne meure pas. Car tout ce qui naît doit
mourir2 -II est arręté que les hommes
meurent une fois3.
D'autres au contraire affirment qu'il
entra vivant dans son sépulcre qui se trouve prčs d'Éphčse et qu'il y vit
encore maintenant, endormi, jusqu'ŕ ce que le Christ revienne. Ils ont pour
argument qu'ŕ cet endroit la terre se soulčve comme en bouillonnant, ce qui,
disent-ils, est dű au souffle de l'Apôtre. Augustin4 cependant exclut cela, disant qu'il
est moindre pour l'Apôtre de vivre endormi que de vivre en bienheureux.
Pourquoi donc le Christ aurait-il accordé, au disciple qu'il aimait plus que
les autres, ce long sommeil comme une grande récompense, et l'aurait-il privé
de ce si grand bien en vue duquel Paul désirait ętre dissous pour ętre avec
le Christ5 ?
Voilŕ pourquoi on ne doit pas croire
cela, mais qu'il mourut et ressuscita aussi en son corps. Et le signe en est
qu'on ne retrouve pas son corps ; ainsi il demeure bienheureux avec le
Christ comme celui-ci l'y invita - Celui qui rend témoignage de ces choses
dit : Oui, je viens bientôt6.
2648. Selon Augustin7, il faut comprendre cela d'une
maničre mystique : ne pas entendre Ť demeurer ť au sens de
Ť rester ť, mais au sens d'Ť attendre ť, selon ce verset - Vous,
demeurez dans la ville jusquŕ ce que vous soyez revętus de la
force d'en haut8.
C'est ainsi que le Seigneur dit de
Jean, c'est-ŕ-dire de la vie contemplative : SI JE VEUX QU'IL DEMEURE -
c'est-ŕ-dire qu'il attende - JUSQU'Ŕ CE QUE JE VIENNE, soit ŕ la fin du monde,
soit ŕ la mort de tout contemplatif, car la vie contemplative commencée ici,
sur terre, n'y atteint pas sa perfection, elle demeure inchoative et dans
l'attente de la venue du Christ, devant ętre achevée quand il viendra - On
leur dit d'attendre en repos encore un peu de temps jusquŕ ce que
fűt accompli le nombre de ceux qui servaient Dieu comme eux9. - Marie a
choisi la meilleure part et elle ne lui sera pas enlevée1. - La longueur
des jours est dans sa droite ; et dans sa gauche sont les richesses et la
gloire2.
1. Saint
Thomas a pu lire cette légende chez Théophylacte qui la rapporte pour la
réfuter (Enarr. in Ev. S. Ioannis. In h. loc., PG 124, col. 315 A-B).
2. Cf. Si
8, 7 Souviens-toi que tous nous devons mourir ; et 14, 17 [BJ] : La
loi éternelle c'est qu'il faut mourir.
3. He 9, 27.
4. Tract, in Io., CXXIV, 2-3, BA 75, p. 433-437.
5. Ph 1, 23.
6. Ap 22, 20.
7. Tract, in Io., CXXIV, 5, BA 75, p. 455.
8. Le 24,
49.
9. Ap 6,
11.
Mais la vie active, parfaite, formée
ŕ l'exemple de la Passion du Christ, le suit pendant ce temps en souffrant pour
lui3.
2649. Mais selon Chrysostome4 il faut lire ainsi : JE VEUX QU'IL
DEMEURE, c'est-ŕ-dire qu'il reste en Judée, dans ce pays-lŕ, pour
pręcher ; mais toi, je veux que tu me suives en prenant soin du monde
entier et en souffrant pour moi, et cela, JUSQU'Ŕ CE QUE JE VIENNE pour
confondre les Juifs. ET QUE T'IMPORTE ?, comme pour dire : il m'appartient
d'ordonner. Car, et les récits historiques nous le confirment, Jean ne quitta
pas la Judée jusqu'ŕ ce que Vespasien vînt en Judée et prît Jérusalem ;
c'est alors que Jean quitta ce lieu pour l'Asie.
2650. Ou bien, selon Jérôme 5, il faut comprendre : TOI, SUIS-MOI,
c'est-ŕ-dire par ta passion, mais SI JE VEUX QU'IL, c'est-ŕ-dire Jean, DEMEURE
sans souffrir le martyre et la mort JUSQU'Ŕ CE QUE JE VIENNE pour l'appeler
auprčs de moi - De nouveau je viendrai et je
vous prendrai prčs de moi6 -, QUE T'IMPORTE ? -
sous-entendu Ť ce privilčge ť. Voilŕ pourquoi il est dit dans la
légende du bienheureux Jean que, alors qu'il avait quatre-vingt-dix ans, le
Seigneur Jésus Christ lui apparut et l'invita ŕ son festin7.
1. Lc 10, 42.
2. Pr 3, 16.
3. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXTV, 5, BA 75, p. 455.
4. Il
s'agit en fait de Theophylacte, Enarr.
in Ev. S. Ioannis. In h. foc, PG 124, col. 314 C.
5. Le
commentaire d'ALCUlN {Comm. in S. Ioannis Évang., VII, 46, PL 100, col. 1004
D-1005 A) semble ętre la source de ces lignes plutôt que le passage
correspondant de saint Jérôme (Adversus
Jovi-nianum, I, 26, PL 23, col. 246-247).
6. Jn 14,
3.
LE BRUIT SE RÉPANDIT DONC PARMI LES FRČRES QUE CE
DISCIPLE NE MOURRAIT PAS. OR JÉSUS NE LUI A PAS DIT : Ť IL NE MOURRA
PAS ť, MAIS : Ť SI JE VEUX QU'IL DEMEURE JUSQU'Ŕ CE QUE JE VIENNE,
QUE T'IMPORTE ? ť (21, 23)
2651. Ensuite, lorsqu'il dit LE BRUIT SE RÉPANDIT DONC PARMI LES FRČRES QUE
CE DISCIPLE NE MOURRAIT PAS, il nous montre la maničre dont les disciples
comprirent ces paroles du Seigneur, c'est-ŕ-dire qu'il NE MOURRAIT PAS. Et
c'est ce qu'il dit : LE BRUIT SE RÉPANDIT, c'est-ŕ-dire on divulgua parmi les
frčres, c'est-ŕ-dire parmi les disciples - Voyez qu'il est bon et qu'il est
doux d'habiter en frčres tous ensemble !8 - QUE CE DISCIPLE, Jean, NE MOURRAIT PAS.
L'Évangéliste corrige aussitôt cette maničre de comprendre, en disant : OR
JÉSUS NE LUI A PAS DIT : Ť IL NE MOURRA PAS ť - Et
vous aussi ętes-vous encore sans intelligence 9 ?
Toutes les autres choses ont déjŕ été exposées.
7. Parmi
les compilations des légendes qui ont formé les Acta Apostolorum (et
parmi eux les Acta Iohannis), seule celle connue sous le nom de Virtutes
Iohannis (vt sičcle)
mentionne une apparition du Christ invitant l'apôtre Jean, alors âgé de 97 ans,
ŕ son banquet céleste (cap. IX, 1-7 ; in Acta Iohannis, CCSA 2, p. 827-828).
Un sičcle avant saint Thomas, le moine anglais Orderic Vital la rapporte comme
certaine, ainsi que le prodige de la poussičre (devenue la manne) sortant du
tombeau (Historia ecclesiastica, la pars, 1. I, PL 188, col. 153 A). La
source ŕ la disposition de saint Thomas pourrait ętre l'homélie du Pseudo-Bčde
pour la fęte de l'assomption de saint Jean l'Évangéliste (Homiliae
subdititiae, XCII, PL 94, col. 494 C). Dans le monde occidental, outre le
passage du Tractatus de saint Augustin, le premier témoin de la
tradition de la Ť manne ť semble ętre la notice concernant saint Jean
l'Apôtre dans le Liber de Gloria Martyrum, de Grégoire de Tours (§ 29. MGH, Script. Merov., 1. 1,
II, p. 5). Pour une présentation des principales légendes relatives ŕ
l'assomption de saint Jean, voir M. Jugie,
La mort et l'Assomption de la Sainte Vierge,. Vatican,
1944, Excursus D : La mort et l'assomption de saint Jean l'Évangéliste, p.
710-726. Voir aussi le commentaire de saint Thomas sur Le Credo, n° 91 (Col1.
Docteur commun), Nouvelles Éditions Latines, Paris 1969, p. 127.
8. Ps
132, 1.
9. Mt 15, 16.
C'EST CE DISCIPLE-LŔ QUI TÉMOIGNE DE CES CHOSES ET LES A
MISES PAR ÉCRIT, ET NOUS SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI MAIS IL Y A
ENCORE BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES QUE JÉSUS A FAITES, ET S'IL FALLAIT LES METTRE
PAR ÉCRIT UNE PAR UNE, JE NE PENSE PAS QUE LE MONDE LUI-MĘME POURRAIT CONTENIR
LES LIVRES QU'IL FAUDRAIT ÉCRIRE. (21, 24-25)
2652. Voici la derničre partie de l'Évangile, qui en est comme un épilogue.
D'abord, il expose la mise en valeur de l'Évangile, puis souligne que la
réalité dépasse de beaucoup ce qui est rapporté dans l'Évangile [n° 2657].
La mise en valeur de cet Évangile.
Cet Évangile est mis en valeur de
deux maničres : d'abord, bien sűr, ŕ cause de celui qui en est l'auteur, mais
ensuite ŕ cause de sa vérité [n° 2656].
I
C'EST CE DISCIPLE-LA QUI TÉMOIGNE DE CES CHOSES ET LES A
MISES PAR ÉCRIT.
Concernant l'auteur, il montre trois
choses.
2653. En premier lieu, le privilčge de sa dignité1, parce qu'il est, lui, CE
DISCIPLE-LŔ - sous-entendu ce qui a déjŕ été dit : plus aimé2, intime, interrogeant fidčlement, et auquel fut donné de demeurer jusqu'ŕ
ce que je vienne, toutes choses qui regardent le privilčge de sa dignité.
On dit que Jean fut plus aimé
spécialement en raison de la qualité spéciale de sa charité - En cela tous connaîtront que
vous ętes mes disciples, si vous avez de lamour les uns pour les autres3. Or aucun des Apôtres n'a autant parlé de la charité fraternelle que
Jean dans ses épîtres. On lit encore4 ŕ son sujet que, devenu vieux, il se
faisait porter ŕ l'église par ses disciples pour y instruire les fidčles
auxquels il disait seulement : Ť Petits enfants, aimez-vous les uns les
autres. C'est en cela que consiste la perfection de la vie (disciplinae) chrétienne. ť
1. L'édition
Marietti met ici auctoritas, mais l'édition léonine propose dignitas.
2. Ť Plus
aimé ť (praedilectus) Ť sans pour autant exclure les
autres ť. Voir n° 2639, et aussi n° 2641.
3. Jn 13, 35.
4. Cf. saint JÉRÔME, In
epistolam ad Galatas, 6, 10, 1. III, cap. VI, PL 26, col. 433 C.
2654. En second lieu, il montre sa mission qui est de rendre témoignage, et
c'est pourquoi il dit : C'EST CE DISCIPLE-LŔ QUI TÉMOIGNE DE CES CHOSES. C'est
d'ailleurs le caractčre propre de la mission des Apôtres - Vous serez
témoins pour moi5. - C'est vous qui ętes mes témoins,
dit le Seigneur6.
2655. Enfin il ajoute son zčle en disant : ET LES A MISES PAR ÉCRIT. Lui, qui
par sa mission apostolique a témoigné des actions du Christ auprčs de ceux qui
étaient présents, a aussi, poussé par son zčle, mis par écrit ces actions dans
l'intéręt des générations futures et des absents - Prends un grand livre et
écris dessus avec un stylet d'homme7. - La sagesse du scribe lui viendra dans le
temps du loisir8.
Il fut en effet donné ŕ l'Apôtre Jean
de vivre jusqu'au temps oů l'Église avait retrouvé la paix. Et c'est alors
qu'il mit par écrit toutes ces choses. C'est pourquoi il ajoute cela, pour
qu'on ne croie pas que cet Évangile, ayant été écrit aprčs la mort de tous les
Apôtres, et aprčs que les autres Évangiles ont été approuvés par eux,
spécialement celui de Matthieu, semble avoir une autorité moindre que celle des
trois autres évangiles.
5. Ac 1,
8.
6. Is 44,
8.
7. Is 8,
1. Saint Thomas commente : Ť De quelle maničre il faut écrire : avec un
stylet d'homme, c'est-ŕ-dire sans détours pour que cela puisse ętre compris
et que ce qui a été écrit demeure - Écris la vision, grave-la sur les
tablettes pour qu'on la lise facilement (Ha 2, 2) ť (Exp. super
Isaiam, 8, 1, p. 60, 1. 39-42).
8. Si 38,
25.
II
ET NOUS
SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI.
2656. L'Évangéliste proclame ici la vérité de son Évangile. Et il parle au
nom de toute l'Église par laquelle cet Évangile fut reçu - Ma bouche s'exercera ŕ la
vérité1.
Il faut remarquer que, bien que
beaucoup aient déjŕ écrit sur la vérité catholique, la différence est que ceux
qui ont rédigé l'Écriture canonique - les évangélistes, les Apôtres et d'autres
encore - la proclament avec une telle constance qu'ils ne laissent pas la
moindre place au doute. C'est pourquoi Jean dit : ET NOUS SAVONS QUE SON
TÉMOIGNAGE EST VRAI - Si quelqu'un vous annonce un autre Évangile que celui que vous avez reçu,
qu'il soit anathčme2. La raison en est que seule l'Écriture
canonique est la rčgle de la foi3.
D'autres encore ont parlé de la
vérité en ne voulant ętre crus que dans ce qu'ils disent de vrai.
La réalité dépasse de
beaucoup ce qui est rapporté dans l'Évangile.
MAIS IL
Y A ENCORE BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES QUE JÉSUS A FAITES.
2657. Jean nous montre ici l'insuffisance de ses écrits au regard de la
réalité qu'il met par écrit, comme pour écarter le fait qu'il ait écrit ces
choses, dans sa volonté d'en attribuer la grâce ŕ celui qui l'aime, parce que
celui-ci a fait non seulement ces choses mais encore BEAUCOUP D'AUTRES CHOSES
qui n'ont pas été rapportées dans ce livre.
ET S'IL
FALLAIT LES METTRE PAR ÉCRIT UNE PAR UNE, JE NE PENSE PAS QUE LE MONDE LUI-MĘME
POURRAIT CONTENIR LES LIVRES QU'IL FAUDRAIT ÉCRIRE.
2658. Ce verset peut se comprendre de trois maničres.
En un sens Ť contenir ť se
rapporte ŕ une capacité de l'intelligence4 ; comme s'il disait : on
pourrait dire tant de choses sur le Christ que męme le monde entier ne
contiendrait pas les livres qui seraient écrits ŕ leur sujet - J'ai beaucoup de choses ŕ
vous dire, mais ŕ présent vous ne pouvez pas les porter5, c'est-ŕ-dire les comprendre.
En un autre sens, puisque cette
phrase est hyperbolique 6, elle signifie que les uvres
accomplies par le Christ nous dépassent complčtement.
1. Pr 8,
7.
2. Ga 1,
9.
3. Voir saint Augustin, Lettre 82, I, 3,
PL 33, col. 277 Ť Les livres des Écritures canoniques sont les
seuls auxquels j'accorde l'honneur de croire trčs fermement leurs auteurs
incapables d'errer en ce qu'ils écrivent. (...) Quant aux autres, si je les
lis, je ne pense pas vrai ce qu'ils ont pensé ou écrit, quelque supérieurs
qu'ils puissent ętre en sainteté et en doctrine ť, repris par saint Thomas
dans sa Somme théologique, I, q. 1, a. 8, ad 2. Voir aussi saint Thomas, /Il Sent., d. 25, q.
1, a. 1C, obj. 2 et q. 2, a. 2D, obj. 3 ; Quodlibetum XII, q. 17,
et Somme théol., II-II, q. 1, a. 9, ad 1.
4. Cf. saint
Augustin, Tract, in Io., CXXIV, 8, BA 75, p. 463.
5. Jn 16,
12.
6. Les
mathématiciens désignent par Ť hyperbole ť une courbe particuličre. La
figure de l'hyperbole, en rhétorique, accroît l'excčs ou le manque pour mieux
le signifier. Saint Thomas veut montrer, comme il l'explique ensuite en
s'appuyant sur saint Augustin, que la figure rhétorique de l'hyperbole convient
pour parler du Christ et de ce qu'il a accompli, qui dépasse tout ce que nous
pourrions penser.
2659. Mais qu'est-ce qu'il dit lŕ ? En effet, il affirme d'abord : ET
NOUS SAVONS QUE SON TÉMOIGNAGE EST VRAI, puis aussitôt il poursuit par cette
proposition hyperbolique. Mais selon Augustin1, l'Écriture Sainte utilise ces
tournures imagées, par exemple : Je vis le Seigneur siégeant sur un trône sublime et
élevé2, et cependant elles ne sont pas fausses. Et il en est ainsi de n'importe
quelle expression hyperbolique que l'on trouve dans l'Écriture Sainte.
En effet l'intention de l'auteur
quand il dit cela n'est pas de nous amener ŕ croire ce qu'il dit, mais de nous
faire saisir ce qu'il veut signifier, ŕ savoir que les uvres du Christ nous dépassent
complčtement. D'ailleurs ce procédé n'est pas employé quand il s'agit de
quelque chose d'obscur ou d'incertain, mais lorsque l'auteur veut exagérer ou
atténuer quelque chose d'évident. Par exemple, lorsque quelqu'un veut mettre en
valeur l'abondance d'une réalité, il dit : Ť II y en aurait assez pour
cent personnes, ou męme mille ! ť Au contraire, s'il veut la dénigrer
: Ť Ce serait ŕ peine suffisant pour trois personnes ! ť II ne
dit cependant rien de faux car de telles paroles dépassent largement la réalité
ŕ laquelle elles renvoient, pour bien montrer que l'intention n'est pas de
mentir, mais de montrer qu'il y a peu ou beaucoup.
2660. Cela peut aussi se référer ŕ la puissance du Christ qui opérait des
signes, et c'est pour en montrer la force qu'il dit : UNE PAR UNE. En effet,
écrire un par un les signes et les paroles de Jésus Christ, c'est décortiquer
toute la puissance de chacun de ces actes et de ces paroles. Or ces actes et
ces paroles du Christ sont aussi ceux de Dieu. Et si quelqu'un voulait écrire
ou raconter ce qu'il comprend de chacun, il ne le pourrait en aucune
maničre ; et d'ailleurs, le monde entier en est incapable. L'infini des
mots humains ne peut en effet atteindre une seule parole de Dieu.
Depuis le commencement de l'Église on
a toujours écrit au sujet du Christ, mais cependant ce n'est pas suffisant.
Bien au contraire, si le monde devait durer cent mille ans, combien de livres
pourraient ętre écrits au sujet du Christ, décortiquant un ŕ un ses actes et
ses paroles, sans parvenir ŕ la perfection ! - II n'y a pas de fin ŕ multiplier les livres3. -J'ai annoncé et j'ai parlé [des merveilles de Dieu] ; elles
ont été multipliées sans nombre4.
1. Tract, in Io., CXXIV, 8, BA 75, p. 463-465.
2. Is 6,
1. Voir ci-dessus, n° 1697, note 4.
3. Qo 12,
12.
4. Ps 39, 6.
Pour cet Index ont été choisis
cinquante des principaux thčmes que saint Thomas aborde dans son Commentaire
sur l'Évangile de saint Jean. Cette liste peut constituer un outil de
travail pour les étudiants en théologie et permettre de connaître plus
profondément la pensée du Docteur Angélique. Pour chaque thčme sont indiqués
par leur numéro les principaux paragraphes évoquant le sujet. Ce document n'est
donc pas exhaustif, il est proposé comme une introduction en vue d'une
recherche plus approfondie.
L'adoration
Vol. I, nos 597-598, nos 600-615
Le culte de latrie Vol. II, n° 2195
L'agneau
L'agneau : figure du sacrifice du
Christ Vol. I, nos 257, 377 Vol. I,
nos 1733, 2461
La pureté et la force de l'Agneau Vol. I, nos
258, 283
Le Christ devant ses persécuteurs Vol. II, nos
2391, 2394
L'Agneau Pasteur Vol. II, n° 2623
L'âme
Vol. I, n° 1425
Vol. II, nos 1651,
1762, 1796-1797, 2631
L'opinion des hérétiques sur l'âme Vol. I, nos
113, 229, 1557 Vol. II, n° 2453
Jésus remet l'esprit, c'est-ŕ-dire son
âme Vol. II, n° 2453
L'amour et la haine pour notre âme Vol. II, nos
1643-1645
L'amour
L'amour en Dieu Vol. I, n° 753
L'amour d'amitié : recherche du bien
de l'ami Vol. I, n°
1475 Vol. II, n° 1999
La mise en commun entre les amis Vol. II, nos
1837-1838
Faire la volonté de l'ami Vol. II, n° 1932
La joie de la présence de l'ami Vol. II, n° 2085
Le secret Vol. II, nos
1916, 2016
La similitude, cause de l'amour Vol. II, n° 2034
L'amour d'amitié et de concupiscence Vol. II, n° 2036
Amour et connaissance Vol. II, n° 2494
Amour, choix, dilection Vol. II, n° 2622
Le baptęme
La régénération du baptęme Vol. I, nos
164, 439, 503
Le baptęme du Christ Vol. I, nos
254, 255, 266
Le baptęme du Christ et notre baptęme Vol. I, nos
268, 707
Le triple pouvoir du baptęme du Christ
Vol. I, n° 276
Les baptęmes d'eau, de feu et de sang Vol. I, n° 445
L'eau du baptęme Vol. I, n° 703
L'instrumentalité du prętre qui
confčre la grâce au baptęme Vol. II, n° 2542
La charité
Obéissance et charité Vol. II, nos
1942, 1996
Le précepte de la charité Vol. I, n° 480, Vol. II, nos 2006-2012
La charité unit toutes les vertus Vol. II, n° 2429
Le Christ
Une personne et deux natures Vol. I, nos 207, 352, 468, Vol.
II, nos 1711, 1746, 1828, 1829, 1979, 1981, 2010, 2054, 2138,
2257, 2458, 2520
La grâce du Christ Vol. I, nos
189, 190, 301, 543, 544, 667, Vol. II, n° 1743
La science du Christ Vol. I, nos
327, 422, 551, 868, 1065, Vol. II, n° 2347
La volonté du Christ Vol. I, nos
796, 923, 1425, Vol. II, n° 2640
Les passions du Christ Vol. I, nos 1534-1535 Vol.
II, nos 1651-1654, 1796-1798
La présence du Christ en nous Vol. I, nos
398, 880, 950 Vol. II, n° 1995
Le Christ, vigne Vol. II, n° 1981
Le Christ, source d'eau vive Vol. I, n° 1090
Le Christ, chemin et terme Vol. II, n° 1868
L'enseignement du Christ Vol. I, nos 1074, 1108, 1555
Vol. II, nos 1775, 1807
La connaissance
La connaissance des réalités simples
et complexes Vol. I,
n° 603
La connaissance spéculative et
affective Vol. II, nos 1762, 2265
La connaissance des principes et des
conclusions Vol. II,
n° 2018
La similitude du connu dans le
connaissant Vol. I,
n° 1065
L'interrogation Vol. II, n° 2347
Amour et connaissance Vol. II, nos
1919, 2480
La source de la connaissance Vol. I, nos
103, 1037, 1040, 1065
Les différentes connaissances de Dieu Vol. II, nos
1663, 1876 sq., 2018, 2203, 2422, 2517
La connaissance propre ŕ Dieu Vol. I, nos
1412, 1414
La crainte
Les différentes sortes de crainte Vol. I, n° 969, Vol. II, nos 1783, 1967, 2015, 2041
La création
Vol. I, nos 73, 740 Vol. II,
nos 2251, 2598
L'Écriture Sainte
Les différents sens de l'Écriture Vol. I, nos 25, 57, 125,
760, Vol. II, nos 1696, 1828, 2057, 2659
L'ordre de l'Ancien Testament au
Nouveau Vol. I, nos 823, 1366, Vol.
II, nos 1705, 2321, 2447, 2568, 2656
L'accomplissement de l'Écriture Vol. II, nos
1961-1962, 2342, 2433, 2447, 2461
L'Église
Épouse du Christ Vol. I, nos
338, 518
La barque du Christ, Ť une ť
par la foi Vol. I, n°
886, Vol. II, nos 2582, 2595
Corps mystique Vol. I, n° 404
Pierre, figure de l'Église Vol. I, n° 306
L'Église née du côté du Christ Vol. II, n° 2458
L'Église, Ť sein spirituel ť
Vol. I, n° 439
L'Église militante et triomphante Vol. II, nos
1853, 2604, 2606
Les chrétiens sont enseignés
directement par Dieu Vol.
I, n° 944
La célébration des fętes dans l'Église
Vol. I, n° 1434
L'Esprit Saint
L'Esprit de vérité Vol. II, nos
1880, 1916, 2102
L'Esprit d'amour, Ť nexus ť
du Pčre et du Fils Vol.
I, nos 269, 357, 545, 1004, 1097, 1156, Vol. II,
nos 1908, 1946, 2069, 2088, 2187, 2214, 2541
Sa mission Vol. I, nos 270, 272, 442, 447, 577,
586, 1090, 1092, 1093, 1097, 1577, Vol. II, nos 1609, 1908-1909, 1914, 1956-1958, 2088, 2269
Ses deux préceptes d'amour Vol. II, n° 2539
Voir aussi Ť Le
Paraclet ť
L'Eucharistie
Sa source Vol. I, n° 961 Vol.
II, n° 2458
Sa matičre Vol. I, n° 960
La transsubstantiation Vol. I, n° 962
Ses effets Vol. I, nos
954-955, 960, 962-964, 968, 972-973
L'Eucharistie, fin des sacrements Vol. I, n° 969
La communion Vol. I, nos
969-970, 972, 974, 976
Le Fils
Vérité incréée Vol. II, n° 2365
Le Fils, Sagesse Vol. II, n° 2181
Le Secret du Pčre Vol. I, n°218
Le Fils par nature Vol. I, nos
187, 278, 328
Le Fils manifeste le Pčre et conduit
au Pčre Vol. I, n°
1162, Vol. II, nos 1622, 1660, 1874, 1878-1879, 2150,
2194
Sa science Vol. II, n° 2017
Voir aussi Ť La Sainte
Trinité ť
La foi
L'objet de la foi Vol. I, nos
658, 773 Vol. II, n° 1619
Foi, opinion, intelligence et science Vol. I, n° 662 Vol. II, n° 1859
Actes intérieur et extérieur de foi Vol. II, nos
1601, 2071
Foi formée, foi informe Vol. I, nos
159, 485-486
Les trois modalités de l'acte de foi Vol. I, nos 485, 1570 Vol.
II, nos 1851, 2095
La foi, école de la vision béatifique Vol. II, n° 2018
Le Christ, cause de la vraie
confession de foi Vol.
II, n° 2514
La foi des démons Vol. II, n° 2095
La gloire
Vol. I, nos 1277-1278
Vol. II, nos 1826, 1830, 2183
La splendeur du Verbe Vol. I, nos
183-184
La gloire donnée au Fils de toute
éternité Vol. II, n°
2261
L'Esprit Saint glorifie le Christ Vol. II, n° 2106
La gloire du Christ dans son humanité Vol. I, nos 186, 364, Vol.
II, nos 1734, 1827-1830, 2181, 2183, 2190-2191, 2414, 2427
La lumičre de gloire Vol. II, n° 2148
Les corps glorieux Vol. II, nos
2527, 2557, 2559
Les saints verront la gloire du Christ
dans la vision béatifique Vol. II, n° 2260
Se glorifier de la Croix du Christ Vol. II, n° 2560
Glorifier Dieu par nos uvres Vol. II, n° 1996
La vaine gloire Vol. I, n° 832 Vol. II, n° 1709
La grâce
Les différentes modalités de grâce Vol. II, n° 2514
Grâce prévenante, grâce subséquente Vol. I, n° 206 Vol. II, n° 1998
Grâce habituelle, grâce actuelle Vol. I, nos
153-154
Grâce opérante, grâce coopérante Vol. II, nos 1698, 1900, 1909, 1984,
1993, 2513, 2601-2602
Grâce charismatique, grâce
sanctifiante Vol. I,
n° 544 Vol. II, n° 1914
La grâce du Christ Voir Ť Le Christ ť
Le désir de la grâce Vol. I, nos
578-579, 688
La grâce, greffe divine Vol. I, n° 1269
L'heure du Christ
Vol. I, nos 352, 1069
Vol. II, nos 1636-1637, 1659, 1733,
2078, 2132, 2150, 2180
Jean Baptiste
Précurseur du Christ Vol. I, nos 229, 232-233, 236-237, 248, 266
Témoin Vol. I, nos
111, 116, 254-255
L'ami de l'Époux Vol. I, nos285,
518-521
Son humilité Vol. I, nos
249, 261-262, 514, 516, 523, 535
Sa fermeté dans la vérité Vol. I, n° 281
Son baptęme
Vol. I, n° 501
Voir aussi Ť Baptęme ť
Son origine Vol. I, nos
110, 227, 531
Jean lÉvangéliste
L'amour spécial de Jésus pour Jean Vol. II, nos
1804, 2639-2642, 2653
Son intimité avec Jésus Vol. II, nos
1803-1807, 2643
Son humilité Vol. I, n° 299, Vol. II, nos 1803, 2304, 2643
La Vierge Marie et Jean Vol. II, nos
2435, 2440, 2443
Jean et la charité fraternelle Vol. II, n° 2653
Sa foi en la Résurrection Vol. II, nos
2489, 2592
La rédaction de son Évangile Vol. I, nos 10, 19, Vol.
II, nos 1626, 1960, 2654-2657
Les légendes sur la fin de sa vie Vol. I, n° 21, Vol. II, nos 2647-2650
Le jugement
Jugements de condamnation et de
discernement Vol. I, nos 483, 485, 488,
489, 776, 1360 Vol. II, nos 1667-1669, 1724, 2097
Le pouvoir du Fils de juger Vol. I, nos 762, 765, 789 Vol.
II, nos 1722, 2417
La justification
Dieu seul justifie Vol. I, n° 681
Le Christ, cause de la justification Vol. II, n° 2514
Le Christ, exemplaire de la
justification Vol.
II, n° 1781
Ce qui est requis pour la
justification Vol. I,
nos 578, 688, 717 Vol. II, n° 1900
Coopérer ŕ la justification, est-ce
plus grand que de créer un ange ? Vol. II, n° 1901
La Loi
Les différents sens du mot
Ť Loi ť dans l'Écriture Vol. I, n° 1458 Vol. II, n° 2057
Les effets de la Loi Vol. I, nos 206, 705, 854, Vol.
II, nos 1627, 1836
La lumičre
Les différentes lumičres Vol. I, n° 125
Le Verbe est la Lumičre Vol. I, nos
98, 123, 127, 181 Vol. II, n° 1713
La Lumičre du Verbe incarné Vol. I, nos 104-107, 181,
1143 Vol. II, nos 1682, 2150
La participation des hommes ŕ la
Lumičre Vol. I, nos 98, 101, 103,
120, 123, 1145 Vol. II, nos 1682-1686, 1713, 1835
La lumičre de la foi Vol. II, n° 1714
La lumičre de l'intelligence Vol. I, nos
96, 1142
Le mal
La cause du mal Vol. I, n° 87
Le sujet du mal Vol. II, n° 2035
Mal de faute et mal de peine Vol. I, nos
1301, 1477
Se servir du mal pour un plus grand
bien Vol. I, n° 1502
La peine du dam Vol. I, n° 548 Vol. II, n° 1994
La médiation
Vol. II, nos 1794, 1910,
2138, 2201, 2251, 2521, 2537
La miséricorde
Vol. I, n° 345 Vol.
II, n° 2095
Jésus donne confiance en sa
miséricorde Vol. I, nos 287, 326 Vol. II, n° 2134
Le lavement des pieds Vol. II, n° 1779
L'économie de la miséricorde divine Vol. II, n° 2547
Justice et miséricorde Vol. I, nos
1124, 1135-1136
Le monde
Différents sens du mot
Ť monde ť Vol.
I, n° 128, Vol.
II, nos 1669, 1918, 2032, 2097,
2129, 2206, 2211, 2224, 2226, 2249, 2250
Les maničres d'ętre d'une réalité dans
le monde Vol. I, n°
133
Le renouvellement du monde au dernier
jour Vol. I, n° 939
L'obéissance
Obéissance et vie chrétienne Vol. I, nos 303, 1310, 1419,
1510, Vol. II, nos 1594, 1942, 2422
Béthanie, maison de l'obéissance Vol. I, nos
252, 1473 Vol. II, n° 1594
Sa nécessité pour ceux qui commandent Vol. II, n° 2616
L'obéissance due ŕ Dieu seul Vol. I, n° 354
L'obéissance du Christ dans sa mort Vol. I, n° 1422, Vol. II, nos 1747, 2191
L'ordre
L'ordre entre intelligence, volonté et
appétit sensible Vol.
II, n° 1962
Ordre d'intention, ordre d'exécution Vol. II, n° 1858
L'ordre établi par Dieu dans les réalités
Vol. II, n° 2024
L'ordre de la justice divine Vol. I, n° 938
L'ordre de charité Vol. II, nos
1962, 2009
La paix
La tranquillité de l'ordre Vol. II, n° 1962
La paix en Dieu Vol. II, n° 2174
Le Christ, cause de notre paix Vol. I, n° 1419 Vol. II, n° 2532
Paix présente et future Vol. II, n° 1963
Paix des saints et paix du monde Vol. II, n° 1964
La Pâque
Le passage du Seigneur Vol. I, n° 846 Vol. II, n° 1728
Figure de la Passion du Christ Vol. II, nos
1731-1733
La Pâque des Juifs, la Pâque du Seigneur
Vol. I, nos 377, 1586 Vol. II, n° 1731
Sa date Vol. II, nos 1590-1591, 1729-1730,
2331-2334, 2404-2405
Son observance par le Christ Vol. I, n° 375
Les trois Pâques vécues par le Christ
dans sa vie apostolique Vol. I, n° 376
Le Paraclet
Vol. II, nos 1911, 1912,1955, 2060, 2069
Le péché
Vol. I, n° 1294 Vol. II, n°
2396
Péché originel et péchés actuels Vol. I, n° 1507
L'homme pécheur Vol. I, nos323, 706, 1513, Vol.
II, nos 2035-2036, 2643
Le péché d'infidélité Vol. II, nos
2046-2047, 2095
La rémission des péchés Vol. II, nos
1671, 2541-2544
Le péché des saints Vol. II, n° 2547
Seul le Christ est sans péché Vol. I, n° 1135
Le Pčre
Vol. II, nos 2158, 2213
Voir aussi Ť La Sainte
Trinité ť, Ť Le Fils ť, Ť Le Verbe ť
Sa connaissance dans l'ancien Testament
Vol. I, nos611, 766, 830, 1161
Pčre du Christ par nature, Pčre des
justes par adoption Vol.
I, n° 390
La prédestination
Tout homme est prédestiné Vol. I, nos
326, 1417-1418, 1444
La prédestination ŕ la vie éternelle Vol. I, n° 938, Vol. II, nos 1857-1858, 2208, 2218, 2589
Notre prédestination dans le Christ Vol. I, nos 1461, 1648 Vol.
II, nos 2185, 2196
La prédestination du Christ homme Vol. II, nos
2191, 2262
Prédestination et liberté humaine Vol. I, n° 1373, Vol. II, nos 1692, 1789,
2020-2024
La pričre
Vol. I, nos 611, 614, 1348,
1552 Vol. II, nos 1905, 2142, 2180
La pričre du Christ Vol. I, nos 1551, 1553-1554,
Vol. II, nos 2177-2180, 2205-2207
La pričre des saints au Ciel Vol. II, n° 2140
La Résurrection
Le Christ, cause de sa Résurrection Vol. I, nos 397-398, 463 Vol. II, n° 1771
L'humanité du Christ glorifiée dans sa
Résurrection Vol. II,
nos 1771, 1829, 1924, 2181
Le Christ, cause de notre résurrection
Vol. I, nos 762, 791, 1516-1517, 1558
La résurrection commune Vol. I, nos
1514, 1558 Vol. II, n° 1925
Les trois morts ressuscites par Jésus Vol. I, n° 1513
Les sacrements
Leur source Vol. I, nos443,
1138
Leur matičre Vol. II, n° 2458
Leurs effets Vol. I, nos 964, 1561, Vol. II, nos 2539, 2542
Le baptęme et l'Eucharistie Vol. I, n° 969
Leur ministre Vol. I, nos 1560-1562, Vol.
II, nos 1779, 2542-2544
Les sacrements de l'ancien Testament Vol. I, n° 854
La sagesse
Connaissance de Dieu Vol. I, nos
209, 601, 854 Vol. II, n° 1807
Le Christ (le Verbe, le Fils) Vol. I, n° 854, Vol. II, nos 2181, 2267
La Sainte Trinité : l'appropriation
Appropriation Vol. II, nos
1912, 2262
Le Verbe Vol. I, n° 187
Le Fils Vol. II, n° 2194
L'Esprit Saint Vol. II, n° 1961
La Sainte Trinité : la consubstantialité des trois personnes divines
Vol. I, nos 218, 444, 947
Vol. II, nos 1712, 1851,
1888, 1928-1929, 1957, 1970, 1999, 2089, 2107-2115, 2172, 2183, 2187-2188,
2208, 2214, 2240, 2247
La Sainte Trinité : la distinction des
trois personnes divines
Vol. II, nos 1887, 1895, 1911, 1946, 2063-2065, 2112-2113
La Sainte Trinité : génération et
processions
Génération et processions Vol. II, nos
1911, 1971
Génération éternelle et temporelle du
Fils Vol. I, nos 187, 463, 947, Vol. II, nos 1726, 2201, 2204, 2161-2162, 2181, 2262
La procession de l'Esprit Saint Vol. II, nos
2061-2065, 2103
Le Verbe
Verbe divin et verbe intellectuel Vol. I, nos
25-28, 820 Vol. II, n° 1879
La deuxičme personne de la Sainte
Trinité Vol. I, nos 29, 92, 946,
1037 Vol. II, nos 1869, 2229
Notre connaissance du Pčre par le
Verbe Vol. I, n° 820,
Vol. II, nos 1874, 1878-1879, 2267-2268
Voir aussi Ť Le Fils ť et
Ť La Sainte Trinité ť
La vérité
Vol. I, nos 910, 974, 1245
Vol. II, nos
1776, 1980, 2365, 2612
Vérité absolue et vérités participées Vol. I, nos33, 207, 935,
1370 Vol. II, nos 1869, 2365
Le désir de la vérité Vol. II, n° 2480
Vérité et amitié Vol. II, n° 2399
La sanctification dans la vérité Vol. II, nos 2229-2230
L'Esprit de vérité
Voir aussi Ť L'Esprit
Saint ť
La vie active et la vie contemplative
Vol. I, nos 1473, 1510
Vol. II, nos 1595, 1805,
1871, 2301, 2305-2306, 2487, 2640, 2648
La Vierge Marie
Sa plénitude de grâce Vol. I, n° 201
Médiatrice ŕ Cana Vol. I, nos
343-345
Mčre de la nature humaine du Christ Vol. I, n° 352
Marie n'a pas commis de péché Vol. I, n° 1135
Marie ŕ la Croix Vol. II, nos
2435, 2439-2443
La vision béatifique
La vision de gloire Vol. I, n° 213, Vol. II, nos 1936, 2139, 2186, 2203, 2260
La jouissance de Dieu Vol. I, n° 400 Vol. II, n° 1738
La vie glorieuse ŕ partir de celle du
Christ Vol. II, n°
1925
L'intensité de la vision béatifique
liée ŕ la ferveur de la charité Vol. II, nos 1853-1855
La béatitude, joie de la vérité Vol. I, n° 1370
Le temps de la gloire Vol. II, n° 2140
Les
chiffres de la colonne de droite renvoient aux paragraphes du commentaire. L'astérisque
placé devant un chiffre indique soit une référence non textuelle, soit un
simple renvoi.
Genčse
(Gn)
Gn
1, 5 *2471
Gn
1, 16-17 2026
Gn
2, 3 2605
Gn 2, 7 2538
Gn 2, 8 et 15 *2275
Gn2, 21 *1679
Gn 3 *2085
Gn
3, 8 *2405
Gn
3, 15 1790
Gn
3, 18 2375
Gn
3, 23-24 *2275
Gn
3, 24 *1671
Gn
6, 16 *2458
Gn
11, 4 2419
Gn
12, 1 2480, 2582
Gn
15, 5 2604
Gn
15, 6 *2249
Gn
17, 23 *1745
Gn21,
6 2133
Gn
22, 17 2604
Gn
22, 17-18 2590
Gn
27, 29 1622
Gn
28, 17 2596
Gn
32, 30 2548
Gn
35, 18 *2589
Gn
37, 4 *2038
Gn
40, 9-10 1979
Gn 45, 26-27 1924
Gn 49, 11 1979
Gn 49, 20 *1741
Exode (Ex)
Ex 1, 9 sq. *2038
Ex 3, 14 *1660, 1792, *1803
Ex 4, 4 *1803
Ex 4, 16 *2281
Ex 4, 19 *1803
Ex 4, 31 1619
Ex 6, 2 1803
Ex 8, 26 2227
Ex 12 *1728
Ex 12, 3 sq. *1617
Ex 12, 6 *1730
Ex 12, 15-20 *1729
Ex 12, 18 *1730
Ex 12, 18-20 *1729
Ex 12, 44 et 48 *1632
Ex 12, 46 2461
Ex 14, 21 *2054
Ex 15, 11 *1627
Ex 16, 23 *2404
Ex 17, 11 *2179
Ex 18, 21 *2364
Ex 18, 22 2577
Ex 19, 6 *2290
Ex 20, 12 2441
Ex 20, 13. 15 *2001
Ex 22, 18 2340
Ex 22, 20 2195
Ex 22, 26 *2001
Ex 22, 28 2319
Ex 23, 2 2344, 2410
Ex 23, 14-17 *1729
Ex 24, 7 2480
Ex 28, 1 2229
Ex 33, 12 2513
Ex 34, 6 *2094
Ex 34, 30 *1830
Ex 40, 32 1830
Lévitique (Lv)
Lv ch. 1-7 *2231
Lv 7, 16 *1659
Lv 19, 2 2213
Lv 19, 18 1836, *2540
Lv 22, 18 et 21 *1659
Lv 22, 32 *2048
Lv 23, 5-14 *1729
Lv 23, 15-22 *1729
Lv 23, 33-43 *1729
Lv 26, 3 1905
Lv 26, 11 1853
Nombres (Nb)
Nb 9, 9-11 *2332
Nb 9, 12 *2461
Nb 12, 6 1704, 1694
Nb 15, 3 *1659
Nb 16, 26 *2582
Nb 21, 9 *2494
Nb 23, 19 *2326
Nb 28, 3-6 *2231
Deutéronome (Dt)
Dt 4,
19 *1634
Dt 4,
37 2233
Dt 5, 5
2201
Dt 5,
26 1953
Dt 6, 5
2626
Dt 7, 6
*2282
Dt 10,
16 *2375
Dt 12,
17 *1659
Dt 14,
2 *2282
Dt 16,
1-8 *1729
Dt 16,
9-12 *1729
Dt 16,
13-15 *1729
Dt 19,
15 2320
Dt 20, 22-23 *2455
Dt 21, 23 2341,2413,2455
Dt 26, 18 *2282
Dt 32, 7 2084
Dt 32, 11 *1804, *2010, *2274
Dt 33, 3 1737, 1941, 1943, 2158, 2251
Dt 33,
25 2630
Dt 33,
26 1859
Josué
(Jos)
Jos 10,
12-14 *2054 Jos 14, 15 2416
Juges Qg)
Jg 5, 2
*1659
Jg 5, 9
*1659
Jg 5,
20 2026
1er Livre de Samuel (1 S)
1 S 1,
19 *2464
1 S 2,
2 2213
1 S 2,
3 *2043
1 S 2,
30 1648
1 S 2,
30c 1718
1 S 4,
18 2282
1 S 8,
7 2409
1 S 10,
24 2619
1 S 15,
22 1759
1 S 16,
7 2126, *2166
1 S 16,
13 1914
1 S 26,
16 2218
2e Livre de Samuel (2 S)
2 S 3,
1 2353
2 S 7,
18 1939
2 S 9,
7 *2142
2
S 16, 16 2377
2
S 23, 4 *2584
1er Livre des Rois (1 R)
1 R 10, 24 1633
1 R 17, 17-24 *2054
1 R 19, 10 2287
1 R20, 39 2217
1R21, 29 *2282
1 R 22, 22 2062
2e Livre des Rois (2 R)
2 R4, 18-37 *2054
2 R 7, 9 2476
2 R22, 19 *2282
1er Livre des Chroniques (1 Ch)
1 Ch 11, 1 1736
1 Ch 16, 28-29 *2179
1 Ch 28, 9 *2166
2e Livre des Chroniques (2 Ch)
2 Ch 7, 14 *2282
2 Ch 12, 6-7 *2282
2 Ch 12, 12 *2282
2 Ch 20, 12 1657, 2180
2 Ch 20, 18 *2179
2 Ch 24, 20 2093
2 Ch 32, 26 *2282
Esdras (Esd)
Esd 1,
6 *1659
Esd 7, 15 et 16 *1659
Esd 8, 21 *2282
Esd 8, 28 *1659
Esd 9, 2 2348
Tobie (Tb)
Tb
4, 9 1596
Tb
12, 20 2083
Judith (Jdt)
Jdt
4, 9 *2282
Job(Jb)
Jb
1, 1 *2480
Jb
1, 6 1799
Jb 3,
23 1684, 1714
Jb 4,
18 1601
Jb 4,
20 1701
Jb 5, 1
2140
Jb 6,
27 *1608
Jb 9, 4
*1962, 2293
Jb 9,
11 1923
Jb 9,
24 2410
Jb 9, 30-31
1801
Jb 13,
15 2093
Jb 14,
14 *1679, 2552
Jb 15,
26 1614, 2278
Jb 15,
34 1990
Jb 16,
9 *2595
Jb 16,
20 2621
Jb 19,
13 *2171
Jb 19,
14 2171
Jb 19,
20 2438
Jb 19,
29 1716, 1718
Jb 21,
14 2408
Jb 22,
21 *1962
Jb 22,
26 1804, 1855, 2004
Jb 23,
11 1781, *2171
Jb 24,
7 2426
Jb 24,
14 1824, 2330
Jb 26,
14 1663, 2100, 2567
Jb 28,
7 1866
Jb 28,
14 1949
Jb 29,
16 2344
Jb 32,
8 1628, 2062
Jb 32,
9 1958
Jb 36,
17 2417
Jb 36,
32-33 1949, 2260
Jb 36,
33 1807, 1916, 1936, 2134
Jb 37,
19 1684, 1713
Jb 38, 4 et 7 *2584
Jb
38, 33 *1634
Jb
39, 21 1976
Jb
39, 27 *1804
Jb 39,
34 [BJ 40, 4] 1890
Jb 40,
4 1695
Jb 40,
6 *2621
Jb 40,
24 [BJ 40, 29] 2176
Jb
41, 16 1700
Jb 41, 25 1975, 2097
Psaumes (Ps)
Ps 1, 1 2325
Ps 2 *1705
Ps 2, 6 2360, 2421
Ps 2, 7 1726, 2360
Ps 2, 8 2206, 2354, 2421,
2636
Ps 3, 6 1679
Ps 4, 6-7 *2480
Ps 5, 5 *2085, 2584
Ps 5, 12 *2174
Ps 6, 7 2493
Ps7, 8 1618,2517
Ps 7, 10 *2166, 2617
Ps 7, 12 2264
Ps 8 *1705
Ps 8, 6 2261
Ps 9, 10 2088
Ps 10, 6 1643
Ps 11, 2 2364
Ps 13 *1705
Ps 13, 3 *2094
Ps 14, 1-2 1759
Ps 15, 1 2213
Ps 15, 10 1828, 1829, 1925
Ps 15, 11 1868, 1883, 2134,
2139, 2146, 2466
Ps 16, 5 *2179
Ps 16, 8 *2010, 2274
Ps 16, 11 1673, 1919
Ps 16, 15 2139
Ps 17, 12 *1684
Ps 17, 26 *1762, 2310
Ps 17, 45 2290
Ps 18 *2093
Ps 18, 5 2094
Ps 18, 7 2161
Ps 18, 9 1815
Ps 18, 10 *1783, 2015
Ps 19, 8 2154, 2213
Ps 20, 4 2375
Ps 20, 14 1673
Ps 21, 7 2382
Ps 21, 16 1994
Ps 21, 19 2433
Ps 21, 23 2519
Ps 21, 28 1960
Ps 22, 2 1804
Ps 23, 1 2110, 2209
Ps 23, 8 2140
Ps 25, 6 1762
Ps 26, 1 1627
Ps 26, 4 *1595
Ps 26, 10 1922, 2088
Ps 26, 13 *2596
Ps 27, 3 1808, 1964
Ps 28, 1 2601
Ps 28, 2 *2179
Ps 29, 6 2085, 2501, 2584
Ps 30, 12 2304
Ps 30, 21 2590, 2595
Ps 32, 6 1634, 2093, 2308
Ps 33, 6 1807, 1945
Ps 34, 1 1667
Ps 34, 12 2336
Ps 34, 19 2057
Ps 35, 4 1701
Ps 35, 7-10 *1595
Ps 35, 10 2139, 2260, *2409
Ps 36, 23 *2179
Ps 36, 24 *1679, 1850, 2555
Ps 36, 27 2229
Ps 39, 6 2660
Ps 39, 8 2568
Ps 39, 10 2315
Ps 39, 18 1604
Ps 40, 9 *1679
Ps 40, 10 1601, 1741, 1790
Ps 41, 3 2447, *2631
Ps 41, 6-7 *2004
Ps 41, 8 2546
Ps 42, 3 2306, 2582
Ps 42, 4 2480
Ps 43, 22 2074
Ps 43, 26 1746
Ps 44, 11-12 1922
Ps 45 *1705
Ps 45, 2 2524
Ps 45, 5 1955, *2106
Ps 45, 11 *1595, 1941
Ps 46, 8 2350
Ps 46, 10 1707, *2601
Ps 47, 7 2132
Ps 48, 3 *2428
Ps 48, 7 2394
Ps 48, 19 1601
Ps49, 21 1815
Ps 50, 4 *1762
Ps 50, 9 2450
Ps 50, 12 2093
Ps 50, 14 *1912, *1955
Ps 51, 7 *2596
Ps 52, 1 1805
Ps 52, 6 2402
Ps 53, 8 *1815, *2636
Ps 54, 6-7 1656
Ps 54, 14-15 1808
Ps 56, 2 2424
Ps 56, 9 2118
Ps 57, 2 2424
Ps 58, 2 2424
Ps 59, 4 1651, 1849
Ps 59, 5 1979
Ps 60, 3-4 2295
Ps 61, 5 *2281
Ps 61, 8 *2043
Ps 62, 5 *2179
Ps 62, 6 2615
Ps 64, 5 1853, 2262
Ps 64, 10 *2106
Ps 65, 12 1728
Ps 65, 15 1596
Ps 67, 4 1595
Ps 67, 19 1637, *1910, 2088,
*2098, 2246, *2517, *2540
Ps 68, 2 1657, 1748
Ps 68, 5 2057
Ps 68, 8 2381
Ps 68, 13 2423
Ps 68, 29 *2568
Ps 68, 34 *2142
Ps 68, 37 *2174
Ps 70, 3 1857
Ps 70, 11 2295
Ps 72, 14 2372
Ps 72, 23 2258
Ps 72, 25-26 2476
Ps 73, 9 1689
Ps 75, 1 *2480
Ps 75, 2 *1660, 2183, 2195
Ps 75, 3 2483
Ps 76, 3-4 2174
Ps 76, 19 1663
Ps 77, 49 1742
Ps 79, 3 1621
Ps 79, 12 1990
Ps 81, 5 1685, 2476
Ps 81, 6 1999, 2387
Ps 83, 6 2603
Ps 83, 8 1985, 2027
Ps 83, 10 *2494
Ps 84, 9 1694, 2103
Ps 85, 1 2176
Ps 85, 11 1868
Ps 86, 1 *2626
Ps 86, 2 2640
Ps 87, 5 2416
Ps 87, 16 2176, 2407
Ps 88, 10 2592
Ps 88, 16 1684
Ps 88, 49 2123
Ps 89, 4 1925, 2120
Ps 90, 11 1663, *2274
Ps 91, 5 1773
Ps 91, 6 1773
Ps 91, 11 2630
Ps 93, 18 2555
Ps 93, 19 2501
Ps 94, 6 *2179
Ps 94, 7 *2081
Ps 94, 8 *2361
Ps 95, 7 *2179
Ps 95, 10 *1827, 2414
Ps 96, 7 2496
Ps 99, 3 1775
Ps 101, 18 2142
Ps 101, 28 2483
Ps 102, 5 *1804, *1853,
1883, *2146, *2608
Ps 103, 13 1992
Ps 103, 15 1639
Ps 103, 24 *1634
Ps 103, 30 1956, 2066, 2471,
*2471
Ps 104, 4 2508
Ps 104, 19 *1987
Ps 106, 4 1870
Ps 107, 3 1828, 1925
Ps 108, 2 2218
Ps 109, 1 *2191, 2498
Ps 109, 2 *2414
Ps 109, 3 2161
Ps 109, 7 2274
Ps 110 *1705
Ps 110, 4 1592
Ps 110, 10 1785, 1933
Ps 111, 6 1967
Ps 111,9 1821
Ps 113,4 2625
Ps 113,5 1701
Ps 113, 9 *2179
Ps 113 [B], 1 1904, 1996
Ps 113 [B], 4 *2409
Ps 114, 9 *2596
Ps 115, 11 *1872
Ps 115, 13 2293
Ps 115, 16 2295
Ps 117 *1624
Ps 117, 1 *2134
Ps 117, 9 2399
Ps 117, 16 2589
Ps 117,22 1624
Ps 117, 24 2134, 2525
Ps 117, 25-26 1624
Ps 117,26 1622
Ps 117,27 1624
Ps 117,28 2562
Ps 118, 11 1933
Ps 118,25 *2179
Ps 118,32 1909, *2429, 2478,
*2478
Ps 118, 42 *2179
Ps 118,96 2445
Ps 118, 100 1942
Ps 118, 103 *1741, 1933
Ps 118, 104 1942, 2487
Ps 118, 105 *2179
Ps 118, 125 2015
Ps 118, 140 *1987
Ps 118, 165 *1645, 1962,
1964, *2060, 2069, 2174, 2532
Ps 119, 1 2180
Ps 119, 7 1741
Ps 120, 1 1657
Ps 120, 1-2 *2179
Ps 121, 2 2492
Ps 122, 1 2179
Ps 125, 6 1645, 2130, 2493
Ps 126, 1 2213
Ps 131, 7 1596, 2499
Ps 132, 1 2213, 2238, 2651
Ps 132, 2 2231
Ps 132, 25 1819
Ps 134, 6 2350, 2592
Ps 135, 1 *2134
Ps 138, 14 1613
Ps 140, 2 *2179
Ps 140, 5 1798
Ps 141, 1 *2179
Ps 141, 6 *2596
Ps 142, 10 *1909, 1916, 1920
Ps 144, 9 2253
Ps 144, 15 2142, *2610
Ps 144, 16 2610
Ps 146, 4 2513, 2604
Ps 146, 5 *2195
Ps 147, 14 2174, 2554, 2606
Ps 147, 20 2480
Ps 148, 5 1622
Ps 149, 8 *2422
Proverbes (Pr)
Pr 1, 16 1615
Pr 1, 29 2056
Pr 3, 6 *2031
Pr 3, 16 2648
Pr 3, 27 1608
Pr 4, 2 2222
Pr 4, 11 1870
Pr 4, 18 2508
Pr 4, 18-19 2282
Pr 4, 20-21 1995
Pr 4, 27 2589
Pr 6, 23 *2582
Pr 7, 2 *1868, 2198
Pr 8, 7 1870, 2656
Pr 8, 8 2229
Pr 8, 8-9 1987
Pr 8, 15 2395
Pr 8, 17 1804, 1908, 1943,
2011, *2584, 2640
Sagesse (Sg)
Sg 1,
1-2 *1854
Sg 1, 5
1918
Sg 1, 7
*2061
Sg 1,
13 2253
Sg 1,
15 1900
Sg 2, 1
1613, 2123
Sg 2, 7
2078
Sg 2,
15 2038, 2223, 2383, 2408
Sg 2,
20 1673, *2341, 2383, 2408
Sg 2,
21 1698
Sg 2, 25 2097
Sg 3, 1 2158, 2453
Sg 3, 15 1641, 1992
Sg 5, 3 et 5 2250
Sg 6,
13 2181
Sg 6,
14 1919, 1936, 2472, 2505
Sg 6,
19 2012
Sg 7, 7
2059
Sg 7, 8
2142
Sg 7,
11 2146
Sg 7,
25 *2181
Sg 7,
26 1662, *1755, 2260
Sg 7,
27 2016
Sg 8, 1
*1634, 2354
Sg 8, 3
1743
Sg 8, 8
2104
Sg 8,
10 2181
Sg 8,
16 2305
Sg 8,
21 2190
Sg 9, 5
2124
Sg 9,
10 2088
Sg 9,
17 *2363
Sg 10,
12 *2478
Sg
11,25 1735,2158,2251
Sg
11,26 2024
Sg 12,
1 1920
Sg 12,
17 *1627
Sg 13,
1 1773, 2265
Sg 14,
3 2594
Sg 14, 6 2595
Sg 14, 7 *2560, 2582
Sg 14, 22 1964
Sg 15, 3 2043
Ecclésiastique (Si)
Si 1, 5 1995, 2267
Si 1, 20 *1783
Si 1, 27 *1783
Si 2, 1 2594
Si 2, 17 *2282
Si 3, 20 1599, 1743, 1747
Si 3, 22 2549
Si 3, 25 *2356, *2363
Si 4, 7 1610
Si 4, 33 *2478
Si 5, 8 2593
Si 6, 11 1753
Si 6, 17 1837
Si 6, 25 *2422
Si 6, 26 2101
Si 6, 28 2084
Si 7, 4 2400
Si 8, 7 *2647
Si 10, 9 1603
Si 10, 14 *2278
Si 12, 16 2372
Si 13, 1 *2582
Si 13, 19 2223
Si 13, 20 2034
Si 14, 17 *2647
Si 15, 5 2641
Si 18, 23 *2584
Si 18, 31 1643
Si 19, 4 2549
Si 19, 27 1770
Si 22, 9 1680, *2356
Si 22, 31 2016
Si 23, 29 [BJ 23, 20] 2166
Si 23, 38 1647, 2040
Si 24, 1 1777
Si 24, 5 *2181
Si 24, 8-10 *2093
Si 24, 23 2027
Si 24, 24 1839, 2008
Si 24, 26 1728, 1945, *2608
Si 24, 42 2510
Si 24, 45 *1829
Si 27, 6 *1645
Si 29, 32 *1741
Si 30, 22 2085
Si 32, 1 1627, 2531
Si 33, 31 2015
Si 35, 26 *2088
Si 37, 1 2019
Si 38, 21 2085
Si 38, 25 2655
Si 38, 31 2190
Si 43, 18 *2093
Si 43, 29 2178
Si 43, 36 2567
Si 44, 3-4 2604
Si 44, 11 *2233
Si 45, 14 2375
Si 45, 30 1962
Si 50, 13 2531, 2581
Si 51, 4 et 6 2175
Si 51, 35 *2608
Isaďe (Is)
Is 1,
14 2484
Is 1,
16 *1762
Is l,
23 2370
Is 2, 2
*2517
Is 2, 3
1626, 1945
Is 3,
14 1923
Is 3,
25 2282
Is 4, 6
*2595
Is 5, 2
1980, *1982
Is 5, 4
2283
Is 5,
20 *2364
Is 6, 1
1697, 1703, 2659
Is 6,
10 1697, 1703
Is 8, 1
2655
Is 8,
14 2048
Is 8,
17 1687
Is 8,
18 2253
Is 9, 6
1627, 2414
Is 9, 7
1627, 1676, 2420, 2498
Is 10,
22 2486
Is 11,
1 2420
Is 11,
2 1908
Is
11,2-3 2605
Is 19,
14 2062
Is 21,
10 1694, 2522, 2548
Is 21,
11 2216
Is 22,
13 2129
Is 24,
15 2190
Is 24,
22 1994
Is 26,
10 1925, 2260
Is 26,
12 *2015
Is 26,
17 2132
Is 26,
19 1925
Is 26,
20 2118
Is 27,
9 1641, 1992
Is 28,
5 1855, 2375
Is 28,
9 2088
Is 28,
13 2282
Is 30,
21 1870, *2429, 2531
Is 30,
23 2599
Is 30,
27 1660
Is 32,
1 1623, 2358
Is 32,
6 1602
Is 32,
20 1626
Is 33,
1 1718
Is 33,
17 *1804, 1925, 2134, 2188, 2260, *2480
Is 33,
22 1622
Is 35,
4 1621
Is 35,
8 1749
Is 35,
10 2134
Is 38,
3 *2364
Is 40,
5 *2185
Is 40,
26 1941
Is 40,
31 *1862, *2256
Is 41,
23 1792, 2104
Is 42,
1 1908
Is 42,
6 1633
Is 42,
19 1700
Is 42,
20 1700
Is 43,
2 2226
Is 43,
7 1996
Is 43,
24 *2484
Is 44,
8 2654
Is 45,
15 *1641, 1746, 2483, 2599
Is 45,
19 2315
Is 48,
3 2126
Is 49,
6 1626
Is 49,
8 1905
Is 49,
17 2334
Is 49,
18 2429,*2517
Is 49,
25 2295
Is 50,
5 2055, 2202
Is 50,
6 2318, 2372, 2378
Is 51,
7 2381
Is 51,
12 1627, 1967
Is 52,
3 *2093
Is 52,
7 1599, *2081
Is 53,
1 1694
Is 53,
3 *1970
Is 53,
7 1590, 1659, 1679, 1815, *2081, 2283, 2391
Is 53,
12 *1964, 2417
Is 54,
2 1857
Is 54,
8 2120
Is 55,
3 *1836
Is 55,
6 1834
Is 55,
9 *2093
Is 56,
7 1632
Is 56,
10 2616
Is 57,
21 1964
Is 58,
1 1711, 2094
Is 59, 4
2094
Is 59,
11 *2631
Is 59,
14 *2094, 2364
Is 59,
19 *1909, 1955, 2106
Is 60,
4 *2517
Is 60,
5 2134
Is 61,
1 1912
Is 61,
3 1955
Is 61,
10 2134
Is 62,
5 1947, 2004
Is 63,
1 *1910, 1968, 2122, 2140
Is 63,
2 2376
Is 63,
3 2171
Is 64,
4 2586
Is 65,
4 *2334
Is 66,
7 2133
Is 66,
12 1962
Is 66,
13 *1955
Is 66,
14 2134, 2534
Is 66,
19 1633
Is 66,
20 2601
Is 66,
23 2575
Jérémie
(Jr)
Jr 2, 2
*1673
Jr 2, 5
2057
Jr 2, 6
*2057
Jr 2, 7
*2057
Jr 2,
13 2409
Jr 2,
21 1980, 1982
Jr 3,
15 2624
Jr 3,
19 2180
Jr 4, 3
2375
Jr 4, 4
*2375
Jr 4,
14 *2493
Jr 4,
23 2142
Jr 5, 1
*2094
Jr 5, 5
2348
Jr 5,
22 2585
Jr 7,
16 1905, 2142
Jr 8, 6
2325
Jr 9, 1
*2493
Jr 9, 8
*1964
Jr 9,
23 *2043
Jr 9,
24 2043
Jr 10,
23 *1684
Jr 11,
20 *2166, 2617
Jr 12,
7 2410
Jr 12,
8 2370
Jr 13,
23 1698
Jr 14,
9 1853
Jr 15,
1 1905, 2142
Jr 15,
16 1995
Jr 15,
19 1633, *2283
Jr 16,
16 1633, *2577
Jr 17,
9-10 1792, 2168
Jr 17,
10 *2166, 2617
Jr 17,
12 1853
Jr 18,
20 1791, 2057, 2320
Jr 20,
10 2348
Jr 20,
12 *2166, 2617
Jr 20,
15 *2133
Jr 23,
5 1623, 2420
Jr 23,
24 1734, *1923, 1944, 2161, *2247, 2258
Jr 23, 29 1700, 1987
Jr 31, 3 1673, 1735, 1738, 1838, 1934,
1998
Jr 31,
13 *1955
Jr 31,
14 2615
Jr 31,
16 2128, 2501
Jr 31,
31 1836
Jr 31, 33 *1836
Jr 32, 19 2295
Jr 47, 6 2292
Lamentations (Lm)
Lm 1, 2 2128, 2493
Lm 1, 12 2132
Lm 2, 11 *2493
Lm 2, 16 2129
Lm 2, 18 *2493
Lm 3, 19 1748, 2419, *2428
Lm 3, 27 *2584
Lm 3, 30 2318, 2484
Lm3, 41
2179
Lm 4, 1
2491
Lm 4,
19 *1804
Lm 4,
20 2295
Lm 5, 3
1922
Lm 5,
21 1702
Baruch
(Ba)
Ba
3, 38 1880, 2216
Ba 4, 28 2643
Ézéchiel (Ez)
Ez 2, 1 2282
Ez 2, 6 2402
Ez 5, 6 2094
Ez 10, 2 2599
Ez 11, 19 1920
Ez 12, 3 1633
Ez 13, 3 1916
Ez 14, 14 et 16 *1905
Ez 15, 2 et 4 1994
Ez 17, 3 *1804
Ez 17, 6 1983
Ez 18, 23 et 32 2253
Ez 20, 36-38 *1994
Ez 28, 13 *2275
Ez 33, 31 1694
Ez 34, 2 2361, 2624
Ez 34, 2-3 2290
Ez 34, 14 2624
Ez 34, 17 *1994
Ez 34, 20 *1994
Ez 36, 25 2458
Ez 36, 26 1836
Ez 37, 24 2623
Ez 37, 27-28 *1853
Ez 45,
11 1599
Daniel
(Dn)
Dn 1,
17 *2102
Dn 1,
20 *2102
Dn 2,
11 2570
Dn 2,
46 2282
Dn 7,
10 *2106
Dn 7,
13 1680
Dn 7,
14 1676,2185,2351,2354
Dn 7,
26-27 *2185
Dn 10,
8-9 *2540
Dn 12,
9 2047
Osée
(Os)
Os 1,
11 [BJ2, 2] 2623
Os 2,
14 *1836, 1977, 2103, 2277
Os 4, 6
1698, 2616
Os 6, 1
1834
Os 6, 3
1630, *2171, 2301
Os 6, 5
*1987, 2547
Os 11,
1 *1705, 1999, 2639
Os 11,
4 *1673, *2429
Os 13,
9 1698, * 1698, 1724
Os 14,
7 2027
Joël
(Jl)
Jl 2,
28 2104
Amos (Am)
Am 3, 7
2015
Am 4,
12 1620
Am 5,
10 2038
Abdias
(Ab)
Ab 1c
1694
Michée
(Mi)
Mi 2, 1
2330
Mi 2,
13 1859, *2517
Mi 3, 3 2456
Mi 4, 2-3 *1705
Mi 5, 1 2318, 2378
Mi 6, 3 *2057
Mi 7, 1 2639
Mi 7, 6 2348
Habacuc (Ha)
Ha 2, 1
2217
Ha 2, 2
*2655
Ha 2, 4
1599, 2568
Ha 3, 1
2388
Ha 3, 2
1755
Aggée
(Ag)
Ag 2, 7
1833, 1925
Ag 2, 9
*1705
Zacharie
(Za)
Za 1, 3
*1702, 2505
Za 9, 9
*1627
Za 11,
12-14 *1705
Za 12,
10 2462
Za 13,
1 2458
Za 13,
2 2098
Za 13,
7 1968, 2171, 2491
Za 14,
7 2471
Za 14,
9 *2195
Malachie
(Ml)
Ml 1, 2
1943
Ml 1,
11 1660
Ml 1,
14 1596
Ml 3,
10 1819
Ml 4, 2
[BJ 3, 20] *2405
1er Livre des Maccabées (1 M)
1 M 8, 14 *2376
2e Livre des Maccabées (2 M)
2 M
3, 2 *1632 2 M
3, 2 sq. *1632
2 M 7, 16 2393 2 M
8, 2-3 *2179
2 M
15, 12 *2140
Matthieu
(Mt)
Mt 1, 20 *2224, 2429
Mt 1,
21 1905, *2414, 2420
Mt 2,
20 1606
Mt 3,
16 *2539
Mt 3,
17 1662, *1726
Mt 4, 6
1663
Mt 4,
11 *2475
Mt 4,
18 sq. *2553
Mt 4, 19 2577
Mt 4, 21-22 *2443
Mt 5, 1-12 *2402
Mt 5, 5 1955, 2130
Mt 5, 8 1854
Mt 5, 10 1645, *2071
Mt 5, 12 1955, 2256
Mt 5, 14 1713
Mt 5, 16 1996, *2093, 2183, 2602
Mt 5, 18 1691, 1790, 2433
Mt 5, 19 1769, 1933
Mt 5, 39 *2289, *2321, 2321
Mt 5, 48 2240
Mt 6, 6 2528
Mt 6, 9 *1995
Mt 6, 11 2142
Mt 6, 17 1762
Mt 6, 21 1941, 2494
Mt 6, 30 *1755
Mt 6, 33 2579
Mt 6, 34 1604, 1820, 1820
Mt 7, 7 2145
Mt 7, 8 1904
Mt 7, 11 2142
Mt 7, 21 2377
Mt 8, 9 2395
Mt 8, 11 1618
Mt 8, 26 *1755
Mt 9, 9 1803
Mt 9, 15 *1922
Mt 9, 20 *1899
Mt 9, 34 *2098
Mt 10, 5 1634
Mt 10, 8 *2540
Mt 10, 10 *2288
Mt 10, 16 2081, 2537
Mt 10, 17-18 *2080
Mt 10, 20 2042, 2066
Mt 10, 22 *2081
Mt 10, 25 2040, 2042
Mt 10, 27 2101, 2315
Mt 10, 30 *2558
Mt 10, 32 *2095
Mt 10, 35 *2582
Mt 10, 36 1791
Mt 10, 37 1922
Mt 10, 40 1793
Mt 11,25 *1937, *2185, 2494
Mt 11, 27 1830, 1874, 1937, 2110, 2150,
2185, 2194, 2269
Mt 11, 28 1613, 2608
Mt 11,29 2176
Mt 12, 24 *2098
Mt 12, 25 2213
Mt 12, 34 1698, 2345
Mt 12, 34-37 *1776
Mt 13, 7 *2375
Mt 13, 10-11 *2315
Mt 13, 21 *2547
Mt 13, 23 *1996
Mt 13, 30 1994
Mt 13, 31 *1639
Mt 13, 36 *2315
Mt 13, 43 *2245
Mt 13, 44-50 *2354
Mt 14, 25 *2054, *2554
Mt 14, 31 1682, *1755
Mt 14, 35-36 *2054
Mt 15, 14 *2616
Mt 15, 15 *2315
Mt 15, 16 1885, 2122, 2651
Mt 16, 8 *1755
Mt 16, 16 1886, *2181, 2562
Mt 16, 17 *1755
Mt 16, 18 *2450, 2626
Mt 16, 24 *2171, 2414, 2636
Mt 16, 26 1644
Mt 17, 5 *1627, 1662, 2539, *2539
Mt 18, 7 2396
Mt 18, 19 2142
Mt 18, 20 2529, 2553
Mt 18, 32 1783
Mt 19, 11 2213
Mt 19, 17 1725
Mt 19, 21 *2447
Mt 19, 21-22 1899
Mt 19, 27 1776, 2171, 2443
Mt 20, 1-16 *1855
Mt 20, 8 1752, 2524
Mt 20, 16 2487
Mt 20, 18-19 1968, 2371
Mt 20, 19 *2342, 2488
Mt 20, 22 1905, 2040
Mt 20, 26 et 28 1778
Mt 20, 28 1745
Mt 21, 9 *1624, 2499
Mt 21, 33 1982
Mt 21, 38 2049
Mt 21, 43 2412
Mt 22, 1-14 *2354
Mt 22, 15 2316
Mt 22, 16 *2364
Mt 22, 30 *2140
Mt 22, 37 et 39 1836
Mt 22, 40 *2007
Mt 23 *2093
Mt 23, 3 *1933
Mt 23, 10 1775
Mt 23, 15 1632, 2218
Mt 23, 24 2455
Mt 23, 34 2042, 2074
Mt 24, 3 *2080
Mt 24, 9 2031
Mt 24, 12 2310
Mt 24, 28 1647, 1862, 2256, 2553
Mt 24, 31 2553
Mt 25, 1-13 *2354
Mt 25, 6 2524
Mt 25, 10 *2528
Mt 25, 11-12 1776
Mt 25, 19 2630
Mt 25, 21 *1853, 2004, 2134
Mt 25, 23 1783, 2015
Mt 25, 24 sq. *1909
Mt 25, 28 *1984
Mt 25, 33 1828 Mt 25, 34 sq. et 41 sq. *2095
Mt 25, 37 1939
Mt 25, 40 1599
Mt 25, 41 *1925, 1994, 2097
Mt 25, 46 1994
Mt 26 *1597
Mt 26, 2 1597, *2080
Mt 26, 7 *1597
Mt 26, 10 *1608
Mt 26, 17 *1729, 2332
Mt 26, 30 *2273
Mt 26, 31 1833, *1968, 2069, 2532 Mt 26,
31. 33-34 1847
Mt 26, 33 2621
Mt 26, 35 2621
Mt 26, 36 *2274
Mt 26, 38 2631
Mt 26, 38 et 39 1657
Mt 26, 41 1845
Mt 26, 53 2353
Mt 26, 56 *2330
Mt 26, 66 2405
Mt 26, 71-72 2326
Mt 26, 73-74 *2326
Mt 27, 2 *2328
Mt 27, 5 *2546
Mt 27, 32 *2414
Mt 27, 35 *2431
Mt 27, 45 *2405, *2405
Mt 27, 48 *2449
Mt 27, 51 *2447
Mt 27, 51 sq *1827
Mt 27, 54 2181
Mt 27, 55-56 *2435
Mt 27, 59 2467
Mt 28, 1 2471, *2472
Mt 28, 2 2475, *2516
Mt 28, 2-5 *2496
Mt 28, 7 2573
Mt 28, 9 2516, 2525
Mt 28, 13-15 *2485
Mt 28, 16 *2613
Mt 28, 18 1743, *2110, 2185
Mt 28, 19 1633, 1987, 2216, 2539
Mt 28, 20 1611, 1833, 1947, 2163, 2606
Marc (Mc)
Mc 1, 4 *1765
Mc 1, 10 *2539
Mc 1, 16 sq. *2553
Mc 1, 19-20 *2443
Mc 1, 27 2054, 2312
Mc 3, 22 *2098
Mc 3, 30 *2098
Mc 4, 8 *1996
Mc 4, 10-11 *2315
Mc 4, 34 *2315
Mc 5, 7 1975
Mc 6, 48 *2054, *2554
Mc 7, 17 *2315
Mc 9, 6 *2539
Mc 9, 49 2554
Mc 10, 30 *1871
Mc 13, 3 *2080
Mc 13, 9 *2080
Mc 13, 26 1828, 2260
Mc 14 *1597
Mc 14, 1 1597, *2080
Mc 14, 3 *1597
Mc 14, 8 1608
Mc 14, 12 *1729, *2332
Mc 14, 26 *2273
Mc 14, 32 *2274
Mc 14, 33 1651
Mc 14, 68 1846
Mc 15, 24 2432
Mc 15, 25 2405
Mc 15, 33 *2405
Mc 15, 40-41 *2435
Mc 15, 43 2464
Mc 16, 1 *1608, 2472
Mc 16, 2 2474
Mc 16, 5 *2496, *2516
Mc 16, 8 *2492
Mc 16, 9 *2472
Mc 16, 14 *2613
Mc 16, 15 2027, 2226, 2230
Mc 16, 17-18 1898
Mc 16, 19 1771, 2163, 2191
Luc (Lc)
Lc 1, 35 1975
Lc 1, 51 1695
Lc 2, 8 2217
Lc 2, 10-11 *1627
Lc 2, 14 1662
Lc 2, 34 2048
Lc 2, 51 1970
Lc 3, 2 2318
Lc 3, 3 *1765
Lc 3, 6 2185
Lc 3, 14 2426
Lc 3, 22 *2539
Lc 4, 1 *1909
Lc 5, 1 sq. *2553
Lc 5, 3-6 *2585
Lc 5, 4 *2589
Lc 5, 6 *2590, *2604, *2606
Lc 5, 8 1755
Lc 5, 10-11 *2443
Lc 6, 13 1782, 2020, 2546
Lc 6, 19 *2414
Lc 6, 22 2031, 2071, 2223,
2635
Lc 6, 22-23 *2071
Lc 6, 23 2256
Lc 6, 25 1644
Lc 6, 38 *1853
Lc 6, 45 *1776
Lc 7, 37 *1597
Lc 7, 39 *1608
Lc 7, 47 1767,2472,2493,2626
Lc 8, 11 1639
Lc 8, 13 1947, 2170, *2547
Lc 8, 15 *1996
Lc 9, 1 2144
Lc 9, 5 *1749
Lc 9, 26 1708
Lc 9, 34 *2539
Lc 9, 58 2176, *2428
Lc 9, 62 2578
Lc 10, 4 1821
Lc 10, 16 2042
Lc 10, 17 2144, 2145
Lc 10, 22 1937
Lc 10, 23 1701, 2566
Lc 10, 39 *1595, 1595
Lc 10, 39-40 1806, 2305
Lc 10, 40 1595, 1745
Lc 10, 41 *1595
Lc 10, 42 *1595, 2648
Lc 11, 1 *1995
Lc 11, 2 *1995
Lc 11, 15 *2098
Lc 11, 28 1785
Lc 11, 33 2414
Lc 11, 41 1599, 1767
Lc 12, 7 *2558
Lc 12, 35-38 *2354
Lc 12, 37 2041
Lc 12, 49 2599, 2602
Lc 12, 50 1815
Lc 13, 7 *1984
Lc 13, 19 *2354
Lc 13, 21 *2354
Lc 14, 16 1740
Lc 14, 17 2608
Lc 14, 21 2589
Lc 14, 26 1645, 2441
Lc 15, 25 *2480
Lc 15, 31 2209
Lc 16, 25 1644
Lc 17, 10 1782
Lc 17, 22 1834
Lc 17, 37 *1804
Lc 18, 1 2142
Lc 18, 11 *2621
Lc 18, 31 2451
Lc 19, 10 2447
Lc 19, 12 2359
Lc 19, 22 2393
Lc 19, 42 1627
Lc 19, 44 *1947
Lc 21, 12 *2080
Lc 21, 15 1839
Lc 21, 27 1923, 1968, 2249,
2260
Lc 21, 33 1900
Lc 22, 3 sq. *2278
Lc 22, 7 *1729, *2332
Lc 22, 8 *2645
Lc 22, 15 2331
Lc 22, 24 2273
Lc 22, 27 1745, 2531
Lc 22, 29-30 *2004
Lc 22, 31-32 2273
Lc 22, 31-34 1847
Lc 22, 32 *2093, *2308, 2639
Lc 22, 35 2288
Lc 22, 36 2288
Lc 22, 42 *2641
Lc 22, 51 *2290
Lc 22, 52 2278
Lc 22, 53 2078
Lc 22, 61 *2325
Lc 22, 66 2330
Lc 23, 2 *2345
Lc 23, 5 2312, 2337
Lc 23, 33 *2417
Lc 23, 42 2057
Lc 23, 43 1671, *2235, 2275
Lc 23, 44 *2405
Lc 23, 49 *2435
Lc 23, 55-56 *2473
Lc 24, 4 *2505
Lc 24, 13 sq. *2525
Lc 24, 16 *2506
Lc 24, 17 2134
Lc 24, 17-18 2511
Lc 24, 26 *2451
Lc 24, 34 2525
Lc 24, 39 2516, 2533, 2559
Lc24, 43 *2611
Lc 24,44 1691, 1790, 1833,
2057, 2433, 2445, *2447
Lc 24,45 2101, 2151, 2483,
*2488
Lc 24, 49 *2093, 2289,
*2308, 2648
Jean (Jn)
Jn 1, 1 1878, *1911, 1929,
1970, 2499 Jn 1, 3 1695, 1857, 1904, 1993, *2181
Jn 1, 4 1868
Jn 1, 9 1686, 1698, 1713, 2150, *2582
Jn 1,
10 1669, *1923, 2264
Jn 1,
11 1713, 1736, *1923, 2162
Jn 1,
11-12 2042 Jn 1, 12 *1726, 1686, 2258
Jn 1,
14 *1743, 1864, 1878, 1881, *1978, 2181, 2199, 2201, 2499
Jn 1, 15 *1619
Jn 1, 16 *2196, 2231
Jn 1, 17 1993, 2365
Jn 1, 18 1694, *1775, 1804, *1937, *2185,
2194, *2195, 2269, 2359
Jn 1, 26 2531
Jn 1, 29 *1733, *2231, 2623
Jn 1, 33 1915
Jn 1, 35 sq *2553
Jn 2, 1-11 *1689
Jn 2, 3 2440
Jn 2, 4 1637, 1733, *2078, 2180, 2440
Jn 2,
25 2126
Jn 3, 2
*1707, 2466
Jn 3, 5
1856
Jn 3, 8
1916, 2059
Jn 3,
13 2257, *2257, *2520
Jn 3,
14 1673, 1677
Jn 3,
14-15 *2494
Jn 3,
17 1667, 1717, 2537
Jn 3,
34 *2088
Jn 3,
35 2270
Jn 3,
36 1714
Jn 4, 2
*1765
Jn 4, 6
2176
Jn 4,
31 1775
Jn 4,
34 2588
Jn 4,
35 1636
Jn 4,
36 1641, 1992, 2027
Jn 4,
39 *1619
Jn 5,
1-9 *1615, *1689
Jn 5, 4
1796
Jn 5, 7
1796
Jn 5,
18 2387
Jn 5,
19 1722, 1893, 1904, 1935, 2061, 2187
Jn 5,
20 1999, 2185, 2270
Jn 5,
22 1716
Jn 5,
23 1648, 1793, 1851
Jn 5,
26 2110, *2110, 2187
Jn 5,
27 1722
Jn 5,
36 1773, 1896
Jn 5,
38 1995
Jn 5,
39 2568
Jn 5,
43 1622, 1957
Jn 5,
44 1709
Jn 5,
46 1705
Jn 6
*1755
Jn 6, 5
sq. *2598
Jn 6,
19 *2054, *2554
Jn 6,
27 1933
Jn 6,
29 1851, 1894
Jn 6,
30 1689
Jn 6,
33 *2257
Jn 6,
38 1828, *2257
Jn 6,
40 2218
Jn 6,
44 1674, 1875, *1875, *1910, 2055, 2196, 2596
Jn 6,
45 1959, *2018, 2202, *2249, 2361
Jn 6,
51 2599
Jn 6,
52 1639
Jn 6,
56 1979
Jn 6,
57 1930, 1988, *2256
Jn 6,
67 *2547
Jn 6,
69 1775, 1776
Jn 6,
71 1789, *2037, 2276
Jn 7, 7
2031, 2034, 2038
Jn 7,
16 1711, 1950, *2061
Jn 7,
20 *2098
Jn 7,
29 1880
Jn 7,
32 *2319
Jn 7,
39 1637, 1859, 1902, 2088
Jn 7,
46 1893, 2319
Jn 7,
48 1707
Jn 8,
11 *2447
Jn 8,
12 *1686, 1713, 1714, 2150
Jn 8,
14 1720, 2359
Jn 8,
19 1878, 1886, 2043, 2076
Jn 8,
21 2280
Jn 8,
23 2037, 2224, 2390
Jn8, 26
1893
Jn 8,
28 1678, 2461
Jn 8,
29 2003
Jn 8,
31 *1619, 1996
Jn 8,
32 2229, 2460
Jn 8,
34 1975
Jn 8,
35 1611,2014
Jn 8,
44 1922, 2093
Jn 8,
46 2320
Jn 8,
47 1933, 2362
Jn 8,
48 *2098
Jn 8,
48-49 *2216
Jn 8,
50 1906, 2183
Jn 8,
52 *2098
Jn 8,
55 2267
Jn 8,
59 1687
Jn 9,
1-7 *1615, *1689, *2054
Jn 9, 4
2582
Jn 9,
22 1708, 2071
Jn 9,
24 2096
Jn 9,
31 1982
Jn 9,
32 1893, 2054
Jn 9,
39 1667
Jn 10,
1 sq. *2361
Jn 10, 4 et 16 *2171
Jn 10, 6 *2148
Jn 10, 9 1874, 2188
Jn 10, 10 1603, 1691, 1870
Jn 10,
11 *2216, *2628
Jn 10,
13 *2547
Jn 10,
18 1659, *1679, 1815, 2283, 2452, 2484
Jn 10,
20 *2098
Jn 10,
27 1647, 2185, 2301, 2361
Jn 10,
27-28 2218
Jn 10,
29 2107
Jn 10,
30 1891, 1929, 2161, 2214
Jn 10,
33 2387
Jn 10,
34 2387
Jn 10,
38 1896
Jn 10,
41 2088
Jn 11,
9-10 1824
Jn 11,
17-44 *2054
Jn 11,
33 1651, 1797
Jn
11,43 *1689
Jn 11,
49-52 *1609
Jn 11,
50 *2298
Jn 12,
12-13 1591
Jn 12,
13 *1624
Jn 12, 19 2176
Jn 12, 23 et 27 *2078
Jn 12, 24 *1979
Jn 12, 26 1862
Jn 12,
28 2181
Jn 12,
31 2097, 2176
Jn 12,
32 1641, 1790, *1875, 2176
Jn 12,
36 *1686
Jn 12,
40 *1941
Jn 12,
42 *2071, 2464
Jn 12,
43 2399
Jn 13,
1 1832, 2120, 2280
Jn 13,
2 1811
Jn 13,
2-3 *1672
Jn 13,
4 1770
Jn 13,
8 1806
Jn 13,
10 1756, 1987
Jn 13,
12 1756
Jn 13,
13 2562, 2592
Jn 13,
15 1756
Jn 13,
16 2040
Jn 13,
21 1850
Jn 13,
23 *1803, *2642
Jn 13,
23-24 *2302
Jn 13,
25 *2643
Jn 13,
26 *1741
Jn 13,
30 *2281
Jn 13,
31 1733, 1902
Jn 13,
33 1841, 1922, 1975, 2120
Jn 13,
34 *2540, 2599
Jn 13,
35 1996, 2241, 2653
Jn 13,
36 1858, 1864, 1926, 2084
Jn 13,
37-38 2309
Jn 14
*2068
Jn 14, 1 *1641, 1978
Jn 14, 1-2 2082
Jn 14, 2 et 3 *1858
Jn 14, 3 1923, 1968, 2650
Jn 14,
4 1880, 1886
Jn 14,
5 1880, 1926, 2084
Jn 14,
6 1916, 1958, 2062, 2106, *2229, 2359, *2364, 2365, *2582
Jn 14,
7 1883
Jn 14,
8 1926, 2137, 2144
Jn 14,
9 1704, *1830, 2268
Jn 14,
9-10 1712, 2170
Jn 14,
10 1722, 1926, 1928, 1950, 2247
Jn 14, 12 1928, 2088
Jn 14, 15 1976, *2618
Jn 14, 16 *1911, *1912, 1946, 2082, 2088
Jn 14,
18 2082
Jn 14,
18-19 1948
Jn 14,
19 1939, 2120
Jn 14,
21 2096, 2159, 2533
Jn 14,
23 1793, 1908, 1923, 2248, 2533
Jn 14,
26 1771, 1880, *1912, *1957, 2061
Jn 14,
27 1952, 1978, 2085, 2532
Jn 14,
28 *2083, 2183, 2531
Jn 14,
30 2385
Jn 14,
31 1847
Jn 15
*2068
Jn 15,
1 2612
Jn 15,
1 sq. *1978
Jn 15,
4 1995, 1996
Jn 15,
5 *2621
Jn 15,
7 2254
Jn 15,
9 *2540, 2639
Jn 15,
10 2198
Jn 15,
12 *2447, *2540
Jn 15,
13 1735, 1838, 1843, *2429
Jn 15,
15 1783, 1916, *1916, 2041, 2201
Jn 15,
16 1641, 1788, 2037, *2196
Jn 15,
18-27 *2069
Jn 15,
19 2175, 2196, 2223
Jn 15,
21 2052
Jn 15,
22 1700, 1724, 1893
Jn 15,
24 1689, 1700, 1893
Jn 15,
26 1916, *1955, 1956, *1957, 2098
Jn 15,
27 1908
Jn 16,
5 1738, 2163, 2520
Jn 16,
7 1640, 1771
Jn 16,
12 1975, 2018, 2151, 2658
Jn 16,
12-13 1756
Jn 16,
13 2062, 2137, 2269
Jn 16,
14 1916, *2208, 2209
Jn 16,
15 2209
Jn 16,
16 1682, 1833
Jn 16,
18 2167
Jn 16, 20 *1955, 2134
Jn 16, 22 1923, 2136, 2534
Jn 16, 23 1995, 2609
Jn 16, 25 1880, 2018, 2165,
2314
Jn 16, 25 et 29 *2148
Jn 16,
27 1908, 2149, 2251
Jn 16,
28 1611, 1713, *1923, 2149, 2165, 2219
Jn 16,
29 2149
Jn 16,
31 2203
Jn 16,
32 2203
Jn 16,
33 1963, *2032, *2536
Jn 17,
1 *2078, 2194
Jn 17,
2 2253
Jn 17,
3 1738
Jn 17,
5 1660, 1827, *2088
Jn 17,
6 1622, 1660, 1733, 1736, 1830,1864, 1879, *1937, *2110, *2185, 2208, 2209,
2268
Jn 17,
9 2263
Jn 17,
11 *2213, 2220, 2264, 2351
Jn 17,
12 2079, 2235, 2284
Jn 17,
15 2283
Jn 17,
16 *2032
Jn 17,
17 1853, 2233
Jn 17, 20 2263
Jn 17, 21 2249
Jn 17, 22-23 *2547
Jn 17, 24 *2088
Jn 18, 4 1732
Jn 18, 8 1924
Jn 18, 10 *2353
Jn 18, 15 *2290
Jn 18, 15-16 *2302
Jn 18, 16 *2645
Jn 18, 18 2325
Jn 18, 20 2165
Jn 18, 21 2320
Jn 18, 23 *2124, *2321
Jn 18, 30 2345
Jn 18, 37 1870, 2230, 2268
Jn 19, 6 2405
Jn 19, 11 2293
Jn 19, 12 2340
Jn 19, 23 2412
Jn 19, 24 1746
Jn 19, 26 *1803
Jn 19, 30 1733, *2447
Jn 19, 31 *1590
Jn 19, 37 2249
Jn 19, 38 1630
Jn 20, 1 2525
Jn 20, 2 *1803
Jn 20, 2-4 et 8 *2302
Jn 20, 3 2302
Jn 20, 17 1734, 1832, 2256
Jn 20, 19 *1923, *2613, 2613
Jn 20, 20 1924,2119,2130
Jn 20, 21 1712, 2230
Jn 20, 22-23 1779
Jn 20, 23 1955, 2539
Jn 20, 24 *2645
Jn 20, 26 *2613, *2613, *2614
Jn 20, 28 *1758
Jn 20, 31 2422, 2460, 2571
Jn 21, 3 2171
Jn 21, 7 *1803, *2302
Jn 21, 15 1753, 2640
Jn 21, 17 2166, 2603
Jn 21, 18 1842, 2484
Jn 21, 19 1827
Jn 21, 20 *1803
Jn 21, 20 et 23-24 *2302
Jn 21, 21 2137
Actes des Apôtres (Ac)
Ac 1, 1 1769, 1850, 2321
Ac 1, 3 2119, 2151, 2572,
*2613
Ac 1, 4 2611
Ac 1, 5 1749
Ac 1, 6 2137
Ac 1, 8 2067, 2654
Ac 1, 9 2084, 2120, 2613
Ac 1, 11 1860, 1923
Ac 2, 4 *2539
Ac 2, 37 1702
Ac 3, 1 2302
Ac 3, 1. 3-4 *2645
Ac 3, 11 *2645
Ac 3, 13 1662, 2385
Ac 3, 14 2370
Ac 4, 8 *2308
Ac 4, 12 1904, 2142, 2568
Ac 4, 32 2016, 2238
Ac 4, 34-35 *1899
Ac 5, 15 *1899
Ac 5, 32 1908, 2067, 2098
Ac 5, 34-39 *1630
Ac 5, 41 1955, *2363
Ac 6, 2 1605
Ac 7, 51 2055
Ac 7, 58 *2341, *2630
Ac 8 *1633
Ac 8, 5 1633
Ac 8, 13 *1791
Ac 8, 14 2302, *2645
Ac 8, 27 *1632
Ac 8, 31 2047
Ac 9, 4 2042
Ac 9, 31 *1912, 2060
Ac 10, 38 1728, 2057, 2336
Ac 10, 40-41 2120, 2567
Ac 10, 41 1924
Ac 10, 42 1720, 2253
Ac 10, 43 1703
Ac 12, 2 2636
Ac
13, 30 *2475
Ac
14, 21 2594
Ac
15, 9 *1854, 1987
Ac
16, 37 *2321
Ac
17, 28 1930
Ac
18, 3 *2578
Ac
22, 25 *2321
Ac 23, 2-3 *2321
Ac 25, 9 2339
Ac 25, 16 2339
Ac 26, 24 *2414
Ac 27, 34 2558
Romains (Rm)
Rm 1, 1 2015
Rm 1, 2 1703, 2047
Rm 1, 4 2191, 2262
Rm 1, 13 2027
Rm 1, 19 2195, 2265
Rm 1, 19-20 2265
Rm 1, 20 *1697, *1762, 2195
Rm 1, 20-21 2049
Rm 1, 21 2265
Rm 1, 32 *2582
Rm 2, 13 1716, 1933
Rm 2, 14 *2480
Rm 2, 16 *1792
Rm 3, 4 *1872, *2621
Rm 3, 10 2094
Rm 3, 21-5, 21 *2046
Rm 3, 22 2096, 2229
Rm 3, 23 2046
Rm 3, 24 *2513
Rm 3, 29 *1626, 2421
Rm 4, 5-8 *2095
Rm 5, 1 1962, 2248
Rm 5, 1-2 2521
Rm 5, 2 *1868
Rm 5, 5 1836, 1909, *2000, *2015,
2069, 2159, 2429, 2541, 2602
Rm
5, 8 1673, 2009, *2560
Rm
5, 10 2532, 2554
Rm
5, 19 1592, *1592
Rm
6, 4 1829, 2133, *2290
Rm
6, 6 *2560
Rm
6, 9 1746, 1833, 2134, 2559
Rm
6, 10 1734, 1771, 2163
Rm
6, 12 1670, 2097
Rm
6, 13 1596
Rm
6, 21 1990
Rm
6, 22 1738, 1992
Rm
7, 18 2588
Rm
8, 9 1957
Rm
8, 11 1829
Rm
8, 14 *1609, 1909, 1916, 1955, 2321, 2494, *2605
Rm
8, 15 1836, 1922, 1957, 2014, 2062
Rm
8, 17 *1759, *2062
Rm
8, 26 1758, 1905, 1911, 1995
Rm
8, 29 1648, 1957, 1999, *2062, *2196, *2519, 2521,*2568
Rm
8, 29-30 *2191
Rm
8, 30 2020, 2604
Rm
8, 34 *2138, *2191
Rm
8, 35 *2618
Rm
8, 38-39 2618
Rm
9, 1 2460
Rm
9, 3 *2487, 2618
Rm
9, 4-5 2480
Rm
9, 5 2483
Rm
9, 11 *2196
Rm
9, 18 1700, 2254
Rm
9, 30-31 2483
Rm
9, 32 *2048
Rm
10, 2 1758
Rm
10, 4 1738
Rm
10, 8 *2235
Rm
10, 8-10 *1776
Rm
10, 10 1601, *1601, 1708
Rm
10, 12 *2428
Rm
10, 17 1619, 1693, 2046
Rm
10, 18 *2093
Rm
11, 8 *1702
Rm
11, 16-24 *2481
Rm
11, 17 *2421
Rm
11,20 1845
Rm
11,25-26 2486
Rm
11,33 1866
Rm
12, 5 2239
Rm
12, 10 *2621
Rm
12, 12 2503
Rm
12, 13 1779
Rm
12, 15 1855, *2636
Rm
13, 1 1634, *2395
Rm
13, 8 2006
Rm
13, 10 *2447
Rm
13, 12 2582
Rm
14, 8 *2633
Rm
14, 17 *1912
Rm
15, 4 1665
Rm 15, 8 1633
Rm 16, 18 *1964
1re aux Corinthiens (1 Co)
1 Co 1, 17 *2412
1 Co 1, 18 2414, 2461, *2560
1 Co 1, 22 1629
1 Co 1, 23 *2048, *2069
1 Co 1, 24 *1775, *2181, 2188
1 Co 1, 25 1627
1 Co 1, 30 *1827
1 Co 2, 2 *2560
1 Co 2, 8 2049
1 Co 2, 9 *1853, 2250
1 Co 2, 9-10 *1916
1 Co 2, 10 1696, 2106
1 Co 2, 11 *1684, 1874, *2363
1 Co 2, 12 1743, 1916, 1920, 2098
1 Co 2, 14 1919, 1959, 2152, 2356
1 Co 3, 6 1982
1 Co 3, 16 2061, 2247
1 Co 4, 1 1595, 1647, 2544
1 Co 4, 4 1762, 1843
1 Co 4, 10 *2414
1 Co 4, 15 *2601
1 Co 5, 7 2405, 2461
1 Co 6, 17 1999
1 Co 6, 19 1955
1 Co 6, 20 *2633
1 Co 7, 20 2000
1 Co 9, 19 *1745
1 Co 9, 24 1787, 2478, *2478
1 Co 9, 26-27 *2478
1 Co 10, 4 1828, *2450
1 Co 10, 11 1731
1 Co 10, 12 1801
1 Co 10, 21 1823
1 Co 10, 31 1906, 1996
1 Co 11, 3 1599, 1762, 2483, 2499, *2568
1 Co 11, 23 2522
1 Co 11,27-32 *1823
1 Co 11, 26 2499
1 Co 11, 29 *1602, 1813
1 Co 12, 3 1916
1 Co 12, 6 et 11 2061
1 Co 12, 7 1915
1 Co 12, 11 2106
1 Co 12, 28 2026
1 Co 12, 31 2429, *2508
1 Co 13, 2 1996
1 Co 13, 3 1599, *2633
1 Co 13, 7 2512
1 Co 13, 8 1915, 2641
1 Co 13, 9 *1663
1 Co 13, 12 1880, 1927, 1927, 2018,
*2018, *2102, 2150, 2203, 2269
1 Co 14, 2 *1595
1 Co 14, 25 1792
1 Co 14, 33 *2241, 2483
1 Co 15, 10 1900, 1984, 2602, 2616
1 Co 15, 22 1925
1 Co 15, 28 1853
1 Co 15, 36 1639
1 Co 15, 43 2245
1 Co 15, 51 *2552
1 Co 15, 53 *2559
1 Co 15, 57 2176
1 Co 15, 58 2492
2e aux Corinthiens (2 Co)
2 Co 1, 4 1955
2 Co 1, 6 2547
2 Co 1, 22 1839
2 Co 2, 14-15 1599
2 Co 2, 15-16 1602
2 Co 3, 5 1993
2 Co 3, 6 2538
2 Co 3, 7 *1830
2 Co 3, 14 2480
2 Co 3, 18 1830, 2152, 2246
2 Co 4, 4 1669, 1697
2 Co 4, 5 *1745
2 Co 4, 16 *1804, *2618
2 Co 4, 18 1920, 2596
2 Co 5, 1 1853, *1861
2 Co 5, 4 2631
2 Co 5, 8 2631
2 Co 5, 14 1942, 2106, 2494, 2618
2 Co 5, 16 2088, 2518
2 Co 5, 17 *1471
2 Co 5, 19 1591, 1669, *2429, 2521
2 Co 5, 29 2032
2 Co 6, 1 1984
2 Co 6, 4 1647
2 Co 6, 13 *2499
2 Co 6, 14-15 *1987
2 Co 6, 15 *1602, *1674, 1823, *1922
2 Co 6, 16 1853
2 Co 6, 17 2582
2 Co 7, 5 1955
2 Co 7, 10 1850, 2129
2 Co 8, 9 2428
2 Co 9, 6 1645
2 Co 10, 5 2422, *2450
2 Co 10, 17 *2043
2 Co 11 *1777
2 Co 11, 15 *1602
2 Co 11, 23 *1647
2 Co 11, 29 *1804
2 Co 12, 2 1803
2 Co 12, 4 2101
2 Co 12, 7-8 *1758
2 Co 12, 8 2138
2 Co 12, 8-9 *1905
2 Co 13, 3 1930, 2042, 2093
2 Co 13, 4 *1734
Galates (Ga)
Ga 1, 9 2656
Ga 1, 10 1709
Ga 1, 12 1693, 2235
Ga 1, 13-14 *2074
Ga 2, 1-2 *1634
Ga 2, 9 2616
Ga 3, 16 *2447
Ga 3, 20 *2201
Ga 4, 4 2204, 2359
Ga 4, 4-5 *2387, 2521
Ga 4, 6 1957, 1957, 2062
Ga 4, 19 1832
Ga 5, 6 *1998
Ga 5, 22 1911,2027,2060,2220
Ga 5, 24 *2414
Ga 6, 14 1827, 2560, 2582
Ga 6, 15 2471
Éphésiens (Ep)
Ep 1, 3-6 *2191
Ep 1, 4 1857, 2020, 2196, 2262, *2568
Ep 1, 5
*1648
Ep 1,
18 1700
Ep 1,
21 *1871
Ep 1,
22 1599
Ep 1,
22-23 *1981
Ep 2, 3
*1717
Ep 2, 4
*2429
Ep 2, 8
2159, 2196, *2363, 2363
Ep 2,
14 *1962
Ep 2,
15 2596
Ep 2,
18 *1907
Ep 2,
20 *2626
Ep 3,
17 1793, 1853, 1898, 1930, 2468
Ep 3,
19 2429
Ep 4, 3
2213
Ep 4,
3-5 2239
Ep4, 8
1910, *2088, *2517, *2540
Ep 4,
10 2520
Ep 4,
15-16 *1981
Ep 4,
22-24 *2593
Ep 4,
25 1776
Ep 5,
1-2 2240, 2599
Ep 5, 2
1738, 1838, 1976, 2008, 2163, *2429, 2484, 2599
Ep 5, 8
1714
Ep 5,
11 *2582
Ep 5,
13 *2582
Ep 5,
23 *1981
Ep
6, 12 1975
Philippiens
(Ph)
Ph 1, 20
2633
Ph 1, 23
*1861, *2625, 2631, 2647
Ph 1, 23-24
*2618
Ph
1, 29 2363, *2363
Ph
2, 3 2621
Ph
2, 6-7 1970
Ph
2, 7 1746
Ph2,
8 1592, *1592, 1641, 1660, 1673, 2003, *2031, 2176, *2293, 2452
Ph
2, 8-9 2096, 2191
Ph2,
9 1771, 1828, 1829, 1904, 1971, 2420
Ph
2, 10 *1627
Ph2,
11 1637, 1734, 1829
Ph
2, 13 *1909, 2015
Ph
2, 21 1647, *2618
Ph
3, 20 1804, *2093, 2596
Ph
3, 21 1925, 2181, 2245, 2260
Ph
4, 4 *2060
Ph
4, 7 *2429
Colossiens (Col)
Col l, 5-6 1985
Col 1, 13 2351
Col 1, 15 1712, 1878
Col 1, 18 *1978, *1981, *2514
Col 1, 20 1591, 1827, 2554
Col 2, 3 1665, 2106, 2201, *2568
Col 2, 15 *1637, 2176, 2414, *2560
Col 3, 1 1859
Col 3, 5 *2633
Col 3, 9-10 1836
Col 3, 13 1779
Col 3, 14 2429
Col 4, 3 2178
Col 4, 6 *2624
1re aux Thessaloniciens (1 Th)
1 Th 2, 13 2042
1 Th 2, 14 2481
1 Th 4, 5 2265
1 Th4, 15 *1862
1 Th 4, 16 1860, *1862, 1925, 2258
1 Th 5, 5 1686
1 Th 5, 17 2142
1 Th 5, 22 *1890
1re ŕ Timothee (1 Tm)
1 Tm 1, 5 2006, 2029
1 Tm 1, 13 2076
1 Tm 1, 15 1923
1 Tm 1, 17 *1830, 1887, *2195
1 Tm 2, 4 1698, 2207, 2253, 2447
1 Tm 2, 5 1794, *1910, *2201, 2537
1 Tm 2, 5-6 *2138
1 Tm 2, 6 *1745
1 Tm 3, 15 1853
1 Tm 4, 12 2624
1 Tm 5, 8 2441
1 Tm 5, 22 2614
1 Tm 6, 16 *1684, 1713, *1726,
*1734, 1866
2e ŕ Timothee (2 Tm)
2 Tm 2, 5 *2478
2 Tm 2, 19-20 2024
2 Tm 3, 1-2 2618
2 Tm 3, 13 1630
2 Tm 3, 16 *1987
2 Tm 4, 7 2478
Tite (Tt)
Tt 1, 9 1987
Tt 1, 16 2377
Tt 3, 5 2458
Philémon (Phm)
Phm 9 2630
Hébreux (He)
He 1, 1 1953
He 1, 3 1662, 1712, 1830, 1878,
*2062, 2181, 2213, 2260
He 1, 6 2496
He 2, 3 2269, 2359
He 2, 4 2066, 2098
He 2, 9 1970
He 2, 10 *2229, 2451
He 2, 13 2253
He 2, 14 1827
He 2, 16 1627, 1930
He 2, 17 2519
He 3, 1 *1782, *1829
He 3, 5 1622
He 3, 14 *1829
He 4, 3 *2582
He 4, 11 *2478
He 4, 13 2347
He 4, 15 1652, 1845, 2309, *2519
He 5, 5 1637
He 5, 7 1658
He 5, 8-9 1592, *2229
He 5, 12 1885
He 5, 14 2602
He 6, 4 *1829
He 7, 14 *1829
He 7, 25 1859, 1910, 2155
He 8, 6 *1910
He 8, 8 *2447
He 9, 10 2231
He 9, 14 *2229, 2231
He 9, 15 *1910
He 9, 22 1640
He 9, 27 2647
He 10, 10 *2229
He 10, 12 *2191
He 10, 14 *2229, 2451
He 10, 19 *1907
He 10, 19-20 1641
He 10, 25 2547
He 10, 32 *1862, *2256
He 11, 1 *1859, 2018, *2096, 2176, 2564, *2602
He 11, 6 1851,2159
He 12, 2 2494
He 12, 3 2031
He 12, 9 1922
He 12, 14 1962
He 12, 24 *1910
He 12, 26 *1925
He 13, 8 2483
He 13, 10 *2480
He 13, 12 2231, 2415
He 13, 13 2415
Jacques (Jc)
Jc 1, 6 2142
Jc 1, 17 2213
Jc 1, 18 *2471
Jc 1, 22 1716
Jc 1, 24 *2532
Jc 2, 5 2227
Jc 2, 13 1599
Jc 2, 19 *2095
Jc 4, 3 1905, 2142
Jc 4, 17 1785
Jc 5, 16 1779
1re de Pierre (1 P)
1 Ρ 1, 12 *2519
1 Ρ 1, 18-19 1733, 2458
1 Ρ 1, 19 *1755
1 Ρ 2, 9-10 *2290
1
Ρ 2, 21 1781, 2031, *2391, 2414, 2631, 2635
1. P 2, 22 1845,
1975, 2003, 2320, 2367
1
Ρ 2, 24 1750
1
Ρ 3, 7 *1759
1
Ρ 3, 14 *2071
1
Ρ 3, 18 1641, 2484
1 Ρ 3, 20 2582,
*2595
1 Ρ 3, 22 *2191
1 Ρ 4, 8 2541,
2617
1 Ρ 4, 10 2548
1 Ρ 4, 13-14 *2071
1 Ρ 4, 15-16 1974,
2043, 2633
2e de Pierre (2 Ρ)
2 Ρ 1, 4 1829, 1999 2
Ρ 1, 14 *2631
2 Ρ 1, 16 2210
2 Ρ 1, 21 2321
2 Ρ 2, 21 *2441
2 Ρ 2, 22 *2148
1re de Jean (1 Jn)
1 Jn 1, 2 *1703
1 Jn 1, 3 2067,
2460
1 Jn 1, 5 1713
1 Jn 1, 8 1985
1 Jn 2, 1 1912,
*1912, 2155
1 Jn 2, 1-2 2207
1 Jn 2, 4 2012
1 Jn 2, 15 1918,
1941
1 Jn 2, 15-17
*2032
1 Jn 2, 16 *1941,
2176, 2211
1 Jn 2, 18 1833
1 Jn 2, 19 1799
1 Jn 2, 20 *2098
1 Jn 2, 22 *2098
1 Jn 2, 27 2102,
2137
1 Jn 3, 1 *2519
1 Jn 3, 2 *1663,
1880, 2186, *2245, 2260, 2552, *2571
1 Jn 3, 8 1668
1 Jn 3, 13 2175,
2223, *2227
1 Jn 3, 13-14
2038
1 Jn 3, 18 1838,
2008
1 Jn 3, 20 *2004
1 Jn 3, 21-22
2028
1 Jn 4, 1-2 *2098
1 Jn 4, 5 2034
1 Jn 4, 9 2009
1. Jn 4, 10 1735,
1838, 1909, 1934, 2002, 2020, 2159
1 Jn 4, 10-15
*2159
1. Jn 4, 16 1853,
1930, 1941, 1988, 2000, *2060, *2247, 2258, 2270
1 Jn 4, 18 2015,
2617
1 Jn 4, 19 2002
1 Jn 4, 20 2012,
*2012
1 Jn 4, 21 2029
1 Jn 5, 4 2176
1 Jn 5, 6 *2098
1 Jn 5, 9 *2098
1 Jn 5, 19 2032, *2226
1 Jn 5, 20 1725, 1851, *2115, 2187,
2562
Jude (Jude)
Jude 3
*2478
Jude 19
*2547
Apocalypse
(Ap)
Ap
1, 5 1748, 1771
Ap
1, 7 1925, 2249, *2462, 2525
Ap
1, 18 1924
Ap
2, 10 2561
Ap
2, 23 *2166, 2617
Ap
3, 4 2497
Ap
3, 5 1771, 2593
Ap
3, 20 1594, 2615
Ap
3, 21 1647, *2245
Ap
4, 1 2458
Ap
5, 5 *2414
Ap
5, 10 1957, 2290, 2351
Ap
5, 12 *2185
Ap 5, 12 et 9 *2447
Ap 6, 10 2140
Ap 6, 11 2648
Ap 7, 3 *2015
Ap
7, 9 1620, 2590
Ap
11, 10 2129
Ap
14, 4 *2171
Ap
14, 15 *1636
Ap
19, 14 *2497
Ap
20, 6 *2290
Ap
21, 3 1853
Ap
21, 14 *2626
Ap
21, 23 2471
Ap
21, 27 1759
Ap
22, 1 2061, *2106
Ap
22, 11 1766, 1985
Ap
22, 17 2476
Ap 22, 20 2647